PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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services publics - sécu - sante  depuis oct 2021

 publié le 28 juin 2022

Rapport du médiateur de Pôle emploi :
ces règles qui pourrissent
la vie des chômeurs

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Sanctions « de plus en plus sévères et disproportionnées », « aberrations » derrière certaines mesures gouvernementales ou encore préconisations restées lettre morte : le médiateur national de Pôle emploi publie son rapport 2021, sans masquer son agacement.

Ni complaisance ni pincettes. Depuis douze ans, Jean-Louis Walter, le médiateur national de Pôle emploi, détaille par le menu les sujets mobilisant ses services. Incisifs et sans concession, ses rapports annuels dressent le bilan des saisines et mettent en lumière les problématiques rencontrées par les demandeurs et demandeuses d’emploi afin de « signaler aux décideurs ces situations qui empoisonnent l’existence des usagers ».

Son rapport 2021 est présenté mardi 28 juin 2022 en conseil d’administration de Pôle emploi. Mediapart se l’est procuré avant sa publication. Après un bilan 2020 teinté de colère, ce nouveau document laisse entrevoir l’exaspération grandissante du médiateur.

Jean-Louis Walter regrette tour à tour des préconisations non suivies d’effet, des règles d’assurance-chômage toujours plus complexes et un ministère du travail parfois dépeint comme déconnecté de la réalité voire sourd aux alertes.

Le tout, souligne le médiateur, dans un contexte de « persistance de la crise sanitaire » et d’une « évolution marquée du nombre de situations de grande détresse pour les femmes et les hommes qui sont confrontés à la précarité et à la difficulté de se réinsérer dans le monde du travail ».

Il existe actuellement dix-huit médiatrices et médiateurs régionaux dont l’action est coordonnée par le médiateur national, agissant en toute indépendance. La médiation est saisie quand une personne inscrite à Pôle emploi souhaite contester la réponse reçue à une première réclamation, formulée auprès d’une agence ou d’un service de Pôle emploi.

En 2021, 34 924 demandes de médiation ont ainsi été adressées, partout en France. Un chiffre en légère hausse (+0,6 %) par rapport à 2020 qui avait connu une augmentation plus remarquable (+12 %).

Premier fait notoire : en atteignant désormais 11 % des saisines, « les demandes liées aux radiations (recherches d’emploi insuffisantes et absence à rendez-vous) doublent par rapport à 2019 », constate le médiateur, rappelant que ces procédures avaient été suspendues une partie de l’année 2020, en raison des confinements.

Des postures excessives, encouragées par la loi

Dans un paragraphe dédié aux « choses vues par les médiateurs régionaux », Jean-Louis Walter s’attarde sur ces radiations, « sujet inépuisable de controverses ». « Les médiateurs constatent que ces sanctions deviennent de plus en plus sévères, avec un usage fréquent des radiations de six mois et, surtout, suppression définitive du revenu de remplacement », écrit-il, ajoutant que « certaines de ces sanctions semblent véritablement disproportionnées, tant dans leur gravité que dans leurs conséquences ».

Évoquant à nouveau le faible pourcentage des saisines sur le sujet (11 %), il insiste : « Plutôt que leur fréquence, c’est donc bien leur inadéquation qui les fait remarquer. »

Depuis 2013, le médiateur national de Pôle emploi plaide ardemment pour « une gradation des sanctions » et l’instauration d’un « sursis », au premier manquement aux obligations. Dans son rapport 2021, il s’en prend donc au décret de décembre 2018 qui a produit l’effet contraire : il a durci les sanctions, au lieu de les faire évoluer, par paliers.

« Dans les faits, plutôt que d’assouplir, [la loi] a rigidifié les pratiques, en les enfermant dans un barème plus sévère encore et en fournissant une légitimité nouvelle aux postures excessives », déplore Jean-Louis Walter.

Dans ses préconisations, il indique que les décisions de radiation « doivent prendre en compte la situation spécifique de la personne, pour appliquer ou non une sanction juste, fondée sur des faits et non sur l’application mécanique d’un barème », et rappelle que les radiations « sont lourdes de conséquences lorsqu’elles privent les intéressés du revenu de remplacement et d’un accompagnement au retour à l’emploi ».

Non sans agacement, je suis le témoin de toutes sortes d’interventions désordonnées sur des sujets sur lesquels nous avons alerté.

Toujours au chapitre des sanctions, le médiateur évoque brièvement le contrôle de la recherche d’emploi, intensifié en 2022, selon la volonté d’Emmanuel Macron. Au premier semestre, Pôle emploi était censé mener 25 % de contrôles supplémentaires. Objectif : 500 000 contrôles cette année. « Les demandes de médiation portent rarement sur le contrôle de la recherche d’emploi, souligne Jean-Louis Walter, ce qui tendrait à prouver que celui-ci est bien ciblé et que ses conclusions ne sont pas excessives. »

En revanche, comme les années précédentes, ce sont les demandes concernant l’indemnisation qui mobilisent le plus les services du médiateur. « Volet important de la vie des demandeurs d’emploi et des missions de Pôle emploi », elles concernent 53 % des saisines de l’année 2021. « Les changements incessants de la règlementation de l’assurance-chômage et la non-prise en compte de nos préconisations y sont pour quelque chose », regrette sèchement Jean-Louis Walter.

Le médiateur ne cache pas son irritation et dénonce une forme d’inertie face à des recommandations maintes fois répétées. « Malheureusement, notre travail n’est pas toujours apprécié à sa juste valeur. Non sans agacement, je suis le témoin de toutes sortes d’interventions désordonnées sur des sujets sur lesquels nous avons alerté et formulé des préconisations », écrit-il d’ailleurs en préambule. Et ajoute : « Force est de constater que l’année passée n’a pas changé grand-chose et que les mêmes maux et sigles continuent d’émailler les demandes de médiation. »

Dans sa ligne de mire, ce qu’il appelle « les oursins de service », sur lesquels Jean-Louis Walter a le sentiment de s’être attardé à maintes reprises, en vain. Il cite en exemple les périodes de travail non déclarées (en l’absence d’indemnisation, donc sans volonté de fraude), la demande de réexamen expresse (pour les personnes ayant épuisé leurs droits et attendant une ouverture de nouveaux droits) ou encore le délai de déchéance (pour les périodes de maladie, de maternité et de formation des demandeurs d’emploi).

L’effet collatéral d’une mesure gouvernementale 

Autant de sujets évoqués, parfois depuis de nombreuses années, et sur lesquels le médiateur continue désespérément de buter. Ses préconisations restent lettre morte mais les demandes de médiation, elles, continuent de parvenir aux médiatrices et médiateurs.

De nouvelles saisines, dont le médiateur se serait volontiers passé, viennent également s’ajouter à la liste. Jean-Louis Walter consacre ainsi sept longues pages à « l’allongement de la période d’affiliation », décidé par le gouvernement à la suite de la crise du Covid. Mediapart avait révélé, en janvier 2022, l’existence de cet « effet de bord » d’une mesure censée protéger les demandeurs d’emploi mais qui pouvait, dans certains cas, se retourner contre eux. Et faire baisser, parfois drastiquement, leur allocation-chômage mensuelle.

Annexée à la réforme de l’assurance-chômage, cette mesure entend compenser onze mois de confinements et de couvre-feux en 2020 et 2021, en allongeant automatiquement la fameuse période d’affiliation (PRA). Pour le dire plus simplement, Pôle emploi va chercher, plus loin dans le passé professionnel, des emplois et des salaires pour compenser l’éventuelle inactivité de ces onze mois. Or ce mécanisme pénalise des personnes non concernées par les confinements et qui gagnaient moins bien leur vie dans le passé.

En début d’année 2022, Jean-Louis Walter avait confié à Mediapart son exaspération face à cette règle, appliquée à toutes et tous, sans aucune distinction. Dans son rapport 2021, il ne manque pas d’épingler la mesure « louable dans ses intentions » mais très mal menée en haut lieu. Selon lui, Pôle emploi a « dès le départ identifié cet effet collatéral » et alerté la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), placée sous la tutelle du ministère du travail.

Complexité administrative et réglementaire 

« Mais cette alerte n’a pas abouti à des ajustements », constate le médiateur qui a récupéré la patate chaude et été contraint de traiter les réclamations, au cas par cas. « Au 15 mai 2022, les médiateurs régionaux ont reçu au total 1 654 demandes de médiation [sur le sujet] », détaille le rapport. « Dans certaines régions, cela représente aujourd’hui 50 % de la charge de travail […] l’examen de ces situations est très chronophage et usant pour les agences comme pour les médiateurs », développe-t-il encore.

« La logique, conclut Jean-Louis Walter, eût été d’appliquer normalement les nouvelles règles de l’assurance-chômage puis de recourir, dans un second temps, à la mesure d’allongement exceptionnel de la PRA, dans les situations qui le nécessitent et sur demande des demandeurs d’emploi auprès de leur agence. C’était le principe et l’esprit de la mesure exceptionnelle. »

Une autre mesure gouvernementale a donné du fil à retordre aux services chargés de la médiation à Pôle emploi. Il s’agit de la prime destinée aux travailleurs et travailleuses précaires, annoncée dès la fin 2020. Versée sous des conditions très précises, elle devait garantir un revenu minimum de 900 euros par mois aux personnes n’ayant pas retrouvé un niveau d’activité suffisant du fait de la crise sanitaire.

Quelques mois plus tard, c’était la pagaille : primes versées à tort ou refusées à des bénéficiaires pensant y avoir droit, cette aide d’urgence a conduit à des réclamations puis des médiations. Là encore, Jean-Louis Walter déplore une mesure qui manquait de recul et de logique. Pour bénéficier de cette prime, il fallait notamment justifier d’une durée d’activité salariée d’au moins 138 jours entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019.

« Cette condition simple se complique par le fait que l’on raisonne en jours travaillés (5 jours par semaine) » sans tenir compte « du nombre d’heures travaillées dans la journée », écrit le médiateur. « Or, les potentiels bénéficiaires de cette aide travaillent très souvent dans des secteurs dans lesquels l’intensité horaire journalière est élevée : hôtellerie, restauration, par exemple. Il en résulte que certains [...] se voient refuser l’aide, alors que si une conversion en jour de leur nombre d’heures travaillées était appliquée, ils rempliraient les conditions d’éligibilité. »

Si les demandes de médiation « se sont atténuées d’elles-mêmes avec la reprise de l’activité économique », Jean-Louis Walter ne retient pas aujourd’hui sa critique. Il dépeint une mesure « si généreuse et louable qu’elle soit », assortie de règles d’attribution ne tenant « pas compte de la réalité du marché du travail ».

Comme chaque année, le médiateur s’attarde et alerte sur le sort des demandeurs et demandeuses d’emploi pour qui le service rendu peut, et doit, toujours être amélioré. Mais comme chaque année, il réserve aussi quelques mots aux conseillères et conseillers de Pôle emploi, à qui il rend hommage « malgré la rudesse des situations », décrites dans ses rapports « sans complaisance ».

À leur sujet, il salue, au pied de son avant-propos, des femmes et des hommes qui « se débattent au quotidien, pour trouver des solutions dans les méandres de la complexité administrative et règlementaire sans nom qui est imposée à l’institution ».

publié le 26 juin 2022

Agro-alimentaire : derrière les scandales sanitaires, une organisation du travail dégradée

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Bactérie E.coli dans les pizzas Buitoni de Nestlé, salmonelle dans les chocolats Kinder de Ferrero…. Les scandales sanitaires de ces dernières années concernent des géants de l’agro-alimentaire. Dans une table ronde le 21 juin, divers responsables de la CGT ont rappelé la responsabilité des employeurs dans la sécurité alimentaire. Selon eux, une dégradation progressive de l’organisation du travail, guidée par la recherche d’une meilleure rentabilité, se fait au détriment tant de la santé des travailleurs que de celle des consommateurs. 

Depuis le mois d’avril, le grand public découvre l’ampleur des révélations sur la bactérie E.coli dans les pizzas Buitoni, propriété du groupe Nestlé. Dans la foulée des premiers épisodes de l’affaire, la fédération nationale agro-alimentaire et forestière (FNAF) de la CGT a écrit aux employeurs du secteur, regroupés dans l’association nationale des industries agroalimentaires. « Nous avons pointé ces scandales sanitaires, et dénoncé la recherche de profit effrénée qui scie la branche sur laquelle on est assis, avec un manque grandissant de confiance des consommateurs », retrace Julien Huck, secrétaire général de la FNAF. À cette heure, ce courrier n’a pas reçu de réponse.

Les causes de ces récents scandales « sont à chercher dans les volontés patronales de réduction des coûts », expose Julien Huck lors d’une conférence de presse sur le sujet, le 21 juin. Dans l’agro-alimentaire, la qualité des aliments produits et les conditions de travail des ouvriers sont étroitement liées. Or, ces conditions de travail se résument souvent à un triptyque : « faiblesse des salaires, non-reconnaissance des qualifications, et pénibilité du travail ».

Ces scandales s’inscrivent en fait dans un vaste changement d’organisation du travail en cours dans le secteur. À savoir, le déploiement de la méthode du lean manufacturing. Cette méthode, inspirée du Japon mais repensée aux Etats-Unis, vise la réduction maximale des temps morts sur une ligne de production… Et la réduction du personnel. En France, elle s’est installée en premier lieu dans le secteur de l’automobile. « On en a beaucoup parlé avec France Telecom », rappelle aussi Maryse Treton, secrétaire fédérale de la FNAF CGT. Dans l’agro-alimentaire, elle est mise en oeuvre depuis près de dix ans. Avec un « problème supplémentaire : dans notre secteur, on travaille du vivant… », souligne la responsable syndicale.

« La recherche de rentabilité financière n’est pas compatible avec la sécurité alimentaire »

Au niveau des conditions de travail, cette méthode a « rogné sur les garanties sociales », estime Maryse Treton. Dans le secteur, la précarité des travailleurs reste très importante. On compte en moyenne « 25 % de salariés précaires, avec des pics à 50 % dans certaines branches, comme chez Nestlé-Lactalis », présente la secrétaire fédérale.

Avec le lean, la polyvalence est devenu le maître mot des responsables des ressources humaines et des cadres du secteur. Des métiers très spécialisés, comme les hygiénistes chargés du nettoyage, disparaissent. Conséquence : l’augmentation de « la responsabilité et la charge mentale que portent les ouvriers », observe Gaëtan Mazin, salarié depuis 20 ans dans l’industrie laitière, et syndiqué CGT. « Ceux qui partent en retraite sont remplacés par des intérimaires. On retrouve parfois, sur des lignes à responsabilité, des intérimaires qui forment des intérimaires… »

Moins de formation, donc, et moins de capacités d’auto-contrôle. Le lean, « c’est une organisation du travail rigide. Les salariés doivent se débrouiller pour bien faire leur travail, avec des consignes qui ne leur permettent pas de le faire », résume Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Sauf qu’en cas de problème sur la chaîne de production, la responsabilité retombe vite sur le salarié. De nombreux licenciements pour faute découlent de cette nouvelle organisation, estime le secrétaire général de la CGT.

Autre conséquence, bien sûr, la multiplication des scandales sanitaires. « La recherche de rentabilité financière n’est pas compatible avec la sécurité alimentaire », synthétise Maryse Treton. Et puis, la CGT constate une dernière conséquence, « plus perverse. Celle qui consiste à dire aux salariés : « vous voyez, vous ne savez plus faire votre boulot, on a pas les compétences… Donc, on va externaliser » », pointe Philippe Martinez.

 Réduction du temps de nettoyage

 À Buitoni, au sein du groupe Nestlé, les postes d’hygiénistes chargés du nettoyage la nuit ont été supprimés. C’est le cas partout ailleurs. La réorganisation du travail en cours rogne sur le temps de nettoyage, ainsi que sur les effectifs de salariés spécialisés sur cette compétence. Auparavant, on comptait dans les usines « deux équipes de production, une le matin et une l’après-midi. La nuit, c’était le temps du nettoyage de l’outil de production », raconte Maryse Treton.

Désormais, les hygiénistes, spécialement formés à cette tâche qui requiert un savoir-faire particulier, « ont été remplacés par les ouvriers de production, plus ou moins formés au nettoyage ; voire par des intérimaires », explique la responsable syndicale.

Les temps de nettoyage ont également fortement diminué. Le groupe Lactalis-Nestlé est un exemple en la matière. « Avant, on était sur 16h de production, pour 8h de nettoyage par les hygiénistes. Aujourd’hui, on est sur 27 heures de production, pour 5 heures de nettoyage », détaille Maryse Treton.

Le lien avec les derniers scandales sanitaires est direct, selon les syndicalistes. « Partout, c’est la réduction des temps dits improductifs. Le nettoyage est considéré comme tel, alors que c’est ce qui permet la sécurité alimentaire », fustige Julien Huck.

 Un auto-contrôle insuffisant

 Face à cette dégradation du cadre de travail, les signalements sont difficiles à porter. La disparition des comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) due aux ordonnances de l’ex-ministre du Travail Muriel Pénicaud en 2017 – par ailleurs ancienne dirigeante du géant de l’agro-alimentaire Danone – a de lourdes conséquences.

Reste les procédures d’auto-contrôle, très courantes dans l’agro-alimentaire. Celles-ci visent à vérifier le respect d’un certain nombre de normes, dans le cadre des processus de certification des produits. Des organismes privés sont en charge de ces contrôles de certification. Ils se déroulent « environ une fois par an. Un mois avant le contrôle, il y a un pré-audit, qui permet de faire des correctifs. On passe alors les audits avec succès. Mais dès le lendemain de la certification, le quotidien reprend son cours… » décrit Gaëtan Mazin, le salarié de l’industrie laitière.

Pas de quoi faire réellement avancer la sécurité des travailleurs et la qualité des aliments produits, selon lui. Pendant ce temps, en revanche, « ces organismes privés de contrôle se font un maximum d’argent », glisse-t-il.

 

 

 

La répression des fraudes déplumée

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Sécurité Le transfert du contrôle des aliments au ministère de l’Agriculture fait craindre aux agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes une disparition de leurs compétences et une multiplication des scandales sanitaires.

La réforme a été actée à bas bruit, sans que les agents aient été informés. En juin, un décret déléguant aux services du ministère de l’Agriculture les missions de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments a été publié. Jusqu’à présent partagées avec les agents de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), ces compétences seront bientôt gérées par une « police unique » . « C’est le scandale Lactalis (lait infantile contaminé aux salmonelles – NDLR) et le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui ont précipité cette décision, en tranchant que la répartition des tâches n’était pas claire. C’est peut-être le cas en haut, mais ça fonctionne pourtant très bien sur le terrain », regrette David Sironneau, enquêteur et cosecrétaire de Solidaires CCRF et SCL (service commun des laboratoires).

Si le projet de transfert des missions prend racine dans de récents scandales sanitaires (des aliments des marques Buitoni et Kinder contaminés à la bactérie E. coli et à la salmonelle), la création d’une police unique n’est pas la solution, assurent les agents de la répression des fraudes. En premier lieu car le déplacement des compétences de contrôle et d‘analyse fait craindre aux professionnels de la DGCCRF une privatisation prochaine de ces missions. « Le ministère de l’Agriculture fonctionne avec énormément de délégations de service public, ce sera quasiment acté que les missions de sécurité sanitaire des aliments passeront aussi dans le privé », redoute Roland Girerd, cosecrétaire général de Solidaires CCRF et SCL. Ce sont en particulier les onze laboratoires chargés des analyses des échantillons alimentaires qui cristallisent les inquiétudes. Ce réseau de laboratoires publics dépendant de Bercy pourrait être délaissé au profit d’officines privées, signant la mort d’un service public précieux et d’une expertise rare. « Le SCL a pourtant prouvé lors du scandale Buitoni sa grande utilité. Il s’agit d’experts facilement mobilisables qui font preuve d’une grande technicité et qui accompagnent les agents sur le terrain. Il y a une nécessité pour l’État de conserver des laboratoires qui puissent être proactifs pour déceler ces problèmes », explique David Sironneau.

L’État prend-il le risque de laisser de futurs scandales sanitaires se dérouler ? Il s’expose en tout cas à affaiblir les capacités de découverte de fraudes économiques, préviennent les agents de la DGCCRF, réunis mercredi devant le ministère de l’Économie et des Finances, dont ils dépendent, pour faire entendre leur voix. Hélène, employée d’une direction départementale de la protection des populations (DDPP) présente au rassemblement, craint de se voir déposséder d’une partie de ses outils d’inspection par la création de cette instance unique de contrôle. « Je fais certes partie d’une police économique, mais les grandes fraudes commencent souvent par des manquements aux contrôles sanitaires. On va nous couper d’une part importante des informations dont on dispose aujourd’hui », explique-t-elle. David Sironneau confirme. « L’intégralité des fraudes, même sanitaires, est économique. Dans le cas de Kinder ou Buitoni, arrêter la production à la découverte de la contamination aurait coûté trop cher à l’entreprise. Or, c’est notre métier de comprendre cela, nous décelons les problèmes sanitaires mais nous savons également analyser le marché », précise-t-il.

Vente à la découpe

Le projet de création d’une police unique en charge de la sécurité des aliments s’accompagnera par ailleurs d’un transfert de 60 postes de la DGCCRF vers le ministère de l’Agriculture. La direction de l’administration a promis qu’aucun départ ne serait contraint. « Déplacer les agents au gré des scandales médiatisés ne règle pas le problème et ça crée des vides ailleurs », tempête Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. « Ce qui se passe à la DGCCRF se retrouve chez les douaniers, qui ont eux aussi un rôle important de prévention des risques sanitaires via leurs contrôles des importations agroalimentaires. Il faut embaucher plus de fonctionnaires qualifiés et payés à la hauteur de leurs qualifications », poursuit-il. Quelques années après la privatisation des missions de contrôle de sécurité des aires de jeux, les agents de la DGCCRF, dont les effectifs sont passés de 4 000 en 2005 à moins de 2 700 aujourd’hui, craignent que ce nouveau transfert, effectif au premier trimestre 2023, n’augure le début d’une vente à la découpe de leur administration.

 publié le 23 juin 2022

Services publics :
une priorité reléguée

par Hélène Tordjman Maîtresse de conférences à Sorbonne Paris-Nord sur www.politis.fr

Les services publics ont besoin de quelques dizaines de milliards d’euros par an : ils n’en bénéficieront pas.

Les soignants sont de nouveau en lutte pour obtenir des rémunérations et des conditions de travail décentes. Après deux ans de pandémie, qui ont rappelé le rôle central de l’hôpital public dans le système de santé et mis en lumière sa misère structurelle, rien n’a changé pour eux. Si ce n’est en pire. De nombreux lits et services sont obligés de fermer faute de personnel, les médecins et infirmières quittent le service public, les instituts de formation peinent à recruter, et les patients... patientent dans les couloirs pendant des heures. Le Ségur de la santé avait pourtant budgété une enveloppe de 19 milliards d’euros sur dix ans pour le système de santé. Une goutte d’eau dans le budget global de la santé, fourni à hauteur de 236 milliards pour 2022, qui ne permet pas d’augmenter les dépenses en personnel.

De même dans les autres services publics, tous soumis à la même diète depuis des années. Ainsi les magistrats, unis dans une grande protestation, à l’automne dernier, contre leurs conditions de travail dégradées. Les enseignants et les chercheurs manifestent régulièrement pour les mêmes raisons. Et rien n’indique un changement de cap. En effet, sur les 100 milliards du plan de relance post-covid, l’Europe en a fourni 40, à condition que la France réforme son système de retraites, d’assurance-chômage et revienne à une politique d’austérité. Pourtant les sommes en jeu sont relativement faibles, si on les compare aux centaines de milliards qui ont afflué vers les entreprises depuis deux ans. Le Conseil d’orientation des retraites estime par exemple que le déficit du régime des pensions n’est « que » de 10 milliards par an. Au même moment, le « quoi qu’il en coûte » macronien conduisait à débloquer 155 milliards d’euros d’aides aux entreprises en 2020, principalement sous la forme de chômage partiel, d’exonérations de cotisations et d’impôts ainsi que de prêts garantis. Ces sommes se sont ajoutées aux 150 milliards d’aides « habituelles » (exonérations de charges, crédits d’impôts, niches fiscales diverses) (1).

Tous ces milliards ont été distribués sans conditions sociales ni environnementales : les entreprises bénéficiaires, parmi lesquelles Total, Engie, EDF, Air Liquide, etc., continuent de polluer et de licencier, le tout généreusement financé par les contribuables. De plus, cet argent ne ruisselle que dans les poches des actionnaires : le rapport « Allô Bercy ? » montre que toutes les firmes du CAC40 ont reçu des aides et qu’elles ont collectivement distribué, en 2020, 51 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions, soit 140 % de leurs profits. La comparaison des ordres de grandeur entre les aides respectives au public et au privé est éclairante. Les services publics ont besoin de quelques dizaines de milliards d’euros par an : ils n’en bénéficieront pas. A contrario, les grandes firmes sont soutenues à hauteur de plusieurs centaines de milliards, sans aucune condition.

(1) « Allô Bercy ? Pas d’aides publiques aux grandes entreprises sans conditions », Observatoire des multinationales, www.multinationales.org.

publié le 13 juin 2022

« Macron ment », la preuve

Christophe Prudhomme sur ww.humanite.fr

Vous allez dire que je me répète mais nous sommes effectivement à un point de rupture pour notre système de santé et de protection sociale. De quel côté va pencher la balance ? Du côté du service public et de la Sécurité sociale à 100 % ou du côté des services marchands et des assurances privées, bref d’un système à l’américaine? La crise du Covid a été le révélateur de l’ampleur de la dégradation de nos hôpitaux et d’une médecine de ville exsangue.

Les cinq ans de gouvernement Macron ont accéléré les choses avec son capitalisme débridé où tout peut devenir une marchandise source de profit. Nous l’avons vu dans les Ehpad avec Orpea, pour les vaccins avec Pfizer, mais aussi avec nos données de santé qui risquent d’être offertes à Google, Amazon et consorts. Une de leurs marques de fabrique est une désinhibition totale par rapport aux valeurs qui fondent une vie en société.

Or, sans humanisme, sans empathie, sans solidarité, il est impossible d’imaginer un système de santé qui soit capable de gérer efficacement les grands défis de santé publique. Mais, me direz-vous, la Sécurité sociale est en déficit et il n’est pas possible d’augmenter la fameuse dette que nous laisserons à nos enfants. Il est salutaire que le débat économique se soit invité dans les derniers jours de campagne avec des économistes qui contestent ces arguments. Les mots sont forts dans la bouche d’un des plus célèbres d’entre eux, Thomas Piketty : « Macron ment aux Français. » Il valide les arguments que les syndicalistes répètent depuis de nombreuses années.

Il faut aller chercher l’argent par l’impôt là où il est pour arrêter d’augmenter la dette, notamment celle liée au Covid, soit 70 milliards qui devront être remboursés par les assurés sociaux pendant les dix ans à venir, ce qui fera autant d’argent en moins dans les caisses de la Sécurité sociale.

Dans le même temps, il indique que les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur richesse passer de 200 à 1 000 milliards entre 2010 et 2022, c’est-à-dire de 10 % à 40 % du PIB ! La solution est bien là pour pouvoir mieux payer les personnels, en embaucher 100 000 dans les hôpitaux et 200 000 dans les Ehpad, former massivement des personnels avec des contrats d’études, maintenir les hôpitaux de proximité et rouvrir des lits. Un pourcent de PIB supplémentaire nous suffirait dans un premier temps.

Alors, il vous faut bien réfléchir le 19 juin. Cinq ans de plus avec Macron, et c’est l’effondrement. Ou alors, avec une majorité de la Nupes, il est possible de mettre en œuvre une autre politique immédiatement. C’est une urgence pour éviter une catastrophe cet été qui ne sera que le début d’une crise sanitaire sans précédent pour l’hiver, l’été prochain et les années à venir.

publié le 6 juin 2022

Pourquoi notre système de santé s’écroule-t-il ?

Après deux années de crise sanitaire, les services hospitaliers et les personnels épuisés vivent une situation intenable. Des blocs opératoires ferment. Les services d’urgences sont submergés.

Jérôme Skalski sur www.humanite.fr


 

Si les urgences se retrouvent au cœur des tensions dues à un manque de moyens chroniques, c’est une politique d’ensemble qu’il faut engager.

Loïc Pen, médecin urgentiste, candidat de la Nupes dans l’Oise

En effet, on peut parler d’écroulement. On n’en finit plus de la litanie des services qui ferment, des urgences qui s’arrêtent la nuit ou qui filtrent les arrivées des patients. Le carrefour des problèmes se retrouve aux urgences, mais elles n’en sont pas la source. Aux urgences, on retrouve à la fois les patients qui n’ont pas d’autre solution de recours aux soins face à la situation dégradée de la médecine de ville et ceux qui devraient être hospitalisés mais qui restent sur des brancards faute de place et dont il faut s’occuper, ralentissant encore la prise en charge de l’accueil des nouveaux arrivants.

Au-delà de ce problème déjà ancien, volontairement ignoré par le pouvoir, se greffe une fuite de professionnels de santé de l’hôpital public, désespérés par la situation de l’hôpital, par ses conditions de travail et par l’absence de changement de politique de santé, désespoir à la hauteur de l’espoir qu’avaient suscité les promesses d’un monde d’après durant la phase aiguë de la pandémie de Covid.

Il faut donc agir sur toutes ces problématiques avec des politiques publiques volontaires. Or, la logique néolibérale de ces vingt dernières années s’efforce à l’inverse de confier la gestion de la santé au marché. Évidemment, c’est un marché juteux, avec un budget de la Sécurité sociale d’environ 500 milliards d’euros. Les accumulations de capitaux en recherche de rentabilité n’attendent que ça. Tout comme pour la retraite, c’est un véritable hold-up sur nos cotisations sociales, notre salaire mutualisé.

Face aux 21 millions de passages dans les 640 structures d’urgence, comment n’avoir pas écouté les urgentistes et les équipes soignantes ?

La nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, sera sans aucun doute dans le droit fil de son prédécesseur : elle était déjà au gouvernement Castex. 100 000 lits d’hospitalisation ont été fermés en vingt ans, 20 % de nos capacités d’hospitalisation, et cela a continué durant la pandémie avec 7 500 lits fermés. Et le scandale des Ehpad est venu révéler crûment leur modèle de gestion.

Nous devons rouvrir massivement les lits fermés pour permettre aux urgences de fonctionner. Nous devons urgemment mettre en place un collectif budgétaire pour permettre aux hôpitaux d’embaucher, de rénover et d’investir. Il faut défaire les hôpitaux publics de leur dette et créer 100 000 emplois à l’hôpital public et 240 000 dans les Ehpad. Cela passe par la relance de la formation des paramédicaux et des médecins. La suppression du numerus clausus n’a été qu’un trompe-l’œil puisqu’on n’a pas donné les moyens aux universités de former plus. Il faut créer des centres de santé avec des médecins salariés. Il faut en finir avec une gouvernance technocratique de la santé et des hôpitaux, et constituer des conseils de santé de territoire associant élus, professionnels, syndicats et usagers afin de partir des besoins de santé des populations. Il faut interdire l’actionnariat dans les établissements de santé.

Voilà, en creux de ces propositions, pourquoi notre système s’effondre, parce que les libéraux au pouvoir depuis vingt ans font l’inverse.


 

Les progrès médicaux au service de ce bien commun se voient balayés par la logique du chiffre de « réformes » totalement coupées du terrain.

Jean-Marie Fessler, membre de cercles de réflexion et de propositions portant sur la santé et l’économie sociale et solidaire

Depuis longtemps, les pouvoirs publics privilégient la gouvernance par les textes et les nombres et, sous couvert de régulation, le « non » et la coercition au « oui », au détriment du sens des métiers, de territoires défavorisés et d’innovations locales. Le système tarifaire illisible des établissements de soins et de la médecine de ville a tout aggravé. Ailleurs, la négociation et le contrat donnent de la souplesse. En France, aucune ­simulation de meilleures approches n’a été entreprise.

La santé souffre de grilles et de segmentations imposées pour confiner le réel. L’insolence des certitudes réduit la profondeur de champ, pendant que les drames et scandales sanitaires produisent commentaires et crispations tous azimuts. Face aux 21 millions de passages – un doublement en vingt ans – dans les 640 structures autorisées d’urgences, comment n’avoir pas écouté les urgentistes et les équipes soignantes ? On en vient à oublier les progrès diagnostiques, chirurgicaux, thérapeutiques et l’ampleur de nos investissements collectifs de longue durée au titre de l’assurance-maladie. Des handicaps décrits depuis tant d’années – irréalisme, réglementarisme, culture de l’affrontement – mettent à mal la santé publique, notre bien commun.

La juste compréhension de notre vieillissement, de nos maladies chroniques et des révolutions technologiques en imagerie, ­biologie, analyse des données massives, et l’urgence de l’essentiel, la santé globale, l’éducation à la santé dès l’enfance, la santé au travail, l’espérance de vie sans incapacité et l’assurance-­santé ne sont guère des priorités institutionnelles réelles.

Il faut interdire l’actionnariat dans les établissements de santé.

Ne pas rémunérer correctement les professionnels de santé et les métiers qui maintiennent les réseaux vitaux, priver de liberté les équipes de recherche, décourager l’actualisation des connaissances médicales, négliger les relations entre les politiques et les scientifiques, privilégier la maîtrise des dépenses à court terme, malmener la démographie des professions de santé, ignorer les pertes de chance pour les patients, les conditions réelles de travail et les coûts de non-qualité ont fabriqué du danger au cœur du lien social.

Il est vrai que les inspirateurs des « réformes » se pensent tellement plus intelligents et légitimes que les deux millions de professionnels du monde santé-social et qu’il n’existe toujours pas de plateforme citoyenne permettant de partager expériences et propositions. Ne serait-il pas réaliste que, dans les ministères, agences et organismes de Sécurité sociale, on cesse de croire dans des propriétés auto-organisatrices de concepts vides, de croire que le maniement de telle idée vaut action pertinente dans le réel ?

À lire Rendre le soin aux soignants ! ouvrage collectif, Fauves Éditions, 2022.


 

La catastrophe actuelle est le résultat de choix idéologiques visant à marchandiser les soins. Il faut faire une révolution pour rendre l’humain prioritaire.

Michel Limousin, médecin, co-animateur du comité « Pas de profit sur la pandémie »

Ce n’est pas un fait nouveau, nous l’avions vu venir depuis des années et dénoncé. Mais, aujourd’hui, le désastre est là. La première raison de cet état est d’ordre idéologique : la pensée dominante libérale, partagée aussi bien par la droite que par les sociaux-démocrates (Sarkozy, Hollande, Macron…), affirme que la santé est un marché, que le secteur privé est l’avenir et l’efficacité, et que tout ce qui est public est à proscrire. La main invisible du marché remplacerait la main des soignants… Ainsi, diverses mesures ont-elles été mises en place depuis des années. Les « réformes » vont toutes dans le même sens.

Première réforme : réduire les cotisations patronales et transférer la gestion de la Sécurité sociale vers l’État. Ainsi les tours de vis se font sans débat public. Il s’ensuit une pénurie de ressources pour l’assurance-maladie qui ne peut plus financer le système de santé, en particulier les hôpitaux publics. Quant aux mutuelles, les réformes de leurs statuts d’inspiration européenne les poussent dans l’impasse de la démutualisation.

Deuxième réforme : réduire de façon drastique le nombre de médecins, d’infirmières, de manipulateurs radio, etc. Cela aboutit à ce qu’on appelle les déserts médicaux. La situation ne peut être corrigée rapidement. L’ensemble des secteurs est touché : la prévention, la protection maternelle et infantile, les médecins scolaires, les médecins du travail disparaissent et les services fondent à vue d’œil. Les médecins généralistes, les urgentistes, les réanimateurs, les psychiatres font défaut. Ceux qui restent vont dans le privé, qui a été libéré de toutes contraintes. Cette politique est conduite de façon systématique depuis 1971.

Troisième réforme : fermeture d’hôpitaux, de services et de lits. Cette politique remonte à l’époque de Giscard. Sous Hollande, les lits ont continué à être fermés. Et sous Macron, malgré l’épidémie de Covid, c’est plus de 4 000 lits éliminés par an. Les capacités d’accueil de l’hôpital public ont été liquidées. Il n’y a plus aucune marge de manœuvre. Ainsi, lors de la première vague de l’épidémie, on a décidé froidement de laisser mourir sans soins pertinents 15 000 personnes âgées en Ehpad, faute de places à l’hôpital ! La crise est cruelle. Les services d’urgence eux-mêmes ferment, faute de personnel. Même dans les CHU.

Quatrième réforme : la gestion des hôpitaux. Pour faire passer la pénurie, le libéralisme a inventé l’autoritarisme. Le personnel est maltraité, déplacé en permanence. Il est « encadré » par une politique technocratique. Le sens de son métier lui échappe. Les salaires sont bloqués et lamentables. Le personnel finit par démissionner. Cela aboutit à une aggravation qui va dans le sens souhaité.

Le temps est venu d’une révolution. Celle qui consiste à dire que le développement de l’humain est la priorité, qu’il est utile de mettre les moyens dans la santé, qu’une nouvelle politique est possible pour des jours heureux. L’insupportable, ça suffit.


 

Les malades deviennent des clients et les soignants sont amenés à produire des actes et non plus des soins. Le 7 juin, le personnel va manifester.

Mireille Carrot, membre de la direction confédérale de la CGT, en charge de la santé

Voilà plusieurs années maintenant que le déclin de notre système de santé est en route. Toutes les réformes menées par les gouvernements ces dernières décennies se sont inscrites dans une volonté de réduire les dépenses d’assurance-maladie. On a assisté à des réorganisations, des restructurations, des regroupements de structures se traduisant par des fermetures de lits, voire d’établissements et des tensions sur les effectifs, qu’ils soient médicaux, soignants, y compris dans toutes les autres catégories techniques ou administratives qui concourent à une prise en charge globale des malades. On externalise pour se centrer sur le « cœur de métier », c’est-à-dire le soin, mais dans une logique d’accroissement de productivité permanente, où les malades deviennent des clients et les soignants sont amenés à produire des actes et non plus à prodiguer des soins.

Plus personne ne s’y retrouve : les délais d’attente dans le public ou en secteur 1, conventionné, sont interminables. En revanche, ceux qui en ont les moyens peuvent s’offrir des consultations ou interventions dans le secteur privé avec des dépassements d’honoraires pouvant atteindre des montants exorbitants. Il s’agit bien de cela quand on parle de médecine à deux vitesses. La volonté de mettre en place un numerus clausus mais aussi de préserver la liberté d’installation se paie cher aujourd’hui et prendra non seulement des années mais nécessitera une réelle volonté politique pour inverser la tendance. Le personnel, quant à lui, n’en peut plus. Mal payés, mal considérés, avec une tension permanente qui s’est accrue durant la pandémie, une perte de sens de leur métier, un épuisement professionnel sans précédent, ils sont nombreux à fuir, changer de structure pour aller voir ailleurs si c’est mieux ou, le cas échéant, à changer de métier. Si la crise du Covid a mis en exergue l’effondrement de notre système de santé, avec des retards dans les soins entraînant des pertes de chances, parfois même à l’origine de nombreux décès, aucune mesure significative n’a été prise.

La seule solution serait un véritable changement de paradigme : redonner du souffle à notre système de santé. Cela passe par former, recruter, ouvrir des lits, des hôpitaux de proximité, créer des centres publics de santé. Cela nécessite un financement par l’assurance- maladie à la hauteur des besoins avec une prise en charge à 100 % des soins et la fin du secteur privé lucratif pour les établissements de santé, mais aussi pour les laboratoires et les groupes pharmaceutiques. La Sécurité sociale doit être financée par les cotisations sociales, elle doit être gérée par les représentants des assurés sociaux. Oui, nous avons besoin d’actes politiques en rupture avec ceux menés toutes ces dernières années !

À l’initiative de la CGT, neuf organisations appellent à la mobilisation dans tous les hôpitaux de France, le 7 juin, pour demander une hausse générale des salaires, des recrutements immédiats de personnel, ainsi que l’arrêt de toutes les fermetures de services et de lits.

publié le 5 juin 2022

Crise à l’hôpital :
de nombreux services d’urgences obligés de fermer avant l’été

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Faute de personnel en nombre suffisant, de plus en plus d’hôpitaux doivent fermer leurs urgences ce printemps ou y filtrer drastiquement les entrées. Le phénomène est d’une ampleur inédite, alertent les professionnels.

« Ce printemps, la crise de notre système de santé va atteindre son paroxysme à travers la faillite incontrôlée du fonctionnement des services d’urgence qui laisse présager, dès cet été, un véritable désastre ». Le syndicat Samu-Urgences de France alerte en ces mots, dans une lettre ouverte du 22 mai, la toute nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon.

Le message est clair : les hôpitaux français vont de plus en plus mal, chaque année est pire que la précédente. Les services d’urgences sont, dans de très nombreux endroits, au bord de l’implosion. « Tous, soignants, directeurs d’établissements, centre hospitaliers et CHU, confirment que cette crise, est d’une ampleur inégalée, qu’elle n’atteint pas que les structures d’urgence mais que cette faillite de cette première ligne aura des répercussions désastreuses sur l’ensemble de l’hôpital et du système de santé français », poursuit le syndicat.

Selon les données de Samu-Urgences de France, plus d’une centaine de services d’urgences, de toutes tailles, « sont déjà en difficulté majeure avec des fermetures d’activité, partielles ou totales ». Par exemple, à l’hôpital Montmorillon, près de Poitiers, les urgences ont dû fermer plusieurs jours en mai et le devront aussi en juin, par manque de médecins urgentistes. Le 12 mai, des centaines de personnes se sont réunis, dans cette petite ville de 6000 habitants, pour protester contre ces fermetures de leurs services d’urgence. À Chinon, en Indre-et-Loire (8000 habitants), les urgences sont fermées depuis le 18 mai, en raison d’une avalanche d’arrêts maladie au sein de son équipe paramédicale. L’hôpital ne peut plus non plus réaliser d’accouchements.

Les plus grandes villes sont également concernées. À Cherbourg, et même au CHU de Bordeaux, les entrées aux urgences doivent être filtrées depuis mai, la nuit à Bordeaux, dès l’après-midi à Cherbourg. Seules les urgences vitales sont prises en charge (voir sur La Nouvelle République et Rue89Bordeaux).

Déjà l’été dernier, des dizaines d’hôpitaux de petites villes et des villes moyennes avaient été touchés par des fermetures temporaires ds urgences, la nuit ou de manière intermittente. Puis l’épidémie de fermetures avait repris au moment des fêtes de fin d’année. Cette année, le phénomène survient déjà bien avant les congés d’été. Et il touche aussi des grands hôpitaux.

En cause : le manque de personnel. Les hôpitaux manquent de médecins urgentistes, les personnels présents, médecins et paramédicaux (infirmières, aides-soignantes, brancardiers…), sont à bout, avec de nombreux arrêts maladie. Face à cette situation, le syndicat Samu-Urgences de France préconise, entre autres, de recruter, « en rendant les conditions de travail acceptables ».

Il faut aussi, dit le syndicat, « revaloriser la rémunération de la garde » pour les médecins libéraux, et aussi « accélérer l’analyse des dossiers des praticiens étrangers » pour leur autoriser leur exercice avant l’été (lire notre article sur les médecins étrangers à l’hôpital). « Aujourd’hui, le sujet n’est malheureusement pas d’attirer de nouveaux professionnels dans nos établissements mais d’éviter le départ des rares qui y restent ... », déplore Samu urgences France. Les soignants seront-ils enfin entendus ?

publié le 4 juin 2022

Journée d’action pour l’hôpital public
le mardi 7 juin

sur https://basta.media/

Syndicats, collectifs de soignants et d’usagers appellent à une journée nationale de mobilisations pour l’hôpital et la santé le 7 juin, face à la situation de crise dans de nombreux établissements. Une grève est aussi en cours dans les Ehpad Orpea.

« Hôpital désespérément maltraité : faudra compter les morts ! » avertit l’appel unitaire à mobilisation pour l’hôpital public et la santé le mardi 7 juin. En 2019 déjà, des dizaines de services d’urgences avaient mené une longue grève à travers la France pour dénoncer le manque de moyens. Trois ans plus tard, de nombreux services d’urgences doivent fermer avant même les vacances d’été, faute de personnel en nombre suffisant.

« Trois ans que nous, organisations syndicales de personnels hospitaliers ou collectifs, alertons sur la situation de l’hôpital public et aussi celle du médico-social et du social, souligne l’appel. La Covid est passée par là, les promesses aussi. Et l’horizon apparaît plus sombre que jamais. Trois ans (au moins) de retard pour former des personnels et donner envie de travailler dans le soin ou le social. ... »

Le texte poursuit : « Les usagers sont en colère et très inquiets : l’accès aux soins de premiers recours est de plus en plus compliqué et l’hôpital n’assure plus son rôle de service public d’accueil en dernier recours. Les services d’urgence ferment les uns après les autres, ou restreignent l’entrée. Les retards de prise en charge se multiplient. Les blocs déprogramment des interventions et ferment des salles d’opération tous les jours par manque de personnel. Les personnels sont en colère et fatigués : ils ne peuvent plus remplir leur rôle de prise en charge correcte de la population malgré des contraintes professionnelles retentissant sur leur santé et leur vie privée. »

L’appel à mobilisation revendique : le recrutement de personnels supplémentaires immédiatement, avec un ratio de personnel adapté à la charge de travail ; la revalorisation générale des salaires pour rattraper les dix ans de blocage ; le renforcement des moyens financiers pour les établissements ; l’arrêt de toutes les fermetures d’établissements, de services et de lits, et réouverture de lits, là où c’est nécessaire.

Une grève reconductible est aussi en cours depuis le vendredi 3 juin dans les Ehpad de la multinationale Orpea, à l’appel de la CGT. Orpea est l’entreprise à but lucratif leader du secteur des Ehpad privés en France. Ses pratiques font l’objet d’un vaste scandale depuis plusieurs mois, entre les accusations de maltraitance des résidents et les révélations sur les flux financiers allant vers des paradis fiscaux. « Familles et salariés, même combat, des moyens dignes pour les personnels et les résidents », appelle aujourd’hui la CGT.


 


 

Hôpital désespérément maltraité :

il va y avoir des morts !

Faudra compter les morts !

appel commun de CGT, Solidaires, CFE-CGC, AMUF, Collectif Inter Hopitaux, Inter Urgences, Printemps de la Psychiatrie, Collectif Inter Bloc, Cordination Nationale des Comités de Défense des Hôpitaux et Maternités de Proximité

Trois ans que nous, organisations syndicales de personnels hospitaliers ou collectifs, alertons sur la situation de l’hôpital public et aussi celle du médico-social et du social, en particulier lors de la manifestation du 14 novembre 2019. La Covid est passée par là, les promesses aussi. Et l’horizon apparaît plus sombre que jamais. Trois ans (au moins) de retard pour former des personnels et donner envie de travailler dans le soin ou le social.

Les usagers sont en colère et très inquiets : l’accès aux soins de premiers recours est de plus en plus compliqué et l’hôpital n’assure plus son rôle de service public d’accueil en dernier recours. Les services d’urgence ferment les uns après les autres, ou restreignent l’entrée. Les retards de prise en charge se multiplient. Les Blocs déprogramment des interventions et ferment des salles d’opération tous les jours par manque de personnel.

Les personnels sont en colère et fatigués : ils ne peuvent plus remplir leur rôle de prise en charge correcte de la population malgré des contraintes professionnelles retentissant sur leur santé et leur vie privée.

Même les médias alertent aujourd’hui sur la période estivale, mais la crise est déjà là, mettant en danger la santé de la population.

Sans aucune autre vision d’ensemble que celle de limiter l’augmentation des dépenses de santé, les gouvernements Philippe puis Castex ont géré à la petite semaine, répondant aux urgences par des mesures discriminatoires, comme des primes à l’embauche, sans considération pour les personnels déjà en poste, méprisés ! En filigrane, apparaît la volonté de casser les statuts pour singer la gestion privée, alors même que le scandale d’Orpéa montre combien cette gestion est contraire à l’intérêt général.

Au moment où notre pays va élire ses nouveaux députés, les personnels de santé et les usagers seront mobilisés le 7 juin : les revendications sont inchangées depuis 3 ans :

° Recrutement de professionnel·le·s supplémentaires immédiatement et plan de formation pluridisciplinaire, ratio de personnel adapté à la charge de travail, respect des équipes et des plannings

° Revalorisation générale des salaires pour rattraper les 10 ans de blocage, reconnaissance des contraintes et des pénibilités horaires (nuit, week-end) et reconnaissance des qualifications des professionnel·le·s

° Renforcement des moyens financiers significatifs pour les établissements, recrutement de personnels (brancardiers, coursiers, ouviers, logisticiens, secrétaires) permettant de recentrer les soignants sur leur métier

° Arrêt de toutes les fermetures d’établissements, de services et de lits et réouverture de lits, là où c’est nécessaire.

° De réelles mesures qui garantissent l’accès, la proximité et une prise en charge optimale en terme de qualité et de sécurité des soins pour tout.e.s et tous partout.


 

mardi 7 juin 2022

Population et professionnels

tous ensemble disons :


 

« La mort de l’hôpital, les morts à l’hôpital

STOP ÇA SUFFIT »

 

à Montpellier :
 

12h00 : rassemblement des personnels devant le centre André Benech

puis départ en manifestation vers le centre-ville ;


 

14h30 : avec la population, rassemblement devant la préfecture

publié le 1° juin 2022

Urgences saturées,
une politique de la santé intenable

Sasha VERLEI sur https://altermidi.org/

L’hôpital public est à saturation. 120 services d’urgence sont contraints de fermer leurs portes ou de s’y préparer. Des soignants alertent sur les conséquences graves à l’approche de l’été et appellent le gouvernement à prendre au plus vite des mesures efficaces.

La dégradation des hôpitaux publics n’est pas récente, « elle est la conséquence des politiques d’austérité depuis des décennies », comme le souligne le collectif inter-hôpitaux. La désorganisation et les conditions de travail qui en découlent n’ont fait qu’empirer, provoquant des départs en cascade.

Les associations d’urgentistes, syndicats et collectifs inter-hôpitaux, qui alertent depuis plusieurs années, n’obtiennent pas de réponses efficaces de la part du gouvernement. L’arrivée des congés d’été, alors que la situation est déjà très critique en matière d’hospitalisation et de capacité de fonctionnement des urgences, fait plus qu’inquiéter. Le Pr Rémi Salomon, président de la conférence médicale des Hôpitaux de Paris (AP-HP) explique à francetvinfo qu’« il y a un risque imminent de rupture d’accès aux soins. C’est déjà en train de se produire et ça risque de s’aggraver de manière assez considérable pendant l’été, au moment des congés ». Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) accuse les pouvoirs publics de vouloir « créer une situation de chaos pour fermer des structures ».

Dans toute la France, les équipes sont épuisées physiquement et psychologiquement, les arrêts maladie se succèdent et des services ferment par manque de personnel. « Des milliers de postes sont vacants, de lits et de blocs opératoires fermés », témoigne le collectif inter-hôpitaux dans un communiqué.

 Urgences : de nouvelles fermetures et limitations d’activité

Au moins 120 services d’urgence limitent déjà leur activité ou s’y préparent (« délestages » sur d’autres hôpitaux, accès filtrés par les Samu). Selon une liste établie par l’association Samu-Urgences de France (SudF) que l’AFP s’est procurée, cette démarche doit toucher pratiquement 20 % des quelque 620 établissements — publics et privés — hébergeant un ou plusieurs services d’urgences. Aucun territoire n’est épargné, 60 départements dans toutes les régions, sans compter la Corse, les Antilles et la Guyane et 14 des 32 plus gros hôpitaux français (CHU et CHR) figurent sur cette liste.

Quelques exemples, le CHU de Bordeaux n’accueillera désormais que les cas jugés « graves », entre 20h00 et 08h00 et préalablement confirmés par le 15. Pour combler le manque de personnel, le service avait déjà fermé 8 des 20 boxes aux urgences, précise le Pr Philippe Revel, chef de service, à Sud-Ouest. À Grenoble, le syndicat des médecins hospitaliers SNMH-FO craint un « risque de fermeture » la nuit « à très court terme » car « de nombreux médecins quittent le service ». À Chinon (Indre-et-Loire), « l’activité des urgences est carrément suspendue depuis mercredi car la plupart des infirmières du service sont en arrêt maladie et la maternité n’assure plus les accouchements », écrit la Dépêche. La liste est malheureusement loin d’être exhaustive.

 Accès aux soins : perte de temps = perte de chance

Côté patients, les témoignages sont nombreux et ils confirment les alertes des soignants de l’hôpital public. Accidents, crise d’asthme, douleurs abdominales, Covid… l’attente pour les soins peut durer jusqu’à 10 heures lors des pics et la situation est pire dans les territoires d’Outre-mer.
Les malades sont alignés sur des brancards dans les couloirs, les salles d’attente sont bondées. Le personnel est débordé entre soins et recherche de lits vacants. Des patients estimés en état d’aller consulter ailleurs, sont renvoyés après passage devant un infirmier. le but est de « réguler », de se décharger des cas les moins graves sur d’autres structures, urgences hospitalières et privées, SOS médecins et généralistes libéraux.

« Il va y avoir des morts, je ne fais pas les Cassandre, je ne cherche pas à faire peur, c’est juste une réalité. »

Si les urgences sont surchargées, c’est aussi car une prise en charge rapide par les cliniques privées ou par les médecins traitants n’est pas possible. « La médecine de ville, libérale, est en crise : il n’y a pas assez de médecins généralistes, donc les gens se tournent vers les urgences », explique à France 3 Centre-Val de Loire, Matthieu Lacroix, porte-parole des médecins urgentistes en grève d’Orléans.

Qui plus est, les services d’urgence dans les cliniques privées se font rares et nécessitent d’avancer le tiers payant ou les dépassements d’honoraires pratiqués par les spécialistes.

Qui peut ignorer la difficulté d’accès aux soins à l’hôpital public ? Pour un rendez-vous avec un spécialiste ou pour des suivis médicaux (traitements, examens, etc.), il faut attendre des semaines voire plusieurs mois, toutes spécialités confondues, imagerie médicale ou chirurgie et de nombreuses déprogrammations d’opérations sont décidées pour libérer des lits.

« C’est l’ensemble de l’hôpital qui craque […] tous les dysfonctionnements à la fois de l’hôpital et de la ville arrivent aux urgences, on ne peut plus faire », explique Patrick Pelloux.

Pour l’urgentiste, les mesures prisent par le gouvernement, notamment le service de filtrage pour freiner la fréquentation des urgences, n’ont rien amélioré. Il prédit pour la période estivale « des décès inopinés et involontaires de patients » : « Il va y avoir des morts, je ne fais pas les Cassandre, je ne cherche pas à faire peur, c’est juste une réalité.» Car plus le délai de prise en charge est retardé, plus la perte de chance de survie ou la consolidation est importante.

Patrick Pelloux a d’ailleurs averti la nouvelle ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, lors d’une réunion de crise le 20 mai dernier : les médecins et les personnels n’ont pas à porter devant la justice la responsabilité des conséquences de cette crise majeure sur les patients : « Il faudra que ce soit une responsabilité collective. L’État a comme responsabilité, dans les textes de loi, un service d’urgence ouvert H24. Ils ne le respectent pas. Quand ils ont signé le fait que tout Français devait être à moins de 30 minutes d’un service d’urgence, l’État ne le respecte pas. »

 Les raisons du renoncement des personnels hospitaliers

La fuite des personnels soignants s’est accéléré avec la crise du Covid 19 (défaut de matériel, écart de rémunération avec la médecine de ville, pas d’augmentation des permanences de soins ni sur la rémunération du travail de nuit, mutualisation des personnels, excès de bureaucratie…). Les conditions de travail épouvantables provoquent « isolement, peur de l’erreur, perte de l’estime de soi, déshumanisation et burn out », affirme le collectif inter-hôpitaux. « Regardons les choses en face : qu’ils soient infirmiers, aides-soignants ou médecins, les jeunes diplômés se projettent aujourd’hui partout ailleurs mais pas à l’hôpital public. » Les personnels se sont sentis abandonnés et le Ségur de la Santé est considéré par la majorité des personnels de santé comme un échec.

Quelles sont les solutions ?

Syndicats, associations et collectifs hospitaliers dressent une liste des solutions les plus urgentes : revoir un management axé « sur la rentabilité des services et l’humiliation », limiter la tarification à l’activité (T2A)1; faire revenir les médecins à l’hôpital : obliger les doyens des facultés à augmenter de 50 % le nombre d’étudiants reçus en première année de médecine; études : plus de places pour les étudiants infirmiers et médecins et plus de formateurs; revaloriser les gardes et le travail de nuit en créant une égalité de salaire pour tous; rémunérer les infirmières, les aides-soignants et les ambulanciers quand ils sont dans leur deuxième ou troisième année de formation; réintégrer le personnel non-vacciné contre le Covid 19; mettre en place des quotas de personnels nécessaires dans chaque unité de soin et des ratios de sécurité : 1 infirmier.ère pour 15 malades ce n’est plus possible (1 pour 4 à 1 pour 8 à l’étranger); embaucher du personnel essentiel, secrétaires, brancardiers, coursiers, logisticiens; restaurer une Sécurité sociale solidaire…

Par ailleurs, le collectif inter-hôpitaux souligne dans un communiqué de presse : « la stratégie actuelle est de pallier les déficits de personnels en payant une fortune des intérimaires non formés au détriment du personnel actuel peu valorisé. […] La piste qui vise à avancer le calendrier des diplômes, comme l’a suggéré la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) le 17 mai 2022 à Santexpo2, pour avoir des ressources pas trop tardivement dans l’été ne résoudra rien, les conditions de travail étant la cause des difficultés de recrutement. »

Pour Patrick Pelloux, « Rien n’est sorti » de la réunion avec Brigitte Bourguignon. Il ne s’agit pas de rééquilibrer entre la ville et l’hôpital comme le suggère le gouvernement, mais de travailler « ensemble dans le souci du service public et de l’intérêt général », souligne-t-il.

Vers un accès aux soins à deux vitesses

Malgré les difficultés budgétaires qui ont toujours existé et l’augmentation des fréquentations due à la crise sanitaire, l’hôpital ne doit pas devenir une entreprise qui ne serait accessible qu’à ceux qui en ont les moyens. « Le soin n’est pas une marchandise s’échangeant entre le public et le privé » et « le cri des soignants doit être entendu », proclame Philippe Bizouarn, médecin-anesthésiste réanimateur au CHU de Nantes, dans une tribune.

L’été s’annonce malheureusement plutôt sombre pour l’hôpital : fermetures, restrictions, soignants en congés, personnel intérimaire, afflux de touristes, canicule… Les délais d’accès aux soins augmentent d’autant plus que les services encore ouverts sont saturés. Si des mesures concrètes ne sont pas prises rapidement, ce seront les plus fragiles, les pauvres, mais aussi les malchanceux qui seront particulièrement touchés.

L’hôpital public s’éloigne de plus en plus de ses valeurs collective, sociale et humaniste, de son engagement dans l’accès aux soins pour tous les citoyens sans discrimination. Fondement de la société solidaire, s’il s’effondre « c’est le service public, le service rendu aux patients qui s’écroule », a déclaré Patrick Pelloux.

Pour aller plus loin, la santé physique et psychologique n’est-elle pas justement le fondement de la cohésion sociale, du bien-être, de la productivité et de la prospérité ? De bonnes relations et conditions de travail, un logement décent, la pratique d’un sport, une alimentation et un environnement sains, toutes ces données contribuent au maintien de notre forme et pourraient diminuer à l’avenir la fréquentation des hôpitaux.

Alors pourquoi ne pas changer de système pour un système préventif « qui ne rendrait pas  malade » ?

 

De 2005 à 2006, Jean Castex, directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, participe à la restructuration du système hospitalier et introduit la notion d’objectif, de rentabilité et de rationalisation des coûts. Il promeut la gouvernance administrative de l’hôpital et, notamment, la tarification à l’activité T2A qui va déshumaniser l’hôpital et en faire une usine à soins. À sa suite, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé de 2007 à 2010 (présidence Sarkozy, gouvernement Fillon) mettra en place la loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) dite loi Bachelot, promulguée en 2009. La loi Bachelot a précipité l’hôpital dans un goulot d’étranglement, un hôpital étranglé par « un système devenu comptable », selon les termes du Chef de l’État en 2018.

publié le 29 mai 2022

La grande débrouille
dans les services d’urgence

Cécile Rousseau et Loan Nguyen sur www.humanite.fr

 À Bordeaux, Rennes ou encore Oloron-Sainte-Marie, rares sont les hôpitaux épargnés par la crise de ces services vitaux. Partout, bricolages et bouts de ficelle soutiennent l’édifice. Pour combien de temps ?

Tous les établissements publics sont désormais touchés. Face à cette situation, la CGT et neuf syndicats et collectifs appellent à une journée d’action nationale le 7 juin prochain.

Au moins 120 services d’urgence contraints de limiter leur activité en France. L’ampleur est inédite. Des hôpitaux de proximité aux CHU, tous les établissements publics sont désormais touchés. Face à cette situation, la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, promet de nouvelles mesures avant cette saison estivale qui s’annonce chaotique. Pour Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé et action sociale, il est plus que temps d’agir. « On se demande comment on va continuer à tenir avec les collègues qui démissionnent. Tant qu’il n’y aura pas d’augmentation significative des salaires et des recrutements massifs, ça continuera de se dégrader. » La CGT et neuf syndicats et collectifs appellent à une journée d’action nationale le 7 juin prochain.

1. Alerte rouge au CHU de Bordeaux

Les urgences du CHU, classé parmi les meilleurs du pays, ne peuvent plus accueillir les malades se présentant spontanément la nuit. Pour faire le tri à l’entrée de 17 heures à 22 heures : des bénévoles de la protection civile et un agent de sûreté chargés de la mise en lien avec le 15 (Samu). Entre 22 heures et 8 heures du matin, une seule personne répond à l’interphone. Du jamais-vu. « Est-ce que bientôt des bénévoles feront fonctionner tout le service ? Je ne reproche rien à ceux de la protection civile mais ce n’est pas comme avoir un infirmier régulateur à l’accueil », pointe Gilbert Mouden, représentant de SUD santé, avant de constater : « De nombreux malades arrivent désormais entre 8 heures et 9 heures du matin. Ils diffèrent leur entrée alors qu’il peut s’agir de pathologies graves. » De son côté, Alain Es-Sebbar, secrétaire de la CGT de l’hôpital, relève que ce dispositif « pose des problèmes d’intimité. On demande aux patients ce qu’ils ont alors qu’ils sont les uns à côté des autres ». Cet aménagement est parti pour durer. 40 % des médecins manquent à l’appel et la pénurie de paramédicaux est réelle. « On nous dit qu’il va falloir apprendre à travailler comme ça, mais on ne s’y résout pas. Olivier Véran nous avait annoncé des milliers d’emplois pour l’hôpital public qu’on n’a jamais vu venir », déplore Gilbert Mouden. En interne, la débrouille a pris le dessus depuis un moment. En janvier dernier, une tente de la protection civile avait déjà été installée pour désaturer les urgences. Au quotidien, des intérimaires contribuent à maintenir à flot le service et son bloc opératoire. Des étudiants en médecine répondent au 15. Christophe (1), infirmier dans le secteur, ne supporte plus cette succession de bricolages : « Je me suis retrouvé à déshabiller un patient dans le couloir, derrière un paravent, avant de le perfuser, et à sonder un autre malade avant de lui demander de retourner attendre des heures sur son brancard. Ce n’est ni fait, ni à faire. »

2. Le personnel submergé à Rennes

Les urgences de la capitale bretonne ont enregistré un record. Le 16 mai, 256 passages ont été comptabilisés pour une moyenne de 180 en temps normal. Alors que certains patients se retrouvent à attendre dix à douze heures sur des brancards, la tension monte. Une aide-soignante a été agressée le 17 mai. Si la situation s’est considérablement tendue ces dernières semaines, entraînant un droit d’alerte des syndicats, c’est que les fermetures d’urgences se sont multipliées sur le territoire. « À Redon (Ille-et-Vilaine) mais aussi Laval (Mayenne), égrène Lionel Lepagneul, secrétaire adjoint de la CGT. Celles de l’hôpital Saint-Grégoire à Rennes vont aussi fermer pour quinze jours en juin. La médecine de ville n’est pas non plus en capacité de répondre à la demande. Même au plus fort de la pandémie, il n’y avait jamais eu autant d’affluences. » Douze postes ont pourtant été créés aux urgences du CHU en décembre 2021 (au détriment d’autres services). Insuffisant pour faire face au tsunami. « Nous avons demandé au moins quatre postes supplémentaires. Un de nos médecins en a tellement marre qu’il part bientôt pour ouvrir une librairie. Actuellement, les aides-soignantes se retrouvent à faire le brancardage. Ça veut dire qu’elles quittent temporairement leurs patients pour aller en radiologie, par exemple. Imaginez les conséquences quand il y a 256 passages… » Quant aux sociétés d’intérim, elles peinent à trouver des candidats. En interne, le pôle de remplacements tourne déjà à plein régime. Le planning de cet été n’est pourvu qu’à 50 %, laissant augurer un possible report de vacances . « C’est une catastrophe annoncée, souffle Marion (1), infirmière. On en parle entre nous dans les couloirs. Des collègues sont en burn-out et on a le sentiment de faire de l’abattage. »

3. À Oloron-Sainte-Marie, un sursis jusqu’à quand ?

Une mobilisation sans précédent. Le 10 mai, 3 000 soignants, habitants et élus politiques se sont rassemblés pour obtenir la réouverture des urgences de la bourgade de 10 000 âmes. Si la perspective d’un baisser de rideau d’une durée de quatre mois s’éloigne et que le service a rouvert partiellement le 11 mai, l’incertitude plane. Un seul médecin titulaire est présent, les quatre autres sont en arrêt maladie, alors que l’effectif complet devrait être de onze. En temps normal, les urgences tiennent déjà grâce à la solidarité. Des médecins militaires de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) viennent faire des gardes et une nouvelle convention vient d’être signée avec la base de Pau. « Des médecins généralistes ou des spécialistes d’autres services de l’hôpital interviennent aussi depuis des années. Notre mobilisation a permis de faire connaître la situation : des médecins ont spontanément appelé la direction et celle-ci a cherché plus intensément », explique Noémie Banes, ex-présidente du collectif Inter-Urgences et ancienne infirmière aux urgences. Rien n’est gagné pour autant. Des vides restent à combler dans le planning en juin. La perspective de l’été, avec l’afflux de touristes et les fêtes de village, inquiète . « Le prochain service est à une heure de route, voire deux pour les personnes habitant dans la vallée. Personne ne comprend comment on a pu en arriver là », glisse-t-elle.

4. Hécatombe de praticiens à Grenoble

En Isère, les soignants sont plus que jamais en voie de disparition . « La semaine dernière, 14 ou 15 médecins ont démissionné des urgences, parce qu’ils n’en pouvaient plus des conditions de travail. Même si on n’est pas en sous-effectif au niveau des infirmières et des aides-soignantes, cela se répercute forcément sur elles », déplore Sara Fernandez, secrétaire générale de la CGT au CHU de Grenoble. D’après la syndicaliste, la direction tente de boucher les trous en recrutant des titulaires et des intérimaires, mais les médecins d’autres services sont aussi mis à contribution. « On demande aux spécialistes de faire des demi-gardes de 18 heures à minuit en plus de leurs consultations en journée, ça ne va pas tenir longtemps », alerte-t-elle. D’autant que, dans l’agglomération, plusieurs établissements ferment partiellement leurs urgences de nuit, augmentant mécaniquement les flux arrivant à l’hôpital grenoblois. « Ces derniers jours, les collègues commençaient déjà la journée avec 60 patients aux urgences, alors que la capacité maximale est de 55. Le moindre patient qui arrive en plus au cours de la journée, ça crée une accumulation qui nous met en difficulté », ajoute-t-elle. Comme pour beaucoup d’autres services d’urgence, le problème d’engorgement qui se pose ne relève pas uniquement d’une situation interne au service, mais d’un dysfonctionnement lié à toute la chaîne de soins . « Plus de 120 lits ont été fermés au CHU de Grenoble ces dernières années dans tous les services à cause du sous-effectif. On manque aussi de lits d’aval à l’extérieur, dans les centres de rééducation ou les Ehpad. Résultat : on ne peut pas hospitaliser tous les patients qui en ont besoin », dénonce la syndicaliste.

5. À Saint-Étienne, les lits portés disparus

Dans la cité stéphanoise, le manque de lits d’aval risque de peser sur les urgences . « La direction du CHU a décidé de fermer le service court séjour gériatrie cet été faute de personnel. Au moindre pépin style Covid ou canicule, on se dit que ce sera la catastrophe, avec des personnes âgées qui vont attendre un temps infini ou être renvoyées chez elles », pointe Cyril Vidal, responsable CGT de l’hôpital. La situation alarmante du Samu dans la Loire a aussi des répercussions sur la prise en charge des malades . « Le transport des patients est effectué de manière complètement aléatoire à cause de nombreux arrêts maladie. On doit faire appel à des ambulances privées qui ne disposent parfois pas de l’habilitation ou de la dotation médicale pour transporter certains patients. » D’après le syndicaliste, l’hôpital s’apprête en outre à réduire la voilure pour les urgences psychiatriques. « Pourtant, cette unité avait déjà été pointée du doigt par le contrôleur des lieux de privation de liberté. On est déjà obligés de recourir beaucoup à la contention physique, de placer des préados ou des ados à l’isolement pour les protéger des patients adultes », déplore-t-il. Face à cette situation préoccupante, la direction du CHU a annoncé vouloir recruter massivement en CDI en transformant 600 CDD en contrats pérennes et embaucher 140 personnes supplémentaires. « C’est un plan de communication pour dire “on fait ce qu’on peut” mais, en réalité, tous les candidats potentiels savent déjà que c’est une arnaque et que le CDI dans la fonction publique hospitalière est un statut au ras du plancher », juge Cyril Vidal, qui estime que cette situation résulte « d’une stratégie de pénurie organisée par la direction générale de l’offre de soins pour que le privé puisse récupérer l’activité ».

(1) Le prénom a été changé.

publié le 24 mai 2022

« Est-ce que vous méritez vraiment d’être au chômage ? » : Le gouvernement durcit encore le contrôle des chômeurs

par Nolwenn Weiler sur https://basta.media/

Pôle emploi expérimente un nouveau dispositif, intitulé « Journal de la recherche d’emploi ». Il instaure un contrôle accru des chômeurs. Et risque d’aggraver les conditions de travail des conseillers.

« Quel est votre sentiment de progression dans votre recherche d’emploi ? » À cette question qui s’affiche sur son interface, une personne inscrite à Pôle emploi doit répondre en choisissant un type de smiley... « Les demandeurs d’emploi doivent déplacer un curseur sur une réglette qui va d’un smiley tout sourire à un smiley qui boude », détaille Aline, conseillère Pôle emploi en Bourgogne-Franche-Comté. Cocher la réglette à smileys n’est pas la seule tâche qui incombe aux demandeurs d’emploi, chaque mois, au moment de leur actualisation. Ils sont aussi tenus de remplir leur agenda intelligent qui les oblige à tenir le compte-rendu détaillé de leurs démarches : candidatures envoyées, employeurs contactés, formations suivies, projets de reconversion envisagés, etc.

À l’autre bout du logiciel, sur l’interface des conseillers, un algorithme classe le demandeur d’emploi, en fonction de ses réponses, en quatre catégories. Elles sont censées déterminer son état d’esprit face à la recherche d’emploi : « signes de perte de confiance », « risque de dispersion », « besoin de redynamisation », « dynamique faible de recherche ». « En ce moment, 51 % des demandeurs que j’accompagne sont dans la case "dynamique faible de recherche d’emploi", rapporte Aline. Je suis censée les contacter en premier lieu pour faire le point avec eux ; et leur demander : "Bon, est-ce que, vraiment, vous cherchez un emploi ?" Il s’agit de prouver que l’on mérite d’être au chômage. Ce sont vraiment des démarches très insidieuses. »

La classification des demandeurs d’emploi en fonction de leur « dynamisme » via leur journal de la recherche d’emploi. © Capture d’écran transmise par des conseillers Pôle emploi.

Ces démarches « insidieuses » sont réalisées dans le cadre d’un projet pilote, le « Journal de la recherche d’emploi » (ou JRE). Il est déployé à titre expérimental depuis deux ans dans deux régions, Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire. Et un demi-million de demandeurs d’emploi sont invités à s’y plier. Le JRE ne devrait pas tarder à être étendu à l’ensemble du territoire [1]. .

Quid de la fracture numérique

Pour les demandeurs d’emploi, qui doivent mensuellement actualiser leur dossier, « la démarche, qui durait 10 secondes, va passer à 10 minutes, si rien ne bugue, souligne Aline. Bien sûr, la tâche se complique pour les personnes qui ne sont pas familières du web. » Contrairement à ce que semblent penser les ministres et hauts fonctionnaires de notre « start up nation », nombre de personne ont de réelles difficultés avec le monde dématérialisé, voire n’y ont pas accès du tout. Selon une récente alerte de la Défenseure des droits Claire Hédon, 60 % des démarches administratives en ligne restent par exemple inaccessibles aux personnes en situation de handicap. Un rapport publié en 2019 par son prédécesseur Jacques Toubon soulignait déjà ces inégalités numériques, livrant des chiffres effrayants : un tiers des Français qui s’estime peu ou pas compétent pour utiliser un ordinateur, soit 18 millions de personnes ; un taux de connexion à internet variant de 54 % pour les non diplômés à 94 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur [2]….

« On ne peut pas résumer un demandeur d’emploi à une série de chiffres et de graphiques »

« Tout est suivi, staté, résumé par des chiffres et des graphiques mais on ne peut pas résumer un demandeur d’emploi à une série de chiffres et de graphiques », s’insurgent des conseillers. « La machine ne voit pas si les personnes maîtrisent bien le français, si elles ont fait un burn out, si elles ont un handicap ou un problème psy quelconque », remarque Aline. « Les gens qui arrivent devant nous sont parfois très cabossés, en grande difficulté », ajoute Gilles, conseiller depuis 30 ans. Il repense à cette jeune maman de 18 ans, abandonnée par le père de son enfant et qui se débattait seule pour survivre. « Elle avait davantage besoin d’un accompagnement social que de pressions pour retrouver au plus vite un boulot. » Ou d’une évaluation algorithmique la catégorisant parmi la « dynamique faible de recherche ».

Avec le journal de la recherche d’emploi (JRE), les profils des demandeurs d’emplois sont résumés par des chiffres et graphiques. © Extrait d’un document interne de Pôle emploi présentant le JRE.

« Aujourd’hui, on est au service des objectifs que se fixe le gouvernement en terme de diminution du nombre de chômeurs, constate Gilles. En fait, les demandeurs d’emploi doivent être à notre service, c’est le monde à l’envers. On doit les inciter à prendre des emplois dans les fameux secteurs "en tension" qui obsèdent le gouvernement. Mais il faut savoir que ces secteurs "en tension" ne représentent que 6 % des offres. C’est rien du tout. »

Plus que la paresse des demandeurs d’emploi, suggérée à longueur de temps, ce sont les conditions de travail très éprouvantes de ces secteurs - hôtellerie et restauration notamment - qui freinent les recrutements, ainsi que... la dernière réforme de l’assurance chômage, menée par Elisabeth Borne, devenue Première ministre. « L’hôtellerie-restauration fait n’importe quoi depuis 30 ans, c’est une réalité, décrit Gilles. L’autre problème, dont personne ne parle jamais, c’est la réforme du chômage. Les gens ne sont pas bêtes. Ils ont bien compris que pour les CDD, les saisonniers et les personnes en intérim, ce serait de plus en plus compliqué d’avoir des allocations entre deux missions. Or, la restauration et l’hôtellerie proposent essentiellement ce type de contrats. Résultat ? Les gens vont voir ailleurs. Et ce n’est pas le JRE qui va y changer quoi que ce soit. »

« Nous sommes pistés, notés, surveillés. Nous avons des indicateurs de radiations »

Avec le JRE, « il s’agit de personnaliser davantage l’accompagnement, de détecter les demandeurs d’emploi découragés ou en situation de fragilité dans leur recherche d’emploi et de renforcer l’accompagnement si nécessaire », promet un document interne de Pôle emploi. « C’est juste un moyen pour contrôler encore plus les chômeurs, pensent plutôt les conseillers Pôle emploi. Pour le moment, il n’y a pas de radiation automatique liée à tel ou tel comportement répertorié via le JRE. Évidemment, ceux qui sont considérés comme peu dynamiques dans leur recherche sont plus susceptibles que les autres d’être contrôlés. » « On avait déjà l’impression d’être des flics depuis la mise en place du contrôle de la recherche d’emploi (CRE), mais là c’est encore pire, déplore Aline. Comment maintenir une relation de confiance avec les gens dans ces conditions ? Or, sans confiance, nous ne pouvons pas travailler. »

Avec le journal de la recherche d’emploi, l’interface des conseillers leur indique quelles actions ils doivent mener en priorité. © Extrait d’un document interne de Pôle emploi présentant le JRE.

Le JRE risque d’aggraver la perte de sens que les agents Pôle emploi dénoncent depuis des années. « Nous devons centrer nos entretiens sur ce que nous dicte la machine. Il faut qu’on débranche notre cerveau. Que l’on oublie ce que l’on sait, pour obéir », pense Aline qui dit se trouver dans une « posture difficile », avec une direction qui met de plus en plus la pression. « Nous sommes pistés, notés, surveillés. Nous avons des indicateurs de radiations. S’ils ne sont pas assez élevés, on nous le fait remarquer. Parfois, je me sens vraiment désespérée. Je ne sais plus quoi faire, dit-elle. Heureusement que je peux avoir des échanges avec d’autres collègues au sein du syndicat, sinon, je ne crois pas que je tiendrais le coup. »

« J’ai 61 ans, j’ai de la bouteille et je ne me sens absolument pas lié aux objectifs de la maison, enchaîne Gilles, qui constate néanmoins que ses marges d’autonomie se réduisent. Si les personnes que j’accompagne manquent un rendez-vous, je dis que je les ai vus pour qu’ils ne soient pas radiés ou qu’ils ne fassent pas l’objet d’un contrôle. Et je ne prescris pas d’atelier s’ils n’ont pas de sens pour les gens que j’accompagne. Mais tout le monde ne peut pas, ou ne veut pas, procéder comme moi. Les plus jeunes qui arrivent ont tendance à obéir, point. »

Au guichet, les conditions de travail ne vont pas s’améliorer dans les mois et années à venir. Les effets de la dernière réforme de l’assurance chômage vont se faire sentir de plus en plus au fil du temps. « Certaines personnes vont voir leurs allocations diminuer de 40 %. C’est énorme, insiste Gilles. On a des collègues pour qui cela devient infernal, avec des tensions importantes à l’accueil et des arrêts maladies qui se multiplient. » Entrés à Pôle emploi pour soutenir et accompagner des personnes en difficulté, Gilles se dit scandalisé et effrayé par les réformes et dispositifs divers qui sont mis en place depuis 15 ans : « On se dirige de plus en plus vers un système à l’anglaise, avec des demandeurs d’emploi qui doivent être au garde-à-vous ! »

Nolwenn Weiler

Notes

[1] Le « journal de la recherche d’emploi », un dispositif expérimental testé dans les régions Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire depuis novembre 2019. Il s’inscrit dans la loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel. 500 000 demandeurs d’emploi sont concernés.

[2] Voir le rapport sur le site du Défenseur des droits.

publié le 23 mai 2022

Retraite à 60 ans :
les financements
à portée de main

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Désirée par deux tiers des Français, la réforme progressiste inscrite dans le programme de la Nupes peut être financée en réaffirmant les principes fondateurs du régime général et en élargissant les sources de recettes aux revenus qui ne cotisent pas.

« Il n’y a pas d’alternative », aimait à affirmer Margaret Thatcher à chaque occasion d’imposer une mesure ultralibérale. Quarante ans après, Élisabeth Borne entonne à son tour la rengaine au moment d’établir ses grandes réformes à venir. À commencer par la mère de toutes : la retraite. « Annoncer aux Français qu’ils vont travailler moins, brandir la retraite à 60 ans, c’est leur mentir ! assène la première ministre dans le Journal du dimanche. (…) Les promesses façon “demain, on rase gratis”, les Français n’y croient pas. Moi, je ne leur mentirai pas ! » À lire la première ministre, la seule voie possible pour notre modèle social réside dans l’appauvrissement de ses garanties, avec le recul de l’âge légal de départ de 62 ans à 65 ans : « Si on veut préserver le système de retraite par répartition, auquel nos concitoyens sont attachés, il faudra progressivement travailler un peu plus longtemps. »

Fermez le ban ? Pas tout à fait. Élisabeth Borne se trompe doublement. La candidate En marche a éprouvé rudement sa première erreur lors de sa visite, dimanche, dans la circonscription normande qu’elle convoite. Le retour à 60 ans, les Français y croient : 71 % d’entre eux le demandent (sondage Ifop pour le JDD en février). Excepté chez les déjà retraités, donc plus concernés, et ceux au-dessus de tout ça – les catégories aisées –, la réforme est plébiscitée. L’autre erreur de Borne est d’affirmer que rien d’autre que sa réforme régressive n’est possible. « La retraite à 60 ans est un choix politique ; il suppose de s’en donner les moyens financiers », résume le député PCF Pierre Dharréville.

La Nupes a pris à son compte les 60 ans en l’inscrivant dans son programme pour les législatives : « Restaurer le droit à la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous, après quarante annuités de cotisation, avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles. » L’alliance des gauches donne ses pistes de financement pour mettre en pratique ce choix de société. Avant elle, la CGT avait étayé les ressources à dégager pour que cette réforme à 80 milliards (Institut Montaigne) ou 100 milliards d’euros (soit + 4 % de PIB, selon le Conseil d’orientation des retraites, COR) voie le jour.

Retour à un système fondé sur la cotisation

Revenir aux fondamentaux du régime général des retraites, telle est la première mesure financièrement efficace. Historiquement, ce système est bâti sur un pacte intergénérationnel faisant bénéficier les aînés des richesses créées par le travail des actifs. À leur tour et le moment venu, ces derniers bénéficieront de cette solidarité. Les revenus tirés du travail sont donc la clé de voûte du dispositif.

Après avoir réaffirmé ce principe, Pierre-Yves Chanu, représentant CGT au COR, a fait ses comptes et les a présentés lors des dernières Rencontres d’Options (1) organisées par l’Ugict-CGT. « Le retour au plein-emploi (autour de 4,5 % de taux de chômage, objectif partagé par le gouvernement – NDLR) dégagerait près de 10 milliards d’euros. Une augmentation des salaires de 3,5 %, 6,5 milliards d’euros. L’augmentation d’un point d’indice de la fonction publique, 6 milliards. L’intégration des primes dans la fonction publique, 6 milliards. L’égalité salariale femmes-hommes, 5,5 milliards . (…) L’instauration d’un “malus” sur les emplois précaires pourrait rapporter 10 milliards. »

La Nupes, quant à elle, propose en plus une augmentation de 0,25 point par an du taux de cotisation vieillesse, ainsi qu’une surcotisation sur les hauts salaires. Toutes ces nouvelles ressources seraient facilitées « si la croissance augmente ou si la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente. Mais si ce n’est pas le cas et si le rapport de forces n’est pas assez favorable, il se peut que ces ressources attendues soient moindres », prévient l’économiste Michaël Zemmour.

La fin du hold-up des exonérations

À l’image de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), qui vient de récupérer 136 milliards d’euros de dettes publiques contractées par l’État durant la crise du Covid (92 milliards de déficit anticipé à la suite du Covid, plus 13 milliards de reprise de dette des hôpitaux s’ajoutent aux 31 milliards de déficit cumulé à fin 2019), l’État a depuis trente ans pris l’habitude de faire porter la douloureuse de ses choix libéraux sur la protection sociale.

« Le déficit actuel est dû à un définancement », résume Michaël Zemmour, qui assure a contrario qu’une augmentation de 0,1 % par an des cotisations patronales et salariales suffirait à enrailler la diminution des pensions actuelle. Ainsi, 9 % des entreprises privées échappent à l’assiette de cotisations. Chaque prime créée par Macron et ses prédécesseurs alourdit la facture.

Toutes ces ristournes, les « baisses des charges » en langage patronal, engendrent 75 milliards d’euros de pertes de recette (20 milliards par an rien que pour le CICE de Hollande, transformé en baisse des cotisations par Macron). Le fonds de solidarité financé par la CSG en compense 18 milliards ; plus de 40 milliards pour une partie de la TVA, qui aurait pu être fléchée vers d’autres besoins dans le budget de l’État.

Faire contribuer les revenus du capital

Reste à mettre à contribution les revenus participant peu ou pas à la solidarité. Dans son programme, la Nupes compte « maintenir l’équilibre des retraites en soumettant à cotisations patronales les dividendes, participations, épargne salariale, rachats d’actions, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25 point par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires ».

La CGT milite, elle, depuis longtemps pour une « contribution sociale sur les dividendes » comme un moyen de récupérer « une partie de la richesse produite par les salariés grâce à leur travail ». Soit 20 milliards pour la protection sociale. À cela s’ajouterait, par exemple, un rapatriement de l’épargne salariale (9,2 milliards d’euros de cotisations individuelles et 5,5 milliards d’euros de cotisations collectives), dont le développement a été favorisé en parallèle des réformes affaiblissant le régime par répartition.

(1) Consultables sur journaloptions.fr

 

Agirc-arrco les retraites complémentaires peuvent suivre

Impossible d’imaginer une réforme de la retraite à 60 ans du régime général sans y inclure les retraites complémentaires. L’Agirc et l’Arrco représentent entre 45 et 56 % de la retraite des cadres et 26 % de celle des non-cadres. Et ces régimes au fonctionnement différent – paritarisme et système à points – ont servi dans le passé d’étapes tests, avant d’imposer des régressions au régime général. Dès lors, comment faire pour appliquer l’avancée d’âge ? « On imagine mal les cinq organisations syndicales et les trois patronales aller contre un retour à 60 ans si la réforme est appliquée au régime général. Il y aura un rapport de forces à imposer », pose en préalable Sandrine Mourey, de la CGT. « Financièrement, il n’y a pas péril, avec 69 milliards d’euros de réserve et 2 milliards d’excédents (du fait de l’accord de juillet 2021, non signé par la CGT et FO, imposant une décote de 10 % pour ceux partant à 62 ans – NDLR). Enfin, des financements supplémentaires sont à trouver dans la fin des exonérations de cotisations, dans l’égalité salariale femmes-hommes et la taxation du capital… »

publié le 19 mai 2022

L’hôpital est malade
et on panse ailleurs

par Pierre Jacquemain sur www.regards.fr

Les yeux rivés sur ses tableurs Excel, Macron n’est obsédé que par le PIB et la croissance. Et si la santé dirigeait le monde ?

Une vidéo à voir sur https://youtu.be/OxHDvW9XHgY

 

« L’été va être atroce. C’est du jamais-vu ». C’est le très médiatique médecin urgentiste, Patrick Pelloux qui le dit. Selon lui, « la situation est catastrophique ». Et il n’est pas le seul à le penser. Rémi Salomon, président de conférence des présidents des commissions médicales d’établissement de CHU tire, lui aussi, la sonnette d’alarme : « On a un risque imminent de ruptures d’accès aux soins », prévient-il. L’hôpital public est confronté à un problème majeur : celui du manque de personnels soignants. Et il serait faux, ou plutôt incomplet, de mettre ça sur le dos de la seule crise sanitaire. Alors c’est sûr le Covid n’a rien arrangé mais la crise de l’hôpital public ne date pas d’hier. Ça fait des dizaines d’années que les personnels soignants le disent et se mobilisent. Bien avant le Covid, personne ne voulait voir la réalité en face et pourtant quand les médias et les politiques moquaient et méprisaient les cortèges parisiens d’infirmières et les grèves de soignants dans les hôpitaux de France, ils visaient juste. Et ils visaient juste, non pas pour eux et par corporatisme, mais ils visaient juste pour nous, pour les usagers, pour l’avenir de l’hôpital public.

 Il aura donc fallu, hélas, une crise sanitaire pour se rendre compte du danger que faisait courir la paupérisation de notre système de santé. L’abandon de l’hôpital public ne date pas de Macron, ses prédécesseurs avaient déjà largement asséché les finances des hôpitaux. Mais quand même… Macron avait promis un moratoire sur les fermetures de maternité. Des services entiers continuent de fermer. Macron avait promis des lits supplémentaires. On continue de fermer des lits. Macron avait promis des recrutements. Ça prend du temps mais le compte n’y est pas. Il avait promis des revalorisations de salaires. Là non plus, pour les syndicats, ça n’est pas suffisant. Et c’est le serpent qui se mord la queue. Faute de personnels, on ferme des lits. Un lit sur cinq est fermé en l’absence de personnels soignants. Et alors que la situation s’aggrave, le gouvernement tarde à réintégrer les médecins, infirmières, aides-soignantes qui avaient été suspendus pour avoir refusé la vaccination.

Le premier problème de l’hôpital est d’ordre budgétaire. Comme le rappelle Salomon : « Quand on fixe le budget de l’hôpital, essentiellement sur des critères financiers, parce qu’il y a la dépense publique, à chaque fois il manque un peu ». Il manque sans doute plus qu’un peu : il manque pour l’acquisition de matériel, l’entretien des bâtiments, la sécurité des personnels. Mais le problème budgétaire cache un autre vrai problème sur lequel ni la gauche, ni la droite ne s’est véritablement penché. Nous ne savons pas penser un système de santé global. Et surtout, penser un système de santé ne peut pas simplement consister à dire que tout repose sur l’hôpital public. C’est un pilier, c’est incontestable. Mais un système de santé digne de ce nom, c’est avant tout un système qui prévient. « Mieux vaut prévenir que guérir », comme le veut l’adage. Prévention, accès à une alimentation saine, à un environnement non pollué, accès à une pratique sportive. Et de ça, personne ne parle.

Plus que jamais, Emmanuel Macron a les yeux rivés sur les indicateurs de croissance et de bonne santé économique. La maison brûle mais on regarde ailleurs : le PIB en l’occurrence. Les patients patientent et les soignants s’impatientent et on regarde ailleurs : le déficit public et la dette en l’occurrence. Et si on faisait autrement ? Sortir de la croissance pour entrer dans la pleine santé. Et si, comme le suggère l’économiste Éloi Laurent, « la santé guidait le monde » ?


 

 

 

 

Faute de moyens, les services d’urgences contraints
de baisser le rideau
 

sur www.cgt.fr

Une cinquantaine d’hôpitaux, un peu partout en France, ferment sporadiquement ou filtrent leurs service d’urgences, pour une nuit ou plusieurs jours. Il faut parfois une heure de route pour trouver des urgences ouvertes. En cause, les restrictions budgétaires pour la santé, le manque de médecins urgentistes et la désertification médicale.

« Entre 2002 et 2022, le nombre de passages aux services des urgences a plus que doublé en France, passant de 10 à 23 millions par an », calcule Cédric Volait, cadre administratif à l’hôpital de Manosque (Var), membre de la commission exécutive CGT Santé Action Sociale.

Il manque 11,5% des effectifs dans les hôpitaux, dont 44 000 médecins selon une enquête réalisée par la CGT au déclenchement du Covid, début 2020.

Sans compter la pénurie d’aides-soignantes (59 200), d’agents de service hospitaliers (57 600) et d’infirmières (46 000).

« Ça craque de partout, tous les 2 ou 3 jours, il y a des préavis de grève, de plus de plus de services d’urgences sont obligés de fermer de manière occasionnelle », constate le représentant syndical.

Déjà ébranlé par les restrictions budgétaires décrétées par les gouvernements successifs depuis 2012 , « un milliard d’économies par an », précise C. Volait, l’hôpital sort laminé des deux années de Covid. Le taux d’absentéisme a bondi. 

« Mais ne laissons pas la crise sanitaire masquer la carence structurelle de l’offre de soins, prévient régulièrement le Collectif InterUrgences. La crise des urgences est aussi la conséquence de la désertification médicale. Elles sont surchargées de patients qui y vont faute de médecins généralistes de proximité. Et il n’y pas assez d’urgentistes formés. Au total, il faudrait 12 000 médecins supplémentaires pour répondre aux besoins », illustre C. Volait qui anime le groupe de travail de la CGT sur les politiques de santé. 

Les urgences c’est la porte d‘entrée de l’hôpital.

La Confédération prépare une journée d’action avant le premier tour des législatives du 12 juin, à partir de « cahiers revendicatifs » envoyés à chaque établissement hospitalier. 

Pour sortir de cette situation, la CGT exige :

  • la titularisation des jeunes médecins,

  • la régularisation administrative des praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE, ils sont plusieurs milliers à venir en renfort dans les hôpitaux français),

  • la revalorisation des salaires de la santé,

  • la réouverture des 100 0000 lits fermés en 20 ans,

  • l’amélioration de la carrière des médecins urgentistes afin qu’ils ne préfèrent pas le privé ou l’intérim,

  • le rétablissement du ratio d’effectifs des services d’urgences en s’appuyant sur le référentiel du Samu Urgences de France,

  • le retour des gardes obligatoires en médecine de ville pour désengorger les urgences. 

publié le 16 mai 2022

Véran :
un bilan catastrophique

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Son bilan est celui d’un « très bon élève » qui a poursuivi et accéléré la casse de l’hôpital public, marqueur de la politique d’Emmanuel Macron

Lors du départ d’un responsable politique, il est toujours utile d’effectuer le bilan de son action. Olivier Véran, médecin, ancien député socialiste, élu sous l’étiquette LaREM et homme ambitieux, a été nommé ministre de la Santé lors du départ mouvementé d’Agnès Buzyn. De sa gestion de l’épidémie de Covid, on retiendra sa position sur une ligne dure – avec l’obligation de vaccination des soignants ainsi que le passe sanitaire, puis vaccinal – qui a été finalement progressivement contredite par sa hiérarchie. Les soignants, déjà sous pression du fait du manque de moyens, ont subi sa morgue et son mépris lors de multiples prises de parole ou de visites dans les hôpitaux.

On retiendra qu’il est l’homme de ce qu’il a appelé le Ségur de la santé, qui devait répondre à l’urgence. La seule mesure conséquente se limite à de faibles augmentations de salaire et à des primes octroyées seulement à certaines catégories, ce qui a provoqué la colère des nombreux exclus, notamment dans le secteur médico-social. De fait, il s’agit d’un échec, car même les signataires de ce fameux plan sont aujourd’hui très critiques. En effet, alors que l’urgence est l’emploi, aucune mesure n’a été prise dans ce domaine et, aujourd’hui, le système s’effondre, avec la multiplication des fermetures de services par manque de soignants. Pire, les opérations de restructuration avec suppressions de lits se poursuivent, comme si l’épidémie n’avait pas montré que les difficultés de l’hôpital étaient principalement liées aux fermetures massives de lits, associées à un déficit de recrutement.

Lui-même médecin hospitalier et censé bien connaître le problème, Olivier Véran a été sourd aux revendications portées par les syndicats, collectifs et associations citoyennes lors du mouvement débuté en 2019, qui se poursuit de manière locale. Il est même l’artisan de l’accélération de la mise en place de la loi « ma santé » 2022, notamment avec ce qui est faussement appelé des « hôpitaux de proximité ». Il ne s’agit en fait plus d’hôpitaux, car sans service d’urgences ouvert 24 heures sur 24, sans maternité et sans chirurgie, ils sont réduits à de simples centres de consultations avec quelques lits. C’est lui aussi qui, avec son collègue médecin et député Thomas Mesnier, a mis en place le forfait de passage aux urgences, mesure punitive pour les personnes qui ne sont pas hospitalisées.

Son bilan est donc celui d’un « très bon élève » qui a poursuivi et accéléré la casse de l’hôpital public, marqueur de la politique d’Emmanuel Macron. Nous n’avons rien à attendre d’un futur ministre nommé par l’actuel président, car, quel que soit son profil, les options politiques demeurent. Une politique de rupture est une urgence et une nécessité pour notre système de santé. Pensez-y les 12 et 19 juin !


 

 

 

Comment tuer
l’hôpital public

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Le gouvernement a largement favorisé les cliniques privées où règnent les dépassements d’honoraires et leur corollaire : la sélection des patients selon leurs revenus.

Ces dernières années, le gouvernement a largement favorisé le regroupement de cliniques privées à but lucratif par le biais d’autorisations d’activités octroyées par les agences régionales de santé (ARS) et de généreuses subventions. Ainsi, dans la plupart des grandes villes, ont été construits de grands établissements de plusieurs centaines de lits venant concurrencer les hôpitaux publics, notamment les CHU, en se concentrant sur les activités les plus rentables, comme la chirurgie ambulatoire et la radiologie. Des exemples ? La clinique Rhéna, à Strasbourg, les cliniques du Confluent et Santé Atlantique, à Nantes, la clinique Bezannes, à Reims, ou encore le Médipôle, à Lyon, regroupant près de 800 lits.

L’exemple le plus emblématique de cette politique coordonnée et planifiée de renforcement du secteur privé lucratif est l’ouverture prochaine d’un nouvel établissement de 400 lits à Neuilly-sur-Seine avec, entre autres, 25 salles d’opération, 2 scanners et 2 IRM. Tout a été organisé, depuis l’achat du bâtiment, qui hébergeait le siège du groupe Thales, l’octroi rapide du permis de construire par la municipalité, jusqu’à l’autorisation par l’ARS du regroupement sur un même site des trois cliniques de la ville.

Mais, au-delà des murs, ce qui compte dans ces établissements, ce sont les personnels, notamment les médecins. Là, il suffit aux patrons de ces cliniques de venir faire leur marché dans les hôpitaux publics, où les médecins ne peuvent plus travailler correctement, faute de moyens humains et financiers. Dans le cas présent, un débauchage des chirurgiens les plus compétents de l’hôpital Beaujon, situé à proximité à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), est en cours. Sa fermeture est prévue dans peu de temps, dans le cadre de la construction de l’hôpital Nord, qui prévoit la suppression de plus de 300 lits. On voit bien ici la perversité de nos gouvernants. Ils laissent vieillir les bâtiments des hôpitaux publics en limitant les investissements, les déclarent ensuite vétustes et promettent la construction d’un nouvel établissement, avec moins de capacités et des délais de construction qui atteignent souvent près de dix ans. Ils bouchent ainsi l’avenir des personnels, qui, n’ayant aucun espoir d’amélioration de leur exercice, quittent le navire.

Pour les patients, les conséquences seront catastrophiques car, dans tous ces établissements privés, règnent les dépassements d’honoraires et leur corollaire : la sélection des patients selon leurs revenus. Pour les médecins, si, à court terme, ils peuvent voir leurs conditions de travail s’améliorer et leurs rémunérations augmenter, il faut les prévenir que l’objectif de ces établissements, au final, sera de les mettre sous pression pour générer le maximum de bénéfices. Il est donc urgent de changer de politique et de reconstruire un grand service public hospitalier.

 publié le 12 mai 2022

Face à des Caf devenues
des monstres numériques sans humanité,
un collectif s’organise

par Rachel Knaebel sur https://basta.media

Les personnes aux minimas sociaux témoignent de dysfonctionnements multiples dans les Caf, qui ont des conséquences dramatiques. Dans le même temps, les allocataires sont de plus en plus contrôlés. Un groupe d’associations veut que ça change.

L’administration accuse les allocataires de fraude, mais c’est souvent aussi elle qui se trompe. « Catherine, 40 ans, handicapée, a une valve au cœur et vit avec l’allocation adulte handicapée (AAH). Elle a subi cinq contrôles de la Caf en 15 mois et demi. Elle découvre que ses droits sont suspendus sans aucune information préalable, ni information sur le motif de cette suspension.

Chaque contrôle dure environ trois mois. Il faut trois mois supplémentaires pour rétablir les droits et verser un rappel, car la Caf est mal organisée et ne répond pas aux appels. Pendant toute cette durée elle ne perçoit aucune allocation et n’a aucune ressource. Elle doit se débrouiller en empruntant aux voisins et allant au Resto du cœur mais risque l’expulsion de son logement ».

Mme X comprend que la Caf ne la reconnaît plus

Quand on est allocataires du RSA ou de l’AAH, on peut aussi se retrouver sans aucune ressource parce que la Caf ne reconnaît plus votre nom. « Mme X bénéficie de l’AAH et des aides au logement, à deux ans de la retraite. En janvier 2019, le versement de toutes les aides de Mme X est suspendu sans explications. Grâce au travailleur social qui l’accompagne, Mme X comprend que la Caf ne la reconnaît plus.

En effet, ayant divorcé, elle a repris son nom de jeune fille et la Caf pense verser l’AAH une mauvaise personne. Mme X a déjà fourni le document à sa Caf, mais celle-ci l’a égaré. Mme X envoie à nouveau le document. Ces démarches n’ont aucun effet sur les délais d’instruction et il leur est impossible d’obtenir un versement des aides, ne serait-ce que partiel. Mme X se retrouve sans ressources, contrainte à vivre de la mendicité autour de la Maison relais où elle est hébergée.

Ce n’est que 12 mois après l’arrêt des versements que sa Caf valide finalement le document fourni par Mme X et procède à un rappel de tous ses droits. » Ce sont deux témoignages parmi les dizaines de ceux recueillis en quelques mois par le collectif citoyen « Changer de cap », qui se bat pour un service public plus humain et qui dénonce la numérisation à marche forcée des caisses d’allocations familiales (Caf).

Les travailleurs pauvres sont sur-contrôlés

Alerté par ses membres sur les pratiques des Caf, Changer de Cap a lancé depuis le début de l’année un vaste travail d’enquête. Le collectif a fait le constat d’un « accroissement exponentiel des contrôles » sur les allocataires, avec 32 millions de contrôles automatisés en 2020, « rendus possibles par la puissance du numérique ».

« Cela devient insupportable pour un tas de gens, résume Valérie, active dans le groupe numérique de Changer de cap. Nous connaissions déjà tous les difficultés liées à la dématérialisation pour les gens qui n’arrivent pas forcément se servir de l’informatique. » Mais au fil du flux de témoignages qui lui sont arrivés, Changer de cap a constaté que les dysfonctionnements vont bien au-delà.

Par exemple, des contrôles sont déclenchés dès qu’il y a variation des ressources des allocataires, « même pour 50 à 100 euros », que la variation soit à la hausse ou à la baisse. « Cela engendre un sur-ciblage sur les travailleurs pauvres, qui ont des revenus faibles, mais surtout des revenus variables : intérimaires, CDD de remplacement, etc, pointe le dossier. Cela est très fréquent par exemple dans les secteurs de la propreté, de la manutention, de la logistique. »

Les erreurs dues au numérique assimilées à de la fraude

Il est normal que ces variations soient prises en compte, concède le collectif. Le problème est que les trois quarts des contrôles entraînent la suspension des prestations, a-t-il calculé. Et cela peut durer des mois. « Ces contrôles durent rarement moins de trois mois, et comme la Caf dysfonctionne, il faut à nouveau trois à cinq mois supplémentaires pour rétablir les droits et verser un rappel. Mais il peut arriver que le rétablissement des allocataires dans leurs droits prennent encore plus de temps. »

En plus, la Caf peut suspendre l’intégralité de la prestation pendant la durée du contrôle, sans rien laisser aux allocataires. « Cela plonge ces personnes dans des situations de précarité grave et permanente. »

Ensuite, il y a les accusations de fraudes, devenues de plus en plus systématiques. Juridiquement, une « fraude » doit être intentionnelle. Mais Changer de cap a constaté que les Caf assimilent à de la fraude les erreurs dues aux difficultés des allocataires face au numérique, et même les erreurs qui viennent des Caf elles-mêmes. Autre problème, « pour les Caf, la collocation c’est forcément du concubinage, alors qu’il y a de plus en plus de gens qui vivent en collocation », pointe Valérie. Or, en cas de concubinage, les revenus de la personne avec qui l’on vit sont pris en compte pour calculer les droits. Et ne pas les déclarer est considéré comme une fraude.

Absence totale d’interlocuteur

La communication des Caf est aussi pointée du doigt. Les notifications envoyées aux allocataires en cas de suspension de leur prestation ne précisent « ni les modalités de calcul de l’indu, ni les délais de réponse, ni les voies de recours ». Pire, « le plus souvent, le contrôle et la décision sont découverts de manière fortuite : la personne découvre le non-versement des allocations sur son compte, sans aucune notification. Il n’y a aucune information, ni par écrit (le papier est devenu une denrée rare), ni par mail, ni par courrier déposé sur les espaces en ligne (auxquels les gens avec lesquels on travaille, de fait, n’ont pas accès), ni même par SMS. »

Quand les allocataires cherchent à comprendre ce qui leur arrive, elles et ils font face à une « absence totale d’interlocuteur », écrit Changer de cap : Il y a « au mieux, une plate-forme téléphonique très difficile à joindre. Quand on y parvient, les personnes ont des informations très limitées et n’ont aucun moyen d’action. Il est possible d’obtenir un rendez-vous physique dans une CAF, mais il faut plusieurs semaines, voire un à deux mois, et les interlocuteurs rencontrés ne sont pas en mesure de débloquer la situation, même si la personne arrive avec toutes les pièces justificatives, et ils ont des moyens extrêmement limités. »

Les prestations sociales sont considérées « comme des coûts et les allocataires comme des risques »

Pour Changer de cap, une grande partie des problèmes des Caf réside dans les conventions d’objectifs et de gestion que la Caisse nationale d’allocation familiale (Cnaf, le siège national des Caf) signe avec l’État tous les cinq ans. Ces conventions « imposent une gestion financière centrée sur la réduction des moyens, présentée comme un objectif central, accuse le collectif. L’assimilation des Caf à des entreprises conduit à considérer les prestations sociales comme des coûts et les allocataires comme des risques. »

La dernière convention, qui court de 2018 à 2022, prévoit par exemple la suppression de plus de 2000 emplois dans les Caf sur cinq ans. Elle a aussi établi des objectifs en hausse de « montant des préjudices frauduleux et fautifs constatés ou subis ». Les Caf sont incitées à trouver toujours plus de fraudes. La convention veut aussi « renforcer ses contrôles pour mieux lutter contre les fraudes organisées, notamment au moyen de ciblages assis sur les technologies du big data (base de données partagée) ».

Changer de cap a plutôt perçu que « que l’automatisation entraîne une augmentation des erreurs et des injustices, en l’absence de dialogue physique permettant de prendre en compte la diversité des situations. » « Les algorithmes sont complètement opaques », dénonce Valérie Prat.

« Il est indispensable de remettre l’humain au cœur des Caf »

Le groupe numérique de l’initiative veut pousser les allocataires à demander aux Caf quelles sont leurs données personnelles utilisés pour ce traitement automatisé, pour ce "big data" censé aider à lutter contre la fraude. « C’est sûr qu’une personne qui a un problème avec la Caf, ce n’est pas la première chose à laquelle elle pense, ajoute Valérie. Les gens ont pourtant le droit de demander aux Caf sur quelle base est calculé leur “score de risque”. On va prépare un lettre type à envoyer pour le faire. »

Le score de risque des allocataires, est le résultat d’un calcul réalisé à partir de « croisement de plusieurs centaines de données statistiques,expliquait la Caf il y a quelques années. Ce traitement informatique permet de calculer la probabilité qu’une erreur se produise, en donnant un score de risque prédictif. » Cette pratique vise pour les Caf à « repérer plus précisément les dossiers à risques ». Les personnes aux revenus irréguliers, dont les travailleurs précaires, ont des chances d’avoir des scores de risque plus élevés, et donc de subir plus de contrôles.

Changer de cap a aussi établi une liste de revendications aux Caf. Avant tout, « Il est indispensable de remettre l’humain au cœur des Caf », demande le collectif, « au double sens d’interventions humaines et d’un traitement équitable ». Plus concrètement, il demande la publication par la Cnaf de toutes les circulaires et instructions relatives au calcul des aides, au profilage de la population et aux contrôles, des algorithmes.

Une convention citoyenne sur les limites de la numérisation

Le collectif revendique également (entres autres) la fin de l’assimilation de l’erreur à la fraude, de l’assimilation de la cohabitation à du concubinage ; la fin des contrôles ciblés en fonction de scores de risque pour les remplacer par des contrôles aléatoires. Il faut aussi pour Changer de cap « l’interdiction des décisions automatiques, notamment des suspension de prestations, établies à partir de simples rapprochements de données » ; « l’interdiction des suspensions préventives d’allocations et des retenues sauvages ».

Les associations misent une sur une refonte de la prochaine convention d’objectifs et de gestion, qui démarrera en 2023, pour embaucher et former massivement des agents de la CAF et « revenir aux missions fondatrices de la sécurité sociale et des services publics, dans une logique de confiance et de solidarité ». Et pourquoi pas mettre en place « une convention citoyenne sur les limites de la numérisation et la nécessité des relations humaines » ?

Aujourd’hui, bénévoles et allocataires confrontés aux dysfonctionnements font plutôt face à un déni de la Cnaf, qui argue qu’il ne s’agirait que d’erreurs ponctuelles. Alors, Changer de cap prévoit d’engager des actions en justice contre la Caisse nationale d’allocations familiales, « soit sur des cas individuels, pour faire jurisprudence, explique Didier Minot, l’un des initiateurs du collectif. Mais ils faut que les allocataires soient bien accrochés, car beaucoup de Caf multiplient les manœuvres de procédures. »

Une autre possibilité est d’attaquer les directives des Cnaf elles-mêmes, comme celle qui prévoit la suspension des prestations en cas de contrôle sans attendre le résultat du contrôle. « Le problème, c’est qu’on a pas connaissance de toutes les circulaires internes de la Cnaf », pointe Didier Minot. La Cnaf ne s’impose pas à elle-même la transparence totale qu’elle exige des allocataires.


 


 

 

« Je n’ai jamais vu une aberration pareille » :
le chaos de la dématérialisation des Caf raconté de l’intérieur

par Rachel Knaebel sur https://basta.media

Entre les bugs des logiciels, les réformes incessantes, et l’obligation de passer le moins de temps possible avec les allocataires, la dématérialisation et la réduction des coûts pèsent aussi sur les travailleuses et travailleurs des Caf.

Les allocataires des Caf doivent s’y contraindre depuis des années : les démarches se font, presque exclusivement, en ligne. Cette numérisation à marche forcée pèse aussi sur les agentes des Caf, techniciennes conseil et travailleuses sociales.

« La numérisation s’est faite progressivement, mais cela s’est accéléré dans les années 2010. C’est aussi à ce moment-là que s’est accéléré le turnover des CDD, des personnes formées en trois semaines qui ne peuvent pas répondre dans le détail aux demandes, raconte Lise Charlebois, travailleuse sociale à la Caf du Doubs et déléguée syndicale Sud. L’objectif de l’État, c’est que les allocataires gèrent seuls leur dossier complètement en numérique. Mais ce n’est pas possible. »

Les démarches en ligne, « c’est compliqué pour beaucoup d’usagers, constate aussi Marie-Odile Chauvin, travailleuse sociale et délégué Sud dans l’Indre. Nous sommes dans un département rural. Ceux qui habitent dans des zones blanches non desservies par internet ne peuvent rien faire en ligne. Et s’ils font une erreur de saisie, ils peuvent se retrouver à devoir rembourser des indus. Beaucoup de personnes ne veulent donc plus faire les saisie seules, car elles ont peur d’être accusées de fraude si elles se trompent. Et quand elles essaient de joindre la Caf, elles n’y arrivent pas toujours. J’ai encore parlé à quelqu’un ce matin qui m’a dit qu’il a essayé d’appelé la Caf pendant deux heures et qu’il n’a jamais eu personne. Alors, les gens abandonnent au bout d’un moment. »

« La dématérialisation a généré plus de contrôles »

Lise Charlebois a commencé à travailler à la Caf en 1995. À cette époque, « on pratiquait le calcul manuel », se souvient-elle. Aujourd’hui, « toutes les allocations sont calculées par les logiciels. Mais quand il y a un bug, on doit de nouveau rentrer tous les éléments à la main pendant des heures, et parfois au moment d’enregistrer, tout est effacé. »

« Les informations que les allocataires doivent saisir sont complexes. Pour une déclaration de ressources pour le RSA ou la prime d'activité, il faut déclarer le net à payer. Pour l'AAH c'est le net imposable »

« Le calcul informatique permet un gain de temps, mais quelquefois, le calcul se fait à tort et doit être repris manuellement, signale aussi Rachel Muller-Lerognon, gestionnaire conseil à la Caf du Doubs et déléguée syndicale Force ouvrière. Cela prend du temps et nécessite parfois l’aide d’un référent technique. La dématérialisation a aussi généré plus de contrôles et plus de prestations à régulariser, car les informations que les allocataires doivent saisir sont complexes et ne sont pas les mêmes pour toutes les prestations. Par exemple, pour une déclaration trimestrielle de ressources pour les allocataires du RSA ou de la prime d’activité, il faut déclarer le net à payer. Mais pour une déclaration trimestrielle concernant l’allocation adulte handicapé (AAH) c’est le net imposable… » Une erreur est donc vite arrivée.

Début 2021, la réforme des aides au logement (APL) décidée par le gouvernement a mis sens dessus dessous nombre de Caf, nous disent aussi les trois femmes. « Suite à la réforme de l’aide au logement, notre système informatique à montré ses failles, indique Rachel Muller-Lerognon. Il n’était pas possible de passer certains dossiers, et ce pendant des mois. Encore à ce jour, les problèmes sont moindres mais subsistent... »

La réforme des APL, « ça bugue toujours »

« La réforme des aides au logement, je n’ai jamais vu une aberration pareille, renchérit Marie-Odile Chauvin, de l’Indre. Elle a été mise en place en janvier 2021 et ça bugue toujours. La réforme a changé les modes de calcul de l’aide et les plafonds de ressources ont bougé aussi. Mais le logiciel n’était pas en capacité d’absorber ce changement. Depuis plus d’un an, les conditions de travail des salariés de la Caf en sont devenues affreuses. Les techniciens conseil peuvent se retrouver à refaire le dossier deux ou trois fois et ça ne fonctionne toujours pas. Ça renvoie aux techniciens l’image qu’ils font mal leur travail alors que le problème, c’est qu’ils n’ont pas les outils pour le faire. »

Même les travailleuses sociales, dont le métier est d’accompagner directement les allocataires, parfois chez eux, se retrouvent contraintes de les renvoyer « vers Caf.fr », déplore Marie-Odile Chauvin. « Parce que c’est ce qu’on nous dit de faire. De toute manière, les dossiers sont traités plus rapidement si les gens passent par le site caf.fr, car les courriers papier partent loin et le temps qu’ils soient scannés dans les dossiers, ça demande dix jours. Mais nous, les travailleurs sociaux, pouvons tout de même encore voir les personnes, et nous scannons ensuite leurs documents pour les intégrer à leur dossier numérique. »

Parfois, même après ses longues années d’expérience, Marie-Odile ne comprend pas les notifications que reçoivent les allocataires qu’elle suit. « Je demande aux techniciens conseil de me les expliquer. Certaines ne veulent rien dire. Des gens peuvent recevoir des notifications comme quoi ils doivent rembourser une somme d’APL, ils ne savent pas pourquoi. Alors, on leur dit de faire une requête à la commission de recours amiable pour demander une remise totale ou partielle de la dette », explique-t-elle.

Cette commission est submergée, elle prend du retard à traiter les dossier. Et les allocataires en font les frais. « Normalement quand vous faites une demande de recours amiable, votre retenue est suspendue, mais en ce moment, elles continuent à être prélevées sur les prestations des personnes à cause du retard au niveau de la commission. »

« On constate également de plus en plus d'incivilités et d'agressivité dues aux changements de législations incompréhensibles par les allocataires »

« Les législations sur les prestations sont de plus en plus complexes et les prestations plus nombreuses, ajoute Rachel Muller-Lerognogn. Il faut sans cesse rechercher la bonne législation, aller chercher certaines informations sur les "portails" de nos partenaires, CPAM, Pôle emploi... Le fait de chercher sans arrêt des informations prend du temps alors qu’on subit aussi une pression de “production”. Il est difficile de faire vite et bien. »

Comme pour les autres administrations publiques, l’État demande aux Caf de réduire les coûts, en particulier de personnel. « Depuis 1995, nous sommes liés à l’État par une convention d’objectifs et de gestion, renouvelée tous les cinq ans, par lesquelles le gouvernement nous impose des façons de travailler », rappelle Lise Charlebois. La dernière convention, qui court de 2018 jusqu’à la fin de cette année, prévoie la suppression de 2100 emplois dans les Caf sur la période. « Les Caf sont priées de réduire leurs effectifs, et cela impacte tous les services, logistique, social, prestation, informatique... mais il n’y a pas moins de travail. », ajoute Rachel Muller-Lerognon.

« Deux minutes pour répondre à quelqu’un au téléphone »

Conséquence : les agents ont toujours moins de temps à consacrer aux allocataires. « Aujourd’hui, nous avons seulement deux minutes pour répondre à quelqu’un au téléphone, dix minutes en rendez-vous physique, explique Lise Charlebois. La dernière convention de gestion imposent aussi aux Caf des objectifs de constat des fraude, et veut augmenter le taux de réclamations traitées dans un délai de dix jours, de 60 % à 80 %. « Chaque contrôleur a aussi des chiffres à atteindre. En même temps, pour faire ces chiffres, il faudrait plus de salariés », pointe la déléguée syndicale du Doubs. « Les techniciens conseil sont aussi surveillés, ajoute Marie-Odile Chauvin. Tous leurs chiffres sont analysés et on les leur met devant le nez au moment des entretiens d’évaluation. »

Le manque de temps et la demande adressée aux allocataires de tout faire en ligne ne facilite pas le contact avec les usagers. « Les relations en accueil sont parfois tendues car il y a de longs délais de traitement, environ deux mois. Les allocataires attendent leurs prestations qui ne sont pas versées, observe Rachel Muller-Lerognon. On constate également de plus en plus d’incivilités et d’agressivité dues aux changements de législations incompréhensibles par les allocataires. »

Face au déni des directions des Caf, des allocataires confrontés à ces dysfonctionnements commencent aussi à s’organiser en collectif. « La dématérialisation ne doit pas signifier la disparition du téléphone et de l’accueil dans les services publics. Le problème est là : les réclamants ne peuvent plus aller voir quelqu’un », rappelait également à basta) la Défenseure des droits, Claire Hédon, très consciente du problème.

Dans ces conditions difficiles, les délégués syndicaux qui partent bientôt en retraite peinent à trouver la relève dans les Caf. « Pour beaucoup, le collectif, c’est derrière, regrette la déléguée Sud de l’Indre Marie-Odile Chauvin. Les gens n’ont pas envie d’investir du temps au niveau du travail. »

publié le 6 mai 2022

Quand la finance fait
main basse sur la santé

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

OPA Le fonds d’investissement américain KKR veut poursuivre son rachat des cliniques françaises. De quoi alerter les syndicats, qui mettent en garde contre une financiarisation du secteur, mortifère tant pour les salariés que pour les patients.

Il est toujours désagréable d’apprendre, en ouvrant le journal, que son entreprise est convoitée par l’un des fonds d’investissement les plus sulfureux de la planète. Surtout lorsque sa société appartient à un secteur aussi sensible que la santé… Olivier Poher est délégué CGT chez Ramsay, l’un des plus gros groupes de soins de l’Hexagone, du haut de ses 132 hôpitaux et cliniques privés. « Même notre direction générale l’a appris dans les médias, soupire-t-il. L’inquiétude domine. Tout ce que nous savons, c’est que nous sommes sous le coup d’une OPA (offre publique d’achat – NDLR) hostile, et que les choses se jouent très loin de l’Hexagone, entre la maison mère australienne et un fonds américain. » KKR, géant financier, a donc l’intention d’avaler Ramsay, en déboursant près de 14 milliards d’euros. Pour le syndicaliste, cette somme colossale pourrait faire tourner bien des têtes parmi les actionnaires du groupe. En cas de rachat réussi, le fonds d’investissement se taillerait une place de choix dans la santé hexagonale, en devenant tout simplement le plus gros propriétaire de cliniques privées.

Si le nom de KKR donne des sueurs froides aux salariés, c’est que ces trois lettres renvoient à une histoire funeste, ponctuée de raids fracassants et de saignées sociales, qui s’étend sur quatre décennies. Fondé en 1976 par trois anciens banquiers d’affaires, Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, KKR a bâti un empire planétaire en expérimentant à grande échelle une technique jusque-là confidentielle, le LBO (leveraged buy-out, ou rachat par endettement). En gros, l’opération consiste à racheter une entreprise grâce à de l’argent emprunté auprès des banques, à la restructurer à la hache avant de la revendre quelques années plus tard, dans le but de réaliser une coquette plus-value. Peu porté sur la question sociale, KKR n’a aucun scrupule à dépecer des entreprises entières, licenciant des salariés par dizaines de milliers. Aux États-Unis, la rudesse des fondateurs leur a valu le sympathique qualificatif de « barbarians » (les « barbares »), à la fin des années 1980. Aujourd’hui, KKR gère 471 milliards de dollars d’actifs et emploie 800 000 salariés à travers ses entreprises.

Pas de quoi rassurer les salariés de Ramsay, qui redoutent de voir le fonds importer sa culture financière, faite de rationalisation à tous les étages et de course au profit. « Le risque, c’est que KKR nous impose une vision court-termiste, craint Olivier Poher. Pour l’instant, nos actionnaires (dont le Crédit agricole – NDLR) ne se versent pas de dividendes et défendent des projets plutôt sociaux. Par exemple, nous avons une politique d’implantation de centres de santé dans des quartiers populaires très faiblement dotés en médecins : est-ce que KKR se souciera d’investir dans des déserts médicaux ? »

Un secteur qui fait figure d’eldorado

Ce n’est pas la première fois que les fonds d’investissement s’intéressent à la santé, en France comme à l’étranger. Dans un contexte de vieillissement de la population et de multiplication des maladies chroniques, le secteur fait même de plus en plus figure d’eldorado, une réalité encore renforcée par la pandémie. Résultat, les fonds ont injecté 151 milliards de dollars en 2021 pour mettre la main sur des entreprises de santé à travers la planète, soit cinq fois plus que dix ans plus tôt (1). Exemple parmi d’autres de cette folie des grandeurs, le fabricant géant de produits médicaux Medline (masques, gants, solutions de stérilisation…) a été raflé par un consortium de fonds d’investissement, dont Blackstone et Carlyle. Montant de l’opération : 34 milliards de dollars.

La France occupe une place de choix sur cet échiquier, pas tant en raison de la taille de sa population que d’une particularité liée à son histoire : chez nous, c’est la Sécurité sociale qui finance 80 % de nos dépenses de santé. Autrement dit, une très large partie du chiffre d’affaires des cliniques est directement subventionnée par les assurés sociaux. Un rêve pour les fonds, qui savent qu’ils disposent ainsi d’un marché « solvable », préservé des aléas de la conjoncture par le système de protection sociale. Et les géants de la finance ne se privent pas. Le groupe Elsan, concurrent de Ramsay, est déjà détenu par une kyrielle de fonds d’investissement, dont KKR. Si ce dernier menait à bien son OPA sur Ramsay, il se retrouverait donc – indirectement – propriétaire d’environ 270 cliniques, soit près de 30 % de l’ensemble du parc tricolore. L’autorité de la concurrence y trouverait d’ailleurs peut-être à redire…

En attendant, si KKR ne voit pas d’inconvénient à débourser 14 milliards d’euros pour acquérir sa cible, c’est qu’il espère la revendre encore plus cher dans quelques années. Question : comment le monstre financier compte-t-il s’y prendre pour doper le prix de revente ? « Une fois qu’ils se retrouvent à la tête d’un groupe de cliniques, les fonds utilisent principalement trois leviers pour créer de la valeur, explique un très bon connaisseur du secteur. Premier levier, la course à la taille, ou croissance externe. Racheter d’autres établissements permet à la fois de gonfler le prix de revente du groupe, et de se retrouver en position de force face aux fournisseurs. Deuxième levier, la course à la marge, par l’augmentation du reste à charge pour le patient, c’est-à-dire la partie du séjour non remboursée par la Sécu. Troisième levier, l’améliorati on de la productivité des salariés, par la diminution du taux d’encadrement (le nombre de soignants par patient – NDLR). »

L’obsession des marges

Bref, les fonds gagnent à tous les coups. Ce n’est pas le cas de tout le monde. La course à la taille aggrave la concentration d’un marché livré aux appétits des conglomérats. Quant à l’obsession des marges, elle accentue les logiques de médecine à deux vitesses, où il vaut mieux être riche quand on est mal portant : dans certaines cliniques Elsan, les chambres les plus chères valent près de 200 euros par jour. À ce tarif, le patient a le droit à un « espace salon et décoration soignée », un meuble réfrigéré et un déjeuner à la carte.

La hausse de la productivité, elle, se fait au détriment des salariés. Valérie Galaud, infirmière et secrétaire du comité de groupe CGT chez Elsan, a vu au quotidien les effets délétères de la financiarisation : « Je travaille dans la même clinique depuis vingt-deux ans, j’ai vécu le passage d’une gestion familiale à une gestion technocratique axée sur le profit avec l’arrivée des fonds d’investissement. Nos propriétaires restructurent les services en permanence pour diminuer le plus possible le ratio soignants/malades. Jusqu’à présent, chez nous, un binôme – c’est-à-dire un médecin et une infirmière – s’ occupait de 12 patients : ils veulent passer à 15 lits pour un binôme. »

Faire la toilette d’un malade ou remettre un pansement sont autant d’activités exécutées désormais avec un œil sur la montre. Et la peur de sortir des clous. « Nous avons une “équipe performance” qui passe de clinique en clinique avec un tableau Excel à la main, raconte Valérie Galaud. Ils nous expliquent que telle activité doit être réalisée en tant de minutes, à nous de faire en sorte de ne pas dépasser le temps imparti. Le problème, c’est que nous nous occupons d’êtres humains, pas de boîtes de conserve. » Un autre syndicaliste ajoute, en écho : « C’est du commerce plus que de la santé. Les patients sont vus avant tout comme des clients qui doivent débourser le plus d’argent possible quand ils passent la porte de la clinique. »

Que l’OPA de KKR sur Ramsay réussisse ou non, il semble peu probable que les fonds relâchent leur emprise dans les années à venir : le gâteau est trop alléchant. « Quand vous êtes à la tête d’une boîte de smartphones, vous pouvez devenir obsolète d’un coup, observe notre expert de la santé. Il suffit qu’un concurrent sorte un modèle plus innovant. Rien de tel dans la santé : c’est un investissement sans risque. On continuera d’avoir des enfants, les personnes âgées auront toujours besoin de prothèses… Et la Sécu, bonne fille, continuera de verser son obole. »

(1) Chiffres tirés du Global Healthcare Private Equity and M & A Report 2022, de Bain & Company.


 


 

Les biologistes indépendants lancent l’alerte

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Détenue à 67 % par des fonds de pension, la biologie médicale est le « laboratoire » de la financiarisation de la santé, pointe une étude publiée jeudi.

Horaires d’ouverture restreints, prise en charge impersonnelle du fait d’une rotation importante, impossibilité de se faire expliquer par un biologiste les examens réalisés, résultats envoyés tardivement aux médecins, impossibilité de lancer rapidement des examens médicaux urgents faute de personnel suffisant… Tels sont les dysfonctionnements de plus en plus fréquents constatés unanimement par les patients et les médecins géné­ralistes dans les laboratoires de biologie, selon une enquête Ipsos publiée jeudi 5 mai. Elle révèle que la surcharge des professionnels de santé employés par les grands groupes conduit à une indisponibilité vis-à-vis des patients et des correspondants médicaux.

Plus de 50 % des médecins interrogés déplorent une absence de communication sur les résultats de leurs patients, ce qui entraîne parfois un retard de diagnostic, et donc de prise en charge médicale. Pour la docteure Dominique Lunte, présidente du réseau des biologistes indépendants, « cette dégradation tient à la financiarisation du secteur. La pression de la rentabilité existe chez tous les laboratoires qui sont aux mains de grands groupes financiers. Or, ceux-ci détiennent aujourd’hui 67 % du marché, contre 0 % il y a vingt ans ». Selon l’étude Ipsos, 67 % des Français et 75 % des médecins généralistes pointent une tendance négative, car ces grands groupes financiers vont surtout chercher à réduire les investissements matériels et humains pour dégager le plus possible de profits pour leurs actionnaires.

Désertification médicale

Le souci de rentabilité a notamment pour conséquence de renforcer la désertification médicale dans les territoires à faible densité­ de population. « Le constat est accablant, confirme Étienne Mercier, directeur du pôle opinion et santé d’Ipsos. Il devient difficile pour les patients d’accéder aux infrastructures de santé, dont le nombre se tarit au fil des années. D’après notre étude, six médecins géné­ralistes sur dix estiment que le territoire sur lequel ils exercent est d’ores et déjà un désert médical ou est en passe de l’être. »

Ces craintes liées aux difficultés d’accès aux infrastructures de santé vont d’ailleurs compter dans le choix de plus de 80 % Français aux élections législatives, indique l’enquête. C’est pourquoi les biologistes indépendants appellent les pouvoirs publics à veiller à la préservation d’une biologie au service de tous les patients sur l’ensemble du territoire, « pour que l’argent soit au service de la santé, et non l’inverse ».

 


 

La médecine de ville
dans le viseur

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Déjà leader sur le marché de l’hospitalisation privée, Ramsay Santé a décidé de jeter son dévolu sur les soins primaires en ouvrant plusieurs centres de santé en France. Si ceux-ci répondent à des besoins locaux, professionnels et patients s’inquiètent d’une marchandisation accrue du secteur.

C’est un nouvel arrivant dans le secteur des soins primaires qui fait grincer des dents. Ramsay Santé, numéro un de l’hospitalisation privée en France, a décidé­ de se lancer dans la médecine de ville en ouvrant, cette année, une dizaine de centres de santé dans le pays. Cinq structures nouvelles et six autres que le groupe pourraient acquérir à travers la cession de centres médicaux jusqu’ici gérés par la Croix-Rouge française en Île-de-France. Une stratégie qui étonne tout d’abord les acteurs installés que sont les médecins généralistes libéraux : « On regarde ça avec pas mal de curiosité et de questions. Comment se fait-il qu’un acteur privé investisse ce champ, alors qu’on sait qu’il est particulièrement difficile d’équilibrer les dépenses et les recettes ? Une équation que nous sommes contraints de régler en sous-­investissant dans le personnel », pointe Jacques Battistoni, président de MG France. « Ils vont surtout en profiter pour capter de la clientèle pour leurs cliniques privées », redoute de son côté Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la Fédération des médecins de France (FMF).

Dans l’immédiat, la rentabilité, Ramsay semble l’avoir trouvée en optimisant le temps des médecins sur des tâches purement médicales. Exit la paperasse ou la bobologie, les activités ne nécessitant pas l’attention du praticien sont déléguées à des secrétaires ou des infirmières, permettant aux médecins de traiter plus de patients. Sur le plan du financement, ces centres bénéficient d’une expérimentation portée par le ministère de la Santé et l’assurance-maladie. Cette dernière verse à la structure un forfait dont le montant dépend du nombre de patients et du type de pathologies traitées. Inspiré du modèle scandinave, ce financement est censé être « vertueux », explique Olivier Poher, représentant CGT au conseil d’administration de Ramsay. « L’idée, c’est que, contrairement à la tarification à l’acte, cela incite à ce qu’on soigne mieux le patient, à renforcer la prévention pour qu’il vienne moins souvent », précise-t-il.

Aucune garantie écrite

Un scénario qui ne rassure que partiellement les salariés des centres de la Croix-Rouge française d’Île-de-France que Ramsay compte acquérir d’ici à début juillet. « Ils nous ont expliqué qu’ils créeraient une structure associative et qu’ils seraient tenus de respecter la convention des centres de santé leur imposant notamment d’accueillir tous les publics et de ne pas pratiquer de dépassements d’honoraires », explique une représentante du personnel. Mais sur ce sujet comme sur celui de la pérennisation des statuts et des salaires des employés de ces centres, l’élue déplore qu’il n’existe aucune garantie écrite, renforçant les craintes à l’approche d’un possible changement d’actionnaires chez Ramsay (lire page 2). « On travaille à la Croix-Rouge, parce qu’on est engagés sur un certain nombre de principes qui ne sont pas ceux du privé lucratif », pointe une autre syndicaliste. Contactée, la direction de Ramsay France n’a pas répondu aux sollicitations de l’Humanité.

publié le 30 mars 2022

Services publics :
jeu de dupes
à droite et au RN

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Enjeu de campagne - Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen sont étrangement muets sur le devenir du service public. Privatisations, suppressions de postes, coupes budgétaires : leurs véritables desseins sont inquiétants.

Les candidats de droite et d’extrême droite avancent à pas de loup sur les services publics. La raison de cette prudence : avec la pandémie, le regard des Français a changé sur ces derniers. Selon un sondage Kantar réalisé en janvier, ils sont 52 % à avoir une image positive de leurs services publics. Un niveau jamais atteint depuis 2004. Si bien que, de la République en marche au Rassemblement national en passant par « Les Républicains », les partis des candidats qui s’étaient lancés dans une course aux suppressions de postes de fonctionnaires en 2017 (120 000 pour Macron, 500 000 pour Fillon) ont dû changer de braquet. Seule la prétendante LR, Valérie Pécresse, s’est autorisée à annoncer un plan de suppression de 150 000 postes de fonctionnaires, avant de préciser que 50 000 postes seraient réaffectés dans la santé, l’éducation et la police. Les candidats savent qu’ils avancent en terrain miné : les promesses de coupes claires dans les effectifs des fonctionnaires ont laissé place à celles de « recrutements » ou de « revalorisations » des rémunérations.

Des promesses comme autant de plans de communication

Pourtant, en passant aux cribles discours, débats et entretiens, on s’aperçoit vite que l’austérité budgétaire est toujours d’actualité. À l’image des 50 milliards d’euros d’effort budgétaire annoncés par Emmanuel Macron associés aux 15 milliards d’euros de baisses d’impôts promis aux entreprises, ou encore du « passage d’un poids de 55,7 % des dépenses publiques dans le PIB en 2022 au seuil symbolique de moins de 50 % de la richesse nationale dès 2027 », comme le propose Marine Le Pen dans la revue en ligne Acteurs publics. Ces choix des candidats ne laissent guère de doute sur leurs conséquences sur les services publics.

Certes, la ministre de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a annoncé dans la précipitation une augmentation du point d’indice, gelé depuis douze ans. Elle s’est bien gardée d’en donner l’ampleur. Et renvoie la mesure à juillet, soit après les élections législatives. De leur côté, Valérie Pécresse et Marine Le Pen annoncent une hausse des rémunérations ciblée sur les personnels de santé et des Ehpad grâce à des primes pour la première ou une revalorisation de 10 % pour la candidate d’extrême droite. « Le discours change, ils y sont obligés, mais dans les actes, dans nos administrations, le compte n’y est pas, analyse Céline Verzeletti, responsable confédérale de la CGT. Tout ce que nous avons obtenu, nous l’avons eu par des mobilisations », poursuit la responsable confédérale, cosecrétaire générale de la CGT fonction publique. Elle liste le Ségur de la santé, le Grenelle de l’éducation.

D’ailleurs, seuls ou à côté des salariés du privé, les fonctionnaires ont multiplié les actions, y compris pendant la campagne présidentielle, plusieurs fois en janvier, puis le 17 mars, avant une nouvelle journée ce jeudi, à l’appel de la CGT des services publics. Une combativité « retrouvée », « indispensable » qui doit s’inscrire dans la durée, estime la syndicaliste. Car, regrette Céline Verzeletti, même en pleine pandémie, dans la santé, les luttes n’ont pas empêché les fermetures de lits, de services dans les hôpitaux.

Même les promesses de nouvelles embauches d’infirmières ou d’aides-soignantes sont autant de plans de communication. « Tous nos hôpitaux, toutes nos structures cherchent à recruter, explique Delphine Girard, de la CGT santé. La réalité, c’est qu’elles n’y arrivent pas. » Aujourd’hui, entre 150 000 et 200 000 infirmières diplômées en âge de travailler n’exercent plus, souligne la syndicaliste. Sans compter que beaucoup de jeunes qui souhaitent se former n’y arrivent pas. « Les plans de recrutement ne sont jamais suivis de plans de formation avec des budgets consacrés », dénonce Delphine Girard. Or, d’ici à 2030, ce sont, en plus des besoins immédiats, plus de 220 000 emplois d’infirmières et d’aides-soignantes qui seront nécessaires, dixit France Stratégie.

Derrière les odes aux fonctionnaires, Emmanuel Macron et Valérie Pécresse ont dressé leur feuille de route dans la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en 2021, à l’unanimité des parlementaires LaREM et LR. Marine Le Pen, en s’abstenant lors du vote à l’Assemblée nationale, ne s’y est pas non plus opposée. Et avoue, dans Acteurs publics, ne pas vouloir « modifier les règles en vigueur ». Or, cette loi-cadre, expliquent les syndicalistes, est un véritable « big-bang » comparable à celui de la loi travail dans le privé, et dont la mise en œuvre dans les collectivités et administrations devrait s’étaler jusqu’en 2025.

Supprimer les « petits avantages » des travailleurs de l’ombre

Une loi tentaculaire dont la première attaque a porté sur le temps de travail des fonctionnaires territoriaux, avec le passage aux 1 607 heures obligatoires, l’équivalent de 35 heures hebdomadaires et de 25 jours de congé dans l’année. Alors que, jusqu’ici, les agents bénéficiaient de régimes dérogatoires. Une réforme qui vise à gommer la pénibilité et les spécificités des métiers et qui supprime les « petits avantages » aux travailleurs de l’ombre. À l’instar de ceux qui ramassent, par exemple, les poubelles la nuit, les week-ends, en horaires décalés pour une paie « 25 % inférieure » à celle du privé, lance Thomas Barby, secrétaire général de la CGT Toulouse Métropole, lequel a fait grève durant près d’un mois pour obtenir la reconnaissance de la pénibilité des éboueurs toulousains. Après les communes et intercommunalités, ce sera au tour des départements et des régions de mettre en place cette réforme.

La deuxième étape de la loi dans le moule de laquelle se coulent Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen consiste à modifier le statut général de la fonction publique en code général. Une manœuvre visant à « privatiser très facilement des missions de service public », explique Natacha Pommet, secrétaire générale de la CGT services publics. Et la syndicaliste de prendre l’exemple de l’agent d’une ville qui externaliserait la cantine scolaire : « En perdant son statut de fonctionnaire, l’agent basculerait dans les effectifs de l’entreprise » prestataire, poursuit-elle. Fini l’emploi à vie. Une fois repris, avec son contrat privé, l’ex-fonctionnaire pourrait dès lors perdre son emploi si son entreprise perdait par la suite l’offre publique. Alors qu’aujourd’hui, la collectivité qui privatise le service se doit de trouver à son agent « un autre poste dans la collectivité », poursuit Natacha Pommet.

Les politiques de baisse des dépenses passent aussi par la multiplication des contractuels , souvent moins bien payés. Depuis l’an dernier, les administrations sont autorisées à recruter des contrats de projet, comme dans le privé. Ceux-ci pourront être inférieurs à un an et concerner toutes les catégories hiérarchiques (A, B, C), alors que jusqu’ici, le recours à ces personnels précaires était limité par la loi.

À ce jeu du poker menteur, la promesse d’une hausse du point d’indice apparaît comme une vaste farce, une pure « promesse de campagne », quand durant tout un mandat, le candidat en tête des sondages s’est refusé à une telle concession, la jugeant « bien trop coûteuse », rappelle Céline Verzeletti. Certes, poursuit-elle, l’inflation galopante a changé la donne mais elle sera « minime », prédit la fonctionnaire. La question est désormais d’en connaître l’ampleur, alors que les agents « accusent une perte de pouvoir d’achat de 11,5 % », calcule Natacha Pommet, dont l’organisation revendique une hausse de 10 %, suivie d’une phase de négociation. Les syndicats restent sur leur garde, car rien n’assure que dans trois mois, après les élections, Emmanuel Macron ne se dédira pas en prétextant une situation budgétaire inadéquate.

La crainte est aussi de voir se développer un service public à la carte. Une « différenciation territoriale » appelée de ses vœux par Marine Le Pen, mais aussi par le parti «Les Républicains», et qui consisterait selon Emmanuel Macron à « mettre beaucoup plus de fonctionnaires sur les territoires ». Un discours en écho aux colères des gilets jaunes dénonçant les déserts de service public. Un leurre, pointe Thomas Barby, CGT Toulouse Métropole. Dans sa ville, le maire a « réaffecté les agents » dans de plus petites structures, là où « il n’y a plus aucun service public », à l’image des « maisons de services publics », appelées France Service. Sans nouvelle embauche, sans dotation supplémentaire, les agents devront être ultrapolyvalents, tiraillés entre les ordres de leur direction de service et l’élu en charge du territoire, pour in fine fournir, selon Thomas Barby, un service public « toujours plus dégradé ».


 


 

La gauche veut
plus d’argent et d’agents

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Loin de ses adversaires de droite et d’extrême droite, la gauche veut renforcer les services publics. Le candidat communiste, Fabien Roussel, propose un plan de création de 500 000 postes.

L’adage du mouvement social « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » est constitutif des services publics. De la petite enfance au grand âge, la fonction publique intervient quotidiennement dans la vie de chacun. Mise à l’épreuve durant la pandémie, elle est aujourd’hui des plus affaiblie après des années de politiques d’austérité. Le quinquennat Macron a fait fondre ses effectifs de 70 000 agents territoriaux, après les 85 000 fonctionnaires déjà supprimés sous Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le non-­remplacement d’un agent sur deux. « Nous n’avons jamais eu autant besoin de services publics, utiles et accessibles à tous, qui s’opposent à ces logiques mortifères » de rentabilité des marchés financiers, assure pourtant Fabien Roussel dans son programme.

Au total, le candidat communiste à la présidentielle ambitionne de recruter 500 000 fonctionnaires en cinq ans. 30 000 agents pour une police de proximité et le même nombre dans les services fiscaux pour récupérer les 80 milliards d’euros qui s’évaporent chaque année dans la fraude et l’évasion fiscales. Il souhaite aussi recruter « 50 000 ouvriers, techniciens, ingénieurs » qui « seront nécessaires dans l’énergie, afin de garantir un mix énergétique ». Auxquels s’ajouteront 90 000 postes d’enseignants et 200 000 postes créés, au total, dans les hôpitaux et Ehpad. Le candidat défend aussi une hausse généralisée des salaires de 30 % dans la fonction publique.

Enfin, il table sur la création d’une nouvelle branche de la fonction publique dédiée aux métiers du lien, en soustrayant ces emplois des logiques de marché. Selon son décompte, cette mesure concernerait 1,3 million de personnes et même « 1,8 au terme de (son) mandat » – compte tenu des postes qu’il entend créer –, « protégées par un statut et avec un salaire qui ne sera pas inférieur à 1 700 euros net et 2 100 brut ».

Une santé prise en charge à 100 %

De son côté, Jean-Luc Mélenchon (FI) table sur la création de 15 000 nouveaux postes d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Plus largement, l’insoumis vise le recrutement d’un million de fonctionnaires dans des « secteurs indispensables » tels que l’hôpital, l’éducation ou encore la justice. Les candidats du PCF et de FI se retrouvent sur la nécessité de développer le maillage territorial des services publics. Fabien Roussel promet un établissement de santé « à moins de trente minutes de transport » dans chacun des bassins de vie. Le candidat de l’Union populaire élargit cette mesure à « tous les services publics essentiels ». Anne Hidalgo (PS) entend quant à elle « garantir » pour les cinq prochaines années « la carte des services publics ».

Mais c’est pour les services aux plus jeunes que la socialiste veut porter le gros des efforts. D’abord en poussant de 470 000 à 600 000, en dix ans, l’offre de places en crèche dans un service public dédié à la petite enfance. Ensuite, dans l’école, avec un plan de rattrapage des salaires des enseignants avec des débuts de carrière à 2 300 euros net, contre 1 700 aujourd’hui, couplé à un « plan mixité » dans les départements « permettant de mettre fin aux collèges­ghettos ». L’écologiste Yannick Jadot table, lui, sur une hausse des salaires des professeurs de 20 % sur le quinquennat « pour les situer dans la moyenne des pays de l’OCDE » et sur le recrutement de 65 000 enseignants. C’est 160 000 chez Jean-Luc Mélenchon.

Concernant la santé, Yannick Jadot veut l’embauche de 100 000 infirmiers couplée à la création d’une « réserve » composée des 180 000 soignants « qui avaient rejoint spontanément les hôpitaux pendant la pandémie ». Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon veulent en finir avec le renoncement aux soins pour raisons financières en instaurant la prise en charge à 100 % des dépenses de santé. Sur le volet dépendance des personnes âgées, Anne Hidalgo propose aussi un plan de formation et de recrutement aux métiers du grand âge. Les candidats communistes et insoumis se retrouvent sur l’interdiction des Ehpad à but lucratif.

Fin de l’évasion fiscale

Reste la question du financement. La fondation ultralibérale Ifrap estime, dans une étude pour le Figaro Magazine, les dépenses du programme de Fabien Roussel à 287 milliards d’euros par an, tous secteurs confondus. Le communiste chiffre à 87 milliards son plan global pour les services publics et la Sécurité sociale. Pour le financer, il entend tripler l’ISF, instaurer un impôt plus progressif et porté à 15 tranches, supprimer les niches fiscales et surtout mettre fin à l’évasion fiscale, notamment en introduisant un impôt à la source sur les profits des multinationales. Une logique de redistribution pour financer des services publics, la seule richesse de ceux qui n’en ont pas.

publié le 29 mars 2022

"Mon espace santé" : tout ce qu'il faut savoir sur le carnet de santé numérique

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Après l’échec du dossier médical partagé, l’État lance un nouveau service : « Mon espace santé ». Un outil censé permettre aux Français de stocker et gérer leurs données de santé et de faciliter les échanges avec les professionnels. Le dispositif soulève toutefois quelques interrogations quant au consentement des usagers et à l’accès à leurs informations confidentielles.


 

Ne l’appelez plus DMP. L’acronyme a trop changé de sens : dossier médical personnel, puis partagé et désormais… dirons-nous, perdu. Place à « Mon espace santé », un nouveau service public numérique censé permettre aux Français de gérer et stocker leurs données de santé « en toute confiance et en toute sécurité », et de faciliter les échanges avec les professionnels. Le ministère de la Santé n’hésite pas à parler d’une « nouvelle révolution » du système de santé.

La fin de l’adhésion volontaire

Lancé le 3 février, au lieu de début janvier – un léger retard à l’allumage dû à la cinquième vague de Covid –, ce nouveau service est disponible sous la forme d’un site Internet (monespacesante.fr), en attendant l’application pour smartphone, sur lequel chaque Français peut créer son espace. Ordonnances, comptes rendus d’hospitalisation, résultats d’analyses, etc. Tous les documents médicaux ont vocation à s’y retrouver, à l’initiative des soignants ou de l’assuré lui-même, qui pourra également renseigner ses vaccins, allergies et traitements en cours. Chacun disposera aussi d’une messagerie sécurisée pour échanger des informations avec les professionnels de santé et d’un agenda pour gérer ses rendez-vous médicaux.

Des services qui seront complétés par un « catalogue » d’applications référencées par les pouvoirs publics, par exemple, pour le suivi des maladies chroniques, la téléconsultation ou la prévention. Pour ses concepteurs, cet outil va « favoriser la continuité des soins pour mieux soigner en ville comme à l’hôpital, grâce au partage sécurisé des informations dans le respect des droits du patient ». « Ces différentes fonctionnalités peuvent être intéressantes. Mais c’est un outil qui va nécessiter du temps pour se l’approprier », estime le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, principal syndicat de médecins généralistes.

Cette « révolution », le gouvernement la veut rapide : d’ici l’été, les quelque 68 millions de Français, enfants compris, se verront automatiquement dotés d’un espace santé, sauf s’ils font la démarche de refuser. Car, c’est bien là, la nouveauté de ce nouvel outil : cet espace sera créé automatiquement pour chaque assuré, mais chacun a la possibilité de s’y opposer – il suffit d’en faire part directement sur le site ou en appelant le 3422 –, durant un délai de six semaines à compter de la réception du courrier d’information. Cette logique dite d’opt-out tranche avec les précédentes moutures du DMP, basées sur l’adhésion volontaire (un total de 10 millions de dossiers créés à la mi-2021, bien loin de l’objectif de 40 millions).

Pour Dominique Pon, responsable ministériel au numérique en santé et initiateur du projet, ce service public doit permettre aux patients de devenir « acteurs de leur parcours de soins » et de se voir restituer leurs données. Sauf que cette formule cache un système où le principe du consentement libre et éclairé du patient est mis à mal. « Cette manière de nous forcer la main m’a fait bondir. Cela a de quoi éveiller les soupçons, réagit Lucie, 48 ans, ingénieur informatique. Il s’agit pour moi d’une forme de contrôle de la population. On ne sait pas qui pourra y avoir accès demain. » En outre, « il est compliqué de refuser la création de cet espace. Il faut rentrer un code, qu’il faut demander. Pour cela, il faut déjà savoir aller sur son compte Ameli. Peut-on réellement parler de consentement quand refuser est d’une telle complexité » ?

Des Informations intimes en un seul clic

« Un consentement automatique n’est pas un consentement », déplore d’ailleurs le Syndicat de la médecine générale (SMG), qui évoque un « passage en force » et une négation du droit des patients sur « le consentement libre et éclairé ». D’ici à la fin 2023, selon les estimations de la Caisse nationale d’assurance-maladie, 250 millions de documents seront téléchargés chaque année sur la plateforme. France Assos Santé y voit une « source de bénéfices ». Sauf que l’interface soulève aussi des inquiétudes quant aux données de santé des patients, ainsi qu’au secret médical. « Dans les données de santé, il y a des informations intimes, sur le mode de vie, la sexualité, les maladies contractées, l’état psychique, les IVG pratiquées… La possibilité d’un accès direct à ces données pour tous les professionnels entraîne un risque de mésusage », alerte le SMG pour qui « le droit des patients garanti par le secret médical est directement mis en péril ». Pour Lucie, le risque, « c’est aussi que les patients soient encore plus exclus par le corps médical. On nous vend la plus grande fluidité dans l’accès par tous les professionnels aux examens, résultats d’analyses, etc. Mais, en réalité, les médecins vont encore plus se parler entre eux en faisant fi du patient, à qui ils prendront encore moins la peine d’expliquer ses pathologie et traitements… C’est une forme de dépossession, on devient des objets », soulève cette cadre informatique.

« Sur le papier et dans la communication gouvernementale, cela peut sembler une bonne chose, une avancée, nuance le Syndicat national des jeunes médecins généralistes. Les soignants pourront avoir accès à des données sans demander l’accord des patients. Cela peut être d’autant plus pénalisant pour les personnes plus exposées aux discriminations trans, séropositives, ayant eu un suivi psy, handicapées, etc. Cela peut également être pénalisant pour les personnes en errance médicale, car la demande d’un deuxième avis peut être très mal prise par certains médecins, pouvant aller même jusqu’au refus de soin. » Des craintes balayées par Jacques Battistoni : « Tout le monde n’aura pas accès à tout, hormis le médecin traitant », assure-t-il.

La nécessité d’un accompagnement

Ce que confirme Dominique Pon, expliquant que « le patient peut bloquer un professionnel de santé et masquer des documents ». Sans compter qu’il « y a aussi une traçabilité de tous les accès » permettant au patient de voir quel professionnel a consulté son dossier et quand. Sachant que tous les professionnels de santé n’auront pas les mêmes niveaux d’accès aux documents.

Pour tenter de rassurer quant à la sécurité des données, le directeur général de l’assurance-maladie, Thomas Fatôme, assure que « ni l’État, ni l’assurance-maladie, ni les entreprises, ni les assureurs, ni les mutuelles n’auront accès aux données ». En outre, assure la Caisse, les données seront hébergées par des opérateurs français.

Encore faut-il que l’utilisateur maîtrise le numérique. La Fédération d’association de patients a insisté sur le besoin d’un « accompagnement de proximité des usagers », en particulier pour ceux qui risquent de « se retrouver en difficulté face aux outils numériques » : personnes âgées, en situation de précarité, isolées, en situation de handicap ou encore les exilés… « Le problème, c’est que beaucoup de gens sont éloignés du numérique, notamment ceux qui auraient le plus besoin des fonctionnalités proposées, les personnes âgées, les personnes ayant un handicap, etc. », pointe également Jacques Battistoni.

De leur côté, le ministère de la Santé et la Cnam ont annoncé une vaste campagne de sensibilisation. Sauf que, de communication concrète, il ne semble pas y en avoir eu beaucoup. « Il va falloir faire preuve de beaucoup de pédagogie. Ce n’est pas un sujet facile. Expliquer à quoi ça sert. Il va y avoir besoin de communication », projette le président de MG France. Le risque, au final, c’est que les dossiers créés ne demeurent des coquilles vides.

Comment activer ou refuser son espace santé

Depuis début février, et ce jusqu’à fin mars, chaque assuré social (65 millions, au total) va recevoir un courrier numérique ou postal dans lequel figurera un code d’activation personnel. Pour ouvrir son compte sur « Mon espace santé » ou le refuser, il lui faudra se munir de ce numéro (valable six semaines à compter de sa réception) et de sa carte Vitale. Il est également possible de refuser l’ouverture du compte en appelant le 3422, muni seulement de sa carte vitale. Passé le délai de six semaines, l’espace santé sera automatiquement activé sur le principe de l’opt-out : si le patient n’a pas dit « non », c’est qu’il consent. Il sera toujours possible de clore son espace, mais les données resteront archivées dix ans par l’assurance-maladie.

 


 


 

 

 

Pourquoi s’opposer à la création de Mon Espace Santé ?

sur www.laquadrature.net

Expérimenté depuis le mois d’août 2021 dans trois départements de Métropole, le service Mon Espace Santé (qui prend la suite du Dossier Médical Partagé) a été généralisé à l’ensemble de la population depuis février 2022. Plusieurs associations (comme XY media, Acceptess-T ou le collectif POS) ont très tôt alerté sur les dangers liés à ce nouvel outil. Nous avons passé en revue les fonctionnalités de Mon Espace Santé et force est de constater qu’elles présentent des insuffisances alarmantes en matière de respect du consentement et de gestion des données de santé. De par l’audience large à laquelle il s’adresse et de part la sensibilité des données qu’il manipule, un tel outil du service public se devrait pourtant d’être irréprochable en la matière. À défaut, nous ne pouvons que vous rediriger vers des guides vous permettant de vous opposer à ces traitements de données.

Que contient Mon Espace Santé ?

Pour commencer, faisons un petit tour plutôt descriptif de ce qui est annoncé en terme de fonctionnalités. Mon Espace Santé (aussi appelé Espace numérique de santé dans la loi et le décret qui le créent) se compose principalement de quatre éléments :

* Un Dossier Médical Partagé (DMP), ou espace de stockage et de partage d’informations médicales : il contient les traitements, les résultats d’examens, les antécédents médicaux, les compte-rendus d’hospitalisation, qui peuvent être partagés avec les professionnel·les de santé. Cet espace de stockage permet également de conserver des documents tels que la synthèse médicale produite par le ou la médecin généraliste, le carnet de vaccination ou l’historique des remboursements alimentés automatiquement par l’Assurance maladie (sources). Le Dossier Médical Partagé existait déjà depuis 2011 (sous le nom de Dossier Médical Personnel jusqu’en 2015) mais n’était ouvert que sur demande ; aujourd’hui, il est ouvert par défaut, en même temps que Mon Espace Santé, pour l’ensemble de la population.

Dans l’absolu, cet espace de partage des informations pourrait être une solution pour faciliter le droit d’accès à son dossier médical. Mais ceci impliquerait une mise en œuvre solide et de confiance qui n’est, à notre avis, pas atteinte avec Mon Espace Santé (voir plus bas la suite de notre analyse).

* Une messagerie sécurisée pour échanger avec des professionnel·les de santé. À la création de Mon Espace Santé, une adresse de messagerie MSSanté (Messagerie Sécurisée de Santé) est automatiquement attribuée à la personne usagère et rattachée à Mon Espace Santé. Cette adresse est constituée à partir du matricule INS de l’usagère et du nom de domaine de l’Opérateur de Mon Espace Santé (selon le Référentiel Socle MSSanté). Les messages échangés sont stockés pendant une durée de dix ans, sauf lorsqu’ils sont supprimés directement par l’utilisateur·ice. Ces adresses existaient déjà pour les professionnel·les de santé.

* Un agenda pour suivre ses rendez-vous médicaux et recevoir des rappels.

* Un catalogue de services numériques de santé : concrètement, la personne usagère pourra autoriser des applications tierces à accéder à son espace santé. Ces applications seront validées et autorisées par le Ministère de la santé. Développées par des acteurs publics et privés de la santé, elles incluront des éditeurs de logiciels et d’applications mobiles, des plateformes de télémédecine, des plateformes de prise de rendez-vous en ligne (qui s’intégreront probablement à l’agenda santé), des portails patients des établissements de santé (ETS) et portails de pré-admission, et même des fabricants d’objets connectés. Cette fonctionnalité nous inquiète particulièrement sur le plan de l’accès aux données personnelles, comme nous l’expliquons plus bas.

Enfin, pour accéder à ces différents services, outre un site web, une application mobile sera également disponible. Le développement technique est réalisé par les entreprises privées Atos, Octo, Accenture et Maincare. La société Worldline traite les données du Dossier Médical Partagé au travers de sa filiale Santeos. Les autres données (messagerie, agenda…) sont traitées par la société Atos.

Un recueil accessoire du consentement des personnes

À la création du compte

Pour chaque personne, la création de Mon Espace Santé se fait automatiquement selon un calendrier régionalisé prévu par l’État. Chaque personne est notifiée par courrier postal ou par courriel de la création prochaine de son espace. Elle dispose alors d’un délai de six semaines pour empêcher la création de l’espace en se connectant sur le site. L’espace est donc créé sans le recueil du consentement préalable et explicite de la personne usagère. L’opposition, elle, doit être explicite.

Dans les premières annonces d’ évaluation de la phase pilote, qui a eu lieu à partir d’octobre 2021 dans trois départements, la Sécurité sociale annonçait que « moins de 0.7% des usagers se sont opposés à [la] création [de leur espace santé]. » Mais plus loin on apprenait que seuls 4.8% des personnes ayant un espace santé l’avaient utilisé. Comment savoir donc si les presque 90% restants ont réellement souhaité en avoir un, ou même s’ils ont reçu le courrier ou mail prévenant de sa création (et des possibilités de s’y opposer) ?

Avant même de se poser la question de l’utilité ou non de Mon Espace Santé, on peut dire que les modalités de sa création sont loin d’être respectueuses des personnes auxquelles il est censé simplifier la vie. Passer outre le consentement des personnes au prétexte de « les aider » est la définition du paternalisme et, selon nous, s’oppose aux véritables pratiques de soin fondées sur l’écoute et la considération.

Certes, il est toujours possible de supprimer son compte. Mais, là encore, la personne usagère devra être attentive et suffisamment informée si elle souhaite demander la fermeture de son compte en cochant la bonne case (ses données seront supprimées 3 mois plus tard, à moins d’être supprimées individuellement au sein du profil médical, des mesures santé ou de la messagerie, auquel cas elles seront effacées immédiatement). Nous avons trop souvent dénoncé ce tour de passe-passe lorsqu’il était réalisé par les GAFAM : la possibilité théorique d’effacement ultérieur ne produit aucun effet significatif concret qui pourrait justifier l’absence de consentement préalable. Ce qui est inadmissible pour les GAFAM l’est encore davantage pour un service public traitant des données extrêmement sensibles soi-disant « pour notre bien ».

Dans le partage des données avec les professionnel·les de santé

Une fois créé, l’espace santé a pour but de partager les informations avec le personnel de santé : la personne usagère devra donc autoriser les soignant·es à accéder à tout ou partie de ses informations. Mais, là encore, le recueil du consentement est problématique, pour ne pas dire quasiment factice : une simple case à cocher par le ou la soignante servira de « preuve » que l’on a donné son accord pour qu’il ou elle y accède. Au niveau du service informatique, il n’y a donc aucune procédure pour vérifier qu’il s’agit bien de la personne patiente qui donne son accord, à qui, et quand.
On peut ainsi imaginer qu’une personne mal-intentionnée ait accès au service en tant que personnel soignant et consulte le dossier de n’importe quelle personne dans la base de données. Il lui suffirait de cocher cette case de manière arbitraire et d’accéder à des informations privées. Ce cas est certes déjà possible actuellement sans Mon Espace Santé, à partir des divers bases de données médicales existantes, mais de manière bien plus cloisonnée. Avec un système aussi centralisé que Mon Espace Santé, la possibilité que ce type de scénarios se produise est accrue. On peut aussi aisément imaginer que nombre de personnes soignantes vont considérer que le fait d’avoir pris rendez-vous équivaut à consentir à ce qu’ils ou elles accèdent au dossier du ou de la patient·e : le respect du consentement est encore malheureusement une question épineuse dans le milieu médical où les maltraitances médicales peuvent être nombreuses.

Enfin, une fois l’espace créé, seuls des « motifs légitimes » peuvent être invoqués pour refuser qu’un·e professionnel·le verse des documents en ligne. C’est ce qu’indique en l’article R. 1111-47 du code de la santé publique et rappelé dans la politique de protection des données personnelles : « Une fois votre profil Mon Espace Santé créé, vous ne pourrez pas, sauf à invoquer un motif légitime, refuser qu’un professionnel autorisé ou que les personnes exerçant sous sa responsabilité déposent dans votre dossier médical partagé les informations qui sont utiles à la prévention, la continuité et la coordination de vos soins (article R. 1111-47 du code de la santé publique) ».

Illustration : la configuration par défaut du compte à sa création

Nous avons passé en revue la configuration des paramètres à la création du compte « Mon Espace Santé », et déjà, nous pouvons noter quelques actions effectuées sans l’accord explicite de la personne usagère :

L’attestation de vaccination Covid-19 est automatiquement versée dans le dossier par l’Assurance maladie. Le document est visible par défaut à l’ensemble des professionnel·les de santé. Il est possible de le masquer, mais pas de le supprimer car il a été ajouté par un·e professionnel·le de santé. Il n’est pas possible de s’opposer au versement de ce document, alors que l’Assurance maladie n’a pas été techniquement autorisée à déposer des documents sur ce compte.

En ce qui concerne la configuration des accès aux professionnel·les en cas d’urgence, l’option est activée par défaut à la création du compte. Pour s’en rendre compte, la personne usagère doit se rendre dans la section « Confidentialité » des paramètres de configuration, puis « Accès en cas d’urgence ». Le personnel du SAMU ainsi que « tout autre professionnel de santé » sont autorisés par défaut à accéder aux documents et aux rubriques « Vaccinations », « Historique de soins », « Entourage et volontés » du profil médical. Mais quels contrôles techniques permettent de définir ce qui est une situation d’urgence et débloque l’accès des documents aux professionnel·les ? Et s’agit-il des professionnel·les qui ont d’ordinaire déjà accès à notre espace ? Les informations que nous avons pu recueillir ne nous permettent pas de répondre actuellement à cette question.

Un cloisonnement des informations insuffisant vis-à-vis du personnel soignant

Le décret s’appliquant à Mon Espace Santé prévoit une matrice d’accès différencié aux informations de la personne usagère selon le type d’activité du ou de la soignante. En pratique, le partage par défaut est très large : votre dentiste aura accès à vos résultats de prélèvements sanguins, votre kiné à votre historique de vaccination, votre sage-femme aux données de remboursement, et ainsi de suite.

Le ou la médecine traitante a, quant à elle, accès à l’ensemble des informations contenues dans l’espace santé de ses patient·es.
S’il est possible de bloquer l’accès à un·e professionnel·le de santé depuis les paramètres de l’espace, que se passe-t-il dans le cas où l’on souhaite changer de médecin·e traitant·e ? Ou que l’on souhaite choisir quelles informations partager ? En effet, certains parcours de santé nécessitent la consultation de divers spécialistes aux opinions divergentes pour obtenir un diagnostic. L’accès à certaines informations sur des opérations ne faisant pas consensus parmi le corps médical peut également générer des biais négatifs chez les professionnel·les de santé (par exemple, le recours à une IVG). Enfin, l’accès est partagé pour le service d’un hôpital : impossible dans de ce cas de savoir qui y a vraiment accès (prêt de carte d’accès au système informatique par exemple).

Cependant, il est important de noter que la personne usagère ou qu’un·e professionnel·le peuvent choisir de masquer un document pour le rendre inaccessible aux autres professionnel·les de santé, à l’exception du ou de la médecine traitante, de la personne ayant mise en ligne le document et du personnel intervenant en cas d’urgence. Si ce n’est pour ces larges exceptions, ceci représente un bon moyen de protéger la confidentialité des données au cas par cas. En revanche, il n’est pas possible de supprimer un document déjà versé par un·e professionnel·le de santé.

Il est possible pour les personnes de vérifier qui a eu accès à leurs données : des journaux d’activité enregistrent qui accède à quel document à une date et une heure donnée. La personne usagère peut recevoir des notifications chaque fois qu’un nouvel accès est détecté. Ces journaux permettent donc de détecter un potentiel mésusage de l’accès aux données. Cependant, cette fonctionnalité ne peut aider à protéger les accès qu’après coup : si on se rend compte qu’une personne soignante a eu accès à un document et que cela ne nous convient pas, on ne pourra que limiter ses accès futurs.

Le système de droit d’accès de Mon Espace Santé n’a pas été pensé pour permettre aux utilisateur·ices de gérer simplement et de manière éclairée l’accès à leurs données. On pourrait par exemple imaginer un système où par défaut seule la personne usagère et la liste de soignant·es qu’elle a désignées auraient accès aux documents la concernant, l’usagère pouvant ensuite choisir de démasquer certains documents à d’autres professionnel·les de santé (en bénéficiant par exemple de conseils de la part des soignant·es pour faire ce choix de manière éclairée). Dans ce cas, c’est la personne usagère qui aurait véritablement la main sur ses données, et non pas les professionnel·les de santé comme c’est le cas avec la conception actuelle de Mon Espace Santé.

Une mise en danger du secret médical pour certains ouvrants droits ?

Dans le cas des enfants et des adolescent·es, les ouvrants droits (c’est-à-dire les assuré·e·s) auront accès aux espace de santé des personnes qui leur sont rattachées. C’est-à-dire que, concrètement, toutes les informations de santé de leurs enfants et adolescent·es, ainsi que les rendez-vous et les courriels passant par la messagerie sécurisée leur seront accessibles.

En théorie, certaines infos peuvent ne pas être versées dans le dossier. Par exemple, dans le cas d’une IVG, le ou la soignant·e est en charge d’expliquer et de proposer à la personne mineure de ne pas ajouter les infos de l’IVG dans le dossier. La personne peut répondre qu’elle ne veut pas que ce soit versé. Aucune donnée de remboursement relatif à cet acte ne sera remontée. Cet exemple fait partie des motifs légitimes que peut invoquer une usagère pour refuser qu’un·e professionel·le verse un document sur l’espace santé.

Ceci implique que les soignant·es pensent à demander, et respectent, le souhait des personnes. Or, avec Mon Espace Santé, la quantité des données versées est multipliée et surtout normalisée : par fatigue ou par oubli à force de répétition, il est probable que le consentement pour verser une information dans Mon Espace Santé ne soit pas récolté à chaque fois. De plus, comme le recueil du consentement est oral et informel (il ne laisse donc aucune trace), la décision pourra difficilement être contestée.

Cet outil multiplie donc malheureusement les chances de mettre en danger le secret médical de ces personnes, et potentiellement la sécurité des personnes au sein de leur foyer ou de leur famille : que se passe-t-il si une enfant/ado ne souhaite pas parler d’un sujet (contraception, dépistage de MSTs, grossesse, avortement, transition) avec la personne à laquelle son compte est rattaché (que cela soit par pudeur ou par crainte de violences en représailles) ?

Le dossier Informatique et Libertés fourni par la Délégation du numérique en santé précise par ailleurs que l’opposition à la création du compte Mon Espace Santé appartient aux représentants légaux. Une personne mineure ne peut donc supprimer ou s’opposer à la création de son espace santé.
En revanche, lorsque la personne devient ayant droit autonome, les accès des représentants légaux sont clôturés par le service. La personne peut gérer son compte, le fermer ou le créer s’il n’existait pas avant si elle le souhaite. Notons qu’une personne peut demander, à partir de 16 ans, de devenir ayant droit autonome auprès de la CPAM de son domicile. On peut imaginer que le scénario de clôture des accès des anciens représentants légaux s’applique également dans ce cas.

Par ailleurs, la notion d’ayant droit existe toujours dans certains régimes tels que la Mutualité sociale agricole (MSA) ou le régime local d’Alsace-Moselle (personnes mariées, pacsées, concubines et enfants jusqu’à 24 ans sans activités). La documentation à laquelle nous avons eu accès ne permet pas de dire si les ouvrants droits auront accès aux espaces santé des ayants-droits majeurs. Nous attirons l’attention sur le fait que si tel était le cas, cela représenterait un danger pour les personnes qui vivent des violences ou des conflits dans leur vie familiale (personnes en instance de divorce par exemple).

Enfin, au delà des soignant·es et des utilisateur·ices, des personnes tierces peuvent avoir accès aux données de santé pour des fonctions de support. Les niveaux 2 et 3 de ce support pourront avoir accès aux données de santé. Ceci implique notamment des agent·es de la CPAM et le personnel de prestataires (Atos/Wordline) et de l’hébergement. L’accès aux informations doit en théorie recueillir le consentement de la personne usagère dans le cadre du support, mais là encore impossible d’assurer que ce consentement sera bien demandé et non forcé techniquement. Concrètement, des personnes qui ne sont pas professionnelles de santé peuvent accéder aux informations médicales personnelles des usagères. Mais cela est-il vraiment nécessaire pour une fonction support ? Ceci pose la question également de savoir si les documents sont stockées de manière chiffrée et lisibles uniquement par les personnes habilitées, ou pas. Difficile de répondre à cette question en l’état de nos connaissances.

Un futur écosystème d’applications aux nombreuses inconnues

La description du catalogue de services numériques de santé à venir implique la possibilité d’ajouter des applications d’entreprises privées au sein de l’espace santé. Ceci pose un grand nombre de questions concernant le partage des données d’activités et des contenus stockés dans l’espace santé. Pour l’instant, nous n’avons pas les réponses à ces questions, et nous soulignons notre inquiétude sur ce sujet : comment l’usagère pourra-t-elle déterminer à quelles données l’application accède, et si cela est légitime ? Pourra-t-on limiter les données auxquelles chaque application a accès (comme sur un smartphone) ? Lors des mises à jour des applications, les changements de permissions ou de fonctionnement seront-ils notifiés et comment ? Et enfin, quels usages de nos données feront les « startups » d’objets connectés et autres grandes entreprises et plateformes de prise de rendez-vous (monétisation, profilage) ? Au-delà de ces problèmes d’implémentation, il faut dénoncer la direction générale animée par cette évolution : le remplacement du soin par la technique industrielle.

Un futur accès plus difficile au service public de santé ?

Mon Espace Santé s’inscrit dans une tradition de numérisation et de centralisation en ligne des données : ceci fait du service une cible idéale pour les piratages de données. Le stockage est géré par une entreprise privée. Le code du service n’est ni public ni accessible, ce qui pose la question de la transparence pour un outil du service public.

Nous nous interrogeons, aujourd’hui comme dans un futur plus ou moins proche, sur l’accès à la santé des personnes ne pouvant ou ne voulant pas utiliser ce service de santé. Et si d’aventure nous nous retrouvions dans une situation où il nous est impossible d’avoir rendez-vous sans passer par cet espace ? Ou que nos remboursements sont rendus difficiles sans l’utilisation de cet espace ?

La fiabilité et la sécurité informatique de ce service doivent aussi être considérées : si la plateforme se retrouve la cible d’un défaut de fonctionnement ou d’un piratage, que deviennent alors nos données ? Souvenons-nous du piratage des services de l’AP-HP en 2021 dans le contexte du Covid-19, suite auquel la réponse apportée par les autorités de santé a été insuffisante, voire nulle. Plus récemment encore, les données d’au moins 510 000 personnes ont été volées à l’Assurance maladie via Amelipro. À vouloir faciliter l’accès à la santé en imposant un outil numérique, n’y a-t-il pas erreur sur la façon de procéder ? Autant de questions auxquelles cet outil numérique ne répond pas tout en persistant dans la même direction.

Conclusion

Mon Espace Santé est un service manipulant des données sensibles qui est déployé à l’ensemble de la population française. Or, sa conception et son déploiement ne sont clairement pas au niveau des services les plus respectueux en matière de protection de la vie privée.

Selon le Ségur du numérique en santé, son ambition est de « généraliser le partage fluide et sécurisé de données de santé entre professionnels et usagers pour mieux soigner et accompagner. »

Mais pour cela, les besoins en terme de consentement et de gestion des données des usagères devraient être au cœur d’une expérience utilisatrice respectueuse, fiable et réaliste, ce qui à notre sens n’est pas le cas avec Mon Espace Santé. Sans oublier que ce service s’inscrit dans un processus de numérisation des services publics qui, trop souvent, ne tient pas compte des difficultés d’accès et d’utilisation d’Internet par de nombreuses personnes.

Pour ces raisons, nous ne pouvons que remercier les nombreuses associations qui ont déjà alerté sur ce sujet et, comme elles, vous proposer des guides pour demander la suppression de votre espace santé.

 

publié le 27 mars 2022

Décryptage.
Cette école de la concurrence
que le candidat Macron veut pour les élèves

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Éducation. Le sujet est l’une des priorités du candidat LaRem. Ses propositions visent à réaliser le « marché scolaire » promis en 2017 et esquissé dans un discours à Marseille. En s’en donnant les moyens, cette fois.

Après la conférence de presse du 17 mars, une forme de sidération s’exprimait dans les milieux enseignants. Pourtant, le programme présenté par le président-candidat ne comporte aucune idée nouvelle. Au contraire, il a raclé les fonds de tiroirs pour en sortir les propositions les plus réactionnaires émises pour l’école ces trente dernières années. Mais c’est logique : le reste, son homme de main – Jean-Michel Blanquer – l’a déjà réalisé ou enclenché. Il s’agit donc, dans l’éventualité d’un deuxième quinquennat, de parachever une « œuvre » dont l’aboutissement serait, ni plus ni moins, l’effacement du service public d’éducation au profit d’un marché scolaire.

1. Concurrence à tous les étages

Une large liberté de décision, pédagogique et managériale, pour les directeurs des écoles et établissements ; des recrutements sur profil ; au nom de la « transparence », la publication des résultats des évaluations permettant de comparer classes, écoles et établissements entre eux… Certaines de ces mesures ont déjà été lancées par Jean-Michel Blanquer, mais « là, on passe un cap », estime Guislaine David, porte-parole du SNUipp-FSU (primaire). C’est « une attaque en règle contre le service public d’éducation », abonde Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, « une école où les parents iraient faire leur marché », dénonce Isabelle Vuillet, cosecrétaire générale de la CGT Éduc’action.

Pourtant, « la compétition entre les écoles, ce n’est pas ce que nous attendons », réplique Nageate Belahcen, coprésidente de la FCPE (première fédération de parents d’élèves), pour qui il faut au contraire « offrir à tous les mêmes conditions d’apprentissage ». Pour Guislaine David, « c’est plus facile d’avoir de bons résultats dans une école où il y a peu d’élèves en difficulté. Cette mesure va renforcer la ségrégation, on va vers un système à l’anglo-saxonne ».

C’est en effet le modèle des charter schools (écoles sous contrat) qui est ici poussé, alors que les effets pervers en sont connus : face à la pression du résultat, les enseignants travaillent avant tout… la réussite aux tests. Un « bachotage » généralisé qui devient la mesure de toute chose et favorise le privé – qui, lui, choisit ses élèves.

2. Pour le personnel, c’est marche ou crève

Pour les enseignants, les choses sont claires : « On va augmenter leur rémunération, mais avec de nouvelles missions », a exposé le président-candidat qui, pour faire avaler la pilule, promet d’y consacrer 6 milliards d’euros par an pendant cinq ans.

Parmi ces « nouvelles missions », le remplacement obligatoire des absents, le suivi individualisé des élèves ou la formation hors temps d’enseignement. « Travailler plus pour gagner plus, on a déjà entendu ça », ironise Sophie Vénétitay, qui rappelle que, selon les propres chiffres du ministère de l’Éducation, « le temps de travail des enseignants est déjà de 42,5 heures par semaine ». « Le vrai problème, c’est l’attractivité du métier, complète Guislaine David. Ce n’est pas comme ça qu’on va attirer les jeunes, alors que les démissions explosent et que la baisse des candidats aux concours est telle que le ministère ne veut même plus donner les chiffres ! »

L’idée est à double détente : précariser le métier, et faire croire aux parents qu’on va résoudre le problème des remplacements. « D’après notre recensement, les élèves ont perdu 55 000 heures de cours depuis la rentrée », relève Nageate Belahcen, pour qui la proposition de Macron n’est qu’un « pansement. Ce qu’il faut, c’est une norme nationale qui fixe un nombre minimal de remplaçants sur un territoire ». Surtout, « on va créer des différences de statut entre enseignants, explique Guislaine David. On va généraliser petit à petit les contractuels au détriment des postes statutaires… Ce sera une école à deux vitesses. »

Plus inclusive malgré tout ? Emmanuel Macron fait miroiter aux AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) des contrats de 35 heures par semaine, mais conditionnés à l’acceptation de tâches supplémentaires, notamment dans le périscolaire. « Les AESH ne veulent pas de ça ! » tonne Isabelle Vuillet, en dénonçant un « chantage malsain. Elles aiment ce qu’elles font, elles veulent un temps plein sur l’accompagnement ». Et non devenir les bouche-trous officiels du système.

3. Le « livret ouvrier » de la voie professionnelle

Le lycée professionnel a porté en grande partie la démocratisation du baccalauréat, réussissant à donner une qualification à des jeunes qui auparavant n’y accédaient pas ou peu. Pourtant, derrière un habillage qui parle « d’excellence » et fait miroiter une rémunération payée par l’État pour les lycéens en stage, il s’agit de changer « totalement la logique de formation, en s’inspirant de ce que nous avons réussi sur l’apprentissage », selon Emmanuel Macron.

« Plus de temps en entreprise, donc moins de cours et moins de professeurs », note Axel Benoist, cosecrétaire général du Snuep-FSU. Pour les élèves, moins d’enseignements généraux, donc des possibilités réduites de poursuite d’études et d’évolution professionnelle. Les professeurs, eux, iront faire cours dans les lycées généraux et technologiques, comme l’envisageait dès l’an dernier un projet de décret – alors qu’ils enseignent deux matières et passent un concours différent.

Dans sa « Lettre aux Français » du 15 mars, Emmanuel Macron annonçait aussi « la fin de l’hégémonie des diplômes » à travers un « outil de gestion des compétences » : Pour Axel Benoist, c’est un « retour au livret ouvrier, comme à la fin du XIXe siècle. Les jeunes amasseraient des compétences sur le tas, au fil des stages et des contrats. Ils n’apprendraient pas un métier mais un poste, tout étant déjà productifs ». Une approche « utilitariste », dénonce-t-il, qui cherche avant tout à fournir aux entreprises de la main-d’œuvre pour leurs besoins à court terme.

De son côté, Isabelle Vuillet rappelle les risques et les faux-semblants d’une telle stratégie : « Dans l’apprentissage, les discriminations à l’égard des femmes et des personnes racisées sont monnaie courante. Surtout, on nous vend une meilleure insertion dans l’emploi, mais ce n’est vrai que pour ceux qui vont jusqu’au bout », alors qu’échec et abandon touchent jusqu’à 50 % des apprentis dans certaines branches.

Retraite à 65 ans : Macron promet la guerre sociale aux classes populaires

Bernard Marx sur www.regards.fr

Sans peur et sans reproche, le Président-candidat promet de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Une promesse d’injustice qui repose sur les bobards de l’allongement de la durée de vie et du plein emploi. Bernard Marx vous décrypte tout ça afin de mieux comprendre la portée d’une telle réforme.

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a été celui d’une politique antisociale au service du grand capital, comme on aurait dit autrefois. Quelques « en même temps » lui ont servi de paravent. Surtout, les mobilisations sociales que les injustices ont provoquées et les crises non anticipées, comme celle du Covid, l’ont obligé à plusieurs reculs. Pour le second quinquennat, Emmanuel Macron a mis sur la table un programme encore plus radicalisé, largement commun avec celui de Valérie Pécresse.

C’est un programme de guerre sociale contre les classes populaires autour duquel ils espèrent fédérer les classes moyennes supérieures, les retraités aisés, les milliardaires français et leurs affidés de la finance, des médias et de l’État. Emmanuel Macron veut faire feu sur les « salauds de pauvres », feu sur les enseignants paresseux. Il veut continuer de faire feu sur les droits des chômeurs et le droit du travail. Il veut baisser encore les impôts locaux payés par les entreprises et les impôts payés par les héritiers du haut de l’échelle. Et, pendant ce temps-là, toute cette droite continue d’alimenter les tirs de diversion si dangereux contre les immigrés.

Le recul de l’âge de la retraite à 65 ans est une pièce importante de ce dispositif. Il ne servira pas à équilibrer financièrement le système de retraite français qui le serait sans cette réforme et qui pourrait, en tout état de cause, l’être autrement. Il ne servira pas à dégager des ressources importantes qui sont nécessaires pour financer les transformations écologiques et sociales urgentes de la production et de la consommation. La retraite à 65 ans est une réforme profondément injuste. Elle pénalisera avant tout et surtout les ouvriers, les employés et les classes populaires. Mais les réformes de régression sociale ont aussi pour effet, sinon pour but, d’affaiblir tous les salariés au-delà de celles et de ceux qui en subissent directement les conséquences. La preuve par quelques infographies.

Le graphique, extrait du dernier rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), décrit l’évolution passée et prévisible de l’âge moyen de départ à la retraite dans le cadre des règles actuelles [1]. Comme on le voit, l’âge moyen actuel est un peu au-dessus de 62 ans. Il serait de 63,5 ans d’ici à 2032 pour s’établir ensuite durablement autour de 64 ans. Soit seulement un an de moins que les 65 ans promis comme nouvel âge légal par Emmanuel Macron. Mais cette moyenne cache des différences importantes.

La durée de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein est, en règle générale, de 42 ans pour les générations nées en 1961, 1962 et 1963. La durée augmentera de trois mois par tranches de trois générations annuelles. À partir de la génération née en 1973, il faudra 43 ans de cotisations. D’une façon générale, l’âge de départ où l’on peut bénéficier d’une retraite à taux plein dépend de l’âge de démarrage dans la vie « active » et de la continuité de l’emploi pendant la durée de celle-ci.

Au moment du débat sur la réforme Macron 2020, le COR avait pris trois cas types, c’est-à-dire représentatifs d’une situation sociale : un cadre, un non-cadre et un salarié au Smic. Nés après 1973, ils ou elles sont célibataires et sans enfants, bénéficient d’une carrière continue et liquident leur retraite à taux plein au terme de 43 ans de travail. Le salarié au Smic démarre sa carrière à 19 ans et part en retraite à 62 ans. Le non-cadre démarre à 21 ans et prend sa retraite à 64 ans. Et le cadre démarre à 23 ans et prend sa retraite à 66 ans.

Avec le recul de l’âge légal de la retraite à 65 ans, le cadre « type » ne perd donc rien, le non-cadre perd un an de retraite et le salarié au Smic perd trois ans de retraite. En même temps que le recul de la retraite à 65 ans, Emmanuel Macron promet « la juste prise en compte des cas d’incapacité, des carrières longues ou pénibles ». Une promesse purement verbale puisqu’elle ne dit ni que la prise en compte actuelle est déjà très insuffisante, ni s’il s’agit de maintenir l’âge actuel de départ pour ces cas, ou de le reculer lui aussi de trois ans.

Une injustice multipliée par les inégalités de santé et d’emploi

Le recul de l’âge de la retraite est d’autant plus injuste que, selon que l’on est cadre ou ouvrier, selon que l’on est un homme ou une femme, on ne prend pas sa retraite, en moyenne, dans les mêmes conditions de santé, avec la même espérance de vie en bonne santé et avec le même risque d’être en réalité sans emploi, sans indemnité chômage.

Le tableau publié par la DREES (Direction de la Recherche des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), indique que plus du tiers des ouvriers partent en retraite ou manifestent dès leur première année de retraite des handicaps physiques élevés (14%) ou limités (20%) contre seulement respectivement 2 et 12% pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures. Il montre également qu’après 50 ans, les ouvriers ont en moyenne été en emploi seulement 7,5 ans avant leur départ en retraite contre 11,5 ans pour les cadres. Les premiers ont été, en moyenne, 4,3 ans sans emploi ni retraite. Les seconds 1,4 an. Le recul de l’âge de la retraite aggraverait considérablement tous ces dégâts.

Le bobard de l’allongement de la durée de vie

Le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, a écrit la leçon : « Tant que l’espérance de vie augmente, il faut accepter de travailler plus longtemps ». Emmanuel Macron la récite : « Nous sommes dans une société qui vieillit, C’est une chance, une force de nos sociétés où on améliore le soin, la prévention. Il est donc normal que nous travaillions plus ».

La revue Alternatives économiques a publié une infographie sur la base des calculs de l’économiste spécialiste de la protection sociale, Michael Zemmour. Ils font litière de cette histoire à essayer de faire dormir debout les Françaises et les Français. Malgré les gains d’espérance de vie, les réformes de la retraite déjà mises en œuvre ont entraîné une baisse de la durée moyenne de retraite de plus d’un an pour la génération 1960. Il faudrait attendre les années 2035 (génération 1973) pour retrouver une retraite de la même durée qu’en 2008. La réforme Macron ferait baisser cette durée d’un an et demi supplémentaire pour la génération 1973. Les femmes retraitées nées en 2000 continueraient d’avoir une retraite moyenne de durée inférieure de un an à celles nées en 1953.

Encore s’agit-il de durée moyenne de vie pour l’ensemble des hommes et des femmes qui atteignent l’âge de la retraite. Et non de l’espérance de vie à la naissance. Ni de l’espérance de vie en bonne santé. En 2018, l’espérance de vie à la naissance sans incapacité [2], s’élevait en France en 2018 à 64,4 ans pour les femmes et à 63,4 ans pour les hommes. Elle stagne depuis dix ans. Cela veut dire que moins d’un Français sur deux atteint l’âge de 65 ans en bonne santé. Et pour ceux qui atteignent 65 ans, l’espérance de vie en bonne santé est seulement de 10,5 ans pour les femmes et 9,4 ans pour les hommes.

Mais ça, c’est la moyenne, sans tenir compte des inégalités sociales. Les personnes ayant les retraites les plus faibles ont aussi une santé dégradée plus tôt et des durées moyennes de retraite plus courtes. Les mesures d’âges ont donc pour elles des conséquences encore plus marquées.

Comme le montre les graphiques tirés d’une étude de l’INSEE publiée en 2018, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier de 35 ans et un cadre du même âge est de 6,4 ans pour les hommes et 3,2 ans pour les femmes. Elle n’a pas diminué entre 1970 et 2013. La différence est de 7,3 ans entre les hommes avec un diplôme post-bac et les hommes sans diplôme. Elle est de 4,2 ans pour les femmes. Entre les plus aisés (les 5% de plus hauts revenus) et les plus modestes (les 5% de plus bas revenus), la différence d’espérance de vie est de 12 ans chez les hommes et de près de 8 ans chez les femmes.

Le bobard du plein emploi

En France, rappelle le sociologue Jean-Yves Boulin, selon les études de la Dares (ministère du Travail) sur les conditions de travail, un tiers des personnes âgées de 35 à 55 ans estiment ne pas pouvoir exercer la même activité jusqu’à l’âge de 60 ans. Ce sont même 44% dans l’enquête européenne d’Eurofound sur les conditions de travail (EWCS). La France est en dernière position de l’Union européenne.

Comme l’explique Jean Yves Boulin, « il est difficile de faire le partage entre la perception par les salariés de la soutenabilité de leurs conditions de travail au-delà d’un certain âge, et celle qu’ils ont de leur employabilité du fait des pratiques des employeurs, prompts à licencier les seniors ». Mais « le résultat est, en tout cas, un taux d’emploi de 53,9% des 55-64 ans en France, contre une moyenne de 60,2% au sein de la zone euro ».

Et à l’autre bout, le taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans est globalement dans la moyenne des pays européens, avec qui plus est, des différences importantes de situation selon les études et le diplôme.

L’idée que le recul de l’âge de la retraite à 65 ans puisse dans ces conditions provoquer une amélioration de la situation de l’emploi des seniors et des jeunes est juste mensonger.

Gros dégâts, petits gains

Comme le montre le graphique extrait du rapport 2021 du COR, dans le cadre des règles actuelles la part des dépenses dans le PIB baisse progressivement à partir de 2030. L’augmentation de 2020 est exceptionnelle, due à la chute de la production du fait du confinement. La part des dépenses de retraite dans le PIB devrait retrouver dès 2022 un niveau proche de celui observé en 2019 (13,6% du PIB environ). Et elle baisserait à partir de 2030 principalement à cause de la baisse de la pension moyenne (les carrières étant de plus en plus nombreuses à être incomplètes).

Par rapport à cette évolution le recul progressif de l’âge légal de la retraite à 65 ans ferait de gros dégâts économiques et sociaux. Mais elle rapporterait financièrement assez peu : au maximum 0,7 point de PIB annuel à partir de 2032 soit 16 milliards environ selon Michael Zemmour, comme on peut le voir dans son graphique.

L’Institut Montaigne, très partisan d’un recul de l’âge légal, a lui aussi chiffré le programme Macron. 18 milliards d’euros de baisse à l’horizon 2032, et seulement 7,7 milliards d’euros en 2027. L’économiste Gilles Raveaud pointe bien l’ambition de la réforme : « Mais le problème ce sont les retraités, pas la suppression de l’ISF ni les cadeaux aux entreprises (hors Covid). France, Travaille ! »

La retraite à 60 ans ?

En face, Jean Luc Mélenchon et Fabien Roussel veulent restaurer le droit à la retraite à 60 ans. Jean-Luc Mélenchon veut aussi rétablir la retraite à taux plein pour 40 années de cotisation. Son programme prévoit également de porter au Smic les retraites pour une carrière complète. Et d’indexer les retraites sur les salaires. Fabien Roussel veut revenir à une pension de retraite égale à 75% du salaire net des dix meilleures années. Son programme prévoit également le départ anticipé à la retraite pour les métiers pénibles. Et de faire passer le minimum contributif à 1200 euros.

Selon les chiffreurs du l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, cela entraînerait environ 70 milliards de dépenses de retraites supplémentaires. L’Institut Montaigne a, pour sa part, évalué à 85,8 milliards d’euros annuel le programme retraite de Jean-Luc Mélenchon, et celui de Fabien Roussel à 88 Milliards d’euros. Cela représente, selon les chiffrages, une augmentation des dépenses de retraites de 20 à 25%. Et un déplacement important d’au moins 3 points de PIB. Une partie du financement viendrait de la diminution des coûts du chômage, de la précarité et de la pauvreté des jeunes et du sous-emploi des actifs de 60 ans et plus. À quoi pourrait s’ajouter, selon l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon, des prélèvements supplémentaires sur les revenus salariaux (augmentation annuelle de 0,5% des cotisations retraites, prélèvement sur l’épargne salariale et l’intéressement) et surtout une mise à contribution des revenus financiers de l’ordre de 30 milliards [3].

Analysant les différents programmes de la gauche, l’économiste atterré Henri Sterdyniak alerte : « Les programmes des partis de gauche reprennent les diverses revendications des syndicats et mouvements progressistes, ce qui est légitime, mais cela sans réel arbitrage, que ce soit la hausse du Smic, des salaires des fonctionnaires, la hausse et l’extension du RSA, l’égalité des salaires femmes/hommes, la hausse des emplois publics, la baisse de l’âge de départ à la retraite. Les mesures nécessaires de restructuration de l’économie (comme la réindustrialisation, le tournant écologique, l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises) ne peuvent avoir elles des effets favorables qu’à plus long terme. De sorte qu’un gouvernement de gauche aura le choix entre ne tenir que progressivement ses engagements, ce qui pourrait être considérer comme une trahison ; se retrouver en face de déséquilibres importants, en termes de situation financière des entreprises et de solde extérieur ; assumer frontalement la lutte de classe en réduisant fortement le niveau de vie des classes supérieures, en prenant le contrôle des entreprises, en se heurtant aux règles de la zone euro et de l’UE ».

Cela concerne directement la retraite à 60 ans et les autres mesures prévues par Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel. Les dégâts inégalement répartis d’un recul de la retraite à 65 ans disent a contrario ce que pourraient être les priorités pour retourner vers une retraite à 60 ans.

Notes

[1] L’âge conjoncturel de départ à la retraite mesure l’âge moyen de départ à la retraite une année donnée, en neutralisant les différences de taille de génération.

[2] L’espérance de vie sans incapacité correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes.

[3] C’est-à-dire une sorte de retraite par décapitalisation, qui aurait cependant comme inconvénients de sortir du cadre de la retraite par répartition et d’étatiser le financement. Et de reposer sur une base de financement qu’il faut en même temps réduire par ailleurs de réduire.


 


 

Pour Michaël Zemmour « la retraite à 65 ans, un choix politique, non économique »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

L’économiste Michaël Zemmour décortique la réforme macroniste et met en garde contre ses effets pervers à court et moyen terme. Michaël Zemmour est maître de conférences en économie à l’université Panthéon-Sorbonne

Contrairement à ce que beaucoup de libéraux nous assurent depuis des années, notre régime de retraite n’est pas menacé. L’acharnement de l’actuel président à vouloir repousser l’âge de départ, en cas de deuxième mandat, est donc en bonne partie motivé par des raisons idéologiques.

Comment analysez-vous la rapidité du recul de l’âge de départ à la retraite voulu par Emmanuel Macron ?

L’objectif affiché est de repousser de trois ans l’âge légal de départ, au rythme de quatre mois par an. Cela va concerner des personnes qui se trouvent déjà aux portes de la retraite : imaginez la situation de ceux qui comptaient partir à 62 ans en 2023 et qui vont devoir attendre quatre mois supplémentaires. Quant à la génération née en 1969, elle devra patienter trois ans de plus. C’est une très grosse augmentation.

Pour avoir une idée des conséquences immédiates d’un tel recul, on peut analyser ce qui s’est produit lors du passage de 60 à 62 ans (après la réforme des retraites de 2010 de Nicolas Sarkozy – NDLR). Pour résumer, les gens qui étaient encore en emploi à 60 ans sont restés deux ans supplémentaires.

En revanche, tous ceux qui n’avaient plus de travail à ce moment-là (je rappelle que c’est le cas d’une personne sur deux au moment où elle prend sa retraite) ont vu se prolonger cette période de précarité où le taux de pauvreté est très marqué.

Le deuxième effet produit par le recul de l’âge de départ se situe au niveau des conditions de travail. Avec l’âge, les risques d’incapacité faible ou sérieuse augmentent fortement. Dans le secteur du nettoyage, par exemple, le taux d’emploi chute après 45 ans à la suite de tous les facteurs de pénibilité (troubles musculo-squelettiques, notamment).

Y a-t-il une logique économique derrière la décision d’allonger la durée de cotisation au régime des retraites ?

Selon moi, cette mesure n’est pas une réponse à une nécessité financière : le Conseil d’orientation des retraites (COR) nous explique que le déficit va se résorber de lui-même à l’horizon 2030 et que le régime des retraites n’est pas menacé. Les économies représentées par un passage à 65 ans excéderaient largement ce qui serait nécessaire pour revenir à l’équilibre. En réalité, cette mesure ne répond pas à une logique économique, mais relève d’un choix politique.

Emmanuel Macron cherche soit à réduire les dépenses publiques en tant que telles au nom d’une idée non démontrée selon laquelle une baisse des dépenses serait nécessairement une bonne chose pour l’économie, soit à augmenter la population présente sur le marché du travail (ce qu’on appelle « l’offre du travail »).

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire affirme en substance que « nous rembourserons notre dette publique par la croissance créée par la réforme des retraites ». Selon ce raisonnement, la réduction de la part des retraites dans le PIB, et plus largement de nos dépenses publiques, dynamiserait mécaniquement l’économie. Pour un économiste, c’est une logique curieuse qui ne repose sur aucune démonstration.

Quelles pourraient être les conséquences sociales, à long terme, d’un nouveau recul de l’âge de la retraite ?

Le temps que l’on passe à la retraite a déjà commencé à diminuer, car les précédentes réformes ont reculé l’âge de départ plus vite que nous ne réalisions des gains d’espérance de vie : autrement dit, cette nouvelle mesure conduirait surtout à raccourcir encore la durée de la retraite.

Les salariés atteindront l’âge légal plus tard, et en plus mauvaise santé. Par ailleurs, on sait déjà que nous allons vers un appauvrissement relatif des retraités : le niveau de vie de ces derniers par rapport à celui des actifs sera 20 % plus faible en 2070. En réalité, le vrai sujet, c’est que si l’on ne fait rien, les retraités pourraient connaître l’expérience d’un déclassement demain.

Emmanuel Macron n’essaie-t-il pas de s’attaquer à ce risque d’apauvrissement des retraités en relevant le minimum vieillesse à 1 100 euros ?

Cette proposition est cosmétique. Le gouvernement précise bien que ces 1 100 euros ne seraient accordés qu’aux personnes avec des carrières complètes… c’est-à-dire à des gens qui, très largement, perçoivent déjà ce niveau de pension ! Ce sont les retraités aux carrières incomplètes qui sont les plus pauvres.

Il faudrait prendre de vraies mesures pour s’attaquer au problème en envisageant une véritable retraite minimale, certes plus coûteuse pour les finances publiques. Cela supposerait de redéfinir les conditions nécessaires pour percevoir les minima de retraite : aujourd’hui, ils ne se déclenchent que lorsque l’on part à taux plein. Demain, certaines personnes devront donc attendre 67 ans pour pouvoir les toucher.

publié le 21 mars 2022

Clinéa : la filiale d’Orpea qui profite de la privatisation rampante
de l’hôpital public

par Leo le Calvez sur https://basta.media/

Filiale d’Orpea, entreprise pointée du doigt pour sa gestion des Ephad, Clinéa s’implante dans des hôpitaux publics de villes moyennes. Une « coopération » public-privé dont les conséquences sur les patients et les soignants inquiètent.

Des lits d’hôpitaux en augmentation : le phénomène devient de plus en plus rare. C’est pourtant ce qui doit arriver au centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel, dans la Meuse, où 90 lits et 20 places de jour de « soins de suite et de réadaptation » vont être créés, et deux services spécialisés de soins de suite en cardiologie et en pédiatrie – pour prendre en charge les patients en cours de guérison ou tout juste opérés – seront rénovés. Le tout dans un bâtiment flambant neuf, qui devrait sortir de terre en 2024. Une indéniable bonne nouvelle pour les 40 000 habitants des communes alentour… Problème : ces créations de lits masquent une privatisation rampante de l’hôpital public. Car elles entrent dans le cadre d’un « protocole de coopération » signé mi-avril 2021 entre l’hôpital et Clinéa, une filiale d’Orpea, l’entreprise à but lucratif leader du secteur des Ehpad privés en France.

Cette « coopération » sera encadrée par un « groupement de coopération sanitaire ». Créé en décembre 2021, il réunit Clinéa et le groupement hospitalier de territoire Cœur-Grand-Est, qui se compose de neuf établissements hospitaliers dont celui de Verdun Saint-Mihiel. Ce type d’alliance est « l’outil privilégié dans le cadre des coopérations entre le secteur public et privé », avance le ministère de la Santé. En d’autres termes, il s’agit d’un partenariat public-privé. « Le privé s’affiche comme un créateur de soin pour l’hôpital de Verdun, or nous sommes dans une configuration où ces lits étaient prévus pour le public, mais ils sont transférés au privé », alerte ainsi Guillaume Gobet, ex-délégué CGT au sein d’Orpea. Avec le risque d’un management plus agressif, un plus grand turn-over chez les soignants, des frais en augmentation pour les patients.

Des lits prévus pour l’hôpital public mais transférés au privé

Du côté de Clinéa, tout est présenté comme si le système de santé publique avait nécessairement besoin de s’appuyer sur le groupe privé pour créer ces nouveaux services aux patients. Clinéa « propose des soins sur des territoires plus ruraux, voire délaissés sur le plan de l’offre médicale, permettant ainsi, de contribuer à recréer une offre de proximité autorisée et contrôlée par les agences régionales de santé, en réponse à un vrai besoin », explique la direction, dans un communiqué.

Mais dans le projet de protocole d’accord que basta! a pu consulter, Clinéa apparaît plutôt comme le demandeur : « En 2019, Clinéa a initié un projet de partenariat en matière de soins de suite et de réadaptation et s’est rapproché à cet effet du centre hospitalier de Verdun-Saint-Mihiel. À la suite de cette manifestation spontanée d’intérêt, le [centre hospitalier] a procédé à la publication dans le journal L’Est républicain à la date du 31 juillet 2020, d’un avis de publicité préalable afin de s’assurer de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente avant qu’il procède aux démarches nécessaires au partenariat », détaille le texte. C’est donc après que Clinéa s’est rapproché de l’hôpital que l’appel à candidature a été publié. L’offre est arrivée avant la demande. Et a permis à la filiale d’Orpea de mettre un pied dans l’hôpital.

Marge sur les salaires et risque de turn-over

Il n’y a pas qu’à Verdun qu’une telle privatisation rampante a lieu. En épluchant la carte des groupements de coopérations sanitaires, on voit que le ministère de la Santé et Clinéa multiplient ces partenariats. En 2012, le groupement « Territoire Ardennes Nord » est créé. Clinéa y est actionnaire ainsi que sa maison mère Orpea. Le groupe privé s’installe ainsi au sein de l’hôpital de Charleville-Mézières où elle a en charge les soins de suite et réadaptation. « Je me rends compte que Clinéa a une facilité à se rendre indispensable en arrivant au moment où l’agence régionale de santé (ARS) lance des appels d’offres, estime Philippe Gallais, ancien salarié de Clinéa et délégué à la CGT Santé privée. De son côté l’ARS y voit l’occasion de réduire les coûts. Mais cette habitude de confier des missions au privé met en danger à terme la pérennité de l’hôpital public ».

« Cette habitude de confier des missions au privé met en danger à terme la pérennité de l’hôpital public »

Les soignants appréhendent l’arrivée de nouvelles pratiques dans les ressources humaines, avec des différences salariales et des évolutions de carrières négociées au cas par cas. Chez Clinéa, une infirmière débutante commence à 2100 euros bruts par mois, selon le témoignage d’une salariée de l’entreprise que basta! a recueilli. « Certes, c’est un salaire attractif sauf que chez Clinéa, il n’y a jamais d’augmentation. Il faut aller voir la directrice en entretien et c’est à son appréciation seulement. Alors que dans la fonction publique, c’est automatique », nous explique-t-elle. Philippe Gallais abonde : « Là où le privé se fait le plus de marge, c’est sur la masse salariale ». Le risque, selon Jean-Marc Albert, de la CGT de l’hôpital de Verdun, c’est « le turn-over régulier, car le privé fonctionne en prenant des jeunes diplômés. Ils les mettent en difficulté car ils savent très bien qu’ils ne vont pas y arriver avec leur faible expérience, puis ils mettent fin à leur contrat et en réembauchent d’autres tout juste sortis d’école. »

« Le privé, à la différence du public, considère les patients comme des vaches à lait. Plus il en a, plus il est content. Rien n’est mis sur le volet prévention. Ce qui se joue c’est l’égalité d’accès aux soins », ajoute Jean-Marc Albert. Une chambre individuelle de soins de suite et réadaptation coûte entre 65 et 200 euros par jour selon le type d’établissement de soin, privée ou public. Ni Orpea ni la direction de l’hôpital n’ont voulu donner de chiffres sur le projet de Verdun. Mais une ancienne patiente admise dans un service de soins de suite tenu par Clinéa confie avoir dû batailler pour ne pas sortir de la clinique avec une note trop élevée. « Ils voulaient me faire payer 170 euros par nuit en plus des 68 euros pris en charge par ma mutuelle, soit 3000 euros le mois à payer de ma poche. C’est plus élevé que mon salaire. En négociant avec le secrétariat, j’ai réussi à faire passer ce supplément de 170 euros à 32 euros. Je m’en suis sortie avec 1100 euros pour y être restée un mois et demi, au lieu de 4500 euros. »

Les évaluations de la Haute autorité de santé, cheval de Troie du privé ?

Le groupement hospitalier dont dépend Verdun Saint-Mihiel va-t-il étendre sa coopération avec Clinéa ? Certains soignants le craignent, notamment pour l’hôpital psychiatrique André-Breton, situé sur la commune de Saint-Dizier (Haute-Marne). Car la situation tendue qui y règne est propice à l’arrivée du groupe privé. En cause, une audition de Jérôme Goeminne, directeur du groupement hospitalier, devant le conseil départemental, le 19 novembre 2021, lors d’une réunion avec les élus pour présenter un projet de fusion entre deux établissements hospitaliers. L’hôpital André-Breton a été mal noté par la Haute autorité de santé, il faut donc y remédier, argue Jérôme Goeminne. La solution, pour le directeur, étant la fusion. Et pour la justifier, celui-ci accable les personnels.

« Le directeur a dit que les soignants faisaient faire des siestes aux patients pour pouvoir faire la fête. Il a ajouté que les patients étaient enfermés dans leur chambre, ce qui est faux », illustre Sandrine Roussel-Druart, secrétaire départementale FO Santé. Le 9 décembre 2021, les membres de l’équipe médicale et soignante de cet hôpital psychiatrique ont même rédigé une lettre à l’attention du ministère de la Santé dans laquelle ils expliquent que « de par les propos entendus et vidéos [de l’intervention de Jérôme Goeminne] visionnés dans la population, des centaines de patients se trouvent envahis par un doute, une crainte et une réticence à accéder aux soins ». Ils dénoncent des « propos diffamatoires dont le mobile et la finalité demeurent obscurs ».

Sollicitée, la direction refuse de « [commenter] cette intervention datant d’il y a plus de trois mois maintenant et qui, par ailleurs, n’a été que partiellement relayée » et préfère mettre l’accent sur « les groupes de travail [qui] sont à pied d’œuvre depuis le mois de décembre afin d’améliorer les prises en charge des usagers ainsi que les conditions de travail des professionnels en vue d’une certification de l’établissement ».

Quel lien avec Clinéa ? Une évaluation négative d’un établissement par la Haute autorité de santé peut être l’occasion, pour les directions, de lancer un « protocole de coopération ». « C’est à peu près la même chose qu’il s’était passé à Charleville lorsqu’il y a eu la création du groupement de coopération sanitaire (créé en 2012, dont Clinéa et Orpea sont actionnaires, ndlr). Le bloc opératoire avait été mis en cause par la Haute autorité de santé. Peu de temps après, les membres de la direction ont officialisé la création du groupement. La concomitance des dates m’interroge », ajoute Michèle Leflon, présidente du Collectif de défense des hôpitaux ardennais.

En attendant, Clinéa continue de tisser sa toile et est sur le point d’ouvrir une clinique psychiatrique privée à Toul, d’une centaine de lits. Elle sera « en concurrence avec le centre psychiatrique de Nancy », dénonce un communiqué de la CGT santé Sociale 54. À Verdun, la CGT Santé demande la suspension du partenariat avec Clinéa. L’organisation syndicale « renvoie chacun à ses responsabilités et recommande toutes les précautions nécessaires avant de foncer tête baissée dans un tel projet ». Sauver les territoires ruraux « délaissés sur le plan de l’offre médicale », tel est le principal argument avancé par Clinéa. Les pratiques de maison-mère, Orpea, font pourtant l’objet d’un vaste scandale depuis la publication en février d’un livre enquête consacré à l’entreprise.


 


 

Référendum sur la santé

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Notre système de santé est en train de s’effondrer. Tout est à reconstruire et nous avons besoin d’une politique de rupture avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis plus de trente ans. Dans cette situation, il est indispensable d’exiger que l’État assume ses responsabilités pleines et entières afin d’offrir à la population un accès aux soins égalitaire sur l’ensemble du territoire.

Notre système de santé est en train de s’effondrer. Il y a de moins en moins de médecins généralistes, par ailleurs mal répartis sur le territoire, avec un mode d’exercice libéral qui ne correspond plus aux besoins et surtout qui les occupe à d’autres tâches que la prise en charge de leurs patients. À l’hôpital, la crise liée au coronavirus a mis en lumière le manque de moyens, notamment en personnels et en lits. Aujourd’hui, nous assistons à une fuite des infirmières qui sont très nombreuses à renoncer à leur métier et des médecins qui sont aspirés par le secteur privé. Dans les Ehpad, un très grand nombre d’aides-soignantes abandonnent face à des conditions de travail dégradées et à des salaires de misère.

Tout est à reconstruire et nous avons besoin d’une politique de rupture avec tout ce qui a été mis en œuvre depuis plus de trente ans. Le constat est que notre système hybride mi-public, mi-privé ne permet pas de trouver des solutions, bien au contraire, puisque, d’année en année, nous observons une aggravation des inégalités d’accès aux soins, à laquelle s’ajoute une augmentation du renoncement aux soins pour des raisons financières, face aux dépassements d’honoraires et au reste à charge qui augmentent.

Dans cette situation, il est indispensable d’exiger que l’État assume ses responsabilités pleines et entières afin d’offrir à la population un accès aux soins égalitaire sur l’ensemble du territoire. C’est un impératif et la seule solution est la mise en place d’un service public de santé répondant à l’ensemble des besoins, que ce soit pour les soins de ville, pour l’hôpital ou pour la prise en charge de la perte d’autonomie.

Mais, au-delà de la pétition de principe, comment faire ? Une proposition serait de demander un référendum posant une question simple : les activités de la santé et du médico-­social doivent-elles être exclues du secteur privé à but lucratif ? À la suite du scandale d’Orpea, il est clair que cette question est légitime. À cela s’ajoute le fait que le secteur des cliniques est aujourd’hui contrôlé par des actionnaires français et étrangers, dont l’objectif est le meilleur retour sur investissement… Ce qui est tout simplement antinomique avec les raisons d’être d’un système de santé où, si la question de l’efficacité des dépenses est légitime, l’objectif ne peut être que de répondre aux besoins sans une limitation a priori de moyens qui nuirait au résultat recherché.

Il y a fort à parier que la population validerait cette proposition à une très forte majorité. Cela donnerait une légitimité politique afin de supprimer tout financement par la Sécurité sociale des structures à but lucratif qui, si elles ne changent pas de statut, devraient être alors réquisitionnées, puis intégrées dans le secteur public ou privé à but non lucratif.


 


 

La mortalité infantile
progresse en France

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Les données de l’Insee montrent une augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012. l s’agit tout d’abord du constat de la fermeture massive des maternités. Par ailleurs, la pénurie de médecins a été sciemment organisée depuis quarante ans en diminuant de manière drastique le nombre de médecins formés. Tout cela concourt à une prise en charge dégradée, entraînant des risques importants pour la mère et l’enfant.

Les données de l’Insee montrent une augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012. Près de 70 % des décès sont survenus au cours de la première semaine suivant la naissance, dont environ 25 % au cours du premier jour de vie. Dans l’attente des résultats d’une étude en cours pour en connaître les causes et sans minorer l’importance d’une analyse scientifique de cette situation, il est possible de pointer quelques pistes d’explication.

Il s’agit tout d’abord du constat de la fermeture massive des maternités, dont le nombre est passé de plus de 1 300 en 1975 à 800 en 1996 et à 460 en 2019. Il s’agit d’un processus continu, qui se poursuit. Les motivations des pouvoirs publics interrogent sur leur validité puisque, des années 1980 à 2000, l’argument mis en avant était celui de la sécurité, en affirmant que les petites maternités étaient dangereuses. Depuis, la justification est le manque de médecins accoucheurs disponibles… Il faut souligner le fait que des études scientifiques sérieuses ont au contraire montré que les petites maternités n’étaient pas plus dangereuses que les très grandes. Par ailleurs, la pénurie de médecins a été sciemment organisée depuis quarante ans en diminuant de manière drastique le nombre de médecins formés, ce qui a permis et permet aujourd’hui de fermer des services et des hôpitaux entiers. Depuis plusieurs années, la presse se fait l’écho de la multiplication des accouchements dans des conditions de sécurité inappropriées du fait de l’éloignement des maternités, donc de temps d’accès croissants. À cela s’ajoute la saturation des structures existantes, qui n’assurent plus le suivi mensuel des femmes enceintes, normalement obligatoire, les renvoyant sur la médecine de ville, qui n’a pas les moyens de s’en occuper. De plus, au moment de l’accouchement, comme c’est le cas à la maternité de Saint-Denis, une des plus grosses de France, il est demandé régulièrement aux femmes qui y sont suivies de se diriger vers d’autres hôpitaux par manque de places.

Tout cela concourt à une prise en charge dégradée, entraînant des risques importants pour la mère et l’enfant. Nous pouvons évoquer aussi le démantèlement des services de protection maternelle et infantile (PMI) par de nombreux départements, qui en assurent la gestion depuis les lois de décentralisation. En effet, ce service de santé publique pour le suivi des femmes enceintes et des jeunes enfants a été délaissé du fait de choix idéologiques des élus en place qui n’acceptent pas que la santé soit un service public de proximité gratuit et accessible à tous, notamment aux plus défavorisés. Tout cela montre bien que la santé est une question politique dont les citoyens doivent s’emparer, car ce sont eux les meilleurs experts pour savoir ce qui répond le mieux à leurs besoins.

publié le 13 mars 2022

Fin du port du masque : un calendrier plus électoral que sanitaire

Loan Nguyen suur www.humanite.fr

Covid-19 La reprise épidémique constatée ces derniers jours n’a pas incité le gouvernement, en pleine campagne présidentielle, à revoir sa décision de lever nombre de restrictions sanitaires à partir de ce lundi, quitte à aggraver la situation.

La guerre en Ukraine occupe depuis plusieurs semaines les esprits et les colonnes des journaux partout en Europe, reléguant au second plan l’épidémie de coronavirus, qui continue pourtant de sévir en divers endroits dans le monde. À moins d’un mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a pourtant décidé d’annoncer la levée quasi totale des mesures de restrictions sanitaires pesant sur les Français depuis de nombreux mois. À partir de ce lundi 14 mars, le passe vaccinal ne sera plus exigé dans les lieux où il était requis jusque-là. Seul le passe sanitaire restera obligatoire pour accéder aux hôpitaux, maisons de retraite et établissements pour personnes handicapées. Le port du masque, quant à lui, ne sera imposé que dans les transports collectifs et les établissements de santé.

Un soulagement pour la plupart des Français, soumis à deux ans de restrictions sanitaires et sociales, qui espèrent laisser une bonne fois pour toutes le virus derrière eux. Si la baisse du nombre de décès, des hospitalisations et du taux d’occupation des services de réanimation semble leur donner raison, certains experts alertent néanmoins sur une dynamique de reprise épidémique qui pointe ces derniers jours. L’effet combiné du retour des enfants à l’école et de la circulation désormais majoritaire du sous-variant BA.2, plus contagieux que la forme initiale d’Omicron, explique en partie la reprise épidémique. On en a observé les prémices ces derniers jours, avec 74 818 nouveaux cas constatés jeudi, contre 60 225 une semaine plus tôt.

« Mais cela ne suffit pas à expliquer ce rebond. Le facteur qui semble critique, c’est le changement de comportement des Français, avec une baisse de vigilance sur les gestes barrières et une augmentation du nombre de contacts », expliquaient les experts de Santé publique France, vendredi, appelant à la « responsabilité individuelle » en termes de respect des gestes barrières malgré la levée des restrictions sanitaires. De quoi causer un léger embarras, y compris dans l’état-major macroniste, tiraillé entre l’envie de séduire les électeurs et la réalité des chiffres. Pour tenter de juguler les critiques sur la pertinence de ce calendrier, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé, ce samedi, l’ouverture « dès à présent (de) la quatrième dose aux plus de 80 ans » dans les colonnes du Parisien, tandis que le ministre de la Santé, Olivier Véran, s’est dit « extrêmement vigilant » face au rebond épidémique.

l’Institut Pasteur se veut rassurant

La veille, l’Institut Pasteur avait d’ailleurs mis à jour ses dernières modélisations, notant que cette reprise épidémique anticipée avait lieu plus tôt que ce que l’organisme avait prévu. D’après ses dernières données, le taux d’incidence est resté supérieur à 500 cas pour 100 000 habitants dans la majorité des régions la semaine du 28 février au 6 mars et a fortement augmenté en Martinique, où il atteint quasiment les 3 800, soit une multiplication par 5 en une semaine. Mais l’Institut Pasteur se veut rassurant : explorant plusieurs scénarios où, à partir du 14 mars, les taux de transmission deviennent entre 50 % et 130 % supérieurs aux niveaux de janvier-février, le centre de recherche estime que le nombre de contaminations restera inférieur au pic de janvier dans tous les cas.

Des données encourageantes pour certains experts. « À court terme, on peut espérer en avoir fini avec le Covid parce qu’on observe que le printemps et l’été sont des périodes favorables à la décroissance de la circulation du virus », estime Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie, qui pointe néanmoins qu’un « retour à l’automne » est prévisible. « Ce n’est pas raisonnable de lever ces mesures maintenant », juge en revanche Dominique Costagliola, épidémiologiste, qui regrette que l’annonce même de la date du 14 mars ait été faite « indépendamment de toute référence à un indicateur sanitaire ». « Si l’on voulait prendre des mesures sur la levée des masques, il aurait fallu travailler sur des dispositifs à court et moyen terme pour améliorer la qualité de l’air intérieur », insiste-t-elle, pointant à la fois la nécessité de généraliser les capteurs de CO2 mais également de créer des normes d’aération dans les nouveaux bâtiments. « Là, on condamne les personnes fragiles, qui ne sont pas immunisées malgré la vaccination, à l’isolement. »

#OuiAuMasque et #JeGarderaiLeMasque

« On ressent une inquiétude chez nos adhérents », confirme Pierre Foucaud, président de Vaincre la mucoviscidose, qui déplore l’accès toujours restreint des malades aux traitements par anticorps monoclonaux préventifs. « Il y a certes de moins en moins d’hospitalisations et de décès, mais on a l’impression de faire face à un déni collectif alors que plusieurs dizaines de personnes continuent de mourir chaque jour du Covid et que ces personnes-là sont des personnes vulnérables », précise-t-il, estimant que les décisions gouvernementales poussent les patients atteints de mucoviscidose à l’ « autoconfinement ». Même son de cloche du côté de France Rein, qui accompagne les malades souffrant d’insuffisance rénale. « On comprend que la levée des restrictions sanitaires soit une bonne chose pour la majorité des gens, mais il va falloir appeler au civisme de chacun », souligne Cécile Vandevivère, présidente de l’association. Sur les réseaux sociaux notamment, des appels de citoyens à garder le masque dans les lieux clos par solidarité pour les personnes immunodéprimées circulent depuis plusieurs semaines sous les mots-dièse #OuiAuMasque et #JeGarderaiLeMasque.

« Qu’est-ce qu’on va faire des 300 000 personnes immunodéprimées ? On les enferme ? » tempête Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française des médecins libéraux, qui estime qu’ignorer l’impact de la levée des mesures sanitaires constitue un pari dangereux. Mais, au-delà de l’impact pour les personnes fragiles, le praticien s’inquiète de l’invisibilisation des patients atteints de Covid longs. « Depuis un mois et demi, les Covid longs représentent 15 % à 20 % de ma patientèle. Certains s’en sortent avec uniquement de la fatigue mais d’autres gardent des séquelles neurologiques sept mois après et même au-delà. »

Contaminations le monde n’est pas sorti d’affaire

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a rappelé, le 9 mars, que la pandémie de Covid-19 était « loin d’être terminée » et « ne sera finie nulle part si elle n’est pas finie partout ». L’OMS relève une forte croissance dans le Pacifique occidental.  Au niveau mondial, le nombre de décès a baissé de 8 %.  Dimanche, la Chine faisait état du triplement du nombre quotidien de contaminations par rapport à la veille et procédait au confinement ou au semi-confinement des villes de Shenzhen, Jilin, Changchun et Yanji. En Europe, les autorités allemandes indiquent également que le pays se trouve dans une « situation critique », malgré l’impression partagée dans la population, selon laquelle la pandémie serait « maîtrisée ».


 


 


 

 

 

« On aimerait que les candidats fassent de la santé un enjeu » :
l’hôpital, grand oublié de la présidentielle

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

Ni les importantes mobilisations des soignants, ni les alertes sur la dégradation du système de santé publique, ni même deux années de Covid et de gestion autoritaire de l’épidémie n’ont réussi à imposer la santé comme enjeu d’avenir. Sidérant.

C’était quelques mois seulement après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. En janvier 2018, la France connaissait une grande grève des personnels des Ehpad, en grande majorité des femmes. Le mouvement était soutenu par les familles et l’association des directeurs d’Ehpad. En cause : les conditions de travail, de plus en plus intenables, qui ne permettaient déjà plus de prendre en charge correctement les personnes âgées.

Dures, longues et inédites, les mobilisations n’ont ensuite plus cessé dans la santé. En avril 2018, des personnels de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, près de Rouen, mènent trois semaines de grève de la faim pour demander des moyens et du personnel pour la prise en charge des patients. Leurs collègues de l’hôpital psychiatrique du Havre embrayent, et occupent le toit d’un bâtiment pendant trois semaines. À l’hôpital psychiatrique d’Amiens, un campement de protestation devant l’établissement se prolonge près de cinq mois. C’est dire les difficultés que les personnels connaissent !

En avril 2019, des services d’urgences des hôpitaux parisiens se mettent à leur tour en grève. Le mouvement part de la base, des aides-soignantes, brancardiers, infirmières et infirmiers. Structuré dans le Collectif inter-urgences, il essaime rapidement à travers le pays. En juin, 120 services d’urgences sont en grève, 200 en août (voir notre article). Des médecins et d’autres personnels de différents services hospitaliers créent en parallèle le Collectif inter-hôpitaux.

« Pression financière, détérioration des conditions de travail »

En janvier 2020, 1000 médecins hospitaliers chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives, là encore pour dénoncer la situation de l’hôpital public, à bout de souffle, en manque de moyens et de personnels. « Pour que tout ces médecins responsables de services osent sortir de leur devoir de réserve et osent se confronter à l’autorité gestionnaire toute puissante dans nos hôpitaux, c’était bien que que la situation était devenue intenable, rappelle Agnès Hartemann, chef du service de diabétologie de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpétrière et l’une des coordinatrice du Collectif inter-hôpitaux [1]. Il y avait la pression financière, l’obsession devenue absurde d’un équilibre recette-dépense dans les hôpitaux publics et une détérioration des conditions de travail de tous les métiers de l’hôpital. Et pour autant, au moment de la première vague Covid, toutes ces équipes se sont jetées à cœur perdu dans la vague. »

Le Covid est arrivé, dans un hôpital public et un secteur du soin déjà exsangues. Alors que la cinquième vague « Omicron » entame sa décrue, le quinquennat se termine par des minutes de silence organisées tous les vendredi par les personnels de l’hôpital public. Leur but : alerter, encore et toujours, sur le risque de mise à mort de l’hôpital public. « Aujourd’hui, ce sont les heures sup’ qui font tenir l’hôpital. On appelle les gens en repos pour qu’ils reviennent travailler, témoigne Stéphane Fernandez, infirmier à l’hôpital gériatrique Émile-Roux, dans le Val-de-Marne. Lui et ses collègues ont créé un collectif début février. On voit notre hôpital qui meurt peu à peu. On est gérés par des gens qui sont déconnectés de la réalité du terrain. »

Dans cet hôpital de banlieue parisienne dédié à la prise en charge des personnes âgées, des lits se ferment par dizaines. « En novembre 2021 encore, nous avions une autorisation pour plus de 800 lits, nous dit l’infirmier. Aujourd’hui, nous avons 602 lits sur le papier, mais seulement 528 qui peuvent accueillir des patients, car nous n’avons pas assez de personnels pour ouvrir les autres. » « Les infirmiers s’en vont, constate celui qui gagne 2200 euros nets par mois après 30 ans de carrière. Au lieu de fidéliser les infirmiers présents, il est prévu d’embaucher des intérimaires avec des contrats à 3000 euros par mois. »

« Après la première vague, beaucoup de jeunes sont partis »

Partout, des lits hospitaliers ont fermé en nombre (voir notre cartographie de suivi de ces fermetures). Le phénomène ne date pas du début du quinquennat. Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont disparu en France [2]. La dynamique n’a pas faibli depuis 2017, elle s’est même accélérée après le début de la pandémie. Fin 2016, la France comptait plus de 404 000 lits d’hospitalisation à temps complet. Fin 2020, le chiffre est tombé à 386 835 (les chiffres de 2021 ne sont pas encore disponibles). Soit plus de 17 000 lits d’hospitalisation rayés en quatre ans des tableaux managériaux du ministère et de ses cabinets de consultants. 5700 lits ont encore disparu en 2020, première année de la pandémie. Le nombre d’hôpitaux publics a aussi baissé : on compte 34 établissements de santé publics en moins en cinq ans [3], ce qui ouvre de nouveaux marchés au privé.

La lente destruction de l’hôpital public

Entre 2003 et 2017, plus de 69 000 places d’hospitalisation à temps complet ont été supprimés en France. La dynamique n’a pas faibli depuis 2017, elle s’est même accélérée après le début de la pandémie. Source : Drees

« On cherche aujourd’hui à optimiser le taux d’occupation des lits, et pour cela, il ne faut pas qu’il y ait de marge. Mais avoir des lits d’hospitalisation en nombre suffisant, c’est ce qui permet de ne pas être à flux tendu dans les services, rappelle Pierre-André Juven, sociologue, chargé de recherches au CNRS [4]. Ce qu’on voit depuis plusieurs années, et encore plus depuis 2019, c’est aussi que les conditions de travail indignes sont plus nombreuses et plus fréquentes qu’avant dans les hôpitaux. » C’est l’un des facteurs des vastes mobilisations d’avant la pandémie. « On avait rarement vu des aides-soignants et aides-soignantes, infirmières et infirmiers, se mobiliser aussi largement qu’en 2019, et encore plus rarement des médecins professeurs des universités-praticiens hospitaliers, qui sont tout en haut de la hiérarchie hospitalière, prendre la parole comme ils l’ont fait », relève le sociologue.

Comment le quinquennat de Macron a -t-il répondu à ces mobilisations ? Avant le Covid, fin 2018, la ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, avait lancé une réforme des hôpitaux avec son plan « Ma santé 2022 ». Celui-ci voulait, entre autres, transformer les petits établissements hospitaliers en « hôpitaux de proximité », sans maternité, ni chirurgie, ni urgence. Ce qui venait entériner un phénomène déjà à l’œuvre, et qui s’est amplifié depuis. Cet été et cet hiver 2021, les fermetures des services d’urgences, temporaire ou définitive, se sont multipliées dans les hôpitaux en France, surtout dans les petits centres hospitaliers (voir nos article ici et ici).

Après la première vague, en mai 2020, le nouveau ministre Olivier Véran lançait le « Ségur de la santé », une consultation qui devait dessiner des mesures à prendre pour l’hôpital. Qu’en est-il ressorti ? « Le Ségur n’a rien réglé », juge l’infirmier Stéphane Fernandez. À la suite des ces consultations, le gouvernement a certes décidé de revaloriser les rémunérations pour les personnels hospitaliers, dont 180 euros pour les paramédicaux (infirmières, aides-soignantes…) Mais de l’avis des personnels, c’est loin d’être suffisant. « La focale s’était posée presque uniquement sur les salaires. Là où on parlait au à l’ouverture du Ségur de remettre à plat le système de santé, on s’est finalement retrouvé avec une simple négociation salariale, note Pierre-André Juven. Le Ségur n’a rien décidé sur les conditions de travail en tant que telles. » Résultat : aujourd’hui, un an et demi après le Ségur, les hôpitaux peinent de plus en plus à recruter et même à conserver leurs personnels. « Après la première vague, beaucoup de jeunes sont partis. Ils se sont dit "Pour ce salaire et dans ces conditions, je ne fais pas ma vie à l’hôpital" », témoigne Olivier Costa, aide-soignant depuis 2012 à l’hôpital de la Pitié-Salpetrière, membre du Collectif inter-hôpitaux.

Ne pas laisser les décisions aux seuls managers déconnectés du soin

Au moment du Ségur, les syndicats et les collectifs de soignants avaient pourtant formulé des propositions concrètes qui allaient bien au-delà de la seule question salariale (voir notre article). Le Collectif Inter-hôpitaux (CIH) demandait par exemple une réforme du partage du pouvoir dans les hôpitaux. Pour ne pas laisser les décisions entre les seules mains de managers déconnectés du soin, le CIH voulait ouvrir la gouvernance des établissements aux soignants, médecins comme paramédicaux, en intégrant aussi les représentante des usagers.

« Lors des débats à la télévision, la santé disparaît complètement »

Une autre revendication centrale était de réformer le mode de financement des hôpitaux, pour en finir avec la toute puissance du système actuel dit de « tarification à l’activité » (T2A), mis en place en 2004. Ce modèle de financement rémunère mieux les activités très techniques, comme la chirurgie, et moins le suivi des patients. « La T2A n’est pas du tout adaptée pour les pathologies chroniques, expliquait début février Anca Nica, neurologue au CHU de Rennes. En plus, ce système prétend attribuer un tarif à chacune des activités de l’hôpital, mais certains de ces tarifs n’ont pas changé par exemple depuis 2005, alors que les moyens techniques et les exigences de sécurité ont largement augmenté. Le tarif est donc devenu déconnecté du coût réel. »

Étrangement, après deux ans d’épidémie, les nombreuses mobilisations et alertes sur l’état du système de santé publique, les controverses sur la gestion très verticale de la lutte contre le Covid, n’ont pas, pour l’instant, imposé ce sujet dans le débat politique. Les revendications portées par les soignants sont pourtant toujours d’actualité. Le collectif demande aussi que des ratios de soignants par patients soient définis par les équipes de soin elles-mêmes, pour chaque unité de soin. Pour permettre de recruter 100 000 infirmiers dans les années à venir , le collectif propose d’augmenter le nombre d’instituts de formation d’infirmière et le nombre de places.

« On aimerait que les candidats fassent de la santé un enjeu de la présidentielle, insiste l’aide-soignant Olivier Costa. Il en va de la vie de tout le monde. » « Dans certains programmes des présidentielles, on trouve des volets sur l’hôpital, qui sont certes toujours un peu les mêmes : plus de lits et plus de moyens. Mais il y a une grosse difficulté de l’ensemble des partis politiques à mettre en relation l’hôpital avec la médecine de ville, la santé publique, les inégalités de santé et la santé environnementale. Or, tous ces enjeux sont extrêmement liés, pointe de son côté Pierre-André Juven. Ce qui est terrible, c’est que même si certains des candidates et des candidats parlent de santé, dès qu’on arrive sur les questions qui sont mobilisées lors des débats à la télévision, la santé disparaît complètement. »

publié le 5 mars 2022

Nouvelles révélations sur les Ehpad de Korian et DomusVi

sur www.cgt.fr

Un mois après Les fossoyeurs, le livre choc de Victor Castanet sur les Ehpad d’Orpea, Cash Investigation a filmé en caméra cachée le quotidien harassant des personnels soignants d’un établissement Korian, près de Nantes. Un autre reportage a décortiqué les méthodes immobilières fallacieuses de DomusVi. Triste tableau d’une course au profit, sur le dos de nos ainés.

Les images sont édifiantes. Débordés, contraints de conseiller à une résidente de "faire pipi dans sa protection" car le personnel manque pour l'accompagner aux toilettes, les soignants de l’Ehpad privé Le Ranzay, près de Nantes, doivent s’occuper de 69 résidents. Prix du loyer : 2 856 € par mois.

À raison de 11 résidents par aide-soignant (contre 10 pour 12 au Danemark), comment bien faire son boulot et respecter la dignité de nos ainés dépendants ?

Le reportage réalisé en caméra cachée par Marie Maurice, de Cash Investigation (France 2), dénonce la maltraitance institutionnelle des résidents, faute de moyens humains suffisants.

Un système malade 

Sans diplôme de soignante, sans formation, sans expérience, la journaliste s’est faite embauchée pendant trois jours comme auxiliaire de vie par Korian, leader européen des Ephad privées (4,31 Md€ de chiffre d’affaires en 2021, + 11%) et affectée à des tâches d’aide-soignante ou d’infirmière. Pour 9,58€ net de l’heure. 

Pas d’infirmière pour administrer les médicaments, personnel non diplômé, repas rationnés, effectifs insuffisants : les méthodes de Korian décrites pour maximiser ses bénéfices, au détriment du bien-être des résidents et des conditions de travail des salariés, sont choquantes.

Comme dans le livre Les Fossoyeurs, les questions soulevées se rejoignent, notamment autour des coûts que les deux groupes cherchent constamment à baisser pour augmenter leurs marges.

Pas de croutons

Deux anciens directeurs d'Ehpad affirment que Korian soumet ses cadres à une pression constante pour qu'ils réduisent les coûts et maximisent le bénéfice de l'entreprise : l'un raconte avoir reçu instruction de supprimer les croûtons dans la soupe des résidents pour réaliser des économies ! 

Selon des documents internes à Korian que les journalistes se sont procurés, la direction ne remplacerait que partiellement le personnel soignant en congé. Les kiné et les médecins ne le seraient pas du tout. Korian ferait de fausses déclarations aux autorités de tutelle sur les effectifs afin de maximiser ses dotations publiques (532M€ reçus en 2020 selon le site mis en ligne en réaction à la diffusion de l’enquête).

Interrogé par Élise Lucet, le directeur général France, Nicolas Merigot, a réfuté l'ensemble des allégations. Sur le plateau de l’émission, Sophie Boissard a fait de même : « Nous ne faisons pas de marges sur les dotations publiques », a affirmé la directrice générale de Korian, avant d’annoncer que son groupe allait devenir une entreprise à mission. Pour se racheter une virginité ? 

DomusVi, orfèvre de l’immobilier 

Également épinglé, DomusVi, numéro 3 du secteur (745 M€ de CA), a vu ses méthodes immobilières fallacieuses décortiquées par les journalistes.

Elles consistent à laisser pourrir le parc immobilier loué à des particuliers qui ont investi dans des chambres d'Ehpad achetées à prix fort, puis à quitter les lieux à la fin du bail. Un orfèvre de l’immobilier mais aussi un spécialiste de l’optimisation fiscale via le Luxembourg et Jersey, alors que le groupe percevrait 226 M€ d’argent public par an, selon les calculs de Cash.
Ses dirigeants n‘ont pas voulu répondre aux questions. 

Défaillances des autorités de contrôle 

De leur côté, les Agences régionales de santé ne jouent pas leur rôle de contrôle : devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, S. Boissard a indiqué que son groupe fait l’objet d’un dizaine de 10 contrôles par an. Pas inopinés. 

Emmanuel Macron avait pris l’engagement de mener à son terme un projet social sur la dépendance. Alors que son quinquennat s’achève, ce chantier a disparu de l’agenda présidentiel. 

 

La CGT milite pour la création de droits pour les aidants familiaux de personnes en perte d’autonomie, la création d’un grand service public de l’aide à l’autonomie en établissements ou à domicile avec du personnel formé, qualifié, correctement rémunéré.

La perte d’autonomie et son financement doivent relever de la branche maladie de la Sécurité sociale.

Et le traitement de l’accueil en établissement et de son financement doit être rapidement l’objet d’une loi conformément aux engagements de l’actuel gouvernement.

publié le 1° mars 2022

Ehpad : qui sont les responsables ?

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Au-delà du scandale dévoilé par le livre les Fossoyeurs, de Victor Castanet, il est utile d’effectuer un retour en arrière pour mettre en avant les responsabilités des gouvernements qui se sont succédé depuis le début des années 1990 et qui sont à l’origine de cette situation.

La loi sur les Ehpad a été votée en janvier 2002 sous un gouvernement de gauche avec Bernard Kouchner comme ministre de la Santé. Il s’agissait de l’ouverture de ce secteur au privé lucratif, l’État déclarant ne pas avoir les moyens de répondre aux besoins grandissants du fait du vieillissement de la population. Le groupe Orpea, créé en 1989, a alors pu changer de dimension et en 2003 est apparu le groupe Korian, qui est aujourd’hui le premier opérateur en France dans les Ehpad. Puis de nombreuses autres sociétés se sont développées dans ce qui est appelé la silver economy ou l’or gris. En 2009, sous le gouvernement Sarkozy, deux députés UMP, Censi et Bouvard, font adopter un régime particulier pour les investissements immobiliers dans les Ehpad, ouvrant le doit à une défiscalisation. C’est ainsi qu’étant considéré en tant que médecin comme une personne ayant des revenus à placer, je reçois régulièrement des publicités m’incitant à investir dans, je cite, « un marché porteur du fait de l’allongement de la durée de vie et du vieillissement de la population augmentant considérablement la demande ». Il est ainsi promis des rendements annuels jusqu’à 5 ou 6 % et des réductions d’impôts permises par des dispositifs qui sont de véritables niches fiscales.

Nous ne pouvons aujourd’hui que constater la collusion des politiques avec les groupes privés qui génèrent des bénéfices considérables sur le dos de la Sécurité sociale, des retraités et de leurs enfants, soumis à l’obligation d’assurer le paiement de factures qui se montent en moyenne à 3 000 euros par mois, ce qui est bien au-delà du montant moyen des pensions de retraite. En effet, les ARS sollicitées depuis des années par les syndicats de salariés et les familles n’ont jamais joué leur rôle de contrôle. Cela a notamment été le cas de l’ARS d’Île-de-France, dirigée par Claude Évin, ancien ministre socialiste de la Santé, qui connaissait parfaitement le problème et qui essaie aujourd’hui de se dédouaner par presse interposée. Enfin, l’actuel gouvernement n’a jamais répondu au mouvement initié en 2018 et qui réclamait un encadrement d’un soignant par résident dans toutes les Ehpad, ce qui correspondrait à la création de 200 000 emplois. Donc ils savaient et ils n’ont rien fait. Nous en avons assez aujourd’hui des déclarations de contrition de la part de ceux qui sont responsables de cette situation. Nous demandons des actes et le premier doit être l’exclusion des opérateurs privés à but lucratif de toutes les activités de la santé et du médico-social.

ublié le 27 février 2022

Manifeste pour un service public

plus humain et

ouvert à ses administré.es

https://www.lacimade.org/

Nous, associations de défense des droits humains et organisations agissant en solidarité avec les personnes, françaises ou étrangères, en situation de grande précarité, tirons la sonnette d’alarme quant à certains impacts négatifs de la dématérialisation des services publics sur l'accès aux droits.

Le numérique occupe une place croissante pour l’accès au service public dans des domaines divers allant de la fiscalité à la protection sociale, en passant par les documents d’identité ou les titres de séjour.

Or, si la dématérialisation des démarches administratives peut simplifier les démarches pour de nombreuses personnes, elle peut aussi être une source majeure d’entrave à l’accès aux droits pour d’autres.

Ses effets délétères sont connus et très documentés par nos organisations, mais également par le Défenseur des droits dont le rapport “Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics” soulignait en janvier 2019 le “risque de recul de l’accès aux droits et d’exclusion pour nombre” d’usagers et usagères.

C’est précisément, aujourd’hui, le constat fait sur le terrain par nos différentes organisations.

Des administrations de plus en plus fermées au public

La dématérialisation des services publics entraîne fréquemment, et plus que jamais depuis le début de la crise sanitaire, la fermeture des points d’accueil du public : démarches à effectuer en ligne, rendez-vous à obtenir via le site Internet, etc.

Ces choix politiques ignorent la fracture numérique dont sont victimes les personnes ne disposant pas de matériel informatique, de connexion adéquate, de possibilité de scanner des documents, ou des compétences techniques.

Ce sont les personnes vivant une grande précarité, allophones, âgées, en situation de handicap ou en situation d'illettrisme (4 millions de personnes en France d’après une enquête Insee de 2011), qui se trouvent entravées dans l’accès aux droits.

L’aggravation de la précarité est, en France, l’une des nombreuses conséquences de la crise sanitaire et appelle, pour les personnes qui en sont victimes, un accompagnement renforcé par les pouvoirs publics.

Mais c’est l’inverse qui se produit : la fermeture de trop nombreuses administrations pendant le confinement du printemps 2020 a conduit à l’explosion de la dématérialisation, sans considération sérieuse pour l’impact pour les personnes en précarité. Encore aujourd’hui, la situation sanitaire sert trop souvent à justifier la fermeture au public des portes des administrations, alors que l’objectif de l’entière dématérialisation des services publics préexistait à la crise sanitaire.

L’administration s'éloigne ainsi du public et d’abord de celles et ceux qui en ont le plus besoin : défaut d’alternative physique, absence de dialogue, d’accompagnement et de conseil, interface web complexe ou incomplète, absence de recours dès lors que les démarches en ligne ne peuvent aboutir.

L’invisibilisation du manque de moyens de l’administration

L'ineffectivité de certains services publics dématérialisés entrave l’accès au service public et donc aux droits, y compris pour les personnes tout à fait à l’aise avec le numérique, le plus souvent du fait de l'insuffisance des moyens humains dédiés aux administrations ou des choix d’affectation de ces moyens.

Derrière la modernisation du service public se dissimulent aussi des suppressions de postes ou encore le développement de la privatisation et de la sous-traitance des services, dégradant les conditions de travail de leurs employé·es.

Les usagers et usagères du service public font les frais de ces dégradations, qu’il s’agisse d’accéder aux prestations familiales, à une couverture maladie ou à un titre de séjour.

Dans les préfectures et plus récemment dans les caisses d’assurance maladie ou d’allocations familiales, les personnes sont souvent contraintes d’obtenir un rendez-vous en ligne, via des sites Internet ou des plateformes téléphoniques ne proposant en réalité aucun créneau ou bien en nombre très limité et à des dates très éloignées.

Et comme le souligne un récent rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, les moyens des services “étrangers” des préfectures n’ont pas augmenté à la hauteur des besoins du public au cours des dernières années et ne sont pas affectés en priorité à l’accueil des demandeurs et demandeuses de titre de séjour.

Pour les administrations, la dématérialisation des démarches représente l’opportunité de faire disparaître les files d’attente et de limiter la présence du public dans leurs locaux, évitant ainsi également des situations de tension entre les usager·es et les employé·es.

Mais l’attente est rendue invisible et aucun indicateur ne permet aujourd’hui de mesurer sa durée et l’ampleur des personnes touchées.

Les missions de service public reportées sur le secteur social et associatif

Tandis que des services publics ferment leurs portes, le développement de points d’accueil numérique, comme les bornes numériques ou les Maisons France Service, ne permet pas à lui seul de répondre aux besoins de toutes les personnes bloquées dans leurs démarches. Le développement du numérique se substitue à l’accueil physique alors qu’il nécessite lui-même un accompagnement humain. Les personnes précaires se tournent donc souvent vers les associations, les collectivités territoriales, les centres sociaux, voire par exemple les employé·es de médiathèque pour leurs démarches en ligne.

Nous assistons de facto à l’externalisation des missions de service public en matière d’information, d’aide à la constitution des dossiers et de saisie des demandes pour de nombreuses démarches.

On observe aussi la multiplication d’acteurs privés proposant des services payants d’aide aux démarches dématérialisées (notamment pour l’obtention des rendez-vous en ligne ou l’accès aux prestations sociales).

Des associations, des syndicats ou encore des professionnel·les du travail social accompagnent et accompagneront des personnes dans leur accès aux droits, mais ces démissions du service public excluent toujours un peu plus du droit commun une frange de la population et portent atteinte au principe d’égalité d’accès au service public, ainsi qu’à sa gratuité et sa continuité.

Nos organisations appellent les pouvoirs publics à remettre le principe d'égalité d'accès au service public au cœur de l'organisation des administrations.

Le numérique doit, conformément à l'article 1 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, "être au service de chaque citoyen" et ne "porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques". Pour cela, le maintien d’une alternative au numérique s’impose, conformément à la loi et à la jurisprudence du Conseil d’Etat.

L'accueil physique ne saurait être réservé à celles et ceux ayant réussi à franchir le mur numérique. Nous voulons un service public humain et ouvert à ses administré·es, qui fonctionne pour toutes et tous et qui ne sacrifie personne.


 

Plus de 300 association, syndicats et collectivités ont signé ce manifeste.

la liste est disponible sur : https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2022/02/MANIFESTE_maquette.pdf

publié le 18 février 2022

Services publics :
la Défenseure des droits s’alarme des barrières liées au tout-numérique

Faïza Zerouala sur www.mediapart.fr

Dans un rapport publié mardi soir, Claire Hédon alerte sur les difficultés auxquelles près de 10 millions de personnes sont confrontées dans leurs démarches numériques. Soulignant sa « forte inquiétude », elle pointe l’insuffisance des réponses de l’État.

Il ne faut pas attendre de Claire Hédon, Défenseure des droits, à l’orée de l’élection présidentielle, un commentaire cinglant et frontal envers la politique de dématérialisation engagée par Emmanuel Macron pour « simplifier » officiellement 250 démarches permettant d’accéder aux services publics.

Mais son constat est net : si le basculement dans le tout-numérique est réussi d’un certain point de vue et sur le plan quantitatif, cette politique laisse sur le bas-côté les plus démuni·es face à la chose numérique.

C’est ce volet que l’institution indépendante a choisi d’explorer dans un rapport rendu public mardi 15 février au soir, baptisé « Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? ». En rebond d’un premier rapport consacré au sujet, la Défenseure des droits a en effet souhaité dresser un bilan des améliorations apportées – ou non – en matière d’accès des citoyennes et citoyens les plus fragiles et précaires aux services publics numériques. Elle en tire une « forte inquiétude » et regrette l’insuffisance des réponses de l’État.

En creux, Claire Hédon pointe tous les défauts d’une stratégie qui fragilise une large partie de la population : quelque 10 millions de personnes, selon ses estimations, rencontrent des obstacles pour faire valoir leurs droits. Lors de la présentation de cette étude à la presse, la Défenseure des droits a expliqué que « la dématérialisation est une chance et simplifie pour un grand nombre de personnes l’accès à un certain nombre de droits. Mais pour un certain nombre de personnes, ça va être compliqué, ça les éloigne à cause de difficultés techniques. » Sachant que 15 % des foyers ne sont pas équipés d’Internet à domicile. La pandémie a aussi révélé l'ampleur de cette fracture numérique.

Elle a été frappée par le fait que les délégués territoriaux lui ont raconté avoir eu « en face d’eux des réclamants épuisés, énervés, en colère parce qu’ils n’arrivaient plus à joindre personne… »

Claire Hédon a ainsi dénombré, en 2021, 90 000 saisines de son institution relatives à ces difficultés d’accès aux services publics (contre 35 000 en 2014), sur 115 000 reçues en tout.

Et de citer des exemples concrets d’entraves. « Nous avons des réclamants qui mettent six mois, un an, 18 mois à obtenir leur pension de retraite et qui se retrouvent sans rien pendant tout ce temps-là. » Alors que l’État fait tout pour encourager le dispositif Ma prime rénov’ qui vise à aider les ménages à améliorer l’efficacité énergétique de leur logement, le choix d’une procédure exclusivement numérique complique l’accès. Certaines personnes ratent des convocations de Pôle emploi, exclusivement envoyées par voie électronique, et se retrouvent radiées pour avoir manqué sans le savoir des rendez-vous avec leur conseiller ou conseillère.

La Défenseure des droits déplore qu’« on demande à l’usager de s’adapter au service public, [alors que] l’une des règles du service public, c’est de s’adapter aux usagers. Là, il y a un renversement : l’usager doit savoir faire et la responsabilité finale du bon fonctionnement de la démarche lui incombe ». 

Dans l’introduction du rapport, Claire Hédon rappelle un autre paradoxe. « Les démarches numériques apparaissent comme un obstacle parfois insurmontable pour les personnes en situation de précarité sociale alors même que ce sont celles pour lesquelles l’accès aux droits sociaux et aux services publics revêt un caractère vital. » Le risque : aggraver encore le phénomène de « non-recours » (voir notre article sur le RSA).

40 % des sites publics accessibles aux personnes en situation de handicap

Les personnes âgées, étrangères et détenues sont particulièrement vulnérables aux effets de cette dématérialisation. Faute de parvenir à décrocher un rendez-vous en préfecture pour le renouvellement d’un titre de séjour, certaines se retrouvent sans récépissé et ont pu perdre leur emploi.

Claire Hédon tient à souligner que « chacun d’entre nous peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne, ne pas parvenir à joindre un agent, échouer à dénouer un problème, faute de dialogue ».

Daniel Agacinski, délégué général à la médiation, relève aussi, avec malice, que les sites sont plus ou moins accessibles selon leur objet : les services fiscaux le sont davantage que les sites de prestations sociales ou des préfectures.

Claire Hédon souligne toutefois une amélioration pour les personnes en situation de handicap : « 40 % des sites internet publics leur sont accessibles, même si ça veut dire que 60 % ne le sont pas. Mais c’est un progrès par rapport à notre dernier rapport, où c’était 12 %. Mais on n’est pas du tout encore 100 % accessibles. »

La dématérialisation doit se faire au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie.

Des solutions contre l’exclusion ont été proposées, comme les espaces France Services, mis en place pour garantir un accès aux services publics. Mais là encore, la Défenseure des droits pointe l’un des défauts majeurs du dispositif : les agent·es présent·es ne sont pas formé·es à tous les services et peuvent se trouver démuni·es face à certaines démarches complexes. « Ce n’est pas notre rôle de les évaluer mais ce serait bien que ce soit fait… », recommande Claire Hédon.

Le manque de vacataires, pour cause de difficulté à les recruter, s'avère une source d’inquiétude. La Défenseure des droits a d’ailleurs indiqué garder un œil sur les acteurs privés qui capitalisent sur les difficultés de certain·es à réaliser des démarches (comme nous le racontions ici). « Je suis choquée par ça, l’accès aux services publics doit rester gratuit. » Il revient à la répression des fraudes d’agir, précise Daniel Agacinski.

Autre regret : la plateforme Solidarité numérique, créée pour lutter contre l’illectronisme, vient de fermer ses portes. Les Passes numériques sont tout de même considérés comme une amélioration.

Pour rectifier la situation générale, la Défenseure des droits formule des préconisations et souhaite s’appuyer sur deux jambes « pour contribuer à ce que la dématérialisation se fasse au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie d’entre eux ».

Cela passe, selon elle, par un maintien du double accès aux services publics, le numérique ne pouvant être l’unique voie. Cet « omnicanal » (numérique, téléphone, courrier, guichet) n’est pas assez développé. Il faudrait également associer les usagers et usagères précaires à la conception des sites internet pour qu’ils soient accessibles à tous et toutes, engager un travail collectif pour « le droit à la connexion », renforcer les effectifs dans les préfectures débordées, permettre à chacun·e de se rétracter sur la dématérialisation des échanges avec les administrations.

La Défenseure préconise aussi de maintenir un contact sous forme de papier pour les démarches comportant des délais ou des notifications d’attribution, de révision ou de retrait de droits pour qu’aucun choix ne reste figé.

publié le 17 février 2022

Académie des sciences.
De l’avenir de la vaccination
dans le contrôle de la pandémie

Sur www.humanite.fr

Un an déjà d’une campagne vaccinale massive contre Covid-19, du moins dans les pays nantis. Pour Philippe Sansonetti, il est temps d’en faire le bilan – succès sans appel, mais aussi faiblesses – afin de clarifier ses objectifs et proposer des pistes face à une pandémie d’une complexité inédite.

Médecin et biologiste, professeur à l’Institut Pasteur, titulaire de la chaire « microbiologie et maladies infectieuses » du Collège de France (2007 à 2020), Philippe Sansonetti est membre de l’Académie des sciences. Ses travaux pionniers sur les bactéries pathogènes l’ont amené à développer des stratégies vaccinales, dont il est un éminent spécialiste.

Dans le cadre de notre partenariat avec l’Académie des sciences, des académiciennes et académiciens analysent et apportent leur éclairage sur les grands enjeux du monde contemporain au travers de questions scientifiques qui font l’actualité.

Deux ans déjà… l’Europe, la France se préparaient – ou «s’impréparaient» ? – à une « tempête parfaite ». Covid-19 est la pire pandémie depuis la grippe espagnole de 1918-1919. « Tempête parfaite », car l’association de trois paramètres a causé une pandémie responsable d’un chaos planétaire. Transmission aérienne particulièrement efficace, même par des sujets asymptomatiques ; pourcentage de morbidité important et mortalité significative affectant surtout personnes âgées et fragilisées par des comorbidités ; betacoronavirus causal (Sars-CoV-2) présentant un fort taux de mutation générant des génotypes variants pouvant modifier à tout moment le profil épidémique.

Il devint clair, dès début mars 2020, que seul un confinement strict et prolongé pouvait contenir la pandémie, avec pour objectif essentiel de sauver des vies et de préserver le système hospitalier et les personnels de santé menacés de submersion.

À la suite du déconfinement, il apparut qu’il serait difficile à notre société de s’inscrire dans un contrôle rigoureux de la pandémie basé sur la distanciation physique, le port du masque et la fameuse triade « tester, tracer, isoler », et que seule la vaccination permettrait d’émerger de cette crise. Et vaccins il y eut, dans des délais inconcevables auparavant : moins d’un an pour leur mise à disposition dans le temps d’une épidémie.

Un an déjà d’une campagne de vaccination massive contre Covid-19, du moins dans les pays nantis. Il est temps de faire un bilan de ses résultats, d’en analyser les forces, d’éventuelles faiblesses et d’en clarifier les objectifs. Deux vaccins ont principalement été utilisés dans les pays occidentaux : un vaccin adénovirus recombinant et un vaccin « acide désoxyribonucléique messager » (ARNm) dérivant de recherches sur l’immunothérapie personnalisée du cancer. Tous deux exprimant la protéine S (protéine de spicule du virus lui permettant de se fixer à son récepteur) cible principale de la réponse immunitaire. Ils sont adaptés au développement « en urgence » de vaccins contre des épidémies virales émergentes et ils suscitent la production d’anticorps IgG neutralisant l’entrée de Sars-CoV-2 dans les cellules à des titres équivalant à ceux observés dans l’infection virale naturelle.

Les limitations de l’ARN messager

Les vaccins ARNm ont progressivement pris le dessus du fait d’un taux de protection un peu supérieur et d’une meilleure tolérance. Mais ils souffrent d’une limitation : la nécessité d’une conservation à l’état congelé, handicap pour leur déploiement dans les pays à faibles ressources – en particulier en Afrique intertropicale –, où le taux de couverture vaccinale est encore inférieur à 10 %. Des solutions adaptées doivent impérativement être trouvées, ne serait-ce que par équité.

Ceci est d’autant plus urgent que le bilan de cette première année de campagne dans nos régions est un succès sans appel en matière de protection contre les formes graves de la maladie. Il suffit de constater que plus de 90 % des patients hospitalisés en unités de soins intensifs sont non vaccinés. La vaccination a donc largement protégé la population à risque, sauvé nos systèmes de santé et protégé contre des confinements prolongés – ce qui a sauvé nos économies, évité les désastres sociaux et sauvegardé autant que possible la santé mentale, en particulier des jeunes très malmenés.

Cette analyse permet néanmoins d’identifier des faiblesses concernant les vaccins ARNm. D’abord une limitation de durée de la production à des titres élevés d’anticorps IgG neutralisants. Si elle ne remet pas pour l’instant significativement en cause la protection contre les formes graves de Covid-19, même dans le contexte des variants Delta et Omicron, le risque existe d’une perte progressive d’efficacité par la survenue de nouveaux variants. Cette baisse des titres d’anticorps est à la base de la nécessité d’une injection de rappel, mais combien de rappels seront nécessaires ? Il y a là un sujet de recherche visant à améliorer la réponse mémoire et à renforcer les réponses cellulaires qui s’ajoutent à la neutralisation par les IgG en générant des lymphocytes T spécifiques qui détruisent les cellules infectées, offrant une immunité de stérilisation.

Combiner vaccins muqueux et systémiques

Leur autre point faible est leur insuffisance à contrôler efficacement la transmission, donc la circulation de Sars-CoV-2 dans la population vaccinée. Il a été révélé par l’émergence des variants Delta et Omicron hyper-transmissibles et qui montrent une certaine dérive antigénique par rapport au virus initial. Cette faiblesse est surtout due au fait qu’un vaccin intramusculaire stimule faiblement la réponse immunitaire muqueuse, dont la fonction est de protéger contre l’entrée des pathogènes à la surface de nos muqueuses, en particulier respiratoires. Ceci implique une classe particulière d’anticorps sécrétés activement par les épithéliums : les IgA sécrétoires. En position d’interception précoce du virus, elles en réduisent la réplication virale, bloquant ainsi la transmission interhumaine.

La stimulation de l’immunité muqueuse nécessite une immunisation au niveau muqueux. Une gamme de vaccins candidats à l’immunisation nasale anti-Covid est actuellement à différents stades d’études précliniques et cliniques, plusieurs issus de laboratoires français. Il est urgent de soutenir la validation des plus prometteurs. Il n’est pas certain qu’il faille en attendre une protection aussi efficace que les vaccins systémiques actuels, mais il s’agit plutôt de les envisager dans une combinaison synergique « vaccin muqueux-vaccin systémique » afin de consolider protection clinique et contrôle des symptômes résiduels observés du fait de la persistance de la circulation virale. Alternativement, le maintien d’un titre élevé d’IgG neutralisantes induites par le vaccin administré par voie intramusculaire permettrait de pallier partiellement la faiblesse de l’immunité muqueuse, car ces anticorps sériques peuvent transsuder passivement à travers la muqueuse.

Devant cette situation en constante évolution, il est important de clarifier les objectifs de cette campagne vaccinale sans précédent. Voulons-nous continuer, dans l’esprit initial, à prévenir les formes graves de la maladie ? En résumé, assurer une protection « anti-maladie » aussi large que possible à la population et préserver nos systèmes de santé et leurs personnels d’une pression rapidement insoutenable, sans parler des « dommages collatéraux » sur la prise en charge des autres pathologies. C’est la formule « vivre avec le virus ». Pourquoi pas ? Alors, avec les vaccins actuellement disponibles, cela implique d’assumer collectivement la persistance de la circulation virale, surtout si de larges « poches » de non-vaccination demeuraient dans nos régions et a fortiori au Sud, entretenant le risque d’émergence régulière de variants d’équilibre « transmissibilité-virulence » imprévisible. C’est donc assumer en pleine connaissance de cause le fait que Covid-19 acquière un profil endémique avec sans doute une rythmicité saisonnière, ou que l’émergence de variants nécessite un réajustement du vaccin. À terme, l’équivalent de la grippe saisonnière.

L’exemple éclairant de la rougeole

Il faudra aussi vacciner les enfants chez qui Sars-CoV-2 circule de plus en plus intensivement et y accroît la morbidité. Au moins ceux de 5 à 11 ans dont la couverture vaccinale, en l’absence d’encouragement, demeure désespérément faible (inférieure à 5 %) alors que l’incidence des syndromes inflammatoires multisystémiques y a été multipliée par 4 en comparaison de la vague du printemps 2020. Sans parler du chaos dans l’école primaire du fait de la situation inextricable causée par les variants.

Ajoutons que de nouveaux vaccins pourraient à court terme devenir disponibles, capables, en rappel, d’améliorer le niveau et la durabilité des titres d’anticorps neutralisants, comme les vaccins à sous-unités associant protéine S purifiée et adjuvant. La mise à disposition progressive de médicaments efficaces pourra aussi rapidement s’insérer dans le dispositif global, en particulier chez les plus fragiles et les malades immunodéprimés.

Veut-on faire mieux ? Certainement pas espérer atteindre l’éradication du virus – comme ce fut le cas avec l’élimination vaccinale de la variole – car plusieurs exigences ne sont pas remplies. Au mieux on peut espérer une « élimination de la maladie » en atteignant la fameuse immunité collective. Si l’on considère le cas de la rougeole qui, comme le Covid-19, a une forte transmissibilité aérienne, le maintien d’un taux de couverture vaccinale très élevé (95 %) est requis et assure l’élimination de la maladie chez les enfants, car le vaccin vivant atténué de la rougeole stimule de fortes réponses anticorps et cellulaires, il bloque la circulation virale, l’immunité produite dure toute la vie et ce virus est génétiquement stable comparé à Sars-CoV-2. On voit dès lors le chemin à parcourir pour l’élimination de ­Covid-19, qui apparaît à ce stade comme un horizon par définition fuyant. Association vaccin muqueux-vaccin systémique, rappels réguliers avec des vaccins éventuellement réajustés, action à l’échelle de la planète : nous n’y sommes pas…

Faisons néanmoins un rêve. Et si une large couverture vaccinale systémique et le taux d’attaque très élevé de la maladie naturelle essentiellement bénigne, actuellement observée chez les sujets vaccinés, s’associaient pour produire cette combinaison « immunité muqueuse-immunité systémique » bloquant la circulation virale… et qu’elle nous procurait cette immunité collective éliminant la maladie ? Bel exemple de collaboration science-nature… Le génie des maladies infectieuses reste impénétrable.

HOMMAGE

Jean-Paul Laumond, l’un des grands pionniers de la robotique en France (voir l’« HD » 782 du 18 novembre 2021), a disparu le 20 décembre 2021. Membre de l’Académie des sciences, il en était depuis mars 2021 le délégué à l’information scientifique et à la communication, et à ce titre cheville ouvrière du partenariat avec notre hebdomadaire. Nous tenons à lui rendre ici hommage.

EN SAVOIR PLUS

« Tempête parfaite. Chronique d’une pandémie annoncée », de P. Sansonetti, éditions du Seuil, 2020, 180 pages, 17 euros.

« Vaccins », de P. Sansonetti, éditions Odile Jacob, 2017, 224 pages, 21,90 euros.

« Le Retour des épidémies », collectif, présenté par P. Sansonetti et dirigé par A. Guilbaud, PUF laviedesidées.fr , 2015, 112 pages, 9,50 euros.

publié le 13 février 2022

Les urgences du Centre Hospitalier de Perpignan entrent en grève

sur https://lepoing.net

À bout face au flux tendu permanent, le personnel des urgences du Centre Hospitalier de Perpignan se lance dans une grève illimitée à partir du vendredi 11 février, avec deux des syndicats de l’établissement.

L’installation dimanche 6 février d’une tente sur le parking du service pédiatrie du Centre Hospitalier de Perpignan pour l’accueil de patients dans des urgences complètement débordées aura mis le feu aux poudres. Tout comme celui de Montpellier, le service des urgences est dans une situation de flux tendu permanent, devenue insupportable. Depuis, médecins, infirmiers, agents, aides-soignants se retrouvent devant l’établissement pour un rassemblement revendicatif, tous les soirs, avec une minute de silence en signe de deuil d’un hôpital public sans burn out pour les salariés, capable d’offrir une certaine qualité de soins.

Depuis, la mayonnaise de la mobilisation est montée : deux préavis de grève illimitée ont été déposés par les syndicats du Centre Hospitalier. La CGT appelait aux arrêts de travail pour le personnel soignant dès le vendredi 11. Force Ouvrière, de son côté, a déposé le sien sur une période qui démarre au samedi 12 février, mais appelle tous les agents du service des urgences, soignants ou pas, à prendre part au mouvement social. De nombreux agents
grévistes sont néanmoins réquisitionnés, et donc forcés de continuer à faire tourner les urgences, comme le permet la réglementation en vigueur sur les mouvements sociaux en milieu hospitalier.

La direction de l’établissement, rencontrée jeudi par des salariés mobilisés, a promis de mettre en place des groupes de travail pour étudier des solutions pour réduire le temps de séjour moyen aux urgences, et donc désengorger le service. Ce qui n’a apaisé ni les grévistes, ni leurs syndicats, qui de leur côté préfèrent revendiquer plus de moyens pour permettre à la prise en charge en urgence de se reconnecter à un minimum de contact humain.
Un rassemblement est prévu entre 11h et 15h ce samedi 12 février, sur le rond-point à l’entrée de l’hôpital.

 

 

« Parfois, le 15 sonne dans le vide, c’est impensable »

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

À Perpignan, les personnels de l’hôpital public sont en grève illimitée depuis ce vendredi. Un mouvement parti des urgences où les salariés dénoncent un sous-effectif catastrophique qui dégrade leurs conditions de vie et de travail et empêche un accueil digne des patients. Entretien avec Daniel Maïquez, secrétaire adjoint du syndicat CGT de l’hôpital de Perpignan.

Ce vendredi, a débuté à l’hôpital de Perpignan un mouvement de grève illimitée. Quelle est la situation ?

 La coupe est pleine. Ce mouvement est parti du service des urgences, son accueil physique mais aussi le Samu. La situation est tellement dégradée que la semaine dernière, la direction de l’hôpital a décidé de transformer la salle d’attente des urgences pour y installer des lits d’aval. Résultat, les pompiers nous ont fourni trois tentes qui ont été installées devant les urgences, pour réceptionner les patients. Des patients qui attendaient dehors, dans le froid, sur le bitume. C’est inadmissible. La situation a échappé à tout le monde. Les tentes ont été démontées mardi, mais les problèmes demeurent. Ils sont structurels et ne sont pas du tout liés à la pandémie. Aux urgences, il n’y a tout simplement pas assez de soignants, pas assez de médecins pour poser des diagnostics, pas assez de lits pour accueillir tout le monde dignement, le matériel est vieillissant… bref, rien ne va plus. Et pourtant, à Perpignan, aucun lit n’a réellement été fermé.

Quel est l’état d’esprit des agents deux après le début d’une crise sanitaire historique ?

 Les agents ont passé toutes les vagues successives. Ils ont tenu, se sont démenés et se sont montrés très volontaires. Mais là, ils sont tout simplement à bout. Certains sont en arrêt, d’autres ont quitté l’hôpital et les quelques recrutements récents n’ont pas permis de couvrir les besoins. Le personnel accumule les heures supplémentaires mais ils veulent juste avoir une vie normale, une vie correcte. Ils se sentent comme les premiers esclaves de la cordée. Au Samu par exemple, il manque actuellement un temps plein de médecin pour la régulation. Concrètement, cela signifie que les appels au 15 ne sont pas régulés en temps et en heure, et parfois même, n’aboutissent pas. Ça sonne dans le vide. C’est impensable.

Quelles sont les grandes revendications que porte ce mouvement de grève ?

 Nous exigeons des professionnels en nombre suffisant pour pouvoir soigner et diagnostiquer correctement. C’est un minimum. Il est urgent de remettre le patient au cœur de l’hôpital public et d’en finir avec cette gouvernance par les coûts. La santé a été marchandisée. En face, nous ne cesserons de répéter que l’hôpital n’est pas une marchandise. La mobilisation fonctionne. Tous les soirs par exemple, à 19 h 15, les personnels qui ne travaillent pas se retrouvent devant l’établissement pour une minute de silence en hommage à la mort de l’hôpital public.

Quelle est la position de la direction ?

Elle a reçu les grévistes et va à nouveau les recevoir, mais le directeur de l’hôpital a été clair : il ne pourra pas aller au-delà de ce qu’on lui demande dans le cadre de la gouvernance hospitalière. Quant à l’Agence régionale de santé (ARS), elle est tout à fait muette.


 


 

Dans la ville du premier ministre, les services publics s’étiolent

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

À Prades, dans les Pyrénées-Orientales, la ville dont Jean Castex fut le maire, un postier, deux enseignants, un aide-soignant, des agents de Pôle emploi et de la trésorerie racontent cinq ans d’austérité budgétaire et de réformes.

Prades (Pyrénées-Orientales).– Des paniers en osier faits main, éparpillés autour de la fontaine, place de la République. Sous les grands platanes dénudés, des moules fraîches à la vente directe, des pots de miel, des fruits et légumes issus des exploitations agricoles du département. La voisine dont on prend des nouvelles et les réquisitoires, entre les étals, contre le passe sanitaire. Des discussions en catalan interrompues par « la cloche de l’heure » de l’église Saint-Pierre et couvertes par le brouhaha constant venant des cafés qui s’étalent sur la place, surtout les mardis où le soleil brille fort. Il y a des jours où les images d’Épinal se mêlent aux couleurs de la réalité avec une acuité confondante. 

Ici, tout le monde se rappelle ce jour où le maire est devenu premier ministre. C’était en juillet 2020 et Jean Boucher, représentant de la CGT dans la commune, s’en souvient « comme si c’était hier ». Il a été prévenu par téléphone. Le journaliste qui s’était enquis de sa réaction a dû attendre quelques minutes. « J’ai raccroché pour me remettre de mes émotions et pour rire, s’amuse le syndicaliste. Castex, je le connais bien et ça n’avait aucun sens. Il gérait Prades sans jamais faire de vagues, ne prenant jamais de grandes décisions. Il agissait en bon père de famille ici. Ce n’est pas des vagues qu’il allait recevoir à Matignon, c’était des tempêtes. » 

Les jours qui suivirent la nomination, une horde de journalistes parisiens débarqua dans le Conflent. Des images du marché, la population qui explique que c’est « un honneur » et dit sa « fierté » que le maire, élu pour la troisième fois, devienne premier ministre. Pas un mot sur le taux de pauvreté ou le taux de chômage, comme si, dans ce pays des merveilles, « la misère était moins pénible au soleil »

Des taux records de chômage et de pauvreté  

Depuis plusieurs années, les Pyrénées-Orientales détiennent le triste record du plus haut taux de chômage du pays, avec 12,5 % au troisième trimestre 2021, contre une moyenne nationale à 8,1 % (hors Mayotte). Le taux de pauvreté du département est aussi l’un des plus élevés, avec 21 % des ménages qui vivent sous le seuil de pauvreté, contre une moyenne nationale à 14,7 %. Et Prades ne fait pas exception. Dans le bassin d’emploi de la commune, les chiffres du chômage sont comparables à ceux observés dans le département et le taux de pauvreté est à plus de 24 %, selon les derniers chiffres de l’Insee. 

Pourtant, ici comme dans d’autres territoires en difficulté, le service public, patrimoine de celles et ceux qui n’en ont pas, s’étiole. Auprès de Mediapart, postier, aide-soignant, enseignants, agents de la trésorerie publique ou de Pôle emploi racontent ces cinq dernières années à Prades, placées sous le signe de l’austérité budgétaire. 

Le directeur de l’agence de Pôle emploi avait accepté de nous recevoir mais la direction régionale a annulé notre visite, sans justifier sa décision. Ici, la réforme de l’assurance-chômage frappera plus fort qu’ailleurs car une grande majorité des emplois proposés sur le territoire sont saisonniers.

« C’est assez tendu en ce moment », rapporte Louis*, agent pradéen de Pôle emploi depuis plusieurs années. Il raconte longuement les pressions que subissent les collègues qui osent parler et demande à ce que le moins d’informations possible soient données sur son parcours. Jean Boucher n’est pas surpris. « Le management dans le service public s’inspire de plus en plus de ce qui se fait de pire dans le privé, avec autoritarisme et répression. On veut de la rentabilité à tout prix, alors qu’à la base, on devait rendre service au public, aux usagers », souffle le retraité, qui était un opérateur à France Telecom avant sa privatisation en 2004. 

À Prades, l’agence Pôle emploi est constituée de 40 agent·es, dont quatre responsables. Trois jeunes sont aussi présents à l’agence, le premier est en contrat aidé dans le secteur administratif et les deux autres sont en service civique, à l’accueil. Pour Louis, ils sont en sous-effectif. 

Sur l’une des terrasses baignées de soleil, Agnès, animatrice culturelle en recherche d’emploi, s’agace contre le dévoiement du service civique à l’œuvre à l’agence de Prades : « Quand je vais là-bas, on m’envoie sur l’ordinateur pour accéder à mon espace personnel et si je galère, des services civiques viennent m’aider. Ils sont très gentils mais on devrait être accueillis par des agents formés de Pôle emploi. C’est dévalorisant pour nous aussi. Par ailleurs, ils font le travail d’un agent mais ils n’ont pas de statut, sont payés 500 euros. Ce n’est pas non plus une bonne solution pour eux. »

À Pôle emploi, des services civiques au front et un sous-effectif constant 

Un constat confirmé par Louis : « Clairement, ce sont des emplois déguisés. Souvent, ces jeunes habitent encore chez leurs parents, ils sont un peu perdus et cherchent un emploi pour vivre mais comme, ici, il n’y en a pas, ils finissent en service civique. » Il ajoute : « Sans ces services civiques, ce serait pire. »

On pourra toujours expliquer et réexpliquer la réforme, on ne pourra pas changer le calcul.

Le personnel de Pôle emploi doit gérer les demandes d’emploi de plus d’une centaine de communes rurales. Le bassin d’emploi de Prades compte à lui seul 4 837 inscrit·es en catégories A, B et C, soit 9 % des chômeurs et chômeuses du département. « Donc on est complètement débordés, comme partout, s’inquiète Louis. Et la réforme de l’assurance-chômage va tout empirer. Elle touchera d’abord ceux qui ont des périodes de travail intermittentes et c’est le cas de presque tout le monde chez nous. Nous n’avons pas d’industries fortes, pas de grandes usines. Ici, l’emploi est saisonnier, dans l’agriculture, dans les stations de ski, sur les plages l’été. » 

Les premiers effets de la réforme se faisant sentir, le personnel pense sérieusement faire appel à un agent de sécurité, pour faire face à la colère qui risque de venir bousculer la petite agence de Prades. Selon Louis, les saisonnières et saisonniers verront, en moyenne, leurs allocations baisser de 20 %. « On pourra toujours expliquer et réexpliquer la réforme, on ne pourra pas changer le calcul et les gens seront encore plus précaires », ajoute t-il. 

Alors, à Prades comme ailleurs, Pôle emploi opte pour le tout numérique. « Ils veulent maintenir les demandeurs d’emploi loin des agences. Et peut être qu’un jour, tout passera par téléphone et par Internet, et qu’on nous fermera l’agence. »

De la CAF à Pôle emploi : numériser jusqu’à l’absurde 

La numérisation à marche forcée du service public confine déjà à l’absurde. Dans l’agence pradéenne de Pôle emploi, les portes sont ouvertes, sans rendez-vous, de 8 h 30 à 12 h 30. Quelques ordinateurs y sont en libre service, sur lesquels l’usager ou l’usagère peut se connecter pour prendre un rendez-vous… dans l’agence où il ou elle se trouve. Si cela concerne son indemnisation, le demandeur ou la demandeuse d’emploi doit composer le 3949. Et il arrive souvent que l’agent·e qui répond au téléphone se trouve dans le même bâtiment. 

Dans le café associatif l’Atelier de l’Entonnoir, qui regroupe l’opposition à l’austérité budgétaire portée par l’ancien maire, la population est claire : « Nous, on veut des gens derrière les guichets ! »

Dans l’espace extérieur accolé au café, les gens de Prades, Sahorre ou Vinça sirotent un verre après avoir écouté Leila et son comparse chanter des classiques de la chanson française. « Michel Legrand, c’est quand même quelque chose, se réjouit Leila. Ça fait du bien de se retrouver et de chanter un peu. » Dans le local de l’association créée en 2016, une grande bibliothèque occupe les murs, on peut y emprunter Germinal de Zola, l’édition complète des Mille et Une Nuits, du Boris Vian, du Bourdieu ou du Trotsky. Là, un espace dédié aux enfants, ici, de grands bacs de vêtements et de chaussures à donner, et dans le coin, une grainothèque, pour les jardiniers et jardinières en herbe. 

Mireille, habitante de Sahorre, village du Conflent qui compte 374 habitant·es, vient retrouver ici, à 13 km de chez elle, des amis de longue date. L’Entonnoir fermera bientôt et, comme à l’aller, elle rentrera en voiture, « puisque chez nous, les bus n’arrivent pas, c’est pas du tout desservi. Je conduis encore mais dans dix ans, je ferai comment ? »

Ici, chacun·e aurait une histoire à raconter sur les bus qui ne s’arrêtent plus, les bureaux de Poste qui ferment, les délais trop longs pour accéder aux services publics. De son côté, c’est avec la Caisse d’allocations familiales (CAF) que Mireille bataille. À Prades, pour avoir accès aux services de la CAF, il faut se rendre dans la nouvelle Maison France Services (MFS). Les rendez-vous se font uniquement le mardi et le jeudi matin et, pourtant, depuis des mois, Mireille n’arrive pas à trouver des réponses à des questions simples sur ses APL. 

« Ma propriétaire est très âgée, elle a 95 ans. Elle ne sait pas utiliser l’ordinateur et s’inquiète de ne pas recevoir les APL, alors je lui ai dit que j’allais m’en occuper. Pour obtenir un rendez-vous, il faut le demander par Internet, depuis la plateforme de la CAF », reprend Mireille. Et pour ouvrir un compte à la CAF sur Internet, il faut se munir d’un numéro d’identification qu’elle n’a pas.

« J’ai patienté toute une journée au téléphone pour l’avoir. J’appelais, on me faisait patienter dix minutes avec une musique, puis ça raccrochait. J’ai dû le faire une dizaine de fois avant qu’on me donne enfin ce numéro. Une amie m’a aidé à m’inscrire sur le site, j’ai pu prendre un rendez-vous mais la fille de la permanence a annulé la veille. Elle était déjà polie de me prévenir, peut-être qu’elle avait trop de monde. » Plusieurs mois sont passés depuis et Mireille n’a toujours pas réussi à obtenir des informations sur ses APL. 

Le maire se félicite de l’installation d’un ersatz de service public 

« On est dans l’arrière pays ici, tout le monde n’est pas à l’aise avec la dématérialisation », rappelle Yves Delcor, ancien premier adjoint qui a remplacé Jean Castex à la tête de la mairie. Il se félicite d’accueillir une Maison France Services, censée pallier la disparition de la CPAM (Caisse primaire d’assurance-maladie), de la Carsat (retraite) et de la CAF dans la commune. « Ce service permet aux gens du territoire d’être accompagnés dans leurs démarches administratives », explique-t-il, grâce à deux agentes.

Mais à Prades, cette installation est loin de faire l’unanimité. Pour Denis Corratger, contrôleur de la trésorerie publique, « les agents ne peuvent qu’aider à des démarches sur Internet, mais ils ne sont pas formés sur tout et ne peuvent pas répondre aux questions des usagers ». Et le postier Fabrice Fourmantel de compléter : « Ces MFS sont souvent installées dans des bureaux de La Poste. D’un côté, c’est bien pour nous, ça nous permet de les garder ouvertes. De l’autre, c’est un leurre total. Ils te mettent juste un ordinateur à disposition et il faut se démerder avec. Ce n’est pas du service public. »

Honnêtement, depuis Paris, je ne sais pas ce que vous foutez à Prades.

Les questions sur l’installation de la Maison France Services sont les seules auxquelles le maire ait bien voulu répondre. Le reste de l’entretien qu’il a accordé à Mediapart, en présence de son adjointe Géraldine Bouvier et de trois autres agents qui n’ont pas accepté de se présenter, n’a été qu’invectives contre Mediapart. 

Sur l’état de Pôle emploi, de La Poste ou de la trésorerie publique, le maire n’a pas souhaité s’exprimer, ajoutant : « Je ne vais pas régler les problèmes en période pré-électorale. Qu’est-ce qu’on va régler, nous, et qu’est-ce que vous allez régler, vous, avec votre article ? Ça ne sert à rien… Honnêtement, depuis Paris je ne sais pas ce que vous foutez à Prades. » Nous avons préféré écourter cet entretien et en solliciter un deuxième, dans un climat plus serein. Nous n’avons jamais reçu de réponse. 

À la trésorerie publique, 13 agents au lieu de 21

Pourtant, il y aurait à dire sur l’état des services publics dans la commune. À commencer par la trésorerie publique locale, au bord de l’implosion. 

Devant la grande bâtisse grise, ça râle parfois fort. Avant de s’engouffrer rapidement dans l’hôtel des finances, l’un explique qu’il appelle depuis des jours, sans réponse, l’autre souhaite aux agents de la trésorerie de connaître les galères qui sont les siennes. Une auxiliaire de vie s’impatiente, elle aussi. Il y a un an, la trésorerie d’Ille-sur-Têt a fermé. Peu avant, elle s’y était rendue pour s’acquitter des 160 euros d’impôts qu’elle devait. L’information n’a pas été transmise à la trésorerie de Prades dont elle dépend désormais et une saisie a été faite sur son allocation chômage. Les messages qu’elle a envoyés via le site sont restés sans réponse. 

Des cas comme ceux-ci, Denis Corratge, contrôleur des impôts et représentant de Solidaires Finances publiques à Prades, y est confronté chaque jour. Et la situation ne s’améliorera pas. 

Depuis 2019, plus de dix trésoreries ont fermé dans le département, dont six au premier janvier 2022. Les habitant·es des communes de Millas, Arles-sur-Tech ou Saint-Paul-de-Fenouillet (où nous étions en reportage en 2019) doivent désormais se rendre à Prades ou à Perpignan, selon les cas. Or, le personnel est complètement débordé : à Prades, 13 personnes officient, contre 21 auparavant. La présence de l’équipe de renfort départementale ne suffira pas à pallier les manques. « On a prévenu notre direction que ça allait être le feu mais ils ont foncé et puis ils nous ont envoyé les pompiers. C’est bien gentil, mais ça brûle quand même. »

« Tous les paiements devaient être dématérialisés pour que les habitants qui se retrouvent sans trésorerie puissent payer au tabac à l’aide d’un QR code, continue Denis Corratge. Sauf que très peu de communes et de bureaux de tabac ont mis en place ce système pour l’instant. » Alors que l’hôtel des finances ne gérait qu’une cinquantaine de communes avant janvier 2022, elle en gère désormais 124. Chaque jour, à peu près 200 chèques arrivent avenue Beausoleil à Prades. 

« Tout est fait pour que les usagers passent par le numérique, affirme le syndicaliste. Ils avaient même commencé à faire payer une pénalité de 15 euros à ceux qui payent en chèque plutôt que sur Internet. Ils sont revenus en arrière depuis. »

Avant cette série de fermetures de trésoreries de village, Denis Corratger répondait au téléphone du standard, quand ses missions de contrôleur se faisaient moins nombreuses. Depuis janvier 2022, le contrôleur, payé 1 600 euros net après dix ans d’ancienneté, estime que sa masse de travail a été multipliée par deux. Les demandes d’échéanciers s’entassent sur son bureau, les mails d’usagères et usagers mécontents se multiplient et plus personne ne répond au téléphone. 

Le maire de la commune, médecin de formation, n’a pas souhaité s’exprimer non plus sur l’état de l'hôpital de Prades, qu’Éric Santamens, aide-soignant et représentant syndical pour Sud Santé Sociaux résume ainsi : « On travaille dans un petit hôpital, lié à l’Ehpad du centre-ville et on accueille surtout des personnes âgées. Pour l’instant, on affiche souvent plein mais on tient le coup. Comme partout, on manque de lits et de personnels, mais ça va vite devenir critique… »  

Une population vieillissante et un hôpital à bout de souffle 

Ici, les personnes de 60 ans et plus représentent près de 40 % de la population et la part de retraité·es dans la population n’a cessé d’augmenter depuis des années. « La population est vieillissante, reprend l’aide-soignant. Les besoins vont continuer à grandir et on va devoir y faire face, à moyens constants. » 

Mais pour l’heure, l’urgence est à la titularisation du nombre croissant de contractuel·les. « On a beaucoup de CDD qui sont renouvelés sur deux ou trois ans et nos collègues se retrouvent dans des situations très difficiles, souffle Éric Santamens. Cette précarisation des métiers de l’hôpital a débuté bien avant l’arrivée de Macron, il a juste continué le travail. Ceci dit, on peut lui reconnaître une chose : il nous a permis d’être un peu mieux payés. On a eu une augmentation de 183 euros net avec le Ségur de la santé. C’est la première fois que j’ai été augmenté de manière significative, en 15 ans. » Il nuance aussitôt en rappelant que de nombreuses personnes ont été oubliées par le Ségur.

À La Poste aussi les emplois précaires sont de plus en plus nombreux. Dans le département, les intérimaires et CDD représenteraient plus de 30 % des effectifs, selon les syndicats. De son côté, La Poste avance d’autres chiffres et assure que 181 postières et postiers sur 1 034 sont intérimaires, soit 17 % des effectifs sur le département.

Fabrice Fourmantel assure une tournée de montagne une semaine sur deux. Le reste du temps, il va de réunion en grève, en tant que secrétaire départemental de Sud Poste. Ces semaines-là, c’est un intérimaire qui le remplace. 

Le postier vient, par ailleurs, de changer de tournée, après avoir assuré celle de Vinca pendant des années. « Je connaissais tout le monde et j’étais bien installé mais La Poste n’arrêtait pas d’élargir mon secteur. Cette tournée devenait infaisable et je devais tout bâcler, alors j’ai préféré changer. » Désormais, il distribue une partie des quartiers de Prades et les villages alentour comme Serdinya, Escaro, Py ou encore Mantet, situé à 1 400 m d’altitude. Selon le syndicaliste, en dix ans, la région aurait perdu plus d’un tiers de ses tournées.

En fait, dès que quelqu’un part à la retraite, il est remplacé par un intérimaire jusqu’à ce que ce poste de travail soit complètement supprimé.

« Pourtant, nos tournées sont importantes. Pour livrer, bien sûr, mais aussi parce que pour certains habitants, nous sommes le seul contact humain de la journée. » Un contact que La Poste préférerait désormais monnayer, avec la mise en place du service « Veiller sur mes parents ». Pas vraiment un franc succès, selon les chiffres de La Poste, qui annonce 42 clients dans les Pyrénées-Orientales. Et le postier de lever les yeux au ciel : « On n’a pas besoin d’être payés pour faire ça. » 

Au niveau national, « c’est plus de 80 000 emplois en dix ans qu’on a perdus », poursuit Fabrice Fourmantel. « On vit un plan social déguisé et constant. Chaque deux ans, ils réorganisent et on perd des postes. Ils maintiennent du sous-effectif pour ne pas avoir à reclasser les postiers chaque deux ans. En fait, dès que quelqu’un part à la retraite, il est remplacé par un intérimaire jusqu’à ce que ce poste de travail soit complètement supprimé. Fin de mission pour l’intérimaire. » 

Le lycée Charles-Renouvier, bousculé par la réforme du bac pro

Au lendemain du marché, la place du village est redevenue calme. Quelques ados performent des roues arrière sur des vélos usés et on se déplace à la faveur du soleil. Les retraité·es occupent les bancs devant l’église Saint-Pierre et les autres sirotent au Café de la paix, le matin, et au Bar du marché, l’après-midi. Patrice Mazuel, enseignant de lettres et d’histoire au lycée polyvalent Charles-Renouvier et syndiqué CGT, est un habitué. Il regarde, amusé, la place et note qu’« elle est bien propre, la ville du premier ministre. Rien ne dépasse, ils ont même installé des boîtes à livres un peu partout. Mais c’est pas ça la réalité de cette ville, en vrai… » 

Patrice Mazuel enseigne aux élèves de filières professionnelles, du CAP et du bac pro. Dans son lycée, la moitié des 1 000 élèves s’inscrit dans ces formations aux métiers du soin et aux services à la personne, au commerce ou à l’ingénierie. 

Ce sont précisément nos élèves, qui sont souvent en difficulté sociale, qui ont encore plus besoin de français, d’histoire ou de géographie.

En 2019, une réforme a revu en profondeur les programmes. Les matières générales, notamment, ont été affaiblies, les volumes horaires ont été revus à la baisse, et les familles de métiers ont remplacé les spécialisations par emploi. 

« On a dû alléger nos cours, explique l’enseignant. On a perdu 3 h 30 de discipline par semaine, entre les coupes qui ont été faites dans les cours de français, d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique. Ces heures sont allées dans des nouveaux dispositifs de co-intervention où je suis censé enseigner le français mais dans un cadre professionnel, avec le vocabulaire du monde du travail. » Selon l’enseignant, cette vision « utilitariste » de l’école sert plus les entreprises que les élèves : « En tant que prof de matières générales en lycée pro, cette réforme me paraît illogique. Ce sont précisément nos élèves, qui sont souvent en difficulté sociale, qui ont encore plus besoin de français, d’histoire ou de géographie. » 

Par ailleurs, difficile pour les élèves de Prades de s’épanouir dans un bassin d’emploi où il n’y en a pas. Cette réalité est encore plus dure pour les élèves de bac pro, qui peinent à trouver des stages. « En commerce et en ASSP [accompagnement, soins et services à la personne – ndlr], on y arrive. Mais en ingénierie, c’est plus compliqué puisqu’il n’y a pas d’industrie. Quand les lycéens ne trouvent vraiment pas de stage, ils finissent parfois par les faire dans les ateliers du lycée mais ça n’a pas grand intérêt pour eux. » 

Il faut que nos élèves puissent avoir les mêmes chances que les élèves des grands lycées parisiens.

Du côté des filières générales et technologiques, la réforme du bac a aussi tout bousculé. « Une réforme économique et pas pédagogique, balaye Luc, enseignant en filière générale. Ils raclent le plus possible et quand ils ont tout optimisé et qu’on n’y arrive plus, ils nous sortent une réforme. Le fait d’avoir sorti les mathématiques du tronc commun a permis de réduire le nombre de classes de maths mais ça été une catastrophe pour nos élèves. » Et notamment pour les filles, dont la proportion choisissant la spécialité mathématiques en terminale a chuté de manière vertigineuse, ramenant en dessous des chiffres de 1994, selon des associations et sociétés savantes qui accusent directement la réforme de Jean-Michel Blanquer, « le pire des ministres qu’on n’ait jamais eu », s’agace Luc.

Les profs s’accordent cependant pour dire qu’il fait bon enseigner dans un lycée où le taux d’encadrement est correct, avec des taux de réussite records aux épreuves du bac. Mieux, selon Luc, des fonds sont régulièrement débloqués pour faire des projets culturels avec les élèves. « Dans ce lycée, on est plutôt bien et on arrive à offrir aux élèves de milieux ruraux, issus des classes populaires, un enseignement de la même qualité que celui qu’il peut y avoir en ville. Et ça, j’y tiens : il faut que nos élèves puissent avoir les mêmes chances que les élèves des grands lycées parisiens. »

« Cependant, les économies de bouts de chandelles que fait le ministère de l’éducation nationale nous touchent aussi, reprend l’enseignant. On n’en demande pas beaucoup plus, mais on demande surtout à ne pas avoir moins. »

Mais la nouvelle est tombée lors du conseil d’administration du jeudi 10 février : le rectorat a retiré plusieurs dizaines d’heures d’enseignement au lycée, lors de sa dernière dotation horaire globale. Les enseignant·es ont voté contre et ont accompagné leur vote de deux motions, pour demander au rectorat plus de moyens. Des demandes qui resteront, probablement, lettre morte. 


 


 

Le Train jaune, ou le vaillant Canari des Pyrénées

Bruno Vincens sur www.humanite.fr

Depuis plus de cent ans, il sillonne les hauteurs des Pyrénées catalanes. Maintes fois menacé, chaque fois sauvé par les cheminots et les habitants, le petit train reliant Villefranche-de-Conflent à Latour-de-Carol ne doit sa survie qu’aux mobilisations. Les archives de ces luttes sont aujourd’hui dans les mains de l’Institut d’histoire sociale. En voiture !

Long de 63 kilomètres, le parcours du Train jaune dessert 21 gares, de Villefranche-de-Conflent (sur notre photo) à Latour-de-Carol, à la frontière franco-espagnole.

Le Train jaune, c’est tout une histoire. Au cours de son existence centenaire, il a failli disparaître du paysage ferroviaire un nombre incalculable de fois. S’il sillonne aujourd’hui encore les Pyrénées catalanes, s’élance de Villefranche-de-Conflent pour remonter la vallée de la Têt et déboucher sur les hauteurs de la Cerdagne jusqu’à Latour-de-Carol, c’est grâce à la détermination des cheminots, à l’attachement des populations pour ce vaillant petit Canari qui relie par tous les temps leurs territoires difficiles d’accès. Il circule en effet sur une voie métrique, alors que l’écartement habituel des rails est de 1,435 mètre. Et l’alimentation électrique de la motrice s’effectue au sol par un troisième rail placé entre les deux autres. C’est ainsi qu’il atteint Bolquère-Eyne, à 1 593 mètres d’altitude, la plus haute gare exploitée par la SNCF. Supprimer ce train à nul autre pareil, un des trésors de la Catalogne ? Jamais de la vie !

Les travaux s’achèvent en 1927 et le Train jaune rejoint son terminus, Latour-de-Carol

Pendant trente ans, Liberto Jofre, agent d’exploitation, a travaillé sur cette ligne. Pendant trente ans, il a combattu avec ses camarades cheminots pour qu’elle survive. Il a aussi entreposé chez lui les tracts, articles de presse et courriers retraçant les épisodes de cette saga ferroviaire mouvementée : 40 kilos d’archives ! Aujourd’hui, les historiens, les chercheurs ont à leur disposition ces documents qui couvrent la période 1969-1993.

La ligne est empruntée par plus de 200 000 personnes chaque année, dans ce territoire reculé de haute montagne. Ici entre Planes et Fontpedrouse, sur le pont de Cassagne, l’un des derniers ponts suspendu ferroviaires encore en service en France.

En réalité, dès sa construction, la ligne Villefranche - Latour-de-Carol se place sous le signe de la lutte. Au début du XXe siècle, des milliers d’hommes et d’enfants triment dans des conditions effroyables pour faire avancer ce nouveau chemin de fer à travers la montagne. Un chantier titanesque. En 1904 et 1905, les ouvriers se mettent en grève pour des augmentations de salaires. Le drapeau rouge est déployé sur le pont Séjourné, un des principaux ouvrages d’art du parcours. Les travaux s’achèvent en 1927 et le Train jaune peut alors rejoindre son terminus, Latour-de-Carol, à la frontière franco-espagnole. La ligne a aussi pour mission de convoyer du minerai de lignite et de manganèse.

« Une entreprise privée, à la demande de la SNCF, commence à arracher les rails ! »

En 1969, les premiers nuages noirs s’accumulent au-dessus du Train jaune : il figure sur la liste des lignes que les pouvoirs publics veulent abandonner. La SNCF tente de mettre la menace à exécution en 1974. « Nous étions un groupe de jeunes cheminots et nous ne voulions pas laisser faire », se souvient Liberto Jofre. La forte mobilisation, les manifestations permettent de sauver le transport de voyageurs, mais le trafic de marchandises est mis à l’arrêt.

Un autre conflit majeur débute en 1985. « Un jour, la population de Fontpédrouse nous alerte : une entreprise privée, à la demande de la SNCF, commence à arracher les rails ! » raconte le cheminot. Travailleurs du ferroviaire et habitants convergent aussitôt vers cette petite gare située sur la ligne et parviennent in extremis à empêcher l’irréparable. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : « La direction de la SNCF nous accuse alors d’avoir séquestré deux cadres et enclenche des procédures disciplinaires à l’encontre de douze cheminots, poursuit Liberto Jofre. Nous risquions la radiation pure et simple. » En soutien à ces cheminots, une grève des agents SNCF se répand comme une traînée de poudre dans la moitié sud de la France. D’imposantes manifestations sont organisées à Perpignan et à Montpellier. L’affaire arrive devant les tribunaux : prud’hommes, cour d’appel et même la Cour de cassation. Finalement, les radiations sont évitées, mais des mises à pied sont prononcées. Quant à Liberto Jofre et son camarade Serge Bastide, ils sont mutés en Lozère. Ils ne reviendront dans les Pyrénées-Orientales qu’en 1993.

Les batailles du rail dans les montagnes catalanes

La complicité entre cheminots et population caractérise ces batailles du rail dans les montagnes catalanes. Le comité d’usagers de la ligne, créé en 2015, intervient cette même année alors que la SNCF s’apprête à supprimer la partie haute du tracé, entre Font-Romeu et Latour-de-Carol. Ce tronçon est sauvé de justesse grâce à l’inscription de la ligne dans le contrat de plan État-région. « C’est une lutte perpétuelle pour le Train jaune ! » s’écrie Liberto Jofre, aujourd’hui âgé de 74 ans. À condition de s’intégrer pleinement dans le réseau TER, il a de l’avenir.

Le 28 janvier, à Perpignan, Laurent Brun, secrétaire national de la CGT cheminots, a remis à Gilbert Garrel, président de l’Institut d’histoire sociale, les archives des luttes qui ont permis de sauver le Train jaune, lors d’une rencontre chaleureuse et combative, à l’image du Canari.

3 questions à… Julien Berthélémy, conducteur du Train jaune

Est-ce difficile de conduire le Train jaune ?

Je le conduis depuis 2009. Ce n’est ni plus ni moins difficile qu’un autre train, mais c’est autre chose. Ce ne sont pas les mêmes manipulations, la signalisation est différente. Sur cette ligne, il y a une succession de déclivités importantes et courtes, en montée comme en descente. La vitesse maximale s’établit à 50 km/h. Avant, on pouvait aller jusqu’à 60 km/h mais, avec le vieillissement du matériel roulant et de la voie, la vitesse a été abaissée. Il fallait autrefois deux heures et demie pour parcourir les 63 kilomètres de Villefranche-de-Conflent à Latour-de-Carol, maintenant, ça nécessite trois heures. Il y a pourtant eu des travaux ces dernières années : on a remplacé les rails, changé certaines traverses et une partie du ballast. Donc, on aimerait pouvoir augmenter un peu la vitesse. Mais il manque la volonté politique d’en faire un train de transport de voyageurs dans le cadre du service public et de ne pas le réduire à un train touristique.

Les motrices et les voitures sont-elles d’origine ?

Une partie du matériel roulant est d’origine mais a été rénovée. Une autre partie, plus récente, a été produite en Suisse. Avec treize motrices et quinze voitures, nous pouvons composer quatre trains. Quatre-vingts cheminots travaillent sur la ligne. Ici, tout le monde est attaché à ce train. Il est extraordinaire !

Selon le dernier contrat de plan État-région, le Train jaune va être financé aux deux tiers par la région Occitanie et pour un tiers par SNCF Réseau. Qu’en pensez-vous ?

Cela montre le désengagement scandaleux de l’État. Cela met fin à l’égalité entre les citoyens, quel que soit l’endroit où ils vivent. Certaines régions sont plus riches que d’autres et les coûts d’exploitation du ferroviaire ne sont pas les mêmes en plaine ou en montagne. La compétence de la région est de faire circuler des trains ; l’entretien du rail relève de SNCF Réseau ! Le combat que nous menons aujourd’hui pour le Train jaune est le même que celui de nos aïeux : vivre dignement et travailler au pays.

publié le 7 février 2022

Secret des affaires en médecine ?

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Ainsi Pfizer, qui a déjà accumulé des profits énormes avec le vaccin, vient de mettre sur le marché une association d’antiviraux sous le nom de Paxlovid. La France a commandé 500 000 doses de ce médicament. Très bien, mais là où le bât blesse, c’est que nous ne connaissons pas le prix de ce produit qui sera distribué « gratuitement » dans les pharmacies. Mais rien n’est gratuit et c’est bien la Sécurité sociale qui paiera la facture.

De nouveaux médicaments qui semblent efficaces pour éviter des formes graves du Covid arrivent sur le marché. Médicalement, c’est une bonne chose car nous ne pouvons que constater le fait que les vaccins ont leur utilité, mais qu’il ne s’agit pas de l’arme absolue et qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches afin de pouvoir disposer d’un arsenal varié répondant plus largement aux besoins pour pouvoir lutter efficacement contre ce virus. Mais, comme nous avons pu le constater pour les vaccins, les laboratoires pharmaceutiques, alléchés par l’appât du gain, communiquent régulièrement sur des résultats d’études pas toujours validées scientifiquement, dans une stratégie purement commerciale et de lobbying auprès des États pour obtenir des commandes rapides de leurs produits.

Ainsi Pfizer, qui a déjà accumulé des profits énormes avec le vaccin, vient de mettre sur le marché une association d’antiviraux sous le nom de Paxlovid. La France a commandé 500 000 doses de ce médicament. Très bien, mais là où le bât blesse, c’est que nous ne connaissons pas le prix de ce produit qui sera distribué « gratuitement » dans les pharmacies. Mais rien n’est gratuit et c’est bien la Sécurité sociale qui paiera la facture. La question du montant de la facture a été posée lors de la dernière réunion du Conseil national de l’assurance-maladie. Le directeur général a déclaré qu’il n’avait pas la réponse car c’est le gouvernement qui a négocié directement ce contrat avec le laboratoire et a renvoyé la balle au commissaire du gouvernement, qui a piteusement déclaré qu’il n’avait pas la réponse.

La raison en est que la firme invoque le « secret des affaires » et se donne bonne conscience en déclarant qu’elle mettrait en place une « tarification échelonnée qui va se baser sur le niveau de revenus de chaque pays. Ainsi, dans les pays où les revenus de la population sont faibles, le prix du Paxlovid devrait être moins élevé ». Cette situation est scandaleuse. En effet, la législation française et européenne indique que ce fameux secret est « d’assurer, au profit des entreprises, la protection des informations ayant une valeur commerciale, et cela de manière uniforme au sein de l’espace européen ».

Nous nous retrouvons ici encore dans une situation où les lois du marché l’emportent sur la santé publique. Après le refus de la levée des brevets sur les vaccins et le scandale des Ehpad, ces éléments renforcent la revendication de l’exclusion du marché de tous les services et produits qui relèvent du domaine de la santé.

 publié le 7 février 2022

Crises des services publics : dépenser plus et dépenser mieux

sur www.regards.fr

Grand seigneur, Bernard « Mad » Marx s’attaque pour vous aux services publics et au « pognon de dingue » qu’on y déverse. Focus sur l’Éducation.

MAD MARX. La crise des services publics est explosive dans tous les secteurs : santé, éducation, recherche, logement, justice, sécurité. Les résultats sont médiocres ou mauvais. Les inégalités sociales s’accélèrent. Les personnels sont maltraités et perdent jusqu’au sens de leur travail. Ils manifestent depuis des années leur colère ou leur découragement. Ce devrait être l’une des questions centrales du débat politique de la présidentielle. À la fois par son urgence et parce qu’il s’agit d’un levier essentiel d’un projet d’émancipation et de mieux vivre, individuel et collectif.

Les droites et le patronat, relayés par la Cour des comptes, fourbissent leur explication et leur réponse : on dépense un pognon de dingue. La France serait championne d’Europe ou du monde (selon les cas) pour les dépenses publiques, y compris pour les services publics. Mais elle dépense mal. La faute à la bureaucratie – et parce qu’ils ne sont pas assez gérés comme des entreprises privées.

Voici quelques repères pour y voir plus clair.

« La France dépense plus pour son enseignement que les pays de la zone euro (5,3% du PIB contre 4,6% en moyenne) mais est dernière dans le classement TIMSS. »
Medef, présidentielle 2022, « Faire réussir la France. Propositions du Mouvement des Entreprises de France »

En réalité :

1. La dépense publique d’éducation rapportée au PIB a baissé de 1 point depuis 1997.

Si l’effort était resté le même, il y aurait 23 milliards de dépenses publiques d’éducation en plus – la hausse de 0,3 point en 2020 est due à la chute de 8% du PIB.

2. La France a depuis longtemps une démographie plus dynamique.

La part de la jeunesse dans sa population est plus élevée. Pour mesurer et comparer l’effort de chaque pays consacré à l’éducation, il faudrait prendre non pas seulement le volume des dépenses publiques par rapport au PIB mais les dépenses publiques par élève. Cette comparaison n’existe pas. L’OCDE intègre toutes les dépenses d’éducation publiques et privées. En France la dépense totale d’éducation est de 6,6% du PIB, dont 55% est financé par l’État et 23% par les collectivités locales. 11% est payé par les ménages et 9% par les entreprises.

À ce compte, seul le Japon dépense moins que la France. Les autres pays développés dépensent plus : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie (un tout petit peu plus) et les États-Unis (mais avec beaucoup de dépenses privées).

3. La dépense totale (publique et privée) par élève et par étudiant stagne depuis 2009.

Elle baisse lentement pour les lycéens et très fortement pour les étudiants. Seule la dépense par élève du primaire est en augmentation. Mais elle part de très bas.

4. La dépense d’éducation augmente beaucoup moins que dans les autres pays « riches ».

De 2012 à 2018, en France, la dépense par élève du primaire à la fin du second degré a augmenté de 0,5% par an. Soit trois fois moins que la moyenne de l’OCDE (1,6%) ou que la moyenne européenne (1,4%). En Allemagne, la dépense d’éducation augmente deux fois plus vite (0,9%), au Royaume-Uni et aux États-Unis trois fois (1,3%), en Italie quatre fois plus vite. Si l’on inclut le supérieur, l’écart est encore plus important entre la France (0,3%) et l’OCDE (1,6%) [1].

5. Les enseignants français sont sous payés.

En euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25% de rémunération au cours des 20 dernières années. Au bout de 15 ans d’ancienneté, toujours en euros constants, le salaire d’un professeur des écoles de 2020 est inférieur de 22% à celui qu’il aurait eu en 2000. Pour un certifié, la baisse est de 23%. C’est en fin de carrière que l’écart est le plus élevé. Mais les rémunérations de départ des enseignants sont également profondément dégradées.

À niveau de diplôme équivalent, les salaires des professeurs sont inférieurs à celui des actifs du privé de 21% dans le pré-élémentaire, 23% dans l’élémentaire et 12% au collège. En revanche, les enseignants en lycée ont un niveau de salaire effectif proche de celui de la population totale des actifs.

Les rémunérations des enseignants français demeurent très en deçà de la moyenne européenne. De plus, le temps d’enseignement réglementaire est supérieur à la moyenne européenne et notamment à celui de l’Allemagne, que ce soit au niveau du primaire, du collège et du lycée. Le nombre d’élèves par classe est le plus élevé de l’Union européenne pour le primaire. Il est supérieur à la moyenne pour le second degré.

Au total : salaires comparativement bas + classes chargées + temps de travail plus long = un coût salarial annuel des enseignants par élève parmi les plus bas de l’OCDE + une perte de moral et une perte d’attractivité du métier d’enseignant [2]

6. Effectivement, les résultats ne sont pas bons.

L’étude internationale TIMSS compare les performances des élèves de CM1 et de 4ème en mathématiques et en sciences. La part des élèves classés « faibles » augmente. Globalement la France est avant dernière. L’autre classement international (PISA), aboutit à des résultats moins catastrophiques. La France est dans la moyenne européenne. Mais avec des taux d’échec élevés.

La réforme Blanquer du lycée a immédiatement aggravé les choses, notamment en réduisant massivement l’enseignement de mathématiques au lycée. Elle entraîne 25 ans de recul sur les inégalités filles/garçons [3].

Tout cela est le fait d’un système d’éducation low-cost pour les jeunes des classes populaires, très inégalitaire pour sélectionner et reproduire une élite et très administratif dans son fonctionnement.

7. Le Medef et les droites prétendent que l’on pourrait faire beaucoup mieux avec toujours moins de dépenses publiques.

La Cour des comptes sortant de son rôle pour jouer celui de think tank à leur service a récemment mis sur la table les axes d’une telle politique pour le primaire et le secondaire : l’alourdissement du travail pour les enseignants, et la promotion du New public management (des établissements autonomes avec des managers à leur tête, un pilotage par le chiffre et les évaluations statistiques des résultats pour encadrer, inciter et punir). Un modèle remis en cause à peu près partout où il a été mis en œuvre.

Pour le supérieur, tout le monde, ou presque, est d’accord pour considérer qu’il faut plus de moyens, à la fois pour l’enseignement et la recherche et pour que les étudiants puissent étudier à plein temps. Si l’on n’augmente pas la dépense publique, la réponse sera forcément, la hausse des frais d’inscriptions, l’appel au secours vers les financements des entreprises et la philanthropie (des gens fortunés), la part croissante des écoles supérieures privées et l’endettement des étudiants. Avec pour effets l’accroissement de la logique commerciale et de la polarisation déjà très forte des enseignements, des filières et des établissements universitaires.

8. Oui, il y a besoin de dépenses publiques supplémentaires pour réaliser un égal accès à l’éducation et lui redonner une visée émancipatrice.

Ainsi selon les Économistes atterrés [4] :

  • Il faudrait un financement massif de crèches publiques ou coopératives, alors que moins d’un quart des enfants y accèdent.

  • Pour augmenter les salaires des enseignants du primaire et du secondaire de 300 euros par mois, il faudrait 3,2 milliards d’euros par an.

  • Pour mettre les dépenses publiques par étudiant de licence au même niveau que pour les classes préparatoires, il faudrait 5000 euro de plus par an et par étudiant, soit 5 milliards au niveau national.

  • Une allocation universelle d’autonomie accordée à tous les étudiants réclamerait un budget de 20 milliards par an (allocation de 600 euros pour les étudiants logés par leurs familles et 1000 euros pour les autres).

 

Notes

[1] Café pédagogique et OCDE.

[2] OCDE « Regards sur l’éducation 2021 » ; Annexe du rapport du Sénat sur le projet de loi de Finances pour 2022 portant sur l’enseignement scolaire.

[3] Communiqué des sociétés savantes et associations de mathématiques, ADIREM, APMEP, ARDM, CFEM, Femmes et Mathématiques, SFdS, SMAI, SMF, UPS (25 janvier 2022).

[4] Les Économistes atterrés, De quoi avons-nous vraiment besoin, Les liens qui Libèrent octobre 2021.

publié le 28 janvier 2022

Pôle Emploi : dématérialisation et contrôle social à marche forcée

sur https://altermidi.org

Nous publions dans notre rubrique En revue, ce très bon, et glaçant, article de la Quadrature du Net qui analyse les effets de la dématérialisation des services publics. Le gouvernement renforce le contrôle social sur les demandeurs d’emploi via la collecte des données personnelles et opère un chantage aux allocations dans le cadre de la loi fort cyniquement nommée « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».


 

Alors qu’Emmanuel Macron veut « accélérer » la radiation des demandeurs d’emploi, Pôle emploi vient de franchir un cap dans la marche forcée vers la dématérialisation et le contrôle numérique des personnes privées d’emploi. Un travailleur sans emploi s’est vu récemment notifier sa radiation au motif que l’envoi de ses candidatures par courrier recommandé, plutôt que par internet, ne permettait pas de constater le « caractère sérieux des démarches […] entreprises pour retrouver un emploi ».

Cette situation matérialise la volonté de Pôle emploi de forcer, quoi qu’il en coûte, les personnes sans emploi à l’utilisation d’outils numériques. Une radiation ayant pour effet la suspension du versement des allocations chômage, il s’agit ici d’un véritable chantage à la survie dans lequel Pôle emploi s’est lancé dans le seul but d’accélérer la dématérialisation de ses services. Ce faisant, Pôle emploi ignore volontairement les études et rapports montrant que les politiques de dématérialisation représentent un obstacle à l’accès au service public pour les personnes les plus précaires et participent ainsi à leur marginalisation.

À l’heure où les administrations françaises sont fortement encouragées à mettre en place des algorithmes assignant à chacun.e un « score de risque », tel que celui utilisé aujourd’hui par les CAF pour sélectionner les personnes à contrôler, les politiques de dématérialisation s’accompagnent d’un risque de renforcement de contrôle social via la collecte toujours plus fine de données personnelles.


 

Chantage à la dématérialisation

La lecture des courriers échangés entre ce travailleur privé d’emploi et Pôle Emploi est édifiante. Après avoir reçu un courrier d’« avertissement avant sanction pour insuffisance d’actions en vue de retrouver un emploi », le travailleur transmet à Pôle emploi les justificatifs de ses 29 candidatures envoyées par courrier recommandé.

À la réception de ces documents, le directeur de l’agence maintient sa décision de radiation et la justifie en des termes kafkaïens. Selon lui, « la fourniture de très nombreuses candidatures adressées en recommandé par voie postale » ne démontre pas une véritable recherche d’emploi dès lors que l’utilisation de courriers recommandés ne correspond plus aux « standards adoptés par les entreprises depuis de nombreuses années »1.

Au recours opposé, le directeur persiste quant à « l’absence de caractère sérieux des démarches […] entreprises », au motif que le travailleur « ne permet pas de justifier de l’impossibilité d’utiliser les modes de communication dématérialisés (téléphone portable, e-mail, ordinateur) » recommandés par l’institution afin « d’optimiser les chances de recrutement » et confirme la suspension des allocations pour une période d’un mois.

 

Dématérialisation et inégalités

Le chantage aux allocations mis en place par Pôle emploi pour accélérer le processus de dématérialisation est d’autant plus violent que ses dirigeant·es ne peuvent ignorer les inégalités de maîtrise et d’accès aux outils numériques. Personnes précaires, âgées, handicapées, étrangères, détenues, vivant en zone blanche : autant de publics pour lesquels la numérisation augmente les difficultés d’accès au service public.

Pour ces publics, la généralisation de la dématérialisation se traduit par une charge administrative supplémentaire accentuant leur exclusion sociale. Témoins de ces difficultés, les réclamations liées à la dématérialisation constituent un des premiers motifs de saisine du Défenseur des droits. Dans un rapport publié en 2019, ce dernier interpelle vivement les politiques sur les risques associés à une dématérialisation forcée et rappelle que « si une seule personne devait être privée de ses droits du fait de la dématérialisation d’un service public, ce serait un échec pour notre démocratie et l’état de droit ».

Il semblerait qu’à Pôle emploi ce document n’ait pas été lu, malgré les déclarations de bonne foi de son directeur général, Jean Bassère, selon lequel Pôle emploi doit « tirer parti des avancées technologiques, en veillant à ne laisser personne au bord de la route ».

 

Vers une dématérialisation généralisée ?

La situation décrite plus haut laisse pourtant présager de nombreux cas similaires à l’heure où Pôle emploi expérimente un « Journal de la recherche d’emploi » en Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val-de-Loire. Ce programme, créé en 2018 par la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », oblige tout·e demandeur·se d’emploi à déclarer en ligne ses « démarches de recherche d’emploi », et ce, une fois par mois.

Cette expérimentation vise à évaluer la possibilité de généraliser à l’ensemble du territoire l’obligation de déclaration numérique pour les chômeurs et chômeuses. Étant donné les injonctions à la rationalisation financière et la priorité politique donnée à la transformation numérique dans le plan « Action Publique 2022 » d’Emmanuel Macron, le risque est grand que Pôle emploi accepte les conséquences sociales nocives d’un tel changement et force à la dématérialisation d’un nombre croissant de ses activités d’ici quelques années.

 

Dématérialisation et contrôle social

Les politiques de dématérialisation comportent un risque important de renforcement du contrôle social, tout particulièrement des publics les plus précaires(6), via une collecte toujours plus importante de données sur les usagers·ères du service public et le recours grandissant à l’intelligence artificielle.

À une question posée par une sénatrice sur les risques d’utilisation du « Journal de la recherche d’emploi » à des fins de contrôle, notre ancienne ministre du Travail a indiqué que les données collectées par cet outil généreront des « alertes » qui seront « adressées aux conseillers » de manière à « analyser les situations de décrochage ». Elle ajoute que les conseillers pourront alors « initier une demande de contrôle auprès des conseillers dédiés en charge du contrôle ». Si elle assure qu’aucun contrôle ne sera déclenché de manière entièrement automatisé, il n’en reste pas moins que ces politiques conduisent à une utilisation accrue d’outils numériques pour détecter les « mauvais.e.s » chômeurs.ses.

Le projet de loi précise que ce journal a pour objectif de « repérer les demandeurs d’emploi qui seraient en difficulté dans leur recherche d’emploi ou ne feraient pas de démarches suffisamment actives de recherche d’emploi ». Il est ailleurs fait part d’un algorithme de Machine Learning2 utilisant les donnes collectées via le journal afin de mieux « détecter l’évolution de la situation » des travailleurs sans emploi3.

Les politiques de dématérialisation peuvent aussi servir à obstruer volontairement l’accès aux services de l’État, comme en témoigne le Défenseur des droits(7) lorsqu’il décrit comment certaines préfectures poussent les étrangers·ères vers l’illégalité en bloquant volontairement les demandes de prise de rendez-vous en ligne pour la demande ou le renouvellement de titres de séjours, qui constitue pourtant la seule procédure autorisée dans 30 préfectures en 2019.

 

Contrôle social et accès aux données personnelles

Un outil tel que le « Journal de la recherche d’emploi » est finalement à apprécier dans un contexte de développement sans précédent des politiques numériques de contrôle social depuis les années 2010. Porté par un discours néolibéral mortifère de « lutte contre l’assistanat », en vogue en cette période électorale, le renforcement institutionnel des politiques de contrôle s’est accompagné d’un accroissement du volume de données collectées sur les allocataires de prestations sociales. Ceci a été accompli via l’interconnexion de fichiers administratifs ainsi que via l’extension du droit de communication pour les agent.e.s en charge du contrôle. C’est en 2013 qu’ont été créés les premiers postes d’agent.e.s dédiés spécifiquement au contrôle à Pôle emploi.

Pôle emploi peut ainsi consulter différents fichiers détenus par des organismes sociaux incluant le fichier des prestations sociales (RNCPS), le fichier national des comptes bancaires (FICOBA) ou encore le fichier des résident.e.s étrangers.ères en France (AGDREF).

Depuis décembre 2020, les agent.e.s de contrôle de Pôle emploi disposent par ailleurs d’un droit de communication les habilitant à obtenir des informations auprès de tiers. À ce titre, ils/elles peuvent accéder aux relevés bancaires, demander des informations personnelles aux employeurs.ses ou aux fournisseur.se.s de gaz et d’électricité.

Cette évolution concerne l’ensemble des organismes sociaux, et en particulier les CAF dont les droits d’accès sont encore plus étendus tant au niveau des fichiers consultables que du droit de communication.

 

Scoring et surveillance algorithmique

En parallèle de l’extension du droit d’accès aux données personnelles, s’est développée l’utilisation par les organismes sociaux d’algorithmes de “scoring4 à des fins de contrôle dont les effets (déshumanisation, harcèlement, difficultés de recours et renforcement des discriminations) sont régulièrement dénoncés. Ces algorithmes assignent à chaque allocataire un “score de risque”, c’est à dire une probabilité d’être “fraudeur.se”, servant par la suite à sélectionner qui doit être contrôlé.e.

L’utilisation à grande échelle des techniques de scoring a été initiée par les CAF en 2011 et serait actuellement en développement à Pôle emploi5. Dans un livre passionnant intitulé Contrôler les assistés, Vincent Dubois étudie l’impact de ces techniques sur la pratique du contrôle par les CAF(8). Il montre, chiffres à l’appui, que l’introduction du score de risque s’est accompagnée d’un sur-contrôle des populations les plus précaires, en particulier des familles monoparentales (femmes isolées principalement), des personnes à faibles revenus, au chômage ou allocataires de minima sociaux.

S’il n’est pas possible aujourd’hui de donner une liste exhaustive des variables utilisées pour le calcul du score de risque, Vincent Dubois cite : le montant des revenus, la situation professionnelle personnelle et celle de son ou sa conjoint.e, la situation familiale (en couple, seul.e, nombre d’enfants, âge des enfants), le mode de versement des prestations sociales (virement bancaire ou non) ou encore le mode de contact avec les CAF (le fait d’appeler ou de se rendre sur place)(9). La Cour des comptes ajoute que sont prises en compte les variables suivantes : la nationalité de l’allocataire regroupé en trois catégories (france, UE et hors UE), le code postal ainsi que les caractéristiques socio-économiques de la commune de résidence (part des actif.ve.s occupé.es, part d’allocataires à bas revenus…).

En plus des populations évoquées ci-avant, le simple fait que de telles variables aient été retenues laisse imaginer que le score de risque est plus élevé, et ainsi la probabilité d’être contrôlée, pour une personne étrangère ou pour les habitant.e.s des quartiers que pour le reste de la population.

Vincent Dubois montre finalement que dans leur très grande majorité, les sanctions prises dans le cadre d’un contrôle sont dues à de simples erreurs de déclarations, erreurs elles-mêmes favorisées par la complexité des règles de calcul des minima sociaux… C’est dans ce cadre qu’il apparaît légitime de parler de véritables politiques numériques de harcèlement social, d’autant plus insupportables que les personnes les plus riches font l’objet d’un traitement bien plus favorables de la part des autorités. Rappelons notamment que l’État français a, sur la même période, favorisé le règlement « à l’amiable » des contentieux fiscaux(10). Et ce, alors que les estimations disponibles montrent que la fraude aux prestations sociales, estimée aux alentours de 2 milliards d’euros, est marginale, en comparaison des 80 à 100 milliards d’euros de pertes dues à la fraude fiscale.

 

Une question européenne (et des victoires)

Ces questions se posent aussi à l’échelle européenne, à l’heure où le règlement IA est en cours de discussion. Outre les aspects sécuritaires, que nous discutions ici et ici, ce règlement ouvre aussi la porte au développement généralisé de tels systèmes(11).

Mais l’expérience européenne offre aussi des perspectives. Aux Pays-Bas, un système de lutte contre la fraude sociale a été déclaré illégal en 2020, après avoir été attaqué par un groupe d’associations. En Pologne, c’est un algorithme utilisé sur les personnes sans emploi qui a été déclaré inconstitutionnel en 2019. À chaque fois, les risques de discriminations, les difficultés de recours ou l’atteinte disproportionnée à la vie privée ont été dénoncées et reconnues.

 

Appel à témoignages

C’est dans ce cadre qu’un appel à témoignages est lancé en partenariat avec plusieurs organisations auprès de celles et ceux ayant fait l’objet d’un contrôle Pôle Emploi ou CAF ou auprès des agent·es du service public qui en ont été témoins. Nous espérons que vos témoignages nous aideront à mieux comprendre les politiques de contrôle et les algorithmes utilisés, et à documenter les pratiques abusives et discriminatoires. Sur ces sujets, la mobilisation n’en est qu’à ses débuts, et nous comptons nous y associer !

 

Source La Quadrature du net

Références

(6) Voir par exemple l’article d’Olivier Tesquet Comment l’intelligence artificielle cible les plus précaires https://www.telerama.fr/debats-reportages/comment-lintelligence-artificielle-cible-les-plus-precaires-6984905.php, ou encore les travaux de Lucie Inland https://algorithmwatch.org/en/robo-debt-france/.

(7) Voir les travaux de la Cimade « Dématérialisation des demandes de titre de séjour » https://www.lacimade.org/dematerialisation-des-demandes-de-titre-de-sejour-de-quoi-parle-t-on/ et ceux du Gisti.

(8) Vincent Dubois, 2021, Contrôler les assistés. Genèses et usage d’un mot d’ordre.

(9) Voir Vincent Dubois, Morgane Paris et Pierre-Edouard Weil, 2018, Des chiffres et des droits.

(10) Sur ce sujet, voir Alexis Spire, Faibles et puissants face à l’impôt, 2012.

(11) Voir le rapport d’Human Rights Watch QA: how the EU’s flawed artifical intelligence regulation endangers the social safety net. https://www.hrw.org/news/2021/11/10/how-eus-flawed-artificial-intelligence-regulation-endangers-social-safety-net

Voir le rapport de la cour des comptes « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales » pp. 49-57.

Notes:
  1. Ce point est d’autant plus édifiant que le travailleur en question avait déjà été contrôlé en 2017 et qu’à cette date le fait qu’il candidate par courrier était accepté par Pôle Emploi.

  2. Machine Learning ou Apprentissage automatique : rencontre des statistiques avec la puissance de calcul disponible aujourd’hui (mémoire, processeurs, cartes graphiques) qui conduit à la production de données massives de différentes formes et types, à des rythmes sans cesse en augmentation : le Big Data.

  3. On sait également que Pôle Emploi avance vers l’automatisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi avec le projet « Mon Assistant Personnel », un outil fondé sur des techniques d’intelligence artificielle et qui, selon des témoignages que nous avons pu recueillir, aurait octroyé à des utilisateurs·ices un score d’employabilité de zéro.

  4. Notation en fonction de différents critères.

  5. Si nous ne connaissons pas aujourd’hui de manière précise la façon dont les données collectées par le « journal de la recherche d’emploi » seront utilisées, la convention tripartite État-Unédic-Pôle emploi 2019-2022 évoque leur utilisation dans le cadre de solutions d’intelligence artificielle « d’accompagnement ».

publié le 26 janvier 2022

« Tout meurt à petit feu ici » : à Saint-Cyprien village, La Poste est fermée depuis un an

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Le bureau de poste de cette localité des Pyrénées-Orientales a baissé le rideau en février 2021. Les habitant·es de la commune côtière doivent désormais se rendre au guichet situé à la plage, à plus de 3 km de là. Or, pour les plus âgés, la disparition de ce service au cœur du village est un abandon de plus.

Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales).– Comme chaque dix-huit mois, La Poste réorganise ses services. « Ou plutôt, ils détruisent leurs services », corrige Patricia, postière à Saint-Cyprien, ville de plus de 10 000 habitant·es des Pyrénées-Orientales. Et comme chaque dix-huit mois, la postière à l’accent catalan revêt sa veste noir et violet, un grand logo de son syndicat imprimé dans le dos et sur la poitrine.

Depuis les années 2000, Patricia partage son temps entre la représentation syndicale pour SUD Solidaires 66 et son métier de guichetière, aux bureaux de Saint-Cyprien.

La dernière réorganisation de La Poste, prévue initialement pour janvier 2022, revoyait largement à la baisse la présence postale sur le secteur. Par semaine, le bureau de Latour-Bas-Elne devait perdre 2 h 15 d’ouverture, 3 heures pour le bureau d’Alénya qui n’était déjà ouvert que le matin ; La Poste d’Elne devrait aussi fermer les mercredis après-midi et perdre ainsi 3 h 30 d’ouverture.

Pire, le bureau de Saint-Cyprien village devait perdre, à lui seul, 10 heures et passer ainsi de 25 h 30 à 15 h 30 d’ouverture par semaine. Or, ce bureau est fermé depuis plus d’un an et, pour l’heure, La Poste reste floue sur la possibilité d’une réouverture, malgré la forte mobilisation des postiers et postières du département. Les grèves et autres pétitions ont au moins permis de retarder la réorganisation.  

Ce jeudi, comme toutes les semaines, une petite dizaine de postières campent devant le bureau fermé de Saint-Cyprien village, les chasubles rouge et noir de la CNT se mêlent à ceux de la CGT, de SUD Solidaires et de FO. « Contre la fermeture des bureaux, on fait l’union syndicale », assurent les postières présentes.

Et Michel Cadin, postier à Perpignan et responsable départemental de Force ouvrière, s’inquiète de la disparition organisée de La Poste dans le département : « En 2013, à Perpignan, on avait 101 tournées ; depuis septembre 2021, il nous en reste 64. » En moins de dix ans, la capitale du département a perdu presque la moitié des tournées de ses facteurs et factrices, alors que la population n’a que très peu baissé ; ils étaient 123 089 Perpignanais·es en 2013 et 119 188 en 2021, selon les chiffres de l’Insee.

Après avoir fait un tour rapide parmi les rares étals, les Cyprianencs viennent signer la pétition qui, selon les syndicats, approche les 5 000 signatures. 

Depuis février 2021, le bureau du village est complètement fermé. Auprès de Mediapart, La Poste varie les explications : « Le bureau de poste de Saint-Cyprien village, tenu par un agent seul, a été fermé en février 2021 pour des raisons sanitaires… Les nouveaux modes de vie et de consommation des clients, la baisse du volume du courrier envoyé, et la digitalisation des opérations postales et bancaires, entraînent une diminution de la fréquentation des bureaux de poste, depuis de nombreuses années. C’est le cas à Saint-Cyprien village, où le bureau de poste enregistre une baisse de fréquentation de 23 % entre 2017 et 2021. » Et de préciser qu’un bureau est ouvert à la plage, de l’autre côté de la commune.

Or, le bureau de La Poste situé sur la plage se trouve à plus de 3 km du village, où habitent pourtant la plupart des habitant·es de la commune. « Il n’y en a que pour les touristes, souffle Claude, installé dans la commune depuis 20 ans. Nous, les vrais habitants, tout le monde s’en fout de nous, ils nous prennent pour des cons. Ils veulent qu’ici ça devienne comme Saint-Tropez. Les vieux et les pauvres, ça les intéresse pas », avant de s’agacer longuement contre la disparition des Blancs et des services publics et de charger le maire.

La commune compte près de 50 % d’habitant·es de plus de 60 ans, et le vieillissement de la population de la commune ne va qu’en s’accroissant, selon les études de l’Insee.

Et le retraité n’est pas le seul à s’agacer de la politique communale. « Le maire a refusé de nous recevoir, peste Patricia. La dernière fois qu’il nous a reçus, c’était en 2019, pour une ancienne réorganisation. Pour celle-ci, il ne nous a pas soutenus, et quand on est allés à la mairie lui donner notre pétition, il n’est même pas descendu. Personne ne nous a reçus, on est repartis avec nos pétitions sous le bras. »

Contacté à plusieurs reprises, le maire, Thierry Del Poso, a d’abord refusé de nous recevoir avant de nous accorder un entretien téléphonique de dernière minute. Il assure que son soutien plein et entier va aux postières et postiers, et il promet même avoir eu plusieurs rendez-vous avec La Poste en ce sens, le prochain étant programmé pour le 9 février. 

Une commune à deux vitesses 

Peu importe, pour Claude rien n’est fait pour la population vieillissante du village et tout est fait pour « les faux habitants », c’est-à-dire les touristes, celles et ceux qui disposent d’un bureau de poste tout à côté, que l’on n’aperçoit qu’une fois que le soleil chauffe la Méditerranée à plus de 20 °C , qui vont et viennent mais qui, le reste de l’année, préfèrent fuir les Pyrénées-Orientales, le département de France où le taux de chômage est le plus fort de l’hexagone et le taux de pauvreté à plus de 21 %.

L’hiver, les bourrasques de la tramontane, qui s’engouffre dans les grandes rues vides de Saint-Cyprien village, font claquer les fenêtres des nombreuses maisons secondaires vides et des villages de vacances dépeuplés, puis viennent s’échouer sur les grandes vitrines des restaurants du port, quasiment tous fermés en dehors de la saison estivale.

« C’est pas que La Poste qui disparaît, tout meurt à petit feu ici, s’inquiète une postière qui énumère longuement les bars et les boîtes qui ont fermé depuis quelques années. Les petits commerces, les artisans, tout le monde part ! J’habite ici depuis toujours et j’ai bien vu l’évolution, ça vieillit et ça devient une ville pour riches, suffit de regarder les parkings, ils sont tous devenus payants. » 

Devant le marché, le bal des lamentations continue. Denise est « révoltée » et estime que « tout ce que veut cet État, c’est privatiser à fond, rendre tout rentable ». De son côté, Alain Vidal, retraité de La Poste et militant de la CNT, retrace avec précision le démantèlement de La Poste depuis l’éclatement des PTT (Postes, télégraphes et téléphones), en 1990, « sous un gouvernement socialiste ! ». Et une habitante revient à un besoin plus pressant : « Ils auraient pu au moins nous mettre une navette pour aller au bureau de la plage. »

Pas de navette pour aller jusqu’à La Poste

Hors saison, aucune navette ne joint le village à la plage : pour les villageois·es qui veulent accéder à La Poste, c’est la voiture individuelle ou la galère. Les bus qui partent à Perpignan ont des horaires impossibles et le maire précise : « Oui, mais il y a une navette de la CCAS. » 

Contacté par Mediapart, le service rapporte que c’est l’agent qui est aussi chargé du ménage à la résidence du centre communal d’action sociale qui conduit les personnes âgées, celles qui ont besoin d’aller faire leurs courses ou d’aller à un rendez vous médical. L’agent de la CCAS effectue ces trajets avec la voiture de la résidence et seulement quelques heures par semaine. « On arrive à se débrouiller avec les moyens qu’on a mais on conseille aux habitants de réserver le trajet une quinzaine de jours à l’avance », assure-t-on du côté de la CCAS. Il avait bien été question d’installer une navette par taxi, apprend-on de la part d’une société de taxi locale, mais la mairie n’a pas donné suite aux discussions. 

Alors, à défaut d’avoir un bureau de poste ouvert ou une navette accessible facilement, les retraité·es se débrouillent et se trouvent souvent dans l’obligation de quémander aux amis et aux voisins une course jusqu’à la plage.

      On est démodés, vous savez, on n’a pas de carte bancaire.

Stéphane, 85 ans, et sa femme Jeanne, son aînée d’un an, n’osent plus demander cette aide indispensable. D’une même voix, ils soufflent qu’il ne « reste plus rien au village ». Amoureux depuis 65 ans, le couple a quitté le Nord où le mari était mineur et la femme mère au foyer pour venir passer une douce retraite au soleil. Or, depuis qu’ils sont arrivés, il y a 28 ans, ils ont vu le village se vider. Et pour eux, le coup de grâce est arrivé en février 2021, à la fermeture définitive du bureau de poste du village : « On est démodés, vous savez, on n’a pas de carte bancaire. Nous, on retirait de l’argent tous les mois à la banque pour faire nos courses du mois. » 

Depuis un an, Stéphane et Jeanne doivent demander à leurs amis de les conduire jusqu’au bureau de la plage, « mais on a toujours l’impression de déranger les gens. Avant, c’était beaucoup plus simple, on venait, on retirait, on discutait un peu avec la guichetière… » 

Et Patricia, qui les sert depuis des années, écoute ce récit, le cœur serré. « C’est terrible ce qu’on fait aux habitants de la commune, certains payent même des taxis pour aller retirer quelques dizaines d’euros au bureau de la plage, c’est du service public, ça ? »

Des secteurs toujours plus grands pour un service public qui rétrécit

Peu à peu, le service public disparaît des villages et des petites villes. Dominique, postière du département, a fait les comptes, et ils ne sont pas bons. 

Arrivée en 2002 dans le village de Baho, Dominique travaillait avec un chef d’établissement, deux guichetiers et, l’après-midi, ils recevaient même le renfort d’un agent venu de Villeneuve-la-Rivière, de 16 heures à 17 h 30. En 2006, le bureau de Baho a été rattaché à celui de Saint-Estève et de tous les agents cités ci-dessus, il n’en resta qu’un, au poste de guichetier. Puis de nouveaux petits bureaux sont venus se greffer à celui de Saint-Estève, moyennant, à chaque élargissement de secteur, « des suppressions de poste en douce, c’est-à-dire des non-remplacements de départs ». Après 2015, plusieurs des bureaux qui avaient été rattachés à Saint-Estève sont sortis du giron de La Poste et sont devenus des agences postales communales. 

Ce qui faisait la qualité de notre service, la proximité, disparaît au service d’un nouvel objectif, la rentabilité.

Derrière son guichet, Jérôme déprime. « On est condamnés à l’inefficacité, souffle le postier de Saint-Cyprien plage. Je suis postier depuis plus de 30 ans et ça ne va qu’en empirant. Depuis que le bureau du village a fermé, on subit les incivilités des usagers en colère et un afflux supplémentaire qu’on doit gérer à moyens constants. Ce qui faisait la qualité de notre service, la proximité, disparaît au service d’un nouvel objectif, la rentabilité. »

En 2010, La Poste est devenue une société anonyme à capitaux publics, se conformant ainsi aux règles européennes de la concurrence. Désormais, la Caisse des dépôts détient 66 % des parts, et l’État, 34 %. Jérôme vend toujours des timbres, conseille toujours les usagers de La Poste, mais il doit désormais aussi vendre des téléphones portables, des assurances, des crédits à la consommation, et des visites aux grands-parents, le service payant « Veiller sur mes parents », assuré par les facteurs et factrices. 

Mais La Poste persiste et signe : elle ne disparaît pas mais se transforme, en renvoyant à la numérisation ou en installant certains de ses services dans des commerces de proximité, comme c’est le cas dans le village de Saint-Cyprien. « Un point de contact temporaire La Poste Relais a été ouvert en février 2021 au cœur du village, annonce La Poste. Ouvert 7 jours sur 7, il permet d’offrir les services essentiels postaux sur une amplitude horaire plus large. » S’il est possible d’envoyer ou de recevoir du courrier, impossible de retirer de l’argent ou d’avoir accès à un conseiller financier.

La numérisation à marche forcée se fait au détriment des plus âgés

Jean-Pierre vient accompagné de sa femme Liane pour poster son bulletin d’adhésion à une association d’anciens combattants et, sur leur chemin, ils s’arrêtent comme d’habitude pour échanger quelques mots avec les postiers.

« Et si on refuse de tout faire passer par Internet, on est bloqués. On ne veut pas gérer nos comptes en banque en ligne, on veut voir et discuter avec la guichetière, on veut recevoir notre relevé bancaire par papier », fulmine l’un. « Demain, qu’est-ce que ce sera, le service public ? Tout passera par le numérique et les rares fois qu’on sera reçus, ça sera par des machines ? », répond l’autre.

Et les deux de partir, continuant à s’emporter contre la numérisation à marche forcée des services publics et les grandes inégalités qu’elle entraîne. En partant, ils répètent encore : « Comment on fera quand on sera vraiment âgés et qu’on devra tout faire en ligne, ne discuter qu’avec des répondeurs ? » 

À Elne, la commune voisine, les inquiétudes sont les mêmes. Ce jeudi soir, les trois agents se dépêchent entre la récupération et l’envoi des colis pendant que l’une des postières, Kim, tente d’expliquer à un couple d’habitants qui ne sait pas lire comment fonctionnent exactement les virements réguliers. Sur les trois « chargés de clientèles », comme il faut désormais les appeler depuis six ans, seule Kim est en poste, les autres sont intérimaires. 

La réorganisation prévoit la fermeture du bureau le mercredi après-midi, au grand dam du maire de la commune, Nicolas Garcia : « Et pourtant, notre territoire est en pleine explosion démographique. Quand on perd de la population, on perd des services publics. Quand on gagne de la population, on en perd aussi. Quand c’est qu’on en ouvre alors ? »

Le maire revient également sur la situation d’un village voisin, Alénya : « La Poste a quasiment obligé la commune et la communauté de communes a payer des locaux neufs et à financer un distributeur de billets. Et aujourd’hui, on ne cesse de rétrécir les horaires de ce bureau, le service n’est plus rendu … C’est du vol d’argent public. Et ils font ça en s’appuyant sur des agents de plus en plus précaires. » 

17 % de précaires parmi les postiers des Pyrénées-Orientales 

Selon les chiffres de La Poste, sur l’ensemble du territoire, les intérimaires et CDD représentent entre 10 et 15 % des effectifs. Dans les Pyrénées-Orientales, 181 postières et postiers sur 1034 sont intérimaires, soit 17 % des effectifs sur le département. De son côté, La Poste assure qu’elle « favorise le développement d’un emploi de qualité. On constate un faible turn-over de 4,3 % ».

Dans le préavis de grève illimité unitaire déposé le 6 décembre dans le secteur d’Elne, l’une des revendications est la « CDIsation des intérimaires, CDD et apprentis déjà en place sur le secteur ». Dans le même préavis, les personnels demandent aussi « le comblement de toutes les positions de travail supprimées depuis début 2021 », ou se positionnent encore « contre les fermetures sauvages ou définitives de bureaux par manque de moyens de remplacement ».

Avant, on avait le temps de travailler correctement, maintenant on fait vite, pour évacuer la file.

« Nos horaires ont déjà rétréci. Avant, on ouvrait dès 8 h 30, pour les gens qui travaillent, maintenant on ouvre à 9 heures, explique Kim, entre deux clients. Par ailleurs, on a bien ressenti l’impact des départs non remplacés. Rien que sur ce bureau d’Elne, on a eu quatre départs, aucun n’a été remplacé. Avant, on avait le temps de travailler correctement, maintenant on fait vite, pour évacuer la file, même si on s’occupe mal des gens. »

Et La Poste n’est pas le seul service public à se dessécher à Elne. Dernièrement, les élus locaux ont dû se battre pour garder la trésorerie publique. À l’appel du maire communiste d’Elne, une centaine d’élu·es, d’habitant·es et de salarié·es ont même bloqué quelques heures la trésorerie en avril 2021. Près de dix mois plus tard, la perception a été réduite à peau de chagrin, seulement quatre des douze agent·es sont resté·es sur la commune, au plus grand regret de l’édile.

Des élus locaux qui négocient le maintien, a minima, du service public

« J’ai écrit au premier ministre, l’ancien maire de Prades, se rappelle Nicolas Garcia. On a remué ciel et terre mais on n’a sauvé que quatre emplois. On a perdu le percepteur, ça veut dire qu’on nous a fragilisé le service et que, tôt ou tard, il partira alors qu’on a 100 000 visites par an dans ce service. »

Et Vincent Paumard, secrétaire adjoint de Solidaires finances publiques 66 de préciser : « La trésorerie d’Elne a fait partie d’un grand ensemble de restructurations en janvier 2022, tout devait être concentré sur les grandes villes. Cette année, on a perdu six emplois sur le département et six de nos 18 trésoreries ont fermé le 1er janvier », dont celle de Saint-Paul-de-Fenouillet, village où Mediapart s’était rendu il y a deux ans.

« Là ou il faudrait ramener du service public, pour lutter contre le sentiment d’abandon, pour faciliter la vie des gens, on en enlève », souffle encore l’élu communiste avant de dresser un portrait au vitriol des Maisons France Services (MFS), lancées au lendemain du grand débat, par Emmanuel Macron qui présentait l’offre comme une réponse à la disparition des services publics en milieu rural… alors que ce n’était qu’un nouveau packaging pour les Maisons de services au public (MSAP), créées sous le gouvernement Valls en 2014, qui promettaient déjà « une offre de proximité et de qualité à l’attention de tous les publics » en « un lieu unique ».

« Ça, c’est précisément le contraire de ce qu’on attend des services publics, reprend le maire. Les MFS sont des regroupements de services publics, mais qui sont rendus a minima, et soutenus financièrement par des municipalités qui sont déjà aux abois. Je leur ai déjà dit, on n’en veut pas ici. Dans ma commune, on veut du vrai service public financé par l’État, pas un ersatz. Les habitants de Saint-Cyprien, des villages autour et du département, doivent avoir accès aux mêmes services publics qu’ailleurs et ne pas les payer. »


 

Ce reportage est le premier d’une série sur l’appauvrissement des services publics et le quotidien des précaires. Nous chroniquerons cinq ans de réformes sociales brutales et de rétrécissement de l’État, depuis les Pyrénées-Orientales, jusqu’à l’élection présidentielle. Nous avons choisi ce territoire car, depuis des années, il est le premier département hexagonal en termes de taux de chômage, avec plus de 12,5 % de chômeurs et de chômeuses dans la population active. Par ailleurs, c’est aussi l’un des départements les plus pauvres de France, avec un taux de pauvreté à plus de 21 %, quand la moyenne nationale est à 14,7 %.

publié le 7 janvier 2022

Omicron. L’école craque et
les mensonges de Blanquer éclatent

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

De la maternelle au lycée, la situation est vite devenue explosive depuis la rentrée pour les élèves, les familles et les personnels. Une réalité que le ministre de l’Éducation nationale a de plus en plus de mal à masquer. Encore moins avec son énième protocole, publié jeudi 6 janvier au soir. Des appels à la grève sont lancés pour le 13 janvier.

On a beau essayer, on ne trouve pas. On ne trouve pas d’autre mot pour qualifier tout ce qui remonte des écoles, collèges et lycées depuis le 3 janvier que celui-ci : le chaos. Et cela va bien au-delà des seuls problèmes posés par cette évolution du protocole sanitaire annoncée à la dernière minute, la veille de la rentrée – qui plus est dans un média privé et payant.

La très haute contagiosité du variant Omicron met tout le pays à rude épreuve, mais, à l’école, elle s’abat sur un système où des années d’austérité, d’affaiblissement dans tous les domaines démultiplient ses effets. Un peu comme à l’hôpital, un grand service public lui aussi en souffrance, lui aussi au bord de l’explosion. Ce n’est ni un hasard ni une coïncidence.

Quand il pleut, il est fréquent que les cours soient annulés...

Illustration en Seine-Saint-Denis. Jeudi 6 janvier, les enseignants des quatre collèges de Bobigny, la ville-préfecture aux plus de 50 000 habitants, étaient en grève. Parce que, dans ce département qui est le plus jeune et le plus pauvre de France métropolitaine, ils craquent.

Submergés par la vague Omicron, mais pas seulement. Ainsi, quand on dit que le collège Pierre-Sémard craque, il faut l’entendre au sens littéral : cet établissement de construction récente mais en bois est en proie aux termites et s’effondre littéralement. Quand il pleut, il est fréquent que les cours y soient annulés.

Le collège Auguste-Delaune, pour sa part, a été bloqué dès lundi par les parents d’élèves et des professeurs, avec en tête des préoccupations, les problèmes de violence qui s’y posent depuis trop longtemps. Même motif au collège République, déjà en grève une semaine avant les vacances de Noël.

La vie scolaire sur le point de craquer

Anne Régnier est professeure de mathématiques (et membre du syndicat CNT) dans le quatrième collège de la ville, Jean-Pierre-Timbaud. Mercredi après-midi, elle a pris le temps de nous décrire la situation de son établissement face à l’épidémie – celle que connaissent, en vérité, la plupart des collèges et lycées de France.

Au cœur du réacteur : la vie scolaire. CPE (conseillers principaux d’éducation) et AED (assistants d’éducation, les anciens surveillants) y assurent entre autres le pointage des absences et des retards ainsi que l’information aux familles – y compris pour la gestion des cas Covid et cas contacts –, la surveillance des entrées et sorties, de la cantine, des couloirs, des toilettes, de la cour, des salles d’étude… « Aujourd’hui, sur neuf AED, nous n’en avions qu’un seul, et il était cas contact, raconte l’enseignante. Nos deux CPE sont encore là, mais elles commencent à fatiguer. Ce sont elles qui assurent les entrées et sorties, du coup. » Pour la cantine, la direction de l’établissement se trouve dans l’obligation de « réquisitionner » le personnel administratif.

Oui, le ministre ment

Bien entendu, la vie scolaire n’est pas la seule touchée par les absences. Sur une quarantaine d’enseignants, une dizaine manque à l’appel, positifs ou cas contacts. Remplacés ? « On n’a jamais vu un remplaçant depuis le début de l’année ! » s’esclaffe Anne Régnier. Jean-Michel Blanquer aurait-il donc le front de mentir aux députés quand il leur assurait, ce même mercredi : « Nous sommes en ce moment en mesure de remplacer, avec bien entendu des exceptions, il y en a, je le reconnais » ? Oui, le ministre ment, car ses « exceptions » sont la règle. C’est particulièrement vrai en Seine-Saint-Denis, où, si l’embauche de contractuels est extrêmement courante, c’est pour les mettre sur des postes à l’année, rarement sur des remplacements.

Résultat : à Timbaud, quand un professeur manque, les élèves ne peuvent se rendre en étude, faute d’AED. « Ils se retrouvent tous dans la cour, qu’il pleuve ou qu’il vente, parfois à deux cents, pendant une heure, deux heures, surveillés par une seule personne », reprend la professeure de maths, qui relaie l’inquiétude de ses collègues : « Il n’y a pas assez de monde pour gérer les cas contacts, appeler les familles, leur répondre, les renseigner sur la procédure… La sécurité sanitaire des enfants et des personnels ne peut pas être assurée. »

Les retards individuels s’accumulent

La complexité de la procédure visant à maintenir l’apparence du dogme de l’« école ouverte », chère au ministre, avec son test PCR ou antigénique suivi d’autotests à J + 2 et J + 4, a aussi des conséquences pédagogiques : les élèves cas contact quittent la classe et reviennent… au compte-gouttes, le temps de faire les tests ou d’observer les périodes d’éviction. « Depuis le début de la semaine, je n’ai eu aucune classe en effectif complet, toujours quatre ou cinq absents au minimum », témoigne la professeure. La progression pédagogique est retardée, les retards individuels s’accumulent.

On voit des cas d’élèves qui viennent alors qu’ils sont symptomatiques, parce qu’ils ont peur de prendre du retard ! 

Sophie ­Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

Répétons-le : le cas de Bobigny n’est ni caricatural ni exceptionnel. Sophie ­Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le confirme : « Nos retours de terrain nous montrent une désorganisation totale, des établissements proches de l’implosion, où ça craque à tous les niveaux. » D’autant que, dans le secondaire, rappelle-t-elle, « depuis cinq-six ans, on ne remplace plus les absences de moins de quinze jours, ce qui aggrave les inégalités dans les apprentissages ».

Le report des épreuves de spécialité du bac demandé

Son syndicat, le premier dans le secondaire, demande d’ores et déjà le report des épreuves de spécialité du bac, prévues dans sept semaines de cours, à partir du 14 mars : « Les élèves concernés ont déjà passé la moitié de leur année de première en hybride, là, les cas positifs et les cas contacts partent, reviennent… il y a une évidente rupture d’égalité devant ces examens, dont le maintien entretient en plus une pression sur ces jeunes. On voit des cas d’élèves qui viennent alors qu’ils sont symptomatiques, parce qu’ils ont peur de prendre du retard ! »

Dans le primaire, ce n’est guère mieux. Le retard et le flou dans les consignes aggravent la désorganisation. Guislaine David, porte-parole du syndicat Snuipp-FSU, cite ainsi le cas de cet enseignant qui, avec un élève positif lundi, et sans réponse de sa hiérarchie ni de l’ARS sur l’attitude à tenir, a dû, pour éviter de créer un cluster, se résoudre à envoyer à 22 h 30 un mail aux parents de deux classes pour annuler le départ en classe de neige prévu le lendemain matin ! « Les directeurs, qui sont en classe de 8 h 30 à 16 h 30 comme les autres, ne peuvent pas gérer l’administratif, les cas contacts, les familles. Ils passent le peu de temps dont ils disposent à chercher des infos sur Internet… »

Certains recteurs se disent prêts à recruter… des parents d’élèves

Plus encore que dans le secondaire, les allers-retours des élèves positifs ou cas contacts handicapent la progression de la classe entière. Et le remplacement des professeurs absents est à peine mieux assuré : « Il arrive qu’on doive confier les classes aux Atsem (agents municipaux) ou aux AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), relève Guislaine David, mais ce n’est pas réglementaire. Et les personnels municipaux ne sont pas épargnés par le Covid, donc le nettoyage-désinfection des locaux commence à avoir du mal à être assuré. On doit gérer un conflit permanent entre le protocole et la réalité. »

Alors que certains recteurs se disent prêts à recruter des contractuels à bac + 2, voire des… parents d’élèves titulaires d’un master, elle relève une contradiction béante : « Le ministre répète partout l’importance de l’école, des apprentissages, pour lutter contre les inégalités. En vérité, on recrute des gens juste pour garder les élèves, afin que les parents manquent le moins possible le travail ! »

Blanquer, « c’est un David  Copperfield  de bazar »

Cette réalité, sous-tendue par des années d’économies sur le dos de l’école – le Snes a calculé que les 7 500 postes supprimés depuis 2017 dans le secondaire équivalent à la disparition de 166 collèges –, c’est celle que le ministre connaît parfaitement, mais devant laquelle il joue les illusionnistes. « C’est un David Copperfield de bazar », tacle Rodrigo Arenas, de la FCPE : « Il a fait quoi depuis le début de la pandémie ? Pas d’aménagement des programmes, des examens aménagés à la dernière minute, aucune anticipation, et les élèves le paient cash. Il parle d’école ouverte mais dans la réalité, il organise la déscolarisation des enfants. »

Pour les syndicats : trop, c’est trop

Mais, on le sait depuis l’apparition de l’univers, le chaos peut être créateur. Après une réunion avec le ministère, jeudi 6 janvier, débouchant sur un énième aménagement du protocole, les syndicats ont commencé à trouver que trop, c’est trop. Dès vendredi 7 au matin, le Snuipp-FSU, dominant dans le primaire, appelait à une grève nationale « pour une école sécure sous Omicron », jeudi 13 janvier, en dénonçant « une pagaille indescriptible et un sentiment fort d’abandon et de colère parmi les personnels » qui « ne peuvent plus exercer correctement leurs missions d’enseignement ».

Peu après, le SE-Unsa lui emboîtait le pas, « pour faire entendre au ministre que l’école et ses personnels ne peuvent plus tenir ». Le Snudi-Fo n’a pas tardé à les rejoindre. En début d’après-midi, c’était au tour de la CGT Educ’Action d’appeler les personnels à se mobiliser à la même date, soulignant la « souffrance » de tous les personnels et rappelant qu’elle « a toujours déclaré qu’elle était favorable au maintien de l’ouverture des écoles mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas au détriment de la santé et des conditions d’étude des élèves et des conditions de travail des personnels. »

Un peu plus tard c’est le Snes-FSU, majoritaire dans le secondaire, qui se lançait. « Comment croire à une quelconque considération pour notre système éducatif quand rien n’a été fait pour l’adapter à la crise sanitaire en 20 mois ? » demande le syndicat.

Dans ces conditions, l’intersyndicale prévue vendredi 7 au soir devrait permettre à ceux qui ne s’étaient pas encore positionnés de le faire, et à tous de s’accorder sur leurs revendications : report au nom des épreuves de spécialité du bac, recrutements de personnels, mesures de protection… Cette fois, pas sûr que quelques mensonges de plus suffisent au ministre pour échapper à ses responsabilités.

publié le 4 janvier 2022

Éducation.
Des « écoles ouvertes », surtout pour Omicron

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

C’est un protocole renforcé… en allègements que Jean-Michel Blanquer a présenté le 2 janvier. Au risque de laisser le virus s’installer dans les établissements scolaires.

Les personnels de l’éducation et les familles ont appris dimanche soir 2 janvier, via un article payant sur le site du Parisien, les conditions de la rentrée du 3 janvier. Le 29 août, c’est déjà dans une interview exclusive au Journal du dimanche, payante, que Jean-Michel ­Blanquer avait révélé le protocole sanitaire pour la rentrée.

« J’ai reçu un mail dimanche à 19 h 48... »

Mais qu’ils aient ou non payé pour voir, les uns comme les autres sont depuis hier confrontés à la réalité du tsunami Omicron. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le cadre sanitaire imposé par le ministre ne semble pas à la hauteur de la situation.

« J’ai reçu un mail dimanche à 19 h 48, raconte Sandrine, directrice d’une école primaire en Seine-Saint-Denis, pour m’informer d’un soi-disant renforcement du protocole. Mais les mesures décidées ne font que l’affaiblir ! » Lundi, un cinquième de ses collègues (trois sur quinze) étaient absents, testés positifs au Covid ou cas contacts. Sans remplaçants.

Du coup, cette directrice, qui avait réussi à limiter le brassage des élèves avant les vacances de Noël, va peut-être devoir y renoncer : « Depuis samedi, je préviens les parents. Mais, pour ceux qui n’ont pas de solution de garde, comment voulez-vous qu’on refuse l’accueil des enfants ? »

Deux phrases, autant de contradictions

Dans sa fameuse interview, le ministre de l’Éducation nationale l’affirme : « On tient compte de l’extrême contagiosité d’Omicron et de sa plus faible létalité. (…) L’objectif est de garder l’école ouverte dans des conditions sanitaires sécurisées au maximum. » Deux belles phrases dont chaque membre s’avère contradictoire sur le terrain. La première fait fi des taux d’incidence record enregistrés ces derniers jours, en particulier chez les 0-19 ans, et des risques auxquels ceux-ci exposent les enfants : hospitalisation, Covid long pédiatrique, Pims (syndrome inflammatoire multisystémique)…

La deuxième phrase, Guislaine David, porte-parole du syndicat Snuipp-FSU (premier syndicat du primaire), la résume : « On ne ferme plus les classes. Et on laisse le virus s’installer dans les écoles, puisque tout repose désormais sur des tests qui ne peuvent être faits qu’a posteriori. »

Les règles de la nouvelle usine à gaz

Cette stratégie repose en effet entièrement sur l’isolement individuel et les tests. Deux catégories sont définies :

  • Les moins de 12 ans : s'ils sont positifs, ils doivent, quel que soit leur statut vaccinal, observer un isolement de sept jours, réduit à cinq si au terme de ce délai ils peuvent présenter un test négatif ; les moins de 12 ans cas contact peuvent être exemptés d’isolement à condition de présenter le jour même un test PCR ou antigénique négatif, mais devront pratiquer deux autotests à J + 2 et J + 4, gratuitement obtenus en pharmacie et dont les résultats seront certifiés sur l’honneur par les parents.

  • Les adultes et les plus de 12 ans, si leur schéma vaccinal est complet, suivent les mêmes règles. Si leur vaccination n’est pas à jour, les périodes d’isolement sont fixées à dix jours en cas de positivité et à sept jours pour les cas contacts – qui doivent effectuer un test PCR au terme de cette période.

Moyennant cette usine à gaz, plus de fermeture de classe… à condition que les parents ne s’y perdent pas, qu’ils soient disponibles pour courir de laboratoires en pharmacies – et que celles-ci puissent fournir en quantité suffisante les autotests, dont elles manquent cruellement depuis que le gouvernement a autorisé (jusqu’au 31 janvier) les grandes surfaces à les vendre…

Les remplaçants et les détecteurs de CO2 se font rares

Pourtant, des classes vont bien fermer en primaire : là où les enseignants seront malades ou cas contacts. Car si le ministre promet des remplaçants, Guislaine David rappelle qu’en avril 2021, « il avait déjà ouvert les vannes pour embaucher des contractuels… qui ne sont jamais venus. Un contrat d’un mois ou deux quand on est en pleine préparation du concours, ça intéresse qui ? »

Quant aux retraités évoqués par le ministre, on les voit mal se ruer dans des écoles investies par le virus et où, au passage, les détecteurs de CO2 se font toujours rares. Le ministre met en avant, à ce propos, les 20 millions débloqués par l’État pour aider les collectivités locales à en acheter, et se permet de tancer celles qui ne l’ont pas fait… en « oubliant » qu’il y a six mois à peine, il répétait que ces matériels ne servent à rien !

« On a un ministre qui veut que les écoles restent ouvertes à tout prix parce que le gouvernement veut que l’économie reste ouverte », résume Sandrine. Ce « quoi qu’il en coûte »-là, ce sont les enfants qui vont le payer

publié le 3 janvier 2022

Isolement et écoles :
le gouvernement précise les règles, quelques heures avant la rentrée

sur www.mediapart.fr

Nouvelles règles d’isolement pour les positifs et les cas contacts, nouvelles conditions pour le retour en classe des élèves du primaire : à la veille d’une rentrée « désorganisée », les décisions du gouvernement ont été précisées à la dernière minute et par voie de presse.

Pas de communication officielle mais une succession d’articles, à lire dans le Journal du dimanche du 2 janvier. Puis dans Le Parisien, quelques heures plus tard. Et une mise à jour des consignes en plein dimanche après-midi, sur les sites des ministères de la santé et de l’éducation nationale.

Olivier Véran a choisi l’hebdomadaire dominical pour préciser la nouvelle doctrine d’isolement pour les personnes positives et les cas contacts. Il dévoile également les grandes lignes des nouvelles règles à l’école, confirmées quelques heures plus tard, encore par voie de presse, par le ministre de l’éducation nationale. 

De nouvelles consignes, à la dernière minute et alors que le « raz-de-marée » Omicron déferle sur le pays et qu’une « désorganisation » est fortement redoutée dans les prochaines semaines. Le 1er janvier, selon les dernières données de Santé publique France, plus de 219 000 nouveaux cas ont été enregistrés.

« Le pic du nombre de cas devrait culminer mi-janvier, alerte l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, également dans le JDD. Le pic hospitalier pourrait avoir lieu une semaine plus tard avec d’importantes variations régionales. L’Île-de-France sera la première touchée, ajoute le professeur à l’Institut Pasteur de Paris et membre du Conseil scientifique.

  • Plus de souplesse pour les positifs et cas contacts vaccinés

Le 27 décembre, à l’issue du Conseil de défense sanitaire et dans la foulée de ses demi-mesures risquées, Olivier Véran disait attendre les recommandations, « probablement le 31 décembre », du Haut Conseil de la santé publique pour ajuster la doctrine de durée d’isolement. Comprendre : assouplir les règles pour limiter l’impact sur la vie économique du pays.

Première nouveauté : dès le lundi 3 janvier, les personnes testées positives devront s’isoler sept jours, au lieu de dix. Cet isolement pourra même être levé « au bout de cinq jours en cas de test antigénique ou PCR négatif » et sans signe d’infection depuis 48 heures. L’isolement de dix jours est en revanche maintenu pour les non-vaccinés, « avec une sortie possible au bout de sept jours, selon les mêmes conditions » citées plus haut.

Quant aux soignants, déjà soumis à l’obligation vaccinale, ils pourront continuer à travailler même s’ils sont positifs, mais à condition d’avoir « peu ou pas de symptômes. »

Concernant les cas contacts, les règles seront harmonisées. Il n’y aura plus de différence, selon qu’on est contaminé par le variant Delta ou l’Omicron. Jusqu’ici, les cas contacts Omicron devaient s’isoler sept jours, même avec un schéma vaccinal complet.

Désormais, seuls les non-vaccinés, ou ceux n’ayant pas fait leur rappel dans les temps, devront s’isoler sept jours s’ils sont cas contacts. Les détenteurs d’un schéma vaccinal complet, eux, pourront aller et venir librement, « à condition de faire des tests réguliers », indique le ministre de la santé. Précisément, il faudra réaliser un PCR ou antigénique « à J-0, le jour où vous apprenez que vous êtes cas contact », puis un autotest « à J+2 et J+4 ». Ces autotests seront gratuits, délivrés en pharmacie, sur preuve du dépistage à J-0, précise encore Olivier Véran.

Il ne donne en revanche pas d’informations sur le sort des cas contacts résidant dans le même foyer qu’une personne contaminée. Jusqu’ici, l’isolement était de 17 jours pour les non-vaccinés (variants Delta et Omicron) et de 17 jours également, même vacciné, en cas de lieu de vie partagé avec un positif à Omicron.

Enfin, le ministre reconnaît à demi-mot que les équipes chargées du traçage des cas contacts n’arrivent plus à suivre les 200 000 contaminations quotidiennes. « Cela pèse évidemment sur notre capacité à effectuer le traçage des cas en temps et en heure ». Il mise donc sur la responsabilité de chacun : « L’essentiel de ce travail, ce sont les Français qui le mettent en œuvre, en prévenant spontanément toutes les personnes rencontrées dès qu’ils se savent positifs. » Il dit prioriser le suivi « de gros clusters potentiels ».

Sous-effectif, recours à du personnel précaire, règles obsolètes : dès début décembre, Mediapart alertait dans cet article sur le traçage, débordé par le coronavirus.

  • À l’école : les informations tombent quelques heures avant la rentrée

Un tiers des enseignants « au moins » pourraient être touchés par le coronavirus en janvier de manière « directe » ou « indirecte ». C’est la mise en garde du Conseil scientifique, émise pendant les vacances de Noël. Avant les congés, 3 000 classes étaient fermées.

En cette rentrée, les niveaux du protocole sanitaire devraient rester inchangés : les écoles sont en niveau 3, les collèges et les lycées en niveau 2. La nouveauté, c’est que les élèves de primaire devront présenter trois tests consécutifs, au lieu d’un seul, pour réintégrer la classe. Jean-Michel Blanquer avait évoqué cette piste le 28 décembre, sur France Inter, avant un rétropédalage de son cabinet.

Ces tests seront à réaliser le jour de l’apparition d’un cas, puis « à J+2 et J+4 », souligne la « foire aux questions » (FAQ) du ministère de l’éducation nationale, mise à jour tardivement au cœur de l’après-midi, dimanche 2 janvier. Le premier test sera à réaliser en pharmacie ou en laboratoire. Les deux suivants pourront être des autotests, là encore délivrés gratuitement. Les parents devront « présenter une attestation sur l’honneur » de la bonne réalisation de ces tests et leur résultat négatif pour permettre le maintien en classe de l’élève.

Dans cette FAQ mise à jour, on apprend également qu’il n’y aura « plus lieu de fermer automatiquement la classe si trois cas positifs sont identifiés ». L’accueil des élèves sera suspendu uniquement « en présence par exemple d’un très grand nombre de cas, et d’une analyse partagée entre les différents acteurs prenant part à la gestion de la situation ».  

Dans le JDD, Olivier Véran renvoyait à une prise de parole, attendue lundi 3 janvier, de Jean-Michel Blanquer « pour présenter le détail du protocole scolaire ». Finalement, le ministre a accordé, en toute hâte, une interview au journal Le Parisien, publiée vers 16 h 30... Quelques heures, donc, avant le retour en classe. 

  • En entreprise : pas de passe et du télétravail pas vraiment « obligatoire »

Le ministre de la santé le confirme : le passe sanitaire au travail est définitivement enterré. « Il aurait posé des questions juridiques délicates, et nous avons constaté le consensus des partenaires sociaux contre [son] extension au milieu professionnel. Nous en prenons acte. C’est pourquoi nous avons retenu la piste du télétravail obligatoire. »

Obligatoire, vraiment ? Pour l’heure, toujours pas. À compter du 3 janvier 2022, le protocole sanitaire en entreprise sera le seul outil en vigueur. Et il a seulement valeur de recommandation, comme tranché en octobre 2020 par le Conseil d’État. 

Mis à jour le 30 décembre, ce protocole demande aux employeurs de fixer, « pour une durée de trois semaines, un nombre minimal de trois jours de télétravail par semaine, pour les postes qui le permettent ». Et même quatre jours dans la mesure du possible.

La ministre du travail souhaite introduire des sanctions « pouvant aller jusqu’à 1 000 euros par salarié dont la situation n’est pas conforme, dans la limite de 50 000 euros », et devrait proposer, dans les prochains jours, un amendement au projet de loi gouvernemental qui doit transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. L’examen a débuté juste avant la fin de l’année 2021 (voir notre article) et est censé entrer en vigueur le 15 janvier. C’est le douzième texte consacré à la gestion de la crise du Covid-19 depuis mars 2020.

« Cette cinquième vague sera peut-être la dernière », ose aujourd’hui avancer Olivier Véran, en une du Journal du dimanche. « Omicron est tellement contagieux qu’il va toucher toutes les populations du monde. Il va entraîner une immunité renforcée : on sera tous plus armés après son passage », précise le ministre.

En attendant, la vague monte. Deux Français sont diagnostiqués positifs chaque seconde et les 10 millions de contaminés, depuis le début de la pandémie, devraient bientôt être atteints. De quoi laisser craindre un raz-de-marée à l’hôpital, qui vacille, sans épargner aucune région.

publié le 30 décembre 2021

« Payer 19,61 euros pour aller aux urgences, c’est punitif et contre-productif »

sur www.regards.fr

Samedi 1er janvier 2022, le forfait "patient urgences" entre en vigueur : tout patient non hospitalisé qui se présente aux urgences devra s’acquitter de la somme de 19,61 euros, remboursables par sa mutuelle. On en parle avec Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis et conseiller régional LFI d’Ile-de-France.

Regards. Cette mesure est présentée par le gouvernement et la majorité présidentielle comme une mesure de simplification. Qu’en penses-tu ?

Christophe Prudhomme. C’est complètement faux. Aujourd’hui, la facturation des hôpitaux est un joyeux bordel : nous avons un système avec de multiples payeurs - comme l’assurance maladie obligatoire et les assurances maladie complémentaires. Tout cela génère une suradministration très coûteuse.

Il n’y a pas que les syndicalistes et les dangereux gauchistes qui pensent que la suradministration est coûteuse puisque le directeur de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (APHP), Martin Hirsch, alors qu’il rencontrait des difficultés au moment de la facturation des patients Covid hospitalisés en réanimation qui se retrouvaient avec des reste-à-charge de plusieurs milliers d’euros lorsqu’ils n’avaient pas la bonne assurance maladie complémentaire, avait déclaré que, si l’on simplifiait le financement des hôpitaux pour qu’il n’y ait qu’un seul payeur, la Sécurité sociale, cela lui permettait d’économiser 1.500 emplois rien qu’à l’APHP !

Aujourd’hui, le forfait “patient urgence” ne répond pas au problème de la complexité de la facturation à l’hôpital.

C’est donc une mauvaise mesure selon toi ? On ne peut rien y voir de bon ?

Christophe Prudhomme. C’est une mauvaise mesure qu’il ne faut pas mettre en oeuvre. D’ailleurs, elle devait être appliquée au 1er janvier 2021 mais, au regard de la situation des hôpitaux, le gouvernement a pris la décision de la reporter sine die. Il est étonnant qu’au 1er janvier 2022, alors que l’on est dans une situation aussi critique qu’au 1er janvier 2021, ils décident brutalement de l’appliquer.

Les gens qui vont payer les 19,61 euros, ce sont les gens qui viendront juste pour une consultation sans être hospitalisés. C’est punitif et contre-productif car cela ne résout pas le problème de l’organisation de la médecine de ville.

C’est un palliatif pour contrer maladroitement un problème systémique d’organisation des soins selon toi ?

Christophe Prudhomme. L’honorable député Mesnier qui a été antérieurement médecin urgentiste mais qui n’a pas pu exercer très longtemps puisqu’il a rapidement élu, est à l’origine de la mesure de ce forfait “patient urgence”. Il l’a présentée comme une mesure permettant de désengorger les urgences puisque l’encaissement se ferait immédiatement et non plus à la suite d’un envoi de facture comme c’est le cas actuellement.

Le problème, c’est que c’est punitif alors qu’il n’y a pas d’autres solutions : dans n’importe quel système, il y a des gens qui abusent mais ils sont ultra-minoritaires. L’essentiel des gens qui viennent aux urgences ne viennent pas par plaisir mais parce qu’ils ne trouvent pas de médecin en ville car il y a de moins en moins de médecins généralistes et que ceux qui restent sont débordés. Or quand tu as 40 de fièvre, la diarrhée ou que tu tousses, tu as envie de voir un médecin dans la journée, pas sous trois jours : tu vas donc à l’hôpital.

De plus, l’exercice de la médecine de ville ne correspond plus aux besoins des patients : quand tu vas voir un médecin en ville, il va te prescrire une prise de sang. Tu vas donc devoir aller ensuite dans un laboratoire d’analyses médicales. Mais il va aussi peut-être te prescrire une radio donc il faut que tu trouves un cabinet de radiologie. Si tu viens aux urgences, même si tu restes 6 heures, tu as tout sur place : soit c’est grave et tu es hospitalisé, soit ça ne l’est pas et on renvoie à domicile mais tu es rassuré.

Les patients peuvent-ils sortir gagnants, une fois cette mesure appliquée ?

Christophe Prudhomme. Certains vont s’en sortir avec une facture allégée, d’autres vont devoir davantage. Aujourd’hui, quand un patient vient aux urgences, il paie quelque chose. Mais pas immédiatement : il va recevoir une facture avec une prise en charge par l’assurance maladie et les assurances complémentaires.

Par ailleurs, il n’est pas question, alors que nous, soignants, sommes déjà débordés par des tâches administratives, que l’on se préoccupe de récupérer les 19,61 euros auprès des patients. Il est certain que les soignants vont refuser catégoriquement de remplir cette tâche. Il faudra donc embaucher des personnels administratifs supplémentaires, ce qui est un non-sens pour une mesure soit-disant de simplification…

Dernier point : les gens qui viennent aux urgences et qui sont stressés parce qu’ils sont accueillis dans des conditions qui ne sont pas bonnes, si on leur dit de surcroit qu’ils ne peuvent pas partir s’ils n’ont pas payé les 19,61 euros, cela peut être source d’agressivité et de tensions.

En un mot comme en cent : la seule simplification valable, c’est un financeur unique de l’hôpital, à savoir la Sécurité sociale.

publié le 29 décembre 2021

Passe vaccinal. Pourquoi communistes et insoumis voteront contre

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Le ministre de la Santé a défendu le projet de loi en commission le 29 décembre. Il doit être adopté pour entrer en vigueur le 15 janvier. Communistes et insoumis voteront contre ce texte examiné en séance plénière à l’Assemblée nationale à partir du 3 janvier, puis au Sénat à partir du 5 janvier.

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, justifiait devant les députés la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal et les nouvelles restrictions décidées par le gouvernement. Le 29 décembre en commission des lois, le ministre a salué le succès du passe sanitaire lors de la quatrième vague l’été dernier, et s’est appuyé sur ce précédent pour appeler l’Assemblée à voter le projet de loi. C’est le 15 janvier que le nouveau passe vaccinal doit entrer en vigueur.

Des questions sur la mise en circulation d’autres vaccins tels que Novavax et Valneva

Dans l’opposition, les interpellations du ministre de la Santé ont été diverses. À droite, LR votera le projet de loi selon Ian Boucard : « nous partageons avec vous la nécessité de tout faire » pour enrayer cette nouvelle vague. Au PS également, les députés voteront le texte. Les insoumis et les communistes sont contre.

Un certain nombre de questions et de critiques ont été adressées au gouvernement, y compris de la part des groupes politiques qui voteront en faveur du projet de loi. À droite, Ian Boucard a critiqué la gestion de la crise et « les excès de communication » de l’exécutif : « tout ça pour ça » a-t-il raillé, qualifiant les dernières annonces de Jean Castex de « ridicules ».

Les députés LR veulent en outre limiter le passe sanitaire aux majeurs, et supprimer la capacité donnée aux commerçants de vérifier l’identité des personnes. Du côté des socialistes, Cécile Untermaier a souligné la défiance vis-à-vis des vaccins et interrogé le gouvernement sur la mise en circulation d’autres vaccins tels que Novavax et Valneva, attendus par certains Français qui refusent ceux de Pfizer et Moderna.

La création de « deux catégories de citoyens »

À gauche, les critiques les plus fortes sont venues des communistes et des insoumis. Mathilde Panot, pour la FI, a fustigé une « convocation » des députés entre Noël et le jour de l’an pour « avaliser en un temps record » la création de « deux catégories de citoyens dans le pays », vaccinés et non vaccinés. Soulignant également un « hôpital à bout de souffle », elle a qualifié la politique sanitaire du gouvernement de « délétère », en rappelant que l’OMS est défavorable à l’obligation vaccinale. « Nous sommes convaincus que le vaccin est utile », a scandé la députée insoumise, « mais pas le passe ».

Chez les communistes, c’est Sébastien Jumel qui s’est opposé à « un acte d’autorité de nature à cliver chaque jour un peu plus la société française ». « Nous partageons la conviction que la vaccination est un bien fait pour nous-même et un acte de protection collective », a également précisé le député de Seine-Maritime. « Le texte instaure de fait une obligation vaccinale pour les citoyens, alors qu’il n’y a pas d’obligation de faire pour l’État », a expliqué Sébastien Jumel en faisant allusion à la situation des hôpitaux et à l’absence de bilan des mesures précédentes. « En démocratie il n’y a pas de place pour les menaces », a-t-il conclu face à Olivier Véran.

Le texte sera examiné en séance plénière à l’Assemblée nationale à partir du 3 janvier, puis au Sénat à partir du 5 janvier.


 

Obligation

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

De fait, le gouvernement nous entraîne vers l’obligation vaccinale sans l’assumer, en évacuant le débat sur la question essentielle: quelle est la bonne stratégie globale pour lutter contre l’épidémie Covid-19? Il est trop facile de tout miser sur la vaccination avec un glissement inquiétant vers la désignation des « mauvais citoyens » que seraient les non-vaccinés, traités de fait comme des boucs émissaires.

Bien entendu, il faut améliorer encore la couverture vaccinale, mais en allant vers les populations encore insuffisamment couvertes que sont 10 % des plus de 75 ans ou les plus pauvres, dont le taux de vaccination est très inférieur à la moyenne nationale.

Par ailleurs, la vaccination n’est pas l’arme absolue et la modification durable de certains aspects de notre vie quotidienne est aussi importante. Or là, le bât blesse, car il n’est plus possible de ne pas prendre en compte les effets délétères des mesures de restriction de la vie sociale sur la santé de ceux qui souffrent d’autres pathologies, et qui sont beaucoup plus nombreux que les malades Covid-19.

En outre, et c’est capital: les mesures dites du Ségur de la santé ne répondent pas à l’urgence de la situation de crise des hôpitaux qui sont à la limite de l’effondrement. Aussi, la priorité politique ne peut pas être d’instrumentaliser le débat autour de mesures autoritaires, visant au meilleur positionnement tactique à quelques semaines de l’élection présidentielle. Personne ne peut prédire l’évolution de l’épidémie dans les mois et les années qui viennent.

 

 

Passe vaccinal. Sébastien Jumel : « Sans stratégie sanitaire, le gouvernement choisit l’autorité »

Lola Ruscio sur www.humanite.fr

L’élu PCF Sébastien Jumel émet de vives critiques à l’égard du texte annoncé lundi soir par Jean Castex et dénonce sa gestion antidémocratique de la pandémie. Il appelle à réarmer l’hôpital public. Entretien

Sébastien Jumel Député PCF de Seine-Maritime

Le député PCF de Seine-­Maritime s’opposera à l’Assemblée nationale, ce mercredi en commission, au projet de loi entérinant le passe vaccinal. Il rappelle l’urgence de lever les brevets sur les vaccins, seul moyen efficace pour faciliter leur accès et ainsi éviter l’émergence de nouveaux variants.

Comment réagissez-vous à la transfor­mation du passe sanitaire en passe vaccinal ?

Sébastien Jumel Pour la douzième ou treizième fois, le gouvernement propose un texte pour gérer la crise sanitaire sans tirer les leçons des échecs précédents. Mieux, il trahit une fois de plus ses propres ­déclarations : souvenez-vous, quand ­Emmanuel Macron disait qu’il était hors de question de créer un passe sanitaire, lorsqu’on nous assurait qu’il n’était pas question de lancer un passe vaccinal… Cela illustre bien l’absence de stratégie, le manque de cohérence et de lisibilité des choix du gouvernement. Comme lors des textes précédents, le gouvernement fait le choix d’une gestion autoritaire de la crise sanitaire et prend toutes ses décisions au sein d’un Conseil de défense antidémocratique. Or, la priorité du gouvernement devrait être celle de rassembler le pays, de rassurer, et pas de crisper les récalcitrants aux vaccins ou ceux qui sont tout simplement inquiets.

Le gouvernement assure que ce nouveau dispositif permettra de relancer la campagne vaccinale. Cela ne vous convainc pas ?

Sébastien Jumel Non. Je ne pense pas que le passe vaccinal soit de nature à convaincre les six millions de Français non vaccinés. Cette nouvelle décision autoritaire risque d’amplifier les tensions, les crispations. Au lieu d’obliger les gens à se vacciner, le gouvernement devrait privilégier une politique sanitaire axée sur les leviers suivants : aller au contact des plus fragiles, des récalcitrants ; investir dans la médecine de ville, la médecine scolaire, notamment pour les plus jeunes. Bien sûr, il faut aussi réarmer l’hôpital public, complètement dévasté après des années d’austérité budgétaire.

Quelles sont les mesures ­problématiques que vous dénoncez ?

Sébastien Jumel Il y a d’abord la question des contrôles d’identité. Le texte permettrait à de simples restaurateurs, à des vigiles, à des employés de vérifier l’identité du détenteur du passe en cas de soupçon de fraude. Or, ils ne sont ni formés ni habilités à effectuer cet acte policier. On ne doit surtout pas transférer cette compétence à des acteurs du secteur privé, quel qu’en soit le motif. Si cette disposition ahurissante passe, ce serait une atteinte forte à nos libertés individuelles. Les députés communistes voteront contre cette loi. En outre, celle-ci ne prévoit rien pour investir dans la santé, ni pour rendre accessible la vaccination à toutes et tous. Il n’y a rien non plus sur la gratuité des tests, ni sur les moyens à mettre en œuvre pour accélérer la vaccination des personnes fragiles. Mais il n’y aura plus de café au comptoir, plus de concerts debout… Le gouvernement tâtonne et l’efficacité de ses mesures reste à prouver.

Quelles solutions préconisez-vous pour endiguer la pandémie ?

Sébastien Jumel Sur la méthode, nous prônons le dialogue avec les maires, les acteurs locaux, les scientifiques et les syndicats. Si le gouvernement les avait écoutés, on n’en serait certainement pas là. Concrètement, il faut absolument lever les brevets sur les vaccins. Sans cela, la situation sanitaire va se répéter inlassablement, avec l’apparition de nouveaux variants émergeant de pays où l’accès aux vaccins se fait toujours attendre. Cette mesure d’urgence doit s’accompagner d’un plan massif de vaccination de l’humanité tout entière, tel que le préconise le directeur de l’OMS. En France, la politique sanitaire doit miser sur les acteurs de proximité afin de vacciner l’ensemble de la population et rassurer ceux qui expriment des craintes. Il faut également redonner des moyens à l’hôpital public, rouvrir les milliers de lits fermés durant la crise sanitaire. Enfin, le remboursement des tests, des masques FFP2 (pour les personnels soignants et les plus fragiles notamment) est indispensable. Sans oublier l’école, où il faut équiper les classes pour pouvoir les aérer. Bref, il faut un État qui protège plutôt qu’un État autoritaire.

publié le 27 décembre 2021

Covid-19: L'opposition dénonce des mesures "punitives" de Castex et son silence sur les hôpitaux

Par Jade Toussay sur www.huffingtonpost.fr

Plusieurs responsables politiques de gauche, ainsi que Marine Le Pen, ont déploré que le Premier ministre n'annonce rien pour aider les hôpitaux sous pression.

À peine annoncées, aussitôt critiquées. Les dernières mesures du gouvernement pour freiner la cinquième vague de coronavirus ont sans surprise été dénoncées par différents partis d’opposition, qui tous ont regretté le silence du Premier ministre sur l’état de l’hôpital public. 

En tête des détracteurs, la candidate du RN à la présidentielle Marine Le Pen a rapidement fustigé “des mesures punitives qui n’ont aucun sens”. La présidente du parti, opposée au pass sanitaire et à l’obligation vaccinale des soignants, a appelé à “prendre des mesures de bon sens”, comme “rappeler les soignants suspendus (et) rouvrir les lits fermés”.

Un avis partagé à l’autre bout de l’échiquier politique, par plusieurs candidats à la présidentielle. “Sanctions, interdictions, obligations”, a réagi le candidat du NPA Philippe Poutou, “mais toujours pas (...) de fric pour l’hôpital”, a-t-il déploré, pointant d’autres failles de la stratégie gouvernementale. 

Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et porte-parole de Anne Hidalgo a pour sa part “regretté que le gouvernement n’entende pas le désarroi des personnels de santé qui alertent sur l’état de l’hôpital public. Il est urgent de revenir sur les suppressions de lits notamment”, a-t-il estimé sur Twitter.

Dans un tweet sur le même ton, Ian Brossat directeur de campagne du candidat du PCF Fabien Roussel a de nouveau évoqué la suppression de “5700 lits en 2020” et regretté qu’il n’y ait “rien de neuf pour l’hôpital public” dans les annonces du Premier ministre. 

Le gouvernement pourra se défendre en rappelant que la conférence de presse était consacrée à la gestion de la crise de coronavirus actuelle, et non à l’annonce de mesures plus larges sur le système de soins français. 

Toutefois, la suppression des places à l’hôpital est un sujet dont le gouvernement a du mal à se défaire, au vu de la crise sanitaire qui perdure. Depuis le début de la pandémie, la question est revenue de multiples fois sur le tapis, et les chiffres ne plaident pas en faveur de l’actuel occupant de l’Élysée. 

Au moins 17.000 lits fermés

Comme le rappelle CheckNews, le nombre de suppressions de lits fait l’objet d’une publication annuelle de la Drees. Après une première estimation, les chiffres sont consolidés et affinés dans les deux ans qui suivent. Ainsi, on dispose en 2021 du nombre précis de lits fermés entre le début du quinquennat Macron en 2017 et jusqu’à 2019: 12.200 en tout. Auxquels vient s’ajouter l’estimation de 5700 pour 2020, sachant que le nombre précis ne sera disponible qu’en 2022.

Et c’est sans compter un rapport accablant paru fin octobre. Une enquête menée conjointement par le président du Conseil scientifique et du ­Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et la logistique des directeurs de CHU estimait que sur environ 387.000 lits ouverts, au moins 1 sur 5 n’était pas disponible, faute de personnel soignant. Le gouvernement avait tenté de minimiser voire de contester ce chiffre, sans vraiment convaincre.

Lors du Ségur de la Santé, Olivier Véran a - avec raison - fait valoir que les fermetures massives de lits ne dataient pas de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. “On paye trente ans d’incurie”, avait-il lâché, tout en promettant une la fin du “dogme” de réduction des places et une enveloppe de 50 millions d’euros pour ouvrir 4000 lits. 

 

publié le 26 décembre 2021

Cinquième vague. Vers une inévitable« désorganisation de la société » ?

Nadège Dubessay, Cyprien Boganda, Naïm Sakhi, Marie-José Sirach et Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

L’explosion du nombre de cas positifs conduit de nombreux secteurs à un point de non-fonctionnement. Et avec un variant Omicron ultracontagieux, la date du pic de contaminations n’est pas encore prévisible.

C’est une semaine décisive qui s’annonce face à la propagation à vitesse grand V du variant Omicron. Dès ce lundi, deux réunions sont programmées à l’Élysée, autour d’Emmanuel Macron. À 16 heures, un Conseil de défense sanitaire devrait précéder un nouveau tour de vis sanitaire, alors que le seuil des 100 000 cas par jour a été dépassé samedi, jour de Noël. S’ensuivra dans la foulée un Conseil des ministres exceptionnel pour accélérer l’adoption du projet de loi transformant le passe sanitaire en passe vaccinal. Le texte précise qu’un schéma vaccinal complet sera demandé « pour l’accès aux activités de loisirs, aux restaurants et débits de boissons, aux foires, séminaires et salons professionnels ou encore aux transports interrégionaux  ». La seule présentation d’un test négatif reste valable « pour l’accès aux établissements et services de santé et médico-sociaux ». Le gouvernement espère son entrée en vigueur le 15 janvier. Jeudi, le Conseil scientifique avait alerté sur le risque de « désorganisation de la société » à partir de janvier, provoqué par le nombre croissant d’arrêts maladie. Si le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, se veut prudent face à un risque de blocage de l’économie, dans les hôpitaux comme dans de nombreux autres secteurs les effets se font déjà ressentir.

1 - À quelle date se situera le pic de la cinquième vague ?

Mi-décembre, on croyait avoir atteint le pic de la cinquième vague. C’était compter sans la déferlante Omicron. Le variant, beaucoup plus contagieux, se répand à une vitesse fulgurante et bat des records de contamination. Le 25 décembre, 104 611 personnes contaminées étaient comptabilisées en France (10 000 de plus que la veille), un record absolu depuis le début de la pandémie. Sa grande faculté de propagation – trois fois plus que Delta, lui-même deux fois plus que le variant de souche – fait que, début janvier, il devrait être dominant dans toute l’Europe. Aujourd’hui, tous les regards se tournent vers le Royaume-Uni. Le pays bat aussi des records de contamination : 120 000 par jour. Car, s’il semble admis qu’Omicron est moins dangereux que Delta, avec un risque d’admission à l’hôpital jusqu’à 70 % moins élevé, son caractère bien plus transmissible fait craindre des hospitalisations en hausse. C’est d’ailleurs le cas au Royaume-Uni, notamment à Londres. Le professeur ­Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College of London, tempère pourtant : au Royaume-Uni, les hôpitaux «  sont loin d’atteindre la saturation ». En Afrique du Sud, berceau de ce nouveau variant, le taux d’incidence est à la baisse depuis quelques jours. Peut-être les prémices, enfin, d’une bonne nouvelle. Reste la grande inconnue : quand atteindrons-nous le pic en Europe ? Le Royaume-Uni semble encore bien loin du sommet.

2 - Les hôpitaux seront-ils débordés ?

Les services de réanimation des hôpitaux accueillent aujourd’hui presque 3 300 malades du Covid. En Île-de-France, région où le variant Omicron est le plus présent, les hospitalisations ont augmenté de 10,34 % et les réanimations de 6,12 % cette dernière semaine. Médecin urgentiste au Samu 93 et responsable CGT, Christophe Prudhomme précise cependant que « les malades non Covid restent largement majoritaires ». C’est le nombre de membres du personnel absents (cas contacts, arrêt maladie) qui inquiète aujourd’hui particulièrement. À Avicenne (Seine-Saint-Denis), 27 % des lits étaient fermés, et ce avant même les vacances de fin d’année. Sur l’ensemble des hôpitaux de l’Assistance publique, 18 % des lits le seraient par manque de personnel. Le ministre de la Santé a fini par le reconnaître : du fait des effectifs en berne, des personnes positives au Covid et asymptomatiques travaillent. « Après avoir alarmé tout le monde, multiplié les principes de précaution et étendu le délai de confinement jusqu’à dix-sept jours, le gouvernement se retrouve dans une impasse », estime ­Christophe Prudhomme.

Le médecin craint que, très vite, « des patients non Covid ne soient plus traités correctement, avec des interventions, des hospitalisations repoussées ». Déjà, dit-il, des incidences se font sentir sur les patients cancéreux et la population qui n’est pas atteinte de forme grave du Covid. Il tempête : après la première vague, le gouvernement a fait le choix de ne pas conserver le personnel qui s’était porté volontaire et est revenu à une jauge de 5 000 lits en réanimation (elle était de 8 000). « Pourtant, tout aurait pu être anticipé. Il aurait été simple de former massivement du personnel avec des contrats d’étude. Pour un aide-­soignant, c’est un an d’étude. Trois pour un infirmier. Si ces choix avaient été faits, du personnel soignant aurait été prêt à travailler dès cet été. »

3 - Des secteurs essentiels minés par l’absentéisme ?

Transports, grande distribution, fonction publique… Autant de secteurs essentiels qui pourraient se retrouver désorganisés par la multiplication des absences liées au Covid. C’est déjà le cas à la SNCF, où la circulation des trains sur certaines lignes a été annulée, en Occitanie notamment, mais aussi en Lozère, à Lyon, Grenoble, etc. Sur le RER C, explique Matthieu Bolle-­Reddat, responsable de la CGT cheminots à Versailles, seuls « deux trains sur trois » ont roulé dès jeudi dernier, avec parfois des « gares non tenues » (sans agent). Si le service dégradé est, pour l’instant, « local et marginal », dixit la direction, avec la croissance exponentielle du nombre de contaminations, les difficultés pourraient se multiplier.

Dans la grande distribution aussi, les syndicats voient les nuages s’amonceler. «  La direction nous fait un point régulier sur le nombre de cas de Covid dans les magasins, explique Laurent Lamaury, de la CGT ­Carrefour Market. On recensait quatre magasins concernés jeudi dernier en Île-de-France, mais cela va vraisemblablement grimper dès cette semaine. » Le syndicaliste redoute que la nouvelle vague secoue des équipes déjà à bout en raison d’un sous-­effectif chronique : «  Les plans de suppression de postes ont laminé les magasins, les salariés sont épuisés. Si les cas contacts se multiplient, cela va être un massacre. »

Du côté des services publics, on commence également à tirer la langue. «  Hors pandémie, la période des fêtes est déjà compliquée avec les congés. Là, on voit bien qu’il y a plus d’arrêts maladie que d’habitude », estime Céline Verzeletti, cosecrétaire générale de la CGT des services publics d’État (UFSE). Si la situation s’avère particulièrement critique dans la santé, les autres services, en particulier ceux où les fonctionnaires travaillent au contact du public, sont également touchés. «  Il y a une fatigue et un ras-le-bol qui commencent à s’accumuler. On craint de ne pas arriver à faire face dans les semaines qui viennent, alors même qu’on est très habitués à travailler en sous-sous-­effectif », alerte la syndicaliste.

4 - La culture, encore en première ligne des dégâts ?

Déjà fragilisé depuis deux ans, le monde de la culture, et notamment le spectacle vivant, est de nouveau en sursis devant l’augmentation du nombre de cas positifs au sein des équipes artistiques et techniques. Les premiers signaux d’alerte sont venus mi-décembre du Danemark, d’Angleterre, des Pays-Bas et, le 22 décembre, de Belgique où la fermeture de tous « les commerces non essentiels » – selon l’insupportable formule consacrée – est programmée jusqu’au 14 janvier. En France, la propagation du virus a contraint l’Opéra Bastille d’annuler des représentations du Don Quichotte. Même sort pour la comédie musicale le Roi lion à Mogador, qui se jouait à guichets fermés, et le Moulin Rouge a dû surseoir à toutes ses représentations, au moins jusqu’au 31 décembre. Et Georges, le superhéros qui devait « sauver le monde » au Monfort, est contraint de jeter l’éponge.

La liste des spectacles et tournées annulés commence à alarmer sérieusement artistes, directeurs de théâtre et de cinéma, qui se remettaient à peine de deux ans de fermeture, d’annulations et de reports de spectacles et de films. La baisse de fréquentation constatée depuis la rentrée cet automne constituait déjà un premier facteur d’inquiétude, mais tous redoutent un scénario identique à celui de la première, puis de la deuxième vague, qui avait mis le monde de la culture à l’arrêt. Une inquiétude d’autant plus grande que la prolongation de l’année blanche pour les intermittents, obtenue de haute lutte, court jusqu’au 31 décembre. Et après ? La CGT spectacle estime que beaucoup d’intermittents n’atteindront pas les 507 heures nécessaires à l’ouverture de leurs droits et demande au gouvernement de décider, d’ores et déjà, la prolongation de cette année blanche, compte tenu de la détérioration de la situation.

5 - Éducation nationale : faut-il repousser la rentrée ?

Dans une lettre ouverte parue samedi sur le site du Journal du dimanche, une cinquantaine de travailleurs de la santé alertent Olivier Véran sur la très grande circulation du virus chez les plus jeunes. Depuis début novembre, plus de 300 000 enfants et adolescents ont été confirmés positifs au Covid. Plus de 800 enfants de moins de 10 ans et 300 adolescents de 10 à 19 ans ont été hospitalisés en six semaines, des chiffres qui dépassent ceux des vagues précédentes et restent en augmentation. Les signataires du courrier au ministre de la Santé préconisent notamment « le report de la rentrée du 3 janvier (…) jusqu’au retour à des seuils d’indicateurs sanitaires définis publiquement ».

Du côté des syndicats d’enseignants, l’idée n’est pas à exclure, mais c’est surtout la colère qui domine face à l’immobilisme de leur ministre de tutelle. «  Aucune mesure d’urgence n’a encore été annoncée alors que la situation est alarmante, s’insurge Jules Siran, cosecrétaire fédéral SUD éducation. La question de la responsabilité du protocole mis en place le 29 novembre dans l’explosion des cas de Covid est posée : le fait de ne plus fermer systématiquement les classes malgré des cas de Covid a forcément eu un impact. Les 12 millions d’élèves, du primaire au lycée, et le million d’enseignants ont constitué un incubateur géant. » Pour Laetitia Faivre, cosecrétaire générale du Snes FSU Paris, «  l’éducation nationale a fait la démonstration qu’elle n’était pas capable de mettre en place une politique de tests massifs et des mesures évidentes, comme l’aération des locaux, sont parfois difficiles quand l’ouverture des fenêtres est dangereuse ou que celles-ci sont bridées par des dispositifs de sécurité ». C’est pourquoi la syndicaliste réclame «  la reprise en main de la gestion de la crise sanitaire dans les établissements scolaires par un autre interlocuteur que Jean Michel Blanquer ». Le but ? Mettre enfin, de manière pragmatique et réaliste, toutes les options sur la table, y compris la fermeture des établissements s’il est déjà trop tard pour limiter la catastrophe par d’autres moyens.

publié le 23 décembre 2021

Éloge du service public

Fabien Gay sur ww.humanite.fr

On se souvient que, selon les apôtres du libéralisme et leur prophète Tchatcher, « la société n’existe pas ». Le monde n’est pour eux qu’une somme d’individus isolés et rivaux, tirant tant bien que mal leur épingle d’un jeu sauvage. L’un des antidotes à cette conception barbare de l’humanité a pour nom « service public ». Le saccage méthodique dont il fait l’objet est la condition préalable de l’établissement d’une société régie par la guerre de tous contre tous.

On peut ainsi affirmer sans crainte que l’état de tension de la société française se mesure à l’aune de la situation qui est faite à ses services publics, qui relèvent fondamentalement d’une conception révolutionnaire en ce qu’ils opposent aux logiques capitalistes une logique de mise en commun des richesses et des compétences dans des secteurs clés de la vie sociale et économique.

En première ligne de la crise sociale, au-devant des défis posés par les confinements et la pandémie, les agents des trois fonctions publiques, d’État, hospitalière et territoriale, remplissent des missions qui incarnent l’éthique de la République sociale : leurs tâches sont toutes dédiées aux autres, comme en ont témoigné les agents de GRDF refusant de couper le gaz à des clients bernés par de nouveaux fournisseurs. Ils et elles forment un cordon altruiste et solidaire sans lequel, effectivement, la société n’existe plus ou à peine.

Or, les services publics sont maintenus dans un état proche de l’apoplexie. Et les différents candidats de droite promettant la suppression de postes par dizaines de milliers ne précisent évidemment jamais ni comment, ni où. Dans le secteur hospitalier, dont la pandémie a révélé les sous-effectifs scandaleux ? Dans la fonction publique territoriale, alors que la République répond aux abonnés absents dans de si nombreux territoires ? Dans l’éducation nationale où des milliers de postes ne sont pas pourvus ? Dans la fonction publique d’État pour confier à des cabinets privés, souvent nord-américains, la conduite des affaires publiques ?

Emmanuel Macron a eu beau jeu, lors de son allocution sponsorisée TF1, de prendre ses distances avec la curée promise par ses rivaux. Il est pourtant comptable d’un affaiblissement colossal du rôle des services publics. Sa loi de transformation de la fonction publique, inspirée par la Commission européenne, acte une attaque sans précédent contre le statut des agents, poussant à la contractualisation, à des délégations de service public, au transfert d’agents vers le privé, entérine la fin des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), ainsi qu’une annualisation du temps de travail qui poussera les agents à travailler plus pour gagner moins. Le même M. Macron nous vante l’autonomie des établissements scolaires, laissant aux chefs d’établissement, comme il s’y est engagé à Marseille, le loisir de choisir eux-mêmes leurs enseignants. Le président de la Cour des comptes a ainsi le champ libre pour nous enjoindre de « reconnaître le rôle du chef d’établissement comme manager ».

Santé, collectivités locales, sécurité publique, éducation : partout les agents crient leurs difficultés et la perte de sens de leur travail. C’est ce que dit avec force le mouvement à l’ampleur inédite lancé par des milliers de greffiers et magistrats. Ajoutons que le gel du point d’indice, alors que l’inflation galope, en plus de saper l’attractivité de la fonction publique, a amputé le pouvoir d’achat des agents de près de 10 % sur les dix dernières années !

Quand certains souhaitent cantonner les services publics au rôle d’œuvres de charité pour pallier les défaillances du marché capitaliste, la tradition républicaine et sociale les érige en contre-modèle qui porte « les germes de communisme » dont parlait Jaurès. C’est à cette haute conception que de très nombreux citoyens restent attachés. Il nous faudra, dans les mois qui viennent, la défendre de toutes nos forces. 

publié le 22 décembre 2021

Contrôle des chômeurs. À Pôle emploi,
la politique de radiation bat son plein

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Alors que le gouverne exige le renforcement des contrôles sous couvert de remettre les chômeurs récalcitrants au travail, les privés d’emploi, notamment de longue durée, vont être également soumis à ce flicage pour faire baisser les statistiques.

« L es demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leur allocation suspendue. » Cette phrase couperet, prononcée par le futur candidat Emmanuel Macron, le 9 novembre, n’a pas tardé à être suivie d’effet. Depuis le 1er décembre et jusqu’en mai 2022, les contrôles des chômeurs sont intensifiés, avec une hausse de 25 % pour atteindre 250 000 procédures dans les six prochains mois (500 000 au total en 2022 contre 400 000 en 2019). Dans cette vaste opération de flicage, les personnes identifiées sur les métiers en tension (bâtiment, aide à la personne…) et celles en projet de création d’entreprise depuis plus de six mois sont ciblées en priorité.

« Bas salaires, conditions de travail pourries »

« On n’arrête pas de nous parler de ces 200 000 à 300 0000 offres non pourvues sur ces professions où il est difficile de recruter, mais on oublie souvent de dire que les conditions de travail sont pourries et les salaires bas », rappelle Guillaume Bourdic, représentant syndical de la CGT Pôle emploi. La ministre du Travail, Élisabeth Borne, a tenté de justifier ces contrôles accrus : « C’est bien normal, alors qu’on accompagne comme on ne l’a jamais fait les demandeurs d’emploi, qu’on s’assure qu’ils cherchent effectivement du travail. » ​​​​​​​Qu’importe si les effectifs de Pôle emploi n’ont été renforcés que de 100 équivalents temps plein pour cette année et que seules 941 000 offres soient actuellement disponibles sur le site Internet de l’établissement public pour 6,5 millions de chômeurs, il s’agit de faire baisser les statistiques.

Dans la même veine, le plan censé « redynamiser » les demandeurs d’emploi de longue durée (Deld) risque aussi de se traduire par une exclusion des listes de l’ex-ANPE. Ce dispositif lancé fin septembre par le gouvernement consiste à recontacter 1,5 million de personnes d’ici à fin 2021. Stéphanie (1), conseillère Pôle emploi en région parisienne, a pu constater que la course contre la montre s’était enclenchée. « On nous demande de convoquer des chômeurs à tour de bras, mais il faut bien comprendre que, s’ils ne trouvent pas d’emploi depuis un moment, c’est souvent parce qu’il y a de grandes problématiques sociales derrière. On ne peut pas les diriger sur un poste en claquant des doigts. »

Pour aller plus vite d’ici au 31 décembre, la direction de l’agence n’a pas hésité à reprendre la main sur les portefeuilles des conseillers. « Un de mes chômeurs s’est vu inscrire dans son dossier qu’un entretien avait eu lieu alors que ce n’était pas le cas. Pour une autre personne, il a été signalé qu’elle ne s’était pas rendue à une convocation alors qu’elle n’a rien reçu ! C’est n’importe quoi », enrage-t-elle. Pour ce dernier cas de figure, la marche à suivre est explicite. Si le demandeur d’emploi de longue durée est injoignable, il devra être signalé aux services de contrôle de la recherche d’emploi (CRE), a fortiori s’il est sur les métiers en tension. Les jeunes du programme #TousMobilisés, déclarés absents, subiront aussi le même sort. De quoi faire encore grimper les radiations.

Pour les agents, la dénonciation, c’est non

Depuis cet automne, Stéphanie, comme d’autres agents, avait déjà constaté que la machine à rayer des listes était repartie à la hausse. Pour elle, hors de question d’aller dénoncer les demandeurs d’emploi. « Je n’ai dû le faire que deux ou trois fois pour des fraudes. Les conseillers estiment que cela ne fait pas partie de leurs missions, explique-t-elle avant de poursuivre.  « Il y a déjà des tensions à l’accueil des Pôle emploi depuis le Covid et avec la réforme de l’assurance-chômage. Nous allons en plus devoir gérer en partie le contrat d’engagement jeune (CEJ), ça commence à faire beaucoup, là ! Dans notre agence, il nous manque huit personnes. »

L’impression de devenir le « bras armé d’Emmanuel Macron »

Avec cette course aux résultats, le benchmarking (analyse comparative) entre les Pôle emploi bat aussi son plein. « C’est la compétition entre les agences d’une même région. Il y a un classement pour savoir qui a convoqué le plus de demandeurs d’emploi de longue durée, pointe Guillaume Bourdic. C’est le même principe pour le contrôle de la recherche d’emploi. Les collègues ont de plus en plus l’impression de devenir le bras armé d’Emmanuel Macron. »

Alors que les radiations administratives ont grimpé de 28,4 % entre le deuxième et le troisième trimestre 2021 – après une période d’arrêt pendant la première vague du Covid – pour revenir sensiblement au niveau d’avant la crise, la tendance n’est pas près de faiblir.

Si le taux de radiation pour absence d’actes positifs de recherche d’emploi se maintient autour de 15 % entre 2019 et 2021, battant en brèche le mythe des chômeurs profiteurs, certains d’entre eux sont aussi percutés par le passage obligé au tout-numérique. Comme le raconte Luc Chevallier, représentant syndical SUD emploi : « Avec la CGT, nous avons eu connaissance du cas d’une personne qui avait postulé à 29 offres par courriers recommandés et qui a été radiée car cela n’avait pas été fait via le site Internet. Ils ont jugé que cela ne constituait pas des actes positifs suffisants ! »

Tout en précisant ces mesures gouvernementales, le directeur général de Pôle emploi, Jean Bassères, gonflé d’optimisme, avait même estimé dans les colonnes du Parisien le 13 décembre que « le plein-emploi (était) un objectif atteignable ». Après le coup de massue de la réforme de l’assurance-chômage diminuant les droits de centaines de milliers de précaires, pour Éric Heyer, économiste à l’OFCE, cette stratégie de contrôles renforcés risque de ne pas produire le résultat espéré. « Contrairement au modèle scandinave, où le marché du travail est flexible et les demandeurs d’emploi peuvent, comme au Danemark, toucher 90 % de leur ancien salaire pendant quatre ans, en France, il y a une flexibilité sans sécurité. En catégorie A, seuls 48 % des chômeurs sont indemnisés, on va les radier, et après ? Cela va juste faire baisser le chômage un mois ou deux. En focalisant les contr ôles sur les métiers en tension, l’idée est aussi de contraindre à prendre des offres dégradées. Il aurait plutôt fallu mettre des moyens pour mieux accompagner les demandeurs d’emploi vers un travail. » Face à ce climat anxiogène, les syndicats de Pôle emploi envisagent une journée d’action nationale en début d’année.

(1) Le prénom a été changé.

publié le 22 décembre 2021

Plans blancs, urgences fermées : la carte de France d’un hôpital qui vacille

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

La cinquième vague de Covid est d’ampleur modérée. Mais elle secoue un hôpital déserté par son personnel. Pour mesurer l’ampleur de la crise, Mediapart a établi une carte des plans blancs et des services d’urgences fermés. Aucune région n’est épargnée. 


 

La France entre dans l’hiver dans une ambiance crépusculaire. Comme pendant le premier confinement, la tension est si forte dans de nombreux hôpitaux que les personnels positifs au coronavirus pourraient continuer à y travailler. Cette entorse aux règles sanitaires, ainsi qu’à la santé, est « justifiée par une tension hospitalière et un risque de rupture de l’offre de soins » et autorisée par le Haut Conseil de la santé publique, écrit par exemple le centre hospitalier de Saint-Denis à son personnel, le 16 décembre.

La cinquième vague de contaminations commence tout juste à refluer, mais au moins jusqu’à la fin de l’année, les malades graves vont arriver plus nombreux dans les hôpitaux. Plus de 3 000 malades du Covid sont actuellement en réanimation, 53 % ne sont pas vaccinés, selon le décompte de la Drees, la direction des études et des statistiques du ministère de la santé. Et parmi les vaccinés, de nombreux hôpitaux débusquent des porteurs de faux passes sanitaires. 

Toutes les agences régionales de santé (ARS) de France métropolitaine ont déclenché le plan blanc dans tous les établissements publics et privés. 

La plan blanc offre une grande latitude aux directions pour mobiliser le personnel, y compris en les réquisitionnant sur leurs vacances et leurs repos. Toutes sont cependant conscientes du niveau de fatigue, et souvent d’épuisement des équipes, et cherchent à préserver l’avenir.

« Nous avons conscience du besoin de repos », a écrit Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à l’ensemble du personnel, le 9 décembre dernier, en leur annonçant le déclenchement du plan blanc dans toute la région Île-de-France. Martin Hirsch assure vouloir préserver « une semaine [de repos] pendant les vacances scolaires », à ceux qui y tiennent vraiment. 

Car il incite fortement les autres à travailler cette fin d’année : les heures supplémentaires sont majorées de 50 %, et la garde des enfants prise en charge, jusqu’à 50 heures par semaine, par l’institution.

Le premier ministre Jean Castex a renchéri, vendredi 17 décembre, annonçant que la rémunération des heures supplémentaires à l’hôpital serait même multipliée par deux à compter de ce lundi. 

À l’AP-HP, des dérogations seront possibles aux horaires habituels de travail, normalement limités à 12 heures par jour et 48 heures par semaine. 

Toutes ces incitations au travail ne suffiront pas à maintenir l’activité normale des 39 hôpitaux de l’institution francilienne : de nouvelles opérations seront déprogrammées, sur décision médicale.  

Et impossible pour les personnels hospitaliers de quitter leurs postes : toutes les mutations sont gelées le temps du plan blanc.

L’état d’exception règne de nouveau dans les établissements de santé.

L’état d’exception règne donc de nouveau dans les établissements, et le Covid n’est pas seul en faute, car la vague hospitalière est, grâce à la vaccination, sans commune mesure avec les trois premières vagues. 

Ces derniers mois, l’hôpital s’est un peu plus vidé de ses forces vives. Christophe Trivalle, gériatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), raconte la Commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP, le 7 décembre : « L’ambiance était sombre, même le directeur général semblait assez désespéré. Il manque 1 200 infirmières par rapport à 2019. Mais à l’époque, il y avait déjà beaucoup de postes vacants, autour de 800. Par rapport à 2018, il doit nous manquer 2 200 infirmières. On est contraints de dépenser des fortunes en intérim : 60 millions d’euros sur un an, c’est énorme. L’inquiétude est que les infirmières qui restent finissent par craquer. Comment peut-on récompenser les gens qui restent ? Un médecin a même suggéré de distribuer à ces infirmières le salaire de toutes celles qui nous manquent. En réalité, il n’y a pas vraiment de solutions à court terme. »

Officiellement, à l’AP-HP, 13 % des lits sont fermés, « mais je ne crois pas à ce chiffre », dit le gériatre. Il n’est pas le seul à douter des chiffres avancés par les directions, qui ne prennent sans doute pas en compte les lits fermés de manière temporaire, faute de personnel. L’étude promise en novembre par le ministre de la santé Olivier Véran sur le sujet se fait attendre. 

Un exemple concret de cette pénurie de personnel soignant en Île-de-France : le 10 décembre, l’équipe médicale du service de neurologie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) a adressé un mail de « SOS » à leurs collègues, à la presse et au ministre de la santé. Ce service de référence, qui prend normalement en charge 1 300 AVC par an, a été contraint de fermer 70 % de ses lits « par manque d’infirmières qui quittent le service malgré leur dévouement et leur professionnalisme, devant la dégradation de leurs conditions de travail […]. Désormais, une fermeture totale semble même inévitable si un soignant supplémentaire venait à manquer dans les jours à venir suite à un arrêt de travail ou à un départ ». Ils fustigent la direction de l’hôpital qui « ne nous propose aucune solution » et ne fait « preuve que de déni et d’un manque total d’empathie ».

Les exemples de pertes de chance se multiplient depuis quelques semaines et ne cessent de s’amplifier.

Les conséquences sont d’ores et déjà « majeures sur l’accès aux soins des patients, avec de grandes difficultés pour maintenir les soins urgents des patients cérébro-lésés », préviennent-ils. « Les exemples de pertes de chances se multiplient depuis quelques semaines et ne cessent de s’amplifier. »

En dehors de l’Île-de-France, et plus généralement des grandes villes, ce sont les médecins qui manquent, ce qui conduit à des fermetures de services entiers, incapables de fonctionner. Les services d’urgences sont les premiers touchés, parce qu’ils doivent fonctionner de jour comme de nuit, imposant d’épuisantes gardes, toujours plus fréquentes quand les médecins deviennent moins nombreux. 

Partout en France, et singulièrement dans les régions Pays de la Loire et Centre-Val-de-Loire, épicentre du désert médical français, des services d’urgences ferment leurs portes ponctuellement, parfois définitivement.

Jeudi 16 décembre, quatre chefs de service d’urgences ont été entendus par la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital en France. Ils ont rappelé à quel point le monde politique est comptable de cette situation. « Depuis vingt ans, on a subi une gestion industrielle de l’hôpital. Le système de soins est au bord de l’explosion. Quand je prends ma garde, mes collègues sont en pleurs. Nous sommes à bout, en train de craquer », a témoigné François Escat, médecin urgentiste dans une clinique à Muret (Haute-Garonne). 

Assurer huit à dix gardes par mois, à 60 ans, ce n’est pas normal. On devrait pouvoir vieillir dans notre spécialité.

« Il y a un épuisement des équipes, une insatisfaction, des départs en masse, » a confirmé le chef de service des urgences de Rennes, Louis Soulat. Également vice-président du syndicat Samu-Urgences de France, le docteur Soulat estime qu’« un tiers des services d’urgences sont en difficulté majeure et un tiers sont en suractivité ». Il a exprimé sa lassitude devant la tragique caricature que sont devenues de nombreuses urgences, sans cesse saturées, encombrées de brancards, où se jouent des pertes de chances pour les patients. Il a aussi raconté l’immense pénibilité de son métier : le chef de service est contraint d’assurer « huit à dix gardes par mois, à 60 ans, ce n’est pas normal. On devrait pouvoir vieillir dans notre spécialité ». Une garde est une plage de 12 heures de travail de nuit, et parfois de 24 heures dans certains hôpitaux.

La cheffe de service des urgences de Laval, Caroline Brémaud a expliqué avoir posé quelques jours de congés la semaine de Noël, entrecoupés d’une garde de nuit, « sinon les urgences ferment. Qu’est-ce que je dois dire à mes enfants ? ». Elle a encore raconté ses 25 heures de travail d’affilée, enchaînant une garde et une réunion, sans une minute de repos. 

À Clamecy, petit hôpital de la Nièvre comprenant un service d’urgences et une quarantaine de lits de médecine polyvalente, le docteur Tarik Boubia s’est souvenu d’un « vieux monsieur de 90 ans, avec une fracture du col de fémur, resté quatre jours dans notre service de lit-porte », censé accueillir les patients pour quelques heures avant d’être admis dans un service spécialisé. Mais dans les hôpitaux aux alentours « il n’y avait aucun lit disponible en chirurgie. Il a du être transporté beaucoup plus loin. Je n’avais jamais vu ça ».

Le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs (SNPHARE) a sondé ses membres sur les gardes pendant les fêtes, et publié une petite étude, jeudi 16 décembre, à partir des réponses de 1 500 médecins, surtout anesthésistes et urgentistes. 26 % ont témoigné que les gardes dans leurs services étaient incomplètes, 62 % parmi les urgentistes. 32 % ont subi des pressions de leur direction ou de leurs responsables médicaux pour prendre des gardes. 83 % ont déclaré travailler plus de 48 heures par semaine. « Pendant les fêtes, les médecins prennent deux à trois gardes par semaine, dépassent le plafond légal de 48 heures par semaine. Et ce n’est même pas suffisant, il faut avoir recours aux intérimaires qui font monter les enchères à 1 500, 2 000 ou 2 500 euros les 24 heures, » explique Anne Wernet, présidente du syndicat et médecin anesthésiste réanimatrice à Perpignan (Pyrénées Orientales).

Tous ces efforts n’ont même pas permis de rattraper le retard pris sur les opérations chirurgicales, de nouveau déprogrammées dans de nombreux établissements : « En consultation d’anesthésie, je vois des patients qui ont vu deux fois leurs opérations reportées, confie l’anesthésiste. On vit au jour le jour, dans l’incertitude, sans savoir si on va tenir demain, après-demain.

publié le 21 décembre 2021

Covid. À Marseille, le patient travail de terrain pour vacciner les oubliés de la santé

Nadège Dubessay sur ww.humanite.fr

Dans les quartiers Nord de la ville, parmi les plus pauvres de France, les services publics de base ont disparu. L’association Sept tente de combler le retard de vaccination. Une stratégie d’« aller vers » menée tambour battant.

Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale.

Au pied des tours, dans la cité Bel-Air (14e arrondissement), l’une des plus grandes de Marseille, le local d’« Il fait bon vivre dans ma cité » ouvre grand, ce mercredi, les portes à la vaccination contre le Covid. Djamila Haouache, la présidente de l’association, taille la causette et propose un café alors que le docteur Slim Hadiji vaccine à tour de bras. Le virus, Karoune, 61 ans, l’a contracté en mai dernier. Agent de sécurité, il n’avait « pas eu le temps » de se faire vacciner. Trop loin, trop compliqué pour prendre rendez-vous. C’est le docteur Slim, comme tout le monde l’appelle ici, qui l’aura convaincu. « J’ai quatre enfants, dit-il. Faut que je fasse gaffe. » Sans rendez-vous, il peut recevoir sa première injection, à deux pas de chez lui.

Entre deux piqûres, les explications

À ses côtés, Lydia vient se faire tester. Le vaccin, faut pas lui en parler. « On nous injecte le Covid, raconte-t-elle à qui veut l’entendre. J’ai trop peur. » Le docteur, coutumier de ce genre de propos, sourit et lui demande de patienter. Entre deux piqûres, il prend le temps d’expliquer. « Où prenez-vous vos sources ? » interroge-t-il d’emblée. « Le vaccin ARN messager, c’est comme pour imprimer un document d’un ordinateur. L’ARN, c’est cette information que transmet l’ordinateur à l’imprimante. » À grande dose de métaphores, Slim Hadiji semble réussir à faire passer le message. « Pourquoi on ne nous parle pas comme ça à la télé ? » s’emporte Lydia. Diabétique, en surpoids, elle sait qu’elle fait partie des personnes à risque. « Peut-être que finalement, je vais le faire… », avoue-t-elle à demi-mot.

Le docteur Slim Hadiji, médecin généraliste installé depuis vingt-cinq ans dans les quartiers Nord de Marseille, a intégré l’association Sept (Santé et environnement pour tous) en mars 2020. Il en est aujourd’hui le médecin coordinateur. C’est la colère qui l’a poussé à faire du Covid « un combat personnel » et sa « nouvelle spécialité ». Des patients qu’il suivait depuis toujours en sont morts. Dont Fatouma. Elle avait 48 ans, trois enfants. « J’étais son médecin de famille, je connaissais tout d’elle… » C’est la même révolte qui a conduit Yazid Attalah, président de Sept et médecin lui aussi, à mobiliser tous les efforts de l’association dans la lutte contre le virus. « Le Covid a été un révélateur de ce que je savais depuis longtemps, explique l’homme de 44 ans, originaire des quartiers Nord. Avec lui, on mesure encore davantage combien l’accès aux soins sur nos quartiers est difficile. »

Un indispensable réseau

Marseille, deuxième ville de France, est aussi la plus inégalitaire. Le Covid n’a eu de cesse de creuser la fracture. Dans les quartiers Nord – coincés entre le port, les entrepôts, l’autoroute et la ligne de chemin de fer –, seul un habitant sur quatre avait reçu une première dose du vaccin en juillet dernier, alors que dans les 7e et 8e arrondissements, un habitant sur deux était primo-vacciné. « En août, les médecins de l’APHM alertaient : seulement 25 % des personnes étaient vaccinées dans le 15e  arrondissement. Dans le 8e , elles étaient 67 % avec un schéma vaccinal complet », poursuit Yazid Attalah. Trois mois plus tard, 46 % des habitants du 15e avaient reçu leurs deux doses. Le médecin ne crie pas victoire. Le chemin est encore long pour sortir d’affaire les habitants du nord de la ville. « Aujourd’hui, les personnes en réanimation sont majoritairement issues de ces territoires et 100 % ne sont pas vaccinées », souffle-t-il.

Néanmoins, la remontée significative du taux vaccinal est certainement à mettre en partie au profit de la ténacité de Slim Hadiji et de Yazid Attalah. Les deux gaillards, qui se connaissent depuis plus de vingt ans, ont commencé avec des bouts de ficelle, mais ont pu compter sur un solide et indispensable réseau. « Nous avons créé le collectif Nordcovid, qui réunissait des personnalités du monde hospitalier, des infectiologues, biologistes, et aussi des associations, dont Sept et l’ONG Médecins sans frontières, explique Yazid Attalah. Dès la deuxième semaine de confinement, nous avons créé deux structures – une dans le 15e et l’autre dans le 13e qui faisaient du dépistage avec un résultat rendu dans la journée. »

L’action ne s’arrête pas là. Aide alimentaire, accompagnement pour l’isolement, dépistage, et même suivi à distance des malades grâce à un système de télémédecine que les deux médecins ont inventé… Ici, le fameux « tracer-alerter-protéger » a été testé à grande échelle avant tout le monde. Des médiateurs santé (en très grande partie des femmes) issus des quartiers Nord ont été formés. Ils sillonnent les quartiers au bloc près. « Quand tu interviens dans un territoire où tu ne vis pas, il faut le faire avec quelqu’un qui le connaît. Ici, chaque quartier a des codes différents. Tu n’entres pas comme tu veux », assène Yazid Attalah. Face au succès de cet « aller vers », l’agence régionale de santé décide de subventionner l’association. Ce qui permet de rémunérer 15 salariés : infirmiers, médecin et médiateurs. « Mais nous nous insérons dans un réseau bien plus large », souligne le président de Sept. Toute une série d’associations – et elles sont légion dans les quartiers Nord – accompagnent la démarche et relaient l’information.

Système D et mutualisation

À Bel-Air, Slim Hadiji prépare sa glacière. D’un pas pressé, il se rend avec Djamila Haouache vers une tour voisine pour vacciner à domicile. Au premier étage, un homme descend les 16 marches qui le séparent du hall d’entrée par la force des bras, sur les fesses. Il est en fauteuil roulant, et l’ascenseur est en panne depuis des mois… Djamila Haouache connaît bien le problème. Son association tente de résoudre au quotidien les litiges entre bailleurs et locataires. « On s’est bagarré sur les légionnelles, les punaises de lit. On est en procès avec le bailleur… », raconte la militante.

Au Maroc, on parle du Covid en berbère, en arabe, en anglais et en français. Pourquoi, dans un pays comme le nôtre, on n’arrive pas à faire une campagne multilingue ? Slim Hadiji

Au 3e étage, la porte s’ouvre. Toute la famille attend. « Salam alikoum », nous dit-on. Slim Hadiji s’adresse en arabe au père de famille. Des langues, le docteur, originaire de Tunisie, en parle cinq. Les médiateurs, tous issus des quartiers, en maîtrisent aussi plusieurs. Un atout considérable. « Au Maroc, on parle du Covid en berbère, en arabe, en anglais et en français. Pourquoi, dans un pays comme le nôtre, on n’arrive pas à faire une campagne multilingue ? » tempête-t-il. Les plaquettes d’information de Sept se déclinent en cinq langues. Une évidence pour l’association, qui entend faire « un travail de dentelle » et s’adapter à chaque besoin. Il faut vite quitter la famille, qui tient à faire une photo avec le médecin. Changement de barre d’immeuble. Une femme et sa mère attendent. Elles viennent d’Arménie. Du balcon au 12e étage, la vue est imprenable. Une vue qui se mérite quand l’ascenseur ne fonctionne pas… « Beaucoup de personnes âgées vivent ici, explique le docteur. Lorsque l’ascenseur est en panne, comment pourraient-elles aller se faire vacciner si nous n’allons pas chez elles ? »

L’après-midi est bien entamé. La petite équipe poursuit sa course contre la montre. Au centre d’hébergement Alotra, une trentaine de personnes, Maghrébins à la retraite pour la plupart, attendent le toubib. Un infirmier a rejoint l’équipe, ainsi que deux ou trois médiatrices. « Plusieurs ont fait leur vaccin en Tunisie ou en Algérie sans le faire reconnaître en France, explique Slim Hadiji. Nous réintégrons le vaccin réalisé à l’étranger et on injecte une dose de rappel. » Après une journée bien remplie, on s’interroge. Comment ce généraliste a-t-il pu obtenir autant de doses ? Le docteur se marre. « Le système  D. Le génie marseillais ! » « J’ai mutualisé les commandes. Des confrères qui ne voulaient pas vacciner m’ont cédé leurs doses. Maintenant, on a du Pfizer. Un luxe ! » Il reprend la route avec sa voiture personnelle. De nouveau, il va vacciner à domicile. Il sourit. « Je prends une semaine de vacances à la fin de l’année. Les premières depuis deux ans. »

Toquer à toutes les portes

En attendant, le docteur ira le lendemain à son cabinet. Puis prendra le relais de la permanence de vaccinations, à la maison régionale de santé de Malpassé, dans le 13e arrondissement. En théorie, la permanence se termine à minuit. Mais il n’est pas rare qu’il officie jusqu’à 5 heures du matin. «  On a vacciné 70 personnes hier, dont un tiers de primo-vaccinés et 7 SDF qui ne seraient jamais venus vers une structure classique », reprend Yazid Attalah. Tôt ce matin, Karima Djellat s’est armée du kit de l’association (masques, gel, autotests) et entame une tournée dans le quartier des Lauriers, dans le 13e. La médiatrice santé toque à toutes les portes. « Bonjour, vous allez bien ? Vous êtes vaccinés ? Voulez-vous que le médecin se déplace chez vous ? N’oubliez pas de bien aérer votre appartement », recommande-t-elle, avant d’offrir un kit à chacun. Au 11e étage, une femme âgée entrouvre la porte. Elle n’est pas vaccinée. Elle a peur. Du vaccin. Du Covid. Elle dit ne plus sortir de chez elle.

« Les gens sont éloignés de tout, souffle Yazid Attalah. Il y a une concentration de problèmes : logement, éducation, pauvreté, accès aux soins… Quand les services publics ont disparu, que tu n’as pas Internet, que les médecins traitants n’existent plus… C’est la porte ouverte à toutes les défiances et aux croyances les plus délirantes. » Yasmine Cherfi le constate au quotidien. La médiatrice a installé un barnum au cœur de l’Estaque, dans le 16e. La veille, un cluster de 11 personnes a mis le quartier en panique. Au pied de la petite cité, ils font la queue pour se faire tester. « Il n’y a pas longtemps, on a aidé une mère de famille qui élève seule ses 6 enfants. Tous ont eu le Covid. On les a suivis et on fait leurs courses. Elle est très courageuse, cette femme », explique-t-elle. Au loin, un immense paquebot de croisière entre dans le port. Là où les touristes dégustent chichis et panisses. Les meilleurs de Marseille, paraît-il. Loin de se douter qu’à quelques mètres la pauvreté gangrène toute une population.


 

Il y a urgence ! Le billet du Dr Christophe Prudhomme. Obligation

De fait, le gouvernement nous entraîne vers l’obligation vaccinale sans l’assumer, en évacuant le débat sur la question essentielle: quelle est la bonne stratégie globale pour lutter contre l’épidémie Covid-19? Il est trop facile de tout miser sur la vaccination avec un glissement inquiétant vers la désignation des « mauvais citoyens » que seraient les non-vaccinés, traités de fait comme des boucs émissaires.

Bien entendu, il faut améliorer encore la couverture vaccinale, mais en allant vers les populations encore insuffisamment couvertes que sont 10 % des plus de 75 ans ou les plus pauvres, dont le taux de vaccination est très inférieur à la moyenne nationale.

publié le 15 décembre 2021

"A bout de force", magistrats, avocats et greffiers réunis contre "une justice déshumanisée"

sur www.humanite.fr

Leurs pancartes alertent sur une "justice malade" ou "à bout de force" : magistrats, avocats et greffiers se sont rassemblés mercredi partout en France pour réclamer des moyens "dignes" pour la justice, lors d'une journée d'appel à la grève. L'Humanité a rejoint la mobilisation parisienne.

Trois semaines après la publication dans le Monde d'une tribune qui a fait l'effet d'une déflagration, plusieurs centaines de magistrats, greffiers et avocats se sont rassemblées à partir de midi devant le ministère de l'Economie à Paris. "Misère judiciaire, mensonges du ministère", "Et ils sont où et ils sont où les recrutements ?", proclamaient certaines pancartes.

"Il y a un incendie qui touche les fondations de l'institution et on a un Éric Dupond-Moretti qui arrive sur les plateaux télé pour faire de la com avec un seau d'eau", souligne la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, Sarah Massoud.

"On n'a jamais vu une telle mobilisation, une unanimité dans le constat d'une justice déshumanisée", a renchéri Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature.

Les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé des préavis de grève - "une première" pour l'USM, majoritaire - et appelé avec les représentants des greffiers et des avocats à des "renvois massifs" des audiences.

Devant le tribunal judiciaire de Nantes, environ 200 magistrats, greffiers et avocats se sont réunis. "On fait de l'abattage. On travaille de plus en plus vite, mais derrière les dossiers il y a des gens, qui ont besoin d'être jugés correctement", protestait Yvon Ollivier, procureur de la République adjoint.

Les protestataires étaient une centaine à Besançon, une quarantaine à Bastia, entre 230 et 400 à Strasbourg... "Sur l'arrondissement de Strasbourg, il y a 74 postes de personnels de greffe vacants, sur 270, c'est plus d'un quart", a assuré une greffière, Caroline Barthel.

Lætitia Puyo, greffière au tribunal judiciaire de Paris nous explique : "Aujourd'hui, on finit des audiences à 5 heures du matin avec des victimes qui sont entendues à 3 heures et c'est indigne d'une société démocratique, on a honte de cette justice".

"Situation intenable"

À Paris, une délégation de l'intersyndicale sera reçue à 19H00 par le directeur de cabinet du ministre chargé des Comptes publics alors que le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a fait valoir à l'issue du Conseil des ministres qu'il y aurait "une augmentation de 30% du budget de la justice" entre le début et la fin du quinquennat.

À Lille, où environ 400 personnes ont manifesté à la mi-journée, une minute de silence a été observée en hommage à Charlotte, une magistrate qui avait mis fin à ces jours fin août, point de départ de la tribune publiée le 23 novembre dans Le Monde.

Intitulé "Nous ne voulons plus d'une justice qui n'écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout" ce texte a obtenu un succès aussi fulgurant qu'inédit: en trois semaines, il avait été signé par 7.550 professionnels, dont 5.476 magistrats (sur 9.000) et 1.583 fonctionnaires de greffe.

Le constat est partagé par la hiérarchie judiciaire: dans un communiqué commun, les présidents des quatre "conférences", qui représentent les chefs des cours d'appel (premiers présidents et procureurs généraux) et des tribunaux judiciaires (présidents et procureurs), alertent sur une "situation devenue intenable".

La contestation a même gagné la Cour de cassation: leurs magistrats ont dénoncé lundi "une justice exsangue, qui n'est plus en mesure d'exercer pleinement sa mission dans l'intérêt des justiciables".Un grand nombre de juridictions se sont associées à la mobilisation, en votant à l'issue de leurs assemblées générales obligatoires de décembre des motions réclamant des moyens supplémentaires, certaines annonçant par ailleurs l'arrêt des audiences au-delà de 21h.

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a tenté de calmer la fronde, venue percuter les Etats généraux de la justice lancés mi-octobre par le gouvernement.

"Réparé l'urgence"

Il a notamment annoncé lundi l'augmentation du nombre de places au concours de l'Ecole nationale de la magistrature pour permettre l'arrivée de 380 auditeurs de justice dans les juridictions dès 2023, ainsi que la pérennisation de quelque 1.400 postes créés dans le cadre de la justice de proximité. Mercredi, il a réaffirmé sur France Inter avoir "réparé l'urgence". "J'espère qu'il n'y a pas d'instrumentalisation (de la mobilisation) mais je ne peux l'exclure", a-t-il aussi glissé, à quelques mois de la présidentielle.

"Les magistrats ne roulent pour personne", a répliqué dans le cortège parisien, Christophe Bouvot, de l'association nationale des juges des contentieux et de la protection.

publié le 13 décembre 2021

« En empêchant les pays du Sud de produire des vaccins, les dirigeants européens laissent le virus circuler »

sur https://basta.media/

Depuis des mois, les ONG demandent la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid pour en assurer la distribution partout dans le monde. Une mesure plus que jamais nécessaire, car « les inégalités vaccinales favorisent la circulation du virus » et l’émergence de variants.

Le nouveau variant du Covid-19, Omicron, fait craindre une recrudescence globale de l’épidémie. Il s’est déjà rapidement propagé en Afrique du Sud. Ce n’est pas tout à fait un hasard. Dans ce pays, seulement 23 % de la population est complètement vaccinée contre le Covid-19. Le taux de vaccination de la population est en revanche de 75 % en France (88 % des plus de 12 ans), 80 % en Espagne, 87 % au Portugal. En Algérie, il tombe à 11 %. Au Kenya et au Sénégal, seulement 5 % de la population est vaccinée, à peine 2% au Cameroun, et moins de 2 % en Éthiopie, au Burkina Faso, ou au Nigeria où le nouveau variant vient d’être détecté [1].

Dans la grande majorité des pays les plus pauvres, surtout en Afrique, les taux de vaccination sont au plus bas. En cause, les laboratoires qui ne produisent pas assez de doses pour une distribution mondiale des vaccins en nombre suffisant ; et les pays les plus pauvres n’ont pas les moyens d’en acheter en masse. Il demeurent tributaires de Covax, une initiative de solidarité internationale par laquelle les pays riches financent des vaccins pour les autres. Une aide distillée au compte-gouttes.

Depuis des mois, les ONG du monde entier et des pays du Sud demandent la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid pour permettre une production et une distribution suffisante et accessible à tous. En vain pour l’instant. L’Union européenne (UE), entre autres, bloque toujours. « Les inégalités vaccinales favorisent la circulation du virus Sars-Cov-2 et renforcent le risque d’émergence de variants plus dangereux, rappelle Pauline Londeix et Jérôme Martin, de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, OT-Meds En empêchant depuis plus d’un an les pays du Sud de produire des vaccins, en bloquant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la demande de lever les barrières de propriété intellectuelle sur toutes les technologies contre le Covid-19, la Commission européenne et les dirigeants des pays de l’UE laissent le virus circuler, favorisent les mutations et l’émergence de variants potentiellement plus dangereux, y compris pour les populations des pays les plus vaccinées. Le variant Omicron est donc une preuve supplémentaire de la nécessité vitale et de l’urgence de lever des barrières de propriété intellectuelle. »

Les ONG appellent la France à respecter son engagement en faveur de la levée des brevets. En juin, Emmanuel Macron s’était engagé face aux ONG à soutenir la demande portée à l’OMC par l’Inde et l’Afrique du Sud, et une centaine de pays, pour la levée temporaire des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Depuis, la France s’est rallié à la proposition de la Commission européenne, qui bloque les négociations.

« Nous ne pouvons continuer de fermer les yeux »

« Alors qu’une troisième dose est préconisée en France, une grande majorité de la population mondiale issue des pays en développement n’a pas accès au vaccin. Face à la recrudescence de l’épidémie et la montée du variant Omicron, nous ne pouvons continuer de fermer les yeux sur ces inégalités vaccinales criantes sous prétexte de préserver les intérêts du privé », s’indigne la présidente de Médecins du monde, Carine Rolland. « 40 ans d’épidémie de sida et plus de 36 millions de morts n’auront donc pas suffi à nos gouvernements pour tirer les leçons des conséquences meurtrières de l’opposition à la levée des brevets. Combien de morts encore ? » interroge aussi la directrice générale de Sidaction, Florence Thune.

« Il est temps que nos responsables en finissent avec le dogmatisme et l’obscurantisme, et adoptent enfin les mesures de bon sens et éthiques que la situation impose : lever au plus vite toutes les barrières de propriété intellectuelle, assurer un transfert de technologies, soutenir la production de vaccins dans les pays du Sud » renchérit OT Meds. Pour pousser l’Europe à agir, une initiative citoyenne européenne nommée « Pas de profit sur la pandémie », demande à la Commission européenne de prendre au plus vite « des mesures pour faire des vaccins et des traitements antipandémiques un bien public mondial, librement accessible à tous ». Elle a recueilli plus de 200 000 signatures.


 

 


 

Pour éviter les pénuries de médicaments, des pistes concrètes pour relocaliser la production

par Rachel Knaebel sur https://basta.media/

La pandémie de Covid a révélé les risques de rupture d’approvisionnement de certains médicaments essentiels. L’Observatoire pour la transparence dans les politiques du médicament met en avant une solution : relocaliser, mais pas n’importe comment.

Lors des premiers mois de l’épidémie de coronavirus en France, au printemps 2020, les services de réanimation des hôpitaux peinent à se procurer les médicaments sédatifs et antidouleurs nécessaires aux malades. « À cause de cette pénurie, pendant la première vague du Covid, ces médicaments ont été utilisés en priorité dans les unités Covid et remplacés en Ehpad par du Valium ou des formules vétérinaires de sédatifs, rappelle Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), une organisation de la société civile créée en 2019 par des anciens d’Act Up. Nous avons demandé alors au gouvernement de lancer une production publique de ces curares, nous n’avions pas eu de réponse. Aujourd’hui, le gouvernement admet qu’il a essayé d’en faire produire dans les hôpitaux. » 

Dans l’avant-projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le gouvernement écrit que « lors de la crise, les établissements publics se sont mobilisés avec des sous-traitants privés pour produire en urgence des médicaments critiques (cisatracurium, atracurium) ».

C’est donc que, finalement, une production publique de médicaments est possible. Pour les activistes d’OTMeds, c’est aussi nécessaire. Ils viennent de publier le 1er octobre un rapport, avec le soutien du groupe de la gauche au parlement européen, pour la « relocalisation de l’industrie pharmaceutique en Europe et dans les États membres » [1].

« En aucun cas la relocalisation ne doit se faire en laissant les mains libres aux industriels »

« La question de la capacité de l’État à organiser un secteur public du médicament doit être posée. Car aujourd’hui, 80 % des principes actifs des médicaments sont produits hors de l’Union européenne, principalement dans des pays asiatiques, a souligné Manuel Bompard, député de La France insoumise au Parlement européen, lors de la présentation du rapport. Le phénomène des pénuries de médicament est en hausse continue depuis des années, aussi parce que les firmes pharmaceutiques pratiquent la production à flux tendus pour éviter le coût des stocks. » Pour le député, « en aucun cas la relocalisation ne doit se faire en laissant les mains libres aux industriels ».

« Que faire pour que les États membres de l’Union européenne reprennent la mains sur la production pharmaceutique », demande OTMeds dans son rapport. Pour y répondre, l’organisation formule une série de propositions : cartographier la production européenne des différents médicaments ; cartographier les investissements réalisés par les États, l’Union européenne et les entreprises pharmaceutiques privées, pour évaluer le niveau d’argent public injecté dans le secteur ; améliorer la gestion des stocks pour éviter des pénuries comme au printemps 2020 ; avoir pour règle de base qu’un même médicament soit produit au moins dans trois pays différents, pour éviter les ruptures d’approvisionnement en cas de crise spécifique dans un territoire ; réformer les critères des brevets pour faciliter la production publique quand c’est nécessaire.

« Les industriels disent que les brevets sont légitimés par la prise de risque, mais c’est de l’argent public qui assume aujourd’hui l’essentiel de ce risque, pointe Jérôme Martin, d’OTMeds. L’innovation, elle est du côté de la recherche publique. Si on met de l’argent public, pourquoi ne pas tenter une production publique. »

Aux Pays-Bas, une production publique pour contrer les prix démentiels des labos

OTMeds prend l’exemple du Brésil, qui a mis en place dans les années 1990 une politique nationale du médicament et lancé une production publique pour répondre aux besoin du système de santé. « Au Brésil, on voit que la production publique a fait baisser les prix des médicaments », indique Pauline Londeix. Aux États-Unis, une fondation, Open-Insulin, a développé un projet de production locale d’insuline à petite échelle et hors du secteur privé. La gouvernance de la fondation est assurée par des chercheurs mais aussi par des personnes atteintes de diabète.

En Europe, les Pays-Bas ont mis en œuvre une production publique de certains médicaments dans les laboratoires de leur hôpitaux, parce que les entreprises pharmaceutiques voulaient quintupler le prix de leurs produits (voir notre article sur la production publique de médicaments aux Pays-Bas).

« Tout le monde parle de relocalisation aujourd’hui, mais toutes les relocalisations ne veulent pas dire la même chose, ajoute le député européen Manuel Bompard. Nous voulons une relocalisation qui s’appuie sur un pôle public du médicament, et cela ne veut pas dire qu’on nationalise toute la production. »

L’enjeu de l’accès aux médicaments était devenu visible dans le monde entier avec la pandémie de VIH, il s’est posé à nouveau en Europe ces dernières années avec des médicaments vendus une fortune par les labos, comme le Sovaldi contre l’hépatite C (41 000 euros la cure en France lors de sa mise sur le marché en 2014). Le Covid a encore une fois rebattu les cartes. « Derrière les questions industrielles se cachent des questions d’éthique et de droit à la santé, insiste Pauline Londeix, qui déplore aussi un manque de compétence sur le sujet des personnes qui mettent en œuvre les politiques publiques en France en ce moment ».

publié le 12 décembre 2021

Pollution. À Fos-sur-Mer, les métallos veulent changer d’air

Marie-Noëlle Bertrand sur www.humanite.fr

Il s’agit de l’un des sites les plus toxiques de France. Créé à l’initiative de la CGT, un collectif de surveillance de la pollution appelle à contraindre les industriels à réduire leurs émissions et avance des solutions pour une aciérie verte. Reportage.

C’est là le paradoxe : nul besoin de s’imaginer à quoi pouvait bien ressembler, avant, la nature autour de l’étang de Berre. Elle y est toujours. La garrigue dévale des collines jusqu’au pied d’infrastructures entuyautées. Entre deux méga-cuves marquées du sceau de grands pétroliers, les roseaux se balancent, infimes et nonchalants, sous l’œil de leurs géants voisins. Des flamants roses lézardent dans les anciennes salines méditerranéennes traversées par la route, tandis qu’à l’horizon des cheminées d’usines émergent d’une eau plane et bleue qui vibre sous l’éclat laiteux d’un soleil automnal.

Fos-sur-Mer est la plus grosse concentration d’usines Seveso II en France.

       Alain Audier Salarié du groupe métallurgique ArcelorMittal

Plus de cent ans après l’installation des premières fabriques, la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, l’une des plus importantes d’Europe, a de beaux restes de vie sauvage. Si le développement économique a incrusté sa marque dans le paysage, ce dernier ne s’est pas laissé faire. Aujourd’hui encore, l’un et l’autre cohabitent. Non sans conflit.

« Fos-sur-Mer est la plus grosse concentration d’usines Seveso II en France », rappelle Alain Audier, salarié du groupe métallurgique ArcelorMittal. On en compte 15, sur 17 sites au total. Raffinerie de pétrole, production d’acier, fabrication de matières plastiques… « le champ des pollutions, ou de risque de pollution, est large », poursuit-il. Réunis autour de la table, au premier étage de la maison des syndicats de Fos-sur-Mer, les membres du CSAIGFIE – un acronyme râpeux, qui, une fois déplié, révèle une vocation claire : comité de surveillance de l’activité industrielle du golfe de Fos et son impact environnemental – opinent du chef.

Explosion des maladies

« Avec celle de Dunkerque, nous sommes la zone industrielle la plus émettrice de CO2 (1) de France », reprend Alain Audier, qui préside le collectif. Si le climat est inquiété, la santé n’est pas en reste. En 2017, une étude avançait que le nombre de cancers dans la zone est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Les maladies chroniques, telles que le diabète, y sont aussi plus nombreuses. Aucune recherche épidémiologique n’a encore été bouclée pour dire si les usines sont les seules coupables, mais tous les regards se tournent vers elles. La raison d’être du CSAIGFIE est de rendre « ces informations plus transparentes et mieux partagées », conclut le métallo. Elle est aussi de « contraindre l’industriel, l’État et ses institutions à mettre l’argent là où il faut pour prévenir les risques ».

Éclos au débouché du premier confinement, le CSAIGFIE a fait sa gestation dans les entrailles d’acier d’Arcelor, fruit de préoccupations syndico-environnementales. L’année 2019 venait d’entendre sonner le glas des CHSCT, laissant les métallos de plus en plus démunis face aux enjeux sanitaires. Les mois précédents, plusieurs incidents survenus sur le site d’ArcelorMittal avaient manqué de peu de tourner au vinaigre. L’un a marqué les esprits.

Des salariés surexposés

Le 12 août 2018, vers 1 h 15, la perte d’alimentation électrique d’un transformateur entraîne la mise en chandelle de gaz de cokerie. Soixante-six tonnes de méthane (2), 6 tonnes de benzène et 31 tonnes de monoxyde de carbone sont bazardées dans l’atmosphère (3). Le bassin, ce jour-là, est sauvé par les vents : une centaine de personnes en sont quittes pour quelques heures de confinement.

Las, l’incident n’est ni le premier ni le dernier du genre (plusieurs du même type sont survenus cet été). « Ils sont récurrents depuis 2005 et de plus en plus nombreux depuis 2012 », souligne Jean-Philippe Murru, responsable de l’union locale CGT de Fos-sur-Mer, qui dénonce un manque d’investissements des industriels.

En 2019 toujours, l’inspection du travail des Bouches-du-Rhône rend un rapport qui dit peu ou prou la même chose. Révélé par le site local d’investigation Mars­actu, il note que des contrôles effectués à l’automne précédent ont montré que les salariés de l’aciérie sont exposés à des concentrations de benzo(a)pyrène de 3,5 à 32 fois supérieures aux limites légales. La substance est classifiée cancérogène, mutagène et toxique, et pourtant les portes des fours fuient, les cabines de conduite ne sont pas hermétiques, les détecteurs de fumées font défaut… Bref, rien ne colle.

Une bataille sur tous les fronts

Cette même année, la CGT organise une réunion publique. Dans un document d’une trentaine de pages, elle pose ses exigences et ses propositions. Une autre industrie est possible, développe-t-elle en substance. Les villes de Fos-sur-Mer, de Martigues, de Miramas et de Port-de-Bouc joignent le mouvement, de même que l’association des riverains de Fos et celle des victimes de l’amiante (l’Adevimap). France Nature Environnement (FNE) et le MNLE (Mouvement national de lutte pour l’environnement) ferment la marche. Le CSAIGFIE est né… mais devra attendre quelques mois que le coronavirus baisse d’un ton pour faire ses premiers pas.

Arcelor est loin d’être la seule entreprise dans sa ligne de mire. L’ensemble de la zone est questionné. « Dès son développement à la fin des années 1960, les industriels savaient que la pollution de l’air poserait problème. C’est même la raison pour laquelle ils ont choisi l’étang de Berre : parce qu’il y a du vent », relève Christiane de Felice, présidente de l’Adevimap.

Il n’est pas question pour nous de demander la fermeture des entreprises, prévient-il. Nous exigeons en revanche qu’elles arrêtent de polluer.

        Akrem M’Hamdi Adjoint PCF délégué au développement durable de la commune

Les courants sauvent l’air, mais tout le monde n’échappe pas aux rejets. « Port-de-Bouc est entourée d’usines : quel que soit le sens du vent, nous sommes dessous », relève Akrem M’Hamdi, adjoint PCF délégué au développement durable de la commune. « Il n’est pas question pour nous de demander la fermeture des entreprises, prévient-il. Nous exigeons en revanche qu’elles arrêtent de polluer. »

L'attente d'un cadastre sanitaire

Obtenir une cartographie précise des pathologies professionnelles figure aussi à la liste des demandes, quand le nombre de victimes de la pollution industrielle reste flou. « On dénombre 2 300 cas, encore ne s’agit-il là que de ceux qui se sont manifestés », note l’élu. « La plupart des médecins ne posent pas la question de l’exposition professionnelle », abonde Christiane de Felice.

L’attente d’un cadastre sanitaire a été relayée à l’Assemblée nationale : en 2020, le député PCF marseillais Pierre Dharréville a déposé une proposition de loi dans ce sens et demandé une commission d’enquête parlementaire sur la pollution touchant le golfe de Fos.

Plus que tout encore, le CSAIGFIE demande moins de clémence de la part de l’État à l’égard des industriels. « Les choses commencent à bouger », reprend Alain Audier. En 2018, ArcelorMittal a écopé, pour la première fois, d’une amende de 15 000 euros pour non-respect des limites de rejets de benzène dans l’atmosphère. « C’est encore trop peu. » L’État doit cesser d’être aussi conciliant, assènent les salariés. Si besoin, relèvent-ils, « qu’il mette la main à la poche, et devienne actionnaire de la boîte ».

(1) Gaz à effet de serre, principal responsable du réchauffement climatique. (2) Gaz à effet de serre, deuxième responsable du réchauffement climatique. (3) Source : Aria, database gouvernementale du retour d’expérience sur les accidents industriels

publié le 11 décembre 2021

Grande sécu, grosse manip’

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Les mauvais coups se préparent toujours par des commissions ou rapports qui expliquent les nécessités des régressions sociales. Voici qu’à la veille de l’élection présidentielle, sous les lambris de quelques ministères et de l’Elysée, se concocte un projet dit de « grande sécu ». S’agit-il de répondre aux déserts médicaux, à la crise de notre système de santé ou aux défis du vieillissement ? Rien de cela !

En apparence le projet semble alléchant. Il est présenté comme un moyen pour les assurés sociaux de réaliser des économies sur leurs mutuelles ou complémentaires santé. Ainsi, sur commande du ministre de la santé, le Haut-conseil pour l’avenir de l’assurance maladie brandit la somme de 19 milliards € d’économies. Un grand bluff, puisque cette somme sera payée par les assurés sociaux sous forme d’impôts, avec une augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) ou des surplus de TVA.

Il est bon de rappeler que lors de sa création, la CSG a été présentée comme une contribution provisoire. Non seulement ce prélèvement supplémentaire dure mais augmente régulièrement. A celui-ci s’est ajoutée la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). De loin en loin, une part du financement de la protection sociale s’est donc fiscalisé et étatisé, à l’opposé du mode financement et de gestion pensés par Ambroise Croizat , selon lesquels les travailleurs gèrent eux même, via la cotisation, les richesses produites par le travail dans l’objetif de faire face solidairement au risque, au chômage, à la vieillesse, à la maladie.

Aujourd’hui, il est proposé de pousser encore plus loin cette étatisation par le bais d’une fiscalisation : le système solidaire assis sur les cotisations sociales issues du travail et des richesses produites sera remplacé par un impôt qui augmentera au fur et a mesure des demandes étatiques pour rembourser une dette globale, alors que les recettes du budget de l’Etat diminuent du fait des exonérations d’impôts et de cotisations sociales des plus grandes entreprises. On insérera donc la Sécurité sociale dans le périmètre contraint des comptes de l’Etat, eux-mêmes soumis aux dogmes austéritaires. C’est, du reste, ce qui vient d’arriver à l’assurance chômage. En ligne de lire se trouve le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), distinct du Projet de loi de finance de l’Etat (PLF), que les libéraux rêvent de fusionner. Ce qu’on prendra d’un coté sera donc, soit financé par la dette contractée auprès des marchés financiers, soit contrebalancé par de nouveaux coups de canif contre la fonction publique et les dépenses utiles. Avec, in fine, le même chantage.

Déjà l’abondement des caisses de la Sécurité sociale par l’impôt a aboutit à plus de déremboursements de médicaments, à une considérable dégradation des conditions de travail des personnels, et a une dégradation générale de nos systèmes de santé.

Avec ce projet, ce ne serait donc plus les assurés sociaux avec leurs représentants, les employeurs et l’Etat qui géreraient la Sécurité sociale, mais l’Etat seul qui disposerait du budget de la sécurité sociale dans le cadre « des trajectoires budgétaires » voulues par la Commission européenne.

Autrement dit, pendant qu’un panier de soins plus restreint serait imposé, une part de l’argent prélevé sur les citoyens serait dirigée vers le remboursement de la dette de l’Etat que l’on fait par ailleurs grossir. Les marchés financiers y trouveraient certainement leur compte. Pas l’intérêt général !

L’objectif vise aussi à réduire la part du salaire socialisé, donc à permettre aux employeurs d’abaisser encore les rémunérations globales issues du travail, baptisées «  coût du travail »  par les mandataires du capital.

Or, le cœur du financement de la sécurité sociale doit être calculé sur la masse salariale. Le lien avec l’entreprise et les créations de richesses par le travail doit rester sa matrice. Et, dans l’actuel contexte où les profits financiers se sont élevés à 232 milliards €, des sources supplémentaires de financement existent en faisant contribuer ces sommes au financement de la protection sociale. Ceci rapporterait rapidement entre 40 et 50 milliards €. De même l’égalité salariale entre les femmes et le sommes permettrait une rentrée supplémentaire de 20 milliards. Un plein emploi réel serait également une source considérable de recettes qui assurerait la pérennité du système solidaire.  La division par deux depuis 2018 des cotisations patronales, doivent être annulées au profit d’une nouvelle cohérence au service du bien commun. Celle-ci permettrait d’améliorer les remboursements des soins et des médicaments indispensables tout en créant une modulation des cotisations des employeurs selon qu’ils favorisent le travail et la formation, la réduction du temps de travail ou l’augmentation des rémunérations.

Il s’agit d’un enjeu de taille : défendre notre système de Sécurité sociale, financé par le salaire socialisé, à l’heure où le pouvoir, avec l’ensemble des candidats de droite et d’extrême droite, qui ne cesse de se référer au Général de Gaulle pour mieux préparer la destruction de  tous les progrès conquis avec le Conseil national de la Résistance. Si le projet gouvernemental crée les conditions d’un débat pour régénérer et élargir le système solidaire de Sécurité sociale, la vigilance s’impose pour empêcher l’opération en cour


 

Santé. « Nous revendiquons
une Sécu à 100 % »

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

La fin des complémentaires et une Sécu « étendue » : c’est l’un des scénarios proposés jeudi par le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie, explique l’un de ses membres CGT. Entretien.

Pierre-Yves Chanu Membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie

Il est rare qu’un rapport d’une instance de réflexion inconnue du grand public sur un sujet aussi ardu et pointu que l’assurance-maladie fasse trembler le système de santé français. C’est pourtant bien ce qu’il se passe avec celui que le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-­maladie (HCAAM) doit rendre à ses 66 membres jeudi. Objet de cette soudaine poussée de fièvre : le scénario 2 des quatre propositions formulées pour mieux articuler assurance-maladie et complémentaires santé. Celui-ci projette la fusion de ces deux financeurs des soins. Pierre-Yves Chanu, membre du HCAAM pour la CGT, analyse ce bouleversement envisagé.

Que pensez-vous de ce scénario de « grande Sécurité sociale » ?

Pierre-Yves Chanu Contrairement à ce qui a été écrit, Olivier Véran n’a jamais porté ce scénario. Le rapport du Haut Conseil est né d’une lettre de mission du ministre de la Santé demandant à l’instance d’envisager des évolutions avec, chose nouvelle, la mise à disposition des services du ministère pour évaluer ces pistes d’étude. Ce projet de rapport encore en discussion jusqu’à jeudi contient quatre scénarios, dont un propose la fusion de la Sécurité sociale et des complémentaires santé. Étant donné le nombre de pages qui lui a été consacré, c’est celui qui a le plus inspiré les auteurs. Mais, par rapport au projet de Sécurité intégrale que nous portons à la CGT, il soulève des problèmes. Nous ne sommes pas en condition d’approuver ce scénario, mais pas non plus en position de le refuser. Il faut d’abord éclaircir ces points.

Existe-t-il des points communs entre l’extension de la Sécurité sociale proposée et le 100 % Sécu que prône la CGT ?

Pierre-Yves Chanu Nous revendiquons une Sécu collectrice et financeur unique. Le rôle des mutuelles serait forcément bouleversé. Dès lors, nous demanderions que les 15 000 salariés qui gèrent les complémentaires soient repris par la Sécu. Au vu du scénario « extension » proposé par le HCAAM, nous considérons que nous avons pesé sur ses travaux. Mais nous continuons de revendiquer une Sécu à 100 %.

Vous parlez de points à éclaircir. Quels sont-ils ?

Pierre-Yves Chanu Le premier a trait à l’ampleur de la prise en charge à 100 %. Dans le scénario du HCAAM, le spectre de soins envisagé est large, puisqu’il ajouterait par exemple le 100 % santé (dentaire, optique et prothèses auditives – NDLR) aux affections de longue durée (ALD). Mais qu’en est-il des dépassements d’honoraires ? Nous militons pour la mise en cause de la médecine libérale et du tout paiement à l’acte. Nous proposons notamment le développement massif de centres de santé de proximité avec des médecins salariés. D’autre part, dans ­la logique qui veut que l’assurance­-maladie ne rembourse pas tout, cela laisserait de la place à des assurances supplémentaires, les actuelles surcomplémentaires.

Le rapport chiffre à 22 milliards d’euros les surcoûts liés à cette « grande Sécu ». Comment les trouver ?

Pierre-Yves Chanu C’est notre deuxième interrogation. Nous pensons que les financements existent. D’une part, ce scénario fait que nous économiserions les cotisations pour les complémentaires santé et leurs frais de gestion très lourds. Nous pensons que le reste est finançable par la cotisation et non par la CSG. Depuis 2018, les cotisations patronales ont été divisées par deux. La marge est là ! Il faut aussi se poser la question des revenus du capital. Le financement implique un retour à la démocratie sociale. Car si l’extension de la Sécu revient à une étatisation, c’est inacceptable. La Sécurité sociale intégrale relève d’une conception globale. C’est une mise en sécurité sociale de l’ensemble des citoyens. Ils doivent avoir voix au chapitre.

Que pensez-vous des trois autres scénarios ?

Pierre-Yves Chanu Le premier présente des corrections à la marge du système actuel. Le troisième est plus intéressant, avec la mise en place d’une « assurance complémentaire obligatoire, universelle et mutualisée », calquée sur le régime local d’Alsace-Lorraine. En revanche, le scé­nario 4 revient à une sorte de Yalta entre l’assurance-maladie, à laquelle reviendraient les plus gros risques, les plus graves ALD, et les assurances, mutuelles et institutions de prévoyance, qui s’occuperaient du reste.

Quelles seront les suites de ce rapport ?

Pierre-Yves Chanu Ce rapport prépare la prochaine mandature. Nous avons donc intérêt à ce qu’il soit le meilleur possible. Il relance des questions déjà présentes dans le débat public, comme celle des frais de gestion faramineux des complémentaires santé. Chaque candidat pourra y trouver des pistes pour son programme.

publié le 11 décembre 2021

Déserts médicaux. Sébastien Jumel : « La pénurie de médecins a été organisée »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Le député PCF de Seine-Maritime défend une proposition de loi pour améliorer la couverture médicale dans les territoires. L’Assemblée en a débattu le 2 décembre. Entretien.

Le député PCF de Seine-­Maritime défend devant l’Assemblée nationale six mesures concrètes dans sa propo­sition de loi. La majorité macroniste y est farouchement opposée.

Le projet de loi sur les déserts médicaux est un des principaux textes de votre niche parlementaire. Pourquoi maintenant ?

Sébastien Jumel La crise sanitaire démontre à quel point il faut réarmer l’hôpital et la médecine de ville. Mon rapport souligne que 11,6 % de nos concitoyens n’ont pas de médecin généraliste traitant. Six millions de Français sont à plus de trente minutes d’un service d’urgences. Le gouvernement a supprimé le numerus clausus en 2020, mais ça ne peut suffire, toutes les études démontrant (et mon rapport le confirme) qu’il faudra au minimum dix ans pour que cela produise des effets. Ensuite, il faut veiller à ce que les médecins formés s’installent dans les endroits où on en a besoin. En milieu rural, mais aussi dans les grandes villes où existent des poches de paupérisation médicale. À Paris, on compte 1 192,3 médecins pour 100 000 habitants, mais 62 % d’entre eux exercent en secteur 2, c’est-à-dire en honoraires libres. Les gens les plus fragiles ont alors des dif­ficultés d’accès à la médecine de ville ou à la médecine spécialisée. Notre proposition de loi tente d’apporter des solutions concrètes au problème des déserts médicaux, sujet de préoccupation numéro un des Français dans les cahiers de doléances du « grand débat » ouvert durant les gilets jaunes.

Comment en est-on arrivé là ?

Sébastien Jumel Tout ce qui est rare est cher. On a donc organisé la pénurie et la raréfaction du nombre de médecins formés, dans une logique comptable et corporatiste affaiblissant la couverture territoriale. Seuls 39 % des libéraux assurent la permanence de soins ambulatoires, par exemple, qui est une obligation légale. Les patients qui n’ont pas de médecin référent subissent la double peine : non seulement ils n’ont pas de médecin traitant, mais quand ils trouvent une consultation, ils sont pénalisés dans les remboursements. Les médecins ont une liberté d’installation totale. Cette absence de vision, d’aménagement du territoire en termes de santé, aboutit à la situation que je décris dans mon rapport.

Concrètement, que proposez-vous ?

Sébastien Jumel Nous proposons six mesures. À partir du moment où on lève le numerus clausus, il faut former des médecins non pas en fonction des moyens des facs de médecine, mais en fonction des besoins de chaque région. Ensuite, je propose de géné­raliser le contrat d’engagement de service public : contre une bourse de 1 200 euros brut par mois pour financer les études, les médecins formés s’engagent ensuite à s’installer durant trois ans dans un désert médical. Cette mesure permettrait aussi de démocratiser l’accès aux études de médecine, qui ne sont pas à la portée de toutes les classes sociales. Le projet de loi propose également le conventionnement sélectif : il consiste à n’aider les médecins que lorsqu’ils s’installent dans les zones sous-denses, comme c’est le cas pour les infirmiers et les kinésithérapeutes. Nous proposons également que l’État flèche prioritairement ses aides vers le soutien aux collectivités locales, pour créer des centres de santé avec des médecins salariés. Enfin, le gouvernement vient de créer un nouveau label pour les hôpitaux de proximité. Dans mon texte, je propose de leur donner une définition, notamment pour qu’il y ait des consultations avancées (de spécialistes). La relation ville-hôpital dans ces territoires est essentielle pour lutter contre les déserts médicaux, y compris parce que des médecins vont vouloir exercer à 50 % en libéral et 50 % à l’hôpital.

Au-delà de votre groupe, ces propositions rencontrent-elles un écho favorable ?

Sébastien Jumel On a le soutien de plusieurs groupes. De toute la gauche, d’abord, d’une partie de la droite avec notamment l’UDI et Agir, ensuite. Mais nous essuyons le refus obstiné de LaREM. Officiellement, ils nous disent vouloir laisser le soin au numerus clausus de prospérer, aux assistants médicaux de se développer. En réalité, le lobby des médecins s’y oppose fortement. Il existe un réflexe corporatiste assez terrible. Mais, même si ce projet de loi n’est pas voté, jeudi, cette question doit devenir centrale dans les élections législatives à venir. Tous les candidats doivent s’en emparer. Personne ne pourra tenir encore un mandat en ne bougeant pas.

On va vous reprocher d’attenter à la liberté d’installation des médecins…

Sébastien Jumel En commission, on m’a reproché de vouloir nationaliser les ­médecins. Il m’a échappé que les kinésithérapeutes et les infirmières étaient devenus un service public national, alors qu’ils n’ont pas de liberté d’installation. Ensuite, être médecin est un travail ­entièrement financé par le public : il est pris en charge par la Sécurité sociale. Ceux qui ont le mot libéralisme à la bouche devraient s’interroger sur les modalités de financement de leur profession. Enfin, la liberté d’installation est inscrite dans la loi, mais le principe du droit à la santé est inscrit dans la Constitution. Et 11,6 % des ­Français n’ont pas totalement accès à ce droit… Donc, ça va être un beau débat

publié le 30 novembre 2021

Table ronde. Covid : comment endiguer la 5e vague… et celles d’après ?

Anna Musso sur ww.humanite.fr

Dans un contexte de dégradation continue des moyens des hôpitaux publics, le rebond de l’épidémie en Europe et en France nécessite d’urgence des politiques de santé cohérentes, solidaires et de longue durée. Les propositions des épidémiologistes Catherine Hill et Antoine Flahault, et de Patrick Pelloux, médecin urgentiste. 


 

Comment expliquer que l’Europe soit redevenue l’épicentre mondial de la pandémie, comme en alerte l’OMS, alors que c’est l’une des régions du monde parmi les plus vaccinées ?

Catherine Hill L’Europe est bien l’épicentre de l’épidémie. D’après les données mondiales mises en ligne par l’université Johns-Hopkins, le nombre de décès quotidiens attribués au Covid-19 en moyenne entre le 12 et le 18 novembre est égal à 7 240 dans le monde, dont 53 % ont été observés en Europe et 15 % aux États-Unis. L’arrivée du variant Delta, deux fois plus contagieux que le virus initial, la densité de la population, une couverture vaccinale insuffisante expliquent la situation actuelle en Europe.

Antoine Flahault  Il y a une part d’aléas dans cette pandémie, notamment dans le rythme des vagues qui balaient les continents, selon une musique semblable à celle du Boléro de Ravel. Pour cette nouvelle vague, la mélodie répétitive et diatonique semble faire entrer d’abord l’Europe, épicentre actuel de la pandémie. Sera-t-elle suivie de l’Amérique, puis de l’Océanie ou l’Afrique dans les prochaines semaines ? La vaccination est arrivée entre-temps, même si on a l’impression que la force épidémique constatée cet automne, avec le variant Delta qui domine, est plus importante que jamais. Des pays fortement vaccinés subissent parmi leurs pires niveaux de contamination jamais enregistrés depuis le début de la pandémie. Si le vaccin ne semble donc pas suffire à enrayer la dynamique de contamination, en revanche, le nombre d’hospitalisations et de décès reste à un niveau très inférieur à ceux des vagues précédentes, avant le vaccin. Donc le vaccin semble permettre de prévenir une hécatombe durant cet automne en Europe de l’Ouest. Hécatombe que les pays d’Europe centrale et de l’Est n’ont malheureusement pas su éviter, pénalisés par leur trop faible couverture vaccinale.

Patrick Pelloux En tout état de cause, ce virus semble avoir une saisonnalité revenant à l’automne et au printemps. D’abord, l’Europe est le continent avec les services de surveillance épidémiologique et de santé publique les plus performants, donc les chiffres, l’information sont accessibles. Ce n’est pas le cas dans les pays avec l’extrême droite au pouvoir comme au Brésil, des pays sans service de santé publique performant comme en Afrique subtropicale ou des pays totalitaires comme la Chine et même les États-Unis du temps de Trump… D’autre part, la nouvelle peu enthousiasmante est que le vaccin au bout de six mois est moins performant, c’est pour cela qu’il faut une troisième dose. Espérons qu’elle sera suffisante et qu’il ne faudra pas en avoir une quatrième, car le scénario difficile à admettre pour les populations, creusant l’écart entre pays pauvres et riches, serait qu’il faille une injection tous les six mois… Mais nous n’en sommes pas là.

Que faudrait-il faire à court terme et après cette 5e vague pour éviter cet éternel retour qui épuise les sociétés ?

Antoine Flahault On voit que les politiques centrées sur la seule vaccination échouent à endiguer les transmissions et les vagues. C’est la combinaison des mesures qui semble de nature à permettre de reprendre et de garder le contrôle sur cette pandémie. Parmi ces mesures, il en est deux qui pourraient faire la différence cet hiver. La première concerne la ventilation des lieux clos, grande oubliée des politiques publiques. On sait pourtant que le coronavirus s’échappe d’une personne infectée, dans des microgouttelettes de sa respiration, sa parole ou sa toux. Elles se propagent par voie aérosol, planant jusqu’à plusieurs heures dans l’air de locaux mal ventilés. Plus ces lieux fermés sont bondés, et plus le risque que s’y trouve une personne contaminée s’accroît. Chercher à sécuriser les lieux clos recevant du public pourrait permettre de réduire substantiellement les nouvelles contaminations. Il faudrait pour cela qu’une réglementation exige que tous les lieux clos recevant du public soient équipés de capteurs de CO2 fonctionnant en continu, en fixant une norme contraignante au-dessus de laquelle il ne serait pas autorisé d’y rester. La seconde mesure concerne le positionnement des nouveaux médicaments contre le Covid, notamment les antiviraux (comprimés) et les anticorps monoclonaux à propriété antivirale (perfusions administrées à l’hôpital). Ces médicaments doivent être pris dans les cinq premiers jours qui suivent le début de l’infection. Ils sont coûteux et, pour le moment, sont réservés aux très rares patients atteints de Covid et présentant des déficits immunitaires sévères. Mais, comme ils réduisent significativement le risque de complications graves, il faudrait mettre en regard le coût que représenteraient une utilisation plus large de ces médicaments et les bénéfices attendus en termes de journées d’hospitalisation, de couvre-feu ou de confinement épargnées.

Patrick Pelloux Hélas, ce virus est planétaire. Nous sommes dépendants des autres. Comme pour l’écologie : on peut être bon sur notre territoire et recevoir l’incurie des autres pays. Tant que la pandémie durera, il faudra être méfiant et protéger tout le monde. C’est pour cela que les gestes barrières avec la distanciation physique, le gel, le masque vont rester dans nos habitudes pour longtemps. Nous devons vivre avec cette pandémie et nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux variants, mais tout ça ne doit plus empêcher la société de vivre et de continuer la vie économique et sociale. Et, bien entendu, le brevet et l’exploitation du vaccin doivent être libres de droits et à bas coûts car il s’agit de la survie de l’humanité.

Catherine Hill Vacciner et tester efficacement sont les clés du contrôle de l’épidémie, les gestes barrières ne suffisant pas. Il faut vacciner les plus âgés à domicile. Les médecins généralistes peuvent obtenir de l’assurance-maladie la liste de leurs patients non vaccinés, beaucoup n’ont pas eu accès à la vaccination et accepteraient d’être vaccinés. Il faudrait tester massivement, on pourrait tester tous les enfants de moins de 12 ans, deux fois par semaine, si on faisait des tests PCR groupés, en mettant dans le même tube un peu de salive des enfants de toute une classe, on peut aussi chercher le virus dans les eaux usées.

Quelle politique de santé devrait-on mettre en œuvre en France et en Europe pour prévenir et réagir aux pandémies qui risquent de se multiplier à l’avenir ?

Patrick Pelloux Vaste programme. La réponse est nécessairement européenne avec les particularismes des pays. Nous devons à la fois continuer les politiques de santé publique en organisant encore mieux les centres de vaccination au plus près de la population, notamment des quartiers pauvres. Deuxièmement, il faut changer la politique à l’égard des hôpitaux et du service public pour mieux renforcer en cas de crise. Ne pas ajouter une crise dans la crise, or c’est ce qui se passe aux Antilles. Il y a des vrais problèmes dans les hôpitaux publics avec un management effroyable, ringard, où les chefs de service sont souvent des narcissiques pervers. S’ajoutent des manques de moyens et le grand renoncement des personnels qui s’en vont. La gestion de crise avec des personnalités pathologiques est impossible. Donc, il doit y avoir une remise en cause de ce management hospitalier, basé sur la bienveillance et la considération des autres. C’est avec ces deux mesures que la troisième fait sens : la souveraineté du pays en matière du médicament, du matériel, de l’approvisionnement. Reconquérir notre propre sécurité et ne pas dépendre de puissances étrangères.

Antoine Flahault Il faudra éviter de construire des lignes Maginot. La pandémie suivante sera peut-être transmise par des moustiques ou par des aliments, tous les dispositifs destinés à contrer des virus respiratoires seraient alors vains. Il faudra ensuite chercher à mieux coordonner l’action des États, notamment au sein de l’Europe et de l’OMS, mais aussi au niveau international. Il faudra accepter de laisser de véritables prérogatives d’inspection indépendantes à l’OMS pour éviter les atermoiements que l’on a pu constater dans la recherche sur l’origine de la pandémie. Il faudra enfin réfléchir à la notion de « biens publics mondiaux », qui passera par le partage de brevets, le transfert de technologies et la formation de personnels qualifiés, pour produire et distribuer sur tous les continents les tests, vaccins et médicaments jugés essentiels, à des prix abordables et dans des conditions de qualité et de sécurité les meilleures possible.

Catherine Hill Il faut une coordination scientifique capable d’expliquer sur quelles bases s’appuient les décisions et d’assumer les incertitudes du début de l’épidémie. Ceci a cruellement manqué. Les autorités ont géré l’épidémie sur la base du nombre de cas trouvés par les tests et du taux d’incidence (division du nombre de cas par l’effectif de la population). C’était une erreur car le nombre de cas a toujours été sous-estimé. Les cas trouvés entre le début de l’épidémie et le 1er mars 2021 représentaient environ un tiers du nombre de cas estimé à partir de la prévalence des anticorps, signe d’une infection antérieure. Le rapport entre le nombre cumulé de décès et le nombre cumulé de cas trouvés est égal à 1,6 % en France et à 0,6 % au Danemark, où on a fait 7 fois plus de tests par habitant. La qualité de la médecine n’est pas différente dans les deux pays, si la survie des patients est la même dans les deux pays, alors le nombre de cas trouvés en France est sous-estimé d’un facteur 3.

Les autorités ont aussi dépensé beaucoup d’énergie dans les tests et le traçage sans tenir compte de deux caractéristiques de l’épidémie pourtant connues depuis avril 2020 : d’une part, plus de la moitié des contaminations viennent de personnes sans symptômes, soit parce qu’elles n’auront jamais de symptômes, soit parce qu’elles n’en ont pas encore. D’autre part, le virus va vite : la contagiosité est maximale autour du 5e jour après la contamination, qui est aussi le jour des premiers symptômes, et la plupart des gens ne sont plus contagieux au bout de dix à douze jours. En France, en ce moment, on teste les personnes symptomatiques 2,2 jours après l’apparition des symptômes et on leur rend les résultats 0,5 jour après. On leur annonce donc qu’ils sont contagieux à la fin de leur contagiosité, et il est trop tard pour rechercher leurs contacts. Le résultat est qu’actuellement, sur 4 cas qu’on trouve, un seul est un contact d’un cas connu.


 

Covid-19. L’accès aux vaccins, meilleur espoir contre les mutations

Vadim Kamenka sur www.humanite.fr

La pandémie repart à la hausse dans le monde avec un nouveau variant, Omicron. Pourtant, l’Allemagne, la Suisse, la Norvège et le Canada, entre autres, s’opposent toujours à la levée des brevets. Jusqu’à quand ?

Et si le variant Omicron permettait de déboucher sur une levée des brevets ? La 12e conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévue à Genève du 30 novembre au 3 décembre aurait pu y remédier. Mais, la réunion ayant été annulée vendredi soir devant l’évolution de la pandémie et les nombreuses restrictions de voyage, les 164 pays ne pourront finalement pas débattre de la demande d’une dérogation provisoire sur les brevets des vaccins. ​​ « Nous ne voyons pas d’autre choix que de proposer de reporter la conférence ministérielle et de la reconvoquer dès que possible, lorsque les conditions le permettront », a expliqué vendredi soir l’ambassadeur du Honduras, Dacio Castillo, qui préside le conseil général de l’OMC.

« C’est incompréhensible. L’OMS, l’ONU, tout le monde arrive à se réunir sauf l’OMC. Cela cache surtout un manque de consensus sur la question de la levée des brevets. Les États-Unis, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde et une centaine de pays y sont favorables. Seule la Commission européenne reste opposée à toute dérogation, sous pression de certains États membres, dont l’Allemagne et la Belgique. Pourtant, les eurodéputés ont encore voté une résolution après celles de mai et juin, en faveur d’une dérogation temporaire aux droits de propriété intellectuelle des vaccins, produits thérapeutiques et diagnostics Covid afin d’améliorer l’accès mondial », constate Marc Botenga, député du Parti du travail de Belgique (PTB) au Parlement européen.

L’initiative mondiale de l’ONU, Covax, qui a pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre le Covid, a distribué 500 millions de doses dans 144 pays et territoires. Au total, plus de 7,5 milliards de doses de vaccins anti-Covid auraient été administrées à travers le monde. Mais l’inégalité d’accès demeure criante. Quelque 143 doses ont été administrées pour 100 habitants dans les pays à hauts revenus, contre seulement 7 doses pour 100 habitants dans les pays pauvres, note l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Face à cette situation, celle-ci a d’ailleurs changé de stratégie en priorisant désormais les pays où le taux de couverture vaccinale est inférieur à 10 % et pour lesquels Covax est la seule source d’accès aux vaccins. En moyenne, en Afrique, près de 4 personnes sur 100 sont intégralement vaccinées. Pis, le magazine The Economist estime que la couverture vaccinale pour le continent pourrait être atteinte au mieux à partir de 2023, tout comme pour le Moyen-Orient.

Des gouvernements menacés de poursuites par les ONG

Pour Marc Botenga, qui participe à la campagne « Pas de profit sur la pandémie », « l’obstacle principal demeure le même : les profits générés par les trois groupes pharmaceutiques grâce à leur sérum. Pfizer, BioNTech et Moderna empochent 1 000 dollars de bénéfices par seconde. La levée des brevets et le partage technologique en open source permettraient de véritablement lutter à l’échelle planétaire contre cette pandémie. Sinon, le virus va muter et engendrer d’autres variants . Personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas. » Face à cette impasse, alors que la pandémie n’en finit plus, pour faire bouger les choses, des avocats originaires de différents pays et de plusieurs organisations non gouvernementales (Movement Law Lab, Oxfam, Amnesty International et Médecins sans frontières) ont menacé de poursuites judiciaires les gouvernements allemand, norvégien, britannique et canadien. « Tout au long de cette pandémie, le gouvernement britannique a fait passer les intérêts des grandes entreprises pharmaceutiques avant la nécessité de sauver des vies dans le monde entier », dénonce dans un communiqué Nick Dearden, de l’ONG Global Justice Now.

 

Accès aux vaccins contre le Covid :

les « premières lignes » demandent la levée des brevets

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Une fédération de syndicats d’infirmiers fustige l’attitude des Américains et des Européens, qui placent encore les profits des labos au-dessus de la santé.

La coalition d’ONG The People’s Vaccine, la campagne européenne Pas de profit sur la pandémie ou encore le collectif français rassemblant experts en accès universel aux médicaments, médecins et syndicalistes (CGT santé, SUD santé, etc.) appuient, depuis plus d’un an, la demande d’une levée provisoire des brevets sur les vaccins et les technologies contre le Covid-19, formulée par l’Inde et l’Afrique du Sud dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une réunion ministérielle décisive devait se tenir ce mardi à Genève, mais dès les premières restrictions imposées avec l’émergence du variant Omicron du nouveau coronavirus, vendredi dernier, elle a été annulée.

En dépit de ce nouveau contretemps, intervenant après des mois d’atermoiements ou carrément de blocages, par les Européens en particulier, de nouveaux renforts arrivent sur le front. Et ce sont les « premières lignes » : lundi matin, une trentaine de syndicats d’infirmiers du monde entier ont, sous la bannière de leur fédération internationale Global Nurses United (GNU), rendu publique une lettre ouverte aux Nations unies. Ils dénoncent directement l’Union européenne et les États-Unis, accusés de « protéger les profits des multinationales pharmaceutiques au détriment de la santé publique ».

« Aucun État ne peut s’en sortir seul »

Face à une distribution « scandaleusement injuste » des doses entre les pays du Nord, qui ont accaparé les stocks, et ceux du Sud, qui n’ont qu’un accès très restreint aux vaccins, ces organisations, qui représentent 2,5 millions de travailleurs de la santé sur la planète, réclament la levée immédiate des brevets. « La diffusion de nouveaux variants constitue un risque terrible pour le monde entier, notent les infirmiers dans leur tribune. Cette maladie mortelle a fait une fois de plus la démonstration qu’aucun pays ne peut s’en sortir seul dans une crise sanitaire planétaire. »

 

Rapporteure spéciale de l’ONU pour la santé et destinataire du courrier, la Sud-­Africaine Tlaleng Mofokeng a immédiatement dit qu’elle « partageai(t) » la demande des infirmiers. Ajoutant que leurs mots comptent car leurs rôles dans la pandémie leur confèrent une « autorité morale ».

publié le 23 novembre 2021

Décryptage. La France est-elle prête à faire face à la cinquième vague du Covid ?

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Si la France connaît pour l’heure une situation épidémique maîtrisée, comparée à ses voisins du nord de l’Europe, ce répit pourrait n’être que provisoire. D’autant que toutes les armes contre le virus ne sont pas utilisées. Explications

Une cinquième vague qui « démarre de façon fulgurante », dixit le porte-­parole du gouvernement, Gabriel Attal, un nouveau conseil de défense convoqué ce mercredi, deux semaines à peine après l’intervention du chef de l’État, avec, en vue, un nouveau serrage de vis…

Ceux qui avaient cru, ou espéré, que les progrès réalisés par la campagne de vaccination en France (75,2 % de vaccinés à deux doses au 16 novembre) nous protégeraient totalement et définitivement du Covid risquent de déchanter. Venu de l’est de l’Europe, un nouveau rebond des contaminations est en train de déferler sur le Vieux Continent, où il a déjà contraint plusieurs de nos voisins à des mesures drastiques. La vague peut-elle être aussi douloureuse dans l’Hexagone ? Tout a-t-il été fait pour s’en protéger ? Décryptage.

1. Jusqu’où ira la cinquième vague en France ?

Pour tenter de répondre à la question, il faut d’abord analyser pourquoi la France, avec l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, semble mieux s’en sortir, en ce début de cinquième vague, que ses voisins du nord ou de l’est de l’Europe (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche…). « Il y a un facteur géographique, répond l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale, à Genève. La vague est partie d’Europe centrale et de l’Est, début septembre, et elle se propage sur tout le continent depuis. Un facteur météo aussi, les pays du Sud étant protégés par un automne plus doux, ce qui limite les interactions dans les lieux clos. » Autrement dit, les résultats actuels, avec un taux d’incidence de 125 cas pour 100 000  habitants dans l’Hexagone, contre près de 400 en Allemagne, ou plus de 1 200 en Autriche, ne seraient que provisoires. « L’idée que la France va suivre les autres pays européens dans cette courbe ascendante des contaminations est possible, voire probable », assène le chercheur. D’ailleurs, dans plusieurs régions françaises (Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle­-Aquitaine, Normandie, Bourgogne, Hauts-de-France), l’incidence mesurée en nombre de cas par jour a déjà atteint les niveaux maximaux observés pendant les troisième (mars 2021) et quatrième (août 2021) vagues.

2. Avec quelles conséquences sur le système de soins ?

Depuis le début de l’épidémie de Covid, c’est la menace de saturation des hôpitaux, et singulièrement des services de réanimation, qui a dicté les mesures de restriction les plus lourdes, de type confinement. Or, pour l’heure, on ne constate pas dans ces services une flambée comparable à celle des contaminations. « Il y a une poussée du nombre de cas, plus forte qu’attendu, de l’ordre de 40 % sur la dernière semaine. Mais, grâce à la vaccination, l’écart se maintient avec les entrées à l’hôpital (+ 11 %) », a confirmé sur France Info l’infectiologue Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon, à Paris. Avant d’ajouter : « Dans la situation actuelle de l’hôpital public, avec les lits fermés, les problèmes de personnel ou la circulation des virus hivernaux, on n’aura pas besoin d’une énorme vague pour être submergés. »

Un constat partagé par son homologue Jean-Daniel Lelièvre, qui officie à Henri­-Mondor, à Créteil. « Même le privé subit aujourd’hui les manques de personnels. Ce n’est plus seulement l’hôpital public, mais l’ensemble du système de soins qui est ­menacé. On est à la merci, non seulement du Covid, mais aussi d’une épidémie de grippe, de bronchiolite, ou autres… » Interrogé il y a quelques jours sur France Inter, le président du conseil scientifique, le Pr Jean-François Delfraissy, s’était voulu d’un « optimisme prudent ». « Nous avons les outils, nous devrions pouvoir limiter ­l’impact de cette cinquième vague, mais ça va être difficile avec un système hospitalier qui est fatigué », a-t-il estimé, disant ­redouter plus d’un millier d’hospitalisations par jour en décembre.


 

Le variant Delta est si contagieux qu’on ne peut le contrecarrer par la seule vaccination. La troisième injection est un levier. Mais elle doit être couplée aux gestes barrières. Et il ne faut pas aller trop vite. Sa généralisation doit se faire en temps voulu, six mois après la deuxième injection. Il faut aussi regarder ce qui se passe en Europe de l’Est, en Afrique, où la couverture est beaucoup plus faible. La pandémie est un problème mondial. Si des pays ne contrôlent pas la circulation du virus, c’est autant d’opportunités d’engendrer des variants. S’il y avait une campagne de vaccination ambitieuse au niveau international, cela permettrait de limiter ce type d’émergence.

Mircea Sofonea, épidémiologiste à l’université de Montpellier


 

3. Le vaccin est-il la seule clé pour se protéger ?

Face au Covid, la vaccination est présentée depuis des mois comme la clé, le rempart absolu contre la maladie. Or, elle semble ne pas suffire à endiguer un variant aussi contagieux que le variant Delta. « On n’a pas suffisamment compris, dans le milieu médical également, (à quel point) le variant Delta est extrêmement transmissible », reconnaît d’ailleurs le Pr Delfraissy. Un constat qui vaut pour l’ensemble du continent. Ainsi, avec un taux de vaccination comparable à celui de la France, les Pays-Bas subissent chaque jour 25 000 nouveaux cas de Covid, alors que cet indicateur n’y avait jamais dépassé 11 000 cas (en décembre 2020)… « Dans beaucoup de pays européens, les dirigeants se focalisent sur la seule réponse vaccinale, et délaissent les autres leviers, regrette Antoine Flahault. Le vaccin est très utile, il réduit les formes graves de 80 à 90 %. Mais il ne diminue pas aussi fortement les transmissions. Parier sur la seule troisième dose me paraît donc insuffisant, voire dangereux. » L’idée d’élargir cette dose de rappel à l’ensemble de la population déjà vaccinée, six mois après la dernière piqûre, et pas seulement aux plus de 65 ans et personnes fragiles, semble pourtant dans les tuyaux de l’exécutif . « C’est utile, mais pas suffisant », abonde Jean-Daniel Lelièvre. D’où les réflexions menées sur la vaccination des 5-11 ans, qui doit faire l’objet d’un avis de l’Agence européenne des médicaments et la Haute Autorité de santé (française), dans les prochaines semaines.

4. Quels sont les autres leviers à actionner ?

Ils sont finalement assez nombreux et pas toujours mis en œuvre. Pour Antoine Flahault, il faut, par exemple, réinstaurer la gratuité du dépistage, au moins pendant la cinquième vague, pour ne pas avancer à l’aveugle face au virus. « Ne pas vouloir rembourser les tests de confort est légitime, mais là, il y a urgence. » L’épidémiologiste plaide aussi pour changer de braquet sur la ventilation, une arme trop souvent ­délaissée. « On sait que la transmission du Sars-CoV-2 se fait par aérosols. Qu’attend-on pour exiger que tous les locaux recevant du public mettent en place des capteurs de CO2  ? Ces dispositifs ne sont pas si coûteux. Et, au-delà d’une concentration de 1 000 ppm (parties par million), ils seraient contraints de mettre en place une ventilation renforcée ou de fermer. » Une étude menée à Taïwan lors d’une épidémie de tuberculose a montré l’efficacité de ce type de mesure. Aucune raison qu’il n’en soit pas de même avec le Covid. « Il faut aussi insister à nouveau sur des mesures qui ont fait leurs preuves, comme le télétravail ou le port du masque, ajoute Jean-Daniel Lelièvre. Dans les transports, je vois au moins un quart de la population qui ne l’utilise pas ou mal… »

5. Des fêtes de fin d’année gâchées par le virus ?

Un mois avant Noël, la crainte est dans toutes les têtes. Pas forcément à tort. « À l’hôpital, en soins critiques, on pense que l’augmentation forte, si elle doit se produire, se produirait plutôt fin décembre ou en janvier que maintenant », a estimé lundi le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch. « Prévoir au-delà de sept jours est un exercice périlleux avec ce virus, prévient ­Antoine Flahault. Mais, si on regarde la Roumanie, certes moins vaccinée, on a vu que la vague, démarrée fin août, a mis trois mois pour refluer. En France, elle a commencé mi-octobre. Donc, oui, les fêtes de Noël pourraient se trouver au milieu de cette cinquième vague. »

De là à imaginer le retour des restrictions de déplacements au moment des vacances, il y a un pas. « Le plus efficace pour éteindre une vague épidémique, c’est le confinement. Mais, socialement et politiquement, c’est inenvisageable, explique Jean-Daniel Lelièvre. Ce sont donc les décisions des prochains jours qui diront à quoi va ressembler notre fin d’année. »  


 


 

Covid-19. 5e vague : « L’hôpital n’est pas prêt à faire face »

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Pour l’infectiologue Benjamin Rossi, il faut tout faire pour limiter le rebond des contaminations. Car les leçons de la crise n’ont pas été tirées et les soignants restent en souffrance. Entretien.

Benjamin Rossi, 38 ans, est infectiologue dans un grand hôpital de Seine-Saint-Denis. Il vient de publier En première ligne (Éditions Prisma, 256 pages, 16,95 euros), un témoignage accusateur sur la gestion de l’épidémie et la crise de l’hôpital.

Craignez-vous la 5 e  vague de Covid ?

Benjamin Rossi  À l’hôpital, on n’a jamais été aussi mal équipé pour y faire face. Depuis deux ans, le nombre de lits d’hospitalisation ne fait que diminuer, en partie à cause de la lassitude des soignants. Beaucoup ont l’impression que la situation n’évoluera jamais, qu’on leur demande de régler des problèmes lourds avec des petits pansements.

Ensuite, on ne sait pas jusqu’où va déferler cette cinquième vague. La vaccination va nous protéger un peu, mais pas totalement. Des vaccinés pourront être contaminés quand même, transmettre le virus, notamment aux non vaccinés, qui eux vont se retrouver nombreux à l’hôpital. La question est : jusqu’où va-t-on laisser monter les contaminations sans mesures supplémentaires ? Il reste 6 millions de personnes qui ne sont pas vaccinées du tout. Or, le Covid amène 3 % à 4 % des gens à l’hôpital. La menace reste donc préoccupante, notamment pour les plus de 65 ans non vaccinés.

On sait aussi que l’immunité s’essouffle avec le temps, d’où l’intérêt d’une dose de rappel. Pour l’heure, les patients Covid qui arrivent à l’hôpital sont soit des non-vaccinés, soit des vaccinés avec des comorbidités. Un peu comme avec la grippe, qui envoie les gens à l’hôpital à cause des complications qu’elle engendre. L’amplitude de la cinquième vague va dépendre de ce qu’on fait dans les prochaines semaines.

La priorité est-elle la dose de rappel ?

Benjamin Rossi Non. C’est simplement une façon de prévoir l’avenir. Cela existe pour de nombreux autres vaccins, et c’est important, mais la cinquième vague concerne d’abord les non-vaccinés, donc c’est ça la priorité. Il faut continuer à chercher à convaincre. Expliquer les risques de saturation hospitalière liés à cette non-vaccination et la responsabilité qui en découle. Et puis il y a les autres leviers : le télétravail, utile pour calmer la transmission, doit être favorisé. De même que le masque obligatoire dans les lieux clos, au moins. L’objectif, c’est de tout faire pour éviter de reconfiner.

Dans quel état se trouve l’hôpital public ? Des leçons ont-elles été tirées de cette crise ?

Benjamin Rossi  Non. Cela fait des années qu’on alerte les responsables politiques sur l’état de l’hôpital public et il ne se passe rien. Ce problème était patent avant le Covid, avant ce gouvernement, mais la volonté de faire des économies sur la fonction publique reste. On nous demande toujours de faire plus, avec moins de personnel. Les soignants ont l’impression de faire de l’abattage, voient la Sécu dépenser des sommes énormes pour des traitements innovants, alors que des gens meurent, faute de personnel en nombre suffisant. Tout cela était déjà vrai avant le Covid. Face à cette crise supplémentaire, on s’est mobilisé, jour et nuit. Mais depuis, on ne nous propose que des solutions cosmétiques. Or, c’est tout le système de financement de l’hôpital qu’il faut repenser.

Et en finir avec la fameuse tarification à l’activité…

Benjamin Rossi  Sa suppression a été mise sur la table, puis abandonnée. J’espère que la question sera à nouveau abordée à l’occasion de la campagne présidentielle. Pour l’heure, je vois beaucoup de candidats se déclarer, mais peu avec un programme. Je trouve ça étonnant… Pourtant, il y a urgence. Dans l’hôpital où je travaille, 100 lits d’hospitalisation pour soins aigus sur 400 sont fermés, faute de personnel. C’est énorme. Comment prendre en charge de nouveaux patients dans ces conditions ? La Direction générale de la santé nous a déjà envoyé un message, menaçant les personnels de réquisitions pour cet hiver. Cela risque de dégoûter encore plus les soignants de travailler à l’hôpital…

Comment remédier à la crise des vocations ?

Benjamin Rossi  Il faut repenser entièrement le financement de la santé. Arrêter d’être obsédé par les économies d’échelle dans les hôpitaux, qui déstabilisent les équipes, provoquent des départs, et se terminent par des recrutements de vacataires, beaucoup plus coûteux. Renoncer à la tarification à l’activité, qui produit une inflation des dépenses de soins, sans une meilleure prise en charge des patients. Dans le système actuel, ceux qui travaillent dans l’intérêt du malade sont défavorisés par rapport à ceux qui trichent et multiplient les actes inutiles. Il faut stopper cette schizophrénie ! Et redonner aux soignants le sentiment d’être utiles, plutôt que maltraitants.

Dans votre livre, vous évoquez souvent les travailleurs de « première ligne ». Vous avez le sentiment qu’on les a un peu oubliés aujourd’hui ?

Benjamin Rossi  Oui, j’ai l’impression que tous les métiers essentiels à notre quotidien sont regardés avec une forme de condescendance. À chaque fin de vague épidémique, ils sont les premiers oubliés. Et dans cette campagne présidentielle, obsédée par l’immigration et la préférence nationale, on évacue trop facilement le fait que beaucoup de ceux qui ont continué de faire tourner le pays pendant les périodes de confinement étaient d’origine immigrée.

En tant qu’infectiologue, comment voyez-vous évoluer le Covid dans nos vies ?

Benjamin Rossi  Je vous donne là une impression, pas une analyse étayée. Je pense qu’on va s’habituer à vivre avec le Covid. Que notre immunité va s’habituer à ce virus, comme cela s’est passé pour d’autres virus d’origine animale. On arrivera à mieux le contrôler. À limiter les formes graves. Il y aura des pics, mais qui seront plus supportables pour notre société. On va s’adapter

publié le 15 novembre 2021

« Emmanuel Macron s'est exprimé comme le président propagandiste d'une République abîmée »

Site www.regards.fr

L’allocution présidentielle du mardi 9 novembre a pris des allures de discours de campagne avec, au centre, la question toujours urgente de la pandémie Covid. La chirurgienne Isabelle Lorand est l’invitée de #LaMidinale.

 

La vidéo est à voir sur :.. https://youtu.be/7uFbsBhl7Ao

 

et ci-dessous quelques extraits à lire :


 

Sur l’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron

« Emmanuel Macron a déroulé hier son discours sans contradiction : il a fait lui-même son bilan. »

« Normalement, on fait une allocution présidentielle quand on a une annonce majeure à faire à la France. Or là, il a seulement dit qu’il y aurait une troisième dose pour le vaccin - la belle affaire - et que la France va acheter des médicaments qui marchent contre le Covid… »

« La forme allocution officielle présidentielle permet à Emmanuel Macron de n’avoir aucune contradiction (…). Même Nicolas Sarkozy n’en usait pas de la sorte : il faisait des interviews dans son bureau avec des journalistes qui pouvaient lui apporter de la contradiction. »

« Il n’y a rien eu pour les soignants qui sont dans une immense souffrance depuis la pandémie. »

« L’allocution présidentielle d’hier soir relève de la propagande. Dans les Républiques abîmées, c’est comme ça que s’expriment les présidents pour faire leur grand messe. »

 

Sur l’obligation vaccinale et le pass sanitaire

« Je suis pour l’obligation vaccinale. Si on considère qu’on est face à une pandémie, que c’est une affaire de santé publique, que le vaccin est efficace, que son efficacité est corrélée à un risque d’effets secondaires extrêmement faible, les autorités sanitaires doivent prendre leurs responsabilités. »

« Le pass sanitaire permet de rendre le vaccin obligatoire sans que l’Etat en prenne la responsabilité. »

« Imaginons que, contrairement à ce que je pense, il y ait des effets secondaires, il serait légitime que l’Etat en assume la responsabilité. »

« Si l’épidémie repart - et, à ce stade, elle repart très mollement -, et dans la mesure où l’on sait qu’elle affecte moins les vaccinés, ça veut dire qu’il faut rester vigilant sur les poches de circulation. »

« La France a pris le parti de ne pas vacciner les enfants mais cela veut dire qu’il faut que l’on ait une politique offensive dans le dépistage. »

« Après la mascarade des masques en début de pandémie, il n’y a jamais eu de politique massive de dépistage - c’est toujours à la bonne volonté des gens. »

« L’obligation vaccinale, c’est une façon de convaincre et de rassurer les gens sur l’innocuité du vaccin. »

 

Sur la commande des nouveaux traitements contre le Covid-19

« J’avais déjà été choquée par la critique faite à Roselyne Bachelot lorsqu’elle était ministre de la Santé et qu’elle avait commandé des vaccins H1N1 qui se sont avérés inutiles : je considère que, lorsqu’il y a des risques importants pour la population et qu’on est un grand pays comme la France, il y a une forme de pari mais il vaut mieux anticiper l’achat. »

« Ce qui est consternant, c’est qu’alors que la France est un grand pays de l’industrie pharmaceutique, on est à la ramasse. »

 

Sur l’état de l’hôpital public

« Il suffit d’écouter les hospitaliers pour comprendre que le problème est loin d’être résolu. »

« L’hôpital public était, au début des années 2000, le fleuron due système de santé français qui était considéré comme le meilleur au monde. »

« La spirale infernale initiée avec la mise en place de la tarification à l’activité a fait perdre le sens du travail dans l’hôpital public. »

« Quand j’étais interne en médecine, on travaillait autant que les internes d’aujourd’hui et on était hyper heureux : ce n’est pas pour dire que c’est très bien de bosser 85 heures par semaine mais on était transporté et élévé par l’intérêt général et le fait de soigner des gens. Et ils ont transformé ça en un hôpital qui s’abime, sans moyens, avec un temps dingue passé en bureaucratie, sans valorisation du temps passé avec les patients ou à étudier les grandes publications scientifiques. »

« Au début de la pandémie, il y a eu une reprise de sens du travail des soignants - et c’est ce qui a permis à un hôpital malade de surmonter la crise. »

 

Sur la solidarité internationale

« On appartient tous à la même humanité donc il devrait y avoir une égalité d’accès à la vaccination. »

« Tant que le virus circule, on s’expose à des mutations : pour le meilleur, il peut se dégrader, pour le pire, ça peut produire un virus plus agressif. »

« Sur le sanitaire comme sur la planète, il faut arrêter le bla-bla. »

 

Sur la réponse politique à apporter au discours d’Emmanuel Macron

« Quand on a une extrême droite à 35%, quand on a une droite qui cherche à être le plus à droite, quand Emmanuel Macron nous propose la retraite plus tard, l’individualisation des retraites et la casse des régimes spéciaux, la réponse intelligente, c’est que la gauche relève la tête donc arrête avec l’archipellisation des candidatures ridicules avec 7 candidats entre 0 et 8%. »

« Il faut mobiliser les catégories populaires sur de l’espoir. »

« Les folies partisanes prennent le dessus sur l’intérêt général du peuple français. »

« Je ne désespère pas qu’on aboutisse à un candidat commun qui nous rassemble tous. »


 

publié le 12 juin 2021

La réforme des retraites de nouveau à l’agenda

Par La rédaction de Mediapart

 

Depuis quelques jours, les déclarations se multiplient en faveur du retour de la réforme des retraites, peut-être même avant la fin du quinquennat.

 

Elle avait disparu des radars, la voilà de retour. La réforme des retraites, dont le système à points avait été vivement contesté par des semaines de mobilisation sociale pendant l’hiver 2019-2020, est de nouveau à l’agenda : l’exécutif mise sur la reprise économique pour revenir sur ses ambitions réformatrices, balayées depuis un an et demi par l’épidémie de Covid.

 

Ce dimanche 6 juin, c’est Bruno Le Maire qui a enfoncé le clou dans Le Journal du dimanche, après les déclarations d’Emmanuel Macron, jeudi, préparant les esprits à une réouverture du dossier. « Il faudra poursuivre les réformes structurelles : la priorité, ce sont les retraites », a indiqué le ministre de l’économie dans l’interview politique dominicale.

 

Sans s’exprimer clairement sur un éventuel report de l’âge légal de départ à la retraite, Bruno Le Maire plaide pour un « volume global de travail plus important ». Cette réforme doit-elle se faire d’ici la fin du quinquennat ? Le locataire de Bercy pense que oui, il l’avait déjà fait savoir, mardi, dans une interview vidéo au Figaro : « Je suis favorable à ce qu’on ne perde pas de temps sur ce sujet-là, qui est un sujet majeur et qui doit s’inscrire dans une réflexion sur le volume de travail et la qualité de travail qu’on offre aux Français. »

 

Dans le détail, le ministre ne répond pas sur la question du maintien ou non du système de retraite à points, adopté en première lecture avec le recours au 49-3, en mars 2020. Il se contente d’insister sur la nécessité d’« équilibrer » le système actuel.

 

La réforme ne pourra toutefois pas être reprise en l’état, a fait savoir le président. À Martel, dans le Lot, où il était en déplacement jeudi, Emmanuel Macron a été interpellé par un retraité sur le sujet. La réforme était « très ambitieuse, extrêmement complexe et porteuse d’inquiétudes, il faut le reconnaître, être lucide sur la manière dont le pays l’a vécue », dira ensuite le président aux journalistes qui l’accompagnent. « Rien n’est exclu », mais « ce ne sera pas la même réforme ».

 

Selon Le Parisien, le système à points serait abandonné, mais le recul de l’âge légal de départ est à nouveau envisagé, à 64 ans contre 62 actuellement. L’Élysée songerait à une grande conférence sociale au début de l’été pour dévoiler les contours de cette nouvelle réforme.

 

Signe, s’il en fallait, de la porosité entre les thèses de la Macronie et de la droite : le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est précisément ce que plaide Éric Woerth, président Les Républicains de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

 

Mais la réforme peut-elle se faire avant la fin du quinquennat ? L’opportunité de relancer le sujet avant la présidentielle divise la majorité, si l’on en croit Le Monde. Si, au gouvernement, le ministre des comptes publics Olivier Dussopt ou le porte-parole Gabriel Attal y sont, comme Bruno Le Maire, favorables, d’autres, à l’Assemblée, y sont opposés. C’est le cas de son président, Richard Ferrand, qui estime que les retraites constitueraient une « excellente première réforme de deuxième quinquennat ».

 

Le porte-parole de La République en marche Roland Lescure s’en remet à la décision du président, mais il a lui aussi apporté de l’eau au moulin, dimanche matin, sur France Info, reprenant la petite musique du « il faudra travailler plus » distillée ces dernières semaines par la majorité présidentielle. À la question du journaliste sur l’allongement possible de la durée de cotisation et la hausse de l’âge légal de départ à la retraite, le député répond : « La manière de sortir de cette crise, c’est qu’on travaille tous plus. »

 

« Il fallait réformer les retraites avant la crise, il faut d’autant mieux les réformer après, dit encore Roland Lescure. […] Parce que les déficits ont gonflé, et parce qu’on n’est pas tous égaux face au modèle social. »

Le Conseil d’orientation des retraites estime le déficit des caisses de retraites à 30 milliards d’euros en 2020. « On devra prendre des mesures qui seront peut-être impopulaires », a assuré samedi, au micro de LCI, celui qui avait porté la réforme et reste l’un des plus offensifs sur le sujet, l’ancien premier ministre Édouard Philippe.

 

Si les uns et les autres assurent que la décision du président dépendra des consultations qu’il va mener dans les prochaines semaines, une fin de non-recevoir a d’ores et déjà été envoyée par la CGT. « La CGT reste extrêmement vigilante et ne souhaite pas qu’on remette sur la table des ajustements que paieraient les actifs ou les retraités », a affirmé jeudi sur France Info Catherine Perret, secrétaire confédérale du syndicat chargée des retraites et de la protection sociale.

 

« Je pense que la réforme des retraites à points est morte et enterrée, et ça, le président de la République l’a bien compris. La mobilisation a été forte en 2019-2020. Je rappelle quand même que deux tiers des Français étaient contre cette réforme, parce qu'ils avaient bien compris que c’était destiné à faire baisser les pensions », a encore dit la syndicaliste. Elle entend demander au président de ne plus toucher aux retraites d’ici la fin de son mandat.

 


 

publié le 13 octobre 2021

Austérité. Comment la Macronie fait
main basse sur la Sécurité sociale

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Vider les caisses, puis étatiser. Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est présenté en Conseil des ministres, ce mercredi, des voix s’élèvent pour dénoncer la mise à mal de notre système de protection sociale par le pouvoir.

«  Qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage », dit l'adage populaire. Appliqué à notre système de protection sociale, cela signifie que les gouvernements s’évertuent à en assécher le financement à coups d’exonérations, pour mieux justifier ensuite les tours de vis destinés à rééquilibrer les comptes. Cette tactique n’a rien de neuf : elle était déjà appliquée par la droite américaine dès les années 1970, au point d’être résumée par un mot d’ordre très imagé, « starve the beast » (littéralement, « affamer la bête ») (1). À croire que métaphores animalières et Sécurité sociale font bon ménage…

Nul ne sait si la présentation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en Conseil des ministres, ce mercredi, lui vaudra des noms d’oiseaux. Mais, syndicats et partis de gauche entendent profiter de l’occasion pour dénoncer la politique menée par le pouvoir en place, qui prend la Sécurité sociale en tenaille : l’assèchement des caisses, d’une part, la reprise en main et l’étatisation, d’autre part.

Aucun de ces deux mouvements n’a été initié par le président actuel, mais ce dernier compte bien boucler le travail de ses prédécesseurs. Pour ce qui est des exonérations, elles atteignaient le montant colossal de 60 milliards d’euros, fin 2019 : allègement de cotisations « Fillon », pacte de responsabilité, Cice, etc. Emmanuel Macron a ajouté sa pierre à l’édifice avec 3,5 milliards d’euros d’allègement de cotisations supplémentaires, principalement au niveau du Smic. Autant d’abattements qui ravissent le patronat mais qui coûtent très cher à l’État.

Parachever un processus en cours depuis trente ans

En théorie, ce dernier a l’obligation de compenser à l’euro près toute nouvelle exonération de cotisations sociales, en application de la loi dite Veil de juillet 1994. Mais le pouvoir actuel a décidé de s’affranchir allègrement de cette obligation dès 2019 : désormais, les allègements ne sont plus compensés, ce qui aboutit mécaniquement à un creusement du « trou » de la Sécurité sociale. Et prépare le terrain à de nouvelles réformes « structurelles ». D’ailleurs, le gouvernement a encore contribué à dégrader les comptes en décidant de faire endosser aux organismes sociaux le fardeau de la « dette Covid » (51 milliards d’euros), constituée de mesures de soutien à l’économie (chômage partiel, report de cotisations, etc).

Mais assécher la Sécurité sociale ne suffit pas, il faut aussi reprendre en main son pilotage. Le pouvoir macroniste cherche à parachever un processus en cours depuis trente ans, qui est celui de l’étatisation de notre système de protection sociale. À partir de 1967, ce dernier était géré de manière paritaire, c’est-à-dire que les organisations syndicales et patronales siégeant au sein des conseils d’administration (Sécurité sociale, assurance-chômage, retraites complémentaires) tenaient les rênes.

Les premiers coups de canif sont donnés par la droite, avec le plan Juppé, de 1995-1996, qui confère au Parlement la responsabilité de l’élaboration de la loi de financement de la Sécurité sociale. Ce denier fixe dorénavant tous les ans l’objectif national d’évolution des dépenses d’assurance-maladie (Ondam). Officiellement, les syndicats siègent toujours au sein des conseils d’administration des différentes caisses (assurance-vieillesse, assurance-maladie, allocations familiales, etc.), mais leur rôle effectif dans le pilotage du système a été réduit comme peau de chagrin.

Voilà donc quelle était la situation avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron : le paritarisme primait encore dans deux organismes, l’Agirc-Arrco (retraites complémentaires) et l’Unédic (assurance-chômage). Mais l’ancien banquier d’affaires a la ferme intention de liquider ces derniers bastions, ce qu’il annonce d’ailleurs clairement au détour de son programme électoral : « Parce qu’il assume en dernier ressort la responsabilité du chômage et de la précarité, l’État prendra en charge le système d’assurance-chômage », revendique-t-il, tout en assurant qu’il « associera l’ensemble des parties prenantes et en particulier les partenaires sociaux ».

« Associer » ne signifie pas « respecter ». Les syndicats en font l’amère expérience dès 2018, avec les négociations sur l’assurance- chômage. « La lettre de cadrage du premier ministre nous mettait en pratique dans l’impossibilité de négocier, rappelle Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO. Le gouvernement nous r éclamait 3,5 milliards d’euros d’économies sur le régime, soit plus d’un milliard par an ! D’une certaine manière, il savait pertinemment que nous n’accepterions jamais un tel coup de massue, et qu’il reprendrait la main derrière. »

Le risque de voir triompher la logique austéritaire

Il n’est pas question de s’arrêter en si bon chemin. Pour Pierre-Yves Chanu, vice-président CGT de l’Agence centrale des organismes de la Sécurité sociale, deux nouvelles menaces pointent à l’horizon : « Le premier danger vient de la proposition de loi organique portée par Thomas Mesnier, député LaREM, adoptée par le Sénat le 28 septembre dernier. Ce texte vise à intégrer le financement de l’assurance-chômage au PLFSS. Autrement dit, ce serait l’État qui reprendrait entièrement la main, alors même que c’est l’Unédic qui commande aujourd’hui. Le deuxième danger vient d’un changement profond du mo de de financement de la Sécurité sociale. L’objectif poursuivi par le gouvernement est clair : diminuer la part des cotisations patronales, payées par les employeurs, et les remplacer par de la TVA, payée par l’ensemble des ménages. Concrètement, depuis 2018, on a divisé par deux les cotisations patronales d’assurance-maladie. Et le PLFSS 2022 prévoit que, dorénavant, 28 % de la TVA seront affecté s au budget de la Sécurité sociale. »

L’étatisation de notre système de protection sociale, dénoncée unanimement par les syndicats et une partie de la gauche, risque de voir triompher la logique austéritaire, comme l’expliquait le sociologue Frédéric Pierru, dans nos colonnes : « C’est une logique purement budgétaire : on glisse d’une logique de droits associés au travail à une logique de solidarité qui passe par l’impôt. Dès lors, les dépenses de protection sociale sont comprises dans la loi de finances. Elles deviennent des lignes budgétaires au sein du budget global de l’État. Ce dernier décide de tout, en fonction de sa trajectoire de dépenses publiques contrainte pa r les règles européennes de contraction des… dépenses publiques. »

(1) Reprise à son compte par le président Ronald Reagan (1981-1989), cette stratégie vise à tailler dans les recettes de l’État, pour justifier par la suite des coupes drastiques dans les dépenses.

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