PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

luttes sociales    ---   année  2023

   publié le 28 décembre 2023

Maki, travailleur sans papiers et militant :
« C’est collectivement et par la lutte qu’on peut s’en sortir »

Par Névil Gagnepain sur https://www.bondyblog.fr/

Le 18 octobre, un mouvement de grève des travailleurs sans-papiers sur les chantiers des JO s’est enclenché et a très vite connu une première victoire qui en appelle d’autres. Une action coup de poing, qui aura été possible grâce à des mois de travail militant. Parmi celles et ceux qui l’ont rendu possible, Maki, travailleur sans-papier du BTP d’origine malienne, engagé corps et âme dans la lutte. Portrait.

Un dimanche après-midi d’octobre, dans une salle de l’Est parisien. Maki*, casquette plate vissée sur la tête, regard grave, harangue ses camarades. « Ceux qui sont prêts à y aller doivent aller jusqu’au bout. Personne ne se trahit, personne ne baisse les bras ! » Dans la petite salle basse de plafond du 20ᵉ arrondissement, se tient la dernière réunion avant le mouvement de grève et d’occupation du chantier de l’Arena Porte de la Chapelle par des travailleurs sans papiers.

Quelques minutes après la fin de la réunion, le même Maki prend le temps de jouer les interprètes, pour traduire en Soninké, notre échange avec des travailleurs du chantier de l’Arena qui s’apprêtent à se mettre en grève. « Pendant les réunions, c’est indispensable de prendre le temps de traduire pour que tous les camarades comprennent bien ce qu’il se joue ici. Ceux qui s’engagent dans la lutte doivent bien être conscients des enjeux et des risques », explique-t-il.

Tantôt militant, orateur, traducteur, ce type de réunion, Maki en a l’habitude. Il milite depuis plus de cinq ans avec le mouvement des Gilets Noirs. Depuis sa création en fait. « En 2018, on voyait les Gilets Jaunes partout dans les rues de Paris. On se disait que c’était super, mais on ne se sentait pas représentés dans ce mouvement », se remémore-t-il. Alors, avec des camarades des foyers de travailleurs migrants, ils lancent leur propre collectif. « On voulait aussi faire entendre nos voix. Sans violence, mais de façon déterminée. » 

Les Jeux Olympiques comme levier d’action

Depuis, le mouvement prend de l’épaisseur, les actions se multiplient avec plus ou moins de réussite. Au fil du temps, la lutte se cristallise autour de la question du travail. Depuis l’année dernière, forts d’une alliance avec le syndicat CNT-Solidarité Ouvrière, les Gilets Noirs mènent un travail de fourmi pour préparer une action coup de poing, frapper là où ça fait mal. Sur les chantiers des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Des ouvrages emblématiques par leur envergure et leur importance stratégique en tant que vitrine de la France en 2024.

Sans les travailleurs sans papiers, il n’y aurait pas de JO, assure Maki. C’est nous qui construisons ces infrastructures

Mais ils sont aussi emblématiques de l’exploitation des travailleurs sans papiers dans le BTP. À huit mois de l’événement planétaire, les entreprises en charge de ces chantiers ont besoin de travailleurs pour livrer leurs œuvres dans les temps. « Sans les travailleurs sans papiers, il n’y aurait pas de JO, assure Maki. C’est nous qui construisons ces infrastructures. » D’où le slogan du mouvement de grève enclenché le 17 octobre dernier, avec, dans le viseur, la régularisation des travailleurs sans papiers qui exercent sur ces chantiers : « Pas de papiers, pas de JO. »

Pour les sans-papiers en France, des souffrances et des galères

Maki, lui, ne travaille pas sur les chantiers des JOP. Mais les mécanismes d’exploitation à l’œuvre dans le BTP, il les connait par cœur. À la terrasse d’un café près de la Chapelle, quelques semaines plus tard, un jour de tempête, il fait défiler des photos sur son téléphone. Des échafaudages agrippés à des immeubles haussmanniens, des travailleurs qui s’activent. Il est employé dans une boîte sous-traitante qui ravale les façades d’immeubles de la capitale. Il décrit un quotidien éreintant, des litanies de tâches répétitives à sabler, peindre, gratter, pour des salaires de misère, sans aucune protection sociale. Et pour cause, Maki est en situation irrégulière et travaille avec des faux papiers.

Quand nous lui demandons comment il résumerait ce que c’est d’être un travailleur sans-papiers dans ce pays, il réfléchit quelques secondes en remuant la cuillère de sa tasse de café. « Des souffrances, des galères  ». Après un silence, il égraine : « Pour bien se loger, il faut des papiers, pour se nourrir, pour travailler, il faut des papiers. Même pour marcher dans la rue tranquillement, il faut des papiers ! » Il évoque les contrôles d’identités au faciès, monnaie-courante dans les rues parisiennes, qui peuvent terminer par un aller direct en Centre de rétention administrative et la délivrance d’une Obligation de quitter le territoire français.

Pourtant, on est indispensables à ce pays, je gagne ma vie à la sueur de mon front et j’ai toujours préféré travailler dur pour gagner 20 euros à la fin de la journée que de voler

Il explique être usé physiquement et moralement, ne jamais se sentir tranquille. S’ajoute à ces tracas quotidiens, un débat politico-médiatique polarisé sur les questions migratoires. Et l’impression pour les personnes exilées d’être accusés de tous les maux du pays. « Tous les jours, j’entends dire qu’on est des voleurs, que l’on doit rentrer chez nous, soupire-t-il. Pourtant, on est indispensables à ce pays, je gagne ma vie à la sueur de mon front et j’ai toujours préféré travailler dur pour gagner 20 euros à la fin de la journée que de voler. Et ils ne savent pas ce qu’on a traversé pour arriver là. »

Une route d’exil chaotique, pour une situation qui l’est tout autant en France

Pour en arriver là, Maki a laissé derrière lui les terres de son enfance à 31 ans. À Bamako, capitale du Mali, l’emploi manque cruellement. Il travaille dans les champs, mais son activité est rythmée par les saisons. Il se retrouve désœuvré une bonne partie de l’année, ce qui ne lui permet plus de subvenir aux besoins de son foyer. Alors, il part pour « trouver une vie meilleure », et laisse derrière lui sa femme et ses filles, espérant pouvoir les retrouver vite, dans de meilleures conditions.

Choisir la France comme destination était une évidence. « En tant que pays colonisé, on ne connait pas d’autre pays. Mon père a combattu en France pendant la seconde guerre mondiale. Mes tontons et tantes sont tous là, mes frères et mes sœurs aussi. » Il prend la route direction l’Europe. Mais son parcours d’exil est chaotique. Il lui faudra presque 10 ans pour atteindre son objectif et poser le pied dans l’hexagone.

Parce que c’est collectivement et par la lutte qu’on peut s’en sortir. Seuls, on n’est rien, ensemble, on peut faire bouger les choses !

Une fois sur place, c’est la désillusion. « Je savais que la vie pour les immigrés n’était pas facile dans ce pays, mais à ce point… » Il enchaîne les petits boulots au black ou sous alias, et tombe parfois sur des patrons qui refusent de lui payer son dû à la fin de la journée. Un quotidien de galères. À tel point que qu’il n’envisage même plus de faire venir sa famille. « Avec le système politique français et la façon dont il évolue, je ne peux pas les ramener. Moi-même, au bout de 10 ans, je n’ai pas une bonne condition, toujours pas de carte de séjour. Pourtant, je travaille 7 jours sur 7. »

Pas du genre à se laisser abattre, Maki choisit plutôt de lutter pour ses droits. En 2018, lui qui ne s’était jamais intéressé à la politique au Mali, voit dans le militantisme, le seul moyen de se battre pour une vie meilleure. « Parce que c’est collectivement et par la lutte qu’on peut s’en sortir. Seuls, on n’est rien, ensemble, on peut faire bouger les choses ! » Ne travaillant pas sur les chantiers des JOP, il sait que le mouvement de grève en cours ne lui permettra pas directement d’améliorer sa condition personnelle, d’obtenir des papiers. « Mais on est des frères, des sœurs, des cousins. Si j’ai les moyens pour aider, j’aide. Un jour, ce sera peut-être dans l’autre sens. » 

Un travail de longue haleine pour une première victoire

Alors, il s’engage corps et âme dans la lutte. Pendant plusieurs mois, avec ses camarades, il multiplie les tractages, parfois tôt le matin, devant les chantiers olympiques. Il prend le temps de discuter avec les travailleurs qui vont et viennent, leur parle de leur situation, leur dit qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent rejoindre le mouvement. Il participe aussi à la tenue de permanences régulières dans les locaux de la CNT-SO pour recevoir certains des travailleurs rencontrés pendant les tractages.

C’est ce travail militant de longue haleine, fatigant, mais nécessaire, qui aura permis une première victoire le 17 octobre. Une action qui aura demandé des mois de préparation, des années même si l’on remonte à la création des Gilets Noirs et leur militantisme au quotidien dans les foyers de travailleurs migrants qui a planté les graines de la révolte. Et Maki le promet, ce n’est que le début.

  publié le 21 décembre 2023

Après la réforme des retraites,
une répression syndicale sans précédent

Cécile Hautefeuille sur www.humanite.fr

Cinq militants CGT sont jugés jeudi à Bourges pour « entrave à la circulation » et « dégradation de la chaussée » au cours d’une manifestation en mars. Convocations et procédures judiciaires de syndicalistes se multiplient depuis le mouvement social, à un niveau inédit.

Une petite plaque de goudron noircie par un feu de palettes, au beau milieu d’un rond-point de Saint-Florent-sur-Cher. Voilà la « dégradation volontaire » de la chaussée reprochée à cinq militants CGT qui comparaissent jeudi 21 décembre devant le tribunal correctionnel de Bourges (Cher).

Ils sont également poursuivis pour avoir entravé, le même jour, la circulation sur une route nationale au cours d’une action contre la réforme des retraites, le 23 mars. Interrogés par France Bleu, qui a publié un cliché du bitume endommagé, les militants n’imaginaient pas finir au tribunal à l’issue de leurs auditions par les gendarmes.

Lui non plus ne pensait pas finir à la barre. Julien Gicquel, le secrétaire général de la CGT-Info’Com, va comparaître en janvier prochain, avec un autre syndicaliste, pour avoir conduit un camion recouvert d’affiches revendicatives aux abords de l’Élysée. C’était le 21 avril, quelques jours après la promulgation de la loi réformant les retraites.

Leur arrestation avait été filmée par le journaliste de Brut Rémy Buisine. Le véhicule arborait une affiche « Notre retraite on n’y touche pas » et une photo d’Emmanuel Macron, le majeur levé. « On nous reproche cette représentation du président qui fait un doigt d’honneur mais aussi d’avoir organisé une manifestation interdite », soupire Julien Gicquel, dénonçant « un procès politique ».

Selon Arié Alimi, son avocat, l’objectif de ces poursuites est double : « Les occuper à autre chose que le syndicalisme et les mettre sur la défensive. » Il évoque une « stratégie généralisée » consistant à « banaliser les poursuites contre les syndicats ».

La CGT ne dit pas autre chose. Dans une lettre adressée début décembre à la première ministre, Sophie Binet, la numéro un du syndicat, alerte sur un « contexte de répression antisyndicale inédit depuis l’après-guerre » et demande que cesse ce « harcèlement judiciaire ». Le syndicat comptabilise à ce jour « plus de mille militants poursuivis devant les tribunaux » et « au moins dix-sept secrétaires généraux d’organisations CGT convoqués du fait de leur qualité ».

En trois mois, deux membres du bureau confédéral ont également été convoqué·es devant la gendarmerie « avec la menace de poursuites judiciaires ». Du jamais-vu depuis des décennies, selon l’historien Stéphane Sirot, interrogé par France Inter : « Il faut remonter à plus de cinquante ans en arrière et à la guerre froide pour voir en France un responsable syndical national auditionné par les forces de l’ordre dans le cadre de son mandat. »

Énergéticiens et gaziers en première ligne

Ces deux responsables sont Myriam Lebkiri, par ailleurs cosecrétaire générale de l’union départementale du Val-d’Oise, et Sébastien Menesplier, le secrétaire général de la puissante fédération de l’énergie.

La première a été convoquée avec un autre syndicaliste le 8 décembre à Pontoise, pour « avoir collé un slogan sur la permanence d’un député », indique la CGT, dénonçant des moyens « disproportionnés » utilisés pour l’enquête : « visionnage des caméras de surveillance et bornage téléphonique ». Le second, comme nous l’avions raconté, a été entendu en septembre à la suite d’une coupure de courant en mars à Annonay (Ardèche), fief du ministre du travail, Olivier Dussopt.

La fédération de l’énergie est d’ailleurs en première ligne : pas moins de quatre-cents procédures judiciaires visent actuellement des énergéticiens et gaziers, selon la CGT. « C’est énorme, je pense que c’est une première », commente Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral.

Dix-huit mois de prison avec sursis ont d’ailleurs été requis contre deux responsables syndicaux de la CGT énergie de Gironde, jugés en novembre pour « dégradation de bien d’autrui » et « mise en danger d’autrui » après des coupures de courant en mars à Bordeaux. Un hôpital avait été touché, au péril des patients selon la direction de l’établissement. Les deux syndicalistes, qui nient avoir participé, seront fixés sur leur sort le 9 janvier, date du délibéré.

Convocations, poursuites judiciaires, sanctions ou menaces disciplinaires dans les entreprises : la CGT recense scrupuleusement toutes les actions visant ses troupes. « Nous avons mis en place une adresse mail pour être informés de tous les cas de figure, indique Céline Verzeletti. Nous contactons tous les camarades inquiétés pour savoir ce qu’il s’est passé, où ça en est. Et pour les soutenir. »

Les parquets poursuivent davantage

La syndicaliste sera ainsi à Bourges, jeudi 21 décembre, pour un rassemblement en marge du procès des cinq militants. « Entraver la circulation et brûler des palettes sont quand même des moyens d’expression qu’on utilise très souvent, commente-t-elle à leur propos. Ce n’est ni du jamais-vu, ni du jamais-fait ! Cela peut éventuellement conduire à un rappel à la loi. Là, on voit bien que les procureurs font davantage le choix de poursuivre. »

Dans sa lettre à Élisabeth Borne, la secrétaire générale de la CGT propose d’ailleurs au gouvernement « de demander aux parquets de se concentrer sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite […] le trafic de drogue, les violences sexistes et sexuelles, et la délinquance en col blanc », plutôt que de « cibler des syndicalistes assimilés de façon scandaleuse à des voyous ou à des terroristes ».

En octobre dernier, le secrétaire départemental de la CGT du Nord avait ainsi été tiré du lit à 6 heures du matin, menotté puis emmené au commissariat par des policiers « dont certains cagoulés », après la diffusion d’un tract de soutien à la Palestine dont un passage évoquait « les horreurs de l’occupation illégale [qui] reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées », en référence à l’attaque du Hamas du 7 octobre.

Le syndicaliste vient de recevoir sa convocation au tribunal : il sera jugé, en mars 2024, pour « apologie du terrorisme ». L’avocat Arié Alimi, qui le représente, veut bien admettre des propos « regrettables », mais « de l’apologie du terrorisme, certainement pas ». Si la garde à vue de son client s’était déroulée de « manière courtoise », les conditions de son interpellation, chez lui à l’aube, avaient choqué la CGT du Nord. « On est des militants, on a le cuir dur, mais on trouve ça gravissime », commentait à l’époque dans Mediapart un membre du bureau départemental.

Des amendes « farfelues »

Julien Gicquel, de la CGT Info’Com, fustige lui aussi les méthodes et son procès à venir « pour une affiche brocardant le président de la République » collée à l’arrière d’un camion. Une semaine avant son arrestation, il avait déjà circulé dans les rues de Paris, en marge d’un déplacement d’Emmanuel Macron à Notre-Dame-de-Paris, à bord de camions de la CGT. « Quatre véhicules au total, arrêtés douze fois en deux heures et demie !, s’étrangle-t-il encore. C’était pour des contrôles d’identité et pour nous demander de retirer nos affiches − ce que nous refusions de faire », ajoute le syndicaliste selon qui « la liberté d’expression n’est pas négociable ».

La CGT est loin d’être la seule à défendre le droit à l’expression syndicale et à la liberté d’expression. C’était précisément l’argument du défenseur de cinq syndicalistes CFDT, jugés en juin dernier à Amiens pour avoir bombé des #Stop64 sur la chaussée au cours de la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Une vingtaine de pochoirs au sol les ont conduits au tribunal, qui les a finalement relaxés.

« Le but est de faire perdre du temps aux syndicalistes », commente Simon Duteil, codélégué général d’Union syndicale Solidaires. Si nombre d’entre elles et eux ont en effet « le cuir solide », se retrouver empêtré dans des procédures judiciaires « n’est jamais agréable », souligne-t-il encore. « Ça génère forcément un petit stress. »

Le manque de respect de la liberté syndicale décomplexe complètement le patronat. Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral CGT

Simon Duteil constate aussi dans ses rangs « un paquet de convocations » mais sans doute à un moindre niveau que les chiffres de la CGT. « En revanche, poursuit-il, on atteint des sommets sur les amendes complètement farfelues réclamées à partir du mois d’avril 2023 et pendant les casserolades. Là, ils s’en sont donné à cœur joie : manifestations non autorisées, sonos portatives ou simples voitures mal garées… C’est de la répression à bas bruit parce que, clairement, on gêne. »

Simon Duteil s’inquiète d’un « tournant illibéral » et s’interroge : « On en est où de l’État de droit ? Du droit de manifester ? » Selon lui, « l’ambiance générale du rapport au syndicalisme » n’augure rien de bon et envoie un très mauvais signal dans les entreprises. La cégétiste Céline Verzeletti abonde : « Le manque de respect de la liberté syndicale décomplexe complètement le patronat ! Si réprimer les syndicalistes semble largement toléré par le gouvernement, ça se multiplie forcément aussi dans les entreprises. »

Chez Force ouvrière, on en fait d’ailleurs le constat : « Depuis six ou sept mois, nous observons de plus en plus de licenciements de salariés protégés, validés par l’inspection du travail », indique Patricia Drevon, secrétaire confédérale FO chargée des questions juridiques. « On sent que les employeurs hésitent moins parce que le gouvernement s’en fout un peu. Ça les décomplexe. » D’après elle, c’est surtout dans le secteur de l’industrie que ces licenciements sont remontés. Et si les syndicalistes licencié·es ont toujours des recours possibles, cela les engage « dans des procédures très longues, inconfortables et qui précarisent ».

Ces licenciements de salarié·es protégé·es s’accentuent-ils partout ? Céline Verzeletti, de la CGT, déplore l’absence de transparence sur le sujet. « Depuis 2017, le ministère du travail ne communique plus aucun chiffre sur les salariés protégés licenciés. Ces statistiques permettent de voir vraiment ce qu’il se passe dans les boîtes, mais on ne les a plus. » Une manœuvre, pense la syndicaliste, pour « invisibiliser » la discrimination et la répression au sein des entreprises.

 

  publié le 18 décembre 2023

Loi immigration : mobilisations à l’occasion de la Journée internationale des migrants

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

En cette Journée internationale des migrants, et alors que la commission mixte paritaire doit se réunir ce lundi 18 décembre en fin d’après-midi pour aboutir à un accord sur le projet de loi immigration entre la Macronie et LR, de nombreuses organisations appellent à la mobilisation contre un projet de loi inhumain.

Contre la loi Darmanin, 15 collectifs de sans-papiers, la Marche des solidarités et plus de 280 organisations lancent un appel à la mobilisation, ce lundi 18 décembre, à l’occasion de la Journée internationale des migrants. Il s’agit de s’opposer à ce projet de loi qui « légitime une société fondée sur le développement des inégalités, la déshumanisation, le contrôle et la surveillance policière, la limitation des libertés et l’exploitation sans frein de toutes et tous les travailleurs », résument-elles dans leur tract.

« Une dérive contraire à tous les principes de l’accueil »

La FAS (Fédération des acteurs de la solidarité) appelle quant à elle à la grève, notamment pour défendre l’hébergement des sans-abri. « L’évolution des discussions du projet de loi sur l’immigration suscite la plus vive inquiétude parmi les associations engagées contre la pauvreté », estime la fédération, fustigeant une « dérive contraire à tous les principes de l’accueil organisé et de l’intégration républicaine des personnes étrangères dans notre pays ». La FAS demande donc l’abandon pur et simple du projet de loi, et la mise en place de « mesures utiles relevant des moyens d’accueil et d’accompagnement des étrangers ».

À Paris, la journée d’action se traduira par un rassemblement, à 17 heures, place de l’Opéra. Des manifestations sont aussi prévues dans de très nombreuses villes de France. À Nice, rendez-vous à 16 heures place Garibaldi, à Clermont-Ferrand, 17 h 30 devant la préfecture, à Grenoble, 17 h 30 Place Félix Poulat, à Rennes, 17 h 30 Place de la République, à Marseille, 18 heures porte d’Aix, à Besançon, 17 heures place Pasteur, à Nantes, 18 heures au Miroir d’eau, à Nîmes, 18 heures à la Maison Carrée, à Toulouse, 18 heures à Jean Jaurès, à Lyon, à 18 h 30 place Bellecour, ou encore à Brest, 18 heures place de la Liberté. La liste complète des actions et des rassemblements est consultable ici.


 


 

À Calais, « crise de l’humanité » et associations à bout de souffle

Pauline Migevant  et  Maxime Sirvins  sur www.politis.fr•

Gérald Darmanin est aujourd’hui à Calais pour rendre visite aux forces de l’ordre. Alors que l’État investit surtout dans la répression, les associations font face à un manque de moyens et à la saturation des hébergements d’urgence. Reportage.

« On en est à fabriquer des chaussettes avec des couvertures de survie. » Axel G., l’un des trois coordinateurs de l’association Utopia 56 à Calais, se tient devant de grandes étagères en bois où sont stockés des vêtements, des couvertures de survie, des tentes. D’après les associations, près de 2 000 personnes vivent à Calais et 4 000 le long du littoral, dans des campements de fortune, un nombre jamais atteint depuis « la jungle » démantelée en 2016. Quelle que soit la météo, les expulsions des campements sont incessantes : 1 754 en 2022 à Calais et Grande-Synthe d’après Human Rights Observer, une association d’observation des droits humains.

J’ai honte quand je dois refuser une tente. Une bénévole

Cette année, en moyenne, 186 personnes ont été expulsées de lieux de vie informels chaque jour sur le littoral nord. Alors, les stocks s’épuisent. « On ne peut pas donner de tentes aux hommes seuls. Ni de couvertures. Quand il pleut, ils ont une bâche pour deux », déplore Axel G. À la « warehouse », l’entrepôt de l’Auberge des migrants qui héberge plusieurs associations actives à la frontière, le manque de moyens se ressent partout. Le « woodyard » par exemple, qui coupe du bois pour en distribuer 1,5 tonne par jour sur les lieux de vie, fonctionnera cette année 5 mois au lieu de 6. Pour les membres des associations, en majorité bénévoles, constater la situation humanitaire sans pouvoir y répondre suffisamment est parfois difficile à vivre. « J’ai honte quand je dois refuser une tente », confie une bénévole d’Utopia 56, à Calais depuis un mois.

À 19 heures, en ce soir de novembre quelques jours après la tempête Ciaran, ils sont deux, Melvin et Émeline, à chercher des solutions de mise à l’abri (MAB) pour des familles et les personnes qui viennent d’arriver à Calais. Dans l’entrepôt, la musique qui rythme les activités du woodyard est encore allumée. Il y a le bruit métallique de la tasse qu’utilise Émeline pour remplir des bentos. La nuit, l’équipe de Refugee Women’s centre (RWC), qui s’occupe des femmes et familles à la frontière, passe le relais à Utopia 56.

Ils échangent sur une famille pour laquelle « il n’y a aucune solution ». Les hébergements solidaires sont complets, le 115, ils en ont déjà bénéficié la semaine dernière. La chambre d’urgence de La Margelle (un lieu d’hébergement pour les hommes seuls) est pleine aussi. « Il n’y a plus que l’option tente », déplore la bénévole de RWC. Au téléphone, Julie H., coordinatrice d’Utopia 56 leur indique un hangar où ils pourraient être en sécurité, mais seulement cette nuit. S’ils restent plus longtemps, la police risque de les déloger.

Les bentos sont emballés dans une couverture de survie pour rester au chaud, les 20 litres de thé, des tentes et des couvertures sont chargés dans le vieux van qui quitte l’entrepôt pour atteindre la gare. Une famille afghane, avec deux adolescents et deux enfants, les y attend pour aller à l’hôtel. Dans le petit hall, la déco évoque l’Angleterre, comme cette cabine téléphonique londonienne pailletée accrochée au mur. Melvin paie 130 euros pour la nuit, que lui remboursera RWC. Émeline explique au père, anglophone, comment se rendre le lendemain au CAES, le centre d’accueil et d’examen des situations, où ils pourront être hébergés le temps que leur situation administrative soit étudiée.

Avant de remonter dans le van, Melvin et Émeline appellent le 115 pour deux hommes seuls, primo-arrivants. Il y a des places pour eux, inespérées. Le dispositif permettant d’accéder à un hébergement d’urgence est souvent saturé. D’après les chiffres recueillis par Utopia 56, entre janvier et octobre 2023, près d’un appel sur deux au Samu social a donné lieu à un refus, concernant 1 084 personnes au total, dont 84 familles, 20 femmes et 665 hommes seuls. Le rendez-vous est donné trois quarts d’heure plus tard.

Ici, c’est 85 % répression, 15 % aide humanitaire. Axel

Entre-temps, il faut aller chercher les deux hommes, trop loin du lieu de rendez-vous pour s’y rendre par eux-mêmes. L’un d’eux est près du car-ferry. Sur la rocade, le long de l’entrée du port, de hauts lampadaires éclairent les clôtures surmontées de barbelés. « Ici, c’est 85 % répression, 15 % aide humanitaire », avait dit la veille Axel G. Il se référait à un rapport parlementaire estimant qu’en 2020 la France avait dépensé 120 millions d’euros « liés à la présence de personnes migrantes à Calais et sur le littoral ». Soit « quatre fois le coût annuel des 3 136 places ouvertes sur toute la France dans les CAES ».

« L’hiver n’a même pas commencé »

L’équipe se rend devant l’église où arrive bientôt le Samu social. La famille du Koweït, elle, sera en centre-ville dans une vingtaine de minutes, le temps pour Melvin et Émeline de boire un thé chaud. Melvin, bénévole à Utopia 56 depuis plusieurs années, a connu l’époque des Palominos, un camping où vivaient les membres des associations. Depuis, Utopia 56 loue deux maisons pour les bénévoles. Mais faute de moyens, l’association devra peut-être renoncer à l’une d’elles, ce qui limiterait ses activités. Émeline, salariée, s’occupe du mécénat au niveau national, mais vient régulièrement sur le terrain. « Ça permet de se rappeler pourquoi on récolte des fonds ».

Est-ce que la police va venir ?

Dans Calais, ce mardi soir, il n’y a pas grand monde dans les rues. Place d’Armes, Yvonne et Charles de Gaulle, sculptés en bronze, se tiennent la main au pied de la tour de guet. La famille koweïtienne est à côté, avec quelques sacs. Ils sont sept, dont un petit garçon qui a récemment perdu des dents de lait. Il fait moins de 10 degrés. La famille monte dans le van avec ses affaires pour s’installer un peu plus loin, sous une sorte de hangar. « Est-ce que la police va venir ? » demande l’un d’eux. « On ne peut pas être sûrs », répond Melvin.

Alors que l’équipe s’apprête à remonter dans le van, le petit garçon accourt vers eux. Il demande une couverture supplémentaire. Melvin et Émeline se regardent. Quelques secondes passent. « Désolé », dit Melvin. Lucide sur les semaines à venir, alors que le département est touché par des crues et que ce n’est que début novembre, il explique : « On ne peut pas donner toutes les couvertures maintenant. » Le vent est froid et il pleut, mais ce sera pire dans les semaines à venir. « L’hiver n’a même pas commencé », ajoute-t-il. Melvin et Émeline repartent à la Warehouse chercher des vêtements propres qu’ils déposent pour un homme ayant la gale à la Margelle. Pas de nouveaux messages sur le téléphone, mais la nuit n’est pas terminée.

« Un sommet dans l’ignominie des conditions de survie »

Le van fait le tour de Calais pour un « security check » pendant lequel ils mangent un kebab refroidi, acheté dans le dernier endroit encore ouvert. Les tentes des Koweïtiens sont toujours là. Le van longe la plage et ses petites cabines inhabitées. Plus loin, un hôtel, où est logée une partie des CRS. Lorsqu’elle croise des voitures de CRS, l’équipe note les plaques, les heures et l’emplacement pour pouvoir recouper avec les témoignages des personnes exilées en cas de violences. Le van passe aussi devant une station-service aux allures de base militaire, entourée de murs en béton de trois mètres de haut d’où seul dépasse le sigle de Total.

Sur un parking, l’équipe aperçoit des silhouettes sur l’un des poids lourds dont ils notent l’immatriculation, « si jamais on reçoit un appel parce que les gens sont en danger à l’intérieur », explique Melvin. À bientôt trois heures du matin, l’équipe de mise à l’abri va au Perchoir, l’une des maisons de bénévoles. « La MAB va se percher », disent-ils. Dans la chambre d’astreinte, le téléphone reste allumé, s’il y a des urgences.

Cette nuit, ils ont vu 17 personnes, dont deux familles, cinq enfants. Le lendemain soir, le 8 novembre, une quarantaine de personnes, dont une quinzaine de familles et des femmes enceintes, sont sans hébergement. Sous une tente pour les protéger de la pluie qui ne cesse de tomber, les enfants sont assis sur de petites chaises. Ils chantent avec les bénévoles du Project play, une association dédiée aux enfants à la frontière. « The old mac donald had a farm hi a hi a ho. » Rassemblées devant la préfecture, les associations demandent en urgence à l’État un dispositif de mise à l’abri. En vain.

Dans une lettre ouverte adressée à la sous-préfète quelques jours plus tard, pour demander, entre autre l’arrêt des expulsions et l’ouverture de lieux d’hébergement, les associations décrivaient la période actuelle comme « un sommet dans l’ignominie des conditions de survie des personnes exilées ». En marge de la venue de Gérald Darmanin qui rend visite à la maire de Calais, aux policiers et aux gendarmes vendredi 15 décembre, les associations alertent, une fois de plus. Dans leur communiqué de presse, elles écrivent, « depuis Calais, nous constatons une véritable crise de l’humanité »

publié le 18 décembre 2023

Montpellier : nouvelle démonstration de solidarité avec le peuple palestinien

sur https://lepoing.net/

Environ 500 personnes ont à nouveau défilé dans les rues de Montpellier ce samedi 16 décembre, en solidarité avec le peuple palestinien et pour un cessez-le feu et une levée du blocus à Gaza. Rendez-vous est déjà pris la semaine prochaine pour une nouvelle manifestation

Au micro ,en début d’après-midi sur la place de la Comédie, alors que quelques centaines de personnes ont répondues présentes pour une nouvelle manifestation en solidarité avec le peuple palestinien et pour un cessez-le feu et une levée du blocus à Gaza, une membre de l’Union des Juifs Français pour la Paix (UJFP) se désole des conséquences de l’attaque en cours de l’armée israélienne sur la bande de Gaza sur les populations civiles. « Suite aux nombreux bombardements, pas moins de 2 millions de personnes se pressent sur un territoire du sud de Gaza qui représente moins de la moitié de la superficie de la métropole de Montpellier (c’est-à-dire environ 200m2) avec 2,3 millions de personnes qui s’y entassent actuellement, soit 4 fois plus que les 500 000 habitants de la métropole de Montpellier. », s’exclame-t-elle.

Un des organisateurs du rassemblement du 11 décembre devant la mairie de Montpellier, lequel, appelé notamment par BDS, la Gauche éco-socialiste et l’UJFP, venait en soutien à une proposition de motion au Conseil Municipal en faveur d’un cessez-le-feu par l’opposition de gauche, est venu dénoncer le refus du maire PS Delafosse de se positionner contre l’attaque israélienne sur des populations civiles. Quoi de plus étonnant, quand on sait que la ville de Montpellier est depuis les années 70 une fidèle compagne de la politique coloniale israélienne…

Suite à quoi la manifestation se met en route, entre diverses pancartes représentant des images des horreurs rencontrées à Gaza, et banderoles dénonçant l’apartheid. Sur le boulevard du Jeu de Paume, un gigantesque drapeau palestinien est déployé, puis porté par quelques dizaines de manifestant.e.s.

Au niveau de la préfecture le cortège tourne par la rue du Faubourg du Courreau, où des slogans appelant au boycott de l’enseigne Carrefour sont scandés. La manifestation prendra fin à Plan Cabanes.

Une nouvelle manifestation est déjà prévue pour la semaine prochaine, à la veille de Noël, laquelle aura intégralement lieu à La Paillade. Avec un départ à l’arrêt de tram Saint-Paul, depuis lequel elle rejoindra le Grand Mail pour un moment convivial autour d’un goûter et de boissons chaudes.


 


 

 

 

Lettre ouverte au Maire et au Conseil Municipal : Cessez-le feu en Palestine, l’incompréhensible refus du Conseil municipal de Montpellier

sur https://lepoing.net

Le Poing publie cette lettre ouverte, émanant de plusieurs organisations et associations qui luttent pour le cessez-le-feu à Gaza et le respect des droits du peuple Palestinien.

 

Monsieur Le Maire,

Mesdames les Conseillères municipales et Maires adjointes,

Messieurs les Conseillers municipaux et Maires adjoints,

Un cessez-le-feu immédiat et permanent est impératif en Palestine pour sauver des vies civiles et mettre fin aux crimes de guerre qui ont lieu depuis le 7 octobre, ceci alors que les rapporteurs de l’ONU font part d’un risque de génocide et que plusieurs ONG reconnues considèrent que ce génocide est actuellement en cours. Nous demandions à la ville de Montpellier d’adopter un vœu en la matière pour que le Président de la République, Emmanuel Macron, exige ce cessez-le-feu, et que la ville de Montpellier se positionne concrètement pour agir, à son niveau, pour obtenir ce cessez-le-feu. Ce fut un refus lors du Conseil Municipal du 11 décembre.

Le Président, les Ministres, les Généraux militaires et les porte-parole d’Israël ont évoqué leurs intentions de transformer Gaza “en île déserte”, tout en déshumanisant les Palestiniens en affirmant “combattre des animaux” ou encore en affirmant mettre la priorité” sur les dégâts et non sur la précision de leurs frappes “. Des journalistes, le personnel médical, les ambulances, les écoles, les lieux de culte, les hôpitaux, les universités, les abris et des milliers d’enfants ont été pris pour cibles par l’armée israélienne. Plus de 60 % des habitations de Gaza sont détruites, les infrastructures d’eau, d’électricité, de télécommunications et d’énergie ont été gravement endommagées, rendant les conditions de vie quasi impossible pour les Palestiniens. A Gaza, le blocus, la famine programmée, les déplacements de masse forcés et répétés, le meurtre et la mutilation de milliers de civils sont aujourd’hui une réalité. Ce nettoyage ethnique, qualifié de génocide par l’importante Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH), est en cours mais il peut être arrêté.

Nous demandons donc à la ville de Montpellier de s’exprimer par un vœu pour : Un cessez-le-feu immédiat et permanent en Palestine L’arrêt du blocus de Gaza.

Signataires :

AFPS 34

Gauche Ecosocialiste

Ensemble 34

Libre Pensée

MRAP de Montpellier

NPA

UJFP

Rencontres Marx


 


 

Manifestation propalestinienne à Paris : « Je veux pouvoir dire à mon fils que je n’ai pas été complice d’un génocide »

Pascale Pascariello sur www.mediapart.fr

Plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées, dimanche 17 décembre, place de la République à Paris pour demander un cessez-le feu immédiat à Gaza et en Cisjordanie. Malgré des signes d’essoufflement, les manifestants restent mobilisés pour dénoncer le « génocide » des Palestiniens.  

Vêtues de leur robe d’avocates, elles sont venues, certaines pour la première fois, manifester pour « dénoncer le génocide du peuple palestinien », lancent-elles en chœur. Ce collectif informel est né à la suite d’un rassemblement devant le tribunal de Paris le 13 décembre. Sarah, 34 ans, participe pour la première fois à la manifestation de soutien aux Palestinien·nes.

« Je me dois d’être solidaire avec nos confrères. Plus de 63 avocats gazaouis sont morts depuis le début des bombardements », avance-t-elle, rappelant qu’il existe une convention entre le barreau de Paris et celui de Gaza. Mais « rien n’est fait et le silence de notre barreau est assourdissant ».

À ses côtés, sa consœur Dominique Cochin, qui est de toutes les manifestations, rappelle que « le terme de génocide ne doit plus faire débat. L’intentionnalité du gouvernement israélien ne fait plus l’ombre d’un doute », rappelant qu’après les rapporteurs des Nations unis ayant alerté, en novembre, sur les risques d’un génocide, la Fédération internationale des droits de l’homme « a qualifié de génocide ce que l’État d’Israël fait à Gaza, reprenant la définition de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 ».

« Israël criminel, Macron complice », « Enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine » , « Pas un sou, pas une arme pour l’État d’Israël, rupture de tous les liens avec les assassins », scandent les manifestant·es parmi lesquel·les des blouses blanches venues apporter leur soutien aux soignantes et soignants palestiniens.

Ismahene, 34 ans, manifeste depuis l’âge de 15 ans pour le peuple palestinien. Cette psychologue en région parisienne est issue d’une « famille anticoloniale et franco-algérienne ». Elle a suivi les pas de sa mère « infirmière. Soigner, c’est aussi une histoire de famille ». « [Depuis] trois manifestations, j’ai mis ma blouse parce que je veux être considérée pour la profession que j’exerce et pour soutenir mes collègues palestiniens qui meurent en essayant de sauver des vies. »

« Être [cependant] renvoyée à mes origines ou être présentée comme l’Arabe, la musulmane, c’est tout ce que je ne supporte plus. » Ismahene a « assez donné dans les partis politiques avec lesquels [elle] manifestai[t] dans [s]on adolescence » : « J’étais la bonne Arabe. Et cela je ne le veux plus. Aujourd’hui, je suis une psychologue qui vient dénoncer un génocide. »

Observant ces avocates et soignantes défiler, Riyad, 23 ans, et son ami Jad, 20 ans, tous deux étudiants en sciences sociales à l’université de Paris I-Sorbonne, regrettent « le manque de mobilisation » au sein de leur université. Arrivé en France il y a cinq ans, Jad a encore toute sa famille au Liban. « Elle n’est pas menacée pour le moment, n’étant pas au sud. » Jad ne cache pas une certaine lassitude, « face à la répétition sans fin d’une histoire dont on ne voit pas l’issue ». En 2006, il a lui-même « vécu les bombardements israéliens sur le Liban ».

« C’est triste à dire mais on est presque habitués. Près de 200 civils sont morts dans le Sud Liban depuis le début des bombardements israéliens après le 7 octobre et je viens pour eux et pour tous les Palestiniens. Mais il y a moins de monde au fur et à mesure des manifestations et rien ne semble arrêter Nétanyahou », déplore-t-il.

Pour autant, hors de question « de rester devant [s]a play [console de jeux – ndlr] ou dans [s]on canapé », lance son ami Riyad qui veut être du bon côté de l’histoire. « Dans quelques années, je veux pouvoir dire à mon fils que je n’ai pas été complice d’un génocide en restant silencieux. »

D’origine algérienne, ce n’est pas la première fois qu’il vient apporter son soutien au peuple palestinien. Il l’avait déjà fait en 2021, « comme aujourd’hui par anticolonialisme et par solidarité au peuple arabo-musulman ».

Jad tient alors à préciser qu’il n’est pas musulman et qu’il regrette que, depuis le 7 octobre, « tout soit fait pour stigmatiser les musulmans et tous ceux qui soutiennent la Palestine ». C’est « un jeu dangereux qui attise l’extrême droite », déplore-t-il, et « en France, le climat est inquiétant avec le retour des ratonnades. Il faut rappeler que défendre les Palestiniens, c’est surtout une cause humanitaire. On ne peut pas accepter que des enfants, des femmes et des hommes meurent sous les bombes ».

Les deux amis sont alors interrompus par les huées des manifestant·es, passant à proximité d’un McDonald’s. Il est 14 h 30 et la manifestation qui a quitté la place de la République se dirige vers la place de Clichy. Près de 4 400 personnes selon la préfecture, 20 000 selon les organisateurs, défilent derrière les drapeaux de la Palestine qui se mélangent à ceux des syndicats ou des partis politiques, dont La France insoumise et Europe Écologie-Les Verts. 

Près de la sono d’Urgence Palestine, qui fait partie du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, organisateur des manifestations, nous retrouvons Shadi* dont le père, un pédiatre franco-palestinien, était bloqué à Gaza jusqu’à son évacuation le 5 novembre. « Toute la famille de mon père est encore dans le sud de Gaza. Ils vivent sous une tente dans une cour d’école. Mon père a perdu son cousin et depuis qu’il est rentré, il ne dort pas. »  

Shadi a fait « toutes les manifestations » : « Mais nous commençons depuis quelques semaines d’autres actions parce que nous avons bien conscience que les manifestations ne sont pas l’alpha et l’oméga. Nous organisons désormais des actions coup de poing comme les appels au boycott devant des enseignes Carrefour », explique-t-il. 

Il « tente de garder encore espoir ». La ministre des affaires étrangères, « Catherine Colonna, est en visite en Israël, il faut qu’elle entende la pression de la rue ». Shadi se réjouit d’ailleurs que le parcours de la manifestation aille « jusqu’à Barbès », se rappelant qu’en 2014, les manifestations « semblaient encore avoir de l’écho ».

L'essentiel de l'actualité ce week-end au Proche-Orient

  • La France a condamné le bombardement d’un bâtiment d’habitation qui a causé la mort de civils et notamment d’un agent français travaillant pour la France depuis 2002. « Nous exigeons que toute la lumière soit faite par les autorités israéliennes sur les circonstances de ce bombardement, dans les plus brefs délais », déclare le Quai d’Orsay.

  • En visite au Liban et en Israël, la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, a appelé à « une trêve immédiate et durable » et s’est dite « préoccupée au plus haut point » par la situation à Gaza et a fustigé les violences commises par des colons en Cisjordanie occupée.

  • Le gouvernement israélien a de nouveau rejeté tout cessez-le-feu, alors même que les familles des otages réclament la fin des combats pour la libération des leurs. Samedi 16 décembre, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées devant le ministère de la défense à Tel-Aviv pour protester contre la mort de trois otages tués « par erreur ». Alors qu’ils agitaient des drapeaux blancs et demandaient de l’aide en hébreu, l’armée israélienne a fait feu. 

  • La mort d’une mère et sa fille dans la ville de Gaza a fait sortir de son silence le patriarche latin de Jérusalem. Dans un communiqué, il accuse l’armée d’avoir « assassiné deux chrétiennes ». Nahida et sa fille Samar ont été tuées alors qu’elles tentaient de se mettre à l’abri dans un couvent, écrit le patriarche. Il affirme « qu’elles ont été abattues de sang-froid à l’intérieur des locaux de la paroisse, où il n’y a pas de belligérants ». Le pape François a déploré la mort « des civils sans défense ».

  • Alors que la bande de Gaza reste sous le feu des bombardements et que le bilan s’élève à plus de 18 800 morts (selon les chiffres transmis par le Hamas), les constats de carnage s’accumulent. L’Organisation mondiale de la santé, dont une équipe a visité l’hôpital Al-Shifa à Gaza samedi 16 décembre, décrit le service des urgences comme un « bain de sang ». L’OMS rapporte que « des centaines de patients blessés [sont] à l’intérieur et de nouveaux patients arriv[e]nt chaque minute ».

Pas très loin, Sara* n’a pas oublié 2014. Cette Palestinienne de 36 ans, arrivée en France en 2009 pour faire un master de droit, se rappelle « avoir été gazée par la police et avoir ensuite été harcelée par les services de renseignement » pour connaître « tout de [s]on entourage et des étudiants qui, comme [elle], militaient pour les Palestiniens ».

À l’époque, « les services qui [l]’interrogeaient faisaient du chantage pour [s]a naturalisation » : « Pendant plus de cinq ans, je l’ai demandée », relate-t-elle. Finalement, Sara avait cédé à la pression en « s’éloignant des collectifs de soutien à la Palestine ». Les bombardements à la suite du 7 octobre l’ont convaincue de se réengager. « Je milite auprès des collectifs de soutien avec un certain soulagement de pouvoir enfin défendre mon peuple et mes proches qui sont en Cisjordanie, à Ramallah. »

Elle s’apprête à les rejoindre pour quelques semaines. « Je suis si heureuse de retrouver mes parents, mes frères et sœurs. Je ne vis plus depuis le début des bombardements sur Gaza. » Sa mère a grandi dans un camp de réfugié·es à Bethléem et « être déplacés, c’est toute [leur] histoire », s’attriste-t-elle. Elle est « écœurée de voir comment les Palestiniens sont traités en France » et n’a « plus peur » de ce qu’il peut lui arriver en militant. « Je savais que la France était raciste mais pas à ce point-là. Aujourd’hui, je mets toutes mes forces et mes compétences, en particulier dans le domaine juridique, pour aider les collectifs de soutien aux Palestiniens. »  

En 2014, Nabila, 47 ans, n’a pas participé aux mobilisations. Elle manifeste pour la première fois pour la Palestine. « J’ai tenu à venir avec mon fils qui a 11 ans pour qu’il prenne conscience du monde dans lequel on vit. Je ne veux pas qu’il ferme les yeux. » Tous deux ont acheté des drapeaux et elle a entouré son cou d’un keffieh. Lasse de « [s]’engager chez [elle], sur [s]on canapé », ironise-t-elle, ou « de répondre au boycott » : « J’ai voulu dénoncer haut et fort le génocide des Palestiniens. Nous ne devrions même pas être dans la rue pour que des enfants et des femmes aient le droit de vivre », clame-t-elle.

Cette cadre dans les ressources humaines a tenté de convaincre son mari qui a « longtemps milité pour des associations de soutien à la Palestine. Il allait régulièrement à Gaza avant [leur] mariage. Mais, aujourd’hui, il a peur que cela ne lui soit reproché dans son travail. Il est fonctionnaire et travaille pour le ministère de la justice. C’est affligeant qu’en France, on ait peur de manifester et de défendre nos opinions, surtout lorsqu’elles sont pour le droit de vivre d’un peuple ».

Cette fille d’ouvrier algérien ne veut pas que sa présence soit « réduite à [s]es origines. Tout citoyen, quel que soit ses origines, devrait être là, dans la rue, pour soutenir les vies qu’on assassine sous nos yeux. Se taire est se rendre complice ». Enfant, elle a grandi avec un père qui militait « en tant que syndicaliste et membre du Parti communiste ». À ses mots, son fils lui demande la signification du « Parti communiste ». « C’était un parti politique », lance-t-elle avant de rajouter qu’il « n’en reste pas grand-chose ».

La politique, « c’est hélas tout ce qui peut nous inquiéter lorsqu’on voit la montée de l’extrême droite et du racisme ». « Mais c’est peut-être aussi pour cela qu’on est là, pour défendre des idées humanistes et contre l’injustice. Vous me trouvez peut-être trop idéaliste ? », conclut-elle dans un éclat de rire en prenant son fils sous son bras.     

publié le 17 décembre 2023

« Pourquoi vous n’êtes pas ensemble ? »
Le syndicalisme « de lutte » a des envies de rapprochement

Dan Israel et Manuel Magrez sur www.mediapart.fr

Une récente initiative locale remet en lumière l’idée d’une alliance de la CGT, de la FSU et de Solidaires. Une idée en débat depuis des années, mais face à la montée rapide de l’extrême droite, la CGT et la FSU annoncent à Mediapart le début d'un « travail en commun ».

Après le café matinal de ce matin de novembre, les dizaines de syndicalistes qui entrent dans la salle municipale de Tomblaine (Meurthe-et-Moselle), près de Nancy, défilent devant trois bannières syndicales fièrement déployées : la blanche de la FSU, la rouge de la CGT et la violette de Solidaires. Car la formation de deux jours aux enjeux de la santé au travail, à laquelle participent des élu·es du personnel de la région, est une formation « unitaire », organisée conjointement par les trois syndicats.

« C’est la deuxième année que l’on organise une rencontre sous ce format-là », explique, fier, Alain Chartier, de Solidaires. « Ce rapprochement, ça a été un travail de longue haleine, on y croit vraiment », souffle Stanislas Bourrel, cosecrétaire départemental de la FSU de Meurthe-et-Moselle, autocollant de son organisation apposé sur le pull.

Dès l’introduction de l’événement, il donne le ton : « Soyons toujours plus unis », lance-t-il aux participants. Et lors des tables rondes, ayant pour but cet après-midi-là d’identifier points forts et points faibles de l’action syndicale, le sujet de l’unité revient immanquablement dans les débats.

« Quand je parle de syndicat à des collègues, je dois prendre dix bonnes minutes pour leur expliquer quelle est la différence entre nous, relate Nicolas Gomez, militant Solidaires à l’Office national des forêts (ONF). Et ils me disent souvent : “Mais vous portez les mêmes revendications, pourquoi vous n’êtes pas ensemble ?” » Même s’il estime que de vraies différences, « utiles », existent entre les centrales, par exemple sur le fonctionnement interne, notoirement plus autogestionnaire chez Solidaires, le militant s’interroge sur l’éparpillement du camp syndical. La France, avec huit organisations distinctes, est la championne d’Europe du genre.

« Le patronat a très bien compris : le Medef parle d’une voix, tandis que les syndicats parlent de plusieurs voix », regrette l’invitée des journées de formation lorraines, la sociologue Danièle Linhart, fine connaisseuse du monde du travail. À ses yeux, ce « morcellement » du camp syndical est un obstacle, et un rapprochement entre les organisations serait le « premier pas dans la transformation du rapport de force ».

La chercheuse est loin d’être la seule à faire ce constat. Cela fait une petite  quinzaine d’années que le débat est régulièrement lancé dans plusieurs syndicats, par diverses voix, de la base au sommet. Et le souvenir de l’intersyndicale montée et maintenue coûte que coûte pour lutter contre la réforme des retraites est resté vivace, renforçant l’impression diffuse qu’ensemble, on peut être plus fort. « C’était un moment un peu béni », glisse Danièle Linhart.

Aller plus loin

Mais dans ce débat serpent de mer, il reste difficile de poser les termes exacts de l’équation. Initiatives communes, travail collectif, rapprochement, voire fusion ? Jusqu’où pourrait aller la discussion ? Quel degré d’union serait-il pertinent de rechercher ?

Pour Théo Roumier, militant de Sud Éducation auteur d’un article enthousiaste sur le sujet dans la revue en ligne Contretemps en juin 2022, « toute la question est de savoir si le syndicalisme est dans la bonne configuration pour mener les luttes nécessaires aujourd’hui ». Il utilise une jolie formule pour décrire la complexité du débat : « La question de l’unification mérite d’être posée. Mais c’est comme une porte blindée à multiples serrures : il faut actionner plusieurs clés en même temps. »

Le syndicaliste rappelle que des initiatives communes existent depuis longtemps : le collectif Visa contre l’extrême droite, l’intersyndicale femmes… « Ce sont des lieux qui permettent de construire un langage et des références communes, qui montrent qu’on peut travailler ensemble dans la durée », salue-t-il.

Les discussions se resserrent autour du trio CGT-FSU-Solidaires, qui se revendiquent d’un syndicalisme « de lutte » ou « de transformation sociale ».

Est-il possible d’aller plus loin ? Il l’espère. Et il n’hésite pas à envisager à voix haute une organisation commune qui regrouperait la CGT (600 000 adhérent·es), la FSU (150 00 membres, dont 90 % dans l’éducation, où elle est le syndicat dominant) et Sud-Solidaires (110 000 personnes). « Trois structures séparées, ce n’est pas la même chose qu’une organisation massive, approchant le million d’adhérent·es. Une telle structure remettrait le syndicalisme de lutte au premier plan, et permettrait d’attirer davantage de salarié·es, de créer un effet d’entraînement et un rapport de force différent. »

De fait, les discussions se resserrent autour du trio CGT-FSU-Solidaires, qui se revendiquent d’un syndicalisme « de lutte » ou « de transformation sociale ». Et ils ne sont qu’une poignée, celles et ceux qui, comme le chercheur Jean-Marie Pernot (lire notre entretien), envisagent – de façon volontairement provocatrice – une alliance des deux sœurs ennemies du syndicalisme français, la CGT et la CFDT.

« On n’est pas en faveur de l’unité juste pour l’unité, souligne Yann Venier, secrétaire général de l’Union locale CGT de Nancy, co-organisateur de la formation unitaire du mois de novembre. Nos trois organisations ont des revendications et modes d’action en commun. »

« Solidaires, la FSU et la CGT sont les seuls syndicats qui fonctionnent encore sur leurs deux jambes, embraye Jean-Étienne Bégin, militant Solidaires à l’ONF. La première jambe, c’est la défense des travailleurs, et la deuxième, celle du changement de société. Beaucoup de syndicats ne fonctionnent que sur une jambe, rendent service individuellement aux travailleurs, mais sans porter autre chose. »

Table ronde à la fête de L'Humanité

En 2022, plusieurs signaux semblaient être passés au vert et pouvaient laisser croire que le débat allait réellement prendre de l’ampleur au sein des trois syndicats. Le congrès de la FSU à Metz en février, d’abord. Les interventions offensives de Philippe Martinez, alors dirigeant de la CGT, puis de Simon Duteil et de Murielle Guilbert, coresponsables de Solidaires, avaient été accueillies par des applaudissements nourris et par une « Internationale » chantée par toute la salle debout.

« La FSU confirme […] ses mandats précédents de réunir le syndicalisme de transformation sociale en débattant pour cela avec la CGT et Solidaires des étapes allant dans le sens de la construction d’un nouvel outil syndical », indiquaient dans la foulée les documents de sortie du congrès.

Durant l’automne suivant, un Philippe Martinez en fin de mandat confiait à plusieurs médias, dont Mediapart, qu’il était « favorable à une fusion ». « C’est Bernard Thibaut qui disait : “Peut-être y aura-t-il un jour plus de syndicats que de syndiqués…”, avait-il lâché. Avec la FSU et Solidaires, on a les mêmes revendications, on va partout ensemble, on fait les mêmes actions. Il faut réfléchir à aller plus loin. »

Le sujet a même fait l’objet d’une table ronde rassemblant les dirigeant·es des trois syndicats à la Fête de L’Humanité, le 10 septembre 2022. « Nos divisions empêchent de toucher une grande part de salariés, particulièrement cette population en précarité, aux marges du salariat », y avait déclaré Benoît Teste (FSU), appuyé par Simon Duteil (Solidaires), qui estimait que « le moment historique que nous vivons nous impose une recomposition ».

Il y a beaucoup de réticences, pour ne pas dire d’hostilité, dans certains secteurs. Murielle Guilbert, codirigeante de Solidaires

Mais jusqu’ici, ces déclarations fortes sont restées au stade des belles paroles. À Solidaires pour commencer, l’unification ou même un simple rapprochement ne font pas l’unanimité. Le document issu du dernier congrès, en septembre 2021, affirme certes que « l’unité d’action syndicale est recherchée par Solidaires, que ce soit au niveau local ou national », mais se refuse à « en faire une fin en soi ». La direction n’a pas réussi à imposer une formulation plus ardente.

Et elle a échoué à nouveau en octobre 2022, lors d’un comité national, qui rassemble tous les responsables locaux et de fédérations. La proposition du secrétariat national de monter un groupe de travail sur l’union n’a pas abouti. Et rien ne dit que l’issue sera différente lors du prochain congrès du syndicat, qui se tiendra en avril 2024.

« Cela a été à chaque fois compliqué d’en discuter, reconnaît Murielle Guilbert, sa codirigeante. Nous n’avons pas réussi à enclencher des discussions pour savoir ce qu’on mettait concrètement derrière la recomposition. Il y a beaucoup de réticences, pour ne pas dire d’hostilité, dans certains secteurs. » Et la bataille des retraites a encore fait reculer le thème dans la liste des priorités, puisque nombre de militant·es de Solidaires estiment que sans nouvelle organisation, l’intersyndicale a largement fonctionné.

Philippe Martinez n’a pas mis l’idée en débat 

Quant au débat au sein de la CGT, et contrairement à ce qu’ont pu laisser penser les déclarations de Philippe Martinez, il n’a tout simplement jamais eu lieu officiellement. Aucun débat formel n’a été organisé ces dernières années, à quelque niveau de l’organisation que ce soit. Le dirigeant moustachu a avancé ses pions seul, comme le lui ont régulièrement reproché ses troupes, y compris les plus loyales, durant les derniers mois de son mandat.

Lors du congrès confédéral mouvementé de mars 2023, qui a vu arriver par surprise Sophie Binet à la tête de la CGT, le thème de l’unité syndicale en a fait les frais : toute mention d’un travail de rapprochement à mener avec la FSU et Solidaires a été supprimée par les congressistes dans le document d’orientation donnant la route à suivre pour les trois années suivantes. C’est le même mouvement qui les a vu écarter l’alliance avec les ONG environnementales du collectif « Plus jamais ça » (devenu l’Alliance écologique et sociale).

« Il y a une blague qui dit que si vous mettez deux gauchistes à discuter dans une pièce, au bout d’une heure ils ont créé trois partis », plaisante un professeur de Sud Éducation présent à la formation près de Nancy, pas franchement malheureux à l’idée de conserver son identité propre.

L’accélération du désastre ne nous laissera peut-être pas le choix. Posons-nous la question lucidement. Théo Roumier, Sud Éducation

Murielle Guilbert voit aussi les réticences chez Solidaires comme la conséquence d’une concurrence vivace qui existe dans certains secteurs professionnels. « À La Poste, il y a toujours eu une guerre entre la CGT et Sud PTT. Ils n’arrivent même pas à faire vivre une intersyndicale », rappelle-t-elle. La situation à la SNCF n’a longtemps été guère plus fraternelle.

« Sortir de cette concurrence, c’est un enjeu absolu, il ne faut pas oublier qu’on est dans une période de crise du syndicalisme, considère pour sa part une militante francilienne active de la CGT, qui conserve l’anonymat en raison du caractère sensible du sujet dans son organisation. À titre personnel, je pense qu’il faut aller vers une forme d’union du syndicalisme de lutte, mais au moment des élections professionnelles, on en arrive à voir un syndicat proche idéologiquement comme un opposant. Il faut dépasser cela. »

D’autant que la montée continue de l’extrême droite pourrait faire office de ciment entre les militant·es, qui partagent toutes et tous une culture de lutte contre le RN et ses affidé·es. « Les syndicats, ce sont les premiers ennemis de l’extrême droite », martèle la cégétiste d’Île-de-France. « L’accélération du désastre ne nous laissera peut-être pas le choix. Posons-nous la question lucidement », enjoint Théo Roumier, de Sud Éducation.

La CGT et la FSU se parlent 

Du côté de la direction de la CGT, ce double constat d’un émiettement syndical dommageable pour le salariat français et du péril RN est partagé. Et il pourrait bien faire évoluer le débat. « La dispersion sans fin du syndicalisme ne profite qu’au patronat et au gouvernement, et notre préoccupation s’accentue avec le danger grandissant de l’extrême droite, arrivée aux portes de l’Élysée en 2022 », déclare Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral de la CGT, qui entoure la secrétaire générale, Sophie Binet.

Comme dans une récente tribune dans L’Humanité, le responsable syndical rappelle la référence à 1936, date clé dans l’histoire du syndicat, qui a vu la réunification entre la CGT et la CGTU (née d’une scission en 1921) et a jeté les bases des statuts actuels du syndicat. Ceux-ci promeuvent notamment « un syndicalisme unifié » et la construction « d’une seule organisation de salariés ».

Des points d’échange, de réflexion et de travail en commun sont en cours entre la CGT et la FSU. Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral CGT

Pour autant, une position partagée à tous les échelons du syndicat veut que les divergences avec Solidaires soient trop profondes pour être dépassées rapidement. En revanche, les affinités sont assumées avec la FSU, née en 1993 d’une scission de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), l’organisation historique du syndicalisme enseignant, elle-même issue à l’origine de la CGT.

« La CGT a une histoire en partie commune avec la FSU. Nous nous considérons comme des organisations sœurs, nous partageons la volonté de nous inscrire dans une démarche de syndicalisme majoritaire et nous avons beaucoup travaillé ensemble dans l’intersyndicale contre la réforme des retraites au premier semestre, détaille Thomas Vacheron. Tous ces éléments expliquent que « des points d’échange, de réflexion et de travail en commun sont en cours entre la CGT et la FSU », indique-t-il.

Mais la prudence reste de mise, et la recherche de consensus est une volonté constamment affichée. Pas question d’imposer des choix par le haut, ni d’avancer sans « que, cette fois-ci, tous les débats nécessaires et légitimes aient lieu dans la CGT ».

Le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste, ne cache pas sa satisfaction face à cette dynamique, lui dont le syndicat cherche depuis des années à favoriser un tel processus. « Nous accueillons positivement la position de la CGT, dit-il à Mediapart. Nous ne nous interdisons rien, tout en restant dans la perspective de proposer un processus de rapprochement à tout le champ du syndicalisme de transformation sociale, sans exclusive. Et sans décider en amont de la forme que cela pourrait prendre. Il faut laisser le temps de mûrir les choses. »

Même si les incertitudes restent nombreuses et que l’éventuelle concrétisation d’un rapprochement reste encore lointaine, Benoît Teste salue une bonne nouvelle. « Le syndicalisme n’est pas assez fort aujourd’hui, et ire

Manuel Magrez s’est rendu à Nancy le 7 novembre pour assister à la première journée de formation «notre syndicalisme de transformation sociale n’a pas vraiment le vent en poupe, glisse-t-il. Il faut avoir cette ambition de le refonder. »

Y compris en cas de scénario catastrophe à l’élection présidentielle de 2027 : « Si on se retrouve avec une gauche défaite et l’extrême droite au pouvoir, il faudra être capables d’agir vite pour faire face, ensemble. »

Boîte noire

Manuel Magrez s’est rendu à Nancy le 7 novembre pour assister à la première journée de formation « unitiaire ».

publié le 15 décembre 2023

Grève chez ArcelorMittal : un mouvement qui dure malgré des réquisitions inédites

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Depuis le 4 décembre, de nombreux salariés de la production sont entrés en grève chez ArcelorMittal France. Malgré des réquisitions de grévistes inédites dès le deuxième jour du conflit, des débrayages quotidiens ont lieu et le site de Dunkerque ne produit plus. Les négociations annuelles obligatoires ont beau être closes, la CGT compte bien obtenir des augmentations de salaire conséquentes.

« Plus une tonne d’acier ne sort du site de Dunkerque. » En cette soirée du 14 décembre, les salariés de la production d’Arcelor Mittal France (AMF) à Dunkerque ont décidé de continuer un mouvement de grève qui dure déjà depuis 10 jours. C’est une nouvelle phase du conflit puisque les négociations annuelles obligatoires (NAO) sont terminées. La direction du groupe a trouvé un accord avec la CFDT et la CFE-CGC, qui représentent à elles deux 60% des voix exprimées aux élections professionnelles, quand la CGT (1er syndicat du groupe) en compte 40%. Ce sera 3,7% d’augmentations générales avec un talon (somme minimale) de 100€ brut.

« Mais nous comptons bien obtenir davantage par le rapport de force », estime Philippe Verbeke, responsable syndical pour la CGT ArcelorMittal Dunkerque et coordinateur national CGT de la filière de la sidérurgie. Depuis le 4 décembre, le syndicat revendique une hausse de salaire mensuelle de 300€ brut. « C’est à la fois nécessaire au regard du niveau de l’inflation mais aussi des bénéfices du groupe. Je rappelle qu’ArcelorMittal verse 800 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires », indique le syndicaliste.

Et même si les autres syndicats ont signé, il ne compte pas baisser les armes. « Le site de Dunkerque est le principal producteur d’acier brut en France et le haut fourneau de Fos-sur-Mer est actuellement à l’arrêt, donc la production est fortement impactée », continue le syndicaliste. Et puisque les dix jours de grève précédents ne sont pas parvenus à faire plier la direction, la CGT AMF dunkerquoise joue la carte de l’élargissement et relance, ce 15 décembre, un appel à la grève à destination de tous les sites du groupe AMF, mais aussi de ses filiales.

Une grève de haut niveau chez ArcelorMittal

Depuis le lundi 4 décembre, de nombreux ouvriers et techniciens multiplient les débrayages sur différents sites et attendent des augmentations salariales significatives. « Les salariés de la production, qui répondent le plus aux appels de la CGT, ont débrayé à Dunkerque, Mardyck [ndlr : banlieue de Dunkerque] à Florange (Moselle), à Montataire (Oise), à Basse-Indre (Loire), à Mouzon (Ardennes) à Desvres (Nord) ou encore au siège, à Saint-Denis », liste Philippe Verbeke.

« Il y a environ 7000 salariés dans le groupe, sans compter les intérimaires. Entre 3000 et 4000 sont des ouvriers de production, ce sont eux qui répondent le plus souvent aux appels de la CGT. Ce n’est pas facile de dire combien ont réellement débrayé. Mais à Dunkerque, où on fabrique des bobines revêtues de zinc, on doit avoir 50% de grévistes en production et nos deux hauts fourneaux principaux ne produisent plus », continue le syndicaliste.

La grève s’est aussi étendue dans plusieurs filiales du groupe comme Industeel ou ArcelorMittal Construction France. « C’est quelque chose que nous avons travaillé en amont. Même si nos NAO sont différentes, la manière dont vont se dérouler leurs négociations dépend fortement de celle dont se sont déroulé les nôtres. Alors autant lutter en même temps », explique le syndicaliste.

Des réquisitions inédites

Ce niveau de grève, la CGT AMF l’explique en partie par le niveau de répression inédit qui a frappé les grévistes. « Une réquisition après seulement un jour de grève, je n’avais jamais vu ça », commente Philippe Verbeke. Dans la nuit du 4 au 5 décembre, les forces de l’ordre se sont rendues au domicile de cinq grévistes afin de leur notifier leur obligation de reprendre le travail le lendemain.

Une pratique que l’on a l’habitude de voir à l’œuvre lors de conflits longs, comme les grèves de raffineur ou d’éboueurs. Elle permet de contourner le droit de grève s’il en va l’intérêt général des usagers. Cette fois, la préfecture prétexte des raisons de sécurité, ce que conteste la CGT. « Ces salariés n’étaient pas particulièrement nécessaires. D’ailleurs, ils ont pu rentrer en grève les jours suivants. On suppose que c’est avant tout un coup de pression d’un membre un peu zélé de la direction qui a voulu gonfler les muscles », estime Philippe Verbeke.

Du côté de la communication de l’usine de Dunkerque, on explique à France 3 :

« Pour des raisons de sécurité, des effectifs minimums doivent être présents sur le site sans pour autant remettre en cause le droit de grève. Les salariés qui ont fait l’objet de réquisitions faisaient partie de ces effectifs et ont quitté leur poste. Ils savaient que leur présence était obligatoire. »

Toujours est-il que la préfecture n’a pas réitéré ses réquisitions. « Ces manœuvres d’intimidation ne marchent pas. Au contraire, elles décuplent la colère des salariés », constate Philippe Verbeke.


 


 

Grève à France 24, pourquoi les salariés ont-ils voté une motion de défiance 

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

À l’appel de la CGT, les salariés de la chaîne internationale France 24 se sont mis en grève et ont voté une motion de défiance contre leur direction. En cause : le manque de moyens et une réforme des plannings « menée au pas de charge » afin d’être mise en œuvre en février 2024, au détriment des conditions de travail des salariés.

Modification des plannings, calendrier intenable, pressions, annulation de vacations… À l’appel de la CGT, des salariés de France 24, en grève depuis le mercredi 13 décembre, ont décidé de voter une motion de défiance à l’encontre de leur direction, représentée par Vanessa Burggraf. Cette motion aurait recueilli, de source syndicale, 56 % des voix, avec la participation de 330 salariés, tandis que 3,7 % des salariés se seraient joints à ce débrayage, selon le chiffre communiqué à l’AFP par la direction de la chaîne internationale. Le mouvement social aurait eu, selon la direction, interrogée par l’AFP, « quelques impacts sur les chaînes françaises, anglaise et arabe ».

La réforme des plannings concentre les griefs de la CGT dénonçant une réforme « menée au pas de charge » afin d’être mise en œuvre d’ici février 2024, sans remédier au manque d’effectifs, au détriment des conditions de travail des salariés. La direction reste pour le moment sourde aux demandes des salariés représentés par le syndicat, arguant que les moyens réclamés « représenteraient un coût de près de 2 millions d’euros qui mettrait en péril l’équilibre financier » de la chaîne, selon un document de la direction consulté par l’AFP. Cette dernière poursuivrait également des échanges avec les autres syndicats de la chaîne (CFDT, CFTC, FO et SNJ), qui ont de leur côté déposé un préavis de grève pour le 16 janvier. Un précédent préavis de grève avait déjà été déposé, le 5 octobre, réunissant tous les syndicats (CFDT, CGT, SNJ, CFTC, FO) contre cette réforme des plannings.

Il n’est question que d’optimisation et de réduction”

« La direction nous avait annoncé que la réforme allait améliorer le bien-être des salariés, alors qu’il n’est question que d’optimisation et de réduction », avait alors résumé un élu du personnel auprès du Monde.

France 24, qui regroupe quatre chaînes mondiales d’information continue en quatre langues (français, anglais, arabe, et espagnol), avait par ailleurs connu en 2021 un mouvement social d’une ampleur inédite, qui s’est traduit par une grève de six jours menée par une intersyndicale et une motion de défiance contre la direction. Les syndicats pointaient déjà la pénibilité des conditions de travail ainsi que le recours disproportionné aux journalistes pigistes.

publié le 13 décembre 2023

Crise du logement : la difficile mobilisation contre les gestionnaires d’actifs

Sur https://lvsl.fr/

La spéculation foncière n’a rien de neuf. Mais ces dernières décennies, de nouveaux acteurs richissimes se sont engouffrés sur le marché immobilier : les gestionnaires d’actifs. Ces mastodontes financiers investissent à tour de bras dans les grandes métropoles, souvent via des sociétés sous-traitantes, pour réaliser de belles plus-values sur les logements, bureaux, entrepôts, ou commerces qu’ils achètent. Face à l’explosion des coûts du logement, les contestations se font néanmoins de plus en plus fortes. Pourtant, le mouvement social français autour de cet enjeu reste encore peu développé par rapport à nos voisins. Extrait de L’empire urbain de la finance. Pouvoir et inégalités dans le capitalisme de gestion d’actifs, ouvrage d’Antoine Guironnet et Ludovic Halbert aux Editions d’Amsterdam.

« Fonds de pension, cassez-vous ! » Ce graffiti, aperçu à Marseille en 2016, sur la palissade d’un chantier de la rue de la République, rappelle l’opposition locale que peut susciter l’action des grands investisseurs. Comme l’a montré l’urbaniste Susan Fainstein, l’existence – ou l’absence – de contre-pouvoirs est aussi importante pour comprendre la plus ou moins forte hégémonie de la finance et de l’immobilier. À New York et à Londres, ces secteurs ont acquis, à partir des années 1980, un pouvoir d’autant plus fort sur les politiques urbaines qu’il n’était pas contrebalancé par d’autres acteurs et par des mobilisations populaires. Aujourd’hui, la contestation de l’empire urbain des gérants d’actifs immobiliers fait face à des vents contraires. D’un côté, ce pouvoir alimente une fermeture du jeu démocratique, notamment illustrée par le Mipim. De l’autre, les luttes urbaines sont ravivées par la critique de la métropolisation et des grands projets « inutiles et imposés ». 

C’est dans ce contexte qu’il s’agit d’interroger l’émergence de contestations contre la financiarisation des villes et sa déclinaison sous forme de gestion d’actifs immobiliers. À côté de concepts plus établis dans la critique militante comme celui de gentrification, le terme « financiarisation » est en effet devenu la cible de différentes formes de mobilisation. La variété de ces formes de résistances dessine un continuum : il y a, à un pôle, les contestations « par le bas », menées par la société civile sur le terrain des luttes urbaines, mais qui, en France, paraissent limitées en nombre et en intensité ; au pôle opposé, se trouvent des acteurs qui empruntent des voies plus officielles ou institutionnelles. On constate aussi des reconfigurations spatiales, avec l’émergence de nouveaux acteurs, scènes et échelles de mobilisation transnationales, à l’image de la campagne #StopBlackstone contre le mastodonte du secteur. Ainsi, à mesure qu’il se déploie dans les villes et les quartiers, le secteur de la gestion d’actifs agrège contre lui des acteurs susceptibles de contester son pouvoir en nouant des alliances par-delà leur environnement immédiat.

D’une certaine manière, les effets politiques de la financiarisation ne concernent pas seulement les pratiques des acteurs qui la confortent, mais aussi, selon une logique dialectique, les formes de contestation qui s’y opposent. Si la question de leur multiplication et de leur succès reste entière en France, elles dessinent un nouveau paysage, celui des mobilisations contre Blackstone et son monde

Des luttes populaires en demi-teinte 

Promoteurs et élus déplorent régulièrement la multiplication des recours juridiques et des oppositions locales aux projets immobiliers. En France, les mobilisations contre les opérations financées par des gérants d’actifs ou contre la financiarisation dont ils sont porteurs demeurent néanmoins sporadiques – voire exceptionnelles – et largement incidentes. Pour dénoncer le mal-logement, certains collectifs ont occupé des bâtiments détenus par divers grands propriétaires. 

C’est le cas de l’association Droit au logement (DAL), dont les premières occupations, fortement médiatisées dans les années 1990, ont contribué à mettre la crise du logement à l’ordre du jour gouvernemental. Cette pression a contribué à l’annonce d’un plan d’urgence en faveur de l’hébergement d’urgence et de l’insertion, notamment fondé sur la réquisition d’immeubles laissés vacants par les investisseurs institutionnels. 

Ces pratiques restent d’actualité : en 2018, le DAL a par exemple occupé des bureaux vides appartenant à Amundi dans le 13e arrondissement de Paris, appelant le gouvernement à « appliquer la loi de réquisition sur les biens appartenant à de grands propriétaires privés, pour loger en urgence les personnes sans logis, vivant des situations de grande précarité dans la rue ». D’autres lui ont emboîté le pas, comme Jeudi Noir, collectif de jeunes militants proche des milieux écologistes et qui ciblait principalement le patrimoine de propriétaires privés, notamment celui des compagnies d’assurance et des fonds de pension, pour obtenir des victoires sur le terrain judiciaire et médiatiser la crise du logement. Ce type d’action vise donc les gérants d’actifs parmi d’autres propriétaires privés entretenant délibérément la vacance.

Et la ville, elle est à qui ? 

D’autres mobilisations ont ciblé prioritairement et explicitement les gérants d’actifs, au nom de la lutte contre la spéculation immobilière et, à mesure que le vocable s’est diffusé au sein des réseaux militants, contre la « financiarisation ». La plus massive a concerné la réhabilitation d’une artère du centre-ville de Marseille construite sous le Second Empire, durant le premier âge d’or de la propriété urbaine actionnariale. Entamée en 2004, dans le cadre du vaste projet d’urbanisme « Euroméditerranée », le réaménagement de la rue de la République a progressivement été perçu comme une menace par les classes populaires, dont une partie s’est mobilisée contre les deux sociétés de gestion d’actifs qui y détenaient des logements et des commerces. La concentration de la propriété et la similarité avec les opérations de vente à la découpe qui défrayaient alors la chronique nationale ont fourni des conditions favorables à l’émergence de cette mobilisation locale inédite. 

Avec l’appui de l’association Un Centre-ville pour tous (CVPT), les collectifs de locataires et associations d’habitants ont lutté contre les tentatives d’éviction menées à coups de non-renouvellement des baux et d’intimidation des locataires. Ils ont « partiellement » gagné leur bataille juridique en obtenant une obligation de relogement par les propriétaires. Ils exigeaient aussi que les gérants d’actifs s’engagent à vendre des immeubles à des organismes HLM pour qu’une partie de ces locataires y soient relogés. En définitive, le relogement des « locataires “récalcitrants” » a permis d’acheter la paix sociale et, plus généralement, « servi d’alibi » au reste des opérations. Mais l’association CVPT revient à la charge en 2016. Après la publication d’une enquête sur les stratégies et les montages fiscaux des gérants d’actifs en question, ainsi que sur la vacance des commerces de rez-de-chaussée et des logements qu’ils possèdent encore, elle demande des comptes aux pouvoirs publics. Son bilan est sans appel : la réhabilitation « a été une opération de spéculation financière, soumise à la dictature du taux de profit, au mépris des habitants, entreprises, acteurs culturels et commerçants initiaux. Sombre bilan pour la municipalité qui avait tout misé sur la capacité de la finance privée à rénover la rue, et pour les habitants qui vivent un désert social. » 

À la même époque, un collectif rassemblant des habitants, des militants d’Attac et de Jeudi noir et des élus communistes et écologistes se mobilise dans le 3e arrondissement de Paris, où Blackstone souhaite réhabiliter un îlot pour y réaliser 24 000 mètres carrés de bureaux. « Contre la transformation de quartiers du 3e en placements financiers », les tracts du « groupe des 24 000 » rappellent que la « vie de quartier vaut plus que leurs profits ». Concrètement, le collectif réclame une évolution du projet : des logements sociaux, une crèche, des locaux pour l’économie sociale et solidaire et l’accueil des associations. Entre manifestations et déambulations, pétition, happening au siège de Blackstone, échanges avec l’adjoint de la mairie de Paris chargé du logement, il multiplie les modes d’action. Sa mobilisation est relayée sur le terrain institutionnel par des élus communistes et écologistes.

Cependant, l’exécutif parisien est déterminé à poursuivre le projet. Jean-Louis Missika, alors adjoint chargé de l’urbanisme, déclare qu’il « présente d’autres attraits, répond à d’autres besoins » que le logement social, comme le développement économique : « Il permet de maintenir et ramener au cœur de Paris des entreprises que l’on avait vu partir [en banlieue] ces dernières années. » Une ligne de défense qui montre que l’argument de la concurrence entre territoires peut servir à contrer les demandes de la population mobilisée. En l’absence de débouchés au niveau municipal, la mobilisation s’essouffle. En 2018, Blackstone revend l’opération achevée à la branche immobilière de la compagnie d’assurance Generali, pour un montant trois fois plus élevé que son prix d’achat.

Des difficultés conjoncturelles ou structurelles ? 

Au-delà de ces deux épisodes, rares sont, en France, les contestations populaires qui ont visé les gérants d’actifs. Ailleurs, les mobilisations citoyennes combinant action directe et bataille juridique se sont multipliées, par exemple à New York, contre des fonds prédateurs, ou au Canada, contre des foncières cotées en Bourse. À Berlin, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté pour l’expropriation des fonds d’investissement devenus propriétaires des logements sociaux. À Barcelone, des exilés et militants ont occupé la rue et mené une campagne de dénonciation pour exiger, avec succès, leur maintien à un loyer modéré dans un hôtel détenu par Blackstone. De même, plusieurs centaines de locataires madrilènes ont combattu les hausses de loyer exigées par cette société, y compris devant les tribunaux, et certains ont obtenu gain de cause. Ces deux derniers exemples viennent s’ajouter aux nombreuses mobilisations menées par la Plateforme des affectés par les hypothèques (PAH), qui a déployé une variété de tactiques pour lutter contre l’endettement et les expulsions causées par l’éclatement de la bulle immobilière en Espagne en 2009 : groupes de parole et ateliers de recherche, présence lors des expulsions pour les freiner et occupations d’agences bancaires pour forcer les créditeurs à abandonner les poursuites, campagnes auprès des pouvoirs publics à diverses échelles, notamment européenne. Par-delà les traditions militantes propres à chaque pays ou ville, comment expliquer ce décalage français ? 

La faible politisation des marchés où se concentre l’activité d’investissement constitue une première piste. Parce que les bureaux, commerces et entrepôts privilégiés par les gérants d’actifs en France suscitent traditionnellement moins de mobilisations que le logement, leur choix de se tenir à l’écart du secteur résidentiel a pu contribuer à les préserver de la critique. Cet évitement est d’ailleurs délibéré pour certains gérants d’actifs, car, en plus d’être moins rentable, le logement est perçu comme politiquement sensible. La mauvaise presse associée aux ventes à la découpe est encore vive dans les mémoires. Dans le prospectus du fonds résidentiel Bepimmo, Blackstone joue cartes sur table, encouragé en cela, il est vrai, par les obligations réglementaires de communication : des « critiques », « manifestations » et campagnes médiatiques « pourraient amener [le fonds] à renoncer aux opportunités d’investissement et à être soumis à de nouvelles lois, litiges et changements dans la surveillance réglementaire ».

La comparaison internationale confirme cette inégale politisation. Si les luttes contre la financiarisation semblent plus vives ailleurs, elles portent exclusivement sur le logement. Pourtant, notre enquête a démontré que la concentration des gérants d’actifs dans l’immobilier non résidentiel s’accompagnait d’effets allant bien au-delà des murs des bureaux ou des commerces, que ce soit en matière de développement territorial, d’urbanisme, de transition écologique et d’artificialisation des sols, d’inégalités patrimoniales et même de risque financier systémique. 

Maintenant qu’ils s’intéressent au logement et à l’environnement, la donne va-t-elle changer ? Difficile de se livrer au jeu des prédictions, mais certaines caractéristiques de la financiarisation laissent penser qu’au-delà des types d’objets concernés, des défis structurels se dressent face aux mobilisations. La géographe Desiree Fields souligne les difficultés liées à la « distance » : une distance spatiale, au sens où l’infrastructure de la gestion d’actifs permet à des investisseurs d’opérer à l’échelle globale via toute une chaîne d’intermédiaires ; mais aussi relationnelle, car la multiplication des intervenants et instruments rend potentiellement plus difficile l’identification des donneurs d’ordre, l’imputation des responsabilités et, in fine, la défense de revendications. On est loin du mouvement ouvrier de l’époque industrielle, qui luttait au sein de l’usine contre un patronat local. Le capitalisme urbain financiarisé met en jeu d’autres subjectivités – ménages endettés, locataires menacés d’expulsions – et opère à une échelle qui, de plus en plus, est mondiale. Comment s’opposer à un gérant d’actifs dont l’identité n’est pas forcément connue, parce qu’il a recours à de multiples prestataires de gestion, et qui intervient pour le compte d’une multitude d’investisseurs, dont des fonds de pension colossaux en charge des retraites du secteur public ?

L’empire urbain de la finance. Pouvoir et inégalités dans le capitalisme de gestion d’actifs, Antoine Guironnet et Ludovic Halbert, Editions d’Amsterdam, 2023.

  publié le 10 décembre 2023

Le maître du monde
face aux prolétaires

par Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Fort d’une fortune de 192 milliards de dollars, M. Elon Musk tente de conquérir le ciel avec Space X et Starling, les routes avec Tesla, les réseaux de communication avec X. Tout à son fantasme de domination mondiale, il en oublie qu’ici bas, dans la réalité matérielle, les seuls producteurs de richesses et de valeur sont les travailleurs et les créateurs. Les prolétaires de Suède viennent de le lui rappeler dans l’unité et avec force. Entre deux crachats antisémites, il doit se rendre à l’évidence : sa richesse n’est que le résultat de l’exploitation capitaliste des travailleurs et du pillage du travail des scientifiques des secteurs de la recherche publique. Pour augmenter encore la plus value qu’il extorque de l’exploitation du travail, il refuse d’appliquer les conventions collectives des pays ou il s’implante. C’est ce qu’il s’apprête à faire en Suède. L’enjeu est énorme pour tous les salariés de ce pays, mais bien au-delà pour tous les travailleurs européens. Alors que le président de la République se vante d’avoir signé un accord pour implanter l’une de ses usines dans le nord de La France, il faut donc y regarder à deux fois. Avec le terrain et une baisse d’impôt en guise de cadeau de bienvenu, le mandataire du capital qui occupe l’Élysée veut aussi fournir une main-d’œuvre à bon marché qui permettrait d’entailler encore plus le droit social Français. Tout ceci au nom de… « l’emploi », qui a décidément bon dos.

Preuve, s’il en fallait, que la lutte des classes existe et qu’elle se déploie chaque jour dans le vacarme des débats nauséabonds sur « la guerre des identités » ou de « civilisation ». Autant de diversions pour cacher celle que mène le capital contre le travail et le nouveau prolétariat.

Refusant de signer une convention collective à 130 mécaniciens-réparateurs de voiture électrique Tesla, répartis dans sept concessions en Suède, le magnat nord-américain a déclenché une réaction en chaîne qui fait honneur à la classe ouvrière. Les mécaniciens ont cessé le travail à l’appel de leur syndicat IF Metal pour obtenir « des conditions de travail équitables et sûres, comparables à celles d’entreprises similaires dans le pays ». Ce mouvement, soutenu par huit autres syndicats, a mis en branle une multitude de travailleurs de différents métiers pour faire comprendre à Tesla que, sans eux, sans leur travail, rien ne fonctionne, vérité universelle que cherche à maquiller, en tout temps et en tout lieu, le capital. Les garagistes refusent ensuite de réparer les voitures Tesla. Puis les dockers refusent de décharger les voitures électriques des bateaux. Les électriciens laissent les bornes de recharge en panne. Les facteurs ne livrent plus le courrier, les pièces détachées et les plaques d’immatriculation. Les agents d’entretien ne font plus le ménage. Dans d’autres pays nordiques et en Allemagne, les salariés et leurs syndicats s’apprêtent aussi à se mettre en mouvement.

Honneur aux ouvriers suédois ! Ils doivent pouvoir bénéficier de notre soutien actif pour le droit et le progrès social. À la veille des élections européennes, ils nous rappellent la nécessité de faire voter des directives protectrices pour les travailleurs et entraver ainsi la route pavée par le capital et ses mandataires pour que Musk et ses épigones s’essuient les pieds sur le droit social. Pour cela les prolétaires de tous les pays doivent s’unir et agir.


 

 

En Suède, dix syndicats
à l’assaut de Tesla

Nicolas Lee sur www.humanite.fr

Le plus gros vendeur de voitures électriques du monde, Tesla, refuse de signer les conventions collectives suédoises. Un mouvement de grève très suivi paralyse l’activité de l’entreprise dans le pays.

Suède, correspondance particulière.

La Suède est-elle en train de renouer avec son histoire sociale ? « Peu de gens s’en souviennent, mais c’est l’un des pays qui faisait le plus grève en Europe au début du XXe siècle », rappelle Anders Kjellberg, professeur émérite de sociologie de l’université de Lund (Suède). Depuis, avec le modèle social réputé unique du pays, le nombre de conflits sociaux a chuté. Le 27 octobre, la grève des salariés des dix centres de réparation de voitures Tesla à l’appel du syndicat IF Metall, a donc surpris le monde entier. Dans les semaines suivantes, le mouvement est devenu encore plus retentissant, avec pas moins de neuf syndicats qui l’ont soutenue par des actions de solidarité : ceux des transports, des électriciens ou encore celui du BTP.

À l’origine de ce conflit, la firme automobile Tesla refuse de signer les accords collectifs de branche avec le syndicat IF Metall, deuxième en nombre de membres. Après cinq années passées à faire miroiter une hypothétique signature, Tesla a claqué la porte des négociations, fin octobre. Le conflit s’articule notamment autour des salaires, des assurances et des pensions de retraite. Autant d’éléments inscrits dans les conventions collectives qui couvrent 90 % des salariés suédois.

« Tesla risque d’ouvrir une brèche »

Pour Marie Nilsson, présidente d’IF Metall, l’organisation doit défendre bec et ongles cette spécificité. « C’est la manière dont le système de protection des salariés s’applique en Suède. Les droits des travailleurs – à la différence d’autres pays européens – sont principalement garantis par ces accords collectifs », précise-t-elle. Si la mobilisation ne concerne peut-être que 130 mécaniciens, la représentante y voit une offensive plus globale contre le système des accords collectifs.

Une vision partagée par Britta Lejon, présidente du syndicat suédois des fonctionnaires Statstjänstemannaförbundet, « Tesla risque d’ouvrir une brèche et inciter d’autres entreprises à reconsidérer l’utilité des négociations », s’inquiète la chef de file de l’organisation. Ses membres, qui comprennent notamment des postiers, mènent depuis le mardi 21 novembre une grève de solidarité et bloquent tous les courriers à destination des ateliers Tesla. La multinationale se retrouve donc dans l’impossibilité de mettre ses nouveaux véhicules en circulation, les plaques d’immatriculation étant d’habitude livrées par la poste. « La livraison des pièces nécessaires à la réparation mais aussi celle des plaques d’immatriculation sont interrompues », confirme Britta Lejon.

Tesla n’a pas tardé à réagir, Elon Musk, patron de l’entreprise, lâchant sur son réseau social X un « C’est de la folie ! » en réponse à cette solidarité. Ce lundi 27 novembre, Tesla a déposé plainte contre l’État afin de récupérer les plaques d’immatriculation auprès de l’agence publique qui les met à disposition. Une autre action en justice contre PostNord – entreprise des postes détenus par les États suédois et danois – a été lancée pour demander la reprise des livraisons.

« Nous savons que la grève sera longue »

« Jour après jour, on reçoit de plus en plus de soutien », se réjouit David (1), en grève depuis un mois dans une ville de l’ouest de la Suède. Pour le jeune « senior technician » de 25 ans, l’offensive de Tesla est un signe encourageant : « C’est que les effets des actions solidaires portent leurs fruits. » Avec une compensation à 130 % de son salaire par le syndicat IF Metall, il se fait le porte-parole de ses collègues avec lesquels il se réunit régulièrement « Nous savons que la grève sera longue, mais nous attendrons le temps nécessaire pour faire revenir Tesla à la table de négociations. »

La décision temporaire de tribunal du Norrköping saisi sur la plainte contre l’agence des transports a d’ailleurs surpris Anders Kjellberg. « En ordonnant à l’administration publique de mettre à disposition les plaques d’immatriculation directement à Tesla, le tribunal remet d’une certaine manière en cause les mesures de solidarité », avertit le sociologue. D’autre part, le droit de grève inscrit dans la Constitution exige une neutralité de l’État lors des conflits sociaux, or, « par cette décision, la cour ordonne à l’État de renoncer à sa neutralité ».

En parallèle, « les organisations patronales observent attentivement l’évolution de la situation. Ils considèrent ce conflit comme une opportunité stratégique pour remettre en question le droit aux actions solidaires, longtemps source de puissance pour les syndicats », conclut Anders Kjellberg.

(1) Le prénom a été modifié.

 

publié le 7 décembre 2023

Devoir de vigilance :
une victoire syndicale à Paris qui donne des sueurs froides aux multinationales

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Attaqué en justice par le syndicat Solidaires, le groupe a été condamné pour non-respect du devoir de vigilance. Les syndicats et ONG comptent prendre appui sur cette décision pour mener leurs combats à venir.

C’est un signe qui ne trompe pas. En apprenant le verdict annoncé ce 5 décembre, l’avocate de TotalEnergies, Ophélia Claude, s’est exclamée : « C’est un peu le début d’une nouvelle ère ! » (Novethic, 6 décembre). Et dans la bouche de cette ardente défenseure des multinationales, il n’y avait pas matière à se réjouir…

Les syndicats et les ONG viennent de remporter une victoire importante dans leur combat contre les multinationales. Le tribunal judiciaire de Paris a condamné La Poste pour non-respect du devoir de vigilance, une décision saluée par SUD PTT, qui avait assigné le groupe en justice : « C’est la première fois qu’une entreprise française se fait reprendre par la justice en matière de devoir de vigilance, avec la circonstance aggravante qu’il s’agit d’un employeur public. »

Le travail dissimulé, un « problème récurrent » à La Poste

Pour comprendre la portée de la décision, il faut rembobiner le fil. En janvier 2022, le syndicat saisit le tribunal judiciaire de Paris, car il estime que le groupe ne se conforme pas à ses obligations liées au devoir de vigilance. Pour mémoire, il s’agit de dispositions contenues dans la loi du 27 mars 2017, fruit de la bagarre des syndicats et des ONG pour renforcer les obligations des multinationales en matière de prévention des atteintes aux droits humains, à l’environnement et à la santé. La loi impose une série de mesures aux grands groupes, parmi lesquelles la cartographie des différents risques, l’évaluation régulière de la situation de leurs sous-traitants et fournisseurs, des actions de prévention, etc.

Cette loi, qu’on présente généralement comme une réponse politique à l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait tué plus de 1 100 travailleurs en avril 2013, n’est pas exempte de défauts. Mais elle a le mérite d’inciter les firmes à dépasser le stade des déclarations d’intention, dont les responsables RSE (responsabilité sociétale des entreprises) sont si friands.

Dans son assignation, dévoilée à l’époque par l’Humanité, SUD PTT pointait un certain nombre d’insuffisances comme l’absence d’une véritable cartographie des risques et la non-publication d’une liste complète des sous-traitants, alors même que le comportement de ces derniers est souvent dénoncé.

« Le recours au travail dissimulé » représente un « problème récurrent » dans le groupe, selon le syndicat, qui citait par exemple la tragique affaire Seydou Bagaga, du nom d’un chauffeur-livreur non déclaré travaillant pour un sous-traitant et qui s’était noyé dans la Seine en tentant de récupérer un colis, en janvier 2013.

Dans son jugement du 5 décembre, le tribunal donne raison aux syndicats sur plusieurs points. La direction va devoir compléter son plan de vigilance par une cartographie des risques destinée à leur identification ; établir des procédures d’évaluation des sous-traitants en fonction des risques précis identifiés par cette cartographie ; et mettre en place un mécanisme de recueil des signalements digne de ce nom, après avoir procédé à une concertation des syndicats.

« Ce jugement est très important, assure Céline Gagey, avocate de SUD PTT. Il vient rappeler que la loi sur le devoir de vigilance implique de prendre des mesures précises, en adéquation avec les risques identifiés, plutôt que de se limiter à des généralités. Jusqu’à présent, le plan de vigilance de La Poste se résumait quasiment à un document de communication ! »

Une jurisprudence pour les affaires en cours

La victoire n’est pas totale pour autant, dans la mesure où certaines demandes du syndicat sont restées lettre morte, comme la publication d’une liste des sous-traitants du groupe. « Pourtant, nous demandions simplement que, en cas de problème, les élus du personnel puissent avoir accès à ces informations en CSSCT (Commission santé, sécurité et conditions de travail), précise Nicolas Galépides, de SUD PTT. Il n’y avait rien de systématique, ni de public. Notre demande ne visait pas à embêter les directions, mais à obtenir des informations en cas d’accident ou de drame, comme dans l’affaire Seydou Bagaga. »

Néanmoins, les ONG estiment que cette décision va alimenter les batailles qu’elles mènent dans les prétoires. Depuis 2019, une douzaine d’actions en justice ont été lancées pour non-respect du devoir de vigilance, ciblant en particulier le méga-projet pétrolier de Total en Ouganda, la situation de travailleurs dans des filiales de Teleperformance ou encore la politique d’accès à l’eau potable de Suez au Chili.

Mais, très souvent, ces affaires s’enlisent dans les sables des procédures. « Les grands groupes jouent de tous les moyens juridiques pour faire en sorte que les procès n’aient pas lieu, rappelle Juliette Renaud, responsable de campagne sur la régulation des multinationales aux Amis de la Terre. À présent que la justice s’est enfin prononcée sur le fond, nous espérons que cela débloque des choses. »

En réaffirmant l’esprit de la loi de 2017, le tribunal de Paris vient appuyer certaines revendications. « Concrètement, La Poste va devoir refaire quasiment tout son plan de vigilance, explique Juliette Renaud. En particulier, la décision du tribunal reconnaît la cartographie des risques comme une pierre angulaire du plan de vigilance : cela va nous servir dans d’autres actions en justice, contre Total ou la BNP notamment, car nous reprochons justement à ces groupes leur manque de clarté sur ce point. »


 


 

La Poste, première entreprise condamnée pour manquement au devoir de vigilance

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Le tribunal de grande instance de Paris a rendu son jugement, mardi 5 décembre, dans le dossier opposant Sud PTT au groupe La Poste. Le syndicat avait assigné en justice l’entreprise privée à capitaux publics, détenue par l’État via la Caisse des dépôts, pour non-respect de son devoir de vigilance. Au coeur du dossier : l’exploitation de travailleurs sans-papiers par ses sous-traitants. Pour la première fois depuis l’adoption de la loi en 2017, une entreprise est condamnée en justice pour non-respect du devoir de vigilance.

 C’est une première, et une petite révolution en matière de jurisprudence : le groupe La Poste vient d’être condamné par le tribunal de grande instance de Paris dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance. Le groupe était assigné en justice par le syndicat Sud PTT pour plusieurs manquements, concernant en premier lieu les atteintes aux droits des travailleurs dans le cadre de la sous-traitance. Au coeur du dossier : le sous-traitant Derichebourg, qui a fait travailler des sans-papiers pour deux de ses filiales : Chronopost à Alfortville (94) et DPD au Coudray Montceaux (91).

L’audience avait eu lieu le 19 septembre. L’avocate du syndicat, Céline Gagey, espérait qu’il en ressortirait « un signal fort ». C’est chose faite avec ce jugement, communiqué ce mardi. « C’est la première fois que La Poste est condamnée par une instance judiciaire depuis le début de notre lutte », réagit Aboubacar Dembélé, l’un des porte-paroles des grévistes d’Alfortville.

« Les éléments examinés par le juge, nous les avions déjà signalés à l’inspection du travail et à la DRIEETS : marchandage, travail dissimulé… Tout cela engage la responsabilité de La Poste qui depuis deux ans se défendait en disant “on est pas responsables”», rappelle-t-il. « Nous on leur répondait : si, vous avez un devoir de vigilance et vous ne l’avez pas respecté. Aujourd’hui, le juge le reconnaît aussi ».

« Le juge dit : « faites votre boulot ! » »

 La loi sur le devoir de vigilance, votée en 2017, a pour but de responsabiliser davantage les entreprises donneuses d’ordre face aux atteintes aux droits humains et à l’environnement de leurs filiales et sous-traitants. Mais six ans après, le bilan d’application de cette loi demeurait mitigé. Sur 18 affaires judiciaires, six en étaient restées au stade de la mise en demeure et douze avaient franchi l’étape de l’assignation en justice, recensait l’agence de presse AEF.

Une seule avait été au bout du processus judiciaire : l’affaire TotalÉnergies en Ouganda. Sauf qu’après trois ans de procédures complexifiées par des débats sur la forme et non sur le fond, les associations avaient été été déboutées par un juge des référés s’estimant incompétent. L’audience du groupe La Poste, le 19 septembre, était la première à être menée par un juge du fond.

Et la décision qui en ressort pave la voie pour les suivantes. Celle-ci « nous redonne espoir quant à l’application de la loi devoir de vigilance, après nos dernières déceptions. C’est une décision positive, à la hauteur des exigences imposées par cette loi », commente ainsi Juliette Renaud, responsable de campagne régulation des multinationales pour Les Amis de la Terre France, ONG en première ligne du dossier Total-Ouganda.

« C’est comme si l’on reprenait tout à la base. Le juge dit : « faites votre boulot ! Votre plan de vigilance n’est pas bon », et le jugement détaille de nombreux trous dans la raquette », expose Nicolas Galépides, secrétaire général de Sud PTT.

Le tribunal enjoint La Poste à élaborer une vraie cartographie des risques

Dans son jugement, le tribunal exige du groupe qu’il complète son plan de vigilance par une cartographie des risques précise. Celle actuellement produite par La Poste pèche par un « très haut niveau de généralité », qualifie le jugement. Elle ne « permet pas de déterminer quels facteurs de risque précis liés à l’activité et à son organisation engendrent une atteinte » aux droits des travailleurs.

Par exemple, cette cartographie actuelle « ne fait nullement ressortir l’existence de risques liés au travail illégal », soulève le juge du fond. Or, les preuves sont là. En janvier 2022, l’inspection du travail listait 63 noms de personnes sans-papiers employées sur le site du Coudray-Montceaux par Derichebourg Interim, sous-traitant de DPD, filiale de La Poste.

Lors du procès, l’avocat du groupe La Poste avait reconnu « des incidents, extrêmement malheureux. Mais ce n’est pas parce qu’il y en a que le plan de vigilance est défaillant. On est sur une obligation de moyens, pas de résultats », défendait-il.

Ce n’est donc pas l’avis du tribunal. Le juge « reconnaît que la cartographie des risques est une pierre angulaire du plan de vigilance, et que celle-ci doit être assez précise pour être utile », souligne Juliette Renaud. Un enjeu central pour les ONG et syndicats dans les autres affaires liées au devoir de vigilance.

Mieux évaluer les sous-traitants de La Poste au regard du devoir de vigilance

À partir d’une véritable cartographie des risques, La Poste devra désormais mettre en place « des procédures d’évaluation des sous-traitants » plus solides, en fonction des risques précis identifiés par cette cartographie, intime le tribunal.

Car jusqu’ici, pour les fournisseurs et sous-traitants au coeur du problème, « il est tout au plus renvoyé (…) à un classement réalisé par l’AFNOR ». L’AFNOR (association française de normalisation) est l’organisme chargé de mener des audits des sous-traitants. Sauf que dans le cadre du plan de vigilance de La Poste, seul 1 % des 400 sous-traitants du groupe dans le secteur de la livraison et de la logistique ont fait l’objet d’un audit sur site, avait rappelé Céline Gagey, l’avocate de Sud PTT, lors de l’audience.

En revanche, la demande du syndicat de publier la liste des sous-traitants et fournisseurs, face à laquelle les avocats de La Poste opposait le secret des affaires, n’a pas été retenue par le tribunal.

 Co-construire les dispositifs d’alerte avec les syndicats

Enfin, le juge enjoint La Poste à publier un réel dispositif de suivi des mesures de vigilance, et à mettre en place un « mécanisme d’alerte et de recueil des signalements » co-construit avec les organisations syndicales – ce qui n’était pas le cas, dénonçait Sud PTT.

Jusqu’ici en effet, La Poste « avait acheté un logiciel aux Etats-Unis », rappelle Nicolas Galépides. Le nom de cette interface : « Whistle B » (pour « whistleblower », lanceur d’alerte). Pour le syndicaliste, ces dernières années, le groupe a ainsi cherché à « contourner le système existant de droit de retrait et droit d’alerte, par la mise en place d’un simple numéro vert dans les bureaux. Celui-ci renvoie vers un cabinet privé, sur lequel on a aucune visibilité ». 

Après étude approfondie des pièces du dossier, le tribunal abonde dans le sens de Sud PTT : « il n’est pas établi que La Poste ait cherché à établir un dispositif de concert avec les organisations syndicales », tranche-t-il. Avant d’exiger « une concertation » préalable à toute mise en place d’un mécanisme d’alerte.

Jusqu’où iront les injonctions des tribunaux sur le devoir de vigilance ?

Sud PTT va désormais travailler à partir de ce jugement pour construire ses revendications vis-à-vis du groupe. En espérant embarquer les autres syndicats dans ce travail de fond sur le devoir de vigilance. Et Nicolas Galépides voit déjà plus loin : « cela veut dire que la prochaine fois que quelque chose ne nous convient pas, on pourra s’appuyer sur cette décision pour exiger d’une boîte qu’elle se mette au travail ».

Reste une question : jusqu’où iront les injonctions des tribunaux ? Si aujourd’hui la justice enjoint La Poste à revoir tout son plan de vigilance, elle ne lui « impose pas de mesures concrètes qui doivent être mises en oeuvre, considérant que cela relève de la liberté de l’entreprise », relève Juliette Renaud.

De plus, le tribunal ne demande pas d’astreinte avec pénalité financière pour mettre en oeuvre ses injonctions. Les prochaines actions des syndicats et ONG sur le devoir de vigilance préciseront jusqu’à quel point la justice peut être, ou non, réellement contraignante.

  publié le 6 décembre 2023

Après trois mois de grève, une première victoire pour les agentes d’entretien d’Onet au CHU de Montpellier

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Après trois mois de grève, les employées de la société de nettoyage Onet, au CHU de Montpellier, en lutte avec le soutien de la CGT pour leurs salaires et leurs conditions de travail, ont obtenu gain de cause sur une partie de leurs revendications, samedi 2 décembre. Elles réclamaient notamment la fin d’un système oppressant de traçabilité de leur travail, qui s'apparente à du flicage.

« Nous voulons vivre dignement de notre travail. » C’est le mot d’ordre répété sans relâche pendant les 78 jours de mobilisation des salariées d’Onet, une société de nettoyage, spécialisée dans la prestation de services et sous-traitante du Centre hospitalier universitaire de Montpellier (Hérault).

Le 2 décembre, la quarantaine de grévistes, qui se battaient depuis trois mois pour leurs salaires et de meilleures conditions de travail, a décidé de signer un « accord de fin de conflit », après avoir obtenu gain de cause sur une partie de leurs revendications, à l’issue de cette lutte décrite comme « exemplaire ».

650 euros de prime et remise en cause de la traçabilité

« Nous avons obtenu : le respect des travailleuses et des travailleurs ; 650 euros de prime ; une organisation du travail à laquelle nous aurons notre mot à dire ; un aménagement de la traçabilité moins pénalisante par les travailleurs dont le résultat reste à apprécier », détaille le communiqué de la CGT, publié peu après la décision de reprise du travail.

La mise en place de ce système de « traçabilité », imposant sans concertation préalable aux employées — pour une écrasante majorité des femmes — de pointer après le nettoyage de chaque salle, a été le détonateur de cette lutte, qui s’inscrit dans une révolte plus générale contre des conditions de travail jugées indignes, avec des cadences souvent infernales, et des salaires stagnant à peine au-dessus du Smic, dans un contexte où l’inflation continue de restreindre les budgets des plus pauvres.

« Cela fait onze ans que je suis salariée chez Onet et plus ça va, plus les conditions de travail se dégradent », avait témoigné, en novembre dernier, dans les colonnes de l’Humanité, Claire Buron, l’une de ces employées en grève.

Au-delà de la remise en cause de ce système de flicage — les employées ne seront désormais astreintes qu’à badger une seule fois, à leur arrivée —, la CGT, qui a accompagné cette lutte, se réjouit, dans ce communiqué, d’avoir obtenu de la direction un changement de posture à l’égard du personnel et de ses représentants, qu’elle a dû se résoudre à entendre.

Solidarité sur le piquet de grève

Le syndicat se réjouit également du soutien exprimé aux grévistes tout au long de cette mobilisation, non seulement par le personnel médical du CHU de Montpellier, mais aussi par des citoyens, venus sur les piquets de grève. « Une solidarité autour de cette lutte a eu lieu, qu’elle soit en interne de la CGT (…) de la part des politiques de Gauche, des jeunes et de tous ceux qui sont venus sur le piquet de grève » indique le communiqué.

Une solidarité et une première victoire qui renforcent la volonté de ces employées à rester mobiliser sur les conditions de mise en oeuvre de ces nouvelles conditions de pointage et de continuer leur combat, avec la perspective d’obtenir une revalorisation des salaires, « un 13e mois, et le respect des emplois ».

Un rapport du Sénat publié fin juin avait alerté sur les conditions de travail de ces professionnelles du nettoyage, en se fondant sur les travaux de François-Xavier Devetter, professeur des universités au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé). Le chercheur rappelait qu’entre « 60 et 62 ans, 50 % des salariés ou anciens salariés des métiers du nettoyage déclarent des limitations pour effectuer les gestes de la vie quotidienne, contre un peu moins de 30 % pour l’ensemble de la population active. Les licenciements pour inaptitude sont fréquents : les entreprises de nettoyage représentent à eux seuls environ 7 % des licenciements pour inaptitude, alors qu’ils ne représentent que 1,8 % des CDI ».


 


 

Montpellier : le comité de soutien,
un appui solide pour les grévistes d’Onet

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Alors que la grève des salariées de l’entreprise qui gère le nettoyage du CHU de Montpellier a pris fin ce vendredi 1er décembre après 80 jours à la suite d’un accord avec la direction, Le Poing revient sur l’élan de solidarité qu’a suscité cette lutte

Cette solidarité, c’est ce qui nous fait tenir, ça nous donne le courage de continuer”, confiait Abdel, salarié de l’entreprise Onet, qui gère le nettoyage du CHU de Montpellier, à propos du comité de soutien à la grève, au mois d’octobre. Le 13 septembre dernier, les salariées (en grande majorité des femmes) avaient posé les balais pour demander des augmentations de salaires, une prime équivalente au treizième mois et pour marquer leur refus d’un dispositif de contrôle sur téléphone où elles devaient rendre compte de chaque prestation effectuée dans les divers endroits qu’elles nettoyaient.

Au bout de 80 jours de grève, elles ont finalement obtenu, via des négociations avec la direction, une prime exceptionnelle de 650 euros et un allègement du dispositif de traçage. 80 jours de lutte qui n’auraient sans doute pas été possibles sans un comité de soutien, rassemblant largement divers pans du mouvement social montpelliérain.

Un phare dans la nuit”

Dès le 3 octobre, Révolution Permanente (RP), organisation trotskyste, a monté un comité de soutien pour fédérer largement autour de cette grève. “On pense que beaucoup d’organisations de gauche anticapitalistes et révolutionnaires ont une analyse assez pessimiste de la situation politique et se contentent de revendications purement défensives, alors qu’il y a des failles sur lesquelles s’engouffrer pour obtenir des victoires”, analyse Lucas, membre de RP. “Dans une période d’attaques successives du gouvernement sur tous les fronts, avec une inflation galopante, cette grève de plus de deux mois, menée par des femmes, majoritairement issues de l’immigration, payées en dessous du SMIC et sans grande culture syndicale, est un phare dans la nuit. Elles nous montrent la direction à suivre. Il fallait qu’on dépasse nos propres forces pour en faire l’événement politique de la rentrée sur Montpellier.

Philippe, militant CGT-CHU, complète : “Cette grève coche toutes les cases : c’est l’hôpital public, fleuron de l’emploi à Montpellier, et on parle d’un personnel précaire, féminisé et racisé qui a subi de plein fouet la vague Covid. Si on est militant anticapitaliste, antiraciste et antisexiste, c’est là qu’il faut être pour soutenir.” Claire, déléguée au CSE d’Onet au CHU, abonde : “On n’a pas eu la prime du Ségur car on n’est pas considéré comme du personnel de santé.”

La première réunion du comité de soutien, début octobre, a su rassembler diverses forces : Le parti de gauche, le NPA, la France Insoumise, la gauche éco-socialiste, mais aussi un collectif féministe de Montpellier et quelques gilets jaunes du rond-point de près-d’arènes ont répondu à l’appel. Pour Sabine, figure emblématique de ce rond-point, “rien de ce qu’ont soulevé les gilets-jaunes n’a été résolu, en terme de salaires et de justice sociale. Aujourd’hui, c’est une manière de continuer le combat autrement.”

Soutien à plusieurs niveaux

Outre des discussions tactiques sur les modalités de la grève, le soutien était avant tout moral. “Pas question d’intervenir dans leurs assemblées générales, on les laissait s’organiser par la base et on demandait comment on pouvait les aider”, précise Lucas. “Nous voir débarquer à sept ou huit à 7 heures du matin, forcément ça les motivaient”, ajoute Elsa, une autre militante de RP.

Un soutien moral, mais aussi financier non négligeable pour compenser les feuilles de paie à zéro. « Pour certains c’est dur », confiait Abdel lors du 58e jour de grève. « Il y a des femmes seules avec enfants qui sont à mi-temps, d’autres qui sont en CDD de remplacement et pour qui faire grève est compliqué. »

Heureusement, le comité de soutien a redoublé d’inventivité : tombolas organisées au Quartier Généreux ou au bar le Madrediosa avec de nombreux lots à gagner en collaboration avec des artistes, tatoueurs et autres donateurs, cantine au local associatif le Barricade, caisses de grève qui tournaient pendant les manifestations, collages revendicatifs dans toute la ville pour dénoncer le silence de la direction du CHU… La chorale militante le cri du Choeur a même improvisé un concert pour reverser les bénéfices (au chapeau) aux grévistes.

Organisés via une boucle Whats’app réunissant 80 personnes, les soutiens ont mis en place un roulement quasi quotidien de personnes allant vendre des gâteaux fait maison sur les marchés en distribuant des tracts pour informer les gens sur la grève. “On ramenait une plus d’une centaine d’euros par jours sur le piquet, ça aussi, c’est bon pour le moral”, commente Lucas. Au total, plus de 20 000 euros ont été récoltés via la cagnotte en ligne et physiquement. “Pas de quoi compenser les 50 000 euros de salaires en moins, mais ça fait tampon”, relativise le militant trotskyste. La caisse de grève a également été largement abondée par la CGT, le syndicat Sud-chimie de Sanofi, qui a versé 750 euros, et également par la France Insoumise.

La FI active

Nathalie Oziol, députée France Insoumise héraultaise, allait régulièrement voir les grévistes. Autre figure du mouvement de Jean-Luc Mélenchon à être venue sur le piquet de grève des salariées d’Onet : Rachel Keke, députée et ancienne porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles. Un conflit de 22 mois qui s’est soldé par une victoire pour les femmes grévistes.“Ne lâchez rien, la lutte paye ! Sachez que sans vous, ils [la direction] ne sont rien !” avait-elle affirmé aux grévistes.

Ce retour d’expérience nous pousse à continuer”, avait alors réagit Khadija Bouloudn, déléguée syndicale CGT-ONET du CHU.

François Ruffin, député FI de la Somme, s’était lui aussi déplacé à Montpellier, et avait contribué à hauteur de 500 euros à la caisse de grève.

Créer du lien

Quel bilan tirer de cette grève maintenant qu’elle est terminée ? “Il aurait fallu mobiliser du soutien et évoquer la question financière encore plus tôt”, rembobine Lucas. “Et aussi, on aurait pu plus médiatiser sur les conséquences d’un hôpital non nettoyé en publiant plus d’images. Personne n’a envie de se faire soigner dans un hôpital crade.”

Pour les grévistes, elle aura sans douter permis de créer des liens dans et en dehors d’un collectif de travail souvent atomisé par des horaires décalés. “La reprise va être dure“, “vous allez tous me manquer“, commentaient des salariées ce vendredi 1er décembre Pour Khadija Bouloudn, leur déléguée syndicale, la lutte continue : “La prime pérenne qu’on demandait, on se battra autrement pour l’obtenir.”

Et pour les salariées en lutte comme pour leurs soutiens, ce mouvement aura été l’occasion d’engranger de expérience, comme le décrit Elsa : “C’est exceptionnel d’avoir une grève de cette force ici à Montpellier. On dit souvent que la grève est un moment de politisation express. On a vu les grévistes évoluer en deux mois, intervenir beaucoup plus en assemblée générale… Même pour nous, militants, on en apprend beaucoup.” Grévistes et soutiens prévoient une dernière soirée ensemble pour faire la fête et conclure ensemble dans la joie ces deux mois et demi de mobilisation.

Quant au comité de soutien, Lucas l’assure, “Maintenant qu’il est crée, c’est un outil qui pourra venir en appui sur d’autres luttes à Montpellier dans le futur.”

  publié le 2 décembre 2023

Grève nationale des livreurs Uber Eats contre le changement du système de rémunération

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Ce samedi 2 et dimanche 3 décembre, les livreurs Uber Eats seront en grève nationale, à l’appel des syndicats CGT et Union Indépendants. Depuis un mois, les coursiers « subissent une baisse conséquente de leurs revenus » due à l’application « sans consultation » d’un nouvel algorithme de rémunération, alertent les syndicats. Un nouveau système jugé « opaque et incompréhensible ».

Au vu des premières remontées de ses adhérents, l’Union Indépendants estime que la perte de chiffres d’affaires journalier est de 7 à 20 % pour les livreurs, par rapport au précédent système en vigueur depuis 2019. Les coursiers avaient été informés le 25 septembre du changement, intervenu entre mi-novembre et début octobre. L’expérimentation a d’abord été lancée à Lille, Avignon et Rouen. Dans ces trois villes, « la rémunération moyenne des courses (…) est restée stable avec une augmentation moyenne du revenu par course de 1,4 % », assure de son côté Uber Eats France à l’AFP.

Dès le 22 octobre, des mouvements de débrayage ont été organisés dans plusieurs villes du nord de la France : à Lille où s’est tenue l’expérimentation, mais aussi à Caen, Arras, Douai… Un premier appel national a aussi été lancé du 3 au 5 novembre.

Le 6 novembre, une réunion avec les directions des plateformes s’est tenue, sans aboutir au retrait du nouveau système Uber Eats souhaité par les syndicats. Un système initialement acté par la signature d’un accord entre Uber Eats France et l’Association des Plateformes d’Indépendant (API). L’API écarte elle aussi toute possibilité de « rouvrir une négociation sur la rémunération globale des livreurs dans les prochains jours », prend acte l’Union Indépendants dans son dernier communiqué du 21 novembre.

La nouvelle grille tarifaire vise à « simplifier la façon dont sont rémunérés les livreurs et de valoriser le temps passé à réaliser la course », défend encore Uber Eats France auprès de l’AFP. « Il tient par exemple compte du temps d’attente au restaurant et du temps nécessaire pour s’y rendre, un enjeu fort pour les livreurs ». En outre, un accord sectoriel signé en avril et qui doit s’appliquer prochainement garantit un minimum de 11,75€ par heure, rappelle la plateforme ; mais uniquement sur le temps de commande.

Les livreurs Deliveroo et Stuart sont également appelés à rejoindre la grève de ce week-end. Au-delà de l’arrêt du nouvel algorithme Uber Eats, les syndicats exigent en effet pour l’ensemble des plateformes « une meilleure transparence » et des rémunérations plus justes.

  publié le 29 novembre 2023

La lutte plutôt que l’exploitation, deux ans de combat pour les régularisations des Chronopost d’Alfortville

Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 7 décembre 2021, 18 travailleurs sans papier de l’agence Chronopost d’Alfortville ont déclenché une grève devant leur dépôt, pour dénoncer les conditions de travail indignes et demander leur régularisation. En deux ans, le mouvement est devenu incontournable dans la lutte des travailleurs sans-papiers. Il rappelle aussi que les régularisations peuvent s’obtenir par la lutte, plutôt que par l’exploitation au travail.

Tenir les comptes du nombre de manifestations organisées par les Chronopost d’Alfortville depuis deux ans relève de l’exploit, tant le petit groupe de travailleurs sans-papiers a su rester actif et mobilisé ces 24 derniers mois. Le siège de Chronopost porte d’Orléans, la préfecture du Val-de-Marne, l’Église de Créteil, ces lieux ils les connaissent par cœur, ils y ont battu le pavé des dizaines de fois, mégaphone et tambour à la main.

Malgré deux ans de lutte durant lesquelles très peu de personnes ont pu être régularisées, le mouvement n’a pas reculé d’un pouce. « Dans le marasme actuel, où le mouvement ouvrier se porte pas très bien, où la résistance de classe n’est pas facile, ils ont montré que des choses étaient encore possibles », résume admiratif Jean Louis Marziani, de SUD solidaires, présent depuis le début auprès des chronos. Fin 2021, des travailleurs sans-papiers de trois sites se mettent en grève : celui de Chronopost Alfortville, DPD au Coudray-Monceaux, et RSI à Gennevilliers.

À Alfortville, dès le départ, d’autres sans-papiers rejoignent la lutte des grévistes, élargissant alors les demandes de régularisation à tous les travailleurs sans-papiers présents sur le piquet de grève, devenu un camp permanent et désormais un lieu de lutte et de solidarité. Car le collectif permet de centraliser les demandes de régularisations, pour venir à bout collectivement de démarches administratives longues et complexes. Trente-deux dossiers ont été déposés en préfecture cet été, dont les 18 grévistes de Chronopost. Depuis, 14 personnes ont été régularisées, mais seulement trois sont issus du groupe de grévistes de Chronopost. Selon la préfecture, qui a communiqué le 24 novembre sur ces régularisations, le lien de travail n’a pas pu être avéré pour les autres anciens intérimaires de Chronopost. Une nouvelle accueillie froidement par les grévistes, qui entendent toujours poursuivre la lutte pour la régularisation de l’ensemble du collectif.

« On ne peut plus faire marche arrière », la détermination des chronopost reste intacte

Dans les bureaux de la préfecture du Val-de-Marne, immense bâtiment aux fenêtres orangées planté au bord du lac de Créteil, on doit connaitre par cœur les slogans demandant l’ouverture des guichets et la régularisation des travailleurs sans papiers. Lieu emblématique de la lutte, c’est ici que terminent généralement les manifestations des chronos. C’est ici aussi que la bataille pourrait s’achever, avec à la clé, les régularisations de tous les travailleurs sans-papiers du piquet, la revendication principale des grévistes depuis deux ans.

« Ouvrez les guichets, régularisez », une fois de plus, ces mots résonnent sur le boulevard qui mène à la préfecture, ce mercredi 22 novembre, où une centaine de travailleurs sans-papiers marchent au rythme des chants et des tambours. Dans le cortège, Demba* raconte ces deux ans de lutte, lui qui n’a pas travaillé chez Chronopost, mais qui vit les mêmes galères et les mêmes humiliations au travail, dans le BTP, dans des centres de tri ou des usines.  Il a rejoint la lutte dès le début, refusant parfois des journées de travail pour venir aux manifs. Il vit sur le piquet depuis deux ans avec ses camarades, et ne compte s’arrêter là. « On est déterminé, et on poursuit l’objectif qu’on s’est fixé dès le début : la régularisation. On n’arrêtera pas tant qu’on ne l’a pas obtenue, c’est la seule solution », lance-t-il avec conviction.

Tous ici partagent ce point de vue, impossible de s’arrêter maintenant tant les sacrifices ont été importants. « Deux ans c’est long, et c’est dur de vivre sur le piquet de grève, de dormir dehors, même un jour c’est difficile alors imaginez deux ans ! », s’exclame Mamadou Drame, lunettes de soleil sur le nez. « On restera jusqu’en 2026 s’il le faut, jusqu’à ce que tout le monde ait une carte de séjour », poursuit-il. Lui vient d’obtenir une carte d’un an, mais son engagement pour les régularisations de ses camarades reste intact : « Même si j’ai eu mon titre, je continue la lutte pour les autres », clame-t-il.

Forger la solidarité, étendre la lutte

 La grève des chronos ne se résume pas qu’à un piquet de grève. En deux ans, de solides liens se sont forgés entre ces travailleurs sans-papiers, qu’ils aient travaillé chez Chronopost ou non. « On est comme une famille », souligne Mamadou Drame. Alors que 18 anciens travailleurs de Chronopost n’ont pas repris le travail depuis deux ans, les soutiens eux, continuent d’aller travailler, dans le nettoyage, le BTP, ou la restauration, comme les centaines de milliers de sans-papiers qui travaillent en France. L’exploitation et les humiliations que dénoncent les chronos, ils les vivent au quotidien. Alors le collectif est devenu une arme face aux abus des « patrons voyous », comme on les appelle ici.

Mi-novembre, deux travailleurs sans-papiers du piquet, qui travaillaient sur un chantier de rénovation en Seine-et-Marne, ont alerté leurs camarades : leur patron avait arrêté de les payer. Une petite équipe se forme et une manif (déclarée en préfecture) s’organise pour aller réclamer leur salaire, directement sur le chantier. Le retour au piquet s’est fait dans la joie, les deux travailleurs ont récupéré les 1500 euros que leur patron refusait de leur verser. « C’est des choses concrètes comme celle-ci qui est permise par la force de ce collectif », résume Jean Louis Marziani de Sud Solidaires. Au long de ces deux dernières années, le syndicat a pu aider de nombreux travailleurs du piquet à obtenir des certificats de concordance ou le fameux Cerfa, ce document qui prouve l’embauche d’un salarié étranger, document central dans un dossier de régularisations.

 La Poste continue de jouer l’autruche à Chronopost

Employés par Derichebourg, un sous-traitant de Chronopost, les grévistes n’ont toujours pas obtenu la reconnaissance officielle de leurs liens avec leur ancien employeur. Une situation gênante pour la Poste qui a toujours affirmé ne pas être au courant des agissements de son sous-traitant. Aux yeux de la loi pourtant et en tant que donneur d’ordre, l’entreprise publique a l’obligation de veiller à ce que ses sous-traitants n’aient pas recours au travail dissimulé.

La Poste a justement rompu son contrat en 2022 avec Derichebourg pour la gestion du site d’Alfortville, mais aussi celui de DPD au Coudray Manceau (91), un autre site en lutte depuis 2021. « La poste, c’est toujours l’axe vertébrant de la lutte, c’est quelque chose d’emblématique pour montrer que l’État fabrique les lois pour rendre la vie impossible aux sans-papiers, mais les exploite aussi à travers ses entreprises », souligne Christian Schweyer, du collectif des travailleurs sans papier de Vitry (CTSPV). Assigné ne justice par Sud PTT, La Poste s’est retrouvé le 20 septembre face aux juges, accusées d’avoir manqué à son devoir de vigilance, notamment pour avoir laissé ses sous-traitants embaucher des sans-papiers. Le délibéré doit être prononcé le 5 décembre prochain.

Si cette assignation a été vécue comme une victoire pour les grévistes et les syndicalistes, derrière la Poste, c’est l’État et ses responsabilités qui sont aussi visées, de quoi rendre encore plus compliqué la résolution de ce dossier que l’État à tout intérêt à faire trainer. Le 31 octobre lors des questions au gouvernement, le Sénateur communiste Pascal Savoldelli a justement demandé des « réparations » à l’État, face à une situation « illégale » et « inhumaine ». La ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure, qui lui a répondu, a indiqué que « l’inspection du travail mène à ce jour les investigations nécessaires concernant les salariés du site d’Alfortville ». Une information confirmée par la préfecture, qui a indiqué par voie de communiqué le 24 novembre que «les contrôles menés en 2022 sur le site de Chronopost à Alfortville n’ont pas démontré d’infractions liées au travail illégal».

 « Lors des contrôles, on nous demandait de nous cacher dans les toilettes »

 Pourtant, sur le piquet, personne n’a vu l’inspection du travail ni n’a été invité à fournir les preuves, pourtant abondantes, de l’emploi de travailleurs sans papiers chez Chronopost. Sur leurs téléphones, les grévistes auraient des choses à montrer à l’inspection du travail, notamment ces photos ou vidéos sur lesquelles ils apparaissent, gilet de sécurité sur le dos, triant des colis. Traoré*, l’un des grévistes a encore au travers de la gorge la manière dont ils ont été traités par Derichebourg, quand l’entreprise avait encore besoin d’eux dans le centre de tri, notamment pendant le Covid.

« On a travaillé là-bas comme des esclaves, ils nous ont traités comme des animaux », se rappelle-t-il. À chaque contrôle de l’inspection du travail, son chef d’équipe lui disait d’aller se cacher aux toilettes. « Et finalement, on a eu une inspection surprise un jour, l’inspecteur a bien vu que les papiers que je lui ai montrés n’étaient pas les miens. J’ai eu honte, mes collègues ne savaient pas que j’étais sans-papiers », dit-il. Ce dernier contrôle marquera la fin de ses missions dans ce centre, mais malgré tout, l’agence d’intérim le rappellera quelques jours plus tard pour aller travailler chez DPD, en Essonne. « Ils savaient très bien que je n’avais pas de papiers », affirme-t-il.

Prochaine étape : le combat contre la loi immigration

 Le prochain grand rendez-vous des grévistes a déjà été pris, ce sera dans la rue le 3 décembre, à l’occasion des 40 ans de la marche pour l’égalité de 1983 et le 18 décembre, pour la journée internationale des migrants. Des manifestations qui ont pour but de s’opposer au projet de loi immigration, dont le texte qui ferait pâlir d’envie l’extrême droite arrive à l’Assemblée nationale début décembre.  Une loi qui pourrait rendre encore plus difficile les régularisations et qui vise aussi à criminaliser et précariser les étrangers sans-papiers, en facilitant leur arrestation et leur expulsion et en supprimant la Sécurité sociale ou les allocations familiales.

« L’heure est grave, l’État a touché le fond, ils veulent nous priver de soins ou de l’aide sociale, ils veulent laisser les gens crever de maladie ou de faim. Nous on vient pour pouvoir vivre dignement, mais c’est l’impérialisme qui a décidé de lier l’histoire de France à la nôtre. La France a plein d’entreprises au Mali, au Sénégal, l’uranium des centrales françaises, il vient d’où ?! », clame Aboubacar Dembélé, l’un des porte-paroles des grévistes. « La loi elle va contre nous, alors qu’on travaille ici, restauration, bâtiment, logistique, manutention, qui fait ces boulots ? C’est les étrangers. Ils nous traitent comme des voleurs, comme des délinquants, alors qu’on est là pour travailler, c’est des hypocrites, il est temps qu’on se réveille ! », abonde Traoré.

Comme beaucoup de travailleurs sans-papiers, Traoré explique être parti de son pays pour retrouver des membres de leur famille, qui travaillent en France depuis plusieurs générations : « Moi, mon père, mon grand-père, ils ont tous travaillé ici comme des esclaves. Ils sont morts deux ans après leurs retraites tellement ils avaient travaillé. Moi je suis venu ici en tant qu’ancien colonisé par la France et ils nous traitent encore comme des animaux », ajoute-t-il. Ces deux ans de lutte auront profondément ancré les chronos et leurs soutiens dans le mouvement des luttes de l’immigration.  En rappelant que leur situation fait partie d’un continuum historique, ils ont choisi la voie de la lutte pour rappeler que l’amélioration de la vie des sans-papiers passe avant tout par le combat politique.

 

  publié le 28 novembre 2023

Intersyndicale:
pourquoi elle tangue, pourquoi elle tient

sur www.humanite.fr

Annoncée ce vendredi avec "du plomb dans l'aile" par l'AFP ou bientôt "en sommeil" par le Monde, l'intersyndicale, mise sur pied par les huit syndicats contre la réforme des retraites, traverse des turbulences. Analyse.

Il a fallu une dépêche AFP et un article du Monde ce vendredi matin pour que les suiveurs du mouvement syndical entrent en ébullition. La bonne entente qu’ont su créer la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’UNSA, Solidaires et la FSU pour mener le mouvement historique contre la réforme des retraites, “a du plomb dans l’aile”, selon l’agence de presse, va être mise “en sommeil”, écrit le quotidien du soir.

Les leaders de l’intersyndicale sont censés acter la nouvelle situation vendredi 1er décembre prochain, lors d’un rendez-vous fixé au lendemain de la journée de manifestation du 13 octobre, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), consacrée vendredi 13 octobre aux salaires, à l’égalité femme-homme et contre l’austérité budgétaire. Une réunion qui doit organiser la nouvelle salve de mobilisations européennes le 12 décembre prochain.

Les sources de division pèsent-elles désormais plus lourd que les revendications communes? Les huit centrales syndicales sont-elles en passent de renouer avec leurs anciennes divisions, avec d’un côté les “réformistes”, de l’autre les “contestaires”? La situation est bien plus nuancée.

Les raisons de la désunion

« Je pense que le moment est venu d’éclaircir les choses entre nous (…). Rien ne justifie aujourd’hui que l’intersyndicale perdure», explique François Hommeril, le président de la CFE-CGC, au Monde. “On a eu du mal à trouver la date et on s’était déjà vus beaucoup. Je crois qu’on n’avait pas tout à fait envie de se voir tous”, ironise Frédéric Souillot, numéro un de Force ouvrière à l’AFP à propos du rendez-vous de vendredi prochain. Dans ces articles, les deux responsables se montrent les plus tranchés quant à l’avenir de l’intersyndicale. Mais pas pour les mêmes raisons.

A Force ouvrière, Frédéric Souillot a été élu en juin dernier pour succéder à Yves Veyrier, avec le mandat d’augmenter l’audience syndicale de la confédération. “FO n’a pas vocation à rester sur la dernière marche du podium”, derrière la CFDT et la CGT, avait expliqué Yves Veyrier en préambule du congrès de Rouen, alors que le syndicat avait vu ses résultats stagnés lors des dernières élections professionnelles dans le public (18,1%, -0,5%, en 2018) comme dans le privé (15,24%, -0,36% en 2021).

A l’heure où 70% des instances représentatives des personnels sont en passe d’être renouvelées d’ici février 2024, FO doit donc montrer ses différences avec la CFDT et la CGT, lors des campagnes pour les élections aux comités sociaux et économiques dans les entreprises. Des campagnes qui, forcément, tendent les relations entre syndicats sur le terrain.

La CFE-CGC a elle-aussi des enjeux de représentativité. Le syndicat des cadres doit faire sa place parmi toutes les autres confédérations inter-catégorielles. A ce sujet, elle vient de frapper un grand coup dans l’énergie. Mais à cela s’ajoutent les suites de l’accord sur l’Assurance chômage. Trouvé mi-novembre et signé par les trois organisations patronales d’un côté, la CFDT, la CFTC et FO côté salariés, le texte a provoqué la colère de l’organisation présidée par François Hommeril qui, une fois n’est pas coutume, a quitté la table des négociations avant le terme des discussions.

Objet de l’ire: la dégressivité de l’allocation-chômage. Le syndicat demandait la suppression de cette mesure instaurée par les précédentes réformes de l’Unédic pilotées directement par le gouvernement, qui imposent une diminution des indemnités journalières supérieures à 91,02 euros par jour. Principaux visés: les salariés percevant un salaire brut de 4850 euros, avant perte d’emploi. Soit les cadres.

L’accord final ne propose qu’un gain minime, avec l’arrêt de cette mesure d’économie à 55 ans au lieu de 57 ans. “Il y avait une opportunité pour faire disparaitre cette mesure injuste et inefficace”, note dans son communiqué la CFE-CGC qui regrette: “Il y avait tant à gagner et à améliorer dans l’intérêt de toutes et tous, avec un budget en excédant à près de 8 milliards par an sur la période. Mais encore aurait-il fallu que cette volonté soit partagée par tous et résiste aux pressions extérieures ! Pour la CFE-CGC, ce type de négociation n’a aucun sens.” Les autres syndicats dits réformistes ont pourtant paraphé l’accord.

Les raisons de l’union

Nul donc que ce contexte tendu ne corse les relations entre centrales syndicales. Mais les raisons de ne pas tout casser sont réelles.

La première est que cette entente a déjà muté dès après l’adoption définitive à coup de 49.3 de la réforme des retraites. D’un front commun unanime sur ce sujet face à l’exécutif, à un format de discussion pour trouver les plus petits communs dénominateurs en terme de revendications.

Cheville ouvrière pour la CFDT de l’union des 8 syndicats, lors des six mois de mobilisations contre la réforme des retraites, Marylise Léon avait déjà acté ce changement de nature des relations entre les confédérations. Ce qu’elle avait résumé à la Fête de l’Humanité: “Nos organisations sont différentes. Mais après avoir été contre, l’idée est désormais de produire du positif pour les travailleurs, de donner des perspectives, de nouveaux droits. L’égalité salariale femmes-hommes nous rassemble. Les salaires, l’augmentation du pouvoir d’achat, bien sûr aussi, tout de suite. On doit aller chercher les employeurs sur le sujet. Et nous ne pouvons pas connaître en 2024 une année blanche pour les salaires des fonctionnaires.”

Si ces champs revendicatifs demeurent, les prochaines négociations sur “le nouveau pacte de vivre au travail”, queue de comète de la réforme des retraites, arrivent vite. La CFDT peut certes voir certaines de ces revendications exaucées, à l’image de la création d’un compte épargne temps universel permettant aux salariés de stocker leurs jours de congés. Mais la centrale de Belleville a besoin comme ses homologues de faire un minimum front commun face aux envies du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, d’aller plus loin dans la casse du modèle social pour parvenir à l’objectif des 5% de chômage, alors que le taux de privés d’emploi augmente.

La secrétaire générale de la CFDT reste donc très modérée quant à l’avenir de l’intersyndicale. Il y “aura un débat sur les prochaines étapes, sur ce qui est possible de faire ensemble ou pas”, explique-t-elle à l’AFP. “On a toujours dit que l’intersyndicale telle qu’elle existait pendant les retraites était utile et importante. On est dans un autre moment aujourd’hui.”

A la CGT, “l’attachement à l’unité” demeure forte. Citée par l’AFP, Sophie Binet estime qu’il faut “garder la dynamique unitaire, ne pas revenir aux tensions qui préexistaient”. “L’intersyndicale ne continue évidemment pas sous la même
forme puisqu’on n’est plus sur cette temporalité”
. Mais, lors de la conférence sociale du 16 octobre sur les bas salaires, “tous les syndicats sont arrivés unis, et tous les syndicats sont sortis unis. On a eu des mots différents mais globalement la tonalité était très partagée”, relève la secrétaire générale qui souligne “qu’il y a une demande d’unité très forte” de la part des salariés.

Ces citations ne dépareillent pas de ce que déclarait Sophie Binet à l’Humanité Magazine mi-octobre: “Le gouvernement est au service du patronat. L’extrême droite n’a jamais été aussi puissante et se nourrit de la violence des politiques néolibérales. Les travailleurs sont pris en étau. Pour empêcher la catastrophe fasciste, le syndicalisme doit être fort et rassemblé. Dans cette période troublée, l’intersyndicale est une boussole. Malgré nos divergences et différences de démarches, nous sommes unis sur l’essentiel. C’est la seule façon pour se faire entendre face au gouvernement.”

Signe des temps, la confédération de Montreuil a joint sa signature à celles de la CFDT, de la CFTC, de FO et de la CFE-CGC, sur l’accord fixant les nouvelles règles de gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco. Celles-ci ne satisfaisaient pas pleinement l’organisation. “La CGT signe pour s’opposer à la ponction du gouvernement sur l’argent des salarié.es et des retraité.es”, affirmait son communiqué.

Vendredi 1er octobre, les huit syndicats auront à peser tous ces pour et ces contre. Mais ils se retrouveront unanimes pour soutenir le second appel de la Confédération européenne des syndicats pour l’augmentation des salaires et la lutte contre l’austérité budgétaire.

 

   publié le 21 septembre 2023

Marche du 23 septembre :
« Tout l’enjeu est dans la mobilisation des quartiers populaires »

Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/

Deux mois après la mort de Nahel, abattu par un policier à Nanterre, et les révoltes qui ont suivi dans les quartiers populaires de France, l’unité politique autour des violences policières doit se concrétiser dans la rue ce samedi 23 septembre. Mais sur le terrain de la mobilisation, le travail reste immense.

 À la cité des Marguerites, à Nanterre, tout le monde est encore marqué par la mort de Nahel. Les murs des bâtiments aussi : « Nahel, 27/06 Allah y rahmo » (“Que Dieu lui accorde sa miséricorde”, invocation en arabe utilisée couramment pour dire “repose en paix”), peut-on lire sur l’un d’eux. Un paquet de tracts sous le bras, Mornia Labssi, de la Coordination des collectifs des quartiers populaires, et deux militants, sortent de leur voiture. Il est 16 heures, les parcs se remplissent d’enfants pendant que les mamans viennent s’asseoir sur les bancs.

« On organise une marche le 23 à Paris, contre les violences policières, contre le racisme, on parlera du voile et des abayas, faites circuler ou même soyez là ! », lancera-t-elle des dizaines de fois, récoltants des « mercis » ou « bon courage », déclenchant quelques conversations sur le clientélisme de la mairie, les jeunes dépolitisés par les réseaux sociaux ou le sentiment d’être chez soi nulle part, ni en France, ni au bled. Un échantillon d’opinions du quotidien, qui sortent parfois de la doxa de la gauche qui cherche pourtant désespérément à s’implanter ou se maintenir dans les quartiers populaires. Un homme accepte un tract, un peu gêné : « c’est compliqué, je suis policier », dit-il en souriant timidement. « C’est pas grave, vous pouvez être contre les violences policières ! », lui répond Mornia Labssi. « C’est vrai, c’est vrai », admet-il.

« Dans ce mouvement, tout l’enjeu est dans la mobilisation des quartiers populaires », soulève Farid Bennaï, militant au Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), membre de la coalition à l’appel de la marche du 23. « Mais on a très peu de moyens, et les difficultés que vivent les quartiers, nous aussi, en tant que militants, on les vit », enchaîne Mornia Labbsi, en sortant d’une imprimerie avec des centaines de tracts, payés de sa poche. “Nous on mobilise plus sur les réseaux sociaux mais on a aussi des associations qui font le relais dans notre ville », confie Assetou Cissé, la sœur de Mahamadou Cissé, tué par un ancien militaire le 9 décembre 2022 à Charleville Mézières.

 Islamophobie, logement : mobiliser au delà des violences policières

 Assis sur son scooter, un jeune homme, la trentaine, discute avec Mornia Labbsi des contrôles au faciès, des violences policières, de l’islamophobie. « Au final ils gagnent toujours les policiers », lâche-t-il. « Je ne vais pas te vendre du rêve et te dire qu’on va gagner samedi. Mais si on en est arrivé là, c’est par ce que l’État pensait qu’on était incapable de se bouger. Mais ils ont eu peur pendant les révoltes », répond la militante. « C’est vrai, sur l’islamophobie je suis d’accord. On a besoin de gens comme vous ! », lance-t-il. « Nous aussi on a besoin de gens comme toi. Essaie de passer samedi ».

La militante connaît son sujet et aussi son terrain. Elle a grandi ici, aux Pâquerettes, dans un HLM construit sur les cendres d’un des bidonvilles de Nanterre dans les années 60. « Les gens ici vivent plusieurs  discriminations. Si tu ne parles que des violences policières, tu neutralises toutes ces femmes qui vivent ici, qui se lèvent à quatre heures du mat’ pour trois francs six sous, il y a plein de formes de violence », explique-t-elle en pointant l’un des bâtiments de la cité. « Ici, l’immeuble a été rénové, c’est grâce à l’action de plein de femmes ! Le toit était troué pendant un an, de l’eau s’écoulait dès qu’il pleuvait. Et c’est l’action de ces femmes, bien seules, qui a fait bouger le bailleur. Le racisme systémique c’est aussi ça, on ghettoïse des Arabes et des Noirs et ne fait plus rien », poursuit la militante.

 Un cadre unitaire tiraillé entre la gauche institutionnelle et les collectifs de quartiers

 Initiée dans les jours qui ont suivi la mort de Nahel, la marche unitaire du 23 septembre a dû très vite chercher un débouché politique à la révolte des quartiers populaires, mais surtout à rassembler au-delà de la gauche institutionnelle. « Au début, on était une cinquantaine d’organisateurs, dont très peu de racisés, les principaux concernés n’étaient pas là. Ça s’est crispé, ça s’est braqué, puis on a fait venir des gens, des collectifs, habituellement défiants envers les organisations institutionnelles », se félicite Mornia Labbsi. Au total, près de 150 organisations se sont rassemblées pour organiser cette marche, une alliance qui rassemble les partis politiques (LFI, EELV, NPA..), syndicats (CGT, Solidaires, FSU..) et collectifs de quartiers et de victimes de violences policières.

« Les mouvements sociaux sont passés à côté d’une grande partie de la population prolétaire et racisée des quartiers, mais je ne vois pas une possible transformation sans eux, ce serait une faute politique majeure pour la gauche de passer à côté de ça », analyse Farid Bennaï.

Face à des organisations de gauche parfois frileuses sur les questions antiracistes, les collectifs de quartiers populaires ont dû taper du poing sur la table pour renverser le rapport de force au sein du cadre unitaire, sans toujours y parvenir : « On a dû batailler pour que soit inscrit « racisme systémique » dans les revendications », se remémore Mornia Labbsi, qui a aussi plaidé pour une manifestation en banlieue, plutôt que dans Paris. En vain, la marche partira de la gare du Nord. L’interdiction des abayas à l’école est d’ailleurs venue percuter cette fragile alliance. « Ces violences racistes et islamophobes doivent être combattues avec la plus grande fermeté. C’est un combat essentiel. Nos amis à gauche ne semblent pas avoir pris la mesure de la violence islamophobe d’une telle mesure. L’histoire nous regardera », avait déclaré le 13 septembre dernier Adel Amana, élu municipal de Villiers-sur-Marne et initiateur du collectif d’élus du Val-de-Marne contre l’islamophobie, comme pour remettre les pendules à l’heure.

 Le 23 septembre, « une première étape »

 Face au manque d’accroche des organisations de gauche auprès des quartiers populaires, les collectifs comptent bien ancrer la marche du 23 septembre dans une dynamique plus large. « Le point de bascule ne se fera pas sur cette marche, mais après : il y a tout à revoir, notamment le rapport qu’ont les organisations politiques avec les gens dans les quartiers », soutient Farid Bennaï. Mornia Labbsi abonde : « Je ne vois que la suite. Pour cette marche, il faut déjà des gens qui mettent la main dans le cambouis. Si on laisse ça aux autres, ça va tourner autour des libertés publiques et ça va faire un truc gnangnan ». Mais pour elle, la suite sera déterminée par les moyens mis sur la table pour organiser des assemblées, des réunions, des colloques et d’autres mobilisations. « Ça demande beaucoup d’énergie et on a très peu de moyens. Et quand on n’a pas l’argent, on n’a pas le rapport de force », soulève-t-elle.

La marche à Paris partira de la Gare du Nord à 14h, ce samedi 23 septembre. Une centaine de marches sont organisées le même jour partout en France.

publié le 21 septembre 2023

Esclavage moderne :
notre enquête sur les travailleurs sans-papiers qui produisent du champagne

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Un contrôle de l’inspection du travail a mis au jour l’exploitation et les conditions d’hébergement épouvantables de vendangeurs sans papiers dans la Marne. Le parquet de Châlons-en-Champagne a ouvert une enquête préliminaire pour traite d’êtres humains.

Ils ont été mis à l’abri dans le réfectoire d’un hôtel de Châlons-en-Champagne et sur un site de la Fondation de l’Armée du Salut, loin des contremaîtres qui les faisaient travailler sous la menace, loin des hébergements collectifs dans lesquels ils étaient logés dans des conditions sordides.

Mais plusieurs jours après avoir été soustraits à cet enfer, ces saisonniers étrangers enrôlés pour les vendanges dans le vignoble champenois sont encore sous le choc. Ils sont une soixantaine de travailleurs migrants, originaires d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Mauritanie, Guinée, Gambie), sans papiers pour la majorité d’entre eux.

Recrutés par Anavim, un prestataire spécialisé dans les travaux viticoles, domicilié rue de la Paix, à Paris, ils étaient censés être logés et nourris correctement, et percevoir une rémunération de 80 euros par jour. Rendez-vous pris porte de la Chapelle, dans la capitale, ils sont montés à bord d’un bus, direction la Marne.

Des travailleurs affamés, épuisés, dans un état de santé dégradé

Arrivés dans la nuit à Nesle-le-Repons, ils ont découvert, en guise d’hébergement, des locaux précaires, vétustes et insalubres, tenant moins du dortoir que du hangar, sans plafond, avec des murs de parpaings nus, un sol de terre et de pierraille. Lors d’un contrôle de routine, dans le cadre de leurs prérogatives de lutte contre le travail illégal, des agents de la Mutualité sociale agricole et des gendarmes de la Marne ont mis au jour ces conditions d’habitat indignes.

Ils ont aussi découvert des travailleurs affamés, épuisés, dans un état de santé dégradé pour certains d’entre eux. Le 14 septembre, un nouveau contrôle, conduit par l’inspection du travail celui-là, a permis de dresser un constat accablant, qui a conduit à la fermeture des lieux par arrêté préfectoral.

En guise d’hébergement, des locaux précaires, vétustes et insalubres, tenant moins du dortoir que du hangar

La décision, placardée aux portes de cet hébergement collectif, fait état de « la présence de nombreuses literies de fortune », relève « l’état de vétusté, de délabrement, d’insalubrité, d’absence de nettoyage et de désinfection » des locaux, constate « l’état répugnant des toilettes, sanitaires et lieux communs », avec « l’accumulation de matières fécales dans les sanitaires ». Autre source de danger pour les occupants, qui dormaient sous de la laine de verre à nu : des installations électriques non conformes.

Cadences folles et chaleur accablante

Avec ces « désordres sanitaires », dans cet « état d’insalubrité et d’indignité des logements et de leurs installations », plusieurs travailleurs sont tombés malades, souffrant notamment de troubles respiratoires et de diarrhées. Il faut dire qu’ils étaient d’autant plus fragiles que les inspecteurs du travail ayant procédé au contrôle les ont retrouvés dans un préoccupant état de sous-nutrition et de malnutrition.

« On avait chaud le jour et froid la nuit, on ne mangeait pas beaucoup, on était traités comme des esclaves. » Kalulou, un travailleur originaire du Mali

« On nous avait promis qu’on serait nourris, mais ils nous ont juste apporté un sac de riz, avec un peu de raisin pour tout le monde », témoigne l’un d’entre eux, Amadou, un Sénégalais joint par l’Humanité. « C’était très difficile, les conditions de boulot, les horaires. On partait le matin très tôt le ventre vide. À 13 heures, ils nous apportaient des sandwichs avariés. Je ne pouvais pas avaler ça », nous confie aussi Kalulou, un Malien disposant d’une carte de séjour, pris dans cette galère car il avait besoin d’un travail d’appoint pour payer une facture d’électricité trop salée.

S’ils se plaignaient de la faim, les contremaîtres affectés à leur surveillance, dont l’un était armé d’une bombe lacrymogène, déchaînaient sur eux leur colère, les enjoignant à aller « travailler ailleurs » s’ils n’étaient pas « contents ». Poussés par la faim, ces forçats ont fini par aller glaner quelques épis de maïs dans les champs voisins des parcelles de vigne où ils étaient affectés. « On avait chaud le jour et froid la nuit, on ne mangeait pas beaucoup, comme des chiens, on dormait comme des moutons, on se lavait à l’eau froide, on était traités comme des esclaves. Les toilettes étaient bouchées, ça sentait très mauvais. On a vraiment souffert », résume Mahamadou, originaire du Mali.

Alors que la déclaration préalable à l’embauche que certains se sont vu remettre prévoyait 35 heures de travail hebdomadaires sur deux semaines, avec une rémunération de 80 euros par jour et une embauche à 8 heures chaque matin, ces vendangeurs trimaient plutôt dix heures par jour ou davantage.

Avec des cadences folles, une charge de travail très lourde, sous les chaleurs accablantes qui ont causé la mort par arrêt cardiaque de cinq vendangeurs dans le vignoble champenois cette année. Réveillés aux aurores, vers 6 heures, ces travailleurs africains étaient entassés, jusqu’à plusieurs dizaines d’entre eux par véhicule, dans des fourgonnettes aveugles, aux vitres barrées de contreplaqué, qui les transportaient vers les lieux de récolte.

Des encadrants aux pratiques d’hommes de main

La patronne d’Anavim, le prestataire mis en cause, une quadragénaire née au Kirghizistan, est propriétaire des locaux dont la préfecture a décrété la fermeture. Pour esquiver le contrôle d’un second hébergement collectif dans les dépendances de son propre domicile, à Troissy, elle a fait évacuer les lieux. Des hommes d’origine ou de nationalité géorgienne épaulaient cette femme pour superviser ces travailleurs migrants, faire pression sur eux.

« On n’était pas fainéants, mais, eux, ils n’étaient pas faciles, soupire Kalulou. Ils nous mettaient violemment au travail. » Ces encadrants aux pratiques d’hommes de main les ont suivis jusque dans l’hôtel où ils ont trouvé refuge, les exhortant, sur un ton agressif, à reprendre leur besogne et à les suivre vers d’hypothétiques logements, leur promettant de leur verser les salaires dus. Sans effet.

« À ce jour, ces travailleurs saisonniers n’ont pas reçu la rémunération promise. Nous allons les accompagner pour saisir les prud’hommes et nous exigeons la régularisation de ceux d’entre eux qui sont sans papiers », prévient Sabine Duménil, secrétaire générale de l’union départementale CGT de la Marne, en plaidant pour qu’ils soient « soignés, hébergés dignement jusqu’à ce que la situation se décante ».

Qui étaient les propriétaires des parcelles de vigne sur lesquelles étaient exploités ces vendangeurs ? Pour l’instant, mystère. « Nous voudrions que les donneurs d’ordres soient connus et poursuivis, qu’ils rendent des comptes mais, pour l’instant, c’est l’omerta complète sur le sujet », déplore cette syndicaliste.

À Troissy, le maire, Rémy Joly, lui-même viticulteur, est dépité. « Beaucoup de vignerons donnent leurs vendanges à faire à des prestataires, à cause des difficultés de recrutement et des tracasseries d’hébergement. Et puis il y a ceux qui ne veulent pas s’embêter avec ça. Ça donne lieu à des abus, très peu, mais très peu, c’est déjà trop », tranche-t-il, en défendant ceux qui privilégient une « cueillette traditionnelle », sans intermédiaires, « respectueuse des travailleurs ».

Une précédente affaire retentissante

Dans cette affaire, deux personnes ont été placées en garde à vue, avant d’être relâchées. Le parquet de Châlons-en-Champagne a ouvert une enquête préliminaire pour conditions d’hébergement indignes et traite d’êtres humains. Une précédente affaire de cette nature avait donné lieu, en 2020, à un retentissant procès à Reims. Elle concernait des travailleurs afghans et africains victimes des mêmes infractions, eux aussi exploités, mal nourris et logés dans des conditions effroyables. Verdict : trois ans de prison dont un avec sursis pour le couple à la tête de l’entreprise sous-traitante mise en cause pour traite d’êtres humains.

Parmi les prévenus, du côté des donneurs d’ordres, le responsable des prestations viticoles et vendanges de la maison Veuve Clicquot, propriété du groupe de luxe LVMH, avait fini par être relaxé : il niait fermement avoir eu connaissance des conditions indignes dans lesquelles étaient hébergés ces vendangeurs. Aucune maison de champagne, en tant que telle, n’avait été mise en cause pénalement.

LE RÉDACTEUR EN CHEF D’UN JOUR

Lyonel Trouillot, écrivain et poète haïtien : « La mise en esclavage se perpétue »

« En Champagne se passe quelque chose qui pourrait ressembler à ce qu’on appelait autrefois la “traite”. C’était le privilège des États et des compagnies marchandes de se livrer à ce jeu-là.

Aujourd’hui, à une moindre échelle et sans prétexte idéologique, perdure une cupidité qui ne cherche pas à se justifier. Comme quoi les choses changent sans vraiment changer, à part la découverte tardive de l’indignité. Quant à la mise en esclavage du plus faible, elle se perpétue tant qu’elle peut demeurer à l’abri des regards. »


 


 


 

Au CHU de Montpellier, les agents d’entretien d’Onet sont en grève illimitée

sur https://lepoing.net/

Une quarantaine d’agents d’entretien qui font une partie du nettoyage au CHU Lapeyronie sont en grève depuis la semaine dernière. Ils et elles demandent de meilleurs salaires, plus de temps et moins de contrôle pour effectuer leurs missions

A cinq heures ce lundi 18 septembre matin, ils et elles étaient entre trente et quarante sur leur piquet de grève, soit 70 % des titulaires. Après une heure de débrayage mercredi dernier, une heure jeudi, une journée de grève vendredi et une réunion infructueuse avec la direction, les salariés de l’entreprise Onet, qui gère le nettoyage du CHU de Montpellier, sont entrés en grève illimitée. Ils demandent entre autres une augmentation de salaires, une prime équivalente au treizième mois et plus de temps pour effectuer leurs missions. « Les surfaces à nettoyer sont trop importantes par rapport au temps donné pour effectuer la tâche », déplore Khadija Bouloudn, déléguée syndicale CGT-Onet. Selon le syndicat, leurs rémunérations se situent déjà parmi les plus basses du salariat, l’inflation rend leurs conditions de vie encore plus difficiles.

Mais outre leurs conditions de travail, les salariés dénoncent une application de pointage et de contrôle : « On doit désormais sortir notre téléphone à chaque fois qu’on doit nettoyer un espace, c’est du temps en plus alors qu’on en manque, et ce dispositif a été mis en place sans en informer le CSE et les salariés », explique Khadija Bouloudn.

Pour les soutenir dans leur grève, une caisse de grève est disponible ici.

   publié le 20 septembre 2023

Sophie Binet : « Pour le capital, la démocratie est un problème »

Naïm Sakhi et Sébastien Crépel sur www.humanite.fr

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, était l’invitée, samedi, de l’Agora de l’Humanité. La dirigeante estime que les syndicats ont « semé des graines », alors que la centrale cégétiste a réalisé 40 000 nouvelles adhésions.

La foule des grands jours pour Sophie Binet. Samedi, en début d’après-midi, la secrétaire générale de la CGT avait carte blanche à l’Agora de l’Humanité. Alors que la rentrée prend à la gorge une majorité de salariés et de familles qui n’arrivent plus à faire face à la cherté de la vie, la dirigeante cégétiste a avancé des propositions alternatives. Avec pour ligne de mire la mobilisation du 13 octobre pour les salaires et contre l’austérité, elle a aussi indiqué de nouveaux enjeux où se cristallise l’affrontement de classe.

Vous avez été élue en mars au congrès de Clermont-Ferrand, votre profil se différencie de ceux de vos prédécesseurs : vous êtes une femme, cadre, qui n’a pas fait ses armes au PCF. Que signifie votre élection à la tête de la CGT ?

Sophie Binet : La CGT est souvent caricaturée, mais les femmes ont toujours été présentes dans nos rangs. Notre congrès fondateur de 1895 a été présidé par une femme, Marie Saderne, une corsetière, à la tête d’une grève de quatre-vingt-dix jours. Le fait d’avoir une femme secrétaire générale n’est pas arrivé naturellement, mais concrétise l’aboutissement des combats féministes pour mettre des femmes à tous les postes de responsabilité dans la CGT.

Nous avons passé une étape importante, mais je ne dois pas être l’arbre qui cache la forêt : amplifions notre développement féministe et la syndicalisation des femmes.

L’année 2023 restera comme celle des grèves et manifestations intersyndicales contre la réforme des retraites. Que retenez-vous de cette lutte ?

Sophie Binet : Nous avons écrit, ensemble, une page de l’histoire sociale. Soyons fiers de ce que nous avons réalisé. Au regard du rapport de force, dans les autres pays européens qui ne sont pas sous le régime de la Ve République nous aurions gagné. Nous sommes à un point de bascule : pour le capital, la démocratie est un problème, alors que les populations sont de plus en plus lucides et refusent les réformes libérales.

Cela va de pair avec l’autoritarisme patronal dans les entreprises. Les banlieues ont été matées à coups de comparution immédiate. Oui, les vols et saccages sont inacceptables, mais ce sont des enfants. C’est une victoire à la Pyrrhus pour Macron.

Il n’a pas de majorité à l’Assemblée. Il ne peut pas inaugurer le Mondial de rugby sans se faire huer par 80 000 supporteurs. Et le match est ouvert au sein même de son gouvernement pour sa succession. Le pouvoir est affaibli par ce passage en force.

Peut-on parler d’un tournant dans l’histoire du mouvement syndical, en dépit de l’application du texte ? La CGT en sort-elle renforcée ?

Sophie Binet : Nous avons semé des graines. Les organisations syndicales sont revenues au centre du jeu. La CGT compte 40 000 nouvelles adhésions. C’est plus de 100 000 pour l’ensemble des centrales syndicales. Nous avons gagné la bataille de l’opinion. Mais cela n’a pas suffi. Nous devons gagner la bataille de la grève.

Elle ne se décrète pas, mais se construit. La CGT a réussi des grèves reconductibles, notamment dans l’énergie, les transports, le traitement des déchets, etc. Dans certains secteurs, la CGT est implantée, forte de ses nombreuses adhésions. Pour inverser le rapport de force, nous devons faire reculer les déserts syndicaux : 40 % des salariés du privé n’ont pas de syndicats dans leurs entreprises.

« Avec le 13 octobre, nous donnons ensemble le cap : mobilisons-nous pour les salaires. »

Le droit de grève y est théorique ; il n’y a pas d’action collective. Comme en 1936, en 1945, en 1968, enclenchons un grand mouvement de syndicalisation. Les conquêtes sociales ont été obtenues lorsque les organisations syndicales, et singulièrement la CGT, étaient au plus fort de leurs effectifs. L’unité syndicale est un grand acquis de ce mouvement, mais elle ne gomme pas les différences.

La CGT et la CFDT sont deux grandes centrales et nous pouvons débattre des jours durant de nos désaccords. Mais l’unité syndicale donne le cap et permet de rassembler largement le monde du travail. En face, la stratégie du capital est d’abord la répression, mais aussi la multiplication des débats identitaires pour empêcher la classe du travail de s’organiser. Avec le 13 octobre, nous donnons ensemble le cap : mobilisons-nous pour les salaires.

De nombreux cégétistes sont inquiétés pour leurs actions de grève. Le secrétaire général de la fédération des mines et énergie CGT, Sébastien Menesplier, a été convoqué par la gendarmerie. Peut-on parler de menaces sur les libertés syndicales en France ?

Sophie Binet : Je tire un signal d’alarme démocratique, non seulement sur les libertés syndicales, mais sur les libertés en général. On croit rêver quand le ministre de l’Intérieur ambitionne de ne plus subventionner la Ligue des droits de l’homme ou qualifie les lanceurs d’alerte environnementaux d’écoterroristes.

Sébastien Menesplier a été convoqué parce qu’il est le secrétaire général de la fédération fer de lance de la mobilisation contre la réforme des retraites. Nous sommes dans un ruissellement de la répression : taper sur les directions syndicales pour envoyer un message aux chefs d’entreprise afin d’encourager les licenciements dans les entreprises. Si l’extrême droite arrive au pouvoir, elle aura tous les outils constitutionnels et législatifs pour mettre à bas les conquis sociaux.

Une question de méthode : faut-il discuter avec le gouvernement ?

Sophie Binet : La CGT ne discute pas avec l’exécutif ou les patrons. La CGT négocie, sur la base d’un rapport de force et sur nos revendications. Grâce à l’unité syndicale, cette méthode est retenue par les autres organisations syndicales. Le patronat change un peu de ton. Et le gouvernement a découvert un nouveau mot : les salaires. Pourtant, il ne voulait pas d’une conférence sociale sur les salaires.

Les patrons ne supportent pas que le législatif dicte les hausses de salaire et déplorent même l’existence d’un Smic fixé par l’exécutif. La boucle prix-salaire n’existe pas, contrairement à la boucle prix-profit. La conditionnalité des aides publiques, 200 milliards chaque année, soit le tiers du budget de l’État, est une nécessité. Tout comme l’égalité femmes-hommes. La force du capitalisme est de récupérer des dynamiques dans la société à son avantage.

C’est le cas de l’index inégalité salariale. Il occulte les inégalités entre les femmes et les hommes et, avec des biais grossiers, permet à 95 % des entreprises d’avoir une bonne note. La CGT lie la lutte entre les rapports de domination du capital et celle contre le patriarcat.

Six saisonniers sont morts ces derniers jours durant les vendanges. Le patronat se plaint d’un problème de recrutement. Mais le problème n’est-il pas celui des conditions sociales et des salaires ?

Sophie Binet : D’abord, relativisons le problème du recrutement : 5 millions de personnes sont toujours privées d’emploi. Les métiers concernés sont ceux les moins bien payés avec les conditions sociales les plus difficiles. Dans ces secteurs, pour embaucher, il faut modifier les conditions de travail.

Mais la solution du patronat est de couper dans les allocations-chômage et contraindre les gens à accepter ces métiers difficiles. Dans le dossier de l’assurance-chômage, les organisations syndicales sont pour la première fois unies. Toutes refusent la lettre de cadrage du gouvernement. Le patronat se nie en parlant du non-recours aux droits sociaux, alors que ce phénomène concerne une majorité de chômeurs.

Dans les services publics, les besoins en personnel sont criants. Le discours de l’exécutif sur la réduction de la dette publique est-il audible ?

Sophie Binet : Les services publics se trouvent à un stade critique de paupérisation, alors que le budget de l’armement n’a jamais été aussi élevé. Cet été, parmi les 400 décès supplémentaires en raison des fortes chaleurs, combien sont liés à la fermeture des services d’urgence ? 50 % des établissements scolaires manquent d’au moins un enseignant. Les métiers de la fonction publique ont un problème d’attractivité.

Le recul des services publics s’accompagne d’une explosion du privé lucratif. Nous assistons à une offensive du privé contre la protection sociale. C’est le cas pour les retraites, mais aussi pour le secteur du soin et du lien, nouveau lieu d’affrontement avec le capital. Pas de subventions au privé lucratif ! Si l’on cherche des pistes économiques, elles sont de ce côté-là.

Après un été caniculaire, la question environnementale ne doit-elle pas devenir prioritaire dans les modes de production ?

Sophie Binet : La question environnementale est au cœur de l’affrontement de classe, comme à Sainte-Soline. L’eau est un nouveau lieu d’affrontement avec le capital. La chaleur tue des travailleurs en France, dans l’agriculture, dans le bâtiment, dans les métiers pénibles et d’extérieur. La CGT revendique l’interdiction du travail au-delà d’une certaine température. Nous devons évidemment rétablir les CHSCT.

Pour répondre au défi environnemental, nous ne pouvons pas nous limiter à la culpabilisation des pratiques individuelles. Nous devons transformer en profondeur l’outil productif. Le cas de STMicroelectronics en est l’illustration. Emmanuel Macron a annoncé le doublement de la production des puces électroniques sur le site, comme l’exigeait la CGT. Mais leur fabrication demande énormément d’eau. Et les aides gouvernementales ne sont pas conditionnées à des critères environnementaux.

La CGT formule une proposition : plutôt que d’utiliser de l’eau propre, recyclons la même eau pour éviter de consommer les ressources de la région. Mais cela coûte plus cher. À Thales, les camarades ont monté un projet d’imagerie médicale avec les technologies utilisées pour fabriquer des engins de guerre. Je pourrais multiplier les exemples. Mais, malheureusement, les militants CGT se retrouvent comme des passagers clandestins, sans pouvoir exposer leur projet. C’est pourquoi de nouveaux droits des salariés dans les entreprises sont à conquérir.

   publié le 18 septembre 2023

« Tout ce qu’on demande, c’est un peu de considération » :
grève chez Keolis

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

À Montesson dans les Yvelines, les conducteurs de bus sont en grève depuis plusieurs jours et dénoncent leurs mauvaises conditions de travail depuis le rachat du dépôt par Keolis en 2022. Aussi, ils demandent à recevoir de nouveau leurs primes de participation et d’intéressement. 

IlsIls découpent finement des tomates, de la mozzarella, des oignons, enduisent des cuisses de poulet d’épices et d’huile d’olive, font chauffer le barbecue. Dans le fond, une petite enceinte crache des musiques commerciales et du rap à l’ancienne. Les plus téméraires se sont installés là dès 3 h 30 du matin, leur heure de prise de service, les autres arrivent au compte-gouttes durant la journée. Ils discutent de leurs horaires qui changent sans cesse, de leur dos qui leur fait mal, des mots du patron qui ne passent pas. 

Depuis quatre jours, les chauffeurs Keolis du dépôt de Montesson dans les Yvelines sont en grève reconductible. Ce jeudi 15 septembre, comme les journées précédentes, les salariés tiennent le piquet de grève. La semaine dernière, ils avaient déjà paralysé tout le trafic local lundi et mardi. Selon Sud-Solidaires, les taux de grévistes atteignent les 90 % et plus aucun bus ne sort. Les quelques conducteurs non grévistes ont déposé leur droit de retrait. 

Ils racontent les restrictions budgétaires, la perte des primes, les journées hachées et une pression qui ne cesse de s’accroître depuis que le dépôt est passé sous le giron de Keolis en 2022. En grande couronne d’Île-de-France comme en province, tel est le visage de la mise en concurrence des transports publics qui devrait s’étaler jusqu’à la fin 2026 pour Paris et la proche banlieue.

Lors d’une réunion avec les salariés grévistes, le directeur du dépôt l’assumait en ces mots : « On a vécu la première vague de la mise en concurrence. Très clairement, les opérateurs ont été extrêmement agressifs commercialement pour essayer de prendre les contrats. C’est vrai de tous les opérateurs… L’ensemble des opérateurs aujourd’hui, sur ce modèle, perdent de l’argent. » Et, serait-on tenté de rajouter, pour essayer de rentrer dans leurs frais, pressurisent leurs salariés et abîment le service rendu aux usagers. 

Des primes d’intéressement et de participation supprimées

À Montesson, face à l’important taux de grève, la direction a décidé de fermer le dépôt. Des agents de sécurité et une huissière ont même été dépêchés pour surveiller les grévistes. « On n’est pas des voyous, souffle un conducteur. La plupart d’entre nous sont des pères de famille. Tout ce qu’on demande, c’est un peu plus de considération. » Seul acte de vandalisme assumé : le jet d’œufs sur les voitures de cadres qui entrent dans le dépôt cadenassé. 

La grève a été lancée selon un mot d’ordre : récupérer les primes d’intéressement et de participation que les conducteurs ne touchent plus depuis que Keolis a racheté le dépôt en 2022. Mais, dans les discussions et sur les banderoles, il est aussi largement question de pénibilité, de conditions de travail et de manque de reconnaissance. 

En ce qui concerne les primes d’intéressement et de participation, en tout, ce sont quelque 1 000 euros que les salariés ne touchent plus. De son côté, la direction assure que « compte tenu des résultats », ils sont « dans le regret de ne pas pouvoir réglementairement verser ces primes aux salariés ». À cela s’ajoutent toutes les primes spécifiques que les conducteurs ne touchent plus depuis le rachat par Keolis : la prime de qualité de service, de 45 euros par mois, la prime de non-accident, de 65 euros mensuels. Les conditions d’accès à la prime panier-repas ont aussi évolué : « Avant Keolis, tu la touchais que tu travailles la journée ou le soir, maintenant pour avoir ces 8,50 euros, il faut travailler de 11 heures à 13 heures, sinon tu la touches pas », s’agace Ismael, conducteur de 62 ans. La prime d’habillement, de 500 euros à l’année, qui leur permettait de s’acheter chemises et pantalons a aussi sauté. Désormais, on leur fournit des uniformes, la réduction des coûts est partout.

Alors que l’heure est aux restrictions budgétaires pour les conducteurs, les salariés du premier étage, employés ou agents de maîtrise, « les gens des bureaux » comme les appellent les conducteurs, auront leur prime de fin d’année. 

Pour Abdelkader, conducteur et délégué du personnel, le groupe s’est organisé de sorte à ne pas être en capacité de verser les primes d’intéressement et de participation. « Les grands groupes font tout pour ne pas rester des grands groupes, ils créent plusieurs filiales, découpent tout. Par exemple, Keolis, c’est 160 filiales différentes. Nous, on est déficitaires, mais d’autres filiales sont bénéficiaires et si on était tous dans la même entité, alors on aurait le droit à ces primes. » Avant 2022 et le passage du dépôt de Transdev à Keolis, les conducteurs, les agents d’entretien, les agents de sécurité étaient tous embauchés par la même entreprise. Depuis, tout a été parcellisé. Korriva, filiale de Keolis, s’occupe du réseau, des incidents, des retards. Les contrôleurs ont été envoyés dans une autre filiale, comme les agents de sécurité. Le nettoyage a été externalisé à une autre entreprise, Koala Propreté. 

« D’ailleurs, Koala non plus ils ne nous traitent pas bien, souffle l’une des femmes de ménage qui salue ses camarades grévistes avant d’aller travailler. On doit se battre pour le moindre seau d’eau savonneuse, pour un balai, pour tout. On n’est pas beaucoup payé·es et on travaille parfois deux ou trois heures seulement dans la journée. J’ai un collègue qui fait deux heures de trajet aller-retour pour venir travailler, il fait presque autant d’heures de ménage que d’heures de transport. » Pour l’heure, les agents d’entretien et les salariés de l’atelier n’ont pas rejoint la grève.

« En tout, on a perdu plus d’une centaine de collègues avec l’envoi de collègues dans les filiales et l’externalisation, reprend Abdelkader. Ce découpage de l’entreprise leur permet d’afficher des chiffres bas et de ne pas nous verser les primes, mais ça réduit aussi la représentation des salariés. » Plus une entreprise est petite, moins bien sont représentés les salariés et moins le comité social et économique (CSE) est financé. 

En moyenne, les conducteurs que nous avons interrogés touchent, selon leur ancienneté, entre 12 et 15 euros de l’heure, pour un salaire mensuel avoisinant les 2 000 euros net pour la plupart d’entre eux. « Moi je touche 2 200 euros net, mais il y a dix ans je touchais déjà 2 000 euros, vous voyez comme on évolue peu, avance Ismael, conducteur depuis 22 ans. Pour toucher 100 euros de plus par mois, parfois 150, j’enchaîne les soirs et les week-ends. Je travaille à peu près six week-ends sur sept, je vois pas beaucoup mes enfants. » 

« Ils nous mettent la pression, on manque de collègues parce que ce métier n’est plus attractif, alors chaque jour une dizaine de services tombent par terre, ajoute le conducteur. Quand on arrive et que le bus d’avant n’est pas passé, les usagers s’en prennent à nous, mais on n’y est pour rien. »

Des journées de travail hachées 

Mais ce qui occupe le plus Ismael et ses camarades, c’est la dégradation des conditions de travail. Ce sujet est de toutes les discussions, bien avant la suppression des primes. 

« Depuis que Keolis nous a racheté, on fait les mêmes trajets, mais sur des temps plus courts », expliquent-ils tous en cœur. Dans le détail, on leur demande de faire autant d’arrêts, mais plus rapidement. Par exemple, de la gare du Vésinet jusqu’à l’arrêt Hauts de Chatou, les conducteurs doivent mettre 12 minutes quand ils en avaient 15 avant Keolis. Sur la même ligne, ils doivent aussi réduire de trois minutes le trajet de la gare de Houilles jusqu’à Hauts de Chatou. Sur chaque ligne, sur chaque tronçon, des efforts ont été demandés aux conducteurs pour réduire le temps de trajet. « Alors on est stressés, on essaye d’aller plus vite, on n’y arrive pas toujours, et on va finir par faire plus d’accidents », s’inquiète El-Hassan, conducteur et régulateur depuis 2017.

 « On ne peut pas toujours s’arrêter pour aller aux toilettes, boire un coup, ça devient très difficile, abonde Amine, conducteur et délégué syndical Sud-Solidaires. Comme ils manquent de conducteurs, ils pressurisent à fond ceux qui sont déjà là. Un chauffeur ne fait plus cinq jours de travail pour deux jours de repos, désormais, la plupart travaillent six jours sur sept. Les conducteurs acceptent pour gagner un peu plus. » 

Par ailleurs, Keolis émince les journées de travail avec la même application qu’il découpe son entreprise en une myriade de filiales. Ainsi, nombre de conducteurs se retrouvent à devoir travailler très tôt le matin et très tard le soir, avec des coupures de 3, 4, 5 heures au beau milieu de la journée. « On a beaucoup de collègues qui ont des amplitudes de 6 heures du matin à 20 heures le soir, avec des heures non travaillées au milieu, ajoute Amine de Sud-Solidaires. La plupart restent sur le dépôt parce qu’ils habitent loin et n’ont pas le temps de rentrer chez eux et de revenir. » 

Abdelali, 52 ans, habite à 32 kilomètres du dépôt. Quand il a 4 ou 5 heures de coupure, il rentre chez lui à chaque fois. « Ça me fait des factures d’essence à 450 euros par mois, souffle-t-il. Une part importante de mon salaire. » 

D’autres n’ont pas ce luxe et épuisent leurs journées au dépôt, dans une salle de pause bien spartiate : des chaises et quelques tables. Ils ont bien essayé de demander des canapés, en vain. Les journées et les services en confettis sont le lot de nombre des grévistes, dont Oumi : « Je commençais à 6 heures jusqu’à 10 heures, puis j’étais en pause jusqu’à 16 heures, je reprenais ensuite jusqu’à 20 heures et comme ça toute la semaine. Puis il y avait une semaine où j’étais en horaires du matin, puis celle d’après en horaires du soir, puis je recommençais à avoir des semaines avec des services hachés… ça changeait tout le temps. » La conductrice habite à 30 kilomètres du dépôt, lorsqu’elle devait faire les services en deux fois, elle avalait 120 kilomètres par jour, « et ça fait beaucoup d’argent dans l’essence. Je suis épuisée, fatiguée moralement, physiquement. Je ne vois plus mes enfants »

Selon l’INRS, (Institut national de recherche et de sécurité), le travail en horaires fractionnés et le travail en horaires flexibles engendrent une dégradation de la santé des travailleurs. Selon l’organisme de référence dans le domaine de la santé au travail, « le travail flexible est associé à une mauvaise santé cardiovasculaire, à de la fatigue et à des effets sur la santé mentale »

Pour Oumi, ça n’a pas loupé, depuis l’arrivée en 2022 de Keolis et les changements qui sont allés avec, la mère célibataire a vu sa santé décliner. « J’ai fait un début de burn-out en décembre 2022, le métier m’a complètement flinguée. Je ne tenais plus. Le médecin du travail, le médecin généraliste, le psy m’ont dit que ça ne pouvait plus continuer. Ils m’ont fait passer en restriction, maintenant je ne travaille plus que le matin, j’avais un rythme infernal. » Avant les médecins, la conductrice avait tenté d’échanger avec la direction du site, en vain. « Ils n’ont rien voulu savoir, ils ne nous écoutent pas. D’ailleurs, quand on veut remonter des problèmes à la responsable d’exploitation, on n’a plus le droit d’aller la voir directement, on doit lui écrire sur un petit carnet qu’elle nous met à disposition et elle n’a jamais le temps pour nous. » 

Quelques jours avant la grève, une réunion d’une heure entre les conducteurs et la direction s’était tenue dans une ambiance tendue. Depuis, les discussions semblent complètement rompues. Auprès de Mediapart, Keolis assure rester « ouverte aux discussions qui continueront ce week-end avec les salariés en grève sur le site de Montesson. Une issue favorable ne pourrait avoir lieu qu’avec l’ensemble et l’accord des représentations ». Les grévistes, eux, ont dors et déjà annoncé poursuivre la grève la semaine prochaine. 


 


 

Une grève à Keolis Montesson
après l’ouverture à la concurrence

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Depuis le 12 septembre, une grève très suivie a lieu chez Keolis à Montesson (Yvelines). Les salariés des transports franciliens constatent la dégradation de leurs conditions de travail depuis le rachat de leur dépôt, auparavant détenu par Transdev. Cette grève s’inscrit dans le large contexte d’ouverture à la concurrence du réseau de transports francilien.

 Les salariés de Keolis à Montesson (Yvelines) sont en grève illimitée depuis près d’une semaine, avec un débrayage initié mardi 12 septembre. Selon Sud-Solidaires, les taux de grévistes atteignent les 90 % et plus aucun bus ne sort, rapporte Mediapart. Depuis le rachat par Keolis de leur dépôt, jusqu’ici tenu par Transdev, en janvier 2022, les salariés constatent la dégradation de leurs conditions de travail. Parmi leurs principales revendications aujourd’hui : le versement des primes d’intéressement et de participation, qui ne leur sont plus attribuées depuis le changement d’opérateur.

Cette grève chez Keolis s’inscrit dans le large contexte d’ouverture à la concurrence du réseau de transports francilien. De fait, les lignes de bus de la grande couronne francilienne ont été divisées en 36 lots. Depuis début 2021, ces 36 lots font l’objet d’appels d’offres, gérés par Ile-de-France Mobilités, l’autorité publique d’organisation des transports, administrée par la présidente de région Valérie Pécresse.

 Pour remporter ces appels d’offres, les sociétés comme Keolis jouent la carte du moins-disant social et rognent sur les coûts salariaux. Les chauffeurs de Céobus à Magny-en-Vexin, par exemple, ont été rachetés par Transdev Vexin. Depuis, « on a perdu 500 euros sur nos feuilles de salaire », témoignait Hafed Guerram, délégué syndical CGT, auprès du Parisien, fin 2021. Les salariés de Transdev en Seine-et-Marne avaient déjà sonné l’alarme. De septembre à fin octobre 2021, ces derniers avaient maintenu un bras-de-fer avec leur direction et Ile-de-France Mobilités, contre les nouveaux accords dégradant leurs conditions de travail. Ces réseaux de bus de moyenne et grande couronne vont être ainsi rachetés jusqu’en 2024.

 L’ouverture à la concurrence arrive à la RATP

 En 2025, la direction de la RATP, qui gère Paris et sa petite couronne, va à son tour lancer l’ouverture à la concurrence. Le groupe se prépare déjà à cet horizon : fin 2021, la direction a dénoncé les accords sur les conditions de travail des machinistes-receveurs (conducteurs). Tout le réseau de surface, c’est-à-dire les bus et les tramways, est concerné ; un délai légal de 15 mois est prévu entre la dénonciation d’un accord et la mise en place d’un nouveau. L’organisation et la rémunération du travail changent, aboutissant entre autres à « l’augmentation du temps de travail de 190 heures par an », ou encore à « l’augmentation de 30 % du nombre de services en deux fois en semaine », détaillait alors Jean-Christophe Delprat, de FO RATP, auprès de Rapports de Force.

Le réseau historique de la RATP va, à terme, être découpé en une douzaine de lots. Un appel d’offres régira chacun d’entre eux. Pour y répondre, la RATP compte de son côté créer des filiales privées, sortes de petites entreprises, pour chaque centre-bus. « Il n’y aura plus du tout de conditions de travail harmonisées, quand bien même les futurs lots dépendront de la même convention collective », nous expliquait ainsi Vincent Gautheron, secrétaire de l’union syndicale CGT RATP.

Pour rappel, « l’ouverture à la concurrence n’a jamais été une obligation légale », précisait Vincent Gautheron. « La loi autorisait à garder une sorte de monopole public. À condition de créer une entreprise ayant pour seule et unique mission de réaliser l’offre de service public, sans conquérir de nouveaux marchés extérieurs. » Ce qui n’a pas été le choix politique d’Ile-de-France Mobilités.

publié le 15 septembre 2023

Troisième site en grève
chez Emmaüs dans le Nord :
les salariés et les compagnons unis

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr

Depuis le 12 septembre, la totalité des compagnons sans-papiers d’Emmaüs à Tourcoing sont en grève. L’entrepôt et le magasin ne tournent plus. Comme à Saint-André-Lez-Lille et à Grande-Synthe, où les compagnons ont cessé le travail depuis des semaines, ils demandent la régularisation et l’obtention d’un contrat de travail. Cette fois, les salariés du site les ont rejoints.

 Installée sur un transat de toile, le dos tourné à l’immense entrepôt Emmaüs de la rue d’Hondschoote, à Tourcoing, Marlène se repose enfin. Ce mardi 12 septembre au matin, c’est la grève, elle n’aura pas à décharger, trier et entasser. « Il faut imaginer la température qu’il fait là-dedans, quand c’est l’hiver, quand il neige. On a froid, c’est un travail difficile », raconte la jeune mère. Venue du Gabon en 2015 pour ses études, elle est diplômée d’un DUT en génie électrique. Malgré les stages, elle ne parvient pas à obtenir de contrat de travail et la régularisation qui va avec. Alors, depuis deux ans, elle est compagnonne chez Emmaüs… et demande un titre de séjour « vie privée et familiale ». « Mais si je suis ici aujourd’hui, c’est surtout pour soutenir les autres. Ils travaillent dur. Pendant le Covid, ils ont fabriqué des visières de protection pour les hôpitaux. Ils ont même été récompensés par la mairie, jamais régularisés. »

A quelques mètres de Marlène : Karim. C’est le cuistot du groupe. Tous les jours, il assure le repas pour la quarantaine de compagnons hébergés par Emmaüs Tourcoing. Mais aujourd’hui, c’est détente, l’UL CGT de Tourcoing se charge du barbecue. « Ça fait cinq ans que je suis en France, trois ans à Emmaüs. J’ai fait des stages en électroménager chez Boulanger, je suis déclaré à l’URSSAF, j’ai passé le B1 [ndlr : niveau de langue] en français…», récite l’Algérien. Il montre avec ses mains : « A la préfecture, j’ai un dossier gros comme ça. Pourtant tout ce que j’ai réussi à avoir, c’est une OQTF [ndlr : obligation de quitter le territoire français] ».

La « promesse » d’Emmaüs

Algériens, Géorgiens, Gabonais, Camerounais, Marocains, Tunisiens, Albannais… Cela  fait 3, 5, parfois 8 ans qu’ils travaillent pour Emmaüs, qu’ils ont l’impression de « tout bien faire » et qu’ils attendent une régularisation qui ne vient pas. Un sentiment exprimé par les 36 compagnons entrés en grève ce 12 septembre à Emmaüs Tourcoing. Mais aussi par ceux des deux autres Emmaüs du département du Nord, mis à l’arrêt avant eux : Saint-André-Lez-Lille, en grève depuis 76 jours ; Grande-Synthe, depuis 24 jours. Tous dénoncent « la promesse d’Emmaüs » : obtenir leur régularisation au bout de trois années consécutives de travail au sein de la communauté.

 De fait, la loi immigration du 10 septembre 2018 donne la possibilité aux compagnons sans-papiers d’Emmaüs d’obtenir une carte de séjour sur la base de trois années d’expérience au sein des communautés. Mais, un an et demi après l’entrée en vigueur des textes, Emmaüs France a pu constater que cela n’avait rien d’automatique et différait en fonction des préfectures, rappelle le Gisti. « Les dossiers, on les dépose ! Mais ça fait deux ans qu’il n’y a plus de régularisations ! », confirme Marie-Charlotte. Assistante sociale à Emmaüs Tourcoing depuis 5 ans et demi, elle est entrée en grève ce 12 septembre, tout comme les 4 autres employés en CDI et 10 des 17 CDD d’insertion (CDDI) du site. Sur les trois Emmaüs du Nord en lutte, c’est la première fois que les salariés s’associent aux compagnons.

 Les salariés également en grève à Emmaüs Tourcoing

« On est là pour soutenir les compagnons, mais nous avons aussi des revendications propres », rappelle Marie-Charlotte. Pour les employés, la première d’entre elles demeure l’embauche d’un directeur à Emmaüs Tourcoing. « Depuis neuf mois, nous n’avons plus personne à la tête du site. L’ancien est parti après un burn out. C’est devenu ingérable et les compagnons sont les premiers à en faire les frais », continue l’assistante sociale. Alicia, employée en CDDI, confirme : « Quand je vois les conditions dans lesquelles travaillent les compagnons, j’ai honte. Il y a une invasion de rats dans les hébergements, depuis trois semaines, la salle de pause a été transposée dans une réserve… Je vous le demande : est-ce que c’est normal ? », interpelle la jeune femme.

A cela s’ajoutent les mauvaises conditions de travail de ces salariés en insertion. « Nous n’avons pas de convention collective, nous travaillons le dimanche et nous sommes payés en dessous du SMIC ! », poursuit-elle. Alors que le SMIC, indexé sur l’inflation, est aujourd’hui de 1383€ mensuels net, cette salariée serait payée 1280€ si elle était à temps plein.

 Les compagnons, bénévoles ou salariés ?

 Quant aux compagnons d’Emmaüs, ils sont rémunérés via une allocation communautaire d’environ 350€, mais ne sont pas salariés. Ils n’ont pas de contrat de travail et pas la possibilité non plus de passer par la case prud’hommes. Pour autant, le statut des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires (OACAS), duquel dépend Emmaüs, leur « permet » de travailler jusqu’à 40 heures par semaine.

Reste que dans la mesure où ce public est particulièrement précaire, qu’il loge sur place et qu’il espère obtenir une régularisation par le biais d’Emmaüs, cette permission se transforme bien souvent en obligation, voire en contrat tacite. « C’est de l’exploitation, tout simplement », juge Mohammed, compagnon à Emmaüs Tourcoing depuis 8 ans et responsable d’un magasin.

Aussi, les grévistes de Tourcoing, comme ceux de Grande-Synthe et de Saint-André avant eux, demandent « la requalification en contrats salariés des statuts de “bénévoles” (étant entendu qu’on ne peut être bénévoles 40 heures par semaine pendant des années », souligne l’Union locale CGT de Tourcoing dans un communiqué. « Il y a d’autres Emmaüs où les compagnons finissent par être embauchés. Ici on nous dit qu’il faut aller ailleurs. Pourquoi ? », s’interroge Mohammed. Évidemment, la reconnaissance du statut des personnes accueillies dans les OACAS, comme étant un « contrat de travail », remettrait complètement en cause le fonctionnement national d’Emmaüs.

 Grève Emmaüs : les réactions des directions

 Emmaüs étant constitué d’associations indépendantes avec leurs propres conseils d’administration et leurs propres bureaux, chaque site en grève tente de trouver ses propres solutions. Selon la Voix du Nord, l’administration d’Emmaüs Tourcoing a proposé une augmentation de quelques dizaines d’euros de l’allocation communautaire ainsi qu’une médiation. A Grande-Synthe, la direction a une autre stratégie, et menace d’expulser les grévistes de leur lieu d’hébergement.

A Saint-André-Lez-Lille, premier site en grève, une enquête a été ouverte par le parquet de Lille pour « traite d’êtres humains » et « travail dissimulé » suite à un article de Streetpress. La directrice de cette communauté ne déclarait même pas ses compagnons à l’URSSAF.

  publié le 17 juillet 2023

Marche contre les violences policières  : «Nous refusons d’obtempérer
face au racisme »

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

En interdisant coup sur coup les deux principales mobilisations contre les violences policières à Paris, le gouvernement entend, selon une coordination nationale, réduire au silence les proches de victimes. Malgré cette répression, la mobilisation s’étoffe encore.

Rebelote. Une semaine après celles de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) et de la place de la République à Paris, qui a eu lieu malgré tout, mais s’est soldée par une forme de vendetta de la Brav-M – elle a interpellé très brutalement et molesté Yssoufou Traoré, frère d’Adama, tué après une interpellation par des gendarmes en 2016 –, un défilé contre les violences policières était à nouveau interdit, ce samedi 15 juillet, sur la place de la République…

Sur injonction directe de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, la préfecture de police de la capitale a pris un nouvel arrêté d’interdiction contre l’appel de la Coordination nationale contre les violences policières – rassemblant de nombreux collectifs de familles et de proches de jeunes gens tués par des policiers.

Un appel pourtant soutenu par une centaine d’associations (LDH, Attac, Amnesty International, etc.) d’organisations syndicales (CGT, FSU, Solidaires et Unef) et politiques (FI, EELV et NPA). Et le tribunal administratif a validé, sans moufter, cette suspension des libertés d’expression et de manifestation.

« Darmanin nous inflige une double peine : après la mort de nos proches, il s’agit de nous invisibiliser, de nous réduire au silence »

De quoi susciter une bronca chez les organisateurs, qui avaient convoqué la presse, à quelques pas de la place de la République. « Nous étions pourtant allés très loin dans la conciliation en proposant de nous contenter d’un simple rassemblement, mais le gouvernement n’a rien voulu savoir, dénonce Omar Slaouti, l’un des porte-parole de cette coordination. C’est une double peine que Darmanin nous inflige : après la mort de nos proches, il s’agit de nous invisibiliser, de nous réduire au silence, alors que, pour des raisons que chacun comprendra aisément, il n’est pas question d’aller à la confrontation avec la police avec notre coordination qui rassemble des enfants, des parents et des grands-parents. »

Avant de se replier pour un meeting dans un gymnase, plein comme un œuf, du XX e arrondissement, ouvert en urgence pour l’événement par la mairie, une dizaine de représentants des collectifs témoignent devant les journalistes.

Sur les pancartes, ils réclament l’interdiction des techniques d’interpellation les plus dangereuses et même létales qui sont, pour certaines, interdites dans les pays européens ou aux États-Unis : plaquage ventral, clé d’étranglement, « pliage », etc.

À travers leurs récits, beaucoup dénoncent un traitement post-mortem indigne des victimes de violences policières. « Mon frère a été lynché par la police, puis il a été déshumanisé par l’institution judiciaire », dénonce ainsi Fatou Dieng, sœur de Lamine Dieng, mort au cours d’une interpellation en 2007 à Paris.

En plus de la suppression de l’IGPN, qui doit, selon eux, être remplacée par une « instance de contrôle indépendante de la police », tous réclament en chœur l’abrogation immédiate de l’article L. 435.1 du Code de sécurité intérieure, introduit dans la loi de 2017 par Bernard Cazeneuve et qui permet aux agents de police et aux gendarmes d’utiliser leurs armes à feu notamment dans les cas de refus d’obtempérer. « Nous refusons d’obtempérer face au racisme de la police et du gouvernement », retourne Issam El Khalfaoui, le père de Souheil, abattu par un policier en 2021 à Marseille.

 

publié le 13 juillet 2023

14 juillet :
« Notre fête nationale célèbre une émeute »

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Éric Vuillard, auteur de 14 Juillet et de la Guerre des pauvres, en appelle au legs de la Révolution française et des Lumières pour affronter une époque d’accroissement sans précédent des inégalités et de concentration du pouvoir et des richesses.


 

Le 14 Juillet n’est plus qu’un défilé militaire. Comment la commémoration de cet événement fondateur a-t-elle fini par le vider de toute substance politique, par gommer son caractère révolutionnaire ?

Éric Vuillard : Notre fête nationale célèbre une émeute. C’est un événement que les élites, tout au long du XIXe siècle, n’ont pas réussi à effacer, et qu’il est en quelque façon impossible de commémorer.

Le 14 Juillet qui se prépare est une fiction. Le ministère des Armées annonce que le slogan du défilé militaire de cette année est « Nos forces morales », vaste programme ! En réponse aux ­récentes émeutes, madame Borne promet « des moyens massifs pour protéger les Français ». On évoque même un décret interdisant les feux d’artifice, les Nîmois auront droit à un spectacle de drones, ce qui laisse rêveur.

Il est tout à fait improbable qu’une seule personne parvienne à entr’apercevoir, serait-ce même une caricature de la Révolution française, à travers une poignée de canons Caesar, un déploiement exceptionnel des forces de l’ordre autour des quartiers populaires, et un discours du chef de l’État.

Tout cela fait partie d’une représentation illusoire, postiche. Nous aurons donc un 14 Juillet officiellement contre le peuple, contre les banlieues. Un 14 Juillet pour vendre quelques rafales supplémentaires à l’Inde, nos fameuses « forces morales ».

Dans votre récit  14 Juillet, vous parlez des événements qui ont conduit à la prise de la Bastille comme d’une « émeute » dans laquelle vous vous fondez pour raconter « le grand nombre anonyme qui fut victorieux ce jour-là ». Sous votre plume, ce terme d’émeute n’a rien de dépréciatif. Qu’est-ce qui distingue l’émeute de la révolte, du soulèvement, de l’insurrection ?

Éric Vuillard : Le passage célèbre des Misérables où Hugo, dans un grand moment de prose exaltée, passe en revue ces termes, est sans doute ce qu’on a fait de mieux. Au-delà de toutes distinctions, son lyrisme établit un continuum, il définit l’émeute, réputée aveugle, ignorante de ses causes et de ses désirs, comme le premier pas vers un mouvement révolutionnaire, il se refuse à la disqualifier.

Il en fait une vérité abrupte, raboteuse, mais impérissable, qui revient sans cesse, contre un impôt scélérat, ou une énième violence de l’État. Elle est la réfutation spontanée, récurrente de ce qui opprime, une menace à l’ordre établi.

Ainsi, ne peut-on pas voir dans le soulèvement de ceux qu’offusque la mort d’un jeune homme, un chapitre déchirant de cette sourde douleur qui traverse la vie sociale ?

Et ne peut-on pas voir dans le fait que la plupart des personnes arrêtées étaient « sans antécédents judiciaires », non seulement un démenti flagrant de ceux qui attisent le mépris social, mais le signe d’une colère qu’il n’est pas indigne de partager ?

Votre livre s’ouvre sur le saccage de la folie Titon, une riche maison de plaisance : « La révolution commença ainsi : on pilla la belle demeure, on brisa les vitres (…). Tout fut cassé, détruit », écrivez-vous. Comment lisez-vous les pillages qui ont accompagné l’explosion de colère dans les banlieues, après la mort du jeune Nahel abattu par un policier à Nanterre ?

Éric Vuillard : À Tours, où je vis, deux personnes ont été interpellées et placées en garde à vue pour le pillage d’un Lidl. Ce sont des personnes de plus de 60 ans. On a retrouvé chez eux du dentifrice, de la mousse à raser, du gel douche, des boîtes de corned-beef, deux grille-pain et une machine à glaçons.

Ils ont déclaré que c’était pour leur famille, ils n’étaient jusque-là « pas connus de la justice ». Dans une période de chômage de masse, d’inflation aiguë sur les produits de première nécessité, dans un monde sans perspective d’émancipation, un Lidl, du corned-beef, du dentifrice, un grille-pain, de la part de retraités sans casier judiciaire, cela s’appelle les émeutes de la faim.

Le portrait que vous brossez de la France de 1789 entre en résonance avec notre présent d’inégalités : « Beaucoup de Parisiens ont à peine de quoi acheter du pain. Un journalier gagne six sous par jour, un pain de quatre livres en vaut quinze. Mais le pays, lui, n’est pas pauvre. Il s’est même enrichi. Le profit colonial, industriel, minier a permis à toute une bourgeoisie de prospérer. Et puis les riches paient peu d’impôts ; l’État est presque ruiné, mais les rentiers ne sont pas à plaindre. Ce sont les salariés qui triment pour rien (…). » Où se situe le point de rupture ?

Éric Vuillard : Nous vivons une époque sans précédent d’accroissement des inégalités, de concentration du pouvoir entre quelques mains, et la domination d’un petit groupe de privilégiés est sur le point de devenir mondiale. Nous assistons à une régression idéologique d’avant les Lumières. C’est pourquoi, dans le contexte où nous sommes, la pensée des Lumières redevient une ligne de défense. Contre les tenants hypocrites de Machiavel, il faut s’en tenir à Montesquieu et à Rousseau.

Le discours critique à l’égard des Lumières, qui était jadis émancipateur et souhaitait aller au-delà des exigences trop formelles des philosophes, doit aujourd’hui se raviser ; il faut défendre ces exigences formelles, puisqu’elles sont à présent menacées.

Puisque le contrôle continu et le grand oral ont remplacé la procédure anonyme du bac, ce n’est plus l’hypocrisie relative de la procédure anonyme qui doit être dénoncée avec Bourdieu, il faut lutter pour le retour de l’anonymat, qui fut la meilleure parade contre le règne sans partage des fils de famille.

Et puisque l’on peut condamner en comparution immédiate trois cent quatre-vingts personnes en à peine quelques jours et qu’il faudra des années pour juger le policier qui a tué Nahel, on voit bien que la simple égalité devant la loi devient de nouveau un enjeu.

Un syndicat de police en appelait ces jours-ci à la « guerre » contre les « nuisibles », les « hordes sauvages ».  La dimension raciste de cette déclaration est manifeste. Mais ces mots ne trahissent-ils pas, aussi, la vieille hantise des classes dangereuses ? On pense à Flaubert tenant les communards pour de « piètres monstres » et accusant la capitale insurgée de « dépasser le Dahomey en férocité et en bêtise ».

En un sens, la provocation de ce syndicat de police traduit une réalité, ne sommes-nous pas en guerre civile ? Les puissants ne sont-ils pas en guerre contre la majorité des gens, Bolloré ne cherche-t-il pas à s’approprier toute la chaîne du savoir : la presse, l’édition et maintenant les librairies ?

Et lorsque, après quelques jours d’émeute, le président de la République évoque comme « pistes de réflexion », alors que le tir à bout portant d’un policier a tué un jeune garçon, la suspension des réseaux sociaux et la sanction des parents irresponsables à ses yeux, ce sont bien des menaces réelles, menaces de censure, d’amende et de prison ; n’est-ce pas une guerre civile larvée qui est ici menée, une violence qui ne dit pas son nom ?

Et, pour reprendre le titre de Victor Hugo, qui est désormais celui de Ladj Ly et de toutes les banlieues françaises : les menaces du président de la République sont directement adressées aux Misérables.

Les classes dominantes ont substitué à l’idéal égalitaire de la Révolution française de brumeuses promesses d’« équité », d’« égalité des chances ». Comment ce principe d’égalité pourrait-il encore charpenter une politique d’émancipation ?

Éric Vuillard : Dans une période aussi rétrograde, toutes les luttes égalitaires sont bonnes à prendre. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le cœur du dispositif inégalitaire : la clé de répartition des richesses.

Au soir du 14 juillet, trente mille personnes des faubourgs ouvriers sont en armes, c’est sans précédent ; l’armée du roi incapable de tenir Paris, cela restructure les consciences. On se plaît à nous répéter que les gens d’aujourd’hui seraient trop dépolitisés, et ceux-là mêmes qui sont les plus réfractaires à tout changement font comme s’ils déploraient cette apathie populaire ! Mais ce qui m’a le plus frappé en travaillant sur le 14 Juillet, c’est la rapidité à laquelle chacun se politise.

Ainsi, un type se trouve du côté de Belleville le 12 juillet, des jeunes gens gueulent dans la rue et exigent qu’il hurle « Vive le tiers État ! », il refuse, demande ce que c’est que le tiers État, on lui répond : « Ce sont les pauvres ouvriers comme nous. » Deux jours plus tard, l’homme participe à la prise de la Bastille, quatre ans plus tard, il est général de la Convention.

 

Entre 1935 et 1936, les effectifs de la CGT sont multipliés par cinq en quelques mois. Et puisque ni les 40 heures ni les congés payés ne figuraient au programme du Front populaire, c’est avant tout de l’affrontement que cette politique d’émancipation est venue.

Selon une loi élémentaire de la physique sociale, on peut à coup sûr parier qu’un conflit d’une intensité plus forte eut encore permis de nouveaux progrès.

À la fin de La Guerre des pauvres, vous écrivez : « Le martyre est un piège pour ceux que l’on opprime, seule est souhaitable la victoire. Je la raconterai. » À quoi pourrait ressembler la victoire ?

Éric Vuillard : Il est curieux de constater combien les heureux du monde, pour emprunter l’ironique expression d’Edith Wharton, font l’éloge de la défaite, de la modestie qu’elle encourage, de ce qu’elle est censée nous apprendre.

Cette complaisance, à la fois paradoxale et banale, chez ceux qui souffrent le moins des rigueurs de la vie sociale, doit être repoussée. Oui, la victoire est souhaitable et possible.

Dans son fameux  Discours de la servitude volontaire, La Boétie se demandait comment il se fait, nous qui sommes si nombreux, que nous acceptions d’être dirigés par un seul, ou, ce qui revient au même, par un petit groupe de privilégiés. Depuis 1789, nous savons qu’en réalité, nous ne l’acceptons pas.

Si j’ignore à quoi pourrait ressembler la victoire, puisqu’un événement de cette ampleur reconfigurerait l’ensemble de la vie sociale, nous savons néanmoins tous, par les leçons de l’histoire moderne, que le jaillissement de l’événement nous surprendra, que sa forme nous déroutera, qu’il dissipera, serait-ce pour un temps, le brouillard de nos consciences.

Ainsi des gilets jaunes ; on les imaginait autrement, sans drapeaux français, sans  Marseillaise, sans ronds-points. Ce sont pourtant des gens bien réels, pas des petits bonshommes de papier qui, entre deux coups de Flash-Ball, ont écrit sur l’Arc de triomphe : « Les gilets jaunes triompheront ».

C’est pourquoi j’écris à la fin de mon petit livre que je la raconterai, après coup. Les soulèvements ne sont pas des créations littéraires


 


 

La Fête nationale défigurée

Sébastien Crépel sur www.humanite.fr

Les Français qui ont pris la Bastille sans demander l’autorisation des puissants, il y a 234 ans, mériteraient-ils de célébrer la Fête nationale cette année ? La question peut se poser, à l’heure où certains s’arrogent le droit de décider qui fait partie de la République et qui n’en est pas, dans une version dénaturée de cette grande œuvre du peuple de France. La gauche, héritière de Jean Jaurès qui n’a eu de cesse de se battre pour la construire et l’approfondir, est sur le point d’être excommuniée par le nouveau parti de l’ordre, rassemblant les élites « modérées » jusqu’aux droites extrêmes.

Profitant de l’exacerbation des tensions qui a suivi la mort de Nahel à Nanterre, certains poussent leur avantage en prétendant trier les « vrais » et les « faux » Français. De LR au RN, on traite les quartiers populaires comme une 5e colonne, tandis qu’est déniée, dans un langage qui n’a rien à envier au pire répertoire fasciste, l’appartenance à la nation de jeunes Français nés en France révoltés par les exactions de la police. En se servant de la figure de « l’émeutier » comme d’un repoussoir, les nouveaux Tartuffe cherchent à escamoter les clivages de classe pour fédérer le patron comme l’ouvrier des campagnes, le bourgeois des beaux quartiers et le travailleur précaire des cités, chacun étant mis en demeure de choisir son camp : qui n’est pas pour le « retour à l’ordre » est forcément complice du feu et du chaos.

On mesure la dérive idéologique de la droite quand on réécoute les paroles de Jacques Chirac après l’embrasement des cités de 2005 : « Je veux dire aux enfants des quartiers difficiles, quelles que soient leurs origines, qu’ils sont tous les filles et les fils de la République. » Ces mots d’un président qui n’avait pourtant rien de gauche – et qui ne les a nullement traduits en actes par la suite – lui vaudraient sûrement aujourd’hui un procès en trahison de la part de ses héritiers politiques. Emmanuel Macron s’honorerait pourtant à reprendre ces paroles à son compte, ce 14 Juillet, s’il ne veut pas d’une Fête nationale défigurée par les divisions et la haine qu’on attise jusque dans son camp.


 


 

Quartiers populaires : 
les oubliés du bal du 14 Juillet

Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr

La France célébrera, ce vendredi, une fête nationale synonyme de chute de l’Ancien Régime et d’acte de naissance de la République. Mais la promesse républicaine demeure ce grand inachevé, comme en témoigne le soulèvement des quartiers populaires.

Il plane sur ce 14 juillet 2023 une sale odeur de poudre et les mèches des feux d’artifice n’y sont pour rien. La France s’apprête à célébrer en grande pompe la République et la nation, tandis qu’une partie de sa population, coupable d’avoir laissé sa colère exploser après la mise à mort d’un adolescent, est accusée de toutes les sécessions.

Sur les Champs-Élysées, si près et en même temps si loin de Nanterre où un policier a tiré sur Nahel, ce sera, vendredi, le grand raout des régiments qui marchent au pas, de la République en bon ordre, des insignes et des flonflons. À la tribune officielle, Emmanuel Macron recevra en majesté le premier ministre indien, l’ultranationaliste hindou Narendra Modi, soucieux qu’il reparte à New Delhi avec, dans sa valise, 26 avions Rafale achetés au groupe Dassault. Étrange spectacle que celui de la déconnexion entre la célébration et l’objet célébré…

« Le 14 Juillet, dans nos banlieues, c’est au mieux un folklore national »

A-t-on perdu le sens du 14 Juillet ? On y marque le coup de la prise de la Bastille, des « tyrans descendus au cercueil », de l’effervescence politique révolutionnaire et de la démocratie comme horizon pour tous. Vraiment pour tous ?

La promesse sonne désormais comme une trahison, dans les quartiers populaires. « Le 14 Juillet, dans nos banlieues, c’est au mieux un folklore national, soupire Philippe Rio, maire PCF de Grigny (Essonne). La promesse républicaine n’est plus tenue depuis bien longtemps, ça relève davantage de la fable du père Noël. Elle est censée s’incarner dans le triptyque liberté-égalité-fraternité, or les habitants sont, au contraire, très conscients des inégalités, de la discrimination, des injustices. La République, pour eux, c’est ça. »

C’est qu’il ne suffit pas de psalmodier « République » et « arc républicain » tous les quatre matins sur les plateaux télé de Paris pour que l’idée prenne corps. Encore faut-il lui donner une contenance. L’égalité est gravée en lettres d’or sur le fronton des mairies mais, en Seine-Saint-Denis, on vit en moyenne quatre ans de moins que dans le département voisin des Hauts-de-Seine, le plus riche de France.

La désertification des services publics ronge tout le pays, mais les banlieues pauvres sont particulièrement mal servies : il y a cinq fois plus de bureaux de poste à Neuilly-sur-Seine qu’à Saint-Denis, pour une population deux fois plus nombreuse. Dans les immeubles haussmanniens chics du « 92 », des concierges plus ou moins affables veillent à la tranquillité des bourgeois. Dans le « 93 », l’ascenseur en panne depuis plusieurs mois pourrit le quotidien d’une tour de douze étages. 45 % des moins de 25 ans sont au chômage, dans les quartiers dits « politique de la ville ».

Au pied des cités, la République revêt bien trop souvent l’uniforme et la matraque

Au pied des cités, la République revêt bien trop souvent l’uniforme et la matraque. Les témoignages sur les petites humiliations policières, le contrôle au faciès, les insultes sont nombreux.

L’idée que les « flics assassins » ne sont jamais condamnés est largement partagée , alors que la justice – pour Zyed et Bouna, pour Adama, pour Nahel – est au cœur de toutes les revendications. «  Dans les faits, il y a une impunité judiciaire presque complète pour ces policiers, explique Yassine Bouzrou, avocat de la famille de Nahel, dans le Monde. La justice n’a jamais été aussi radicale dans l’exonération des policiers. »

Elle contraste avec les comparutions immédiates et les sanctions délivrées à rythme industriel pour les jeunes pris lors des pillages. « Le seul »dialogue« qui s’instaure entre l’État et les habitants, c’est souvent la répression », résume Lauren Lolo.

La jeune femme, cofondatrice de l’association Cité des chances, milite pour que les banlieues s’intéressent à la politique. Une gageure : « Il y a une grosse méfiance, beaucoup de »tous pourris« , mais aussi de la méconnaissance sur qui gère quoi… On leur a tellement répété que ce n’était pas leur affaire, voire pas leur pays quand ils sont racisés, que certains ont fini par y croire. »

La stigmatisation se déverse par tous les canaux médiatiques

La devise républicaine a bon dos quand la stigmatisation se déverse par tous les canaux médiatiques. On y crée des « sous-Français », des « pas-comme-nous ». « Les émeutiers, vous allez me dire qu’ils sont français. Oui, mais comment Français ? » s’interroge la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, quand son président de groupe Bruno Retailleau évoque sans sourciller « une régression » des immigrés « vers leurs origines ethniques ». 

Valeurs actuelles déclare les banlieues en « sécession », Paris Match noircit ses pages de « casseurs pilleurs qui mettent la France à feu et à sang ». Le RN parle de « Français de papier », de « nationalité faciale », relance le débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux.

Lauren Lolo en mesure les conséquences sur le terrain : « Les banlieues sont tellement stigmatisées, qu’a fini par s’y développer l’idée qu’il faudra se débrouiller sans l’État, sans la République. D’où tous ces discours d’apologie de l’autoentreprise, très start-up nation, qui marchent bien dans les quartiers. »

La combine est connue : plus un service public se dégrade, plus le discours pro-intérêts privés gagne du terrain. Quitte à éroder un peu plus la confiance. « Aujourd’hui, le citoyen français, a fortiori dans les banlieues populaires, se méfie des politiques, de la police et de la justice, évalue Philippe Rio. Plus vous lui parlez de République, moins il vous croit. La maison République est à rénover de fond en comble, pour retrouver le sens de notre devise et du 14 Juillet. »

Certaines banlieues n’auront d’ailleurs même pas le droit au folklore. À Sartrouville (Yvelines), le maire LR Pierre Fond a décidé d’annuler le spectacle traditionnel de la fête nationale. « Je ne suis pas un amuseur public », se défend l’élu, qui préfère voir « les forces de l’ordre prêtes à se projeter sur des violences potentielles » plutôt qu’à sécuriser les festivités. Mêmes décisions dans d’autres villes franciliennes, comme Chelles, Dammarie-les-Lys, Bussy-Saint-Georges, Claye-Souilly, Vaires-sur-Marne ou encore Jouy-le-Moutier. Histoire de rajouter de l’exclusion à l’exclusion. Le gouvernement veille : en tout, 130 000 policiers et gendarmes seront déployés dans le pays.

publié le 12 juillet 2023

Syndicats et patronat convoqués à Matignon :
ce qui peut en sortir

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

À Matignon, Élisabeth Borne reçoit syndicats et patronat ce mercredi 12 juillet. Si la première ministre espère tourner définitivement la page de la réforme des retraites, les syndicats comptent imposer leur agenda social.

La date est cruciale pour les syndicats, le patronat et l’exécutif. Les trois acteurs du «  pacte de la vie au travail » voulu par Emmanuel Macron doivent se rencontrer mercredi 12 juillet, soit un peu plus d’un mois après la dernière manifestation contre la réforme des retraites, mais surtout seulement deux jours avant la fin des « 100 jours d’apaisement » décrétés par le président de la République.

Cette réunion intervient également au moment où la perspective d’un remaniement occupe tous les esprits, et où le poste de chef du gouvernement est convoité par Gérald Darmanin, malgré ses fiascos à répétition. Si les syndicats vont essayer d’empêcher la page « réforme des retraites » de se refermer, ils vont surtout tenter de faire avancer leur propre agenda social.

Les cinq organisations syndicales représentatives (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et les trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) rencontrent à partir de 10 heures la première ministre Élisabeth Borne, mais aussi le ministre du travail Olivier Dussopt. Deux nouveaux venus feront leur apparition : la nouvelle secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon, et le futur président du Medef Patrick Martin.

« Après la débâcle des 100 jours, il faut changer de cap ! »

« Après la débâcle des 100 jours, il faut changer de cap ! », affirme, dans un communiqué, la CGT qui assure de sa volonté de rappeler son opposition à la réforme des retraites. Cependant, contrairement aux précédentes rencontres avec l’exécutif, la suite des discussions ne sera pas soumise à l’issue des débats sur le sujet.

Le syndicat et sa secrétaire générale Sophie Binet prévoit d’aborder la réforme du RSA et de l’assurance chômage, la loi « plein-emploi  », le rôle de la police, les quartiers populaires, mais aussi le démantèlement du Fret ferroviaire et la situation de l’entreprise MG Valdunes ou celle des salariés de l’entreprise de logistique Sonelog.

Sur France Inter, Sophie Binet affirme également vouloir discuter de la situation au JDD, en grève depuis plusieurs semaines depuis l’annonce de l’arrivée du journaliste d’extrême droite Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction.

La question du salaire est « taboue » pour le gouvernement, a aussi fustigé la secrétaire générale de la CGT  sur France 2 la veille de la rencontre. Le mardi 11 juillet, la CGT avait déjà communiqué ses 100 «  mesures immédiates pour protéger et améliorer la vie des salarié.es  » construites autour de cinq axes : salaire, retraite, démocratie sociale, chômage et égalité femmes/hommes.

Borne fait les yeux doux au patronat

De son côté, Matignon explique que «  la première ministre aura l’occasion de saluer le travail des partenaires sociaux, de confirmer (…) l’engagement de transposer (dans la loi) les accords qui pourraient être trouvés » entre patronat et syndicats.

Sur son compte Twitter, Élisabeth Borne, après avoir remercié Geoffroy Roux de Bézieux «  pour son engagement » et félicité Patrick Martin «  pour son élection à la tête du Medef », promet de recevoir «  les partenaires sociaux pour bâtir ensemble un nouveau pacte de la vie au travail ».

Matignon a toutefois déjà annoncé sa réticence face aux revendications salariales, soulignant que le sujet pourrait revenir dans les discussions internes entre patronat et syndicats, en marge du «  volet déroulé de carrière et parcours professionnels ».

Le mercredi 12 juillet au matin, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, affirmait au micro de Franceinfo qu'il s'agissait d'« un jour important dans l'histoire social contemporaine de notre pays ». L'ancien ministre de la Santé, en reprenant les éléments de langage du gouvernement et du président de la République, promet que « ce qui va se nouer, ce sont les prémices d'un véritable pacte de la vie au travail ».

Les syndicats, la CGT de Sophie Binet en tête, réclament depuis plusieurs semaines une rencontre avec Emmanuel Macron. Olivier Véran reste évasif : « Personne ne dit qu'il n'y aura pas à un moment donné une rencontre ». À propos d'un éventuel remaniement, le porte-parole du gouvernement affirme que le gouvernement « ne réfléchit pas à la question ».


 


 

Matignon : après la débâcle des 100 jours,
il faut changer de cap !

 Communiqué CGT sur http://r.servicepresse.cgt.fr

La CGT affirmera et rappellera, en premier lieu, son opposition à la réforme des retraites qui s’appliquera, dès le 1er septembre, dans des conditions catastrophiques pour des millions de Françaises et Français. Nous dénonçons l’application de cette réforme, à marche forcée, et nous exigeons l’abrogation de la réforme.

La CGT affirmera et rappellera, en premier lieu, son opposition à la réforme des retraites qui s’appliquera, dès le 1er septembre, dans des conditions catastrophiques pour des millions de Françaises et Français. Nous dénonçons l’application de cette réforme, à marche forcée, et nous exigeons l’abrogation de la réforme.

Ce rendez-vous sera, aussi, l’occasion pour la CGT d’aborder plusieurs dossiers extrêmement inquiétants et urgents :

le démantèlement du FRET ferroviaire et la situation de l’entreprise MG Valdunes (fabriquant de roues de train) qui menace des milliers d’emploi, à contresens des besoins sociaux et environnementaux de notre société ;

la situation des salarié·es de l’entreprise de logistique Sonelog, au Pontet (84), dont le délégué syndical et 10 salarié·es grévistes ont été licenciés pour avoir fait grève ;

l’arrivée d’un rédacteur en chef d’extrême droite à la tête du JDD - dont les salarié·es sont en grève depuis plus de 3 semaines - qui menace l’indépendance juridique et éditoriale de leur journal. Le gouvernement doit conditionner les aides à la presse et renforcer la loi pour garantir l’indépendance de la presse.

Enfin, et surtout, la CGT portera les priorités des travailleurs et travailleuses. Dans un contexte où l’inflation atteint des records, les questions des salaires, de protection sociale ou encore d’égalité salariale sont complètements invisibilisées par le gouvernement et le patronat.

C’est pourquoi la CGT publie, aujourd’hui, ses 100 propositions pour protéger et améliorer la vie des salarié·es.

Ces propositions sont construites autour de 5 axes prioritaires :

les salaires pour lesquels la CGT demande l’indexation des salaires sur l’inflation, la revalorisation du Smic à 2000 euros pour faire face à l’inflation et un conditionnement des aides publiques aux entreprises à un avis conforme du CSE ;

• les retraites avec notamment : la négociation des retraites complémentaires AGIRC-ARRCO, les départs anticipés pour pénibilité et l’aménagement des fins de carrières ;

la démocratie sociale dont : les questions de libertés syndicales, les moyens alloués aux représentant·es du personnel pour revenir sur les « ordonnances Macron » ;

le chômage avec la remise en cause des violentes réformes du gouvernement qui ont drastiquement réduit les indemnités des privés d’emplois ;

l’égalité femmes/hommes pour garantir l’égalité salariale, la révision de l’index égalité et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Comme le démontre l’échec des 100 jours, l’autoritarisme et la répression ne peuvent constituer la réponse à la défiance profonde et aux fortes attentes sociales. L’escalade de violence et de répression ne résoudra rien. Des réponses sociales urgentes doivent être données.

Montreuil, le 11 juillet 2023

  publié le 11 juillet 2023

Face aux violences policières,
une convergence des luttes inédite

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

En réponse à l’autoritarisme gouvernemental, de plus en plus aligné sur la violence verbale de l’extrême droite, et au déni du racisme et des violences policières, une riposte unitaire se construit, que beaucoup disent « inédite ».

« Le« Le climat est malsain », « Il n’y a plus aucune limite à l’autoritarisme de l’État », « On se fait rouler dessus par l’extrême droite »… Au téléphone, le 10 juillet, des militant·es antiracistes et de la gauche sociale et associative partagent un sentiment de désarroi. Celui-ci n’a fait que grandir depuis la diffusion des images de la mort de Nahel, 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin.

L’empathie pour la victime et la nécessité d’apporter une réponse politique digne ont très vite laissé place au racisme décomplexé dans les médias et sur les réseaux sociaux, et au déni du gouvernement pensant pouvoir se contenter d’une parade sécuritaire. La cagnotte en faveur du policier mis en examen après la mort de Nahel, lancée par le polémiste d’extrême droite Jean Messiha et qui a recueilli plus d’un million d’euros, est le symbole le plus cru de ce basculement.

Ces 7 et 8 juillet, l’interdiction du rassemblement organisé par le comité La vérité pour Adama, en hommage au jeune homme mort il y a sept ans dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), et l’interpellation violente du frère d’Adama, Yssoufou, par la BRAV-M (brigade de répression de l’action violente motocycliste), qui a aussi frappé des journalistes, ont achevé de plonger toute une sphère politique et militante de gauche, organisée ou pas, dans la stupeur.

De l’effroi à l’action

Mais la riposte s’organise, avec « une convergence inédite d’associations, syndicats, partis et collectifs de quartiers populaires », souligne Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac France. « La mort de Nahel est un catalyseur », affirme-t-elle, pleine d’espoir dans ce sursaut politique et de la société civile.

D’une part, un collectif de 122 organisations s’est réuni derrière l’appel « Notre pays est en deuil et en colère ». Ce collectif a soutenu le comité Adama en réagissant à chaque nouvelle interdiction préfectorale par un communiqué. Plusieurs de ses membres, dont des dizaines de député·es de La France insoumise (LFI) et d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), étaient dans la rue le 8 juillet, lors de la manifestation interdite, et devant le commissariat du Ve arrondissement, où avaient été conduits Yssoufou Traoré et Samir Elyes (un militant historique des quartiers populaires, sur lequel Mediapart avait publié une enquête en 2022). 

Ce cadre unitaire est voué à perdurer. Ce 12 juillet, une nouvelle réunion aura lieu, notamment concernant la marche du 15 juillet, place de la République à Paris, à l’appel de la Coordination nationale contre les violences policières : « C’est la prochaine grosse échéance, un jalon de plus dans la convergence actuelle : compte tenu de la répression inacceptable, extrêmement grave de ce week-end, et de l’acharnement sur la famille Traoré, elle est d’autant plus nécessaire. Si on n’arrive pas à faire front commun, la répression aura le dessus, et on sera en incapacité de défendre nos droits et nos libertés », alerte Youlie Yamamoto.

D’autre part, la tribune publiée le 8 juillet dans le Club de Mediapart, signée par des artistes, militant·es associatifs et politiques, et des personnalités de la société civile, a dépassé en 48 heures les 7 000 signataires. On compte parmi eux des profils aussi divers que Virginie Despentes, Casey, Médine, Angèle, Annie Ernaux, Édouard Louis, Olivier Besancenot, Usul, Yelle, des député·es LFI, des membres d’EELV, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ou encore Alternatiba Paris…

On a tenu à ce que les revendications des militants de terrain soient entendues.

Alignée sur les revendications de collectifs des quartiers populaires, comme celui d’Amal Bentounsi (« Urgence, notre police assassine »), cette tribune exige notamment l’interdiction du transfert de fonds de la « cagnotte de la honte », une refonte de la police, mais aussi « que cesse immédiatement le recours systématique aux détentions provisoires et aux comparutions immédiates dont nous avons pu voir ces derniers jours qu’elles aboutissent presque systématiquement à des peines de prison ferme ». « On a tenu à ce que les revendications des militants de terrain soient entendues », explique Chaïma, étudiante en M1 en communication, engagée dans le milieu associatif, à l’origine de cette initiative.

Une dynamique unitaire qui se poursuit

C’est elle qui a d’abord créé un groupe privé informel sur Instagram, dont l’objectif était d’obtenir la fermeture de la cagnotte de Jean Messiha : « C’est parti de l’effroi face à cette cagnotte. De fil en aiguille, c’est devenu une campagne de mobilisation digitale pour atteindre GoFundMe [la plateforme l’hébergeant – ndlr], puis une tribune », explique-t-elle. 

« Ce groupe est né d’une indignation collective étouffée. On est nombreux à être inquiets de la criminalisation des collectifs antiracistes politiques et du mouvement social, et on a trouvé intéressant de dire qu’ils ne sont pas seuls », abonde Zohra M., qui travaille dans le domaine des droits humains et fait également partie des instigatrices.

La journaliste à L’Obs Renée Greusard, qui a prêté main-forte au projet, affirme avoir depuis le sentiment de « sortir la tête de l’eau ». « On était tous révoltés, et ça nous booste d’être ensemble », explique-t-elle. « Nahel est un gamin dont la mort du fait d’un tir policier a été filmée, mais combien de fois il n’y a pas eu d’images ? Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de réponse politique digne de ce nom. Il faut les réveiller, qu’ils ne puissent plus se contenter de dire que “c’est inexplicable” : il faut que la police soit réformée, la situation est hallucinante », défend-elle.

L’interdiction de la manifestation du comité Adama et l’interpellation violente d’Yssoufou Traoré ont accéléré la publication du texte. « On était déjà à bout, quand dans une même scène on a vu un militant se faire agresser par la BRAV-M, une jeune fille se faire pousser violemment et des journalistes se prendre des coups de matraque. On est horrifiés par la situation, et on est d’accord pour se faire l’écho des revendications des collectifs et citoyens qui tiennent à l’État de droit », résume Zohra M.

Par capillarité, le texte a circulé jusqu’à atteindre des milliers de signatures, comme celle de la militante écologiste Pauline Rapilly Ferniot. Jointe par Mediapart, celle-ci se félicite de voir cette réaction unitaire qui se hisse à la hauteur de l’urgence.

Ces violences sont devant nos yeux, et pour le gouvernement, c’est un non-sujet.

À force de répétition des mêmes scènes de violences, elle s’inquiétait d’une sorte d’accoutumance : « Avant, il y avait une indignation quand, par exemple, le journaliste Rémy Buisine se faisait taper dessus par les policiers. Maintenant, il n’y a même plus un seul membre du gouvernement qui fait semblant de s’indigner, alors qu’il y a des vidéos ! Linterpellation d’Yssoufou Traoré a été vue des millions de fois, ces violences sont devant nos yeux, et ils ne disent même pas qu’il y a un problème, c’est un non-sujet. On est tous sur le cul de ce qui nous arrive », témoigne-t-elle.

Samedi encore, la députée Renaissance Anne-Laurence Petel allait jusqu’à s’en prendre aux journalistes victimes de violences policières – « Un militant va au contact de la police un journaliste respecte les règles », a-t-elle sermonné sur Twitter. « Le climat est malsain, il y a une montée en puissance de l’autoritarisme gouvernemental, tout est prétexte à interdire les rassemblements. C’est indigne d’un pays qui se dit démocratique », s’inquiète aussi Alain Coulombel, membre du bureau exécutif d’EELV.

Après la répression des manifestations contre la réforme des retraites, celle de la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) et la dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT), la nécessité d’une réponse forte et solidaire des révoltes dans les quartiers populaires a donc trouvé un débouché. Récemment encore, un rapport d’ONG sur Sainte-Soline dénonçait un « usage immodéré et indiscriminé d’armes de guerre », qui a failli coûter la vie à Serge D.

« Ces méthodes sont pratiquées depuis des années dans les quartiers populaires et les territoires ultramarins, maintenant elles touchent le mouvement social et écologiste », observe Youlie Yamamoto, d’Attac. De ce point de vue, la militante constate une solidarité nouvelle, qui fait la force de la mobilisation naissante : « Pour des raisons historiques, les réactions communes de ces luttes – qui ne travaillent pas sur le même terrain – n’étaient pas évidentes, mais désormais, c’est fini. Le lien est évident, car la répression a un même visage : celui de Macron, qui utilise l’arme policière et judiciaire au service de sa politique, contre toute forme de transformation sociale », conclut-elle.

   publié le 9 juillet 2023

Comité Adama. Pari réussi
contre les violences policières,
malgré les interdictions

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Convoqué par le comité La Vérité pour Adama Traoré, avec le soutien des syndicats (CGT, FSU, Solidaires) et de partis politiques, comme LFI, EELV et le NPA, le rassemblement avait été interdit à Beaumont-sur-Oise, puis dans la capitale. Dans le calme mais avec détermination, un millier de personnes ont bravé l’interdit afin d’exercer leur liberté de manifester, de s’exprimer et aussi leur droit d’honorer les morts.

Pari gagné pour le comité La Vérité pour Adama, du nom du jeune homme mort le 19 juillet 2016 au cours d’une interpellation par la gendarmerie à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise). Après l’interdiction par les autorités préfectorales du département de la manifestation qui se tient chaque année depuis le drame, initialement prévue à Persan et Beaumont, un millier de personnes ont, ce samedi après-midi, bravé la deuxième interdiction édictée à Paris, et se sont retrouvées, ce samedi après-midi, sur la place de la République, au centre de la capitale. « Ce sont des décisions politiques qui visent à nous empêcher de nous exprimer et à jeter de l’huile sur le feu », dénonce Assa Traoré, soeur d’Adama et porte-parole du comité. « A Beaumont, nous avons toujours défilé de manière organisée et dans le calme. Ils nous ont dit d’arrêter les révoltes dans les quartiers, puis quand on veut se rassembler, on prétend nous l’interdire, c’est inacceptable. Mais nous avons le dernier mot, personne ne peut nous interdire de marcher, de nous rassembler, de défendre notre pays et notre démocratie. »« 

Membre de la Coordination nationale contre les violences policières, Omar Slaouti abonde :  »En nous interdisant d’aller à Beaumont, on veut aussi nous empêcher d’avoir un élan d’amour, d’amitié et de sympathie pour Adama et ses proches. Nos morts parlent encore, ils nous réveillent la nuit, nos morts réclament justice« .Alors que l’information judiciaire sur le décès de son petit frère a été clôturée en fin d’année dernière mais que le parquet de Paris doit encore se prononcer pour requérir, ou non, le renvoi de l’affaire devant la justice, Assa Traoré rappelle encore, au cours d’un point presse improvisé, sans mégaphone, quelques minutes avant l’heure du rassemblement déjà nassé par les policiers et les gendarmes:  »Le jour où Adama est mort, c’était le jour de son anniversaire. Il avait mis sa plus belle chemise à fleurs, il avait enfilé un bermuda et pris son bob. Il voulait juste faire un tour en vélo, et il n’en est pas revenu. Sept ans après, on attend encore, la justice et la vérité doivent toujours être faites.« 

Cette année, après la mort du jeune Nahel, abattu à bout portant par un policier, le 27 juin, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le rendez-vous traditionnel organisé par le comité avait été inscrit au coeur d’un appel unitaire appuyé par des collectifs, des associations, des syndicats et des formations politiques. Après une évacuation précipitée par les sommations lancées par les policiers et les gendarmes, puis dans la manifestation qui remonte vers la Gare du Nord, on croise ainsi près d’une dizaine de députés insoumis, dont Mathilde Panot et Rachel Keke, ainsi que l’écologiste Sandrine Rousseau, la porte-parole de Solidaires Murielle Guilbert, mais également des représentants de la Fondation Copernic ou encore d’Attac. Au nom de la CGT, Céline Verzeletti dénonce  »une atteinte au droit à l’expression, au droit à la mémoire« .»Nous dénonçons la violence institutionnelle, le racisme, et nous revendiquons l’égalité sociale dans toutes ses dimensions, ajoute-t-elle. Mais ce gouvernement n’a strictement aucune réponse politique, et du coup, il n’est plus du tout légitime.« 

Après avoir défilé, sans le moindre heurt, sur quelques centaines de mètres, boulevard Magenta, Assa Traoré monte sur un abribus pour une dernière prise de parole avant d’appeler à la dispersion dans le calme.

»On pourchasse nos morts jusque dans leurs tombes, on veut nous interdire de les nommer, avance encore la jeune femme. En somme, on nie leurs existences jusque dans la mort... C’est une déshumanisation totale.« Pour Assa Traoré qui fait le décompte des jeunes gens tués, avant Nahel, pour »refus d’obtempérer« , il y a urgence :  »L’Etat doit reconnaître qu’il y a du racisme en France. Ce ne serait pas une faiblesse ! Reconnaître qu’il y a du racisme en France, c’est sauver des vies !« 

Sous les applaudissements et les slogans  »Pas de justice, pas de paix« , les manifestants se dispersent tranquillement. Quelques dizaines de minutes plus tard, une escouade de la Brav-M procède, malgré tout, à l’interpellation très brutale de deux des membres du comité La Vérité pour Adama. Au passage, les policiers bousculent violemment des manifestants et des journalistes. Sinistre hoquet de l’Histoire : Youssouf, l’un des propres frères d’Adama Traoré, est embarqué, après avoir été immobilisé par plusieurs agents entassés sur son torse, soit exactement les gestes qui ont pu conduire, d’après ses proches, au décès du jeune homme à Beaumont-sur-Oise il y a sept ans.

Selon Eric Coquerel, le membre du comité a dû être transporté à l’hôpital, tandis que la préfecture de police envisage, elle, de poursuivre Assa Traoré pour appel à participation à un rassemblement interdit. Signe évident, là encore, comme le dit le député insoumis, d’une  »persécution vis-à-vis de la famille Traoré« ​​​​​​​.


 


 

En hommage à Adama Traoré,
la convergence des colères
face aux interdictions

Clémentine Mariuzzo  sur www.politis.fr

Pour la septième année consécutive, 2 000 personnes se sont rassemblées, samedi 8 juillet, place de la République à Paris, en hommage à Adama Traoré. Bravant les interdictions des préfectures, les manifestants étaient portés par la mort de Nahel et les récentes révoltes en France.

Malgré deux interdictions préfectorales, la marche annuelle en hommage à Adama Traoré a eu lieu, samedi 8 juillet à Paris. Sur un abribus du boulevard Magenta, sur le bord de la fontaine place de la République ou sur un banc, Assa Traoré a dû se contenter d’estrades de fortune pour faire porter la voix de son frère. Alors que le rassemblement devait se tenir à Beaumont-sur-Oise, où est mort le jeune homme asphyxié par un gendarme le 19 juillet 2016, la préfecture du Val-d’Oise l’a interdit par peur des tensions. Le programme était pourtant clair : concert, jeux pour les enfants, débats. Rien ne laissait penser que des « éléments radicaux », comme le mentionne l’arrêté de la préfecture, auraient pu se déplacer. Mais, moins de deux semaines après le décès de Nahel, le tribunal administratif du Val-d’Oise a estimé que « bien que les violences aient diminué ces derniers jours, leur caractère extrêmement récent ne permet [pas] de présumer que tout risque de trouble à l’ordre public ait disparu ».

Alors, le collectif La Vérité pour Adama s’est rabattu sur la place de la République à Paris, « lieu d’expression et de liberté », comme l’a défini la sœur du défunt. Mais le verdict tombe la veille du rassemblement : la préfecture de police de Paris emboîte le pas de celle du Val-d’Oise et l’interdit pour les mêmes raisons. L’eau n’a pas encore coulé sous les ponts, après les révoltes qui ont émaillé la France des quartiers populaires, jusqu’aux centres urbains et villes moyennes. La colère fume encore. La préfecture craint une convergence et elle a raison : Nahel est sur toutes les bouches. « Ils ne veulent pas que nous rassemblions nos colères. Ils ont peur », dénonce Assa Traoré lors de sa première prise de parole, sur un coin de la place de la République, peu avant 15 heures. Car malgré « un arsenal de guerre », un rassemblement a lieu. Officiellement, une conférence de presse. Officieusement, le début de « la victoire pour la liberté de manifester », comme le clamera Assa Traoré.

Nous avons le droit de crier le nom de nos morts même si l’État ne le veut pas.. Assa Traoré

Par deux fois, le cordon policier est forcé. D’abord, pour rejoindre la fontaine de la Place de la République ou les députés insoumis et écologistes ont pris la parole. Puis, après une dernière sommation des policiers, pour débuter une marche sur le boulevard Magenta. Dans le calme, les quelques milliers de manifestants ont battu le pavé pendant moins d’une heure vers la Gare de l’Est en scandant : « Pas de justice, pas de paix ». Manifestation sauvage oblige, la circulation continue et les conducteurs se retrouvent dans la foule. Les organisateurs leur glissent un petit mot d’excuse par la vitre, l’ambiance n’est pas à l’affrontement.

Recueillement et injustice

Pour beaucoup, elle est au recueillement, notamment pour Noah* 39 ans. Cet entrepreneur habite Bordeaux mais a grandi en banlieue parisienne. « J’essaye de venir chaque année pour rendre hommage à Adama, ça aurait pu être mon petit frère » dit-il, ému. L’interdiction de la préfecture l’a touché, mais il « la comprend. Ils ont peur des débordements et ils ont peur de nous ». Mais malgré la tristesse ambiante du deuil se crée la colère de « l’injustice ». Assa Traoré n’a jamais la voix chevrotante mais dans ses déclarations l’émotion est là : « Nous avons le droit de crier le nom de nos morts même si l’État ne le veut pas. Ils ne reviendront pas mais nous sommes là pour les vivants et pour la liberté ». Pour Noah, comme pour Assa Traoré, « ce n’est pas au gouvernement de dire si l’on peut marcher pour nos morts ». C’est aussi ce que croit Alice Coffin, élue écologiste à la mairie de Paris, et comme elle le précise elle-même, « militante antiraciste et féministe ».

C’est par cette deuxième dénomination qu’elle est présente ce 8 juillet : « J’avais prévu de venir avec ou sans autorisation de la préfecture ». Pourtant, en tant qu’élue, elle dit s’être « battue avec le préfet de police de Paris pour autoriser la manifestation, mais ça n’a pas abouti ». Thomas Portes, député LFI, dit aussi avoir « fait son possible pour autoriser l’hommage ». Écharpes tricolores en guise de bouclier, lui et des élus de gauche défilent fièrement aux côtés des Traoré. Pourtant, la manifestation a divisé la Nupes. Le Parti communiste et le Parti socialiste ont refusé d’y prendre part. La France insoumise et Europe écologie Les Verts, eux, étaient bien présents. Tous dénoncent « fortement la répression de l’État et l’entrave à la liberté de manifester. », comme le souligne la députée LFI Mathilde Panot. Pas seulement présents pour rendre hommage à Adama Traoré, les élus sont aussi là pour « soutenir les organisateurs après cette décision antidémocratique » mais aussi et surtout, « pour que l’État reconnaisse le racisme dans la police ».

« La mort d’Adama est une conséquence du racisme dans la police »

Dans la foule, la présence des politiques « fait plaisir », confie Sarah, 24 ans, venue de Créteil pour marcher, « mais il ne faut pas qu’ils nous oublient quand ça sera fini. On verra s’ils seront là dans deux mois pour parler de nos problèmes. » Plus qu’un hommage à Adama Traoré, le rassemblement ressemble à un cri de colère contre les violences policières. Les « problèmes » sont dans les bouches. « La mort d’Adama est une conséquence du racisme dans la police, dénonce Sarah, c’est pour ça qu’on est là ». Les mobilisations simultanées dans les grandes villes en sont la preuve. D’après la police, 5 500 personnes ont marché en France contre les violences policières ce 8 juillet. Assa Traoré citera Nahel à plusieurs reprises, mais aussi Mahamadou et 11 victimes pour présomption de refus d’obtempérer. La volonté est claire : « Nous nous battons pour que l’État reconnaisse qu’il y a du racisme en France. Le reconnaître, ce n’est pas une faiblesse, c’est sauver des vies », expliquera la jeune femme perchée sur un abribus.

Bravant tous les interdits, Amina*, 73 ans, fait face aux policiers, elle a « l’habitude ». Prête à « prendre des risques » contre « l’injustice que ces gens vivent », elle n’a pas hésité à venir en sachant que le rassemblement était à côté de chez elle. « Interdit ou pas, je serais venue », s’exclame-t-elle. La retraitée est bénévole au DAL (Droit au Logement), arborant de petits stickers sur son gilet jaune « Non aux expulsions dans les quartiers ». « Tout cela est relié, la répression, le racisme systémique apporte la précarité et le mal logement. Elle continue : « Les jeunes qui ont été mis en prison après avoir participé aux émeutes, certaines de leurs familles ont déjà été expulsées à cause de ça. » À peine le temps de finir sa phrase, que les policiers chargent.

C’est à l’arrivée du cortège à la Gare de l’Est que l’ambiance tourne au vinaigre. Alors que la dispersion se passe dans le calme, une brigade de BRAV-M donne alors à voir une image tristement symbolique, avec l’arrestation par placage ventral et menottage de Youssouf Traoré, frère d’Adama Traoré. Soit la même position qui a entraîné la mort de son frère. Il sortira du commissariat du 5e arrondissement sur un brancard, blessé à l’œil. D’après BFMTV, une commissaire de police aurait porté plainte contre le jeune homme pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Une procédure judiciaire est également en cours contre Assa Troré pour délit d’organisation d’une manifestation non déclarée.

On a gagné, on leur a montré que nous avions eu le dernier mot. Assa Traoré

Assa TraoréLors de sa prise de parole finale, cette dernière conclut sagement : « On a gagné, on leur a montré que nous avions eu le dernier mot. Rentrons chez nous ». Une déclaration qui ne fait pas l’unanimité dans la foule. « Non, nous n’avons pas gagné. Pourquoi rentrer maintenant ? », s’interroge une manifestante tenant une pancarte affichant « Justice ? » dans les mains. Le 15 juillet, une seconde manifestation est annoncée, que les organisateurs espèrent voir autorisée. L’occasion de « s’organiser ensemble pour demander la justice, et dénoncer l’injustice », déclarera Assa Traoré, consciente que les enjeux sont cette année encore plus grands que l’hommage à son frère.

* Le prénom a été changé, comme tous ceux suivis d’une astérisque.


 


 

D’Adama Traoré à Nahel : la marche
contre les violences policières
brave les interdits

Mathieu Dejean et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

En dépit de l’interdiction préfectorale, le comité Vérité et justice pour Adama a défilé à Paris contre les violences policières et le racisme. Dans le contexte de révolte des quartiers populaires après la mort de Nahel, la mobilisation pacifique, soutenue par la gauche sociale et politique, a donné lieu à l'interpellation violente d’un frère Traoré par la police.

LesLes autorités ont tout fait pour que la marche en mémoire d’Adama Traoré, mort il y a sept ans dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise), n’ait pas lieu. D’abord, la préfecture du Val-d’Oise a interdit le rassemblement qui devait se tenir, comme chaque année, le 8 juillet à Beaumont-sur-Oise – décision confirmée par la justice administrative. Par arrêté préfectoral, la circulation des trains de la RATP a ensuite été interrompue vers Persan-Beaumont. 

Enfin, le comité Vérité et justice pour Adama ayant décidé d’appeler à se réunir place de la République, à Paris, la préfecture de Paris a interdit le rassemblement à son tour. « Cette manifestation intervient dans un contexte encore sensible, après un épisode de violences urbaines survenues en Île-de-France, et notamment à Paris », argue la préfecture dans son communiqué. Le contexte, c’est aussi la mort de Nahel M., 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 27 juin. 

Une manifestation s’est pourtant bien lancée de la place de la République ce samedi 8 juillet, malgré une lourde présence policière. Les organisateurs ont, dans un premier temps, été nassés par la police mais, rapidement et sous l’impulsion du comité Vérité et justice pour Adama, le cordon policier a été forcé : une première fois pour accéder à la fontaine de la place de la République, une seconde pour débuter la marche. Elle aura duré moins d’une heure, dans le calme. 

La préfecture de Paris a annoncé une procédure judiciaire contre l’organisatrice, Assa Traoré, sœur d’Adama. Par ailleurs, deux interpellations ont été effectuées, les deux concernent des membres du comité Adama, dont l’un des frères Traoré, Youssouf, violemment arrêté comme en témoignent ces images. On y entend une militante répéter : « Pas à trois sur son dos, laissez le juste respirer. » Blessé à l’œil, Youssouf Traoré a été transféré du commissariat du Varrondissement à l’hôpital. Selon BFMTV, une policière a déposé plainte contre le frère d’Adama Traoré pour violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Le Comité Adama affirme ne pas avoir été informé du dépôt de cette plainte pour l'instant. 

Assa Traoré gagne un « bras de fer »

À 15 h 45, Assa Traoré monte sur un arrêt de bus, boulevard Magenta, vers la gare de l’Est, pour prendre la parole. Le cortège n’est pas allé plus loin. « Reconnaître qu’il y a du racisme en France, c’est sauver des vies. On a le droit de marcher pour nos frères. Vous allez rentrer chez vous avec fierté, honneur et dignité », lance-t-elle devant les manifestant·es bien encadré·es par des cordons de policiers. « C’est un hommage à Adama et pour toutes les victimes de violences policières : qu’elle dure une heure ou trois heures, peu importe, estime Omar Slaouti, militant historique des quartiers populaires. C’est un bras de fer : on sait qu’en face ils ne vont rien lâcher pour ne pas nous laisser s’exprimer. » 

Dans la foule, près de 2000 personnes, beaucoup de militant·es des quartiers populaires, de responsables politiques de La France insoumise (LFI) et d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), quelques rares chasubles syndicales aux couleurs des deux seules organisations de travailleurs présentes ce jour-là : la CGT et Solidaires. Les très jeunes habitant·es des quartiers populaires qui se sont révolté·es ces derniers jours et qui se succèdent en comparution immédiate en ce moment ne sont pas de la partie. Pour les personnes interrogées, cela s’explique par le fait que la marche s’est faite à Paris plutôt qu’à Beaumont-sur-Oise, et par la crainte que peut faire naître chez eux une présence policière accrue. 

Dans la famille, on est ACAB de père en filles.

Tala et Tasnim, deux sœurs, sont venues d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), battre le pavé aux côtés du comité Vérité et justice pour Adama. La première a 25 ans et travaille en tant que consultante dans la santé, la deuxième a 17 ans et vient d’obtenir son bac avec mention. Les deux jeunes femmes sont noires, portent le voile et racontent la violence du « racisme systémique », dans la rue pour leur frère et leur père, dans les études pour elles deux. « Mon père est un homme noir qui est arrivé en France dans les années 1980, alors les violences de la police, il connaît, commente Tala. Mon frère pareil. Nous aussi. Dans la famille, on est ACAB [All cops are bastards – ndlr] de père en filles. » 

La plus jeune répète ce que toutes les personnes racisées nous indiquent lors de cette marche : ça aurait pu être son frère. « Et quand on se révolte, nous, on nous réprime encore plus durement, s’inquiète Tasnim. Quand les habitants des quartiers populaires se mobilisent, c’est des émeutes. Quand ce sont des blancs, ce sont des manifestations engagées. J’ai pas l’impression d’être particulièrement agressive ou animale. »

Autour d’elles, les slogans fusent : « Tout le monde déteste la police », « Pas de justice, pas de paix », « Justice pour Adama », « Justice pour Nahel », « On ne nous empêchera pas de manifester, contre le racisme et l’impunité ». La voix de Tasnim se hisse au-dessus des mégaphones pour expliquer qu’elle n’a pas eu peur d’amener sa petite sœur dans une manifestation interdite par la préfecture : « On risque de se faire violenter et arrêter, mais, de toute façon, en tant que racisés, on risque tout cela tout le temps, manifs ou pas. Alors, les interdictions, on s’en fout. » 

Témoignages du racisme ordinaire de la police

Un peu plus loin, Fanta et Enora Gomes, elles, ne parlent pas au conditionnel quand elles disent que ça aurait pu être un membre de leur famille. Leur cousin, Olivio Gomes, est mort le 17 octobre 2020 de trois balles tirées par un policier de la BAC de Poissy (Yvelines), pour refus d’obtempérer. Comme Assa Traoré, elles répètent son nom, la date de sa mort, les conditions dans lesquelles celle-ci a eu lieu à de nombreuses reprises pour que le jeune homme de 28 ans ne tombe pas dans l’oubli. 

« C’est toujours la même histoire, souffle Enora. C’est juste les acteurs qui changent : il y a un refus d’obtempérer, et les policiers utilisent leurs armes pour tuer alors qu’il y a d’autres moyens d’interpeller. Ce qui s’est passé pour Nahel, c’est exactement la même chose, sauf que, pour nous, il n’y a pas de vidéo. » Les deux étudiantes, de 20 et 21 ans arborent un tee-shirt appelant à la « justice pour Olivio Gomes », racontent « l’angoisse permanente », ce poids qui leur reste sur le cœur chaque fois qu’elles aperçoivent un petit frère ou un petit cousin dans la rue, comme autant de potentielles victimes de violences policières. 

Les appels au calme sans justice sociale et sans moyens conséquents, ce n’est même pas entendable.

Elles se désolent d’une même voix que les « marches, les communiqués, ça ne sert plus à rien. Ça fait des années qu’on en fait, ça n’a rien changé, ils tuent encore. » Alors, si elles ne cautionnent pas les violences qui ont pu avoir lieu dans certains quartiers populaires après la mort de Nahel, elles comprennent : « Détruire notre milieu urbain à nous, c’est peut-être pas la meilleure solution, mais on n’a pas d’autres moyens de se faire entendre. »

Le constat est partagé par Farid Bennai du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP) : « Les jeunes qui se révoltent le font parce qu’ils savent très bien que ça aurait pu être eux-mêmes, leur frère, leur copain. » Alors que la plupart des responsables politiques ont appelé au calme, l’éducateur de rue estime que leurs prises de parole sont inopérantes : « Les pouvoirs publics violentent et créent une crispation dans les quartiers populaires et on demande ensuite aux éducateurs d’appeler au calme. Les appels au calme sans justice sociale et sans moyens conséquents, ce n’est même pas entendable. Ça ne veut rien dire. » 

Dans une même phrase, il raconte ces jeunes qui viennent le voir pour se plaindre des humiliations quotidiennes que leur font vivre la police, l’abandon progressif de l’État dans les quartiers les plus précaires et la marche impitoyable de « la machine répressive », faisant référence aux comparutions immédiates bâclées lors desquelles nombre de jeunes banlieusards ont pris des peines de prison ferme après les révoltes. Et de se souvenir d’une phrase qui, pour lui, résume tout : « Un jeune m’a dit un jour : “On nous traite comme des animaux, on se révolte comme des sauvages.” » 

Une gauche sidérée, mais solidaire

Quelques heures plus tôt, le collectif d’associations, de syndicats et de partis politiques de gauche, signataire de l’appel « Notre pays est en deuil et en colère », tenait une conférence de presse en catastrophe, près de la place de la République. Les mines sont ternes et la tension palpable. Éric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis, confie sa colère face aux interdictions : « Le gouvernement met la France au ban des démocraties. Le droit de manifester est un droit constitutionnel, ils n’ont même plus de prétexte : cette marche commémorative a toujours été pacifique. C’est sidérant. » « Le droit à manifester devient à discrétion des préfets et du gouvernement, ce n’est pas possible. Il faut protéger les libertés publiques », abonde la députée écologiste Sandrine Rousseau. 

Pour l’Insoumis, le seul point positif, c’est le sursaut d’une partie de la gauche sociale et syndicale, qui ne laisse pas les quartiers populaires seuls dans la bataille : « En grande partie, la gauche considère que ce qui se passe est politique, et que ça la concerne. Mais le gouvernement est bien plus dur qu’en 2005 en termes de fuite en avant répressive. »

Du côté des partis, LFI, Europe Écologie-Les Verts (EELV) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), notamment, étaient représentés – pas le Parti socialiste (PS), ni le Parti communiste français (PCF). La CGT, Solidaires ou encore Attac entouraient aussi Assa Traoré. Au micro, Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, rappelle le soutien de la confédération au comité et se désole de la réaction de l’exécutif : « La seule réponse du gouvernement, c’est la répression, les atteintes à tous les droits et aucune réponse sociale ou politique. Ce gouvernement n’est plus du tout légitime. »

« Nous empêcher de manifester, c’est nous empêcher de dire notre amour à l’endroit de ceux et celles qui devraient vivre aujourd’hui », déclare Omar Slaouti, évoquant un « tournant majeur » lors de la conférence de presse qui s’est tenue avant le départ du cortège. « On commence toujours par les quartiers, mais ça se termine dans tous les mouvements sociaux : ce qui se passe, c’est l’interdiction de tes libertés, en tant que femme, qu’écologiste, que syndicaliste », prévient-il. Et de rappeler le prochain rendez-vous : une marche contre les violences policières le 15 juillet, place de la République à Paris, à l'initiative de la Coordination Nationale contre les violences policières. 

À l’heure des questions, une seule journaliste prend la parole : « Assa Traoré, appelez-vous au calme ? » Et cette dernière de lui répondre : « Pourquoi me posez-vous cette question ? A-t-on déjà appelé à la violence ? »

  publié le 8 juillet 2023

Le sous-titre des émeutes

Christophe Deroubaix sur www.humanite.fr

« En dernière instance, une émeute est le langage de ceux qu’on n’entend pas. » Faut-il s’inspirer de Martin Luther King et donner du sens à ce qui est survenu depuis le meurtre de Nahel ? Si l’on en croit un sondage Elabe, une immense majorité de Français refusent de s’engager dans cette voie : 90 % estimeraient que la mort du jeune homme n’a constitué qu’un prétexte pour « casser ». Adopter cette thèse reviendrait dramatiquement à ne pas entendre. Ceci dit, que faut-il « entendre » dans des scènes de pillages et d’incendies qui ont produit autant d’images, mais aussi peu de paroles ? Notons au passage le vide organisationnel qui domine dans les quartiers populaires. Rien d’analogue au mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, qui avait, notamment après la mort de George Floyd, encadré les manifestations et assuré le « portage » revendicatif.

Faute de mots d’ordre et de slogans, il faut donc sous-titrer le film des « émeutes ». Selon le sociologue Romain Huët, elles « sont le signe d’une détresse politique ». Dans la « cité », ces jeunes ne sont jamais des jeunes : ils sont « des cités », des « banlieues », « issus de l’immigration »… L’accumulation de relégations, sociale, spatiale et symbolique, s’incarne dans une sorte de paradoxe ultime : les rencontres les plus fréquentes qu’ils ont avec des agents du service public – nous parlons ici de policiers – tournent trop souvent au contrôle d’identité sans raison, à l’intimidation, à l’humiliation. Et parfois à la mort. La liste est désormais trop longue et établie depuis trop longtemps (dès les années 1980) pour que persiste le déni : il y a bien un problème dans le rapport assigné par le pouvoir à l’institution policière.

La France de 2023 n’est pas l’Amérique de 1967, mais on ne manquera pas de trouver un puissant écho dans cette autre phrase du leader du mouvement des droits civiques : « Aussi longtemps que l’Amérique remettra la justice à plus tard, nous serons dans la position de voir se répéter des vagues de violence. »

  publié le 4 juillet 2023

En Macronie, surdité et répression

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Gilets jaunes, réforme des retraites, révoltes des quartiers populaires… Les crises s’enchaînent quasiment sans interruption pour un Emmanuel Macron autoritaire, qui ne veut ni entendre ni comprendre. Jusqu’à quand cela peut-il tenir ?

« Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Manuel Valls, alors Premier ministre, après les attentats de novembre 2015. Huit ans ont passé. Une phrase devenue doctrine. Ne pas expliquer. Ne pas politiser. Condamner ou légitimer. Dans une dichotomie digne d’un roman de gare, la Macronie, suivie par une bonne partie des médias mainstream, renvoie une semaine de révolte à une violence injustifiée. Injustifiable. Inexplicable, en somme. La stratégie est désormais trop bien connue, trop bien huilée. Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus. Même processus lors de la mobilisation des gilets jaunes. Ou encore, plus récemment, pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Toujours la même injonction, hier et aujourd’hui : condamnez-vous ces violences ? Expliquer, essayer de comprendre, en revanche, n’est pas une discipline macroniste.

Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus.

Preuve en est : ce bingo, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, de crises sociales qui s’enchaînent presque sans interruption. Les classes moyennes laborieuses : les gilets jaunes. Les fonctionnaires du service public : la crise sanitaire et de l’hôpital public. Les travailleurs, et surtout travailleuses, de la deuxième ligne : le mouvement social contre la réforme des retraites. La jeunesse des quartiers populaires : la mort de Nahel. À ces colères, légitimes, la seule réponse de ce pouvoir est celle de la surdité et de la répression. Ces derniers jours n’en sont qu’une cruelle illustration. Les jeux vidéo, les réseaux sociaux et le manque d’autorité parentale : voilà les vrais responsables du désordre, selon Emmanuel Macron, expert ès sciences sociales. Autant de déviations pour ne pas écouter. Des éborgnements, des arrêtés préfectoraux illégaux, une police toujours plus violente, des condamnations en comparution immédiate d’une extrême lourdeur : autant de répression pour faire taire. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?

Ces méthodes ont un but évident. Éviter, à tout prix, de s’attaquer au fond des problèmes. Pourtant, parfois, il s’agirait d’écouter les sachants. Car comprendre, c’est pouvoir agir. Expliquer, c’est vouloir améliorer. « C’est dans cette histoire [coloniale] que se sont construits un répertoire policier (contrôles d’identité, fouilles corporelles…) et des illégalismes violents (bavures, ratonnades…) qui n’ont pas cessé avec les indépendances des années 1960 », souligne, par exemple, Emmanuel Blanchard, directeur adjoint de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, dans un entretien au Monde. Un racisme de la police pointé du doigt par l’ONU. Mais non, circulez, il n’y a rien à comprendre, ces « émeutiers » sont des « nuisibles » pour reprendre les termes d’Alliance et de l’Unsa Police, les deux principaux syndicats policiers. « La police est merveilleuse », a même osé la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.

Mais cette révolte ne dit pas que ça. Elle démontre une colère liée à l’abandon de ces quartiers. À la disparition des services publics, à l’incapacité de l’école à créer son rôle émancipateur, à l’insalubrité de logements sociaux vieillissants. À l’inflation, à laquelle les réponses gouvernementales sont restées au stade du pansement sur une fracture ouverte, aux inégalités fiscales, aux boulots pénibles, mal rémunérés, accidentogènes. Des phénomènes documentés, expliqués. Sans autre réponse politique à ces colères que celle de la répression, l’exécutif continue d’attiser la haine et la frustration. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?


 


 

2005-2023 : mêmes causes, mêmes effets

Aurélien Soucheyre, Camille Bauer, Olivier Chartrain et Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

L’embrasement des quartiers populaires après l’assassinat de Nahel fait écho à celui qui, il y a dix-huit ans, avait fait suite à la mort de Zyed et Bouna. Depuis, malgré quelques velléités politiques, aucune mesure efficace n’a permis de mettre fin aux inégalités et la relégation des banlieues.

Zyed et Bouna, 17 et 15 ans, Nahel, 17 ans. En 2023 comme en 2005, après le choc, c’est le feu qui vient jeter une lumière crue sur les injustices entourant la mort tragique de ces adolescents de banlieue. En 2005, Jacques Chirac, alors président de la République, avait rappelé après le drame de Clichy-sous-Bois que « le devoir de la République, c’est d’offrir partout et à chacun les mêmes chances ». Dix-huit ans ont passé, et rien ne semble avoir changé. Entre-temps, les inégalités ont explosé.

Des relations dégradées entre la police et les habitants

« Les raisons pour lesquelles cela explose sont les mêmes depuis une quarantaine d’années en France, avance Anthony Pregnolato, docteur en sciences politiques et spécialiste des mobilisations contre les violences policières.  Depuis 2005, il y a eu d’autres rébellions dans les quartiers populaires suite à des morts ou des blessés graves par la police. Mais elles n’ont pas toujours été très médiatisées. » Ce qui participe, ou non, à la contagion de la colère.

Au début des années 2020, le collectif Réseau d’entraide vérité et justice est créé pour apporter un soutien financier, moral et juridique aux familles endeuillées et aux personnes blessées et mutilées. Cela procède d’un lent travail de visibilisation et de conscientisation de la violence et du harcèlement policiers contre les jeunes hommes issus des quartiers populaires.

Mais le délitement des relations entre la police et les habitants doit aussi beaucoup aux décisions régaliennes. Après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, Jacques Chirac avait annoncé la couleur : « La première nécessité, c’est de rétablir l’ordre public. » Ce mantra a la vie longue. Depuis, les gouvernements successifs, aiguillonnés par les syndicats majoritaires de la police, s’illustrent par une surenchère sécuritaire accompagnée d’un surarmement des policiers.

Cette politique se traduit par un renforcement de la présence policière et une augmentation du nombre de morts et de blessés durant les interventions. « Un certain nombre de pratiques renforcées et officialisées par l’état d’urgence, instauré en 2015 après les attentats, se sont généralisées. Plus récemment, le déploiement de l’amende forfaitaire pour usage et détention de cannabis, la multiplication des contrôles durant les confinements liés au Covid en 2020 et 2021 ont produit un effet d’accumulation, analyse Anthony Pregnolato. Tous ces éléments expliquent une montée des tensions entre la population des quartiers populaires et la police, bien que les discriminations et interventions policières mortelles, très peu jugées et encore moins condamnées, ne soient pas nouvelles et persistent depuis plus de cinquante ans. »

Pour le député de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu, « la suppression de la police de proximité (décidée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Jean-Pierre Raffarin – NDLR) se paie chaque année un peu plus. La dégradation de la relation entre la population et la police est une réalité absolue, notamment chez les jeunes. Tout le monde, les policiers, les éducateurs, les élus locaux, les habitants, reconnaissent qu’il y a une relation abîmée dont les effets sont délétères ».

Les chiffres étaient ce sentiment : Selon une enquête réalisée par l’association Médiation nomade et la LDH en septembre 2021, 30 % des garçons de moins de 30 ans habitant un quartier considéré par eux comme « ayant mauvaise réputation », ont été contrôlés plus de trois fois dans l’année, tandis que 67 % des habitants de quartiers ayant bonne réputation affirment n’avoir jamais été contrôlés.

Éducation, le grand « abandon »

Pour Stéphane Peu, « l’éducation aurait dû être la priorité parmi toutes les priorités, et elle a sans doute été la politique fondamentale de l’État la plus abandonnée, abîmée et dégradée depuis 2005. »

Territoire devenu symbolique depuis qu’Emmanuel Macron a décidé d’en faire le laboratoire de sa politique de la ville et de « l’école du futur  », Marseille illustre tout ce qui n’a pas été fait : « Hormis les dédoublements pour les CP-CE1 en éducation prioritaire, observe Ramadan Aboudou, secrétaire adjoint du Snes dans l’académie, tous les établissements REP (réseau éducation prioritaire – NDLR) ont vu leurs moyens rabotés. Et c’est la même chose sur le territoire : depuis 2005, pas d’ouverture de théâtre, de cinéma, des quartiers qui ne sont toujours pas desservis par le tramway… Nous vivons un véritable abandon par l’État. »

Sa collègue Marion Choupinet abonde : « Depuis le premier mandat Macron, 8 000 postes de prof ont été supprimés et nous affrontons à présent une crise de recrutement sans précédent. »

Or, depuis 2005, le constat de la dégradation de l’école est implacable : affaiblissement des réseaux d’éducation prioritaire, dégradation de la formation des enseignants et de leur recrutement, précarisation du métier, perte massive d’heures d’enseignement faute de remplaçants… sont autant de stigmates qui touchent en particulier les quartiers populaires, là où, au contraire, les meilleures compétences seraient requises.

Observant qu’à la différence de la région parisienne aucune école n’a brûlé à Marseille, Ramadan Aboudou l’explique par une ville « très unie », mais avertit : « La destruction des services publics, c’est la première des violences et c’est ce que nous subissons depuis trop longtemps. Il y a aujourd’hui une perte de sens de l’école, pour les personnels comme pour les familles, il ne reste plus que cette entreprise de tri social qui génère souffrance et colère. De quels moyens disposons-nous pour transformer toute cette colère en énergie utile ? »

Avec d’autres mots, le sociologue Michel Kokoreff, spécialiste des banlieues, pose un diagnostic similaire : « Les écoles, les mairies, les équipements publics incendiés le sont en tant que symboles d’une République qui discrimine les jeunes. L’école, souvent, est le lieu premier où ils font l’expérience de l’échec avant de décrocher, en gardant une rancœur à l’égard de l’institution. » Une expérience face à laquelle toutes les promesses républicaines ne servent à rien si elles ne sont pas tenues.

Des quartiers toujours sous-dotés

Pauvreté, relégation, faiblesse des services publics, les 1 514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), cumulent les inégalités.

Parmi les 5,5 millions de personnes qui vivent dans ces territoires, 43,3 % vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 14,5 % dans le reste de la France. Le taux de chômage y est également deux fois plus élevé qu’ailleurs (18,6 % contre 8,5 %), avec une part plus élevée d’emplois précaires (7,3 % d’intérim contre 2,1 % et 15,1 % de CDD contre 9,9 % dans le reste de la France).

« Ces quartiers continuent à concentrer des populations à faible revenu, avec des conditions de logement et d’emploi difficiles, des jeunes souvent en décrochage scolaire, des femmes plus éloignées de l’emploi et une part importante de ses habitants issus de l’immigration », résume le rapport de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) en 2020.

Pas un secteur n’est épargné : Il y a  37 % de professionnels de santé en moins par habitant dans les QPV que dans le reste du territoire. On trouve aussi 36 % de bibliothèques en moins, trois fois moins d’équipements sportifs et 10 % des QPV ne disposent d’aucune desserte de transport, notait un rapport publié en octobre 2020 par l’Institut Montaigne.

Cette grande fragilité des habitants des QPV s’est révélée pendant la crise sanitaire. Plus nombreux à vivre dans des logements exigus et surpeuplés, mais aussi parce qu’ils occupent davantage d’emplois de seconde ligne, ils ont été presque deux fois plus touchés par le virus que le reste de la population.

Aujourd’hui, ils prennent de plein fouet l’inflation, dont l’impact est d’autant plus fort que beaucoup ne parvenaient déjà pas à boucler leurs mois. « Des habitants sont contraints de ne pas manger à tous les repas, et le nombre de personnes qui font appel aux distributions d’urgence alimentaire ne fait qu’augmenter », rappelait fin mai une tribune de maires dans Le Monde intitulée « Les banlieues au bord de l’asphyxie ». Une alerte qui fait écho à l’appel de Grigny, lancé par une centaine de maires de tous horizons en… 2017.

Malgré ces accumulations de handicaps, et les appels à l’aide récurrents des élus locaux, l’investissement de l’État n’a pas été davantage au rendez-vous après les émeutes de 2005.

« Les quartiers populaires reçoivent plus d’argent que les autres. Toutes les politiques dérogatoires dites politiques de la ville, Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), zones d’éducation prioritaire, zones de reconquête, etc., ne compensent jamais le différentiel de moyens permanent lié à des politiques de droit commun inégalitaires », rappelle Stéphane Peu.

Les 12 milliards d’euros versés à la politique de la ville entre 2003 et 2021 ont servi pour l’essentiel à mener à bien la rénovation du bâti dans 600 quartiers, mais aussi à améliorer la vie d’habitants d’immeubles construits à la va-vite dans les années 1950-1960. Mais les rénovations n’ont souvent pas été précédées d’une concertation suffisante et ont pu se traduire par l’expulsion hors du quartier des plus vulnérables.

Cette tendance à mettre l’accent sur le bâti s’est encore accentuée avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, qui a supprimé les emplois aidés, portant un coup sévère aux réseaux associatifs en banlieue. En 2018, il a également enterré le rapport commandé à Jean-Louis Borloo.

Depuis, rien ou presque, sauf un conseil interministériel de rattrapage en Seine-Saint-Denis et une promesse durant la dernière campagne, d’un « plan banlieues 2030 », dont les contours, les objectifs et les financements restent flous.

Un climat politique volontairement excluant

Le climat politique a lui aussi considérablement évolué entre 2005 et 2023 et tend aujourd’hui à exclure davantage les habitants des quartiers populaires.

L’extrême droite est devenue omniprésente médiatiquement, et ses idées pénètrent de plus en plus le discours de la droite dite « républicaine ». Le président du parti LR, Éric Ciotti, mais aussi le RN de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour se livrent depuis le meurtre de Nahel à une forme de surenchère visant à faire passer les citoyens issus de « l’immigration extra-européenne » pour des ennemis de l’intérieur. « Nous sommes dans les prodromes d’une guerre civile. C’est une guerre ethnique, raciale », a lâché le fondateur de Reconquête, qui élude toute question sociale.

Au séparatisme économique et social imposé par des décennies de libéralisme s’ajoutent une essentialisation et une ethnicisation des citoyens des quartiers par l’extrême droite. Cette double attaque nourrit depuis des années le sentiment de relégation et de stigmatisation des habitants concernés, et creuse le fossé voulu par la droite et son extrême. Le RN et LR soutiennent ainsi le policier qui a tué Nahel et fustigent « l’immigration de masse », qu’ils lient aux dégradations.

Des propos qui choquaient en 2005, et semblent désormais banalisés. Lors de son allocution télévisée, le président de la République d’alors, Jacques Chirac, avait certes appelé à la « réussite de notre politique d’intégration » en se montrant « strict dans l’application des règles du regroupement familial » et en renforçant « la lutte contre l’immigration irrégulière », traçant un lien entre révoltes et immigration.

Mais son diagnostic allait bien plus loin. « Nous ne construirons rien de durable si nous laissons monter, d’où qu’ils viennent, le racisme, l’intolérance, l’injure, l’outrage. Nous ne construirons rien de durable sans combattre ce poison pour la société que sont les discriminations (et) si nous ne reconnaissons pas et n’assumons pas la diversité de la société française. » Face à la montée de l’extrême droite, Emmanuel Macron pourrait s’en inspirer.

   publié le 2 juillet 2023

Au Val Fourré, on comprend les plus jeunes, sans cautionner leurs actes

Caroline Coq-Chodorge et Célia Mebroukine sur www.mediapart.fr

À Mantes-la-Jolie, dans le quartier du Val Fourré, des bâtiments publics et des commerces ont été brûlés ou cambriolés après la mort de Nahel. Dans un même souffle, les habitants condamnent et comprennent. Car tous ont vécu, souvent de très près, des violences et incivilités policières au cours des dernières décennies.

Mantes-la-Jolie (Yvelines).– Au Val Fourré, c’est un samedi 1er juillet de fêtes, celles de la fin de l’année scolaire. Les enfants, très jeunes et moins jeunes, accompagnés ou pas de leurs parents, déambulent dans le dédale de ce quartier de Mantes-la-Jolie (Yvelines), une des plus grandes cités de France avec ses 21 000 habitant·es. Sur la vaste esplanade au cœur du quartier, une association a monté des jeux gonflables. Les clubs de sport organisent leur fête de fin d’année. Au stade se joue la CAN, la Coupe d’Afrique des nations de Mantes, où s’affrontent les jeunes, filles et garçons, répartis dans des équipes plus ou moins aux couleurs de leurs origines, tant elles sont diverses et mélangées.

Il y a des ombres au tableau : la façade crevée de l’annexe de la mairie, brûlée deux nuits plus tôt ; celle noircie de la banque, désormais inutilisable ; le centre des impôts, lui aussi rongé par les flammes. Le quartier s’est embrasé après la mort de Nahel, sans surprise, tant les violences policières émaillent son histoire, de génération en génération. 

Dans la nuit de vendredi à samedi, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin s’est déplacé à Mantes-la-Jolie, aux alentours de 3 heures du matin. Mais il est resté dans le centre-ville cossu, à un gros kilomètre du Val Fourré.

Un frère, mort en garde à vue en 1991

Au gymnase Souquet, les festivités du club de karaté se terminent. Sonia Mebarka, 54 ans, secrétaire exécutive du club, salue tout le monde : les bénévoles, les coachs, les jeunes adhérent·es, leurs mères, leurs frères et sœurs. À ses côtés, son fils Naoufel et son meilleur copain Ademe. Les jeunes adolescents veulent aller au tournoi de foot organisé un peu plus loin dans le quartier. Sonia hésite : « Jai peur, peut-être que les policiers vont s’acharner ce soir. »

Comme beaucoup dans cette ville des Yvelines, Sonia a vécu les violences policières dans sa chair. C’était il y a plus de trente ans. Le 27 mai 1991, son frère Aïssa Ihich est mort d’un malaise cardiaque en garde à vue. Il avait 19 ans. Deux jours plus tôt, raconte Sonia, Aïssa s’était retrouvé « au mauvais endroit au mauvais moment », en chemin vers le domicile d’un ami. Des policiers mobilisés dans le quartier du Val Fourré à cause d’émeutes  l’avaient arrêté et roué de coups. Asthmatique, Aïssa n’a pas survécu à sa garde à vue sans ses médicaments. 

Selon Sonia, « les policiers ont dit qu’ils avaient arrêté mon frère pour des jets de pierre, mais moi je sais que c’est faux. Il fallait juste lui coller quelque chose, c’est tout. »

Les deux policiers impliqués dans son arrestation et le médecin ayant validé la garde à vue ont été poursuivis. Onze ans plus tard, les policiers ont été condamnés pour « violences aggravées » et ont écopé de huit mois de prison avec sursis. « Ça fait trente ans que je dis qu’il y a une justice à deux vitesses en France », soupire Sonia. 

Pour elle, la détention provisoire du policier après la mort de Nahel ne change rien : « Cest pour calmer le peuple, c’est tout. Je ne pense pas qu’il sera condamné. Ils l’aideront à déménager, à être muté et il sera oublié. »

Ils sont trop jeunes pour construire un discours politique.

« Quand mon frère est décédé, je voulais que ce soit le dernier. Mais ça recommence sans cesse », ajoute Sonia, dépitée. « On a l’habitude », acquiesce son fils Naoufel, âgé d’à peine 14 ans. La mère de trois enfants, salariée à Pôle emploi, comprend l’exaspération des jeunes, parfois très jeunes, qui participent à la révolte. Mais selon elle, ils ne visent pas « les bonnes cibles », en référence aux commerces et à la salle de sport brûlés. 

Un constat que partage Nathalie Coste, une amie de Sonia qui, comme elle, est une ancienne élue d’opposition – de gauche – à la mairie. Elles se sont rejointes pour un café sur la dalle centrale du Val Fourré. « Ce qu’ils font ne nuit qu’à eux-mêmes », regrette Nathalie, ancienne professeure d’histoire-géographie, qui a enseigné pendant 38 ans au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie. Cette révolte est, selon elle, « autodestructrice » car elle fait la part belle à une « violence sans discernement et sans discours politique. » « Certes, ils sont trop jeunes pour construire un discours politique, tempère-t-elle. Car il y a aussi une faiblesse du tissu politique dans ces quartiers. »

« En 2005, on découvrait presque les violences policières, se rappelle Nathalie. Leur médiatisation était sporadique. Mais aujourd’hui, les histoires s’accumulent, c’est chronique. Ces jeunes disent qu’ils ne seront plus des victimes et c’est important. Même si ce n’est pas de la bonne manière. » 

Yazid Kherfi est de la même génération que Sonia et Nathalie. Et son analyse rejoint la leur. Cet ancien braqueur, devenu enseignant à l’université et formateur sur les questions de prévention de la délinquance, considère que ce qui se passe est « plus grave » qu’en 2005. « En 2005, il y avait des revendications en lien avec Zyed et Bouna mais aussi par rapport aux propos de Nicolas Sarkozy sur la “racaille”, explique-t-il. Aujourd’hui, casser un magasin et tout piller, quel rapport avec la mort de Nahel ? »

« On a les jeunes qu’on mérite », lance Yazid, faisant plutôt peser plutôt la faute sur les adultes qui entourent ces jeunes. Des parents aux maires, en passant par les éducateurs mais aussi les policiers. Depuis plus de dix ans, Yazid sillonne les quartiers populaires de France avec son camion pour créer des espaces de discussion, la nuit, avec les jeunes. Yazid ne comprend pas que les centres de vie sociale « ferment tous à 18 heures » alors que la nuit est le moment le plus propice pour créer du lien. Il regrette également qu’au cours de ses « 500 soirées », aucun policier n’ait jamais accepté de discuter avec les jeunes qu’il réunit. 

La peur des mères de famille

À la sortie du gymnase Souquet, trois mères de famille, d’abord réticentes, sont finalement soulagées de « vider leur cœur ». Toutes trois exigent l’anonymat, comme beaucoup d’habitant·es du quartier, tant l’atmosphère y est sensible, chancelante. Elles ont chacune quatre ou cinq enfants, âgés de 9 à 26 ans. Depuis la mort de Nahel, elles sont « au-delà de la colère. Les enfants d’aujourd’hui voient bien qu’il n’y a pas de justice. On a l’impression d’être abandonnés face à une police qui peut faire ce qu’elle veut. » 

Quand elles voient des policiers dans le quartier, toutes ont le même réflexe : « On les appelle tout de suite : “T’es où ? Tu fais quoi ? Rentre à la maison !” Eux nous répondent que ce n’est pas normal, qu’ils ne font rien de mal. Mais il faut voir comment les policiers abordent les jeunes qui discutent dans la rue : ils sont tout de suite dans l’agressivité. Et si nos enfants leur tiennent tête, ils finissent en garde à vue. »

Dans le quartier du Val Fourré vivent presque exclusivement des immigré·es et des enfants d’immigré·es racisé·es. La police est-elle raciste ? « Je n’aime pas ce mot, ça me touche, dit une mère. Mais je crois que ça existe, oui... » « On explique à nos enfants qu’ils sont comme tout le monde, qu’ils doivent s’intégrer, s’adapter, dit une autre. Qu’ils ne sont ni des victimes, ni des coupables. Mais ce qu’ils voient, c’est l’inverse... » 

Au stade Jean-Paul-David, plusieurs milliers de personnes assistent aux finales de la CAN de Mantes : chez les filles, le Maroc a dominé le Sénégal, chez les garçons, l’Algérie s’est imposée face à la Gambie. C’est la liesse autour des vainqueurs. Les jeunes ne veulent pas parler du reste. Sonia montre un garçon de 13 ans, passé à tabac en garde à vue, à la suite d’un mauvais mot contre un policier. On l’aborde, il refuse la conversation : « C’était mon frère, j’ai oublié. »

On arrache quelques mots à un lycéen, avant que ses amis le rejoignent et le chambrent, coupant court à la conversation : « Les policiers nous parlent mal, parce qu’on est des Noirs. Depuis ce qui s’est passé, je sors plus, mes parents me l’interdisent, c’est pour la bonne cause. Ce qu’ils ont fait à Nahel, c’est grave. Et cela me concerne, parce que cela peut arriver à tout le monde ici. »

Ça ne passe pas, ça ne passera jamais d’avoir été humilié de cette façon.

La nuit est tombée sur le Val Fourré. Face à la grande mosquée de Mantes-la-Jolie, Younès et Nadir se souviennent. « J’ai même noté la date dans mon calendrier, attendez, demande Younès. C’était le 6 décembre 2018. » « Un jeudi », précise Nadir. Ce jour-là, les deux jeunes hommes, âgés de 15 et 17 ans à l’époque, participent à une manifestation « calme » contre la réforme du bac et Parcoursup, aux abords de leur lycée Saint-Exupéry, dans le quartier du Val Fourré. Après quelques dégradations, la police intervient et nasse les jeunes manifestants. Il est 11 heures du matin lorsque Nadir, Younès et plus d’une centaine d’autres lycéens sont arrêtés par la police et mis à genoux, mains sur la tête, alignés les uns à côté des autres. Dans une vidéo qui fait le tour des réseaux sociaux, on entend un des policiers participant à l’opération lancer : « Voilà une classe qui se tient sage. »

Nadir et Younès restent plusieurs heures à genoux, mains sur la tête, dans le froid. « Ils voulaient nous humilier », raconte Nadir. « Ces policiers n’étaient pas à la hauteur de l’uniforme », ajoute Younès.

Une enquête administrative est menée. L’IGPN conclut à « l’absence de comportements déviants » de la part des policiers. Nadir, Younès et d’autres se constituent alors partie civile et obtiennent en 2020 l’ouverture d’une enquête par un juge d’instruction. Ce n’est que deux ans plus tard, en décembre 2022, que Younès et Nadir sont enfin entendus. Malgré la lenteur de la procédure, les deux jeunes hommes ont une « once d’espoir » que ce qui est devenu leur « cause » aboutisse.  

Lorsqu’ils ont appris la mort de Nahel, « ça a fait remonter des choses. » « Ça ne passe pas, ça ne passera jamais d’avoir été humilié de cette façon », souffle Nadir. « Depuis, je suis dans la crainte de ceux qui sont censés nous protéger », dit Younès. « Mais qui nous protège d’eux ? », demande son ancien camarade de classe. 

Même s’ils n’ont pas été surpris par la révolte, Nadir et Younès ne cautionnent pas tout. Comme leurs aînés, ils regrettent que les jeunes s’en prennent aux biens des personnes. Pour Younès, cette « prise de conscience » est « respectable » mais la violence relève d’un « processus d’autodestruction ». « C’est dommage qu’il n’y ait plus que ce canal pour exister, regrette-t-il. On a été relégués et oubliés. »

Dimanche 2 juillet, vers 1 heure de matin, un restaurant et plusieurs cafés sont encore ouverts sur la dalle du Val Fourré. Il n’y a plus que des hommes dans les rues. Les plus vieux jouent aux cartes, imperturbables. Des très jeunes observent, méfiants. Aux deux principales entrées de la zone commerciale, des commerçants veillent, pour quelques heures au moins. 

Ils racontent le cambriolage de la boutique de réparation de téléphone par « des petits, des 13-17 ans, la plupart avaient moins de 15 ans ». Eux aussi ne comprennent pas qu’ils s’en prennent « aux commerces, aux voitures des gens d’ici. Mais leur colère, on la comprend. Nous aussi on a la haine de la police, et ça changera jamais. On connaît tous des gens qui ne sont jamais sortis de garde à vue. La police est profondément raciste »

L’un d’eux raconte une anecdote : il est allé saluer un groupe d’hommes. Parmi eux, il y avait « des baqueux [des policiers membres de la BAC – ndlr] habillés comme des racailles. Ils ont refusé de me saluer, en me disant : “On n’est pas des vôtres.” Moi aussi, quand j’en verrai un se faire piétiner, je lui dirai : “Je ne suis pas des vôtres.” » Les anecdotes sur la police sont inépuisables. Mais ce commerçant, père de famille, a pris le parti d’en rire. 

Une autre histoire encore, toute récente : « Il y a deux nuits de cela, j’étais ici, à veiller. Les policiers arrivent et me disent : “Levez les mains !” Mais ils me connaissent ! Et j’étais comme maintenant : pieds nature, en claquettes ! Et genre, je vais être un émeutier ? »

La nuit est encore calme. Au loin, claquent les feux artifices, ces « mortiers » de pacotille. Les commerçants pensent que les jeunes, soixante environ, sont quelques rues plus loin. Ils pourraient arriver sur la dalle, masqués ou cagoulés. Un des commerçants enregistre un message vidéo sur Snapchat dans lequel il dit aux jeunes : « Je suis avec vous. » Il explique : « Je n’ai aucun pouvoir sur eux. Mais je leur dis qu’ils sont la famille et que je veille aux débordements. » Et qu’en cas d’affrontements avec la police, il « montrera ce qui se passe ».

publié le 30 juin 2023

L’apaisement
ne se décrète pas,
il se construit.

par Attac France sur https://france.attac.org/

Ce jeudi 29 juin était organisée une marche blanche en hommage à Nahel, tué à bout portant par un policier le 27 juin. Massivement suivie, cette marche blanche portait également un message : plus jamais ça.

La première pensée de l’association Attac va aux proches des victimes à qui nous exprimons notre émotion. Ce drame n’aurait jamais dû se produire. À l’instar des réactions suscitées par la mort de Zyed et Bouna, poursuivis par la police, en 2005, la mort de Nahel a provoqué des réactions, qualifiées d’émeutes. Celles-ci sont d’ores et déjà instrumentalisées par une partie de la classe politique, notamment au sein de la droite et de l’extrême droite, dans une surenchère particulièrement choquante et préoccupante.

En réalité, cette situation n’est pas une surprise. Dans de nombreux quartiers relégués, le quotidien est rythmé par des interpellations régulières perçues comme des humiliations par les jeunes qui en sont l’objet. Le contrôle au faciès par exemple, est de facto devenu la règle. Quant à la répression policière, si souvent impunie, son caractère raciste apparait une nouvelle fois clairement à travers cet assassinat inacceptable.

Si elle n’est, hélas, pas la première du genre, cette exécution s’est par ailleurs produite dans un contexte de net durcissement de l’attitude des forces de l’ordre et d’une dérive de plus en plus intolérante et autoritaire du pouvoir vis-à-vis des jeunes de quartiers délaissés mais aussi, et de plus en plus, du mouvement social. Certes, cette dérive avait été engagée depuis plusieurs années, avec notamment l’article 435-1 voté début 2017 sous le quinquennat Hollande et quelques années auparavant, la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy.

En 2019, la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU avait critiqué la France dans un rapport qui dénonçait l’usage excessif de la police lors des manifestations des « gilets jaunes ». Au printemps dernier, la France avait à nouveau été critiquée par des membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour les discriminations, les violences policières et plus précisément le recours à la force jugé excessif envers les manifestant·es opposé·es à la réforme des retraites.

Par ailleurs, de nombreuses organisations du mouvement social, dont Attac, ont dénoncé la dérive répressive et les violences policières. Le gouvernement a beau tenter de montrer qu’il veut calmer le jeu, il a refusé d’entendre ces alertes. Sa responsabilité est d’autant plus engagée qu’il s’est arrogé le monopole d’une légitimité qui lui échappe et s’est engagé dans une politique de répression inédite du mouvement social.

Les violences policières ne sont pas un fantasme ou une formule : elles sont une réalité. En les niant et en niant les causes des colères exprimées dans les quartiers ou au sein d’une grande partie de la population face aux mesures de régression sociale, le pouvoir et les responsables politiques de droite et d’extrême droite attisent les tensions et jettent de l’huile sur le feu. Ce faisant, ils se comportent comme des pompiers pyromanes.

Dans ce contexte social explosif, la stratégie de répression systématique de toute opposition mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur est un échec et n’a qu’une seule issue : une société toujours plus fracturée, plus injuste et plus violente. L’apaisement ne se décrète pas, contrairement à ce que voudrait penser le président de la République, il se construit.

Pour cela, nous demandons un changement radical de la politique du maintien de l’ordre avec en premier lieu la démission du ministre de l’Intérieur, l’interdiction d’utilisation d’armes de guerre, des techniques de maintien de l’ordre et d’interpellation au risque létal, et l’abrogation de l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure qui permet l’usage des armes en cas de refus d’obtempérer.

 

publié le 19 juin 2023

Réforme des retraites :
rien ne sera plus comme avant

sur https://www.cgt.fr/

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT s'est exprimée dans une tribune publiée dans Le Monde ce vendredi 16 juin. Elle revient sur la bataille contre la réforme des retraites et tous les combats qu'il reste à mener contre le projet de société mortifère que veut nous imposer Emmanuel Macron.

Malgré une mobilisation d'une durée et d'un niveau record, la réforme des retraites est adoptée. Faudrait-il en conclure que nous avons perdu ? Non.

Pour Emmanuel Macron et son gouvernement, tout va être plus compliqué maintenant, et le prix à payer sera élevé.

D'autres combats seront menés

La réforme des retraites sera la cocotte d'Emmanuel Macron jusqu'à la fin de son quinquennat. Et avec toutes celles de ses ministres, c'est une batterie de cuisine qu'il traîne derrière lui.

Nous allons maintenant utiliser tous les leviers à notre disposition pour continuer à dénoncer et empêcher l'application de cette réforme violente, injuste et injustifiée. Nous allons nous battre pour gagner par la fenêtre ce que nous avons perdu par la porte. Pour cela, nous appelons à l'ouverture de négociations dans toutes les entreprises et toutes les branches pour gagner des départs anticipés pour pénibilité et la prise en compte des années d'études.

Nous nous battrons pour que la négociation Agirc-Arrco, qui va s'ouvrir prochainement sur la retraite complémentaire des salariés du privé, permette d'améliorer le niveau des pensions. De nouvelles propositions de référendum d'initiative partagée seront déposées. Nous contesterons chaque décret de cette réforme injuste. Et le gouvernement ne pourra pas museler le Parlement pendant quatre ans.

"Ce qu'un président a fait, un président peut le défaire"

Rappelons-nous. Ce qu'un gouvernement a fait, un gouvernement peut le défaire. Ce qu'un président a fait, un président peut le défaire. Maintenant ou dans quatre ans. La fin du quinquennat sera longue, très longue pour Emmanuel Macron. S'il veut gouverner à nouveau le pays, il va falloir qu'il se préoccupe moins des grands patrons et davantage de la situation sociale du pays et des travailleuses et travailleurs.

Nous avons gagné sur trois points majeurs, qui sont de précieuses graines pour l'avenir. D'abord, nous avons gagné la bataille des idées. Malgré le « il n'y a pas d'alternative », [formule de Margaret Thatcher] et le matraquage médiatique sur la nécessité de « faire des efforts » , la quasi-totalité de la population est opposée au report de l'âge de départ en retraite.

Mieux : une large majorité de salariés est favorable au retour de la retraite à 60 ans, mesure de bon sens, tant il est impossible de travailler après 60 ans dans de nombreux métiers. Cette aspiration à ne pas perdre sa vie à la gagner, très forte chez les jeunes générations, représente un point d'appui déterminant.

Le travail reste central, mais il ne se suffit plus. Il faut qu'il ait un sens, avec notamment des exigences environnementales et sociales toujours plus fortes, mais aussi qu'il permette d'avoir une vie familiale, sociale et citoyenne. La mobilisation a donc créé un rapport de force pour réinterroger les conditions de travail, mais aussi la finalité et le temps de travail, avec l'aspiration à la réduction du temps de travail, longtemps minoritaire, qui fait son grand retour, notamment avec la semaine de quatre jours.

L'union fait la force

Ensuite, la mobilisation a permis de replacer le syndicalisme au centre, grâce à l'unité, à la responsabilité et à la détermination des organisations syndicales. Les résultats en sont tangibles : depuis le début du conflit, près de 80 000 salariés au moins ont fait le choix de rejoindre la CGT ou la CFDT.

La dynamique est la même pour les autres organisations syndicales. Et ce n'est qu'un début. Alors que, même dans les établissements de plus de dix salariés, 42,5 % des salariés du privé n'ont pas de syndicat, selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, cette dynamique d'adhésions est déterminante pour transformer le rapport de force pour la suite. Et c'est justement ce qui nous a manqué le 7 mars et après pour étendre la grève.

Grâce à l'appel de la CGT, les salariés de l'énergie, de la gestion des déchets, de l'industrie du verre et de la céramique, des ports et d'une partie des transports ont fait jusqu'à quarante jours de grève reconductible. Les difficultés à l'extension sont directement liées à la faiblesse du taux de syndicalisation. C'est ce qu'il faut changer pour généraliser les luttes gagnantes.

Réussir à maintenir l'unité syndicale, inédite depuis 2010, et à la décliner dans les branches et les entreprises, sera un levier pour reprendre la main sur les négociations. Quand les syndicats arrivent unis face au patronat, ils sont en situation de renverser la table et de reprendre la main pour que les négociations se fassent sur la base de leurs propositions.

Enfin, grâce à notre mobilisation, le gouvernement n'a plus ni majorité sociale ni majorité politique. Emmanuel Macron va devoir affronter durablement une défiance record. Il est minoritaire à l'Assemblée nationale et l'adoption de chaque projet de loi nécessitera un travail d'équilibriste à haut risque…

Malgré tous les efforts de l'exécutif pour verrouiller le travail parlementaire, les organisations syndicales disposent désormais d'innombrables possibilités pour faire voter des dispositions, à l'image de la proposition de loi de nationalisation d'EDF ou du maintien de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire gagnés par la CGT-Energie.

En position de force

Nous avons fait face à un pouvoir radicalisé, qui a fait passer sa réforme à tout prix. Au prix de la multiplication des passages en force et des remises en cause des libertés. Au prix de la montée de l'extrême droite – et grâce à elle. C'est son niveau inédit qui lui a permis de passer en force sans craindre une alternative politique. Une preuve supplémentaire du danger de l'extrême droite pour le monde du travail. Cette violence et ce cynisme n'ont pas comme précédent – ​​dans un pays démocratique – que ceux de Margaret Thatcher. Et encore. Thatcher, elle, avait une majorité parlementaire pour faire passer ses réformes. Oui, la Ve  République est « un coup d'Etat permanent » , comme le disait François Mitterrand, en 1964.

Nous sommes maintenant dans une course de fond. Contre Emmanuel Macron et son monde, mais aussi contre l'extrême droite qui a prospéré sur le « on a tout essayé » . Avec son passage en force, Emmanuel Macron tente de mettre les syndicats dans le même sac. C'est raté.

Nous sommes en position de force pour multiplier les conflits sur les salaires, à l'image de la magnifique victoire arrachée par les ouvrières de Vertbaudet .

Nous sommes en position de force pour remettre au goût du jour le projet révolutionnaire du Conseil national de la Résistance d'une sécurité sociale « protégeant de la naissance à la mort ». Nous sommes en position de force pour construire, dans toutes les entreprises, dans tous les territoires et toutes les professions, des plans syndicaux pour l'environnement afin de montrer que la réponse au défi environnemental exige une rupture avec les politiques capitalistes.

La dynamique, l'esprit de fête et la culture de la gagne ont fait la force du mouvement. Nous avons semé de précieuses graines pour l'avenir, à nous de les faire fructifier !

Déclaration de Sophie Binet, Secrétaire Générale de la CGT, publiée en Tribune par LeMonde en date du 17 juin 2023.

publié le 18 juin 203

Contre la ligne Lyon-Turin, « notre action relève de la légitime défense »

Christophe Gueugneau sur www.mediapart.fr

Interdite par la préfecture mais maintenue, la manifestation contre la ligne Lyon-Turin, contestée depuis des années, a rassemblé près de 4 000 personnes dans la vallée de la Maurienne. Il n’y a pas eu de gros heurts samedi. 

Vallée de la Maurienne (Savoie).– « On croyait qu’on finirait encore plus en colère et encore plus désespérés qu’avant et puis voilà… » Il est 17 heures passées, samedi 17 juin, à La Chapelle, petit village en vallée de la Maurienne (Savoie), et les sourires – qui tournaient depuis quelques heures à la grimace – sont soudain réapparus sur les visages des manifestant·es. 

Sur la route où, depuis plus de trois heures, environ quatre mille personnes (les organisateurs parlent de cinq mille personnes) opposées à la ligne à grande vitesse Lyon-Turin font plus ou moins du surplace, tous les regards se sont tournés pour regarder la rivière, en contrebas, puis l’autoroute, en face. Une dizaine de militant·es, une cinquantaine bientôt, sont parvenu·es bon gré mal gré à traverser la rivière et à bloquer l’autoroute. 

Les applaudissements sont à la hauteur de la frustration contenue depuis un bon moment déjà. Initiée par onze associations, certaines locales, d’autres nationales comme les Soulèvements de la Terre, la mobilisation – « La montagne se soulève » – a été interdite par la préfecture, jeudi 15 juin. Les associations qui avaient saisi la justice ont ensuite été déboutées vendredi.

Le rassemblement a finalement été maintenu à La Chapelle, village qui ne figurait pas dans l’arrêté d’interdiction car il n’était pas à proximité des divers chantiers de la vallée destinés à faire avancer, côté français, ce tunnel sous les Alpes, entre Saint-Jean-de-Maurienne et le val de Suse. Un ouvrage contesté depuis trente ans et dont on a découvert récemment qu’il menaçait seize sites d’eau potable. 

Légitime défense

Au petit matin, alors que le campement est à l’ombre des montagnes où l’on aperçoit encore quelques lambeaux de neige, c’est déjà l’agitation. La queue s’étend au stand café, des jeunes et moins jeunes arrivent du camping avec les yeux fatigués, certains ayant vu leur nuit compliquée par les coassements des grenouilles au bord de l’étang. Au point info, un jeune homme demande si on lui conseille de porter un casque pendant la manifestation. « Ça dépend de ton niveau d’engagement. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’improvise pas black bloc », lui répond-on. Il quitte le stand satisfait.

Telle une crieuse de journaux, une jeune femme masquée distribue les numéros des avocats à contacter en cas d’arrestation. Deux dames, la soixantaine, prennent le petit papier. L’une d’elles cherche un stylo pour écrire le numéro à même son bras. L’autre explique : « Un masque, c’est bon, j’en ai un, c’est le seul qui me reste du Covid. »

Peu avant 10 heures, les organisateurs donnent une conférence de presse. Philippe Delhomme, de Vivre et agir en Maurienne (VAM), rappelle que son association défend « depuis quarante ans les biens communs, l’eau, l’air, la terre ». Laure-Line Cochini, de la coordination des opposant·es au Lyon-Turin, rappelle qu’une ligne existe déjà entre la France et l’Italie, qu’elle a été rénovée pour un milliard d’euros, et que malgré cela, le nombre de camions transportés par rail a diminué.

L’Italien Lorenzo, du mouvement No TAV, se dit « très content de cette mobilisation qui était un pari difficile à tenir et qui est déjà une réussite ». Thierry Bonnamour, de la Confédération paysanne en Savoie, voit lui aussi une victoire au fait d’être ici. Julien Troccaz, secretaire fédéral Sud Rail, dénonce la « décision politique du préfet » et « la terreur mise en Maurienne ce week-end »

L’hélicoptère de la gendarmerie apparaît soudain, et fait des cercles de plus en plus bas. Pina, porte-parole des Soulèvements de la Terre, enchaîne. « C’était pour nous une évidence de rejoindre cette lutte qui dure depuis trente ans », et c’est « un honneur de faire de ce week-end la clôture de la sixième saison des Soulèvements ». À propos de la menace de dissolution du mouvement – qui devrait être prononcée mercredi 21 juin –, Pina trouve cela « drôle et inquiétant qu’un gouvernement s’attaque à un mouvement écolo et pas à ceux qui veulent nous faire cramer ».

La conférence de presse est terminée, l’hélicoptère est parti. Au loin passe un train de marchandises. C’est au tour des manifestant·es d’être briefé·es. « Notre action relève de la légitime défense car notre avenir est indissociable de notre environnement », insiste un intervenant. Mathilde Panot, cheffe du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, dénonce le fait que des « camarades italiens » soient bloqués à la frontière. Il s’agit de six bus. 

La manifestation finit par s’élancer peu après 12 h 30. Les quatre mille personnes – beaucoup de Français mais aussi des Italiens en nombre – marchent d’un bon pas. Aucun membre des forces de l’ordre n’est d’abord visible à l’horizon. On se dirige vers le sud quand la route parvient à un pont gardé par les gendarmes mobiles. 

Les élu·es et représentant·es partent négocier un itinéraire pour une manifestation qui, de fait, n’était pas déclarée. La négociation va durer une heure pour n’arriver à aucun résultat. Une heure passée sous un soleil de plomb, pendant laquelle le gros des manifestants et manifestantes s’échauffe. Certains reprochent aux élu·es de négocier en leur nom sans aucun mandat. Une élue régionale écolo commence à stresser : « Y a quatre mille personnes derrière qui attendent, là… »

« Nous, on veut aller au chantier »

Vers 14 h 30, le cortège repart sans qu’on sache bien si la négociation a abouti ou non. Il n’a pas fait cependant cent mètres qu’il se retrouve face à un mur de gendarmes. Les élu·es forment une chaîne humaine pour tenter d’éviter le contact. Sans succès. Quelques pierres volent, plusieurs dans la foule crient : « Nous, on veut aller au chantier », d’autres demandent où se trouve le tunnel, « qu’on puisse le reboucher »

En quelques dizaines de minutes, la manifestation est à nouveau bloquée, et cette fois-ci ce n’est pas à cause des négociations. Un nuage de lacrymogène flotte au-dessus de la tête de cortège, des centaines de personnes tapent en rythme sur les glissières, le boucan est énorme, la détermination totale. Mais vaine.

Plusieurs personnes blessées sont évacuées. On aperçoit un homme la main en sang. Un autre arrive avec l’épaule blessée et le visage amoché. Pour autant, nul ne recule. Le face-à-face dure près de deux heures. 

De temps à autre, des membres de l’organisation passent dans les rangs pour tenter de convaincre qu’un demi-tour serait plus malin : « Ce qu’on voulait, c’était aller sur l’autoroute mais ça ne va pas marcher. Les medics sont déjà bien occupés. Il ne sert à rien de se mettre en danger. Le cortège recule un peu, il ne faudrait pas que la distance avec le bloc soit trop grande. On ne veut perdre personne. »

Le gros du cortège commence à reculer et faire demi-tour. Et puis soudain, donc, tous les regards se tournent vers la rivière. Ils ne sont d’abord qu’une dizaine à traverser l’Arc pour aller vers l’autoroute A43. Ils seront vite une cinquantaine. Un autre bloc retourne au contact pour fixer des gendarmes mobiles qui commençaient à avancer. 

Bravache, une jeune femme, drapeau Extinction Rebellion à la main, s’avance seule sur l’autoroute à la rencontre de la poignée de camions de gendarmes qui avance. Une certitude : l’autoroute est bel et bien bloquée. Par les gendarmes. S’ensuivent plusieurs minutes de jeu du chat et de la souris. Les gendarmes avancent et arrosent allègrement de grenades lacrymogènes, y compris celles et ceux qui tentent de retraverser la rivière. 

Mouillé·es jusqu’à la taille, les manifestant·es arrivent un grand sourire aux lèvres, vident leurs chaussures trempées. Sur le chemin du retour, les heures de piétinement sont oubliées. La manifestation interdite a un peu eu lieu. L’autoroute a été bloquée. La mobilisation a tenu et mis la lutte contre la ligne Lyon-Turin à l'agenda des luttes, se félicitent les organisateurs.


 


 

Lyon-Turin : le train de la discorde

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

La liaison ferroviaire transalpine a été pensée pour désengorger le trafic routier et favoriser le report modal vers le rail. Mais ce chantier de Titans est désormais percu par ses opposants comme d’un autre temps.

Le chantier de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin est-il en passe de devenir un nouveau Sainte-Soline ? Alors que le collectif des Soulèvement de la terre appelle, ce samedi, à une mobilisation internationale dans la vallée de la Maurienne - interdite par la préfecture mais maintenue par les organisateurs -, ce projet ferroviaire titanesque, cristallise les tensions. D’un côté ses promoteurs défendent le développement du rail pour désengorger le quart sud-est de la France, asphyxié par les milliers de poids-lourds qui le traversent chaque jour. De l’autre, ses détracteurs dénoncent un projet coûteux, inutile et néfaste pour l’environnement.

Le Lyon-Turin est un projet ancien, inscrit, dès 1994, dans la liste des « 14 projets prioritaires de transports » par l’Union européenne. Cette liaison transalpine à grande vitesse, combinée fret et voyageurs, est le maillon manquant pour mettre en réseau 5 000 kilomètres de lignes ferroviaires européennes existantes. Le Lyon-Turin permettra ainsi « de relier les ports de la Manche, la région parisienne, la péninsule ibérique et les villes françaises des Alpes et du Rhône à la plaine du Pô et au pays d’Europe de l’est », détaille Alain Ruiz, ancien secrétaire départemental du PCF de Savoie et ancien agent de conduite à la SNCF, dans les colonnes de la revue Progressistes. Pour ce fin connaisseur du dossier, l’enjeu est de taille tant la future ligne serait à même - enfin - d’  « obtenir un report modal de la route vers le rail ». Une priorité indispensable donnée au fret ferroviaire alors qu’ « entre 1991 et 2011, le transport de marchandises en France a crû de 34%, le transport routier de près de 60% et le fret ferroviaire a reculé de 35% », poursuit Alain Ruiz.

Une fois mise en service, la transalpine devrait permettre l’acheminement de 40 millions de tonnes de marchandises par an et 5 millions de voyageurs. Pour atteindre de tels objectifs, le tracé du Lyon-Turin prévoit le percement d’un tunnel sous les Alpes de 57 kilomètres pour un coût global estimé en 2002 à 12 milliards d’euros (cofinancé par la France, l’Italie et l’Union européenne), puis réévalué en 2012 par la Cour des Comptes européenne à plus de 26 milliards d’euros. Un montant contesté par les promoteurs de la ligne et sur lequel un groupe de travail réunissant des experts français et italiens planchent actuellement. Une évaluation définitive devrait être rendue publique dans les prochains jours. Si la ligne était initialement prévue pour être mise en service en 2015, les travaux du Lyon-Turin « n’ont commencé que pour les galeries de reconnaissance », détaille Alain Ruiz. En somme, le projet stagne, depuis une décennie, à l’état de chantier.

Des deux côtés des Alpes, des voix s’élèvent pour dénoncer le gigantisme d’un projet hors de prix et inutile, notamment parce que la voie ferroviaire transalpine existe déjà, de Lyon jusqu’à Turin, via Chambéry, Saint-Jean de Maurienne, puis , versant italien, Suse et Turin. Le passage de la frontière se faisant par le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, inauguré en 1871. Pour les opposants à la future LGV, la ligne existante - actuellement sous exploitée - suffirait donc largement, moyennant quelques aménagements, à absorber le trafic. Des opposants qui mettent également en avant le coût astronomique du chantier. Ces milliards, « pourraient avantageusement être reportées sur les urgences actuelles : trains du quotidien, santé, éducation, retraites, transition écologique... », fait ainsi valoir Attac.

Mais surtout, c’est l’impact environnemental d’un tel chantier qui est aujourd’hui largement dénoncé par ceux qui se mobilisent ce week-end pour empêcher sa poursuite. Des impacts « considérables », dénonce le collectif Non au Lyon-Turin (qui rassemble une quinzaine d’organisations parmi lesquelles Attac, les Amis de la terre, la Confédération paysanne, mais également la France Insoumise et le syndicat de cheminots Sud-Rail). Selon lui, « 1 500 hectares de zones agricoles et naturelles seraient artificialisés, des millions de tonnes de déchets issus des galeries devraient être stockés, et les cycles naturels de l’eau seraient perturbés pour toujours. » Ce projet, poursuivent les opposants, drainera en outre « plus de 100 millions de m3 d’eau souterraine chaque année ».

C’est sur ce mot d’ordre environnemental que des centaines de manifestants convergent, ce week-end, dans la vallée de la Maurienne. Une mobilisation qui se veut « festive et familiale » contre un projet jugé « d’un autre siècle ».

 

  publié le 15 juin 2023

L’Union européenne organise une catastrophe ferroviaire

Fabien Gay sur www.humanite.fr

Le démantèlement de Fret SNCF a été annoncé par le ministre des Transports, Clément Beaune. Cette décision incompréhensible a été prise alors que l’opérateur public se porte mieux depuis deux ans, représente 60 % du marché en France et que le pacte vert européen fixe l’objectif de miser sur les rails pour transporter les marchandises et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les technocrates de la Commission européenne poursuivent le gouvernement français, donc l’opérateur public, la SNCF, au nom du sacro-saint principe de la concurrence libre et non faussée. De 2005 à 2019, la France a épongé les dettes de la filiale fret de la SNCF et opéré une recapitalisation lors du changement de statut du groupe ferroviaire en 2018. Ce qui est interdit par les règles de la concurrence européenne. Tant pis si le fret a besoin d’être soutenu, si la SNCF dispose justement des équipements et des salariés bien formés pour répondre aux besoins du développement, et si le climat n’a pas le luxe d’attendre.

Le gouvernement avait deux choix. Contester, se battre et refuser ce diktat, avec le risque de perdre l’arbitrage et, le cas échéant, payer une amende de plus de 5 milliards d’euros, entraînant, selon le ministre, la fermeture de Fret SNCF et le licenciement de 5 000 salariés. Ou négocier. Il a préféré opter pour la deuxième solution, capitulant devant des règles absconses, qui ne servent ni la SNCF, ni le bien commun, ni l’intérêt général, mais bien les intérêts financiers et privés.

Ne rien dire et abdiquer, sans batailler et obtenir, c’est donner de la force aux discours belliqueux et racistes de l’extrême droite et lui ouvrir grand les portes du pouvoir. Car négocier revient à changer la forme juridique de la nouvelle entité, l’ouvrir à la privatisation à hauteur de 49 %, changer le périmètre d’action, devoir céder 20 % de son chiffre d’affaires et également 10 % de ses effectifs… ainsi que probablement le statut de cheminot pour ces derniers.

La Commission européenne veut même obliger la future entreprise à ne plus porter le nom de SNCF, comme pour mieux punir – en réalité, dépecer – l’opérateur public en espérant le démanteler petit bout par petit bout pour mieux le vendre aux appétits de ses concurrents privés. Le plus savoureux : les « trains dédiés », activités à client unique et rentables, seront cédés et pourront être, pendant trois ans, sous-traités à la nouvelle entité par l’opérateur privé qui aura remporté le marché ! Voilà où nous conduisent ces règles absurdes.

Il est essentiel que le changement de ces règles ainsi que la transformation du marché européen de l’énergie soient au cœur de la campagne pour l’élection des députés européens, afin de mettre l’Union européenne au service des peuples et de l’intérêt général. Pour l’heure, il y va de l’avenir du fret ferroviaire public dans notre pays.

Les cheminots, si souvent vilipendés en place publique par le pouvoir, ont notre total soutien. Nous refusons d’acter l’impuissance publique et l’absence de réponse aux besoins sociaux et environnementaux. Aucune négociation ne peut se faire sans les syndicats et les cheminots. Des lignes rouges ne peuvent être franchies : licenciements, privatisation des activités, mort du fret public. D’autant que des dérogations sont possibles pour soutenir l’activité non rentable, comme le fait l’Allemagne avec DB Cargo. Cette activité est nécessaire et doit être soutenue financièrement. Le combat ne fait que commencer, nous sommes aux côtés des cheminots.


 


 

Fret SNCF : comment le gouvernement organise la grande braderie

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Dix-sept ans après l’ouverture à la concurrence, Fret SNCF est sous le coup d’une enquête de la Commission européenne pour les aides publiques perçues entre 2007 et 2019. Le ministre Clément Beaune a fait le choix de liquider l’entreprise. Les syndicats appellent à une journée de grève, ce jeudi 15 juin.

Le gouvernement organise un démantèlement de Fret SNCF. L’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrents © Demian Letinois Taillant

C’est un dossier à 5,3 milliards d’euros. Ces aides publiques perçues par Fret SNCF entre 2007 et 2019 valent à l’entreprise l’ouverture d’une enquête par Bruxelles, après le dépôt de trois plaintes de ses concurrents.

«Fret SNCF a subi pendant une longue période des pertes annuelles très importantes couvertes par l’État au détriment des concurrents qui n’ont pas eu accès à un tel soutien», a fait savoir Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne, dans L'Opinion de mercredi (article payant).

459 emplois, soit 10 % des effectifs de Fret SNCF, sont d’ores et déjà visés

Pour éviter de rembourser cette somme, en cas de condamnation, Clément Beaune a présenté, le 23 mai, un plan de«discontinuité économique» . En clair : Fret SNCF va disparaître, remplacée par de nouvelles entreprises, afin que «la Commission constate une discontinuité économique entre Fret SNCF et les nouvelles entités», écrit le ministre des Transports, dans un courrier adressé à Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF.

Pour Thierry Nier, secrétaire général de la CGT cheminots, il s’agit, ni plus ni moins, d’une «liquidation de Fret SNCF, l’outil public tel qu’on le connaît aujourd’hui». Le tout s’accompagnant d’une impressionnante vague de suppressions de postes : 459 emplois, soit 10 % des effectifs de Fret SNCF, sont d’ores et déjà visés.

L’ensemble des organisations syndicales refuse cette perspective aberrante et appelle à la grève, ce jeudi 15 juin. Un rassemblement est prévu à 13 heures devant le siège de la SNCF, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Selon le projet de restructuration présenté en CSE, que l’Humanité a pu consulter, Fret SNCF sera scindée en deux. À compter du 31 décembre 2024, les activités de gestion capacitaire seront transférées dans une nouvelle filiale du groupe SNCF (pour l’heure appelée SNCF New-EF).

L’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrents

Au sein de SNCF SA, cette dernière sera rattachée à la holding Rail Logistics Europe, qui intégrera également en son sein des sociétés de fret comme Captrain, de même que la future entité, dénommée provisoirement SNCF New-M et qui récupéra les activités de maintenance du fret.

De plus, ces entités ne pourront pas reprendre l’appellation de Fret SNCF. Mais ce n’est pas tout : l’entreprise devra céder 30 % de ses activités et 20 % de son chiffre d’affaires à ses concurrents. Cela concerne 23 flux de «train dédiés», affrétés par des clients uniques comme ArcelorMittal ou Novatrans.

Le train des primeurs entre Perpignan et Rungis en fait partie. Selon le calendrier, ces transferts devront être notifiés au 31 décembre 2023, avec un délai jusqu’au 1er juillet 2024, le cas échéant. Enfin, à compter du 1er janvier 2024, ni Fret SNCF, ni la future entité ne pourront candidater sur le marché de trains dédiés pour une période de dix ans.

Dans cette opération, Fret SNCF léguera 40 % de ses actifs immobiliers, dont la plateforme logistique de Saint-Priest (Rhône). L’entreprise devra vendre au prix du marché 39 de ses locomotives électriques et restituer 23 engins moteurs loués. Un appel à volontariat sera lancé pour une mobilité volontaire sécurisée ou une mise à disposition de conducteurs Fret SNCF auprès des concurrents privés.

Un démantèlement en bonne et due forme, exécuté sur l’autel de la concurrence «libre et non faussée», en décalage complet avec le plan national de 100 milliards d’euros d’ici à 2040 pour le ferroviaire, annoncé en février…


 


 

Pour les salariés en lutte de Fret SNCF : «Travailler pour un autre employeur est à exclure»

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

En grève depuis les annonces de Clément Beaune, les agents du train des primeurs s’inquiètent pour le fret des Pyrénées-Orientales. Entretien avec Mikaël Meusnier (CGT).


 

La ligne Perpignan-Rungis fait partie des 23 flux, détenus par Fret SNCF, livrés à la concurrence. Quelles sont vos craintes ?

Mikaël Meusnier : Au 1er janvier 2024, les salariés du train des primeurs vont perdre la totalité de leur charge de travail. Les agents sont déboussolés. Nous avons tous entre vingt et trente ans de service au sein de la SNCF. L’hypothèse de travailler pour un autre employeur est à exclure : nous n’aiderons pas le gouvernement à démanteler le service public.

Le train des primeurs, avec 5 allers-retours par semaine, correspond à 180 camions semaine. Mais ce n’est pas tout, avec ce plan, rien que dans les Pyrénées-Orientales, c’est l’ensemble de la charge de travail de Fret SNCF qui va basculer aux opérateurs privés. Soit 165 trains par semaine, l’équivalent de plus de 8 000 camions. Ces derniers vont nécessairement passer sur la route.

Alors que le gouvernement a annoncé 100 milliards d’euros pour le rail d’ici à 2040, cette décision est incohérente face à la volonté affichée de développer le ferroviaire. D’ailleurs, sans la subvention de 4 millions d’euros par an, le train des primeurs ne serait pas rentable. Ce n’est pas sa vocation. Enfin, sur les 459 suppressions d’emplois prévus par ce plan, 82 cheminots, au minimum, sont concernés dans les Pyrénées-Orientales.

Quelle mobilisation comptez-vous mener ?

Mikaël Meusnier : Nous sommes à l’arrêt depuis les annonces de Clément Beaune du 23 mai sur l’avenir de Fret SNCF. Sans un abandon de ce projet de démantèlement, nous ne reprendrons pas le travail. Sur Perpignan, l’emploi est en jeu.

Au-delà des cheminots, des emplois indirects sont concernés. Comme, par exemple les salariés de Primever, responsables du chargement du train des primeurs. Ces derniers sont dans l’inconnu et solidaires de notre bataille.

Il est toujours possible de développer cette liaison et le ferroviaire dans le département des Pyrénées-Orientales. Nous allons contrer le gouvernement sur ces annonces catastrophiques.

Justement, que propose la CGT ?

Mikaël Meusnier : Le cahier revendicatif de la CGT des cheminots de Perpignan est global. Nous l’avons présenté le 10 mai, lors d’une rencontre avec le cabinet du ministre des Transports, afin d’exposer notre projet de développement du rail autour de Perpignan.

Pour les voyageurs, deux lignes sont à rouvrir, en plus de la ligne à grande vitesse entre Béziers et Perpignan d’ici à 2040. S’agissant du Perpignan-Rungis, nous avons rappelé qu’un second chargeur (client – NDLR) est disponible pour accroître la capacité de transport.

À l’heure actuelle, l’exploitation du train des primeurs s’arrête durant l’été. Pendant cette période, nous proposons donc d’ajouter des wagons de marchandises porte-automobiles aux wagons frigorifiques conventionnels afin de compléter cette liaison. C’est un service qui peut renforcer les trains de nuit de voyageurs.

Il est aussi possible de connecter le site de Port-Vendres, place importante du fret maritime des Pyrénées-Orientales, au fret ferroviaire en remettant en état la voie entre la gare et le port. Le tonnage de fruits et légumes en transit par Port-Vendres, chaque jour, représente l’équivalent d’un train des primeurs, soit 300 trains à l’année.

Enfin, dans notre département, le développement de la plateforme fret de Rivesaltes, qui dispose d’un foncier disponible à un accroissement de l’activité, est possible, en complément de la ligne Perpignan-Saint-Charles.


 


 

Fret SNCF : Dijon, symbole du déclin du transport de marchandises

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Nœud ferroviaire et interface en Europe de l’Ouest, l’activité fret de Gevrey-Perrigny, la capitale de Bourgogne-Franche-Comté, Dijon, s’est évaporée au gré de la libéralisation du marché.

La vue a de quoi impressionner. Dans une plaine au sud de Dijon (Côte-d’Or), une vingtaine de voies dédiées au fret sont alignées sur le site de Gevrey. Au loin, on peut apercevoir les coteaux de l’Auxois, qui dévalent sur 40 kilomètres et font la réputation de la région.

L’activité de fret, elle, est au point mort. Ce mardi 13 juin, seul un train stationne sur les voies. Sa locomotive n’arbore pas la couleur verte de Fret SNCF, mais le jaune et bleu historique d’Euro Cargo Rail, rachetée en 2007 par l’allemand de la Deutsche Bahn (DB Cargo).

«Il y a 20 ans, Gevrey pouvait produire jusqu’à 2 500 trains en 24 heures»

«Il y a vingt ans, Gevrey pouvait produire jusqu’à 2 500 trains en 24 heures. Aujourd’hui, nous en trions dix fois moins», souffle, sur un pont au-dessus des rails, Vincent Jouille.

Ce cadre transport en mouvement (le gestionnaire des ressources pour la production de trains), âgé de 58 ans, est entré à la SNCF en 1985. Un temps aiguilleur, il rejoint Fret en 2001, avant l’ouverture à la concurrence à marche forcée par l’Union européenne en 2006.

Le site dijonnais est l’illustration parfaite du déclin du transport de marchandises ferroviaire. Avec 9,6 % de la part modale sur rail, le fret français est loin derrière la moyenne européenne (16,1 %).

Surtout, au gré de la casse de l’outil public SNCF, la part du ferroviaire a reculé de 16 points en trente ans, quand celle du camion a fait à bond de plus de 10 points (89 % du marché en 2018).

L’agglomération de Dijon comporte deux principaux sites de fret. Celui de Perrigny, pour la maintenance, l’aiguillage et le dépôt, et celui de Gevrey pour du tri à plat.

Dans ce dernier, les agents de la SNCF répartissent les wagons à l’aide d’une raquette pour les orienter vers des trains. La plateforme est aussi multimodale, permettant de transférer des conteneurs sur des wagons depuis des camions.

L’ensemble constitue un nœud ferroviaire coincé entre les façades maritimes et les pays frontaliers, en plus d’être dans l’axe Paris-Lyon-Marseille. «Les deux tiers des 23 flux qui vont être livrés à la concurrence avec le plan de démantèlement de Fret SNCF  passent ici, mesure Vincent Jouille. Nous allons, impuissants, les voir passer pour le Luxembourg, l’Espagne où encore l’Italie.»

«Depuis que je suis dans la société, je ne connais que des restructurations de personnel»

En 2021, le site de Gevrey a reçu une enveloppe de 2,6 millions d’euros pour la modernisation des voies de service du triage, dans l’optique affichée de franchir la barre des 20 % de part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030.

Pourtant, «depuis que je suis dans la société, je ne connais que des restructurations de personnel», glisse Matthieu Kaboré. Ce conducteur de train de 40 ans, élu CGT, a débuté à Fret SNCF en 2007. Il raconte : «La SNCF choisit d’adapter ses moyens de production au trafic. Chaque perte de marché entraîne une diminution des équipes. De fait, il n’est pas possible de se développer.»

Malgré l’ouverture à la concurrence, Fret SNCF reste le premier transporteur ferroviaire, avec 49 % (2021) des parts de marché. Contre 57 % en 2018. L’entreprise publique est passée de 15 000 salariés à 5 000 en l’espace de dix ans. Sur les deux sites dijonnais, ils ne sont plus que 450, «contre trois fois plus en 2006», glisse Lemmy Léger.

L’agent de desserte ajoute : «Nous perdons tous les ans 5 à 10 % du personnel. Avec l’ouverture à la concurrence et la centralisation des marchés les plus rentables, les tarifs ont augmenté et des clients sont allés sur les routes.»

Un recul du fret qui a eu des conséquences sur les outils de production

Car, de fait, le maillage territorial de Fret SNCF permet, en Côte-d’Or, à l’entreprise de gérer les flux de céréales ou de fer encore présents dans la région. Des marchandises qui souvent sont rassemblées avec d’autres, pour les longs trajets.

Mais qui ont un coût de fabrication plus élevé que les trains dits dédiés, avec un client unique, où se concentrent les concurrents de Fret SNCF comme Captrain (14 % du marché détenu par la SNCF) et l’allemand DB Cargo (13 %). Illustration parfaite avec les eaux Vittel, passées à la concurrence en 2011, «parce que rentables, a contrario des dessertes locales», insiste Vincent Jouille.

À Gevrey, ce recul du fret ferroviaire n’est pas sans conséquences sur les outils de production. Auparavant, ce site utilisait la technique du tri «à la gravité». Les wagons étaient poussés par une locomotive en haut d’une bosse, puis séparés et aiguillés informatiquement sur les voies de triage pour former d’autres trains.

Ce système de traitement de wagons «isolés», les plus coûteux en production selon l’entreprise, a été stoppé en 2011, avec six autres sites en France. «Le transport de marchandises ferroviaire ne devrait pas être une logique de rentabilité, mais un service public», insiste Matthieu Kaboré.

 

   publié le 14 juin 2023

Discrimination de genre : le long combat de onze femmes pour obtenir des réparations de carrière

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

La cour d’appel de Grenoble se penche mercredi sur la discrimination sexuelle dont se disent victimes un groupe de salariées de l’entreprise STMicroelectronics. Depuis des années, elles mènent un combat acharné pour faire reconnaître qu’être des femmes les a freinées dans l’évolution de leur carrière et de leur salaire.

PourPour briser le plafond de verre, il faut d’abord l’éclairer. Mettre en lumière les discriminations. C’est le sens du combat mené par onze salariées de STMicroelectronics, un fabricant franco-italien de puces électroniques.

Elles tentent de démontrer, depuis plus de dix ans, qu’elles sont moins bien payées que les hommes de l’entreprise et que leur évolution professionnelle est plus lente. Un bras de fer d’abord mené en interne puis, de guerre lasse, par la voie judiciaire devant le conseil des prud’hommes, pour réclamer la reconnaissance d’une « discrimination sexuelle » et obtenir une réparation de carrière.

Ce mercredi 14 juin, les dossiers de dix d’entre elles sont examinés en appel, à Grenoble (Isère). Elles ont été déboutées en première instance, en 2018. Pour les juges, les éléments apportés étaient insuffisants pour caractériser des faits individuels de discrimination. La onzième femme – la seule à avoir gagné en première instance – a également fait appel pour obtenir une meilleure réparation. Son audience aura lieu ultérieurement.

Les onze salariées, syndiquées à la CGT, travaillent sur deux sites isérois de la société : à Crolles, l’usine de production et à Grenoble, le site de recherche et développement. Elles n’appartiennent pas aux mêmes catégories de personnel. Six sont cadres et cinq autres sont des « Oatam » : ouvrières, administratives et techniciennes et agentes de maîtrise.

Elles mènent cette bataille, qu’elles qualifient « d’éprouvante », en se serrant les coudes. « C’est notre force d’être unies et solidaires, témoigne l’une d’elles. On a pris la décision d’aller en justice pour ouvrir la voie pour toutes les femmes. »

Une discrimination « systémique »

Ces onze salariées l’affirment : elles sont moins bien payées que les hommes et stagnent ou évoluent moins rapidement dans l’entreprise. Sollicitée par Mediapart, STMicroelectronics affirme ne pas souhaiter commenter une procédure mais entend « partager quelques points clés ». Le premier étant que « ST ne tolère aucune discrimination qu’elle soit, d’âge, de sexe ou de handicap ». L’entreprise souligne également ceci : « Dans l’Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes publié par le ministère du travail, ST atteint la note de 93/100 en 2022. »

Pour autant, plusieurs enquêtes de l’inspection du travail ont, par le passé, mis au jour des écarts injustifiés de rémunération entre les femmes et les hommes. La dernière en date, menée en 2021 sur le site de Crolles, est accablante pour STMicroelectronics. Les conclusions sur la situation des cadres de l’entreprise pointent « le caractère systémique du retard des femmes dans l’évolution de carrière comme dans les rémunérations moyennes et maximales ». Et poursuit : « Ce retard [dans l’évolution professionnelle des femmes – ndlr] apparaît se creuser au fur et à mesure du temps, dessinant un plafond de verre pour une grande majorité de femmes, alors que les hommes évoluent globalement de manière plus favorable. »

Concernant les différences de rémunération, le rapport donne un exemple, sur le cas précis d’une cadre de l’entreprise. Elle perçoit un salaire de 16 % inférieur aux hommes, « à coefficient d’embauche et ancienneté égale ». L’inspection du travail soupçonne par ailleurs que les femmes ayant connu un ou des congés maternité puissent être pénalisées et a demandé à l’entreprise de fournir des informations supplémentaires. « Lemployeur, dans sa réponse, affirmait vouloir transmettre ces données, ce qu’il n’a visiblement jamais fait par la suite », précise Xavier Sauvignet, l’avocat des onze femmes engagées dans la procédure prud’homale.

L’une d’elles, Élodie Saurat, en est convaincue : tout a changé après la naissance de son premier enfant. « Ça a été flagrant. J’étais toujours bien notée mais après ma grossesse, on ne m’a pas notée la première année. Puis systématiquement moins bien notée », décrit-elle. « J’ai senti une discrimination évidente. »

Tous les hommes entrés en même temps que moi, avec le même niveau à l’embauche avaient tous, sans exception, un ou deux coefficients de plus

Élodie Saurat est la seule à avoir fait condamner STMicroelectronics pour « discrimination sexuelle dans l’évolution professionnelle ». Son dossier avait été dépaysé à Valence (Drôme) car elle est conseillère prud’homale à Grenoble. « Le juge départiteur a retenu l’existence d’une discrimination générale à l’encontre des femmes au sein de STMicroelectronics », se félicite son conseil.

Arrivée dans l’entreprise en 2005, Élodie est chargée des contrôles qualité sur le site de Crolles et appartient à la catégorie des Oatam. « J’ai été embauchée avec un Bac +2 mais je n’ai même pas le statut de technicienne auquel j’aurais pu prétendre. En dix-huit ans, j’ai changé une fois d’atelier mais je n’ai jamais évolué. »

« Je n’ai pas changé de coefficient depuis vingt ans ! », raconte aussi Dominique Savignon, cadre sur le site grenoblois. Embauchée en l’an 2000, elle a une formation d’ingénieure mais a fait « beaucoup de fonctions supports », dans la société et regrette d’être cantonnée à un poste « bien en deçà » de ses capacités. « J’ai fait moult démarches pour demander des changements de poste et des formations de reconversion mais la réponse est toujours non. Même pour de la gestion de projet, c’est non. »

Les onze femmes commencent à nouer des liens dès 2006, quand leur entreprise ouvre une négociation en vue d’un accord sur l’égalité professionnelle. « C’était porteur d’espoir, se souvient Dominique. Mais finalement, l’accord sera réduit à de la pure communication. »

En 2011, un document interne fuite et fait l’effet d’une bombe. « Il y a eu une énorme boulette des RH qui ont diffusé la liste de tous les salaires, les dates d’embauche, les coefficients… la totale ! », raconte Dominique. « Ce que le fichier révélait est affligeant. Dans mon cas, tous les hommes entrés en même temps que moi, avec le même niveau à l’embauche avaient tous, sans exception, un ou deux coefficients de plus ! » En termes de salaire, l’écart est important : 15 % de différence, en défaveur de Dominique.

La « résistance » de l’employeur

La recevabilité de ce document est aujourd’hui contestée par STMicroelectronics. « L’employeur prétend que la communication de ces pièces, constituées de données personnelles issues des fichiers informatiques de l’entreprise, viole le droit au respect de la vie privée des salariés concernés et demande donc leur rejet des débats », indique Xavier Sauvignet dans ses conclusions. C’est après la diffusion de ce fichier que la véritable bataille commence. Pendant plusieurs années, les salariées réclament, en vain, des éléments précis de comparaison des salaires et carrières entre hommes et femmes afin de monter un panel. Et pouvoir précisément se comparer, au cas par cas.

« On y est allé étape par étape avant la voie judiciaire, poursuit Élodie Saurat. Nous avons utilisé toutes les instances de représentation du personnel, à tous les niveaux, mais la société nous a baladées et a toujours refusé. » En 2015, les salariées obtiennent de haute lutte une ordonnance, contraignant STMicroelectronics à transmettre des informations leur permettant de comparer leurs situations avec celles de leurs collègues masculins. « L’employeur résiste, évoquant… l’absence de salariés comparables ! », s’indigne l’avocat des onze femmes.

« Cinq ans plus tard, elles obtiennent enfin le plein panel mais, là encore, l’employeur fait preuve de mauvaise foi et nous adresse des documents anonymisés, déclassés et non numérisés. Le tout, dans des cartons, comme aux États-Unis ! », rit jaune Xavier Sauvignet. Ses clientes devront attendre l’été 2022 pour obtenir la transmission, en bonne et due forme, des éléments.

Un combat pour inspirer d’autres femmes

Il en ressort, selon l’argumentaire qui sera développé à l’audience, « que le processus d’évolution promotionnelle (passage à un coefficient supérieur) est particulièrement défavorable aux femmes, tous sites et toutes catégories confondues ». Les conclusions de Xavier Sauvignet indiquent également que « les hommes sont proportionnellement plus nombreux dans les jobs grade [catégories professionnelles – ndlr] les plus élevés ».

« En termes d’égalité femmes-hommes, la société mène depuis plusieurs années des actions volontaristes matérialisées notamment par des accords collectifs depuis 2006 », indique l’entreprise, dans les « points clés » apportés à notre connaissance. « ST a également mis en place des programmes de formations internes sur la question de l’égalité (par exemple “women in leadership”) destiné exclusivement au développement de carrière des femmes. »

Sur la question des salaires et de l’évolution de la carrière, la société répond que « chaque année le sujet est examiné devant le CSE [ comité social et économique –ndlr] sur la base du document de référence qu’est le rapport de situation comparé. C’est aussi un axe majeur de la politique salariale de l’entreprise. Nous avons mis en place dès 2011 la méthode des profils référents qui vise à assurer le principe de non-discrimination. »

Pour les salariées, cet appel de leur jugement, examiné ce mercredi après-midi, est « une étape vraiment importante ». Dominique Savignon tient à insister sur un point : « Cette procédure est difficile pour nous toutes. C’est dur financièrement mais aussi, émotionnellement. En face, ils ne lâchent rien et le combat est inégal. Mais nous, ce sont nos tripes qu’on engage ! Ce qui est miraculeux, c’est qu’on ne s’est jamais disputé, aucune n’a lâché le combat et c’est déjà une sacrée victoire. »

Dominique conclut : « Si c’était à refaire… je ne le referais peut être pas. Mais maintenant que j’y suis, je ne vais pas lâcher. Et si on gagne, je serais fière. Et j’espère que cela poussera des femmes à aller demander des comptes. »

Leur revendication qualifié de « petit problème »

Élodie Saurat tient le même discours : « On savait qu’on allait s’exposer et ça nous a demandé un sacré boulot. Je ne regrette pas, ça va m’aider pour l’avenir, je me battrai différemment, sans y laisser des plumes. » La salariée est aujourd’hui en burn out, essorée mais ce combat a ouvert une fenêtre, dans l’horizon de son avenir professionnel. « Je prépare une reconversion pour travailler dans le droit, aider les autres et informer, surtout en matière de violences sexistes et sexuelles. Je suis motivée, c’est comme ça qu’on arrivera à faire bouger les choses. »

Depuis le début de la procédure, trois salariées ont quitté l’entreprise, sans pour autant renoncer à leur combat judiciaire. L’une d’elles a fait une prise d’acte de son contrat de travail en janvier 2023, en raison du traitement discriminatoire dont elle se dit victime, depuis vingt-trois ans. Elle demande que son départ soit requalifié en licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et que soit reconnue, outre la discrimination sexuelle, l’existence d’un harcèlement moral à son égard.

Une enquête interne pour « harcèlement et violences au travail » avait été déclenchée en 2022 et les procès-verbaux des témoignages ont été versés au dossier par l’employeur, à la dernière minute. « L’enquête a été menée à charge, indique l’avocat, Xavier Sauvignet. Elle visait à retourner l’accusation contre ma cliente, qui n’a pourtant jamais fait l’objet d’aucune sanction auparavant. »

La lecture de ces PV s’est toutefois révélée fort instructive dans le cadre de la procédure pour discrimination sexuelle, mettant en lumière la manière dont plusieurs de ses supérieur·es perçoivent et qualifient le combat de la salariée. Il lui est par exemple reproché de tout ramener « à son petit problème ». L’un de ces anciens managers s’exprime aussi en ces termes : « Quand j’étais son manager, elle avait démarré son “truc” comme quoi elle était sous- payée », ajoutant : « Je suis une femme donc je suis sous-payée ».

Un « dénigrement » évident, aux yeux de Xavier Sauvignet. Et une attitude incompréhensible pour Élodie Saurat qui, elle-même, dit avoir été « atteinte personnellement ». Elle se désole : « J’ai morflé… et on a d’ailleurs toutes ramassé… alors qu’on veut juste défendre l’égalité. »

  publié le 14 juin 2023

Social : «Je dois m’occuper de cinq personnes par jour», le ras le bol des professionnels

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Social et médico-social Pénibilité, bas salaires, temps partiels imposés… les salariés du lien et du soin sont à bout de souffle, alors que les besoins du secteur ne faiblissent pas.

De sa voix grave, Alexis l’avoue : « J’aime ce métier, mais j’arrive à un stade où je ne sais pas si je vais continuer. » À 35 ans, cet accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) officiant depuis neuf ans auprès d’une école élémentaire et maternelle à L’Horme (Loire) dénonce de pénibles conditions de travail. Son faible salaire, malgré une prime réseau d’éducation prioritaire, ne dépasse pas les 922 euros net par mois, par la faute d’un temps partiel imposé.

Comme ce syndiqué Snuipp-FSU, c’est tout une profession qui se retrouve à bout de souffle, alors que six syndicats appellent les AESH à se mettre en grève ce mardi 13 juin (lire page 12). La précarité, dénoncée par ces professionnels, est symptomatique des « métiers du soin et des liens », estime un rapport de l’Ires et de la CGT réalisé en janvier 2023, à savoir les métiers contribuant à des « tâches de soin, d’éducation, d’aide ou d’accompagnement », détaille le rapport.

« D’année en année, les tâches s’alourdissent »

L’un des points communs que partagent ces secteurs est la perte d’attractivité à laquelle ils sont confrontés. À tel point que beaucoup tirent désormais la sonnette d’alarme. C’est le cas de Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social (HCTS) : « On peut parler d’une crise quand tous les employeurs – public et privé, gestionnaires de ­services et établissements essentiels à la population, et notamment aux personnes en situation de fragilité dans le handicap, l’enfance, les personnes âgées – rapportent à qui veut bien les entendre que la main-d’œuvre manque, que les recrutements sont très difficiles et que la qualité et même la réalité du service normalement dû aux personnes sont menacées », souligne-t-il. Une enquête réalisée par Pôle emploi en avril dernier appuie ses propos. L’étude révèle notamment que les aides à domicile figurent parmi les dix métiers où les recrutements sont jugés « difficiles ».

Pourquoi donc les travailleurs du lien ne répondent-ils plus à l’appel ? Les journées de travail épuisantes sont une première explication. « On doit tout savoir faire, que ce soit la toilette, l’habillage, les courses, cuisiner. On peut aussi s’occuper du courrier. Mais, d’année en année, les tâches s’alourdissent », prévient Louisa, professionnelle de l’aide et du maintien à domicile à Saint-Étienne pour l’ADMR, qui « tient particulièrement » à l’intitulé de son poste.

Des tensions sur le recrutement

Les pathologies des personnes dont cette syndiquée à la CNT-SO s’occupe sont « lourdes » : d’une personne atteinte d’Alzheimer à une autre aveugle et souffrant d’alcoolisme. « J’ai déjà été en difficulté avec une dame bipolaire non diagnostiquée et alcoolique. Un jour, elle en est arrivée à me poursuivre avec sa canne pour me battre », confie la Stéphanoise qui pointe le manque d’un autre aidant auprès des bénéficiaires.

De fait, les tensions sur le recrutement ont en effet de terribles conséquences sur le quotidien des professionnels. « Je me retrouve parfois à devoir m’occuper de cinq ­personnes dans la journée, ce qui n’est pas normal ! » lance Bassam, aide à domicile chez Objectif Émergence à Montpellier. Avec près de sept années d’expérience dans le métier, l’homme âgé de 39 ans dénonce désormais les « limites qui ont été franchies ». « Mon employeur m’a déjà envoyé auprès d’un usager pour réaliser des tâches ménagères alors que ce n’est pas mon rôle. Mais il manquait de personnel », ­regrette-t-il. Sans parler des amplitudes horaires qui l’amènent à réaliser des journées allant de « 9 heures à 21 heures » dans les cas les plus extrêmes.

Un salaire de misère

Difficile dans ces conditions de rendre les métiers plus attrayants. D’autant que l’exercice de la fonction s’accompagne d’un salaire de misère. Élisa, éducatrice de jeunes enfants à la Ville de Paris et représentante du personnel pour le Supap-FSU, gagne environ « 2 000 euros» par mois avec dix années d’ancienneté à temps complet. « J’exerce un métier qui est considéré comme féminin mais je m’oppose à la logique de certains qui veulent faire croire que s’occuper des enfants serait naturel, voire inné et ne nécessitant pas de diplôme pour les femmes. C’est faux ! » cingle-t-elle. Pis encore pour l’éducatrice, alors que des mesures de revalorisation ont été prononcées l’année dernière à l’occasion du Ségur de la santé – de nombreux professionnels des métiers du social et du médico-social ont pu bénéficier d’une prime de 183 euros –, ni Élisa ni ses collègues «n’ont obtenu quoi que ce soit ».

« Ce sont des professions très engageantes et pas suffisamment reconnues, notamment pour les échelons d’entrée dans le métier », reconnaît Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux. Avant d’expliquer que les associations, dont la sienne, ne peuvent agir seules pour proposer de meilleurs salaires. (…) « Les ressources de nos associations non lucratives proviennent essentiellement de nos autorités de tarification et de contrôle, c’est-à-dire l’État, les départements, voire les deux. Mieux payer les salariés, assurer une meilleure qualité de vie au travail par des taux d’encadrement plus importants ne dépendent que des ressources qui nous sont octroyées », explique-t-il.

Un « Livre blanc » remis au ministre des Solidarités

Comment alors remédier à la crise qui touche ces métiers ? Voici une problématique sur laquelle le département de la Gironde et l’Institut régional du travail social en Nouvelle-Aquitaine se sont penchés. Ces deux acteurs publics, accompagnés de professionnels, ont organisé, le 7 juin, une journée dédiée à la recherche de solutions aux difficultés des travailleuses et travailleurs des métiers du lien. Un moment d’échange et de propositions, à la fois régionales et nationales, entre ces différents acteurs qui doivent alimenter le futur « Livre blanc du travail social », un document destiné à émettre des propositions de réformes et « des pistes à mener pour transformer le secteur du travail social », souligne Mathieu Klein.

Lancé par le HCTS, il devrait être remis au ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, et publié « à la fin de l’été », précise le président de l’instance consultative. Les pouvoirs publics s’inspireront-ils de ces travaux pour prendre les problèmes de ces métiers à bras-le-corps ? Investir dans les métiers du lien apparaît en tout cas comme un enjeu vital.


 


 

Vers la fusion des AESH et des AED :
« une insulte aux enfants
que l’on accompagne »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) étaient en grève ce mardi 13 juin. Après une série de mobilisations autour des salaires et de l’organisation de leur temps de travail, ces professionnelles voient aujourd’hui leur métier menacé de fusion avec les assistants d’éducation (AED). 

À deux pas du ministère de l’Éducation nationale, une centaine d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) se masse sur une petite place parisienne. Ce mardi 13 juin signe une nouvelle journée de grève de ces professionnelles – en grande majorité des femmes -, précaires et exerçant le plus souvent à temps partiel. Elle a été initiée par une intersyndicale FSU, FO, CGT, Sud, Snalc et SNCL.

Dans plusieurs villes de France, des rassemblements se sont tenus devant les DSDEN (Direction des services départementaux de l’Éducation nationale) et les rectorats. Au coeur de la colère : les dernières annonces gouvernementales, en clôture de la Conférence nationale du handicap – un grand rendez-vous, fin avril, néanmoins boycotté par plusieurs associations.

C’est Emmanuel Macron lui-même qui a mis le feu aux poudres. Dans son discours, celui-ci a annoncé la création d’un nouveau métier : celui d’« accompagnant à la réussite éducative ». Dans le dossier de presse, le gouvernement détaille : « les fonctions des AESH et des assistants d’éducation seront progressivement réformées et regroupées pour créer un métier d’accompagnant à la réussite éducative ». Et de louer cette fusion comme une solution au temps partiel imposé : « les AESH pourront accéder à un temps plein (…) ils pourront ainsi déployer des compétences nouvelles et assurer le suivi des enfants sur le temps scolaire et périscolaire ».

Depuis, les syndicats sont dans le flou quant aux contours de cette nouvelle fonction et aux missions qui lui seront attribuées. Un comité social d’administration s’est tenu ce mardi. « Le ministère a indiqué qu’ils allaient mandater la DGESCO [direction générale de l’enseignement scolaire, ndlr] pour travailler dessus. C’est donc un vrai chantier, avec un groupe de travail, qui commence », rapporte Manuel Guyader, AESH et membre de l’intersyndicale pour SUD Éducation.

« On fusionne les AESH et les AED, et on nous dit : tenez, vous les avez vos 35 heures ! »

Depuis des années, les AESH revendiquent un réel statut dans la fonction publique, et l’obtention d’un salaire basé sur un temps plein – et non sur 24 heures de temps partiel imposé, ce qui concerne la majorité des professionnelles. Aujourd’hui plus que jamais, « on revendique notre statut d’AESH ; et les AED, leur statut d’AED. Parce que ce sont deux métiers différents », s’indigne un membre du SNALC (Syndicat national des lycées et collèges) au micro devant la petite foule rassemblée.

« Pour accompagner un enfant en situation de handicap, c’est mille et une choses qu’il faut savoir. On n’accompagne pas pareil un enfant autiste, ou TDAH [trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr] », confie Marianne Petit, AESH avec 15 ans d’expérience derrière elle, qui parle de « mépris » pour son métier.

Cette professionnelle grimpe péniblement à 1200 euros, pour 24 heures de travail… « Alors que je fais de la préparation, je forme des coordonateurs, je fais beaucoup, beaucoup d’heures supplémentaires. » À ses côtés, Lénaïc, AESH depuis deux ans en lycée pro, gagne lui « 920 euros par mois » pour ces 24 heures.

« On fusionne les AESH et les AED, et on nous dit : tenez, vous les avez vos 35 heures ! Nous on ne veut pas ça ! », proteste une AESH syndiquée FO 93 au micro. « On veut être AESH. On a des diplômes. Ce n’est pas parce que l’on est AESH que l’on est rien… On a notre place dans les écoles. On fait notre travail, et on le fait très bien. Et ils ont besoin de nous ! »

« Une claque à la figure des AESH »

Près de 430 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés dans des établissements du milieu ordinaire pour cette année 2022-2023 – contre 320 000 en 2017. Les recrutements d’AESH ont suivi, avec une augmentation de 35% du nombre de professionnelles sur cinq ans. Si ces hausses sont à saluer, « ce bilan ne suffit toutefois pas à effacer les difficultés persistantes rencontrées encore par trop d’enfants en situation de handicap pour accéder à l’éducation, sans discrimination », rappelle un rapport de la Défenseure des droits paru en août 2022.

Pour 430 000 élèves, seules 132 000 AESH exercent aujourd’hui. Dont beaucoup à temps partiel comme Lénaïc et Marianne. « C’est très peu, c’est aberrant », commente une AESH syndiquée à la CGT éduc’action. « On se retrouve à faire du saupoudrage, de la présence très ponctuelle auprès d’élèves qui auraient droit à plus d’heures en théorie… Par exemple, des élèves qui ont droit à 24 heures mais que l’on accompagne que 3 heures par semaine, parce que l’on est pas assez nombreux », déplore Lénaïc.

Un « saupoudrage » aggravé, selon les grévistes, par les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés), un système de mutualisation objet de nombreuses mobilisations depuis son déploiement en 2021. Un rapport parlementaire a été présenté le 7 juin à l’Assemblée nationale, évaluant la loi Blanquer de 2019 qui a mis en oeuvre ces PIAL. La mission conclut à la dégradation des conditions de travail des AESH engendrée par ce système. « Au lieu d’écouter cela, le ministère nous sort la fusion des métiers d’AED et d’AESH », souffle Manuel Guyader de Sud Éducation.

« Ces annonces sont pour nous une claque à la figure des AESH », résume l’une d’elles, syndiquée FSU, sous les applaudissements de ses collègues. « Pour moi c’est une insulte que le gouvernement nous a fait. Une insulte aux enfants que l’on accompagne ».

Des avancées obtenues, mais insuffisantes

Les AESH syndiqués défilant au micro promettent de maintenir la pression ; et de poursuivre à la rentrée. Les quelques avancées récemment obtenues n’auront donc pas suffi à éteindre leur dynamique de mobilisation. Parmi ces mesures gagnées, fin 2022 : la CDIsation au bout de trois années de CDD.

Celle-ci devait être mise en oeuvre dès cette rentrée de septembre. Or, le décret d’application n’est toujours pas paru. « Les académies ont besoin d’avoir les infos maintenant », souligne Manuel Guyader. « La rentrée va donc être encore une fois une catastrophe ».

Surtout, cela ne règle pas la question de la précarité du métier. « Avoir un CDI avec 800 euros par mois… », soupire Marianne Petit. « Très peu de gens vont jusqu’à trois ans, c’est tellement mal payé », abonde Lénaïc.

Pour répondre à cette précarité, et au vu du contexte inflationniste, 10 % d’augmentation salariale ont été maintes fois promis par le gouvernement aux AESH, pour la rentrée 2023. Sauf que depuis avril, le ministère commence à évoquer, à la place, une revalorisation indemnitaire. « Une indemnité ce n’est pas du salaire, on ne cotise pas », réagit Manuel Guyader.

Le ministère a également mis sur la table un scénario de relèvement de la grille indiciaire : mais celui-ci a tout de suite été rendu caduque par le relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique en mai, expliquent les syndicats. « Une revalorisation qui ne passe que par de l’indemnitaire et par une grille à peine toilettée ne change en rien la précarité subie par les AESH », a réagi la FSU.

Depuis, pas de prochain rendez-vous prévu sur le sujet des salaires. Le ministère a indiqué lors du CSA de ce mardi que « tout était mis en suspens » pour le moment, relate Manuel Guyader – notamment du fait de la revalorisation du point d’indice pour les fonctionnaires annoncée hier.


 

 

Handicap à l’école : les AESH veulent rester au service des enfants, pas être «les bonnes à tout faire de l’école»

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Sous couvert d’inclusion, la Conférence nationale du handicap a accouché, fin avril, d’une bombe sociale : effacer la spécificité de ces professionnels pour en faire les bonnes à tout faire de l’école, au mépris des intérêts des élèves et de ceux de ces travailleurs précaires. Les AESH étaient en grève ce 13 juin.

Chakar, avec son tee-shirt vert siglé du syndicat FSU qui proclame «AESH c’est un vrai métier», a un message pour Pap Ndiaye : «Le ministre disait que 80 % des AESH n’ont pas le bac, moi j’ai un bac + 5 !»

Il a connu la valse des sigles dont on a affublé ce métier qu’il exerce depuis treize ans : AVS (auxiliaire de vie scolaire), AESH (accompagnant d’élèves en situation de handicap)… et bientôt ARE (accompagnant à la réussite éducative), comme annoncé le 26 avril dans les conclusions de la Conférence nationale du handicap ?

«Pour le gouvernement, on n’est que des sigles»

Comme tous les manifestants réunis ce mardi 13 juin à Paris, à l’appel de l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Snalc, SNCL, SUD Solidaires), à quelques pas du ministère de l’Éducation nationale, il refuse la perspective qui verrait fusionner deux fonctions bien distinctes : AESH et assistant d’éducation, les anciens surveillants.

Une fusion qui, pour les AESH, signifierait un recul terrible : «Pour le gouvernement, on n’est que des sigles, reprend Chakar, mais les enfants dont on s’occupe ne sont pas des enfants lambda. En devenant ARE, on ne serait plus ciblés sur les enfants en situation de handicap.»

Du haut de ses vingt années d’ancienneté, sa collègue Marièle renchérit : «On aura moins de temps de présence auprès des élèves qu’on accompagne, ce sera plus facile de nous utiliser pour tout et n’importe quoi.»

De fait, sous prétexte que «le quotidien de l’enfant ne s’arrête pas aux portes de la classe», les ARE seraient aussi utilisés pour les accueils du matin et du soir, pour la pause méridienne, la cantine, le périscolaire…

Des salaires souvent en dessous du seuil de pauvreté

Tout ça sous prétexte de répondre au – ­légitime – besoin des enfants handicapés d’être à l’école à temps plein, et pour satisfaire la – non moins légitime – revendication des AESH d’exercer à temps plein, au lieu des temps partiels contraints que beaucoup subissent aujourd’hui.

Avec pour conséquence des salaires souvent en dessous du seuil de pauvreté, d’autant que faute de revalorisation, les premiers échelons de leur grille salariale ont été écrasés par l’inflation.

«Faites le calcul, demande Malika, AESH à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), il y a 430 000 élèves en situation de handicap, et 132 000 AESH : comment pourrions-nous faire autre chose ? Ceux qui proposent cela pensent-ils aux enfants dont nous nous occupons ?»

«Parfois, on ne passe qu’une seule heure par semaine avec un enfant qu’on est censé accompagner, reprend Samira, on ne sait pas où il en est, on doit tout reprendre. Comment est-on censé les accompagner vers l’autonomie dans ces conditions ?»

Les faibles perspectives de carrière sont une autre préoccupation que ne résoudrait pas la transformation en ARE : «On a envie d’évoluer ! éclate Malika en expliquant qu’elle souhaiterait devenir aide médico-psychologique. Qu’on nous donne des formations !»

Les promesses de la Conférence nationale du handicap pouvaient paraître belles, mais les AESH ne s’y sont pas laissés prendre. Et leurs syndicats, ne doutant pas que les parents et leurs associations feront de même, donnent d’ores et déjà rendez-vous à une rentrée qui pourrait s’avérer caniculaire.


 


 

Métiers du lien : «Il est nécessaire que les conventions collectives soient revues», réclame Pascal Brice

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Pourtant nécessaire, le secteur médico-social attire de moins en moins. La faute à des conditions de travail pénibles, des rémunérations en chute libre et un manque de respect pour leur expertise, pointe Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Celui-ci appelle à des revalorisation des salaires, alors que les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) sont en grève ce mardi. 

Quelles sont les professions concernées lorsque que l’on parle des «métiers du lien» ?

Pascal Brice : C’est très large. Cela englobe tout ce qu’on appelle les métiers de l’humain, du soin, plus globalement les métiers du social. On peut citer les éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, les assistantes sociales… De manière plus générale, le point commun de ces métiers, c’est l’accompagnement des fragilités humaines.

Comment expliquez-vous la crise qui les touche ?

Pascal Brice : La première explication est celle de la rémunération. Là où les travailleuses et travailleurs gagnaient auparavant deux fois le SMIC au bout de quelques années d’expérience, aujourd’hui c’est tout juste s’ils le dépassent. Certes, il y a eu une série de mesures de revalorisation utiles, qu’on appelle les mesures du Ségur, mais elles ont oublié une partie des travailleuses sociales. Il est nécessaire que les conventions collectives soient revues et que les rémunérations soient corrigées. 

Les salariés du lien passent leur temps à faire des rapports

Il y a aussi des questions de formation. Elle doit s’ouvrir plus largement à des thématiques de transformation écologique ou à la globalité de l’accompagnement social. Il y a également toute une série de choses qui pèsent sur la pratique sociale de ces métiers : de plus en plus de personnes souffrent de problèmes de santé mentale, or la psychiatrie en France est en difficulté et les travailleurs sociaux, qui ne sont pas des professionnels de ces pathologies, sont confrontés à des situations difficiles. 

Un autre problème concerne la bureaucratie. Les salariés du lien passent leur temps à faire des rapports ou à accompagner les bénéficiaires pour faire des déclarations administratives.

Vous expliquez que la bureaucratisation des tâches est un manque de respect pour les travailleurs sociaux, que vouliez-vous dire ?

Pascal Brice : Cette bureaucratie conduit à ce qu’on ne respecte pas l’expertise de ces professionnels. Ils en ont pourtant une : celle de l’accompagnement des personnes en fragilité, jeunes enfants, personnes à la rue, personnes souffrant d’addiction, etc. Ils ont été formés. Quand on multiplie les procédures qui visent à contrôler leurs compétences, c’est un manque de respect et c’est totalement décourageant.

  publié le 8 juin 2023

Les syndicats connaissent un regain d’adhésion malgré l’absence de victoire sur les retraites

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Le soutien aux mobilisations contre la réforme des retraites, menées par l’intersyndicale, a été largement majoritaire, affichant jusqu’à 70 % d’opinion favorable fin mars. Dans ce contexte de légitimité renforcée, les syndicats affichent une croissance importante des adhésions depuis le début de l’année. Même s’ils n’ont pas réussi à faire reculer le gouvernement.

 100 000 adhésions depuis janvier. C’est à peu de chose près le nombre de nouvelles et nouveaux syndiqués qu’enregistre la totalité des syndicats qui ont mené la bataille des retraites depuis janvier. Début juin, la première organisation représentative, la CFDT, disait afficher au compteur 43 116 adhésions pour 2023. Soit 30 % à 40 % de plus que l’année précédente, selon son service de presse. De son côté, la CGT annonçait au moment de son congrès fin mars, 30 000 nouveaux contacts et demandes d’adhésion en trois mois, dont 4500 en ligne via son site internet. Au 1er mai, près de 90 % d’entre elles se sont transformées en adhésions effectives, assure Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral. Soit, pour les deux premiers syndicats du pays, un total d’environ 70 000.

Cette hausse des demandes d’adhésion irrigue aussi les autres membres de l’intersyndicale, même si leurs chiffres sont partiels ou non consolidés. Pour Force ouvrière, le nombre total n’est pas connu. La troisième force syndicale n’a pas de système centralisé en temps réel à l’échelle confédérale. Et il est encore trop tôt pour avoir des remontées suffisantes sur les adhésions dans ses syndicats professionnels et territoriaux. Pour autant, au 30 mai, elle compte déjà 3759 demandes d’adhésion via son site internet national, contre 5000 pour l’ensemble de l’année 2022. Avec les demandes faites directement auprès de ses syndicats et de ses unions départements, ce chiffre pourrait être multiplié par au moins deux ou trois.

L’Unsa profite également de la même tendance. Ce syndicat qui revendique 190 000 adhérents et une progression de 15 000 membres en quatre ans assure avoir trois fois plus de demandes depuis janvier que sur la même période en 2022. Si aucun chiffre ne nous a été fourni, ses effectifs devraient progresser de quelques milliers de membres supplémentaires. Solidaires n’échappe pas à ce phénomène. N’étant pas une confédération, mais une union de syndicats, leurs données sont fragmentaires, mais Murielle Guibert, sa porte-parole estimait le mois dernier à 3000 le nombre de personnes à avoir rejoint les syndicats SUD. De même, la FSU pour qui l’adhésion est annuelle et intervient généralement à la rentrée de septembre, dans son champ principal de syndicalisation, l’Éducation nationale, estimait à plus 1500 le nombre de nouvelles cartes. Nous n’avons pas pu avoir d’estimation pour la CFTC et la CFE-CGC, même si pour cette dernière « une tendance à la hausse se dégage » qui ne pourra être confirmé nous a-t-on expliqué qu’en fin d’exercice, lorsque ses syndicats auront fait remonter à la confédération leurs adhésions.

 Un retour en grâce des syndicats ?

« Nous avions déjà observé un regain d’intérêt à partir de 2019, après la lutte contre la retraite à points, puis suite à la Covid et au confinement », explique Cyrille Lama, secrétaire confédéral à Force ouvrière. Pour lui, le boom des adhésions en ce début d’année est le signe que « les travailleurs veulent revenir dans le jeu, et le jeu c’est les syndicats ». Ce que semble confirmer Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU, pour qui la mobilisation de 2023 « pose aussi le débat de la démocratie sociale et le rôle des syndicats sur du long terme ».

S’il n’a pas gagné, le mouvement social sur les retraites, porté par les syndicats, a mis le gouvernement en difficulté et obligé celui-ci à user de tous les outils en sa possession pour passer en force. Avec comme effet, « une défiance moins importante vis-à-vis de l’intersyndicale que lors de précédents mouvements » analyse Benoît Teste. Mais peut-être aussi avec un sentiment de défaite moins présent ou moins dévastateur que par le passé. D’où des adhésions en plus grand nombre aujourd’hui, que lors des précédentes batailles sur les retraites. « En 2003 et 2010, il y avait un sentiment de défaite très dur » se rappelle Annick Coupé, ancienne porte-parole de Solidaires. « Jai le sentiment qu’on n’est pas dans le même état d’esprit. Je ne sens pas de regret d’avoir fait grève ou d’avoir manifesté. Cela ressemble plus à 1995 où les cheminots avaient gagné des choses, mais pas d’autres secteurs. Les gens exprimaient cependant le sentiment d’avoir relevé la tête ».

La différence avec 2010 et la mobilisation contre l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, sous Nicolas Sarkozy, Thomas Vacheron la voit aussi. « En 2010, quand je faisais les tournées syndicales après le mouvement, des délégués m’engueulaient et nous disaient : on a fait grève pour rien ». Un ressentiment et une démoralisation qui n’avaient pas entraîné une ruée vers les syndicats. Ce que confirme Cyrille Lama pour Force ouvrière : « pas de frémissement en 2010 sur les adhésions ». Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme, pense qu’il en va de même pour l’ensemble des syndicats. « Ni en 2003 ni en 2010, il n’y a eu de rebond des taux de syndicalisation », assure-t-il.

Des profils inattendus

Mais qui sont celles et ceux qui rejoignent les syndicats en ce début d’année 2023 ? « Des jeunes, des intérimaires, des précaires, des salariés de très petites entreprises ou de moins de 50 personnes », énumère Thomas Vacheron de la CGT. Avec une large prédominance du secteur privé et des adhésions nombreuses dans des entreprises qui étaient jusque-là des déserts syndicaux, assure-t-il. Beaucoup de jeunes et de femmes, explique de son côté la CFDT. Des profils nouveaux, confirme Cyrille Lama de FO: « des femmes de ménage, des chômeurs, des jeunes, des salariés de petites entreprises ». Et là aussi plus d’adhésions dans le secteur privé que dans le public « notamment des personnes qui veulent monter des listes pour les prochaines élections au Conseil social et économique (CSE) et qui étaient sans étiquette auparavant ».

Ce lien avec les élections dans les entreprises est également souligné par Thomas Vacheron. « La moitié des CSE seront renouvelés d’ici la fin de l’année », rappelle le membre du bureau confédéral de la CGT. Une réalité qui fait dire à Cyrille Lama de FO à propos de l’afflux d’adhésions que « les gens comprennent l’enjeu de la présence syndicale ». D’autant que Thomas Vachron l’assure : « en négociation les patrons cèdent plus facilement dans le contexte actuel d’inflation et de mobilisation sur les retraites ».

Une hirondelle ne fait pas le printemps

Si les adhésions sont nombreuses dans l’ensemble des syndicats depuis le début de l’année, cette augmentation du nombre de cartes est à relativiser. Elle ne modifiera pas en profondeur le poids du syndicalisme dans les rapports de force avec le patronat ou le gouvernement. En réalité, 100 000 adhérents supplémentaires représentent moins de 5 % de syndiqués en plus, sur les quelque 2,5 millions de membres que comptent l’ensemble des organisations qui composent l’intersyndicale. Ramenée à l’ensemble des 26,5 millions de personnes occupant un emploi salarié dans le pays, cette progression n’augmenterait que de moins d’un demi-point le taux de syndicalisation dans la population française, qui était de 10,3 % en 2019 selon la Dares.

De même, malgré des adhésions dans des entreprises qui ne connaissaient pas jusque-là de présence syndicale, cela ne comblera pas l’ensemble des trous. Loin de là. En 2021, seuls 13,1 % des entreprises de plus de 10 salariés avaient un délégué ou un représentant syndical en leur sein. Et 38,9 % une instance représentative du personnel selon la Dares. « Le syndicalisme n’est pas assez fort dans le pays, il y a trop d’entreprises dans lesquelles il n’y a pas de syndicats et il y a trop d’entreprises dans lesquelles il n’y a que quelques syndiqués », soulignait Sophie Binet, dans une interview donnée à Blast fin mai. Pour elle, une explication des difficultés à mettre totalement « La France à l’arrêt » le 7 mars. Et encore plus lors des jours suivants dans l’idée d’une grève reconductible : « Pour être solide, il faut avoir un socle de syndiqués, sinon on est trop fragile face au patron » certifie la numéro un de la CGT. Une difficulté qui en cache une autre. Selon l’étude de la Dares citée plus haut, 60 % des adhérents à un syndicat disent ne pas participer ou peu participer aux activités de leur syndicat. Pour Stéphane Sirot, « cest un problème évident, surtout lorsqu’il s’agit de déployer un mouvement social et encore davantage s’il s’agit de l’ancrer dans la pratique gréviste ».

 

publié le 7 juin 2023

Manifestation du 6 juin :
poursuivre le combat,
garder l’espoir,
préparer l’après

par Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr

Ce mardi 6 juin a lieu, partout en France, la 14e journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites. L’occasion de mettre la pression sur la majorité, 48 heures avant le passage à l’Assemblée nationale de la proposition de loi voulant l’abroger.

La fin de l’histoire ou le début d’un nouveau chapitre ? Voici la grande question qui plane à l’aube d’une 14e journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites qu’on annonce déjà comme moins fournie que les précédentes. Il est vrai que le cœur de ce mouvement social paraît derrière nous, niché au creux de l’hiver lorsque, chaque nouvelle journée de mobilisation donnait à voir des affluences records dans toutes les rues de l’hexagone. Le tout, dans une joie nouvelle colorant les luttes.

Comment peut-on imposer un projet de loi aussi antisocial en empêchant un vote ?

Près de cinq mois après la présentation du détail de sa réforme, l’exécutif n’a pas dévié d’un centimètre de sa trajectoire. A grand renfort de bisbilles constitutionnelles et de répressions policières et administratives, le gouvernement a refusé tout recul face à la rue et une large majorité de l’opinion publique. Ce 6 juin sera donc forcément teinté d’une amertume parsemée de colère et d’impuissance. Celle de n’avoir pas été entendu. Celle, surtout, d’avoir échoué. Depuis la promulgation de la loi et le double refus du Conseil Constitutionnel de valider la demande de référendum d’initiative partagée, l’application des principales mesures – dont le recul de l’âge légal de 62 à 64 ans – de la réforme au 1er septembre paraît inéluctable.

Petites doses d’espoir

Sauf que dans ce 6 juin, résident, aussi, des petites doses d’espoir. La première : l’examen de la proposition de loi du groupe Liot voulant abroger la réforme des retraites le 8 juin. Ce serait la première fois que les députés se prononceraient sur la mesure phare de la réforme. Lors d’une conférence de presse tenue une semaine avant la mobilisation du 6 juin, les organisations syndicales l’ont d’ailleurs rabâché à tour de bras. « Comment peut-on imposer un projet de loi aussi antisocial en empêchant un vote ? N’importe quel démocrate normalement constitué ne pourrait l’accepter », note Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT. « Cette proposition de loi doit être débattue, et votée démocratiquement. C’est le seul message qu’on a à faire passer aujourd’hui », abonde Marylise Léon, future numéro 1 de la CFDT.

Malgré tout, la majorité présidentielle compte bien user de tous les moyens dont elle dispose pour éviter que cette proposition de loi soit votée en séance dans l’hémicycle. Et si ce mouvement social nous a bien appris quelque chose, c’est l’arsenal législatif et constitutionnel que l’exécutif est prêt à utiliser pour passer en force. C’est d’ailleurs, peut-être, a posteriori, la plus grosse erreur de l’intersyndicale sur ces cinq mois de mobilisation. Avoir trop voulu jouer le jeu des institutions, au détriment de l’instauration d’un rapport de force plus dur. Car à ce jeu, le pouvoir excelle de facto, déjouant, violemment et sans brio, les injonctions aux débats dans l’hémicycle, au vote de la loi, ou encore les différents recours au Conseil Constitutionnel.

Le 8 juin, tous ceux qui empêcheront un vote seront responsables de l’accident démocratique.

La niche parlementaire de Liot ce 8 juin ne devrait pas déroger à la règle. Déjà, la majorité présidentielle s’est armée de tout un tas d’artifice législatif pour éviter un vote qui paraît, aujourd’hui, presque improbable. « Le 8 juin, tous ceux qui empêcheront un vote seront responsables de l’accident démocratique qui pourrait en découler », prévient, malgré tout, Thomas Vacheron, sans vraiment réussir à convaincre qu’un nouveau tour de force gouvernemental pourrait lancer une nouvelle étape dans la mobilisation.

Face au micro, les représentants syndicaux assurent qu’il pourrait y avoir de futures dates de mobilisation. « Les suites dépendront du niveau de la mobilisation mardi et du vote le 8 juin. J’appelle donc tout le monde à descendre dans la rue », affirme par exemple Sophie Binet, la numéro 1 de la CGT, ce week end dans le JDD. Malgré tout, en off, plusieurs représentants syndicaux pronostiquent que ce 6 juin sera la dernière journée de mobilisation interprofessionnelle. Des députés de La France insoumise, eux, espèrent poursuivre la mobilisation en appelant, tous les soirs de cette semaine à des « apéros anti-Macron » dans plusieurs villes de France.

Rapport de force

Faut-il y voir la fin de l’histoire ? Sans doute pas. Et c’est sans doute là que réside l’espoir le plus grand. À défaut d’avoir obtenu le retrait de la réforme, l’intersyndicale, par son unité et sa capacité à construire un mouvement massif, a redoré les blasons bien ternis et poussiéreux des syndicats. « Cette mobilisation a démontré que lorsqu’on est uni, il y a du monde dans la rue, et un regain de confiance à l’égard des syndicats », analyse Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA.

Et ce coup de propre ne s’arrêtera pas au soir du 6 juin. Déjà, les organisations représentatives des salariés ont annoncé qu’elles poursuivraient leur travail en commun sur plusieurs thématiques : hausse des salaires, égalité hommes-femmes, pénibilité du travail… Autant de thèmes sur lesquels l’intersyndicale veut obtenir des « avancées sociales ». En s’appuyant, notamment, sur la force construite ces cinq derniers mois pour instaurer un vrai rapport de force avec le gouvernement et le patronat.

Enfin, pour les millions de personnes qui se sont mobilisées contre cette réforme des retraites, la lutte ne s’arrêtera pas le 6 juin au soir. « Il y a une très forte colère, qui grandi de semaines en semaines », souffle Marylise Léon. Une colère en forme de défiance qui entravera, forcément, les actions futures du gouvernement. Et qui, parfois, secteur par secteur, pourra vaincre. À Verbaudet, entreprise de vente de vêtements en ligne, les salariées ont ainsi obtenu gain de cause sur des hausses de salaires après un long combat collectif de deux mois. Un exemple sur lequel s’appuyer pour construire les luttes actuelles et futures. Parmi elles, celle contre la réforme des retraites en fait encore partie.


 


 

« Ça se paiera plus tard... » :
les opposants à la réforme des retraites
fiers, mais inquiets

Sarah Bosquet, Dan Israel et Martine Orange sur www.mediapart.fr

La quatorzième journée nationale de mobilisation, et sans doute la dernière, a bien moins rassemblé, mardi, que les précédentes. Syndicalistes et simples citoyens espèrent avoir marqué durablement les esprits. Mais l’inflexibilité du pouvoir assombrit les perspectives.

Nul doute que si on les avait interrogé·es individuellement, toutes et tous auraient rejeté le terme. Mais les interventions des dirigeant·es de l’intersyndicale, mardi 6 juin en ouverture de la quatorzième manifestation parisienne contre la réforme des retraites, avaient un sérieux parfum de bilan. Ce bilan qu’on pourrait dresser au terme de mois d’une mobilisation acharnée, lancée le 19 janvier, mais qui n’a pas atteint son but : promulguée le 14 avril, la loi décalant de deux ans l’âge légal de départ à la retraite devrait entrer en vigueur le 1er septembre 2023, ses premiers décrets d’application ayant été publiés dimanche 4 juin.

Les dirigeants des huit syndicats de salarié·es avaient donné rendez-vous aux journalistes à la mi-journée devant l’Assemblée nationale, deux heures avant le départ de la manifestation de l’esplanade des Invalides, quelques centaines de mètres plus loin, en direction de la place d’Italie. Une manière de souligner leur soutien à la proposition de loi du groupe Liot, visant à abroger le report de l’âge légal et qui est programmée pour être discutée à l’Assemblée jeudi 8 juin.

Mais les macronistes et leurs alliés ont réussi à vider le texte de sa substance en commission des affaires sociales, et ils devraient même obtenir qu’il ne parvienne finalement pas au vote. Dans ce cadre, difficile d’afficher la confiance des grands jours.

« Il n’y a pas de sujet de résignation, on arrivera à mobiliser encore aujourd’hui », peut bien assurer Frédéric Souillot, le dirigeant de Force ouvrière, assurant qu’il y aura « encore des choses à défendre et à revendiquer tous ensemble, sur les salaires et sur l’assurance-chômage », dans les prochains mois.

Tous les responsables syndicaux sont d’accord. Mais ils ne masquent plus une autre réalité. « Le match pour les retraites est en train de se terminer, qu’on le veuille ou non », est convenu Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Le décompte du nombre de manifestants par le ministère de l’intérieur lui donne raison : 281 000 personnes pour toute la France – contre 900 000 manifestant·es selon la CGT.

C’est la plus faible affluence annoncée par le gouvernement depuis la première manifestation le 19 janvier. Le plus bas précédent était le 11 mars, avec 368  000 personnes. Loin du record historique du 7 mars, avec presque 1,3 million de personnes. L’écho est cruel avec cette confidence de Laurent Berger, lors de la journée du 13 avril : « On ne veut pas finir à 200 000 personnes dans toute la France, alors qu’on a réussi une mobilisation historique pendant trois mois. » Dans la capitale, 31 000 manifestant·es étaient présents selon la préfecture de police. La CGT en a compté trois fois plus .

Laurent Berger avait prévenu avant que le cortège s’élance : « C’est la dernière manifestation contre la réforme des retraites, sur ce format-là. » « Il y a toujours une colère et un ressentiment, analyse-t-il. Il va falloir qu’on cultive cette mobilisation pour continuer à travailler sur les salaires, le pouvoir d’achat, les conditions du travail et du dialogue social. »

Celui qui passera la main le 21 juin à sa numéro deux Marylise Léon a été interrogé sur son départ tout proche. « Je ne dis pas que je ne ressens pas un peu de mélancolie. C’est un peu atypique comme fin de mandat », a-t-il glissé, tout en se disant fier : « On a démontré la force du syndicalisme. » La CFDT revendique 43 000 nouvelles adhésions en 2023, après une légère hausse en 2022, ses effectifs devant désormais approcher les 650 000 membres.

À ses côtés, la nouvelle dirigeante de la CGT, Sophie Binet, a elle aussi regardé vers l’avenir. Même si « les retraites resteront toujours un combat », l’objectif est à présent de « gagner des avancées concrètes », a-t-elle affirmé, en répétant vouloir de « de vraies négociations », sur les salaires ou les « ordonnances Macron » ayant réformé le Code du travail à toute allure en 2017, ou sur « l’égalité femmes-hommes ».

« Tout ce qui s’est passé n’est pas vain. C’est peut-être une étape finale pour la mobilisation contre les retraites, mais sur les questions sociales, le mécontentement et la colère sociale, rien n’est terminé », estime elle aussi Murielle Guilbert, codirigeante de Sud-Solidaires.

« Certes, on a perdu dans l’immédiat, on le reconnaît. Mais ce mouvement a changé les choses : on ne parle plus de la même manière des syndicats, nous sommes à nouveau vus comme porteurs d’un intérêt général, espère lui aussi Benoît Teste, le dirigeant de la FSU. Le monde du travail a relevé la tête. »

Les responsables de l’intersyndicale ont prévu de confronter leurs points de vue le 13 juin, avant d’établir un plan pour la suite. Il est possible qu’ils se divisent également sur une hypothétique invitation à l’Élysée dans les jours qui viennent, la CFTC, et sans doute la CFDT, y étant favorable, à l’inverse de la CGT, de FO ou de la CFE-CGC.

 « C’est beau »

Dans le cortège, si le constat de l’essoufflement est partagé, les manifestant·es n’ont pas envie d’y voir une fin. Toutes et tous préfèrent souligner la « beauté » de ce qu’ils ont vu pendant six mois, pour reprendre un terme qui revient régulièrement.

« C’est un beau mouvement, les grèves ont été assez suivies, même dans notre petite association, et on voit que les gens se syndiquent de plus en plus, même si ça clairement, ce n’est pas lié qu’à la réforme des retraites, dit Valentin, 31 ans, psychologue dans une association et syndiqué à Sud depuis peu. On verra bien si le mouvement tient sur la durée. En attendant, nous on va continuer à être mobilisés contre le projet de loi immigration. »

Son acolyte Baptiste, 29 ans, intermittent, a comme Valentin aussi participé à plusieurs manifestations sauvages. « C’est beau de voir autant de gens différents dans la rue. De sentir que ça rassemble, de voir cette joie, ça émeut. Ça fait vraiment du bien de voir que la jeunesse est antiraciste et antifasciste », lance-t-il.

Coline, 29 ans, est montée en hauteur près du Jardin des plantes pour regarder défiler l’un des deux cortèges. Elle est cordiste, non syndiquée, travaille en intérim et est engagée dans les luttes écologistes : « J’habite dans le Tarn, mais je suis de passage à Paris, c’était l’occasion de continuer la lutte. Pour moi, c’est évident que l’écologie et le social vont de pair. C’est génial qu’il y ait encore autant de monde qui se mobilise, plein de syndicats différents, un melting-pot de luttes. C’est très motivant pour la suite ! »

Nils et Louise ont 20 ans et sont étudiants à l’antenne de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) de Sciences Po. Ils ont été de tous les défilés. Et ils sont optimistes : « Cette manifestation est peut-être une manifestation de dépit, de résignation. Mais cela ne doit pas cacher le reste. Il s’est passé un moment important pour le pays. Il y avait auparavant une sorte de mouvement populiste, ni de droite ni de gauche. Le mouvement a remis la lutte des classes sur le devant de la scène, le clivage droite-gauche existe à nouveau. Il y a une dynamique qui n’est pas près de disparaître. »

D’autres disent aussi leur fierté, mais sans cacher leurs inquiétudes pour l’avenir. « On n’est pas syndiqués, mais on se mobilise depuis le début dans toutes les manifestations, mais aussi pour des manifestations sauvages, et au rassemblement à Concorde le 16 mars, raconte Ghiles, conseiller principal d’éducation en Seine-Saint-Denis, venu avec des collègues, CPE et enseignants. On se dit que même si on n’a pas gagné la bagarre, on a gagné sur le plan des idées. Mais la manière dont le gouvernement a imposé le texte, ça génère du ressentiment et ça fait de la place à l’extrême droite. »

Une inquiétude qu’on retrouve fréquemment dans le discours des syndicalistes, encore plus présents que d’habitude dans le cortège, rétrécissement de la mobilisation oblige. Véronique, par exemple. Élue CFTC chez Saemes, une entreprise parisienne de parkings, onze manifestations au compteur, assurées tour à tour en déclarant des jours de grève et en posant des RTT.

« Nous avons tous conscience que ce mouvement est historique. Jamais la CFTC n’avait défilé aussi longtemps, et avec cette cohésion de tous les militants syndicaux, cela restera longtemps du jamais-vu, revendique-t-elle. Mais c’est d’autant plus exaspérant, incompréhensible, qu’on ne soit pas entendus ».

« Les gens sont désabusés, déçus et en colère contre ce gouvernement, qui n’écoute pas, qui n’entend rien. Et cette colère aura des répercussions, ça se paiera plus tard », pronostique elle aussi Corinne Bornes, infirmière et secrétaire départementale de la CFDT dans le Lot. Elle craint une abstention encore plus forte, et un vote RN qui monte en flèche.

« En allant un peu loin, je dirais qu’on vit dans une monarchie constitutionnelle, poursuit-elle. Le monarque décide et pendant que le petit peuple est dans la rue, il reçoit Elon Musk à Versailles [le patron de Tesla et de Twitter a été reçu par Emmanuel Macron le 15 mai, en marge du salon Choose France – ndlr]. Et le Parlement est composé de gens bien nés, qui appliquent ce que demande le chef, et qui ne connaissent pas le pays et ses habitants. »

Gwenaëlle, autre militante CFDT, de Seine-Saint-Denis, le dit brutalement : « Le gouvernement marche sur les syndicats depuis longtemps déjà, on se bat contre un mur. Ils sont hors sol, dans leur bulle, ils ne connaissent pas la réalité du terrain, ils sont arrogants. C’est effrayant. »

La colère n’est pas éteinte

Talula est salariée d’une compagnie d’assurance, et en est à sa huitième manifestation. La réforme n’est pas « une question d’intérêt personnel », précise-t-elle, elle qui a une fille jeune à qui elle devra payer des études et qui prévoit donc de travailler au-delà de 64 ans.

« Mais il n’est pas possible qu’un seul gouverne, en n’écoutant personne, s’indigne-t-elle. Il y a quelque chose de latent, de non résolu après ces mois de manifestations. Et cela va rester, il y a une colère, une grande frustration chez les gens. Je ne sais pas comment cela se traduire par la suite. Je me dis qu’il faut des actions plus fortes. Ne plus consommer par exemple, le gouvernement réagirait beaucoup plus vite. » Elle s’éloigne, puis revient quelques minutes plus tard : « Il y a quelque chose de très important que j’ai oublié de vous dire, notez bien : je ne voterai plus. »

Pour Geoffrey, chef cuisinier qui va ouvrir son restaurant dans quelques semaines dans le XXe arrondissement de Paris, « ce mouvement n’est peut-être qu’à son début, imagine-t-il. Quatre ans avec Macron, je ne sais pas comment on va faire, je n’ose même pas l’imaginer. Ce qu’il se passe actuellement, le déni démocratique auquel on assiste, est grave. Cette colère ne va pas s’éteindre comme cela. Il peut subvenir un événement déclencheur qu’on n’a pas prévu, qui conduirait à tout changer ».

Geoffrey tire volontiers des liens entre ce mouvement social et la lutte contre le dérèglement climatique, chantier prioritaire à ses yeux. Il est loin d’être le seul. Antoine, 18 ans, en terminale à Orsay (Essonne), prépare des pancartes à la sortie du métro Invalides avec ses camarades Tony et Alizée. Et lier les deux leur vient naturellement : « La réforme aura des conséquences sur les personnes les plus précaires, elle va aggraver leurs vies alors qu’ils sont déjà épuisés. On se dit qu’il y avait plus important que de faire travailler les gens deux ans de plus ; alors qu’on va se manger 4 degrés de plus. »

Au bout de six mois de mobilisation usante, reste encore le principal pour certains : dire et redire qu’ils n’envisagent pas de travailler plus. Et en cette quatorzième journée de manifestation, on trouve encore des personnes qui défilent pour la première fois.

C’est le cas de certaines des futures professionnelles de la petite enfance qui surgissent, vêtues d’un t-shirt aux couleurs du collectif « Pas de bébés à la consigne », qui réclame depuis des années de meilleures conditions de travail, et notamment un plafond de cinq enfants par adulte dans les crèches et autres lieux d’accueil.

Florence, Camille, Diana et Kalyne suivent la formation professionnalisante à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Alors que le gouvernement a annoncé vouloir créer 200 000 places d’accueil pour les bébés d’ici à 2030, sans considérer les 10 000 postes déjà non pourvus et la pénurie de candidat·es, le collectif avait appelé à manifester devant le ministère du travail dans la matinée.

Poursuivre contre la réforme des retraites dans l’après-midi était une évidence pour elles : « À 45 ans, déjà, les professionnelles présentent souvent de gros troubles musculo-squelettiques. Le métier est difficile physiquement, on va toutes devoir travailler jusqu’à 67 ans parce que nous n’avons pas des carrières complètes. Et on nous dit quoi tous les matins ? “Bonne journée, amusez-vous bien” ! » Alors, elles manifestent. Encore.

  publié le 6 juin 2023

En direct. Retraites : 300.000 manifestants à Paris, selon la CGT

Sur www.humanite.fr

L'intersyndicale appelait ce mardi 6 juin à une quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Après six mois de lutte, et deux jours avant l'examen devant l'Assemblée nationale de la proposition de loi du groupe Liot qui vise à abroger la retraite à 64 ans, les manifestants se sont regroupés dans plus de 200 cortèges à travers la France.  Quelques échos :


 

Les leaders de l'intersyndicale préparent les luttes sociales à venir

Dans le carré de tête de la manifestation parisienne partie des Invalides vers 14 heures, les leaders des huit organisations syndicales unies contre la réforme des retraites se donnent des perspectives après cette quatorzième journée de mobilisation.

Pour Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT qui passera la main à Marylise Léon dans quinze jours, c'"est la dernière évidemment sur la question des retraites dans ce format-là", mais cette journée doit servir à "montrer la force du mouvement syndical pour relever les défis qui sont devant nous", notamment "le pouvoir d'achat, les salaires, le logement, les conditions de travail".

A ses côtés derrière la banderole de début de manifestation, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, assure que "les retraites resteront toujours un combat". Mais, l'objectif est aussi de "gagner des avancées concrètes" sur les salaires, "l'égalité femmes-hommes", mais aussi les "ordonnances Macron" sur le code du travail. Pour ce faire, "l'intersyndicale restera unie" estime-t-elle, jugeant "probable qu'il y ait d'autres manifestations au vu de la colère dans le pays""Nous voulons de vraies négociations", prévient-elle le gouvernement.

L'intersyndicale a prévu "un échange en visio" le 13 juin, indique Benoît Teste (FSU) pour "faire un bilan complet" de cette journée de manifestations et de grèves ainsi que du vote, jeudi, à l'Assemblée nationale, sur la proposition d'abrogation de la réforme des retraites.

Quant à une éventuelle invitation d'Emmanuel Macron à l'Elysée, l'hypothèse suscite des avis divergents. Cyril Chabanier (CFTC) "pense qu'il faut y aller car c'est un bon moment pour négocier sur d'autres sujets". Frédéric Souillot affirme en revanche que FO "n'ira pas" à cette simili conférence sociale. Idem pour la CFE-CGC, son président François Hommeril n'ayant "pas envie d'aller à une opération de communication du président de la République".


 

A Valenciennes, retraite et industrie, même combat

Les salariés de Valdunes, lâchés par leur actionnaire chinois, étaient en tête de manifestation. L’incertitude plane à la fois sur leurs emplois et sur leur future retraite.

« Il faut, il faut, la nationalisation ! » Poings levés, les salariés du fabricant ferroviaire Valdunes posent pour les photographes devant la gare de Valenciennes. Ils sont une centaine, travaillant sur le site d’usinage tout proche de Trith-Saint-Léger, en tête de la manifestation contre la retraite à 64 ans. En mai, leur actionnaire, le chinois MA Steel, a annoncé qu’il ne financerait plus l’entreprise, qui comprend également une forge près de Dunkerque. L’ensemble emploie 260 personnes. Le tribunal de commerce a enclenché une procédure de conciliation. Le ministère de l’Industrie, qui refuse toute nationalisation, même temporaire, ou entrée au capital, n’envisage qu’une aide financière pour un potentiel repreneur, que la Région Hauts-de-France promet d’abonder. L’incertitude a déjà poussé des salariés à démissionner. « Cette fuite de savoir-faire nous inquiète car pour avoir un repreneur, il faut aussi des salariés », commente Maxime Savaux, délégué CGT.

« Nous avons beaucoup d’interrogations », souffle Florence, commerciale embauchée il y a un an. Si la situation de Valdunes la préoccupe, la défense des retraites lui parle tout autant. « Imaginez la retraite qu’auraient ces 260 salariés, dont beaucoup ont plus de 50 ans, si ils perdaient leur emploi sans certitude d’en retrouver un », souligne-t-elle. « 64 ans, ça va être très long, confirme Christophe », la cinquantaine, qui, avant le vote de la loi, pensait pouvoir raccrocher à 63 ans. « Quand j’ai commencé à travailler, on partait avec 37 ans et demi de cotisation... », rappelle-t-il. Embauché comme technicien il y a 30 ans, il explique avoir « fait les postes continus pendant douze ans », un système qui alternait postes du matin, d’après-midi et de nuit. « C’est usant », assure-t-il, évoquant un « sommeil perturbé » et une vie de famille sacrifiée : « On n’avait qu’un week-end libre par mois. » Autant pour l’avenir de Valdunes que pour la défense de la retraite, « la lutte doit continuer, conclut-il, car il n’y a qu’en mettant la pression qu’on y arrive ».

 

A Marseille, on fait le bilan et on se projette

Stop ou encore ? Après six mois de mobilisation, ponctués de journées de grève et d’énormes manifestations, les grévistes qui battaient le pavé marseillais ce mardi matin avouent se poser la question. Il faut dire que l’étiquette syndicale joue beaucoup. « Si nous n’obtenons pas gain de cause le 8 juin, on arrêtera là, affirme sans ambages Malka Darmon, de la CFDT chimie-énergie. On ne va pas s’épuiser en vaines manifestation ». « Nous continuerons jusqu’au retrait, assure, pour sa part, Christophe Morard, de la CGT Cheminots de Miramas. Nous ferons tout ce qu’il faut pour poursuivre le mouvement social ».

Si les opinions divergent quant aux suites à donner aux mobilisations, il y a bien un terrain sur lequel les grévistes de la première heure se rejoignent, à l’heure de dresser un bilan d’étape : par-delà les étiquettes, tout le monde salue un mouvement historique, qui donne des idées pour la suite. « Nous avons montré à la France que nous étions capables de nous mobiliser tous ensemble, dans l’intérêt des travailleurs, se félicite Malka Darmon. On a montré notre force, et Emmanuel Macron sa faiblesse : il n’a pas l’étoffe d’un Président, tout juste celle d’un monarque ». Pour Gilles Moulin, de la CGT RTE, ce mouvement permet de mesurer le niveau de colère qui gronde dans le pays : « Il n’y pas que la retraite, les salaires aussi sont au cœur des préoccupations, avec l’inflation. Quand on voit que les camarades de Vertbaudet ont dû faire 60 jours de grève pour obtenir une juste rémunération de leur travail, cela dit quelque chose de l’inflexibilité patronale. »

Dans les entreprises, le mouvement social n’a fait qu’attiser une colère déjà présente, qui cible plus largement la politique néolibérale de l’exécutif. « A la SNCF, nous faisons face à une multitude d’attaques coordonnées, résume Christophe Morard. Il y a la réforme des retraites, bien sûr, mais aussi la liquidation programmée du fret ferroviaire, qui vient d’être confirmée et l’ouverture à la concurrence des TER. Nous allons continuer à nous y opposer, sans quoi la SNCF pourrait finir par disparaître. » De quoi alimenter les mobilisations à venir.


 

A Ancenis (Loire-Atlantique), la détermination est intacte

Ca nous a manqué”. Après un mois de pause, sous un soleil de plomb, les opposants à la réforme des retraites ont retrouvé la rue à Ancenis, en Loire-Atlantique. Au plus fort du mouvement, cette commune rurale qui compte 7 500 habitants avait accueilli jusqu’à 6 000 manifestants. Un record historique, pointe l’ancien secrétaire de l’Union locale CFDT, Roger Classin. Ce mardi, l’ambiance festive qui a rythmé les treize précédentes manifestations intersyndicales est toujours intacte, la détermination aussi. Dans ce territoire où se concentrent de nombreuses usines de l’agroalimentaire ou de la métallurgie, au milieu des forces syndiqués, de nombreuses ouvrières, qui se sont mobilisées pour la première fois, sont à nouveau présentes. C’est le cas de Laeticia, qui après 20 ans à la chaîne dans l’usine de fabrication des lardons du groupe Aubret, a déjà subi trois opérations à l’épaule à seulement 48 ans. Une femme “détruite par le travail”, comme de nombreuses autres, souligne Caroline aide-soignante, à Nantes. Elle aussi n’avait jamais manifesté, ni fait grève, mais cette fois, l’injustice était trop grande : “ En tant que professionnelle de santé, je vois de nombreuses professions qui techniquement ne pourront jamais aller jusqu’à 64 ans”.  

Le passage en force de la loi, ou encore “les magouilles” visant à empêcher un vote sur la proposition de loi d’abrogation Liot ce jeudi, sont autant de déceptions même si ici personne n’est vraiment surpris. “Cela fait longtemps que les politiques finissent par obtenir une fois au pouvoir ce qui avait déjà été décidé sans jamais tenir compte de notre opinion”, peste Charlotte. Avec le 49.3, Emmanuel Macron a montré qu’il n’avait plus “aucune limite” pour faire reculer l’âge de la retraite à 64 ans, estime la jeune lycéenne Lola. Ce qui n'empêche pas les 1 500 manifestants d’être persuadés que “rien n’est terminé”. “Les nerfs sont à vifs” et personne “ne sait vraiment quand ça va exploser”, poursuit Christophe, syndiqué chez FO.  D’une part “les décrets ne sont pas encore tous tombés”. D'autre part, “le mouvement social a planté des graines”, analyse Stéphane Godard, CGT Cheminot. “Dans les entreprises, dans nos directions, la peur des débordements est forte. Cela montre que quelque chose s’est créé”, explique-t-il.  


 

Sophie Binet (CGT) : "On est dans un pays de plus en plus autoritaire"

Cette réforme est très concrète pour des millions de salariés et c’est un scandale que le gouvernement prétende l’appliquer au 1er septembre alors qu’il a seulement publié 2 décrets sur 31”, a affirmé la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sur BFMTV, mardi matin. Des Françaises et des Français seront “sacrifiés” avec une “absence d’anticipation”, des “difficultés pour le calcul de leur droit”, a fustigé la syndicaliste dénonçant également "les conditions de travail catastrophiques” des agents en charge des dossiers : “C’est complètement irresponsable de prétendre appliquer cette réforme dans ces conditions”. 

Dans aucun autre pays démocratique, un gouvernement n’appliquerait une réforme après six mois de contestation massive et sans vote du parlement. On est dans un pays de plus en plus autoritaire”, a-t-elle ajouté.  


 

Laurent Berger (CFDT) veut "transformer la colère en rapport de force"

Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a assuré, sur Europe 1 ce matin, que “ les travailleurs savent bien que sur les retraites, avec un décret sur les 64 ans qui est publié, ça devient de plus en plus compliqué". Sur les suites, "on décidera ensemble, a-t-il pousuivi, mais probablement que sur la réforme des retraites ce sera l’une des dernières journées de mobilisations. Raison de plus pour aller dans l’un des 250 cortèges”. Assurant qu’il y aura “beaucoup de monde”, il y voit “le signal de cette colère de ne pas avoir été écouté”. Et ajoute : “Cette colère, je veux la transformer en rapport de force pour obtenir des résultats sur le pouvoir d’achat, sur l’amélioration des conditions de travail, sur le dialogue social…” Le syndicaliste, qui passe prochainement la main à Marylise Léon, estime notamment que face à l’”affaiblissement des bas salaires” et aux “très hautes rémunérations qui explosent”, "il faut un maximum d’écart de 1 à 20. C’est aussi comme ça qu’on recréera du commun”.  


 

Retraite, salaires, RSA... les revendications s'élargissent

Si la lutte contre la réforme des retraites demeure la mère des batailles des syndicats avec les nombreux rendez-vous de mobilisation de ce 6 juin, ces derniers avancent sur des revendications et lignes rouges communes, de la conditionnalité du RSA dans le projet de loi France Travail à la retouche des ordonnances Macron, en passant par la question des salaires. 


 

Sophie Binet : “Notre objectif est que la réforme ne s’applique pas” 

 “Auprès des travailleurs, cette réforme ne passe toujours pas. Nous ne pouvons pas tourner la page”, affirme Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, dans les colonnes de l'Humanité au matin de la quatorzième journée de mobilisation contre la retraite à 64 ans. Alors que le 8 juin les députés doivent se prononcer sur la proposition de loi d’abrogation de la réforme, la syndicaliste estime aussi “de la responsabilité de Yaël Braun-Pivet (présidente Renaissance de l’Assemblée nationale, NDLR) de garantir le respect du droit des parlementaires” que jusque-là “la Macronie foule aux pieds”. 

publiéle 5 juin 2023

Manifestations contre la réforme des retraites : tous les rendez-vous du 6 juin

sur www.humanite.fr

L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée d’action mardi 6 juin contre la réforme des retraites que le gouvernement tente d’imposer à marche forcée.

Des manifestations sont organisées à travers toute la France.

 

Plus d’un mois après le 1er Mai, qui avait vu 2,3 millions de personnes dans la rue, les salariés, étudiants, lycéens et privés d’emploi sont appelés, par l’intersyndicale, à manifester ce 6 juin contre le recul de l’âge de départ à 64 ans et la suppression des régimes pionniers. Une mobilisation qui s’inscrit deux jours avant l’examen de la proposition de loi d’abrogation de la réforme que le gouvernement espère torpiller. 

Plus de 200 cortèges sont organisés à travers la France. Vous pouvez les retrouver sur la carte des mobilisations de la CGT


 


 


 

Nous demandons l’abrogation de la réforme des retraites

sur www.humanite.fr

Le recul de l’âge légal de départ à 64 ans n’a pas été soumis à un vote de l’Assemblée nationale. Le 8 juin, le groupe Liot veut présenter une proposition de loi afin de donner le dernier mot au Parlement.


 

Le choix de la démocratie contre la honteuse combine

Stéphane Peu, Député PCF de Seine-Saint-Denis

Quel autre exemple pouvons-nous trouver dans l’histoire de la V e République d’un pouvoir qui aurait, avec autant de constance que d’hypocrisie, utilisé tant d’artifices pour faire obstacle à la démocratie et imposer une réforme dont le pays ne veut pas, ni l’écrasante majorité des salariés, ni l’inébranlable front syndical, ni en réalité une majorité de parlementaires, qu’ils s’y opposent par conviction ou par crainte d’un retour de bâton électoral ?

Après le mensonge pour déguiser les conséquences de sa réforme toxique des retraites, et après s’être appliqué à bâcler les débats de fond, en choisissant comme véhicule législatif une loi de finances rectificative…

Après avoir cherché en vain une majorité parlementaire, en allant jusqu’à soudoyer les voix de parlementaires indécis… Après avoir une fois de plus usé du 49.3, faute d’avoir su convaincre jusque dans son propre camp…

Et, enfin, après le coup de pouce opportun du Conseil constitutionnel pour faire obstacle à la demande d’un référendum d’initiative partagée (RIP), le gouvernement s’apprête à recourir à d’ultimes manœuvres jusqu’à l’utilisation de l’article 40 pour empêcher l’examen, le 8 juin, d’une proposition de loi visant à abroger sa réforme des retraites, proposition à l’initiative du groupe Liot.

Il est indispensable que l’Assemblée nationale puisse enfin se prononcer sur la mesure phare de cette réforme – le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite, ce qu’elle n’a pas pu faire jusqu’à présent. »

Le gouvernement doit renoncer à cette honteuse combine. D’abord parce qu’elle est sans fondement juridique, notamment selon la commission de Recevabilité des lois de l’Assemblée nationale.

En outre, s’agissant d’une loi examinée à l’occasion de la niche d’un groupe parlementaire, ce blocage gouvernemental sans précédent s’apparenterait à une censure de la liberté d’initiative législative. Il est indispensable que l’Assemblée nationale puisse enfin se prononcer sur la mesure phare de cette réforme – le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite, ce qu’elle n’a pas pu faire jusqu’à présent.

J’en suis convaincu, il pourrait se trouver sur ses bancs une majorité qui fasse un choix raisonnable. Celui d’entendre le puissant mouvement d’opposition à la réforme, qui en six mois n’a pas fléchi, bien au contraire. En votant la loi d’abrogation du groupe Liot, la démonstration serait faite que l’usage du 49.3 n’avait pas d’autre but que de contourner une introuvable majorité.

Le gouvernement et le président de la République doivent revenir à la raison et respecter le Parlement dans ses prérogatives. Un vote de l’Assemblée nationale n’ouvrirait pas une crise de régime. Il serait au contraire le moyen de replacer le débat parlementaire, nourri de l’apport des corps intermédiaires, au cœur de notre vie démocratique.

Ce serait enfin un acte concret dans les « 100 jours » qu’Emmanuel Macron s’est donné pour ramener le calme dans le pays. Par contre, s’il continuait à s’entêter ainsi en méprisant autant le peuple que le principe de séparation des pouvoirs, le président de la République prendrait une très lourde responsabilité. Il donnerait ainsi des arguments à tous ceux qui, n’ayant jamais cessé de mépriser le Parlement, cherchent le moyen d’imposer à la France un régime autoritaire.


 

Les députés doivent rétablir la justice sociale

Gérard Ré, Secrétaire confédéral de la CGT

Le 8 juin, une proposition de loi transpartisane doit être débattue à l’Assemblée nationale, pour abroger le départ à la retraite à 64 ans, principale disposition de la loi portée par Emmanuel Macron.

La CGT appelle au vote de ce texte. Il est en effet primordial que les élus du peuple que sont les députés puissent voter sur l’augmentation ou non de l’âge de la retraite. Ils doivent pouvoir rendre compte à leurs administrés, sachant que la population reste majoritairement opposée au fait de travailler deux ans de plus.

Le blocage de cette loi par le gouvernement serait un nouveau déni de démocratie particulièrement grave, un gouvernement ne peut indéfiniment gouverner contre son peuple et ses représentants.

Ce vote est pour nous un moyen d’affaiblir un peu plus l’exécutif dans sa volonté de passage en force et d’obtenir la non-application de sa loi « retraite ». C’est pourquoi, avec l’intersyndicale, nous avons décidé d’interpeller les députés au travers de la mise en place de la plateforme Jusquauretrait.fr, et d’appeler à une 14 e journée de mobilisation.

Nous voulons gagner le retrait par tous les moyens dans l’intérêt des travailleuses et travailleurs. La CGT ira jusqu’au bout, c’est pour nous une première étape avant de partir à la conquête de temps libre par la retraite à 60 ans et la diminution de temps de travail.

Cette réforme va plonger un peu plus dans la pauvreté ceux-là mêmes qui ont subi très souvent et le plus durement la précarité et la pénibilité du travail. Partir plus tard à la retraite, pour celles et ceux qui ne peuvent plus travailler, c’est synonyme d’une pension de retraite plus basse. »

Par quatre mois d’une lutte historique dans son ampleur, les travailleuses et travailleurs ont montré leur opposition au projet devenu une loi injuste, brutale, injustifiée.

Injuste car cette réforme va d’abord pénaliser celles et ceux qui sont le moins qualifié·es, avec les salaires les plus bas et dont le travail est souvent le plus pénible. Elles et ils ne peuvent souvent pas travailler jusqu’à la retraite et finissent leur carrière en incapacité de travail. Rappelons que la majorité des travailleuses et travailleurs ne finissent pas leur carrière en situation d’emploi.

Brutale, car cette réforme va plonger un peu plus dans la pauvreté ceux-là mêmes qui ont subi très souvent et le plus durement la précarité et la pénibilité du travail. Partir plus tard à la retraite, pour celles et ceux qui ne peuvent plus travailler, c’est synonyme d’une pension de retraite plus basse. C’est aussi condamner les jeunes au chômage en les privant d’entrer dans la vie active avec un CDI, en lieu et place des salariés plus âgés.

Injustifiée, car il n’y avait ni urgence ni impératif économique. Non seulement le système est stable financièrement, mais il dispose d’importantes réserves financières.

Le 8 juin les députés doivent rétablir la justice sociale, entendre et répondre à la légitime colère, qui s’exprime maintenant depuis plusieurs mois, en votant la proposition de loi pour abroger cette loi inique.

Les travailleuses et travailleurs, les précaires, les jeunes et les retraité·es doivent faire de ce mardi 6 juin une journée de grève et de manifestations de grande ampleur, pour exiger ce vote et poursuivre la mobilisation jusqu’au retrait.

 

  publié le 4 juin 2023

6 juin : gagnons le retrait de la réforme et obtenons des avancées sociales !

Communiqué intersyndical

L’intersyndicale appelle les travailleuses et les travailleurs, jeunes et retraité.es à faire du 6 juin une grande journée de grèves et de manifestations sur l’ensemble du territoire pour gagner le retrait de la réforme des retraites et des avancées sociales.

L’intersyndicale appelle les député.es à voter, le 8 juin prochain, la proposition de loi transpartisane abrogeant la réforme des retraites pour permettre enfin une sortie de crise. Dans le cas contraire, si encore une fois, le gouvernement s’obstinait à passer en force, en utilisant des artifices constitutionnels, la colère n’en serait que renforcée.

Cette réforme est brutale et injuste pour les travailleurs et les travailleuses et la jeunesse qui ont tous et toutes bien compris qu’ils et elles devront travailler plus longtemps sans que jamais le patronat, ni les employeurs publics ne soient mis à contribution.

Le retrait de cette réforme est indispensable et permettrait d’avancer enfin sur les préoccupations des travailleurs et travailleuses.

L’intersyndicale rappelle que le salaire relève du partage des richesses : l’augmentation des salaires, des retraites et pensions, des minimas sociaux et des bourses d’études est une priorité. Le SMIC doit demeurer un salaire d’embauche et ne peut pas être une trappe à bas salaires maintenant les salariés au SMIC toute leur carrière professionnelle.

L’Etat doit aussi montrer l’exemple en augmentant le point d’indice dans la Fonction publique. Aucune branche professionnelle ne doit avoir des minima inférieurs au Smic. Aucune pension pour une carrière complète ne doit être en-dessous du Smic. L’égalité salariale Femme-Homme doit être une réalité concrète sans délai.

Pour les seniors il y a nécessité à mettre en place de réels dispositifs de reconversion, des retraites progressives. Pour la pénibilité et les risques professionnels, la totalité des critères de pénibilité supprimés en 2017 doivent être réintroduits pour permettre de vrais départs anticipés. Pour protéger la santé des salarié.es, les commissions de santé sécurité et conditions de travail doivent être obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des droits et des moyens renforcés.

Pour permettre une négociation collective de qualité dans le cadre d’une démocratie sociale avérée et afin d’améliorer le droit d’expression syndicale, l’intersyndicale demande d’améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel en termes d’heures de mandats, de systématisation des représentants de proximité, d’augmentation du nombre d’administrateurs/administratrices ainsi que la fin de la limitation des trois mandats successifs.

Pour gagner l’égalité Femme-Homme il faut notamment revoir en profondeur l’index égalité salariale, revaloriser les métiers féminisés, majoritairement les moins bien rémunérés, proscrire les temps partiels subis et instaurer un indicateur pour suivre les déroulés de carrière. Ces propositions renforceraient d’ailleurs l’équilibre financier du système de retraite par répartition. Les dispositions de la convention 190 de l’OIT contre toutes les violences et le harcèlement au travail, y compris les violences sexistes et sexuelles, doivent enfin être mises en œuvre.

Pour l’environnement, des droits et prérogatives supplémentaires doivent être donnés aux représentants du personnel afin d’agir pragmatiquement et efficacement pour exercer leur mandat.

Ensemble les organisations syndicales professionnelles et de jeunesse rappellent leur opposition à toute atteinte au principe de solidarité nationale avec la réforme du RSA ainsi qu’à la dégressivité des allocations chômage qui conduisent à stigmatiser les précaires ou privé.e.s d’emplois.

Ces propositions renforceraient l’équilibre financier du système de retraite par répartition, préservant et renforçant notre système de protection sociale collective.

Nous ne tournerons pas la page : ensemble, uni.es et déterminé.es pour gagner le retrait de la réforme et pour le progrès social, construisons partout les grèves et les manifestations le 6 juin !

Préparons la mobilisation du 6 juin et interpellons nos député.es pour le vote du 8 juin en allant et partageant le site intersyndical : https://jusquauretrait.fr

Paris le 30 mai 2023


 


 

Retraites : bâillonner les opposants à la réforme n’est pas gagner !

sur https://www.cgt.fr/actualites/

Imposée sans concertation ni vote, promulguée en catimini, … la réforme des retraites n’est pas légitime. Et ce n’est pas en bâillonnant les parlementaires et réprimant les manifestants qu’elle le sera.

Après un premier passage législatif en force en mars dernier, les parlementaires sont appelés à examiner une loi proposant d’abroger la réforme le 8 juin. Dans le cadre de la poursuite de la mobilisation, l’intersyndicale a lancé le site jusquauretrait.fr dans l’objectif d’interpeller les parlementaires pour les appeler à prendre leurs responsabilités et à voter cette loi.

Face à la pression, mercredi 31 mai, le gouvernement et sa majorité ont usé d’un ultime coup de force juridique pour empêcher l’opposition de s’exprimer.

Dans un communiqué, mercredi 31 mai, la CGT a dénoncé l’utilisation « inédite {de} tous les instruments constitutionnels.On connaissait le 49-3 et le 47-1, on découvre maintenant l’article 40 ! Après avoir fait supprimer l’article 1 de la proposition de projet de loi en Commission des Affaires sociales, ils veulent empêcher les député·es de le rétablir en séance plénière en invoquant cet article.»

Sur Twitter, la secrétaire générale de la CGT a réagit. " Après avoir empêché les syndicats de négocier, le parlement de voter, les opposants de manifester sereinement, le gouvernement fait encore une fois tout pour éviter un vote qu’il s’apprête à perdre. Cela ne nous arrêtera pas. L’intersyndicale appelle chacune et chacun à la manifestation et à la grève interprofessionnelle le mardi #6juin."

Le gouvernement essaye de tourner la page et détourne la colère sociale qui s’exprime depuis plusieurs mois. Mais les contre-feux et les mises en scène n’entachent pas la détermination de l’intersyndicale.

Outre la poursuite des mobilisations, mardi 30 mai, les huit syndicats et cinq organisations de jeunesse ont présenté des propositions communes sur les salaires et les conditions de travail.

La journée nationale de mobilisation du 6 juin marquera une nouvelle étape dans la lutte contre cette réforme et pour imposer le progrès.

Toujours soudées, les huit organisations syndicales appellent à une nouvelle journée nationale de grèves et de mobilisations, le 6 juin pour continuer à exiger le retrait de la réforme parce qu’elle reste injuste socialement et injustifiée économiquement.

L’urgence,
c’est d’augmenter les salaires,
pas l’âge de la retraite.

Rendez-vous le 6 juin pour gagner
le retrait de la réforme des retraites.

   publié le 3 juin 2023

Vertbaudet : victoire pour les grévistes, la fin d’une lutte sociale exemplaire

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Les 72 salariées de Verbaudet soutenues par la CGT, en grève pour leurs salaires, ont signé un protocole avec la direction, avec une augmentation de salaire à la clé.

 « Victoire », clame ce vendredi soir la CGT. Les 72 salariées de l’entrepôt logistique de Vertbaudet, à Marquette-lez-Lille (Nord), annoncent la fin de leur grève débuté le 20 mars dernier. 

« Le conflit est terminé, le travail reprend », a déclaré à l’AFP Amar Lagha, secrétaire général de la CGT commerce et services. Se félicitant d’une « victoire sans précédent », le cégétiste a confirmé les informations donné un peu plus tôt par la direction du groupe de puériculture. L’accord signé avec la CGT de l’entreprise, « comprend la levée du piquet de grève » à minuit « et le retour au travail des 72 grévistes » mardi, explique la direction, après un lundi consacré à « une journée d’apaisement et de discussion lundi », confirme Samuel Meegens, de l’Union locale CGT de Tourcoing.

De 4 à 7% d'augmentation

« Aucune sanction ne sera prise contre les grévistes, alors que certains avaient été convoqués pour des entretiens préliminaires à licenciement, et le versement aux grévistes du treizième mois sans déduction des jours de grève », a spécifié le représentant CGT.

La direction avait ouvert la voie à une fin de conflit en débutant entre le 26 mai et le 1er juin des négociations anticipées sur les salaires pour 2024. Celles-ci se sont conclues sur un projet d’accord prévoyant  « une refonte » de la grille salariale, l’une des grandes revendications des grévistes. L’accord débouchera ainsi sur « une revalorisation à hauteur d’au moins 1.860 euros brut par mois sur 13 mois (soit +7%) pour tous les employés ayant 12 ans d’ancienneté » et une « revalorisation du salaire minimum à hauteur de 1.810 euros brut par mois sur 13 mois (soit +4%) pour tous les salariés dès le 1er juillet 2023 », explique la CGT. Les représentants du personnels FO et CFTC, majoritaires au sein de Vertbaudet, qui n’ont pas soutenu la grève, s’engagent à signer cet accord.

Ce conflit social mené par des salariées sûres de la légitimité de leur revendication de 150 euros nets supplémentaires par mois, a pris une dimension nationale lorsque la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, est venue les soutenir mi-avril, appelant au boycott de la marque si la direction ne mettait pas fin à ses méthodes pour briser la grève (recours à des intérimaires, appel aux forces de police pour mettre fin au piquet de grève). La manifestation organisée devant le siège parisien de l’actionnaire principal de Vertbaudet, a fini de faire connaître ce mouvement social exemplaire.


 


 

Vertbaudet : fin de la grève, la CGT revendique la victoire

Yunnes Abzouz sur www.mediapart.fr

Après 75 jours de mobilisation, les grévistes de l’enseigne de puériculture du Nord ont cessé leur mouvement, après que la direction a accepté d’accorder des hausses de salaires, qu’elle refusait jusque-là.

75 jours de grève pour 72 salarié·es, majoritairement des femmes. Le mouvement social dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) de l’enseigne de puériculture Vertbaudet, démarré le 20 mars, a cessé dans la soirée du 2 juin. La CGT, minoritaire dans l’entreprise mais menant la grève, ainsi que la CFTC et FO, qui ne faisaient pas partie du mouvement, ont trouvé un accord avec la direction.

Le travail reprendra mardi 6 juin. Une issue saluée triomphalement par la CGT. « Magnifique victoire des ouvrières de Vertbaudet : 90 à 140 euros net mensuels d’augmentation de salaire pour les près de 1 000 salarié·es du groupe, embauche de 30 intérimaires…Un exemple à suivre partout ! », a salué la secrétaire générale du syndicat, Sophie Binet.

« Vertbaudet annonce la conclusion d’un protocole de fin de grève avec les représentants de la CGT de l’entreprise », a indiqué la direction. L’accord de fin de conflit prévoit qu’aucune sanction ne sera prise contre les grévistes, alors que certains avaient été convoqués pour des entretiens préliminaires à licenciement.

L’issue a été rendue possible par l’avancée par la direction des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour l’année 2024, démarrées dès le 26 mai. Le texte de l’accord prévoit « une refonte » de la grille salariale, comme le réclamaient les grévistes.

Cela permettra selon la direction une « revalorisation du salaire minimum à hauteur de 1 810 euros brut par mois sur 13 mois (soit + 4 %) pour tous les salariés dès le 1er juillet 2023 ». Les salarié·es bénéficiant d’au moins douze ans d’ancienneté aurotn droit à une revalorisation à « au moins 1 860 euros brut par mois sur 13 mois (soit + 7 %) ».

Les 72 grévistes (sur 320 salariés) réclamaient 150 euros net d’augmentation par mois, en réaction à un accord précédent qui prévoyait une augmentation nulle en 2023 et le versement d’une prime de 650 euros.

La lutte de ces femmes issues de milieu populaire était devenue un symbole. Mi-avril, Sophie Binet était venue leur rendre visite, et elle avait initié un mois plus tard une tribune signée par un collectif de personnalités féminines saluant la « lutte exemplaire » des employées de Vertbaudet, « à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste »

D’autres personnalités de gauche s’étaient succédé sur le piquet de grève, notamment le leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon. Mais les tensions dans l’entreprise étaient fortes entre les grévistes et les non-grévistes.

La CGT a dénoncé des brutalités policières lors d’interventions contre le piquet de grève, contre une gréviste et un militant CGT extérieur venu en soutien. Le parquet a aussi ouvert une enquête sur des violences rapportées par un délégué CGT, qui aurait été molesté et volé par des personnes se présentant comme des « policiers en civil ».


 

Nous republions ci-dessous notre reportage parmi les femmes grévistes de Vertbaudet, publié le 29 mai.

Marquette-lez-Lille (Nord).– Lorsque la grève a commencé le 20 mars dernier, un braséro trônait au milieu du piquet. Il réchauffait les corps grelotants autant qu’il avivait les espoirs des 82 salariées de Vertbaudet mobilisées pour leur salaire. Deux mois plus tard, les premiers soleils sont apparus, mais toujours aucune revalorisation en vue. Les grévistes couchent même une serviette sur l’herbe pour y faire bronzette. « On pensait que la direction ferait un pas vers nous, qu’au bout d’une semaine, ce serait réglé », résume Jennifer. 

Après 68 jours de grève, l’inflexibilité de l’enseigne de puériculture, les interventions violentes de la police et l’agression d’un syndicaliste devant son domicile n’ont pas eu raison de la ténacité des 72 salariées de l’entrepôt encore mobilisées, majoritairement des femmes. Ces travailleuses de la minutie passent, pour 1 300 euros net par mois, la journée debout à tester, à préparer et à emballer les poussettes et gigoteuses commandées en ligne. 

Depuis plus de dix ans qu’elles travaillent pour Vertbaudet, c’est la première fois qu’elles font grève. En cause : l’accord salarial pour 2023, signé par les syndicats majoritaires, FO et la CFTC, mais pas par la CGT, et qui prévoit 0 % d’augmentation. À peine leur direction a-t-elle concédé aux salariées une prime de 650 euros, 115 euros de plus de prime repas et une journée déménagement. « Comme si, avec nos petits salaires, on pouvait se permettre de déménager tous les ans, enrage Maya*. Et puis, les primes, ça ne compte pas pour la retraite. » 

Surtout, le contraste entre les salaires qui piétinent et la « situation saine de la trésorerie » vantée en mars par le PDG de l’entreprise, Mathieu Hamelle, alimente la colère des préparatrices de commandes. « 0 %, c’est symboliquement une marque de mépris, s’agace l’une d’elles. Les anciennes directions nous augmentaient toujours au moins de 0,5 %, même quand l’entreprise se portait mal. »

 L’inflation, carburant des grèves pour les salaires

« J’avais réussi à m’élever un peu au-dessus du Smic, mais avec l’indexation du Smic sur l’inflation, je suis retombée au niveau du salaire minimum », désespère Sylvia, arrivée dans l’entreprise en 1986. Elle qui emballe des commandes depuis ses 17 ans est lassée de répéter inlassablement les mêmes gestes. 

Elle insiste, cette grève n’est pas un caprice : « On ne s’en sort pas avec nos salaires. J’ai la chance d’avoir un compagnon qui travaille, mais avec l’explosion des prix du gaz et les charges fixes, c’est un salaire entier qui s’envole au début du mois. Quand je fais les courses, j'achète les produits en fonction des promotions et plus en fonction de mes envies. » 

L’inflation record des derniers mois vient encore répandre du sel sur les plaies et donne une caisse de résonance nationale aux revendications des salariées de Vertbaudet. 

Plusieurs élu·es de gauche leur ont apporté leur soutien. Le député insoumis David Guiraud a interpellé à l’Assemblée nationale plusieurs ministres et a ainsi appelé au boycott de l’enseigne : « N’acceptez pas d’acheter à une marque qui brutalise les femmes. Boycottez Vertbaudet ! » Des leaders politiques et syndicaux ont rejoint les manifestations de soutien, à Tourcoing, lundi 22 mai, et le lendemain à Paris, devant le siège du fonds d’investissement Equistone, propriétaire de Vertbaudet. 

Une semaine auparavant, c’est Sophie Binet, fraîchement élue secrétaire générale de la CGT, qui se rendait sur place et donnait un large écho à la lutte des Vertbaudet. Le tissu ouvrier local, lui, n’a pas attendu l’engouement national pour témoigner de son soutien aux grévistes. Quand ils ne s’arrêtent pas pour déposer quelques victuailles, les automobilistes font au moins résonner un klaxon de solidarité. 

Vingt-huit ans d’ancienneté et toujours au Smic

« Tout ce soutien nous conforte dans notre combat. On se rend compte qu’on n’est pas les seules à se tuer la santé au travail pour un salaire médiocre. Et puis ça remplit la caisse de grève. Sans ça, je serais retournée à l’entrepôt depuis longtemps », s’enthousiasme Maya, 23 ans de maison. 

« Effectivement, il y a beaucoup d’anciennes et d’emballeuses sur le piquet », s’amuse Peggy, elle-même salariée de Vertbaudet depuis 28 ans. D’abord réticente, elle finit par se lever de sa chaise pliante pour déballer sa colère : « On nous traite comme ça parce qu’on est pour la plupart des mères isolées. La direction a compris qu’on avait besoin de ce travail pour la survie de nos familles. » Un discours qui résonne avec les mots de Sophie Binet, qui voit dans le combat de ces femmes un symbole de « l’émancipation des travailleuses par elles-mêmes »

À l’initiative de la secrétaire générale de la CGT, une tribune publiée dans Le Monde le 23 mai par un collectif de personnalités féminines salue la « lutte exemplaire » des employées de Vertbaudet. Elles « sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste », déplorent les signataires. 

Peggy peine à tenir les cadences infernales du travail à la chaîne. Depuis qu’elle a été déclarée inapte à certaines tâches en raison de ses problèmes de dos, elle travaille à l’emballage. « On approche toutes de la cinquantaine, donc le corps est déjà bien usé, on sait qu’on est fatiguées. »

Elle subvient seule aux besoins de sa fille de 13 ans. Depuis que son ado est assez grande pour rentrer en transport collectif de l’école, Peggy est repassée à une semaine travaillée de 35 heures, même si elle doit désormais payer le centre aéré, car on « ne vit plus d’un temps partiel ». En plus de son maigre salaire de 1 300 euros, elle cumule une vingtaine d’euros d’APL, la prime d’activité, et une petite pension alimentaire. « C’est malheureux de savoir qu’on travaille et qu’on doit compter sur les aides de l’État pour vivre, soupire-t-elle. Je pense que sans toutes ces aides, les patrons seraient obligés de nous augmenter. »

Avec leur salaire à peine suffisant pour nourrir leurs enfants, la grève des petites mains de Vertbaudet met en lumière une question centrale : comment les femmes peuvent-elles s’émanciper de leur conjoint sans indépendance financière ? 

Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère.

L’historienne Fanny Gallot, spécialiste des inégalités de genre dans les conditions de travail, estime que le combat des ouvrières de Vertbaudet s’inscrit dans le prolongement des luttes des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles, ou plus récemment celui des AESH ou des Atsem dans l’Éducation nationale. Leur point commun : des femmes qui se mobilisent pour demander que leur travail soit valorisé et mieux payé. 

« Dans ces métiers, l’organisation du travail se fonde sur l’idée que les femmes n’ont pas de compétences, que faire preuve de minutie est naturel et n’est que le prolongement de leur rôle de mère, analyse la chercheuse. Elles sont déqualifiées, leurs compétences professionnelles sont naturalisées, et, en conséquence, elles sont sous-payées. » 

Jennifer, contrôleuse qualité, est logée à la même enseigne que ses collègues, après onze ans au service de Vertbaudet, dont six années en tant que vendeuse en boutique : 1 300 euros brut par mois. Elle raconte sa pénibilité au travail, cette réalité connue de ces ouvrières, et qui résonne comme une abstraction lorsqu’elle est discutée dans les médias ou sur les bancs de l’Assemblée. 

Dans l’entrepôt, elle déballe de gros colis, entre 30 et 50 kilos, et monte à même le sol des meubles, des jouets ou des lits superposés, pour en contrôler la qualité. Les jambes, le dos, les bras, tous ses muscles sont sollicités. L’hiver venu, s’ajoutent les couches de vêtements. Parfois, le thermostat affiche 9° dans le hangar. « En décembre, j’ai fait deux sinusites, mais j’ai continué à travailler, car avec trois jours de carence, je ne pouvais pas me permettre de perdre 300 euros pour une semaine d’arrêt », raconte-t-elle en tirant sur sa cigarette. 

Avec trois enfants à charge, cette mère célibataire doit tout assumer avec son Smic. L’inflation l’oblige à faire des sacrifices : « Je payais 150 euros de dépenses d’énergie, maintenant, c’est 350. Pour compenser, on a supprimé tous les plaisirs : plus de cinéma, et le traditionnel restaurant du mois a sauté. »

Une roue à changer ou un frigo à réparer : elle en a conscience, l’équilibre financier de son foyer tient à un imprévu près. « Je fais quoi pour subvenir aux besoins de mes enfants ? Je prends un deuxième travail ? Dans ce cas, je ne pourrai plus assurer le suivi scolaire, je n’aurai plus le temps de les voir, de les éduquer. Un deuxième travail pour se payer une maison, d’accord, mais là, c’est juste pour vivre dignement. »

Selon Fanny Gallot, ces configurations familiales illustrent « l’inégale répartition de la charge domestique où c’est aux femmes de gérer le budget et de boucler les fins de mois en plus de tout le reste. C’est encore plus vrai dans le cas des familles monoparentales ».  

« La direction cherche à semer la discorde »

Certaines salariées mobilisées appréhendent le retour à l’entrepôt. En cause, le fossé qui commence à s’installer entre grévistes et non-grévistes. Une lettre ouverte, écrite selon la direction à l’initiative de 400 salarié·es, dont un tiers travaillent au siège parisien de la marque, décrit une « ambiance de travail sereine et conviviale » et déplore, alarmé·es par les appels au boycott, l’attitude des grévistes qui « menace la pérennité de [leur] emploi »

Les salarié·es non grévistes ont même convié les journalistes à une conférence de presse « pour réagir aux déclarations syndicales et politiques du début de semaine ». Pour l’occasion, la direction a mis à disposition des salarié·es non grévistes une partie de l’entrepôt et leur a accordé une heure d’interruption de travail. 

« La direction cherche à semer la discorde, tance Maya. Plusieurs non-grévistes nous soutiennent, j’ai même une collègue qui me dépose tous les matins sur le piquet de grève, et rentre ensuite dans l’entrepôt pour travailler. La direction nous accuse de médiatiser l’affaire et de ternir la réputation de Vertbaudet alors qu’on est très attachées à la marque. On a tout connu dans l’entreprise, les risques de faillite, le confinement, on était là bien avant Equistone [le fonds d’investissement qui a repris Vertbaudet, il y a moins de deux ans – ndlr]. Vertbaudet, c’est nous. »

Après deux mois de lutte, l’espoir renaît ce vendredi 26 mai : Vertbaudet a consenti à une ouverture anticipée des négociations sur les salaires (NAO) prévue pour 2024. Une question demeure : la direction va-t-elle s’aligner sur les 150 euros d’augmentation demandés par les grévistes ? 

Boîte noire

* Les prénoms ont été modifiés à la demande de la personne interrogée.

Les grévistes étant en grande majorité des femmes, nous les avons genrées au féminin.

 

  publié le 2 juin 2023

À Montluçon,
la CGT dénonce « l’acharnement judiciaire » contre ses militants

Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr

Au côté d’un secrétaire départemental de l’Allier détenant haut la main le record syndical de convocations au commissariat ou au tribunal, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a interpellé le gouvernement sur les libertés syndicales depuis le mouvement contre la réforme des retraites. 

Montluçon (Allier).– L’individu ne paie pas de mine. Avec sa petite taille, sa casquette, ses lunettes et sa barbiche, on l’imagine plus dans le rôle de Léon Trotski que dans celui de Spartacus, derrière une machine à écrire plutôt que sur une barricade. Secrétaire départemental CGT de l’Allier, Laurent Indrusiak, serait pourtant, à l’aune de ses démêlés judiciaires, le syndicaliste le plus dangereux de France, avec pas moins de vingt-huit convocations au commissariat ou au tribunal à son actif.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ne s’y est pas trompée. Jeudi devant le palais de justice de Montluçon, elle a choisi de se tenir au côté du « dangereux récidiviste », selon ses termes, pour interpeller le gouvernement dans le cadre d’une journée nationale d’action contre la répression judiciaire qui s’abattrait actuellement sur les militants syndicaux.

Devant deux cents militant·es tout en chasubles et drapeaux, comme elle l’avait fait devant les caméras de Mediapart, la nouvelle patronne de la confédération a d’abord évoqué une situation inquiétante à l’échelle nationale : celle « des centaines de militants syndicaux poursuivis » par la justice depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, sous l’impulsion d’un pouvoir dont l’agressivité croissante compense le fait qu’il « n’a jamais été aussi minoritaire ». « Le problème, c’est que cet autoritarisme gouvernemental ruisselle sur les patrons. Il a pour corollaire une augmentation de la répression patronale, avec des centaines de convocations de militants syndicaux pour licenciement, en dépit du droit », a-t-elle souligné.

La dirigeante s’est ensuite penchée sur « le microclimat très particulier » de Montluçon et de ses alentours, soupesant les hypothèses : « Il y a deux possibilités. Soit on a une union départementale dirigée par des voyous et des délinquants, et dans ce cas il faut me donner tous les éléments pour me permettre d’agir, soit il y a un problème d’acharnement judiciaire. » Un rapide examen des faits reprochés à Indrusiak et ses comparses lui a permis d’atteindre la conclusion suivante : « Ces poursuites visent à déstabiliser la CGT parce que la CGT dérange le pouvoir, elle dérange le capital. » 

Laurent Indrusiak a été condamné à six reprises. À chaque fois, on lui a reproché l’organisation de manifestations non autorisées, assorties parfois de dégradations de mobilier urbain – des palettes brûlées par les manifestant·es  – et, dans un cas, une entrave à la circulation à l’occasion d’une opération escargot. « Jusque-là, que je sache, même si [Gérald] Darmanin a tendance à l’oublier, une manif non déclarée n’est pas une manifestation interdite », a commenté Sophie Binet.

Le dirigeant syndical a été jugé et relaxé à deux reprises pour des accusations de diffamation. La première fois, en 2018, il lui était reproché d’avoir dénoncé dans des tracts les conditions de travail délétères des salariés d’une entreprise locale de traitement de déchets électroménagers, Environment Recycling. « C’est grave, parce que la méthode est de plus en plus utilisée par le patronat. Si les pouvoirs publics donnent suite, c’est très grave car dénoncer les conditions de travail est au cœur des libertés syndicales », a souligné la secrétaire générale. La deuxième fois, on lui reprochait d’avoir qualifié les dirigeants de La Poste de « voyous » dans un contexte de conflit social grave entre ces derniers et leurs salarié·es.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal.

Le trublion de l’Allier a également été convoqué au commissariat pour avoir, en vrac, collé des affiches sur la permanence du Medef, coupé le courant du même Medef ou encore collé des autocollants sur des horodateurs. Il a bénéficié à chaque fois d’un classement sans suite.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal, le 8 février dernier, pour dénoncer la fermeture de deux écoles à Montluçon. Ce soir-là, les policiers appelés par le maire Frédéric Laporte (Les Républicains) pour chasser les manifestant·es « l’ont « collé contre le mur et [lui ont] fait des clés de bras pour [l]e menotter », indique l’intéressé. « J’ai pris des coups, mais c’est moi qu’on a convoqué. »

Interrogé par Mediapart sur les raisons de cette sollicitude judiciaire toute particulière, Laurent Indrusiak donne son sentiment : « D’abord, il y a le fait que je ne donne jamais d’informations aux renseignements territoriaux. Ensuite, neuf affaires sur dix émanent de constatations de la police. Il y a un problème avec la police à Montluçon. Au point que j’ai parfois le sentiment de ne pas être en sécurité dans les rues de la ville. »

Sur le secteur de Montluçon, trois autres militants CGT totalisent onze convocations au commissariat pour des faits similaires. À Vichy, Antoine Jubin, membre de la direction locale du syndicat, a passé 48 heures en garde à vue début avril à la suite d’un incident sur un rond-point. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester jusqu’à son audience, le 3 octobre prochain.

Libertés syndicales

Sophie Binet a enjoint au premier ministre de faire respecter les libertés syndicales à Montluçon. « Je demande à Élisabeth Borne d’intervenir immédiatement pour mettre fin à cette situation locale et donner des consignes très claires à la nouvelle préfète et aux forces de police », a-t-elle déclaré. Elle en a profité pour réclamer une amnistie pour les militant·es poursuivi·es dans le cadre de leurs actions syndicales et des mesures pour la réintégration de celles et ceux qui ont été indûment licenciés par leur entreprise.

La secrétaire générale a également appelé le maire de la ville à renoncer à son projet d’expulsion, au 1er juillet, de l’union locale CGT de la Maison communale, un lieu de mémoire des luttes ouvrières inauguré en 1899 par Jules Guesde, une des figures du socialisme français, et occupé depuis 1904 par le syndicat. « Le maire veut expulser la CGT d’un bâtiment construit par nous et pour nous, dans le cadre d’un projet idéologique visant à y installer un incubateur d’entreprises et un lieu de mémoire patronale, a martelé Sophie Binet. Nous ne le laisserons pas faire. »

Ville industrielle depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, Montluçon, 34 000 habitant·es aujourd’hui, a notamment été le point de départ de la grève générale de 1936. La dirigeante syndicale a par ailleurs souligné que des procédures similaires étaient en cours dans plusieurs villes de France, de Châteauroux à Montauban, en passant par Saint-Pourçain (Allier). « Demain, je vais adresser un courrier à la première ministre. Il faut aussi prendre des mesures législatives pour protéger les bourses du travail menacées, notamment dans les villes tenues par le Rassemblement national, mais pas seulement », a-t-elle indiqué à Mediapart.

Signalant que la préfète de l’Allier allait la recevoir en fin de journée pour évoquer toutes ces questions, Sophie Binet a conclu sous les vivats son intervention par un avertissement : « Je viendrai ici autant de fois qu’il le faudra. »

   publié le 31 mai 2023

L’intersyndicale élargit
ses sujets d’union
pour durer au-delà des retraites

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Ce mardi matin, les huit syndicats qui composent l’intersyndicale ont appelé les salariés à se mettre en grève et manifester mardi 6 juin contre la réforme des retraites, ainsi que les députés à voter pour la proposition de loi transpartisane d’abrogation de la réforme le 8 juin. Mais l’intersyndicale appelle également à se mobiliser pour des avancées sociales, en mettant en avant de nouveaux sujets qui pourraient nourrir de nouvelles mobilisations.

 De l’exception à la norme ? C’est peut-être ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec l’intersyndicale qui a ferraillé pendant des mois contre le gouvernement. Unis exclusivement sur la revendication minimale du refus de l’allongement à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, les syndicats qui composent l’intersyndicale travaillent ensemble sur d’autres sujets, depuis quelques semaines. Et ouvre peut-être une nouvelle ère dans les relations entre organisations de salariés, loin des conflits et déchirements auxquels elles ont habitué les salariés.

Une façon pour les syndicats d’afficher encore leur refus de tourner la page des retraites, alors que des discussions ont repris avec le gouvernement, depuis que la Première ministre a lancé des concertations en mai. Mais surtout un moyen de peser davantage face au gouvernement et au patronat, dans l’espoir d’obtenir quelques avancées sociales significatives. Et ainsi montrer que le combat syndical peut obtenir des victoires, alors que sur le dossier des retraites, le gouvernement a réussi jusque-là à passer en force. Ainsi, l’intersyndicale réunie ce matin a accouché comme attendu d’un communiqué commun pour mobiliser le 6 juin prochain. Mais cette fois-ci de nombreux thèmes ne concernant pas les retraites y sont aussi abordés.

Salaires, égalité femmes-hommes, nouveaux droits

 Premier des thèmes mis en avant, « l’augmentation des salaires, des retraites et pensions, des minimas sociaux et des bourses d’études », vue par l’intersyndicale comme une priorité, dans le privé comme dans le public, en ses temps d’inflation. Mais aussi « l’égalité salariale Femme-Homme » qui « doit être une réalité concrète sans délai ». Sur ce sujet, les syndicats avancent ce qui ressemble à l’ébauche d’un cadre commun revendicatif : « revoir en profondeur l’index égalité salariale », « revaloriser les métiers féminisés », « proscrire les temps partiels subis » et mettre en œuvre les « dispositions de la convention 190 de l’OIT contre toutes les violences et le harcèlement au travail, y compris les violences sexistes et sexuelles ».

Autre dossier qui a fait l’unanimité, l’opposition « à toute atteinte au principe de solidarité nationale avec la réforme du RSA ainsi qu’à la dégressivité des allocations chômage qui conduisent à stigmatiser les précaires ou privé.e.s d’emplois ». Un sujet sur lequel les syndicats avaient déjà eu des positions communes au moment des réformes de l’assurance chômage en 2019 et 2022. Enfin, les huit syndicats se sont mis d’accord pour demander des droits supplémentaires visant à « améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel », comme par exemple de nouvelles prérogatives en matières environnementales pour ces derniers. Toujours dans les entreprises, l’intersyndicale estime que « pour protéger la santé des salarié.es, les commissions de santé sécurité et conditions de travail doivent être obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des droits et des moyens renforcés ».

Si ces points d’accords restent modestes, il se dégage tout de même la volonté de se doter d’un socle minimal commun sur plusieurs sujets, à l’instar de ce que les syndicats ont pratiqué pendant le conflit sur les retraites. Avec ce socle, les syndicats veulent gagner en force, sans empêcher pour autant chaque organisation de mettre en avant ses particularités. Comme dans le mouvements contre la réforme où certaines organisations revendiquaient la retraite à 60 ans et d’autres non sans que l’unité contre la réforme se brise. Reste à savoir si cette volonté ne se fracassera pas sur les stratégies différentes qui animent les syndicats, notamment lorsque des signatures d’accord seront en balance, ou sur des réalités d’entreprises où parfois les conflits sont rugueux entre organisations.

  publié le 29 mai 2023

Retraites.
« Le gouvernement finira par admettre qu’il s’est trompé »

Par asmine Djennane sur www.humanite.fr

Le collectifs contre la réforme des retraites de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais, organise un pique-nique revendicatif pour mobiliser en vue du 6 juin, prochaine journée nationale de manifestations et de grèves à l’appel de l’intersyndicale. Michel Venon, de la CGT, nous explique pourquoi.

Le compte à rebours est lancé pour la manifestation du 6 juin. Les collectifs contre la réforme des retraites des quatre villes de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) organisent un pique-nique revendicatif et festif afin de mobiliser les habitants et préparer la journée intersyndicale de manifestation et de grève du 6 juin. Prises de parole, concerts, jeux pour enfants. Le rendez-vous est donné le dimanche 28 mai à midi au Parc Lucie Aubrac aux Lilas.

Michel Venon, secrétaire général de l’union locale CGT Bagnolet les Lilas et responsable du collectif contre la réforme des retraites, explique l’initiative et fait un point sur le mouvement social local.

Un mois après la dernière grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites, ce pique-nique vise-t-il à relancer la lutte?

Michel Venon : Le mouvement social n’est pas terminé. Nous avons décidé de cette initiative afin de ne pas rester muet ni invisible durant ces quelques semaines entre le 1er Mai qui a connu une popularité sans précédent et le 6 juin. Nous sommes depuis le premier jour, comme la grande majorité des Français, opposés à une réforme que le gouvernement a décidé seul, plein de préjugés à l’égard des travailleurs, des chômeurs, des jeunes et des femmes. Allonger l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans tenir compte des pénibilités par exemple, augmenter le nombre des annuités à 43, alors que l’ensemble de nos voisins européens sont dans une moyenne de 39 annuités est une infamie. Tout en continuant d’exonérer toujours plus les patrons de cotisations sociales. Ce pique-nique a pour objectif de réunir le plus grand nombre de personnes pour montrer que nous ne sommes pas seuls, et de maintenir la pression en vue du 8 juin prochain, date du vote de projet de loi d’abrogation déposée par le groupe LIOT.

Espérez-vous toujours que le gouvernement retire sa réforme?

Michel Venon : Je ne sais pas si le gouvernement finira par reculer. Mais il finira par admettre qu’il s’est trompé en passant en force une loi aussi impopulaire, injuste et brutale. Sa réforme des retraites, celle sur l’assurance chômage, du RSA comme celle des lycées professionnels ne servent qu’un objectif: abaisser le « coût du travail ». Les organisations syndicales n’ont cessé de faire des propositions de financements sur les retraites. Là encore, Macron n’a pas hésité à mentir aux Français en disant que rien ne lui était parvenu. Notre Union Locale CGT et notre collectif sont déterminés à gagner cette bataille et faire reculer le gouvernement.

Attendez-vous une forte mobilisation le 6 juin ?

Michel Venon : Il est toujours difficile de présager du nombre de personnes présentes lors d’une manifestation. Nous faisons le nécessaire pour qu’au minimum elle soit du même niveau que les précédentes. Comptabiliser les gens sur un parcours est certes un indicateur. Mais personne ne communique sur le nombre de salariés en grève dans les entreprises.

publié le 26 mai 2023

Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien

Sur le site de la CGT https://www.cgt.fr

Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien. C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».

« On aurait dû se révolter bien avant », disait l’une d’elles au Monde à la fin du mois d’avril. Avec des salaires n’atteignant pas les 1 500 euros après plus de vingt ans d’ancienneté, les soixante-douze femmes grévistes de Vertbaudet ne comprennent pas pourquoi la direction de l’usine refuse catégoriquement d’augmenter leurs salaires. En effet, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’accord salarial pour 2023 qui prévoit… 0 % d’augmentation de salaire, alors que l’inflation atteint des niveaux record.

Les travailleuses de l’entrepôt d’acheminement Vertbaudet de Marquette-lez-Lille sont en grève depuis le 20 mars 2023. Elles réclament une augmentation de leur salaire d’au moins 150 euros net et l’embauche d’intérimaires.

La spirale de l’intimidation et de la violence

Le 16 mai, au lieu d’organiser une médiation, la préfecture a envoyé la police évacuer le piquet de grève. Résultat : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. La spirale de l’intimidation et de la violence a été franchie avec le guet-apens dont a été victime un délégué syndical CGT.

L’homme, embarqué devant sa maison, a été agressé par plusieurs hommes armés, ces derniers n’ont pas hésité à menacer son fils et son épouse. En 2023, en France, voilà ce que donnent neuf semaines de grève pour un meilleur salaire. Encore une fois, le gouvernement et le patronat font front contre le salariat.

Depuis, interpellée par la CGT, la première ministre s’est enfin engagée à cesser toutes les poursuites contre les ouvrières et à garantir une médiation avec la direction de l’entreprise. Cependant, plus de soixante jours après le début de la grève, la direction méprise toujours les soixante-douze salariées grévistes et refuse toute augmentation collective de salaire.

Cette violence et ce mépris que subissent les ouvrières de Vertbaudet, des milliers de grévistes les subissent alors qu’ils luttent contre la réforme des retraites, pour l’augmentation des salaires ou pour de meilleures conditions de travail. Les ouvrières de Vertbaudet sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste.

Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ?

Une lutte symbolique

On ne peut pas à longueur de journée déplorer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes et, quand des femmes luttent pour gagner une revalorisation de leurs salaires, être aux abonnés absents. On ne peut pas en appeler aux employeurs pour qu’ils augmentent les salaires et, quand les salariés sont en grève, envoyer les forces de l’ordre pour casser leur piquet de grève !

Par leur lutte exemplaire, les ouvrières de Vertbaudet montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect. Féministes, nous les soutenons.

Vertbaudet est une entreprise connue en France. Connue des parents, qui sont nombreux à recourir à ses produits pour habiller leurs bébés. Mais aussi connue des dirigeants politiques. L’entreprise vient d’inaugurer son siège social à Tourcoing (Nord), ville dont le ministre de l’intérieur est toujours conseiller municipal. Elle a été rachetée par le fonds Equistone, un fonds d’investissement dirigé par Edouard Fillon, le fils de François Fillon. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas abandonner les ouvrières de Vertbaudet à leur sort et faire comme s’il s’agissait d’un conflit privé.

Il s’agit d’une lutte symbolique et nous soutiendrons les grévistes jusqu’à ce qu’elles obtiennent satisfaction.

Monsieur le PDG [Mathieu Hamelle], votre responsabilité est directement engagée. Nous vous appelons à ouvrir enfin des négociations pour concrétiser les augmentations de salaires revendiquées et abandonner immédiatement les sanctions contre toutes les grévistes. Nous appelons le gouvernement à agir réellement pour engager une procédure de médiation sérieuse et mettre sous pression l’entreprise pour que les négociations aboutissent.

Retrouvez la liste des premières signataires.


 


 

Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien

Pétition de soutien aux grévistes de Vertbaudet

 

Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien.

 C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».


 

pour signer la pétition :

https://www.change.org/p/soutenir-les-salari%C3%A9es-gr%C3%A9vistes-de-l-usine-vertbaudet?utm_source=email&utm_campaign=Info%20spciale%20du%2025052023&utm_medium=email

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je signe la pétition >>>

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment la lutte des Vertbaudet devient une bataille nationale

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que le conflit des femmes de Vertbaudet prend une ampleur nationale, Sophie Binet, tout fraîchement élue à la tête de la CGT, a promis un soutien fort du syndicat. Si le statu quo demeure, des actions sont envisagées, d’ici la fin de la semaine, dans les sites de l’entreprise partout en France.

C’est un geste fort. Plus de deux mois après le début de la grève dans l’enseigne de puériculture Vertbaudet, la secrétaire générale de la CGT a affirmé, ce mardi 23 janvier, que la centrale syndicale jetterait toutes ses forces dans la bataille. Dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) 72 ouvrières – dans l’immense majorité des femmes – sont en grève depuis plus de deux mois pour exiger des augmentations salariales, l’embauche des intérimaires ou encore l’amélioration des conditions de travail (voir notre article).

Pour que leur conflit soit victorieux, Sophie Binet, venue devant le siège du groupe propriétaire de Vertbaudet Equistone Partners Europe, a lancé un ultimatum à la direction de l’enseigne. « D’ici vendredi (ndlr: 26 mai), si vous n’avez pas ouvert de négociation de fin de conflit, nous allons franchir un nouveau cap. Les 600 000 syndiqués de la CGT se mettront en action pour soutenir la lutte. Le message envoyé au patron est simple : il faut retrouver le chemin de la raison. »

Le niveau de la répression policière et patronale qui s’abat sur les grévistes fait également de cette grève un conflit hors normes. En guise de bilan : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. Surtout, un des délégués syndicaux CGT du site a fait l’objet d’une opération « digne d’une milice patronale », selon les grévistes. Les agresseurs n’ont pas été identifiés mais le parquet a ouvert une enquête.

Alors que Jean-Luc Mélenchon était hier soir sur le piquet de Vertbaudet, les déclarations de la secrétaire générale de la CGT sont claires : cette lutte est devenue une bataille nationale. Sophie Binet y met en jeu sa crédibilité ainsi que celle de sa centrale syndicale.

Franchir un nouveau cap dans la lutte des Vertbaudet

Mais que signifie « franchir un nouveau cap » ? Quelles sont les actions envisagées par la CGT ? « Si rien ne se passe d’ici vendredi, nous appellerons à effectuer des actions en direction des magasins Vertbaudet partout en France », détaille Amar Lagha, secrétaire général de la fédération commerces et services de la CGT. La semaine dernière, un magasin Vertbaudet de Marseille avait déjà été envahi en soutien à la lutte des ouvrières du Nord. « Il s‘agira d’amplifier cela pour que, dans chaque union départementale, les militants de la CGT, qu’ils travaillent dans le commerce ou non, multiplient les actions », continue Amar Lagha.

Hausser le ton, pour la CGT, c’est aussi renouveler l’appel au boycott des produits Vertbaudet. Sophie Binet, présente sur le piquet de grève de Marquette-lez-Lille le 21 avril, avait déjà lancé un tel appel. « Cette fois, il s’agira de l’amplifier avec tous les moyens de communication à notre disposition », précise Amar Lagha.

À cela s’ajoute une tribune, signée par plus de 100 féministes, publiée aujourd’hui dans Le Monde et destinée à se transformer en pétition. Celle-ci rappelle la dimension éminemment féministe de la lutte des ouvrières de Vertbaudet. « Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ? », alertent les signataires.

publiéle 2 mai 2023

Au Havre,
un 1er Mai antifasciste

Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Contre le Rassemblement national qui organisait sa « fête de la nation » dans la ville portuaire, une vingtaine d’associations ont tenu une « contre-fête » en plus du traditionnel cortège en solidarité avec les travailleurs et travailleuses. Reportage.

Des terres ouvrières, un port français face à une Manche traversée par le commerce mondial, et un avertissement au maire Horizons, Édouard Philippe, potentiel candidat pour les élections présidentielles de 2027. Le plan de communication de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, président du Rassemblement national, devait être réglé comme du papier à musique. Et pourtant. Au Havre, ce sont les 4 800 manifestants venus célébrer les travailleurs et travailleuses, en ce 1er Mai, qui se sont fait entendre à travers la ville. C’est trois fois plus qu’en 2022, où s’étaient rassemblées entre 1300 et 1500 personnes.

Imaginée par l’eurodéputé RN pour remplacer la traditionnelle gerbe de fleurs déposée depuis 1979 au pied de la statue de Jeanne d’Arc, à Paris, la « fête de la nation » n’a finalement pas pris. Bunkerisé dans un carré des Docks surveillé par le service d’ordre du parti, les DPS, l’événement, ramassé en quatre petites heures, a rassemblé trois fois moins de personnes que celui organisé par les syndicats et les associations.

Sous haute surveillance policière, et d’un drone dont l’utilisation a été limitée au Havre par le tribunal administratif, mais pas interdite, une soixantaine de manifestants ont tenté de rejoindre l’événement. Les CRS les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène. Une personne s’est vue administrer un coup de matraque au visage. 

Une fois à l’intérieur de l’enceinte, la mise en scène se voulait « conviviale, comme en famille », selon les mots du député de la Moselle, Laurent Jacobelli. L’idée : montrer aux invités, constitués d’élus, de cadres ou de jeunes militants du RN ayant déboursé 20 euros, que le parti était bien celui des travailleurs populaires, en ce 1er Mai. La treizième journée de manifestation contre la réforme des retraites à l’appel de l’intersyndicale, qui se tenait pourtant le même jour, n’a pas été évoquée une seule fois.

Vin, terrine de canard et « crise civilisationnelle »

Dans le prolongement des longues tables bleu-blanc-rouge encombrées de vin, de terrine de canard et de volaille, Sébastien Chenu, vice-président de l’Assemblée nationale, a vanté le groupe RN qui siège au Palais Bourbon. « Le plus actif, le plus présent », s’est-il enthousiasmé devant un public à la bouche pleine.

Alors que le cadre du parti continuait d’égrainer lourdement les propositions de lois des députés RN, Jordan Bardella s’est inquiété par message auprès d’un de ses conseillers. Sébastien Chenu serait-il déjà « en campagne interne » ? « Le congrès est dans 3 ans, mais il faut commencer tôt ! », grince le conseiller auprès de l’eurodéputé RN, Jean-Lin Lacapelle. Ambiance.

Après l’interminable Sébastien Chenu, c’est au tour de Marine Le Pen de ressasser les mêmes hantises habituelles : « la crise civilisationnelle », « l’arme de fragmentation massive » que serait l’intersectionnalité, et cette « secte » de wokisme, en plus d’un Macron, unique « cause de nos maux », d’après elle.

En ce jour de « fête du travail et de la patrie », elle n’a pas réfléchi à de nouvelles propositions, ni à la moindre analyse neuve sur la séquence actuelle. Preuve d’une gêne vis-à-vis d’un mouvement social qui lui est opposé ? Sur une ligne de crête, l’ancienne candidate RN a préféré ressortir son programme de 2022. Son clip de campagne a même été diffusé.

Marine Le Pen maquille la discrétion dont on l’accuse depuis le 19 janvier en posture pacificatrice face aux « vociférantes » oppositions. À peine a-t-elle dessiné cette fumeuse « paix sociale », que son équipe vendait à chaque bâillement des convives, comme un « contrat passé avec le pays » basé sur « un engagement pour les entreprises, pour les salariés qui maintiennent seulement leur survie, et pour les cotisants ». Comprenne qui pourra.

« Casse-toi Bardella ! »

Ce manque d’imagination n’aurait pas surpris Stéphane Fourrier. Quelques heures plus tôt, alors que le défilé du 1er Mai grossissait autour de la Maison des Syndicats, l’enseignant syndiqué à la FSU observait du bleu de ses yeux rieurs le cortège des travailleurs sans-papiers. « Le Rassemblement national est incapable de proposer quoi que ce soit. Quand on regarde de près ce que leur groupe a voté à l’Assemblée, on constate qu’ils ont été contre l’augmentation du Smic, contre l’interdiction des jets-privés, etc. Bref : le RN vote toujours contre l’intérêt des travailleurs », explique-t-il.

Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste.

Ce mythe du parti d’extrême droite autoproclamé « parti des ouvriers » est à déconstruire. Michel, chauffeur-routier né au Havre, n’a de cesse de le répéter à ses collègues. « Marine Le Pen nous ment quand elle sort ces conneries. Après elle ose venir ici ? Je ne peux pas l’accepter », pointe-t-il du doigt, alors que le cortège CFDT lance des « c’est qui les casseurs, c’est eux, dehors ce gouvernement ».

Une fois arrivée sous les deux arches que forme la Catène de containers, monument typique du Havre depuis la transformation du port industriel, la foule a pu se disperser entre la scène et les différents stands des associations. « Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Pourquoi ? Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste », lance Olivier, dont plusieurs membres de sa famille travaillent au port.

Si le combat contre la retraite n’est « pas terminé », estime Marie-Laure Tirelle, responsable de l’union départementale de l’Unsa, il s’agissait aussi de montrer qu’au Havre, « on n’est absolument contre la venue du RN ». Du chamboule-tout à l’effigie d’Emmanuel Macron et de sa rivale d’extrême droite jusqu’aux harangues des artistes sur scène, la « contre-fête » tenait sur ses deux jambes : la fête des travailleurs contre la réforme des retraites, d’un côté, et la lutte antiraciste de l’autre.

Cette « intersectionnalité », pointée du doigt deux kilomètres plus loin au banquet-meeting du RN, fait la fierté de Médine – grande star locale et dernier artiste de la journée. « Les cadres du RN ont très peur de ce qui est incarné ici : la convergence des luttes syndicalistes, antiracistes, LGBTQI. J’essaie d’incarner ce croisement moi aussi, et je viens le célébrer ici », analyse celui dont les dates de tournée n’arrivent pas à être empêchées par les élus RN. « Quand on est populaire, comme s’estime Marine Le Pen, on marche dans la rue, on rencontre les gens. C’est exactement ce qu’elle n’a pas fait ».

Après les célèbres « Médine France » et « La France au Rap Français », c’est la très attendue « Puissance du Port du Havre » qui a retourné la foule. Jusqu’à faire tomber les barrières séparant la scène du public. « Il faut retenir ça : aujourd’hui, on a fait tomber les barrières, on est ensemble », lance Médine, comme un message antifasciste contre la venue du RN au Havre.

   publié le 1° mai 2023

2,3 millions de manifestants dans toute la France, un 1er Mai historique

 Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Il y a eu 550.000 manifestants à Paris selon la CGT. Le stand du PCF dans le cortège parisien a été visé avec un engin incendiaire, lorsqu'un cortège avec des slogans hostiles au PCF passait. Des tensions émaillent le cortège dans la capitale avec des charges policières à peine la manifestation partie, tandis qu'un important "black bloc" s'est formé en tête. Destruction également du stand de Siné-mensuel.

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à ­rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.

Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre

Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.

Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »

D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, ­secrétaire générale de Confédération européenne des ­syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).

La non-application de la réforme est possible

CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la ­réforme des retraites, le 15 avril.

De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal ­officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.

Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche

Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.

« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »

Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.

Le mouvement renouvelle ses modes d’action

Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.

La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.

L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.

Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».

L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale

« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.

Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.

À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).

La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.

Les travailleurs à l’offensive pour les salaires

L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.

« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne. 

 

  pubié le 1° mai 2023

Poursuivre les luttes, après le 1er-Mai : « C’est gagné, des graines ont été semées »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Pour les travailleurs et travailleuses mais, surtout, contre la réforme des retraites. Ce 1er-Mai s’annonce colossal à l’appel d’une intersyndicale unie. En trois mois, le mouvement social a permis à ses artisans de tisser des liens, parfois hors des sentiers syndicaux, pour maintenir la lutte et en construire de nouvelles, partout en France.

Un 1er-Mai « historique », « massif » et « inédit » pour l’intersyndicale, unitaire pour la première fois depuis quatorze ans. « Sans précédent », « vengeur » et porté par un sentiment « de rancune », du point de vue des renseignements territoriaux, dont la note, aux relents angoissants, a opportunément « fuité » dans la presse.

En 2022, entre 116 000 et 210 000 personnes avaient manifesté partout en France le 1er-Mai, dont 24 000 à 50 000 dans la capitale. Ce lundi, rien qu’à Paris, les autorités s’attendent à 80 000 à 100 00 personnes de la place de la République à celle de la Nation. Sur l’ensemble du pays, il pourrait y avoir davantage de défilés qu’en 2022 : jusqu’à 300 selon la CGT, contre 278 l’an dernier.

Des appels à manifester sont en effet lancés dans des petites et moyennes villes, peu habituées à accueillir des défilés du 1er-Mai. C’est la suite logique : depuis plus de trois mois, le mouvement social mobilise fortement « les territoires », comme l’exécutif aime à les qualifier.

Alès, Morlaix, Mende, Vierzon, Maubeuge, Flers… Beaucoup se sont distingués, des semaines durant. Mediapart s’est ainsi rendu dans une commune de l’Yonne, Charny-Orée-de-Puisaye et ses 500 habitant·es, qui a vu défiler le 23 mars sa première manif du siècle, « et peut-être même du précédent ». 110 personnes dans la rue, du jamais-vu. L’île d’Ouessant (Finistère), et ses 830 âmes hors saison, s’est également illustrée le 13 avril, agrégeant 180 manifestant·es, contre 169 une semaine plus tôt.

« C’est complètement dingue ! », s’enthousiasme Théo Roumier, syndicaliste Sud Éducation et partisan de « l’autogestion généralisée », dans les entreprises – et en dehors. « Ce qu’il s’est produit à Ouessant montre que des gens se sont causé, ont organisé ça ensemble », poursuit l’enseignant, selon qui « l’auto-organisation est la clef de la victoire et du rapport de force ».

Sur son blog, il décrypte : « L’enjeu de l’auto-organisation la plus généralisée qui soit est justement de dépasser le cadre des seuls effectifs syndiqués, pour lui permettre de remplir deux rôles – pratique et politique – s’alimentant l’un l’autre. »

Faire entendre la voix des privés d’emploi 

C’est précisément ce qui est en train de naître entre le Gard et l’Hérault, où une « assemblée des précaires du Sud-Cévennes » s’est montée courant février. Elle se réunit toutes les semaines dans un lieu autogéré de Pont-d’Hérault, un ancien faubourg ouvrier entre Ganges (Hérault) et Le Vigan (Gard).

« On se demandait comment s’inscrire dans le mouvement social, raconte Ilyess*, l’un des membres de l’assemblée. La réflexion de départ était de se dire que le mouvement venait beaucoup du monde du travail et qu’il manquait une voix : celle des précaires et des privés d’emploi. »

D’après Ilyess, le collectif rassemble des anciens « gilets jaunes » et des personnes engagées dans divers combats comme « la lutte écolo ou le soutien à l’Ukraine ». Leur point commun : « On est tous précaires », souligne l’ancien facteur, n’ayant connu que des contrats à durée déterminée. « Nous sommes au RSA, intermittents, en intérim, paysans cotisants, ou allocataires de l’allocation adulte handicapé, énumère Ilyess. Pour nous, la retraite à taux plein est une chimère. Nos carrières sont hachées et incomplètes. »

Pour nous, le mouvement social permet une chose rare : voir nos patelins se bouger autrement.

Outre la bataille des retraites, l’assemblée des précaires s’engage concrètement dans l’entraide, en proposant des coups de main aux personnes en difficulté avec des organismes (la CAF, Pôle emploi…) ou des propriétaires de logement.

Quant aux questions sociales, elles ne manquent pas : « Inflation, réformes du RSA et de l’assurance-chômage, création de France Travail, accession au logement... » comptent parmi les sujets importants pour le collectif, qui ne revendique aucun leader, ni bureau politique.

« On a beaucoup tracté dans les manifs et attiré de nouvelles personnes. On ressent une envie de militer, de s’organiser », souligne encore Ilyess. « Pour nous, le mouvement social permet une chose rare : voir nos patelins se bouger autrement », sourit-il. Dans le Gard, six défilés sont annoncés pour le 1er-Mai, contre quatre en 2022. 

Un mouvement plus ancré

« Des graines ont été semées », se réjouit Théo Roumier, de Sud Éducation, devant « l’ancrage des petites et moyennes villes » dans le mouvement social. Il raconte avoir également observé des frémissements réjouissants « dans les grosses manifs des grosses villes ». Il décrit des cortèges d’entreprises, non menés par des permanents syndicaux mais « par des gens d’une même boîte qui se sont vus, ont parlé, se sont organisés, ont fabriqué ensemble une banderole ». « Tout ceci est fin. C’est petit, c’est sensible mais j’y suis très attaché car c’est pris, c’est gagné », ajoute l’enseignant.

Pour lui, la lutte contre la réforme des retraites est « un mouvement d’opinion » dont il ne faut pas se contenter. « On a besoin d’un mouvement plus ancré mais ça ne se fait pas en cinq minutes ! Le cadre de l’auto-organisation doit reposer sur des militants ouverts à cette question, tout en sachant s’effacer devant un collectif de travail. Le maillage syndical est important mais ce qui est intéressant, c’est quand ça déborde sur des non-militants. »

Pas question, donc, d’opposer syndiqué·es et non-syndiqué·es, plutôt perçu·es comme complémentaires. L’assemblée des précaires du Sud-Cévennes en fait d’ailleurs l’expérience. « Certains d’entre nous participent aux réunions de l’intersyndicale, d’autres non. Nous avons fait notre petit bloc avec nos pancartes et nous marchons côte à côte, avec les syndicats en tête de cortège », décrit Ilyess. Le collectif était également présent lors de la visite d’Emmanuel Macron à Ganges, le 20 avril.

« Notre volonté est de faire plein de trucs avec l’intersyndicale, pas de s’en démarquer. Mais nous restons attachés à la diversité des gens et des pratiques. » Et de conclure : « Faire des manifs, des concerts de casseroles, danser, ou taper au portefeuille du capitalisme : à chacun son mode d’action ! Mais je sens une vraie envie de s’inscrire dans la durée. »

  publié le 30 avril 2023

Baptiste Giraud, « L’unité syndicale cristallise des tensions qui dépassent cette réforme »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Bien qu’affaiblies par la « révolution » macronienne, les organisations syndicales ont affirmé leur rôle de contre-pouvoir à travers le mouvement historique contre la réforme des retraites. Une place qu’elles pourront renforcer, « à condition de trouver un second souffle », soutient le politologue Baptiste Giraud, avant ce 1er mai exceptionnel à l’appel de l’intersyndicale.

L’intersyndicale promet un 1er Mai historique. Les huit centrales restent unies dans l’objectif de la non-application de la réforme des retraites. Pour autant, les divisions stratégiques et revendicatives laissent planer un doute quant à la longévité du rassemblement, alors qu’Emmanuel Macron entend accélérer ses réformes, en avançant l’ouverture d’une grande négociation entre organisations patronales et syndicales, en vue d’abonder son « pacte de la vie au travail ».

Diriez-vous, pour l’heure, que les organisations syndicales sortent renforcées de ce conflit social malgré l’absence du retrait de la réforme ?

Baptiste Giraud : Objectivement, l’ampleur des mobilisations a démontré à ceux qui en doutaient la force de leur ancrage dans le monde du travail et leur capacité à s’imposer comme des acteurs centraux du jeu politique. Mais ce conflit est aussi une illustration supplémentaire de leur marginalisation par le pouvoir. Les organisations syndicales ont beaucoup communiqué sur le nombre d’adhésions réalisées depuis janvier. La difficulté reste à les transformer en engagement durable. La mobilisation a aussi joui d’un soutien massif parmi les actifs. C’est un point positif, mais paradoxal par rapport à la difficulté persistante des syndicats à le convertir en engagement plus massif dans les manifestations et encore plus dans la grève.

L’intersyndicale demeure toujours rassemblée. La CFDT, notamment, continue d’impulser la contestation sociale. L’absence de compromis et l’attitude brutale de l’exécutif sont-elles les seules explications ?

Baptiste Giraud : Elles ont été des facteurs décisifs. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les syndicats n’ont plus aucune marge de manœuvre. Cela vaut aussi pour les centrales réformistes qui ne peuvent plus valider leur engagement dans la négociation par l’obtention de compromis. De fait, elles sont contraintes à renouer avec des postures contestataires, délaissées depuis 2010. Cette unité syndicale cristallise donc des tensions qui dépassent le seul cadre de cette réforme. Notamment depuis la mise en place des ordonnances Macron et l’instauration des comités sociaux et économiques (CSE), dont la conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir.

« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »

Pensez-vous que le dialogue et la démocratie sociale sont à l’arrêt jusqu’à la fin du quinquennat ?

Baptiste Giraud : De toute évidence, elle ne fonctionne pas depuis 2017. Mais il est difficile d’imaginer l’exécutif diriger le pays quatre années durant sans avoir aucun interlocuteur syndical. Le refus de discuter sur d’autres réformes est d’ailleurs la principale arme des centrales pour perturber le pouvoir politique. Si le gouvernement se décide à donner des gages aux organisations réformistes sur les futurs arbitrages, pour ma part, je les imagine mal camper sur cette position de blocage. L’exécutif devra y mettre le prix. Restons prudents cependant. On aurait pu s’attendre à ce que la crise des gilets jaunes ait remis les syndicats au centre du jeu politique, en faisant la démonstration de la nécessité d’avoir des représentations organisées. Manifestement l’exécutif n’en a pas tiré de leçon, tout comme Emmanuel Macron a fait mine de ne pas comprendre qu’il n’a pas été réélu sur son programme.

Pour la suite, le gouvernement met sur la table une nouvelle loi travail, ainsi qu’un texte sur le partage de la valeur. Quelle va être l’attitude des centrales syndicales dans ces dossiers ?

Baptiste Giraud : Le caractère unitaire de ce mouvement n’a pas fait converger les syndicats vers des revendications alternatives communes. Ce qui le distingue, par exemple, des mobilisations de 2008 au moment de la crise financière, qui s’étaient construites autour d’une plateforme revendicative intersyndicale. L’unité des syndicats reste donc fragile dans le temps en raison de leurs divergences de position sur la protection sociale ou les politiques salariales. Elles se sont par exemple divisées sur le récent accord interprofessionnel sur le partage de la valeur ajoutée qui n’aborde pas la question des salaires, renvoyée aux négociations de branches et d’entreprises. Pour cette raison, la CGT a refusé de signer l’accord alors qu’il a été ratifié par les autres centrales. Sur les autres sujets, s’il y a des avancées, on peut penser que le gouvernement trouvera une oreille attentive du côté des organisations réformistes. Ces dernières prennent un risque en restant en dehors de toute forme de négociations avec le gouvernement et le patronat, car il s’agit là de leur marque de fabrique, leur identité militante. C’est ce qui les distingue et légitime leur rôle dans l’espace syndical. Pour rester au centre de ce dernier, il sera donc difficile pour elles de persister dans une posture de contestation.

Ce mouvement social est marqué par de fortes mobilisations de rue, avec 3,5 millions de personnes dans les cortèges les 7 et 23 mars. Y a-t-il un changement de paradigme dans les luttes, avec une prédominance des manifestations par rapport aux grèves ?

Baptiste Giraud : Ce n’est pas une nouveauté, cette tendance est perceptible depuis au moins trente ans. La manifestation, dans des journées d’action interprofessionnelle, apparaît comme la principale modalité de participation à l’action. Cela ne veut pas dire que les grèves n’existent pas. Mais elles sont assez circonscrites à l’énergie, le transport ferroviaire, l’éducation nationale ou encore aux raffineries. À noter que les éboueurs se sont plus mobilisés qu’à l’ordinaire. Mais en dehors de ces secteurs dits stratégiques, il n’y a pas eu d’extension de mouvements de grève reconductible. En dehors des journées d’action, la participation aux grèves a aussi été plus faible que par le passé, y compris chez les cheminots. Il n’y a pas de comparaison possible avec 1995, où la mobilisation à la SNCF était très ancrée sur la défense du statut, qui n’existe plus depuis 2020 pour les nouveaux embauchés. La morphologie de la mobilisation est en fait cohérente avec ce qu’on observe sur le temps long : une baisse du nombre de grèves, du taux de participation, mais aussi leur répartition très inégale dans le monde du travail. Les syndicats restent faiblement implantés auprès de salariés qui subissent des conditions de salaire et d’emploi précaires, au sein de collectifs de travail très éclatés. Il leur est donc très difficile d’y organiser des grèves. Le contexte de forte inflation a évidemment ajouté aux difficultés à mobiliser par la grève au profit de formes de mobilisation moins coûteuses comme les débrayages, l’utilisation des heures de délégation ou la pose de RTT.

Le rapport de la CGT à la contestation semble s’être durci à l’issue de son 53e congrès. Dans son duel à distance avec la CFDT, la mobilisation change-t-elle quelque chose pour la centrale ?

Baptiste Giraud : Il est assez compliqué de savoir qui sort vainqueur, dans le camp syndical, de cette séquence. La CGT a démontré son rôle moteur dans la mobilisation, notamment dans les secteurs stratégiques, en dépit de son affaiblissement électoral. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer pourquoi les organisations réformistes n’ont pas forcément intérêt à rester longtemps dans cette stratégie, qui redonne de la vigueur à une pratique plus contestataire du syndicalisme. Laurent Berger s’est imposé comme la figure syndicale médiatique de la mobilisation. La CFDT est d’habitude plus en retrait, sa parole apparaissait plus originale pour les médias. La CGT et la CFDT peuvent en sortir renforcées, à condition qu’elles trouvent un second souffle. La CGT ne peut rester durant des mois dans une posture de contestation permanente et doit trouver d’autres leviers pour obtenir des victoires justifiant l’efficacité de son action. La CFDT ne pourra revenir dans sa pratique de la négociation qu’à condition d’obtenir des acquis réels, en particulier sur la pénibilité.

L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT marque-t-elle un changement générationnel dans le syndicalisme ?

Baptiste Giraud : Tout à fait. Sophie Binet est la première femme à diriger cette confédération, cela a été souligné, tout comme son passage par le PS ou encore son parcours à l’Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT). Mais son élection, avec celle de Laurent Brun (secrétaire général de la fédération CGT cheminots – NDLR) comme administrateur, marque aussi l’arrivée de quadragénaires à la tête de la confédération. C’est également le cas pour Marylise Léon, qui va succéder à Laurent Berger à la CFDT. Ce renouvellement de génération peut favoriser l’ouverture des syndicats à de nouveaux combats, notamment sur le féminisme ou l’écologie qu’incarne Sophie Binet. En revanche, comme en témoigne par exemple l’arrivée de Laurent Brun, il n’implique pas forcément de rupture dans le logiciel idéologique de la centrale. On peut s’accorder sur le fait que ce renouvellement soit une bonne nouvelle, dans l’idée que cela rajeunit l’image du syndicalisme et tord le cou à l’idée qu’il ne serait qu’une affaire du passé. Au contraire, on observe que les syndicats ont la capacité de produire de nouvelles générations de dirigeants, de haut niveau, indépendamment de leurs lignes respectives.

« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »

Malgré un désert syndical chez les étudiants, les jeunes se sont mobilisés de manière plus importante après l’usage du 49.3. Ont-ils apporté un second souffle à cette mobilisation ?

Baptiste Giraud : C’est d’abord un révélateur de l’affaiblissement durable du syndicalisme étudiant, dans sa fonction mobilisatrice, directement lié au délitement de l’Unef. J’ajouterai deux éléments conjoncturels. Le CPE concernait en premier lieu les jeunes, contrairement à la retraite. Mais aussi le fait que le bac se déroule désormais en mars, pour certaines épreuves décisives pour Parcoursup. Le calendrier n’était pas optimal pour favoriser la mobilisation de la jeunesse. Cela ne signifie pas pour autant une dépolitisation. La mobilisation a changé de sens, passant d’un conflit social classique à un conflit englobant des aspects démocratiques, surtout après l’usage du 49.3. Cela a permis d’élargir la contestation aux jeunes et, sans doute, à d’autres catégories de salariés. Pour les centrales syndicales, l’un des enjeux à venir est de restructurer une capacité de mobilisation des jeunes, à l’université comme au travail.

Profil : Baptiste Giraud est maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Ses domaines de recherche se concentrent, entre autres, sur la sociologie du syndicalisme et de l’action collective, des organisations politiques, des relations professionnelles et de la santé au travail. Il est notamment le coauteur, en 2018, d’une « Sociologie politique du syndicalisme », aux éditions Armand Colin.

  publié le 29 avril 2023

Un 1er Mai déjà historique

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

En pleine bataille des retraites, la réussite de cette Journée internationale des travailleurs, où défilera l’intersyndicale, peut ouvrir des opportunités nouvelles au mouvement social, alors que le Conseil constitutionnel se prononce le 3 mai sur la seconde demande de RIP.

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à ­rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.

Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre

Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.

Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »

D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, ­secrétaire générale de Confédération européenne des ­syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).

La non-application de la réforme est possible

CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la ­réforme des retraites, le 15 avril.

De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal ­officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.

Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche

Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.

« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »

Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.

Le mouvement renouvelle ses modes d’action

Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.

La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.

L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.Près de 300

Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».

L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale

« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.

Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.

À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).

La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.

Les travailleurs à l’offensive pour les salaires

L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.

« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne. 

Près de 300 points de rendez-vous dans l’hexagone

Pour le 1er Mai comme pour les douze premières journées de mobilisation contre la réforme des retraites, la lutte se déploie sur l’ensemble du territoire. Au total, près de 300 cortèges sont prévus, selon la CGT. À Paris, la manifestation partira de la place de la République vers 14 heures, jusqu’à la place de la Nation. À Lyon, le cortège s’élancera depuis la place Jean-Jaurès à 10 heures. Même heure pour Marseille. À Urrugne, Bordeaux, Millau ou encore Perpignan, le rendez-vous est à 10 h 30. Militants communistes et syndicaux seront également à pied d’œuvre pour la traditionnelle vente du muguet.


 


 

La rédactrice en chef d'un jour.
Une manifestation
qui restera dans les mémoires

Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT

Le 1er Mai, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, existe depuis près de cent trente- cinq ans, lancé par le mouvement ouvrier et la CGT pour exiger la réduction du temps de travail et la paix. Rien de neuf à venir défiler cette année, alors ? Eh bien, pas du tout ! Ce 1er mai 2023 sera inédit en France. Outre que ce sera la 13e journée de manifestation contre la réforme des retraites, c’est la première fois que l’ensemble des syndicats y appellent. C’est aussi la première fois que la dimension internationale va être ainsi affirmée, avec près de 100 syndicalistes venu·e·s des cinq continents pour afficher leur soutien à la mobilisation française. Il sera aussi familial, festif et populaire. Trois bonnes raisons d’y participer. Mais la quatrième est la plus importante. Notre nombre, le 1er Mai, est déterminant pour gagner. Le 8 juin, une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites sera examinée par l’Assemblée nationale. Et elle a toutes les chances d’être votée, si la mobilisation et la pression sur les député·e·s se maintiennent. Alors, ce 1er Mai, avec nos familles, nos ami·e·s, nos voisin·e·s et nos collègues, soyons au rendez-vous, prenons la rue pour enterrer la réforme des retraites et mettre à l’ordre du jour des perspectives de progrès !

   publié le 25 avril 2023

Casserolades. De l’Hôtel de ville de Paris à la Gare de Lyon,
« nous aussi on va passer en force »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Un an après sa réélection, Emmanuel Macron a eu droit à des casserolades devant des mairies de la France entière lundi soir.

Après une visite perturbée à Lyon, le ministre de l'Education, Pap Ndiaye, a quitté la gare par une porte dérobée pour éviter les manifestants. © Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Le premier anniversaire de la réélection d’Emmanuel Macron aura été agité. Trois de ses ministres, Éric Dupond-Moretti, Pap Ndiaye et François Braun, ont effectué des déplacements perturbés à chaque fois par des casserolades et des manifestations durant la journée du 24 avril.

La soirée n’a guère été plus calme. Le mouvement Attac avait appelé à des concerts de casseroles à travers toute la France à partir de 20 heures, devant les mairies. Paris a eu droit aux siens. Devant les mairies d’arrondissement, et pour le rassemblement le plus important, à l’Hôtel de Ville. Plusieurs centaines de casseroles y ont ainsi tinté à l’heure prévue. Accompagnées de « Macron démission », chant des gilets jaunes, et d’autres slogans tels que « nous aussi on va passer en force »

Pap Ndiaye en retenue

Devant la mairie de Paris, le rassemblement sur place ne s’attarde cependant pas. Peu après 20 heures, le retour du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui a dû essuyer des casserolades dans la capitale des Gaules plus tôt dans la journée, est annoncé à la Gare de Lyon aux alentours de 21 heures. Les manifestants se passent le mot, et s’engouffrent aussitôt dans le métro pour aller accueillir le ministre. Dans les couloirs puis le hall de la gare, ils se retrouvent à nouveau à plusieurs centaines. Une fois le train ramenant Pap Ndiaye à quai, les huées fusent. Le ministre est contraint d’emprunter un escalier menant à un couloir « sécurisé » par les forces de police afin d’éviter les manifestants…

Si l’ambiance est toujours au rendez-vous pour ces actions désormais quotidiennes, beaucoup de ceux qui viennent restent toutefois sans illusions sur leur effet sur le pouvoir. « Je continue à venir à chaque action », explique ainsi Emma, développeuse informatique et syndicaliste. « Mais je ne crois pas Macron va se lever un matin en se disant qu’il retire sa réforme ». Elsa et Philippe eux, en sont à leur première casserolade, mais leur « dixième manifestation » depuis le début du mouvement. « On se demande bien où ça va nous mener » interroge perplexe, Philippe. Professeur à la retraite, Elsa confie qu’elle « aimerait bien voir ses collègues réagir davantage à ce qui va leur tomber dessus ».

Le macronisme, « plus jamais ça »

Un an après sa réélection, Emmanuel Macron déroute autant les manifestants qu’il les irrite. Son intervention télévisée du 17 avril, son entretien dans le Parisien, où il réitère ses provocations suscitent à la fois rejet et incompréhension. « De toute façon, les propos de ce monsieur ne m’intéressent plus », balaie Elsa.

Lors des débats parlementaires sur la réforme des retraites, c’est la droite et la macronie qui ont le plus heurté. « On dit qu’à gauche c’était un peu le cirque, constate Emma, mais en comparaison de tout ce qui a pu se dire à droite, c’est rien ». Pour Philippe, « le blocage de la FI ne nous a pas choqué.  L’Assemblée n’est pas un endroit où on peut discuter tranquillement. Tout est joué d’avance ». Lui aussi fustige la majorité. « C’est une insulte permanente à l’intelligence, les propos des macronistes ! » tacle-t-il. Pour lui comme pour Elsa, le macronisme laisse des traces lourdes de conséquences à long terme. « On avait déjà été traumatisés par le vote pour Chirac en 2002. Mais là, plus jamais ça » prévient-il.

Des manifs qui font du bien

Employé à la propreté à la Mairie de Paris, Andy dit être là « pas dans la résignation, mais sans beaucoup d’espoir ». Si son emploi est administratif, il a suivi de près la grève des éboueurs. « Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Je comprends aussi que les gens ne soient pas toujours là. Ils ont des charges à payer ». Il se réjouit cependant du soutien au mouvement dans les sondages. Pour cette soirée du 24 avril, il est venu avec sa fille, Darinka : « il y a plus de ferveur quand on est ensemble », dit-il en souriant. « Nous, on a vécu passivement entre nos 20 et nos 40 ans », raconte-t-il en faisant allusion à sa génération.

Malgré l’absence de tout fléchissement de la part d’Emmanuel Macron, ces mobilisations quotidiennes, bien que moins massives que les grandes journées d’action, font du bien. Voir un ministre sortir d’une gare par une porte dérobée procure un petit sentiment de victoire aux manifestants, et leur donne envie de passer à la suite. Les agendas du gouvernement ont rarement été autant scrutés. Celui du Conseil constitutionnel, qui doit encore rendre une décision le 3 mai sur la deuxième demande de RIP est dans les têtes, mais de façon plus secondaire. . « Si c’est validé, on soutiendra oui… », concède Philippe. « J’attends un peu de voir… », explique Emma avant de préciser, « mais non en fait ». Difficile d’y croire après la validation de la réforme et le rejet de la première demande.

C’est donc l’action dans la rue qui l’emporte, avec le 1er mai en ligne de mire. Et pour beaucoup, le retrait de la réforme ne serait même plus suffisant. « C’est un changement complet qu’il nous faut. Le mot révolution n’est pas galvaudé » après six ans de macronisme, conclut Philippe.


 


 

Casserolades, coupures de courant, manifestations : « On ne les lâche pas »

par Rédaction sur https://basta.media/

En signe de protestation contre la promulgation de la réforme des retraites, les casseroles sont de sortie lors des déplacements officiels du Président et des ministres. L’intersyndicale appelle à un « 1er mai unitaire et populaire pour le retrait ».

Les actions de mobilisations sonores dites « casserolades » et les comités de non-accueil se multiplient depuis la promulgation de la réforme des retraites le 15 avril. Sur les réseaux sociaux, c’est « l’intervilles des 100 jours » qui est lancé, en référence aux « 100 jours d’apaisement » évoqués lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 avril.

Casserolades et sifflements

Un hashtag #CasseroladeGénérale a appelé à une symphonie de cuivres de rue le le lundi 24 avril à 20 h. Plus de 450 actions ont été recensées selon l’association Attac. Une manière de signifier le mécontentement par des percussions de casseroles endiablées lors des déplacements gouvernementaux en région.

En conséquence, certains ministres ont déjà annulé leurs visites, à en croire la carte des mobilisations actualisée par Attac. Emmanuel Macron n’y échappe pas : après un accueil entrée huées et sifflements à Muttersholtz, en Alsace, le président de la République a annulé des déplacements, comme celui prévu à Toulon, où il devait participer à une réunion concernant le Service national universel (SNU) le 27 avril prochain.

Grevilla et 1er Mai

Des actions sont aussi menées dans le secteur de l’énergie. La Fédération CGT Mines-Energie a revendiqué la coupure d’électricité du collège Louise-Michel survenue à Ganges (Hérault) lors de l’arrivée d’Emmanuel Macron le 19 avril. Sans oublier le lendemain la « mise en sobriété  » de l’aéroport de Montpellier, avant l’arrivée du président. Dans un communiqué du 21 avril, elle annonce une « grevilla avec des perturbations énergétiques lors des déplacements et initiatives de l’exécutif, du Président et de ses amis ».

« Macron a promis 100 jours pour apaiser, nous lui promettons 100 jours d’actions et de colère, prévient le syndicat de l’énergie. Le Festival de Cannes, le Grand Prix de Monaco, Roland-Garros, le Festival d’Avignon pourraient se retrouver dans le noir. »

Dans un communiqué commun, l’intersyndicale a quant à elle appelé « tous les travailleurs et travailleuses, jeunes, retraité.es comme l’ensemble de la population à se rendre massivement à la manifestation, entre collègues de travail, amis, en famille » et à « faire du 1er mai une journée de mobilisation massive, unitaire et populaire contre la réforme des retraites, partout sur le territoire, dans le calme et la détermination ». Objectif de la mobilisation : obtenir l’abrogation de la réforme des retraites.


 


 

Retraites : La mobilisation
ne veut pas tourner la page

par Léon Crémieux sur https://www.cadtm.org

Les huit derniers jours ont vu un tournant dans le mouvement de grèves et de mobilisation. Se sont enchaînées, le jeudi 13 avril une 12e journée de mobilisation nationale appelée par l’Intersyndicale nationale, puis le 14 la validation du Conseil constitutionnel, le 17 une allocution télévisée « solennelle » de Macron et le 20 une série de manifestation et grèves d’une journée dans plusieurs secteurs.

L’expression du rejet de la réforme continue de se traduire par de très nombreuses manifestations, blocages, débrayages. Ni Macron, ni ses ministres ne peuvent effectuer de déplacement sans être confrontés à des manifestations populaires d’hostilité. De même, toutes les enquêtes d’opinion, indiquent un taux de 75% d’impopularité de Macron, un isolement croissant depuis les derniers jours.

Le 13 avril, 1,5 million de personnes se sont rassemblées dans les manifestations (380000 selon la police), en gros un tiers de moins que le 6 avril, poursuivant la pente descendante de la mobilisation, mais un chiffre encore très élevé, équivalent à beaucoup des plus grandes journées de grèves des dernières années. Le fléchissement est essentiellement dû à la fin des grèves reconductibles qui étaient de puissants moteurs de mobilisation (même si le 13 avril, à l’appel de la CGT, le secteur du ramassage des ordures repartait en grève reconductible), aux vacances de Pâques dans un tiers des départements et surtout évidemment à une situation d’attentisme. Le rapport de force n’ayant pas contraint Macron à reculer, les regards, même ceux de l’intersyndicale, se fixaient sur l’échéance du 14 avril avec les décisions du Conseil constitutionnel.

Durant les centaines d’initiatives locales du 13 avril, blocage, barrages filtrants, occupations de ronds-points, la répression policière a été la règle, avec garde à vue à la clef. L’isolement politique de Macron s’accompagne de l’accroissement des interventions policières, des violences. La défenseure des Droits (autorité administrative indépendante pouvant être saisie directement en défense des droits et libertés, notamment face aux administrations de l’Etat) Claire Hédon, a répertorié plus de 120 saisines de ses services pour violences policières depuis janvier 2023, dont l’immense majorité depuis la mi-mars, date du 49.3 : Les exactions se multiplient, interventions policières, nasses dans les manifestations, matraquages au sol, gardes à vue arbitraires.

Le lendemain du 13 avril, le Conseil constitutionnel rendait deux avis : un concernant la constitutionnalité de la loi sur les retraites et de la procédure suivie, un autre sur la demande par la NUPES de l’organisation d’un « référendum d’initiative partagé » (RIP) sur une loi disant que « l’âge légal de départ en retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Beaucoup espéraient que ce qui n’avait pas pu être obtenu par la motion de censure, les grèves et les manifestations puisse l’être par une décision du Conseil jugeant non conforme la loi et obligeant le gouvernement à retourner devant le parlement. Beaucoup espéraient aussi, au minimum, que puisse être organisée une campagne de recueil de signatures pour le RIP (environ 4,8 millions en 9 mois, 10% des électeur-trice-s inscrit-e-s). Scène digne des dictatures, le bâtiment du Conseil, au cœur de Paris, fut entouré, dès le 13 avril, de plus d’une centaine de CRS et gendarmes mobiles pour y interdire toute manifestation.

Même s’il y avait de très solides bases juridiques pour ne pas avaliser la loi, le faire aurait évidemment été un choix politique paradoxal venant d’une instance composée de neuf notables liéEs à Macron et à sa politique, de près ou de loin. Hors de question pour ce Conseil d’ouvrir plus largement la crise politique. De même, le choix fut très politique de refuser le RIP qui aurait pu devenir une épine dans le pied de Macron, l’infectant avec son gouvernement pendant au moins neuf mois.

Le soir du 14 avril, les rues de Paris et de dizaines de villes résonnaient de la colère des milliers de personnes, manifestant une nouvelle fois leur rejet de la réforme. L’intersyndicale, dès l’annonce de la validation de la loi, demanda à Macron de surseoir à la promulgation de la loi et de la recevoir. Celui-ci, bien au contraire, alors qu’il disposait de quinze jours pour le faire, s’empressa de promulguer, quelques heures après l’annonce de la validation. Ces avis du Conseil, derniers espoirs de bloquer légalement la loi, cette promulgation express, ont été vécus comme un nouveau diktat visant à faire taire la colère populaire.

Le lundi suivant, Macron a essayé une première « sortie de crise » télévisée par une allocution à 20h. Concéder l’évidence « Cette réforme est-elle acceptée ? A l’évidence, non », ne l’empêcha pas de rabâcher à nouveau ses arguments pour justifier sa réforme. Macron faisait furieusement penser au PDG d’une grande entreprise, justifiant à nouveau ses décisions durant un CSE face à des syndicats en grève contre un plan social. Comme le PDG n’a à consulter ni les syndicats ni les salariés, l’ancien banquier d’affaires considère évidemment qu’il n’a pour seule obligation que de remplir les objectifs financiers du capitalisme libéral et les impératifs communautaires de l’UE. Les institutions politiques ne sont pour lui qu’un accessoire, encombrant ; la voix populaire et majoritaire des grèves et de la rue, un contretemps gênant, mais sans conséquences, tant que ses donneurs d’ordre, ses commanditaires continuent à lui faire confiance. Dès lors, la seule preuve qu’il voulait apporter dans cette allocution était qu’il tenait toujours la barre. Il sait que son pouvoir réel, quotidien, il le tient des grands investisseurs, entreprises et institutionnels.

Son discours servait ainsi à se donner 100 jours en vue d’obtenir « un apaisement », en fermant « l’épisode des retraites », à parler de santé, de chômage, d’immigration, de sécurité, comme si toutes ces questions pouvaient lui permettre de tourner la page et n’étaient pas des domaines dans lesquels s’exercent la même politique de classe, d’inégalités et de discriminations. L’association ATTAC avait lancé l’idée de grands rassemblements de « casserolades », à l’heure de son allocution. Appel largement relayé, avec des milliers de personnes dans plus de 300 rassemblements.

Ces rassemblements de casseroles se renouvellent depuis, à chaque tentative de Macron, de Borne ou de ses ministres de se déplacer. A tel point que mercredi 19 avril, alors que Macron se rendait dans une petite ville du Sud-Ouest, Ganges, le préfet du département a pris un arrêté pour « instaurer un périmètre de protection » en invoquant les menaces d’attentats, les lois antiterroristes qui, une nouvelle fois, sont utilisées de fait pour interdire la liberté de manifester. Pire, les forces de police, s’appuyant sur l’arrêté, ont systématiquement confisqué les casseroles et boites de conserves dont s’étaient dotés les manifestantEs bien décidés à se faire entendre de Macron. Une nouvelle fois la contestation sociale est assimilée à une entreprise terroriste.

Les signes de dérives du pouvoir se multiplient, au-delà de l’épisode de Ganges. Les menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme proférées par Darmanin, ont été suivies de celles de Borne. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont le rapport 2023 ne confirmait pas le roman de Macron sur la catastrophe annoncée, a subi depuis des pressions pour que son rapport 2024 soit conforme à la version officielle du pouvoir.

A la demande de Macron, et pour rassurer les agences de notation sur la « qualité de gestion » du pouvoir, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des finances, vient de sortir sa nouvelle « feuille de route des finances publiques ». Alors que la hausse des taux d’intérêt est maintenue par la BCE, il veut accélérer l’application des critères de convergence avec comme objectif pour 2027 la réduction du déficit du budget à 2,7%, et celle de la dette à 108,3% du PIB. L’année dernière, Bruno Le Maire prévoyait seulement 2,9% et 112,5%. Cette année Le déficit budgétaire devrait être de 4,9%. En conséquence, tous les ministères viennent de recevoir des lettres de cadrage prévoyant 5% d’économies pour avancer vers l’objectif fixé par Le Maire. Baisser radicalement le montant des dépenses publiques va aggraver davantage la pénurie dans les services publics.

Dans ce contexte, le mouvement de mobilisation, malgré la colère sociale, marque le pas. Ce qui est en jeu c’est la capacité ou non d’imposer à Macron un recul sur les 64 ans, malgré la promulgation de la loi. Il est évident que cela dépendrait toujours de la capacité à élargir la crise politique et à paralyser le gouvernement. La paralysie parlementaire va subsister puisqu’il est clair désormais que les Républicains ne noueront pas d’alliance parlementaire pour asseoir une majorité. Mais Borne et Macron espèrent néanmoins passer au travers de nouvelles motions de censure et continuer à gouverner en louvoyant et en procédant au maximum par des décrets qui n’impliquent pas de vote du parlement. Seule la mobilisation populaire pourrait permettre réellement de faire mettre genou à terre au gouvernement.

L’objectif annoncé par l’Intersyndicale est de faire du 1er Mai la prochaine échéance par des manifestations unitaires dans toutes les villes. Certes, cela sera une première historique puisque, depuis 1945, le mouvement syndical en France, n’a jamais été réuni dans une même manifestation le 1er Mai. Cela témoigne positivement du rapport de force construit dans le mouvement. Mais quel en est l’objectif ? En faire un point de départ pour un second souffle, un nouvel élan pour affronter Macron ? Cela serait évidemment décisif pour imposer une défaite à Macron, mais cela renvoie aux limites de l’Intersyndicale. L’unité est maintenue sur le rejet des 64 ans et le refus de dialoguer avec Macron sans recul sur sa réforme et cela est un facteur de dynamisation des mobilisations toujours nombreuses dans tout le pays. Mais quel sera l’objectif après le 1er Mai ?

Fixer de nouveaux leviers de mobilisations, contre les 64 ans, en élargissant aux questions sociales les plus urgentes, à commencer par les salaires et le coût de la vie, en gardant la dynamique unitaire mais en avançant vers un nouvel affrontement pour faire céder Macron, seront les enjeux des jours qui viennent.

publié le 24 avril 2023

Les femmes de Vertbaudet bloquent leur usine
pour une vie plus digne

Par Inès Belgacem sur https://www.streetpress.com

Les femmes en grève de l’usine d’acheminement de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage. Elles réclament une augmentation de salaire et la direction refuse toute négociation. Un bras de fer impossible.

Marquette-lez-Lille (59) – « Lever la tête, bomber le torse, sans cesse redoubler d’efforts ! » Sur l’air d’Amel Bent, Viser la Lune, bras dessus, bras dessous, le groupe de femmes chante en chœur devant les appareils photo et les caméras. « Malgré le Smic, et puis la Caf, l’humiliation dans le flicage, moi je lèverai le poing, encore plus haut encore plus loin. » Ce 14 avril, les femmes en grève de Vertbaudet terminent leur quatrième semaine de blocage de leur usine. Elles sont 83 – dont quelques hommes – à réclamer, notamment, une augmentation des salaires.

Le bras de fer tendu depuis 26 jours, avec la direction de l’usine d’acheminement de la marque de prêt-à-porter pour enfants, n’a pas permis d’ouvrir le dialogue. Alors ce vendredi matin, la toute nouvelle secrétaire de la CGT, Sophie Binet, s’est rendue sur le piquet de grève, à moins d’une dizaine de kilomètres de Lille (59). Des politiques, des journalistes et des cégétistes de la région ont fait le déplacement pour l’occasion. Devant la petite foule, feuille de papier en main, la syndicaliste chante avec les grévistes le temps d’une chanson, avant de promettre de bloquer les magasins parisiens de l’enseigne si la porte des négociations ne s’ouvrait pas :

« Visez la thune, ça ne me fait pas peur ! Même à l’usure, j’y crois encore et en cœur. »

« On survit »

« “Vertbaudet, les enfants d’abord”, disent-ils. » Sandrine (1) oscille entre colère et fatigue. « C’est vrai pour tous les enfants sauf ceux de leurs salariées ! Ils n’en ont rien à faire que les nôtres mangent à leur faim. » Une fois la cohue passée, il ne reste que quelques femmes et une poignée de soutiens cégétistes du coin, réunis autour de la tonnelle rouge qui leur sert de camp de base. « Mon grand garçon est manager. Il m’a dit : “Maman, ce n’est pas normal tes conditions de travail”. » Sandrine a haussé les épaules :

« Peut-être, mais l’important c’est la sécurité. Faut bien manger. »

La mère de quatre enfants – deux adultes et deux ados – les pousse à entreprendre de longues études. Elle, n’en a pas fait. La petite-fille de mineur a été embauchée en 1997 chez Cyrillus, avant d’être déplacée sur le site de Vertbaudet – les deux enseignes font partie d’un même groupe à l’époque. À 48 ans, après 26 ans d’ancienneté, son salaire affiche 1.200 euros net par mois :

« J’ai l’impression de vivre le même quotidien que ma grand-mère. Je ne vais plus acheter de baguette fraîche depuis l’augmentation des prix et l’inflation. C’est Germinal ! »

« C’est difficile de se dire qu’on travaille consciencieusement, comme tout le monde, pour être à découvert le 20 du mois », confie Caroline. Sa fille est au lycée. Séparée de son père, elles habitent à deux, et doivent s’en sortir avec son seul salaire de 1.200 euros net par mois. Caroline a quelques avantages, dont un contrat avec les mêmes congés que les vacances scolaires de sa fille. Mais ça ne paie pas son loyer de 450 euros, à quoi s’ajoutent les charges, les courses et les petits tracas de leur quotidien à deux :

« Son père lui paie des vêtements ou des sorties à la foire. Moi, je ne peux pas. Moi, je survis. »

La mère célibataire raconte faire ses courses en ligne sur l’application Picnic. « Comme ça, je ne prends que ce dont j’ai besoin et je reste dans mon budget au centime près. » Elle prend toujours des tartes et des pizzas, pour les couper et en faire deux repas. Si Caroline a besoin d’un meuble, direction Emmaüs. Pour les vêtements, c’est le Secours populaire. Le neuf ne lui est plus accessible. Et finalement, elle participe chaque jour à l’expédition de produits qu’elle n’est plus en mesure de s’offrir.

« Nous sommes méprisées »

Chez Vertbaudet, il y a deux étages : les bureaux au premier occupés par les cols blancs et l’entrepôt au rez-de-chaussée, d’où partent les camions chargés de marchandises par les ouvriers. Ils livrent les magasins de la marque et les particuliers, en meubles, jouets et vêtements pour les enfants. Schématiquement, il y a trois équipes : le prélèvement, l’emballage et l’expédition. « Au prélèvement, ils vont chercher les commandes. C’est plutôt des postes qu’on donne aux jeunes, parce que c’est physique », explique Justine, neuf ans de contrat à Vertbaudet et gréviste de la première heure. La plupart des salariés de l’entrepôt sont des femmes. « On m’a mise à l’emballage des commandes maintenant. Mes deux coudes sont morts et je force sur mes épaules », raconte Carole, 51 ans et presque la moitié d’ancienneté à Vertbaudet. Elle marche entre 15 et 25 kilomètres par jour, comme ses collègues. « C’est un métier épuisant : on tire, ou soulève, on pousse des chariots très lourds », complète Aïcha, petite nouvelle de 33 ans, embauchée il y neuf mois après plusieurs années d’intérim.

« La demande de rendement est plus importante », poursuit Aïcha. Avec sa casquette de marin noire, installée sur un banc de palettes du piquet, la trentenaire enchaîne les anecdotes :

« On est surveillées : les patrons passent pendant nos pauses déj’ pour vérifier qu’on ne dépasse pas notre temps à la minute prêt. »

« Dix minutes, c’est la règle », explique sa collègue Justine : « Pour manger, passer aux toilettes, prendre un café – sachant qu’il n’y a qu’une seule machine pour nous tous, utilisable qu’à la pause. » Pas de passages aux WC hors temps de repos, assure-t-elle. Seules les bouteilles d’eau sont acceptées dans l’entrepôt. « Pas de grenadine ou de sirop de citron dedans, c’est interdit. » Elle conclut :

« On est infantilisés. »

Elles ont bien essayé d’en discuter, notamment par l’intermédiaire de leur représentante syndicale Manon Ovion, une des leaders du mouvement, elle aussi salariée de l’entrepôt. Elle aurait reçu une fin de non-recevoir :

« “Mais vous, vous êtes au niveau zéro”, m’ont-ils dit. Sous-entendu : il n’y a que les cadres du premier étage qui peuvent réclamer quelque chose. »

Des négociations impossibles

« Ça y est, il sort ! » Ça crie sur le piquet. Deux grosses voitures arrivent aux grilles de l’entreprise. Le patron de l’usine est au volant, accompagné de deux huissiers. Les femmes grévistes restent à distance, mais le ton monte avec un cégétiste de la région. Le directeur regarde droit devant lui, froid et impassible.

Ce matin-là, des individus ont fait tomber une grille pour entrer dans l’entreprise. La direction de Vertbaudet dénonce des violences et des dégradations survenues ces 11 et 14 avril. Le week-end qui suit, « des dégradations volontaires dont un départ de feu » auraient également été constatées par la direction, qui assure que des plaintes ont été déposées. « Nous faisons la différence entre les grévistes et des individus externes, violents », a-t-elle déclaré, ajoutant :

« Les événements sont extrêmement violents pour les salariés qui continuent de travailler. Trois blessés légers ont été pris en charge par les pompiers. »

La direction n’a pas donné davantage d’info sur les blessures de ses salariés. Elle a cependant fait parvenir une pétition, signée par plus de 150 non-grévistes, qui s’opposeraient au mouvement social : « Nous, salariés non-grévistes, ressentons un bien-être sur notre lieu de travail. Il y règne une bonne ambiance. Nous sommes solidaires [de la direction]. (…) Nous avons certains avantages non négligeables (…) Cette situation génère une peur de la perte de notre emploi qui nous permet de faire vivre notre famille. »

Sur les 327 salariés de l’entrepôt, un quart est en grève avec la CGT ce vendredi 14 avril. « Ce conflit social est mené par une minorité », estime l’entreprise, qui refuse de revenir sur les négociations annuelles. Elles se sont soldées début mars par un accord signé par Force Ouvrière (FO) et la CFTC, qui représentent 63% des salariés syndiqués. La CGT, minoritaire, s’y est refusée.

« Dites que FO n’est pas avec nous ! Ça c’est grave ! » s’indigne Sandrine, la petite-fille de mineur, sur le piquet. « C’est un travail qui n’évolue jamais, qu’on ait 20 ou 40 ans. Aucun changement de salaire, aucune évolution de carrière, le monde du travail ne devrait pas être ça ! » La direction considère que leurs employées de l’entrepôt ont une rémunération supérieure au Smic de 17%, grâce à différentes primes. Elle a aussi proposé de faire des heures supplémentaires, « pour augmenter rapidement le pouvoir d’achat ». Carole, la mère célibataire, dénonce :

« Ce ne sont pas les primes qui paient notre retraite. On ne cotise pas. On voudrait que notre salaire brut augmente. »

Mais les deux étages ne semblent plus pouvoir se comprendre.

Cinq semaines de bras de fer

« À table ! Quand c’est plus chaud, c’est plus chaud ! » crie JR, autoproclamé chef du barbecue cégétiste de la région. Ce matin, une autre camarade de la CGT leur a offert un agneau entier. Des voisins leur ont déjà apporté des gâteaux et des soupes à la tente. Et les klaxons de soutien rythment leurs longues journées. « Heureusement qu’on a tout ce soutien, parce que ça commence à faire long. Et au début c’était compliqué », raconte Justine, pour qui c’est la première grève. Jour un : l’Union locale de Tourcoing lance le blocage pour manifester contre la réforme des retraites et soutenir les revendications salariales des représentants de l’usine. Les femmes suivent. Mais sans manteau, cache-nez, cigarettes ou nourriture. Rien. Justine en rit :

« Les nuls font la grève. On ne savait pas ce que ça voulait dire de tenir un piquet toute la journée. Ça demande de l’organisation et beaucoup d’énergie. Et la première gelée et la première pluie, on n’a rien vu venir ! »

Et puis tout s’est organisé, progressivement, à mesure que le bras de fer s’est durci avec la direction. Après le passage de sept camions de CRS la première semaine, leur campement, installé devant l’entrée de l’entreprise, a déménagé à quelques mètres, pour libérer la route empruntée par les camions. L’usine voisine d’Ikea leur ouvrait gracieusement leurs toilettes. La direction aurait passé un coup de fil pour y mettre un terme. Pareil pour l’entreprise qui fournissait le piquet en palettes.

Il y a ensuite eu l’arrivée des 84 intérimaires, « pour remplacer les 82 salariés grévistes », note l’inspecteur du travail alerté par la CGT. Une notification de l’Inspection du travail, que StreetPress a pu consulter, épingle l’entreprise et rappelle que « le code du travail interdit le recours (…) aux travailleurs intérimaires pour remplacer les grévistes ». À ce jour, Vertbaudet emploie toujours ces intérimaires et explique attendre la réception du procès-verbal définitif pour contester les faits.

Et la suite ?

« Vivement qu’on en finisse », tranche Justine, déterminée mais fatiguée, comme la plupart de ses camarades. « Surtout qu’on n’a pas toujours été mal ici », racontent-elles. Chacune a son petit souvenir : la Sainte-Catherine, où les plus anciennes confectionnaient des chapeaux aux nouvelles ; le patron qui passait avec des chocolats ou du champagne pour les fêtes ; ou simplement le temps où le café et les casse-dalles étaient autorisés dans l’entrepôt. Une époque qui leur semble bien loin.

La direction réitère à StreetPress : elle refuse catégoriquement d’ouvrir de nouvelles négociations sur l’augmentation des salaires. Les représentants CGT annoncent quant à eux, une reconduction de la grève. Ce lundi 24 avril, les femmes de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage.

  publié le 23 avril 2023

À Paris, le collectif McDroits met McDonald’s face à ses manquements

Nelly Metay sur www.humanite.fr

Le collectif McDroits s’est donné rendez-vous au McDonald’s de Parmentier, vendredi 21 avril, à l’occasion de sa réouverture officielle. Entre deux tracts et un flashmob, ils ont dénoncé l’inaction de la firme face au harcèlement au travail.

« On est là, même si McDo le veut pas nous on est là ». Créé en mars 2020, le collectif McDroits multiplie les actions à l’encontre de l’enseigne américaine. Salariés du groupe ou simples soutiens extérieurs, ils se mobilisent depuis maintenant trois ans afin de dénoncer les abus dans la chaîne de restauration rapide. « Nous étions là en octobre 2020 au siège à Guyancourt pour dénoncer les discriminations systématiques, nous sommes ici aujourd’hui pour les mêmes choses », relate Antoine, salarié de l’entreprise et membre de la CGT McDonald’s Paris.

Un accueil musclé

Animations, musiques, ballons, tracts et influenceuse cotée… Le groupe au M doré a tout prévu pour attirer les badauds. Une flashmob est même organisée en partenariat rémunéré avec la tiktokeuse Camille la danseuse, l’ambiance se veut festive. Au coin de la rue Oberkampf, les membres du collectif Mc Droits préparent leurs banderoles et mettent leurs t-shirts, mais la préparation est de courte durée. Les responsables du restaurant les ont repérés et partent à leur rencontre. Habitués à des accueils toujours mitigés, ils prennent les devants et se postent à l’entrée du fast-food, au moment même où la musique démarre. « On veut perturber leur flashmob, qu’ils n’aient pas d’autre choix que de nous écouter s’ils veulent poursuivre leur événement », développe Anna co-organisatrice de l’action, quelques instants avant de passer à l’acte.

Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. À peine sont-ils en place que plusieurs responsables déboulent sur eux, ciseaux à la main pour tenter de découper leur banderole sur laquelle on peut lire le fameux slogan «  Venez comme vous êtes » suivi des actes reprochés « Harcelé.es, attouché.es, humilié.es, abusé.es, rabaissé.es ». Très vite la tension monte, ils sont priés de remballer leur matériel. « J’ai eu un peu peur quand on m’a saisi le bras violemment et griffé », confie Rémi, encore choqué des menaces proférées selon lui par les responsables, qui n’ont pas souhaité réagir à nos sollicitations. Après d’intenses négociations, le collectif peut prendre la parole devant une petite foule agrégée devant l’entrée du restaurant. « Nous sommes ici pour lire des témoignages de salariés qui ont subi du harcèlement, des menaces, des pressions, du racisme et des violences sexuelles », scande Antoine. Malgré leurs mines déconfites, les gérants du magasin mettent fin à l’action et reprennent tant bien que mal leur cérémonie d’inauguration. Une reprise qui tarde… car l’influenceuse invitée s’est évaporée durant l’action du collectif McDroits.

« Des pressions systématiques »

Si certains membres du groupe ont été chahutés, le collectif est satisfait d’avoir pu mener à bien son action. « C’est important pour nous que les gens entendent ces témoignages, nous en avons recueilli des centaines qui dénoncent les conditions de travail honteuses », assure Mathilde, qui participe elle aussi à l’action. Collectés pendant des mois en ligne ou en physique sur les campus universitaires, ces témoignages proviennent d’actuels ou anciens salariés victimes d’abus en tout genre. Bien souvent jeunes et précaires, les personnes qui acceptent de raconter leur expérience au sein du géant du fast-food relatent une pression systématique, exercée aussi bien sur le lieu de travail que par le biais de l’application de messagerie en ligne WhatsApp. « On est contacté par nos supérieurs à des heures improbables, on nous demande parfois de surveiller nos collègues. On nous impose des responsabilités et cela ne représente que la partie émergée de l’iceberg » déplore Antoine, consterné par cette réalité.

McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement

Si cette action n’est pas la première et sûrement pas la dernière, elle rappelle surtout l’inaction de la firme. Appelé à agir en interne en 2020 suite à l’action faite au siège par le collectif, McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement moral et avait promis un protocole d’écoute et de prise en charge des victimes. Pourtant, selon le collectif, plusieurs personnes s’étant plaintes de leurs conditions de travail n’ont jamais vu la concrétisation de ces annonces, se résignant à laisser l’entreprise qui emploie le plus de jeunes en France, perpétuer sa triste omerta.

   publié le 22 avril 2023

A69, l’autoroute de tous les dangers

Marceau Taburet et Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Tout le week-end, les opposants à la construction du nouveau tronçon entre Toulouse et Castres manifestent dans le sud du Tarn. Le ministre de l’Intérieur attise les tensions.

Ce samedi 22 avril, le sud du Tarn doit connaître un week-end de mobilisation à haut risque, moins d’un mois après les affrontements de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Les opposants à la construction d’une autoroute entre Toulouse et Castres appellent à un rassemblement à Saix pour manifester leur opposition à ce projet jugé « anachronique ».

Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues, des bolides de toutes tailles et toutes formes

Les initiatives annoncées se veulent festives et bon enfant. Les organisateurs (les Soulèvements de la Terre, la Confédération paysanne…) ont prévu de monter samedi à bord de bolides. De toutes formes et de toutes tailles. Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues feront l’affaire pour participer à la course.

L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes

L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes. Ces derniers jours, entre 2 000 et 3 000 personnes se sont montrées intéressées sur les groupes de discussion.

Long de 44 kilomètres, cet axe autoroutier est dans les cartons depuis le début des années 2000. « Cela fait des années que des gens se battent sur place. Là, on entre dans une nouvelle phase puisque les travaux ont commencé et des arbres ont déjà été abattus », explique Mathieu, membre des Soulèvements de la Terre.

Artificialisation de 366 hectares et destruction de zones boisées et humides

Ce qui suscite leur indignation, c’est avant tout la non-prise en compte des impacts sociaux et environnementaux du projet. Artificialisation de 366 hectares, destruction de zones boisées et humides, déplacement d’espèces végétales et animales…

« L’utilité de cette autoroute n’a jamais été démontrée. Elle ne sera pas rentable », estiment les militants locaux d’Europe Écologie-les Verts dans un communiqué. Les mots « climat » et « biodiversité » sont les grands absents de l’exposé des motifs qui tente de justifier le caractère d’utilité publique de l’autoroute.

Selon les premières estimations, ce nouveau tronçon payant (autour de 7 euros à chaque passage), construit en parallèle de la nationale, serait emprunté chaque jour par près de 6 000 usagers. Ce qui semble bien faible au regard de ses conséquences écologiques, jugent les membres du collectif local la Voie est libre.

Ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire »

Au sein de la gauche régionale, la communiste Géraldine Rouquette, conseillère régionale et ex-élue municipale de Castres, estime que ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire ». Il laisse des angles morts : « Le désenclavement ne doit pas se faire que vers Toulouse », explique l’élue communiste, qui considère que « le développement du ferroviaire » aurait également dû être une piste de travail, arguant que « faire rouler des trains c’est mieux pour l’environnement ».

La présidente socialiste de la région, Carole Delga, appuie en revanche le projet au nom du « désenclavement du sud du Tarn ». En 2021, avant les élections régionales, elle rappelait en outre que l’État avait donné son feu vert « après une large concertation ».

En lieu et place du projet autoroutier, les communistes auraient eux préféré un doublement de l’actuelle route nationale, de façon à en faire une deux fois deux voix, et plaideront le cas échéant pour la gratuité de ce tronçon pour les usagers.

« Le gouvernement croit que tout le monde veut des ZAD partout »

Mais, au-delà de ces débats, le souvenir des violences à Sainte-Soline autour des méga-bassines, le 25 mars, est dans toutes les têtes. « On espère qu’il n’y aura pas de provocation de la part de la police, assure Mathieu. Le gouvernement est dans un délire de croire que tout le monde veut mettre des ZAD partout. »

Selon lui, l’exécutif poursuit bille en tête sa stratégie de « criminalisation des mouvements sociaux et environnementaux ». Preuve en est, la volonté affichée par Gérald Darmanin de dissoudre les Soulèvements de la Terre.

Le locataire de la place Beauvau a déjà annoncé, sous forme de prophétie, que « l’autoroute entre Castres et Toulouse sera le prochain objectif de l’ultragauche ». Le préfet du Tarn, qui a autorisé la manifestation, promet de mener « un dialogue constructif » avec les organisateurs.

Il reste à savoir si l’État pourrait revenir sur son projet. Selon des informations publiées par Mediapart, ce 20 avril, le ministre des Transports, Clément Beaune, « a souhaité réexaminer l’ensemble des projets autoroutiers actuellement envisagés, et le projet d’A69 ne fait pas exception ». L’entourage du ministre assure que, « dans ce cadre, rien n’est définitif ».

À la veille du week-end de mobilisation, une opération de com destinée à calmer le jeu n’est pas exclue. À moins que le gouvernement, déjà malmené après la réforme des retraites, ne renonce à souffler sur les braises pour ce projet d’autoroute. 


 


 

Autoroute A69 : Carole Delga timidement lâchée par ses alliés

Emmanuel Riondé sur www.humanite.fr

La présidente de la région Occitanie défend l’autoroute Castres-Toulouse. Mais au sein de sa majorité, Verts et communistes se démarquent de sa position. Et en dehors, beaucoup pointent la contradiction entre son affichage écolo et son soutien à ce projet climaticide et dépassé.

Toulouse (Haute-Garonne).– Les oreilles de Carole Delga devraient encore siffler ce week-end, du côté de Castres. La présidente socialiste de la région Occitanie est dans le viseur des opposant·es au projet d’A69, cette autoroute devant rallier Toulouse et Castres, dont la réalisation apparaît totalement à contre-courant des attentes et urgences écologiques de la période (lire l’article de Jade Lindgaard).

Samedi 22 et dimanche 23 avril, le collectif La Voie est libre, la Confédération paysanne, Extinction Rebellion (XR) et les Soulèvements de la Terre organisent un rassemblement, « A69 Sortie de route », contre ce projet. Le camp où se retrouveront les manifestant·es a été dressé sur la commune de Saix, à proximité de Castres (Tarn). Non loin d’un tronçon où de premières coupes d’arbres ont été effectuées en mars, dans le cadre des travaux préparatoires du chantier.

Dans un communiqué diffusé jeudi 20 avril, les organisateurs notent que « l’installation de ce camp est un premier coup porté à la politique de Carole Delga dont le courage politique n’a d’égal que le mensonge ». La veille, trois militants de Dernière Rénovation aspergeaient de peinture orange la façade et l’esplanade de l’hôtel de région, à Toulouse, pour dénoncer « un projet insensé, catastrophique pour la biodiversité, la vie rurale et la santé des sols, [qui] n’a vocation qu’à enrichir des investisseurs déconnectés de l’urgence climatique ».

La région Occitanie contribue à hauteur de 6 millions d’euros au plan de financement de l’autoroute. Une somme versée dans le cadre de la subvention d’équilibre publique de 23 millions (dont 11,5 millions de l’État et 3,14 millions du département du Tarn) qui représente environ 6 % du budget d’investissement global (389 millions). Mais elle n’est ni maîtresse d’ouvrage ni initiatrice du projet. Pourquoi, dès lors, sa présidente, réélue haut la main en 2021, est-elle visée par les opposant·es ?

« Je pense que c’est parce qu’elle est active sur l’écologie que Delga est interpellée avec insistance sur ce dossier : il y a une contradiction qui soulève des interrogations », propose Benjamin Assié, président du groupe Occitanie Pays-Catalan Écologie (OPCE), le bloc écologiste de la majorité de Delga au conseil régional.

Une contradiction dont le groupe OPCE et ses sept élu·es se tiennent à bonne distance : « Nous allons nous rendre à la manifestation de ce week-end, on n’a aucune difficulté là-dessus, assure l’élu. Ce n’est pas la position de la majorité régionale mais nous sommes en cohérence avec nos valeurs : nous nous sommes toujours opposés à ce projet qui avait peut-être une raison d’être il y a 40 ans mais plus du tout aujourd’hui. »

Autre composante de la majorité régionale, le groupe Communiste républicain et citoyen, 15 élu·es, n’est guère plus enthousiaste concernant l’A69 : « Le PCF avait pris position localement et nationalement pour une réhabilitation de la RN126 à double voie. On acte que le choix de l’État et de la région est celui de l’autoroute mais on y reste opposés. Notamment au fait que cette liaison soit désormais payante », explique Pierre Lacaze, président du groupe.

Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas.

Vincent Garel, à la tête des 18 élu·es du Parti radical de gauche et citoyens de la région, principale force alliée au groupe socialiste de Delga, n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais l’élu tarnais, président régional du Parti radical de gauche, dont il vient d’être nommé premier vice-président national, est un fervent défenseur de l’A69. Et politiquement, il « accompagne la démarche de Bernard Cazeneuve autour de son mouvement “La Convention” », ce qui le rapproche encore un peu plus de Carole Delga. Au printemps dernier, entre présidentielle et législatives, la présidente de la région s’était affirmée comme l’une des figures majeures des socialistes opposé·es à l’intégration du PS au sein de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). 

S’ils assument leur opposition au projet d’A69, écolos et communistes de la région se gardent de trop critiquer leur présidente. « Ce projet a été conçu il y a plusieurs décennies et il ne correspond plus à ce que nous devons transformer. Mais la position de Delga, nous n’allons pas la commenter », tranche Agnès Langevine, élue OPCE, deuxième vice-présidente de la région chargée du « climat, pacte vert et habitat durable ». « Je ne peux pas parler à sa place », élude de son côté Pierre Lacaze, président du groupe Communiste républicain et citoyen.

Sollicités par Mediapart, ni Carole Delga, ni son cabinet, ni deux proches élu·es n’ont donné suite. Mais la position de la présidente de région, qui revendique ses bons liens avec le patronat et, comme le rappelle Mediacités, est proche des dirigeants des laboratoires Fabre, initiateurs du projet d’autoroute dans les années 1980, est connue et assumée de longue date : « En matière de désenclavement, d’attractivité et de déplacements, la nécessité de cette liaison autoroutière n’est plus à prouver, estimait-elle en avril 2022 après la publication du décret approuvant le contrat de concession entre l’État et Atosca, qui va construire et exploiter l’autoroute. La région est pleinement engagée pour faire aboutir ce projet utile au territoire. »

« On n’est pas surpris, assure Régis Godec, cosecrétaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV)-Midi-Pyrénées. Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas. » Membre de la majorité « gauche plurielle » de la première mandature de Delga à la région, EELV n’a pas intégré la nouvelle coalition en 2021. Parmi les dossiers de rupture, celui de l’A69.

Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone.

Lors de la campagne, José Bové avait proposé un référendum sur le sujet. « Je fais partie de ceux qui ne sont pas favorables à ce projet, expliquait-il à la presse. Mais ça ne m’empêche pas de soutenir la région. Pourquoi pas trancher tout cela par un vote ? » Avant de préciser : « Je ne mets pas un caillou dans la chaussure de Carole Delga, mais je lui présente une solution pour sortir d’un conflit qui s’enkyste. »

Deux ans plus tard, le conflit entre pro et anti-autoroute s’est durci, et le caillou dans la chaussure commence à ressembler à un gros pavé dans la mare, même si Agnès Langevine défend le volontarisme écologique de Carole Delga. « Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone », se félicite la vice-présidente, vantant « la politique de transport, la reconnaissance européenne sur l’agriculture bio, et sur le deuxième mandat, le pacte vert avec une appréhension plus systématique où toutes les politiques publiques doivent prendre en compte le climat » comme les « marqueurs écolos » de la région.

Parmi ces « marqueurs », Carole Delga a choisi de mettre l’accent sur l’importance qu’elle accorde aux transports… ferroviaires. Avec une tribune dans Le Monde en septembre 2022, et une interview au JT de 13 heures de TF1 mardi 18 avril, dans lequel, interrogée par Marie-Sophie Lacarrau, elle assure que « les transports en commun doivent être gratuits […]. C’est bon pour le pouvoir d’achat, c’est bon pour la planète et c’est bon pour la souveraineté industrielle ».

Le basculement attendu de Carole Delga

Cette montée au créneau pour la gratuité des transports en commun a provoqué quelques grincements. « Rien que sur le trajet Toulouse-Castres, en matière de TER, le compte n’y est pas, épingle un connaisseur des transports en Occitanie, souhaitant conserver l’anonymat. Les premiers TER en provenance de Castres arrivent à Toulouse-Matabiau après le départ du premier TGV pour Paris, et les derniers en repartent avant son retour… Delga avance des grands projets sur le ferroviaire mais concrètement, pour désenclaver Castres, elle n’améliore pas cette offre TER. »

Et soutient l’installation sur le même trajet d’une autoroute dont l’aller simple sur soixante kilomètres coûtera 8,40 euros ! Un prix qui, en plus d’être particulièrement élevé, pose la question de la destination des fonds publics : il englobe les déviations de Soual et Puylaurens, réalisées en 2000 et 2008 sur la RN126 aux frais des contribuables… qui vont désormais en repayer l’usage à un opérateur privé chaque fois qu’ils prendront l’A69.

Autre contradiction relevée par les opposant·es au projet : Carole Delga a fait connaître son opposition à l’installation d’une usine d’enrobage (goudron) à Gragnague, un village de Haute-Garonne situé sur le tracé de l’autoroute. L’usine est censée rester quatre mois dans le cadre de travaux de réfection d’une portion de l’autoroute A68 à laquelle se raccordera l’A69. « Elle est pour l’autoroute mais contre le goudron… Elle a cru qu’ils allaient faire une autoroute en paille ? », ironise un membre de La Voie est libre, le collectif d’habitant·es de la vallée en lutte contre l’autoroute.

En réalité, la socialiste apparaît aujourd’hui isolée sur un dossier qui cristallise le rejet et l’opposition d’un spectre politique et citoyen de plus en plus large. Le Nouveau Parti anticapitaliste, EELV, le Parti de gauche, La France insoumise, Archipel citoyen ont signé l’appel à manifester ce week-end, comme de nombreux syndicats (FSU, GGT 81...), aux côtés d’associations et collectifs. « Le rapport de force évolue plutôt en notre faveur et Carole Delga a beaucoup de choses à prouver sur ce dossier, note l’écologiste Régis Godec. C’est à elle de faire le pas, de basculer. On peut imaginer que dans quelques semaines, elle se mettra autour d’une table. Nous, en tout cas, on sera là le week-end des 22 et 23 avril. »

Tout comme Benjamin Assié, président du bloc écologiste à la région : « Du point de vue d’un certain nombre de gens de la majorité qui portent ce projet, il y a l’idée que c’est trop tard pour revenir en arrière, regrette-t-il. Mais la réalité, c’est qu’à la fin, on va se retrouver avec une autoroute surcalibrée, juste à côté de la nationale… On ne désespère pas de la faire changer de position. Notre job, c’est de tenir la nôtre à l’intérieur du conseil régional. »

Ce week-end, à Saix, les opposant·es au projet entendent bien elles et eux aussi « faire leur job » : « On ne fait pas de politique politicienne, lâche Nicolas, de Dernière Rénovation. Notre objectif, c’est juste de faire en sorte que Delga et l’État renoncent à ce projet. »

  publié le 21 avril 2023

Tour de chauffe revendicatif
avant un 1er Mai décisif

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Partout en France, les cheminots mais aussi les salariés ont répondu à l’appel de l’intersyndicale. Avec un objectif en tête : vivre une Journée internationale des travailleurs historique.

« Le pouvoir fait comme si on pouvait tourner la page tout simplement et passer à autre chose. Non, ça n’est pas possible », a lancé ce jeudi 20 avril depuis Gardanne (Bouches-du-Rhône) la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, au sujet de la réforme des retraites. Aux quatre coins du pays, les cheminots et les salariés ont manifesté tout au long de la journée avec un objectif en ligne de mire : la réussite du 1er Mai.

À Gardanne, la CGT maintient le cap

Accueillie sous les acclamations de centaines de militants enthousiastes, jeudi, sur le site de la centrale thermique de Gardanne, en lutte depuis près de cinq ans pour le maintien de l’outil industriel et de l’emploi, Sophie Binet est restée ferme, à la fois sur les retraites et sur la question de l’indépendance énergétique.

Reçue par Olivier Mateu, le secrétaire départemental (Bouches-du-Rhône) de la CGT, mais aussi par Jean-Michel Roccasalva, secrétaire CGT de la centrale, et Pascal Galéoté, secrétaire CGT du Grand Port maritime de Marseille, elle a rappelé l’importance de ce nouveau jour de mobilisation, notamment chez les cheminots.

Quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir »                                  Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

« La CGT et l’intersyndicale se mettent en situation d’avoir un 1er Mai d’un niveau exceptionnel et inédit parce que, pour la première fois en France, l’ensemble des organisations manifesteront ensemble. Il s’inscrit dans une mobilisation exceptionnelle parce que, quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir », a lancé, chapeau rouge sur la tête, Sophie Binet, avant de poursuivre : « Il n’a pas compris que notre détermination était liée au fait que, cette réforme, c’est nous voler deux ans de vie. Ce que fait le gouvernement depuis le début du conflit abîme l’image de la France à l’international. [...] Avec un problème, je le dis, de radicalisation du pouvoir et une répression qui se développe partout. »

De son côté, Jean-Michel Roccasalva a résumé la longue lutte pour sauver l’emploi dans la centrale thermique, qui a brutalement cessé de fonctionner au charbon, entraînant de nombreux licenciements, et surtout rappelé l’urgence du dossier. Si la transition vers le méthane n’avance pas, 30 autres salariés risquent de se retrouver à Pôle emploi dès août prochain.

« Ce dossier démontre l’impasse de la prétendue transition écologique sans gestion sociale », résume la secrétaire générale. « La fermeture a causé la suppression de 200 emplois directs, 500 en tout, auxquels aucune réponse n’a été apportée. Il faut une planification environnementale et industrielle. »

Donnant la date limite du 15 mai pour ce dossier, Sophie Binet a indiqué préparer une lettre à Élisabeth Borne. Après son intervention, un militant se montrait rassuré : « Elle a pour mandat de ne rien lâcher et a l’air de s’y tenir ».

À Paris, la « colère cheminote » grandit

Ne pas laisser de répit à Emmanuel Macron. C’est l’objectif de cette journée de mobilisation de l’intersyndicale à la SNCF. « Nous sommes ici pour dire qu’on ne le lâchera pas. Il était important de construire des initiatives locales », assure Samy Charifi, responsable CGT des cheminots du secteur Paris-Est.

Sur le parvis de la gare parisienne du même nom, une soixantaine de cheminots ont répondu à l’appel, réunis en assemblée générale à 11 heures. Venue de la gare voisine de Paris-Nord, Amélie Nobrega évoque « une bataille longue et difficile » pour obtenir le retrait de la réforme des retraites.

Pour autant, la cégétiste l’assure, « une grosse journée se profile le 1er  Mai ». Et d’ajouter : « Les gens se posent des questions, au-­delà des retraites. C’est pour cela que nous devons élargir le champ des revendications. En ce qui concerne les cheminots, c’est la bataille pour le service public ferroviaire qu’il faut relancer. »

Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux

« Grève, blocage et Macron dégage ! », assène Didier Macé de FO, en concluant les prises de parole syndicales. Les manifestants du jour se dirigent ensuite à l’intérieur de la gare de l’Est, avant de rejoindre celle du Nord. Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux.

En parallèle, ceux de la gare de Lyon ont rejoint la Défense pour envahir les locaux d’Euronext, la Bourse de Paris. Dans l’après-midi, un millier de grévistes convergent devant l’hôtel de ville de Paris, accompagnés de jeunes et d’étudiants. Sous les ballons de Sud-Rail, de la CGT-Paris et de FO, Mirko porte sa pancarte :  « Le Raincy on est là aussi ».

Ce lycéen de 16 ans, venu de Seine-Saint-Denis avec des amis, a tenté en vain de bloquer son lycée ce matin :  « La direction et la police nous ont empêchés de prendre les encombrants. Nous avons alors fait un barrage filtrant. » Le militant du syndicat La Voix lycéenne, qui a rejoint les cortèges dès la mi-février, l’assure : « Macron n’écoute personne et le ras-le-bol se généralise. Chez les lycéens aussi, l’idée d’aller dans les manifs le 1er  Mai commence à prendre. »

À Rennes, un nouveau « tour de chauffe »

À l’appel de l’intersyndicale, à l’exception de la CFDT, 5 000 manifestants ont défilé à Rennes. Dans la foule, Olivier Le Moigne, retraité de 63 ans, estime  « qu’on peut prendre cette manifestation comme un petit tour de chauffe avant le 1er Mai, où j’espère qu’on sera très, très, très nombreux. C’est par des vagues qui peuvent paraître petites qu’à force de répétition on envoie quand même un message ».

La mobilisation s’est déroulée globalement dans le calme, même si de nouveaux heurts ont été signalés entre un groupe de manifestants et la police, selon l’AFP. De son côté, la secrétaire départementale de la CGT, Dominique Besson-Milord, interrogée par le Mensuel de Rennes, constate que la colère monte de jour en jour : « Ne lâchons rien. Il y aura un 1er Mai historique. »

Ailleurs en Bretagne, une soixantaine de syndicalistes, notamment de la CGT cheminots, ont bloqué jeudi matin un passage à niveau à Lorient (Morbihan), entraînant des retards de plusieurs heures pour quatre TGV et cinq TER. À Vannes (Morbihan), le trafic des bus était également perturbé.


 

   publié le 21 avril 2023

Emmanuel Macron dans l’Hérault : interdites de casseroles, les Cévennes montent le son

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Déplacement d’Emmanuel Macron ce jeudi à Ganges, dans l’Hérault, sur le thème de la ruralité et de l’éducation. Il n’est pas allé au contact de la foule mais elle a bruyamment fait entendre sa colère. Reportage dans le comité d’accueil cévenol.

Ganges (Hérault).– Quand passer des casseroles en douce devient un acte de résistance. À Ganges, ce jeudi matin, l’interdiction préfectorale (lire notre article sur la légalité contestable de cette interdiction) de détenir tout « dispositif sonore portatif » est prise très au sérieux par certains gendarmes, qui n’hésitent pas à confisquer casseroles et tambourins aux points de filtrage de la commune, quelques heures avant l’arrivée d’Emmanuel Macron en terre cévenole.

« Ce n’est pas grave, le bistrot nous a passé des casseroles ! », rigole un cégétiste, chasuble jaune usée sur les épaules. Les ustensiles de cuisine, de toute sorte et de tous diamètres, sont effectivement bien visibles dans la foule. Et surtout, très sonores.

Car le comité d’accueil du président, mille à deux mille personnes dans une commune de quatre mille âmes, fait du bruit, beaucoup de bruit. Infatigables, les manifestant·es chantent, dansent, huent, sifflent et tambourinent sur des panneaux de signalisation ou des poubelles trois heures durant, sans jamais s’arrêter une seconde. Et sans jamais apercevoir Emmanuel Macron, en visite au collège Louise-Michel sur les thèmes de l’éducation et de la ruralité.

« Il y a un avant et un après Alsace », souffle un représentant de l’État, en référence au fiasco du déplacement présidentiel de la veille. Cette fois, pas de bain de foule. Emmanuel Macron veut de belles images pour ses annonces sur les salaires des enseignant·es (lire notre article), mais surtout pas le son. Dès son arrivée, se déclarant prêt à discuter avec les opposant·es, il ajoute d’ailleurs : « Si c’est juste pour les œufs et les casseroles, c’est pour faire la cuisine chez moi. »

La messe est dite : aujourd’hui, le président n’ira pas « au contact ». En tout cas, pas à Ganges. Car avant de repartir à Paris, il réalise une visite « imprévue » à Pérols, près de l’aéroport de Montpellier pour « discuter avec les Français ». L’imprévu a ceci de bon : les casseroles n’ont pas le temps de sortir et les images de « déambulation » tranquille sous le soleil, captées par la presse, sont bien différentes de Ganges et son joyeux vacarme.

Le courant coupé au collège

Car à Ganges, les mécontent·es sont tenu·es à bonne distance du collège, où Emmanuel Macron rencontre profs et élèves. La manifestation, qui voulait passer devant l’établissement, reste cantonnée à quelques rues alentour. Les accès menant à l’établissement sont barrés par des gendarmes mobiles devant lesquels la foule, de tous âges, entonne sans relâche des « On est là », « On est déter pour bloquer le pays » et autres « Macron démission ».

Vers 11 heures, quand le président arrive - avec du retard – personne ne le voit mais les huées se font plus fortes. L’électricité est coupée au collège Louise-Michel, durant près de deux heures. La CGT revendique l’action qui contraint la table ronde prévue à s’organiser dehors. Plus tôt, c’est l’aéroport de Montpellier qui a été placé sous « sobriété énergétique ».

« Macron, il va faire tout noir chez toi ! », s’époumone la foule. « On va passer en force ! », crient ensuite des manifestant·es. Ils tentent de franchir le barrage, la gendarmerie réplique par des tirs de gaz lacrymogène. L’ambiance se tend mais redevient rapidement euphorique et déterminée. Le tout, sous l’œil de la résistante Lucie Aubrac, dont le visage orne la médiathèque qui porte son nom. Des messages « une tournée qui tourne à vide », « démocratie abîmée », « Macron ras et bas dans ses bottes » sont collés sur la façade, entourant le mot « Résistance », inscrit en hommage à la figure féministe. Il n’y a quasiment plus de slogans sur la réforme des retraites. Toute la colère est dirigée vers le président, son attitude, sa méthode.

Il n’a pas une attitude de chef de l’État. Il est dirigé par l’orgueil et fait ses petites colères !

Annie se promène devant la médiathèque avec pancarte « cousue main hier soir ». « Trop de 49-3 et de CRS. Trop de matraques. Trop de mépris et de mensonges », a inscrit la sexagénaire, qui porte un masque noir barré d’un « 49-3 ». Elle vient du Gard – dont la frontière est toute proche de Ganges- et compare Emmanuel Macron à « un gamin qui tape du pied quand il est contrarié ». « Il n’a pas une attitude de chef de l’État. Il est dirigé par l’orgueil et fait ses petites colères, c’est insupportable ! »

Annie évoque aussi la répression de Saint-Soline : « Est-ce qu’il se rend compte qu’il a massacré des gens qui défendent le bien commun à sa place ? », s’énerve-t-elle. Elle aimerait lui poser la question. « Je crois que je lui dirais juste : pourquoi ? »

Des banderoles vantant la jonction des luttes sociales et climatiques sont accrochées. À l’entrée de Ganges, le péril est visible : un cours d’eau est complètement à sec. Le coin est connu des amatrices et amateurs de baignade en rivière. Les gorges de la Vis ne sont pas loin. Le fleuve Hérault traverse la commune.

Au fil de la matinée, deux rassemblements se forment : un par barrage, à chaque extrémité de la rue faisant face à la mairie. Entre les deux, une manifestation tourne joyeusement en rond, dans le petit périmètre autorisé, emmenée par un camion de la CGT. Sans sono, sans musique : ça aussi, c’est interdit.

« On n’a rien entendu depuis le collège », témoigne d’ailleurs un enseignant qui était à l’intérieur pendant la visite du président. « Tout a dû être bien pensé pour ça », ajoute-t-il, relatant un échange « calme » lors de la table ronde organisée à l’extérieur, faute de courant dans la salle prévue.

Un corbillard, pour l’ex-maternité de Ganges

À quelques centaines de mètres de là, descendu·es des montagnes cévenoles ou venus de Béziers, Montpellier, Le Vigan, et autres villages proches de Ganges, les manifestant·es occupent encore et toujours le terrain. Des banderoles sont déposées autour d’un rond-point.

Une immense affiche « EDF-GDF 100 % public » est accrochée sur des échafaudages, sous les hourras de la foule. « Hasta siempre ! », crie une dame âgée devant le spectacle. « Alors on est de sortie ? », rigole-t-elle, en étreignant l’une de ses copines. « Je n’ai jamais vu autant de monde ! », s’enthousiasme une Gangeoise, qui n’en perd pas une miette avec son appareil photo.

Par moment, des rumeurs circulent : il se dit que président va déjeuner dans tel restaurant de la ville ou qu’il va emprunter telle route pour repartir. « Il ne partira pas d’ici ! », tonne une femme, chasuble CGT sur le dos. À côté d’elle, des syndicalistes font chauffer les barbecues, devant la police municipale, pour distribuer des merguez à prix libre, en vue d’alimenter la caisse de grève. Des billets de 10 ou 20 euros s’entassent dans l’urne.

Un corbillard barré des mots « démocratie » et « maternité » déambule au milieu de la foule. Il est porté par deux femmes, tout de noir vêtues, l’air grave. L’une d’elles, Héloïse, est membre du collectif citoyen « Maternité à défendre », qui milite pour la réouverture de l’établissement fermé en décembre 2022 (voir notre reportage).

« Des femmes enceintes qui avaient démarré leur suivi ici sont obligées d’aller à Montpellier [à 50 km de là – ndlr] ou ailleurs car il n’y a pas toujours de place, explique Héloïse. On en connaît une qui a dû aller à Sète ! [à 78 km]. Les femmes sont lâchement abandonnées ! », s’emporte-t-elle. Agricultrice à Bréau-Mars, village du Gard, elle a un message à passer à Emmanuel Macron : « Il veut nous parler de ruralité ? Eh bien, c’est ça notre ruralité ! La fermeture des services publics ! »

La visite a semé la zizanie au sein du collège

Les fourgons de gendarmerie essuient des jets d’œufs et de citrons, et, dans la foule, des quolibets et autres surnoms sont lancés, à destination du président rebaptisé « le kéké », « le sourd » ou encore « le guignol ». C’est Gilbert, 73 ans, qui l’affuble de ce qualificatif dans un accent cévenol inimitable. Gilbert est descendu « de la montagne, d’un petit village de nos Cévennes » pour dire sa colère. « C’est de la provocation ! Macron vient dans une école alors que la maternité a fermé et que les enfants ne pourront plus naître ici ! »

Un peu plus loin, Audrey, venue de Montpellier, raconte s’être « motivée » ce matin pour monter à Ganges. « Louise-Michel, c’était mon collège, et ça me met très en colère qu’il vienne ici. On ne veut pas de lui et il ne veut pas l’entendre ! Moi, je ne m’invite pas chez quelqu’un qui ne m’aime pas, je ne vais pas m’imposer », ironise-t-elle.

Au collège, certains professeurs se sont mis en grève, pour protester contre la venue du président. « Je suis plus utile dehors que dedans », lance l’un d’eux, parlant sous couvert de l’anonymat. Il est très remonté. « On nous a mis la pression, en nous rappelant notre devoir de réserve. Et le chef d’établissement nous a officiellement informés la veille du déplacement de Macron alors que c’était dans la presse depuis lundi ou mardi », affirme-t-il.

Quatre de ses collègues ont été choisis pour discuter avec le président. « Pourquoi ? Comment ? », s’agace ce professeur. La visite présidentielle a, selon lui, tendu les relations dans le collège qui pourrait tenir un conseil d’administration extraordinaire pour revenir sur le sujet. « Pour ne pas laisser passer et essayer de ramener la sérénité », ajoute-t-il, avant de conclure, l’air narquois : « Ça me fait penser à la BD d’Astérix : La Zizanie ! Partout où il passe, Macron sème la zizanie ! »

« Est-ce qu’on ne lui fait pas de la pub, en faisant tout ce bruit ? », s’interroge Véronique, tout en tapant sur un plat à paella, qui semble avoir bien vécu. « On s’est demandé, en venant, si ce n’était pas contre-productif de manifester. Et puis finalement, on est là ! »

À ses côtés Laurent, percussionniste, expose ses « petits plats asiatiques » en inox et fait la démonstration de leur bruit suraigu. « Ça sonne bien, hein ! » Tous deux viennent d’Aulas, dans le Gard. Ils évoquent le mouvement social, son « bel élan ». « Au moins, on aura essayé », souffle Véronique. Puis elle se souvient que le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision, le 3 mai, sur le second référendum d’initiative partagée. Un petit espoir renaît. Et Laurent, de conclure : « Maintenant qu’on en est là… tout ce qui semble un peu positif est bon à prendre ! »

   publié le 19 avril 2023

À Saint-Denis, un comité d’accueil organisé en marge de la visite d’Emmanuel Macron

Par Meline Escrihuela sur https://www.bondyblog.fr/

En réaction à la visite du chef de l’État, venu assister à un concert à Saint-Denis, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés mardi 18 avril. Pour les habitants de Saint-Denis, les colères locales vont de pair avec le mouvement social qui secoue le pays. Reportage

Jusqu’à la dernière minute, la question demeure : Emmanuel Macron sera-t-il bien là ? À la vue du dispositif policier qui quadrille le parvis de la mairie de Saint-Denis en cette fin d’après-midi du 18 avril, les doutes s’estompent. « Je ne te dis pas le bordel que c’est », s’offusque au téléphone une personne âgée, observateur mi-amusé mi-agacé de la scène.

L’allure de forteresse qu’a pris le centre-ville de Saint-Denis (93) est le seul indice d’une présence présidentielle. Absent de son agenda comme sur celui du lycée de la Légion d’Honneur, la venue du Président de la République à Saint-Denis se voulait discrète. Pourtant, plusieurs centaines d’opposants à la politique du gouvernement entament les premiers slogans contestataire dès 18 heures.

Y’aurait-il une taupe à l’Élysée ? L’hypothèse fait sourire Karim Bacha, représentant du syndicat FSU 93 qui a appelé au rassemblement. « Je ne sais pas vraiment d’où vient la rumeur », admet-il. « Quelqu’un a appelé la mairie de Saint-Denis pour chercher à savoir si cela était vrai et un employé a tout avoué », assure l’instituteur.

Les drapeaux des organisations syndicales – CGT, FSU – et des partis politiques (Parti Communiste) flottent dans les airs. « Nous sommes aussi bien organisés que la police », ironise une Cégétiste qui file aux cris de « Macron Démission » avant que l’on n’ait eu le temps de lui demander son prénom.

Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles 

En plus des syndicalistes, des figures associatives de Saint-Denis et des habitants ont fait le déplacement. Certains – la majorité peut-être – viennent de tout le département. «  Cela fait du bien de ne pas avoir à passer le périph », remarque Claire*, une habitante de Saint-Ouen habituée des manifestations. « Cela ne changera pas grand-chose, mais on montre que l’on a un vrai pouvoir de nuisance. Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles, même si cela doit durer 4 ans et que l’on s’épuise à la tâche », affirme la jeune femme. Au même moment, la visite des ministres Geneviève Darrieussecq et Jean-Christophe Combe à la CAF de Paris était perturbée par un comité d’accueil du même genre.

Le Président en visite au lycée de la Légion d’Honneur

« On ne tournera pas la page », confirme Karim Bacha. « Emmanuel Macron met en scène un retour à la normale en venant ici », analyse-t-il.

À moins de 300 mètres, en effet, se trouve le président de la République. Chaque année, le lycée de la Légion d’Honneur – réservé aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des décorés français et étrangers de l’ordre national de la Légion d’honneur- organise son traditionnel concert. Emmanuel Macron s’y est rendu au moins deux fois, en 2018 puis en 2021. L’ancien président François Hollande en était également féru.

Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville 

L’établissement y cultive une culture de l’excellence depuis deux siècles et parfois des règles surannées : internat strict et port de l’uniforme obligatoire. Les élèves côtoient peu les autres jeunes de la ville. « Malheureusement » glissent en plaisantant Thomas et Ewen, deux jeunes de 22 et 17 ans venus participer au rassemblement car « les retraites concernent tout le monde ».

« Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville », raille de son côté Claire. « Il y a un marqueur social fort qui repose sur la lignée. On est vraiment dans une caricature macronienne », poursuit-elle.


 

Une place pour les combats locaux

À 19 heures, la pluie s’invite, mais n’entame en rien la motivation des manifestants. Les chants et slogans se poursuivent. Une maman, sa fille sur ses épaules, lance un chant : « On est là, même si Hanotin [le maire de Saint-Denis, NDLR] ne veut pas, nous on est là ».

« Je viens car c’est important, mais j’ai l’impression que tout empire avec le temps », s’alarme Bader, un habitant de Saint-Denis. Depuis des mois, les habitants protestent contre la politique sécuritaire mise en place par le maire qui a armé les policiers municipaux. Le jeune homme se sent peu représenté dans le mouvement social actuel, qui aborde trop peu la question des violences policières dans les quartiers selon lui. « Les bavures policières (sic), on n’en parle que lorsqu’elles se déroulent à Paris », déplore-t-il en montrant sa cicatrice près de l’arcade sourcilière, infligée par un policier cinq ans plus tôt.

Le jeune papote avec deux amis, Ryan et Gilles. Les trois hommes parlent tout à tour des violences policières et de l’augmentation des loyers due aux Jeux Olympiques. Sur le sujet économique aussi, le président a déçu les quartiers populaires. « Emmanuel Macron est venu à Saint-Denis pendant l’entre-deux-tours. Et puis rien », s’agace Jamila, casserole en main.

Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser

« C’est le fil rouge de ce gouvernement. Il utilise les inégalités et la misère dans les quartiers populaires pour faire passer leurs politiques inégalitaires », fustige Karim Bacha.

La visite du président de la République passe d’autant plus mal que le jour même, ses ministres marquaient une nette inflexion à la droite de la droite. Sur BFMTV, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a ciblé les « personnes [qui] peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit ». Sans appuyer son propos par des éléments tangibles. Sur LCI, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce, lui, vouloir lutter contre « la délinquance étrangère ». À ce sujet, Karim Bacha résume bien le sentiment partagé à Saint-Denis : « Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser ».

 

   publié le 17 avril 2023

Macron
ne nous écoute pas ?
Nous ne l’écouterons pas non plus !

par Attac France sur https://france.attac.org

Depuis la promulgation précipitée de la réforme des retraites, des appels à rassemblements se multiplient partout en France pour devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel et pour faire entendre notre opposition. Attac se fait le relais de ces initiatives citoyennes et appelle à rejoindre ces rassemblements dans toute la France.

Nous avons recensé ici (https://france.attac.org/se-mobiliser/retraites-pour-le-droit-a-une-retraite-digne-et-heureuse/article/carte-des-casserolades-du-17-avril-a-20h) les différents rassemblements annoncés ce soir à 20h devant les mairies.

Après s’être précipité pour promulguer la réforme des retraites suite à la décision du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron intervient ce soir à la télévision pour tenter de « tourner la page ». Mais il n’a pas compris qu’il n’est pas maître du calendrier et que la mobilisation contre la réforme des retraites, historique par son ampleur et sa durée, va se poursuivre et s’amplifier.

Dans l’opinion publique, les sondages successifs montrent qu’une large majorité de français·es sont toujours opposé·es à cette réforme injuste et injustifiée. Selon une récente étude d’opinion, 64% des français·es souhaitent la poursuite du mouvement contre la réforme des retraites et 45% souhaitent même que le mouvement « se durcisse ».

64 ans c’est toujours non !

Des appels à rassemblements se multiplient partout en France devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel. Ces casserolades visent à montrer que notre détermination est intacte : le gouvernement ne nous volera pas les meilleures années de notre retraite !

Dans la tradition carnavalesque du charivari utilisé depuis le Moyen-Âge, ce mode d’action fait écho aux cacerolazos en Argentine contre l’austérité et se veut complémentaire d’autres formes d’action, notamment les appels à couper l’électricité entre 20h et 20h30.

Avec le même objectif : boycotter l’intervention présidentielle tout en rendant visible notre colère et notre détermination à obtenir le retrait de la réforme, en multipliant les formes d’actions. Soyons nombreuses et nombreux pour l’affirmer haut et fort : « 64 ans c’est toujours non ! ». Ces initiatives préparent également le raz de marée populaire auquel appelle l’intersyndicale unie le premier Mai prochain.

   publié le 16 avril 2023

Un tournant dans le mouvement

Etienne Balibar (philosophe) sur https://blogs.mediapart.fr

Après la promulgation de la loi de "réforme" des retraites par Emmanuel Macron, le mouvement de résistance à ce coup de force légal ne s'arrêtera pas. Mais il est à un tournant. Quelles propositions peut-on formuler pour contribuer à son élargissement en face de la violence du pouvoir? Quel modèle de démocratie préfigurent-elles à l'encontre du présidentialisme autoritaire comme du néofascisme?

(la mise en gras de certains passages sont le fait du site 100-paroles.fr)

J’écoute attentivement, depuis ce matin[1] : l’indignation, la rage, l’inquiétude, la détermination, les propositions, les dissonances et les points d’accord…

Nous sommes clairement arrivés, après la décision de cette nuit, à un nouveau tournant du mouvement, après celui qui avait suivi l’utilisation du 49-3. On verra dans les prochains jours, je ne sais pas ce qui va se passer, mais sûrement le 1er Mai sera le test du rapport des forces entre les deux camps, celui du président des riches et celui du peuple des travailleurs et des contribuables.

L’appareil d’Etat, dont fait très clairement partie le Conseil Constitutionnel, a fait bloc autour de la loi antipopulaire, témoignant chaque jour de plus de surdité, plus d’arrogance, plus d'arbitraire, plus de brutalité. Mais le mouvement, quant à lui, s’obstine, il ne se décourage pas malgré le temps qui passe et les sacrifices plus lourds à porter chaque jour. Il est fort mais il a aussi des faiblesses. Il découvre la nécessité de se relancer sur la durée et de s’élargir.

C’est un mouvement qui a une signification de classe aveuglante, touchant toutes les générations, les salariés, les retraités, les chômeurs, les précaires, les sans-papiers, les étudiants, les jeunes et moins jeunes des quartiers, les hommes et les femmes dont toute la vie est en jeu à travers la question des retraites. Non sans « contradictions au sein du peuple », comme disait Mao - des contradictions qu’il importe de discuter et de surmonter. Mais convergeant avec d’autres oppositions au monde actuel : en particulier le mouvement écologiste de base, en « soulèvement » pour un avenir vivable dans cette société et sur cette terre. J’ai proposé ailleurs de parler d’une insurrection de masse, pacifique et démocratique.[2]

En effet la question de la démocratie est au cœur du mouvement. Ce qui est à l’ordre du jour : sa défense contre l’illibéralisme qui va partout gagnant du terrain en Europe et dans le monde, contre l’autoritarisme gouvernemental et l’instauration d’un état d’exception permanent au service de l’oligarchie financière. Mais c’est aussi sa refondation, par-delà les limites devenues manifestes d’un parlementarisme soi-disant « rationalisé », c’est-à-dire corseté, réduit à l’impuissance, délégitimé et même ridiculisé – ce qui ne va pas sans danger. D’autres circonstances historiques l’ont démontré.

Il s’agit de refonder la démocratie sociale : le socle de droits fondamentaux acquis historiquement dans les luttes, la légitimité des « corps intermédiaires » ou des contre-pouvoirs en face de l’Etat (mais aussi en son sein, dans les administrations publiques), les valeurs de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle comme seul principe d’organisation et de gestion de la sécurité sociale. Pour aller dans ce sens, on va maintenant pouvoir compter sur un retour en force du syndicalisme, marqué par l’unité d’action, la détermination, la responsabilité, la qualité de ses dirigeants, qui exerce aujourd’hui de facto une fonction politique, non pas comme un retour au « corporatisme », mais comme un levier d’avenir, implanté dans la « société civile ». C’est cela que Macron, à la Thatcher, voudrait casser pour de bon, en cachant mal son exaspération devant l’obstacle qu’il a rencontré. Il faut que ce soit lui qui s’y casse les dents, sans que pour autant l’extrême droite tire les marrons du feu.

Ni Macron ni Le Pen, tel est bien le sens profond du mouvement qui s’est développé autour des syndicats français refusant la « réforme » des retraites. Il n’a jamais quitté l’esprit des manifestants des trois derniers mois et de ceux qui les appellent à occuper la rue semaine après semaine.

Démocratie sociale, mais plus généralement démocratie conflictuelle, militante, que je propose d’appeler « oppositionnelle » (en souvenir d’un livre important de la « théorie critique » allemande)[3]. En effet il n’y a pas de citoyenneté active sans débat, sans controverse, sans conflit dans l’espace public, inventant ses propres règles et donc sans limites préétablies. Mais non sans responsabilité, car il y a évidemment des risques. Le conflit n’est pas la guerre civile, dont certains gouvernements seraient plutôt les fauteurs. Mais il n’est pas non plus la domestication, la canalisation des luttes et de la liberté d’expression sous le contrôle de l’exécutif et la surveillance de la police, restreignant par avance l’espace terrien, urbain, juridique, professionnel, des contestations. Même l’ordre public dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) proclame qu’il ne faut pas le « troubler » (article 10), ne s’identifie pas à un régime d’autorité, imposé d’en haut. L’Etat démocratique n’en est que le garant, qui a lui-même besoin d’être constamment contrôlé dans son action. En dernière analyse ce sont les citoyens qui sont juges et partie prenante à la fois, donc ce sont eux qui devront faire face aux conséquences éventuellement indésirables de leurs actes.

D’où, me semble-t-il, un double impératif de notre actualité :

D’abord et avant tout il faut restaurer, élargir, garantir légalement et constitutionnellement les libertés individuelles et collectives, la sûreté des citoyens, les droits civiques à commencer par celui d’association et de manifestation. Et donc il faut que soient abrogées les lois discriminatoires et liberticides comme la loi contre le « séparatisme », et que soit démantelé, interdit dans ses moyens et dans sa mise en œuvre l’instrument de répression militarisé qui s’est construit au cours des dernières décennies et qui se renforce tous les jours de façon monstrueuse, celui qui piétine, qui blesse et qui tue. La voilà, la guerre civile ! Ces exigences ne doivent plus quitter le premier plan, elles doivent mobiliser toutes nos ressources expressives, militantes, juridiques, représentatives.

Ensuite, il faut élargir la base du mouvement de masse, diversifier ses composantes, en tenant compte des modes de lutte qu’invente chaque groupe social, mais en recherchant les formes les plus unitaires, les plus démocratiques elles-mêmes, à la fois librement autogérées et potentiellement majoritaires dans le pays. Pas de limites, donc, à l’imagination qui s’exerce dans les occupations, les blocages, les grèves, les marches et défilés, les taggages et les collages, sans exclure la désobéissance civique, l’autodéfense des manifestations. Pas de légalisme artificiel. Mais pas non plus de complaisance pour le mirage d’une contre-violence inspirée par la « haine des flics », si compréhensible soit-elle subjectivement et affectivement. Une guérilla urbaine ou campagnarde ne fera que donner des prétextes à la violence d’Etat – une violence incomparablement supérieure et qui se déchaîne, comme dit l’autre, « quoi qu’il en coûte » et ne s’embarrasse d’aucun scrupule. La contre-violence est vouée à l’échec et conduit droit dans le piège du pouvoir.

La non-violence n’est pas toujours possible, mais elle est, à long terme et même à court terme, la plus efficace politiquement. On doit pouvoir inventer une insurrection civilisée. Ce qui ne veut pas dire une insurrection passive, ou impuissante.

La démocratie n’est pas un acquis, c’est une conquête et une reconquête permanente. C’est la société qui s’émancipe et qui se gouverne.

Note :

[1] Intervention lue aux Assises Populaires pour nos Libertés, Bourse du travail, Paris, samedi 15 avril 2023. Version corrigée et complétée.

[2] E. Balibar, « Inventer une insurrection démocratique », L’Humanité, Mercredi 12 Avril 2023.

[3] Oskar Negt : L’espace public oppositionnel, traduction française, Payot 2007. L’original allemand (2001) avait été publié en collaboration avec Alexander Kluge.

  publié le 15 avril 2023

La loi retraite promulguée cette nuit :
un passage en force inacceptable

Communiqué du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org

Seulement quelques heures après la décision du Conseil Constitutionnel et les manifestations qui l’ont suivi un peu partout en France, Emmanuel Macron a décidé de promulguer sa réforme des retraites en pleine nuit.

Alors que depuis le début de ce mouvement inédit des millions de personnes sont dans la rue pour dire non à cette réforme des retraites, ce président nous démontre une nouvelle fois son mépris total à l’encontre de la jeunesse, des travailleurs∙euses et des retraité∙es. Il n’entend rien depuis le début de ce mouvement et persiste à mettre de l’huile sur le feu en promulguant sa loi alors que l’intersyndicale a renouvelé hier soir sa demande solennelle de ne pas la promulguer.

A nos revendications, à la colère sociale, Emmanuel Macon fait le choix de n’avoir pour seule réponse que la répression. Interpellations, gardes à vue, nasses, coups de matraques, grenades sur les manifestant∙es visant à dissuader les lycéen∙nes, étudiant∙es, travailleurs∙euses et retraité∙es de manifester.

L’Union syndicale rappelle que manifester est un droit, et que la participation à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit. Elle condamne la multiplication des arrestations arbitraires suite aux cortèges spontanés, dont celles de plusieurs des camarades de l’Union et exige leur libération immédiate.

L’Union syndicale Solidaires appelle à poursuivre la mobilisation pour l’abrogation de cette loi. Elle réunira l’ensemble de ses structures (unions départementales, fédérations et syndicats professionnels) dès la semaine prochaine, afin de décider collectivement des suites à donner à la mobilisation.

Avec l’intersyndicale, elle soutient d’ores et déjà les rassemblements, actions et initiatives qui seront décidées localement dans les jours à venir.

Elle appelle à déferler massivement le 1er mai partout dans le pays et de faire de cette journée celle de l’expression de la colère populaire contre la réforme, le déni de démocratie et pour un meilleur partage des richesses.

publié le 14 avril 2023

Quoi que les « sages » décident, l’urgence démocratique demeure

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Réforme des retraites - La Ve République a permis au gouvernement de malmener citoyens, syndicats et parlementaires. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel rendue ce vendredi, notre régime est plus que jamais en crise. Mais une tout autre République est possible.

Le Conseil constitutionnel a l’occasion ce vendredi de repousser la réforme des retraites, de considérer qu’elle constitue une violence inadmissible contre notre modèle social, institutionnel et démocratique, et un danger pour la République. Mais, même si les sages venaient à censurer la copie du gouvernement, prouvant que certains des garde-fous de notre régime fonctionnent encore, la crise politique resterait entière dans notre pays. « Chaque étape de cette réforme a constitué une nouvelle forme d’effraction contre la démocratie. L’ensemble n’a été rendu possible que par les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif par une Ve  République qui montre son pire visage », mesure le député PCF Pierre Dharréville. « Cela fait longtemps que je suis pour le passage à une VIe  République, mais cette séquence des retraites devrait finir de tous nous convaincre que quelque chose ne tourne pas rond dans ce régime et qu’il fonce dans le mur », abonde Clémentine Autain, députée FI. Car cette Ve République offre tous les outils pour se passer du peuple, des syndicats et du Parlement, et permet même de gouverner contre eux, en imposant une loi contre l’avis de tous. « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française », résume le docteur en science politique Fabien Escalona. Et de nombreux espaces de démocratie à reconquérir.

La question d’une VIe République, régulièrement mise sur la table, se pose donc avec une urgence renouvelée. Mais quel en serait le contenu et jusqu’où aller ? « Il faut tout refaire. La crise sur les retraites résulte certes d’un choix politique : ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a un marteau pour taper sur tout le monde qu’il est obligé de le faire. Mais les outils de son autoritarisme doivent être retirés pour que plus personne ne puisse les réutiliser », mesure Marie-Charlotte Garin. La députée EELV a ainsi signé avec de nombreux parlementaires de la Nupes une proposition de loi visant à supprimer le 49.3, déposée par l’écologiste Jérémie Iordanoff. « Il faut bien sûr aller bien plus loin, redonner du sens au vote, rendre le pouvoir au Parlement, et permettre une implication citoyenne permanente. La question centrale, ce n’est pas tant le numéro de la République que la redémocratisation du régime », observe Arthur Delaporte, député PS.

La meilleure façon d’y parvenir serait de mettre fin à la monarchie présidentielle et de « convoquer une Constituante pour que le peuple définisse lui-même son organisation collective, se réapproprie la démocratie », argumente Clémentine Autain. Mais, en attendant que ces travaux démarrent un jour, les partis de gauche ont une idée très précise de quelle République serait à bâtir. Dans son programme pour les législatives 2022, la Nupes formule plusieurs propositions, qui étaient pour la grande majorité déjà présentes sur chacun des programmes des différents candidats de gauche à la présidentielle.

Permettre l’émancipation des consciences

Proportionnelle aux législatives, reconnaissance du vote blanc, droit de vote pour les résidents étrangers aux élections locales, mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) et de conventions citoyennes pour forger les projets de loi sont au menu, l’idée étant de « stopper la confiscation de la construction de la loi par quelques-uns, et de mettre en forme et en actes une démocratie directe », projette la sénatrice PCF Éliane Assassi, dont le parti propose aussi de supprimer l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Mais la question des institutions, du vote et de la lutte contre l’abstention n’est pas le seul chantier. La gauche appelle à mettre en place une véritable démocratie sociale en renforçant les pouvoirs des salariés et des syndicats dans les entreprises, et à lancer un plan de « séparation de la finance et de l’État ».

« Il faut que chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, nous voulons décider de comment nous les produisons et pour quoi », plaide le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. « Le pouvoir économique est aujourd’hui l’un de ceux qui échappent le plus aux citoyens, et l’appareil d’État – comme l’illustre parfaitement le macronisme – est gangrené par les intérêts privés, le pantouflage, les lobbies, les cabinets de conseil, la culture de l’impunité, de la collusion et du secret », ajoute Marie-Charlotte Garin. L’enjeu est de s’assurer, par la participation citoyenne et la mise en place d’un cordon sanitaire avec les intérêts privés, que la décision soit à la fois le reflet de la volonté générale et de l’intérêt général. L’inverse de ce qu’il se passe sur la réforme des retraites, en somme.

À ce sujet, réanimer notre démocratie passe aussi par la question de permettre à chacun de se forger sa propre opinion en totale liberté. La gauche entend ainsi garantir l’indépendance de la presse et des médias et rompre avec la mainmise qu’exercent sur eux les milliardaires et les grands groupes capitalistes. L’objectif étant, à travers un pluralisme retrouvé, de permettre l’émancipation des consciences. Reprendre la plume pour changer notre Constitution serait enfin l’occasion « de nouvelles conquêtes, de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les femmes, pour les travailleurs, pour la planète et pour le partage pérenne et équitable des ressources. Il me semble indispensable de protéger des appétits financiers des biens communs et vitaux, comme l’eau par exemple, qui appartiennent à tous et dont la gestion doit être assurée par tous », insiste Pierre Dharréville.

Une tout autre République est ainsi possible. Loin d’une Ve qui permet un exercice du pouvoir solitaire et autoritaire. Loin d’un gouvernement qui méprise syndicats et opposants, réprime les manifestations via un usage dévoyé de la police et criminalise le moindre citoyen souhaitant battre le pavé. Loin d’un système électoral qui ne reflète pas l’expression du vote. Loin d’un modèle qui ferait pleinement le jeu de l’extrême droite si elle arrive au pouvoir. « La démocratie a ceci de particulier qu’elle est à la fois un type de société (plutôt égalitaire) et un système de gouvernement (proche de l’autogouvernement) », écrit Denis Ferré dans  la Démocratie française, de la Révolution au 49.3 (éditions Eyrolles). La Ve République permet de tourner le dos à cette définition. « En France, plus encore qu’ailleurs, la crise de confiance dans la représentation remet en question tous les fondements, la démocratie se libéralise en même temps qu’elle se “dé-républicanise”. Notre modèle a besoin d’une redéfinition par les citoyens et leurs représentants, faute de quoi la démocratie s’étiolera jusqu’à extinction », prévient-il.

Conseil constitutionnel : un rip validé ou retoqué ?

Si le Conseil ne censure pas la réforme des retraites, va-t-il au moins valider la procédure de RIP engagée par 252 parlementaires ? Les sages donneront leur décision demain, sur la proposition de loi visant « à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Ils doivent vérifier que le texte porte bien « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ».

Selon les juristes, le terme de « réforme » pourrait poser question et, en fonction de son interprétation, amener à un rejet du RIP. Un risque qui a poussé la gauche à déposer, jeudi, un second texte : « Nous avons voulu mettre toutes nos chances de notre côté et ajouté un élément de financement, avec la mise à contribution des dividendes », explique le député PCF Pierre Dharréville. L’institution aurait un mois pour prendre sa décision mais pourrait le faire dès vendredi. En cas de validation, la seconde étape consistera à récolter 4,8 millions de signatures sur une période de neuf mois.

publié le 13 avril 2023

Direct. Réforme des retraites : Le cortège parisien s'élance

sur www.humanite.fr

Avant la décision très attendue du conseil constitutionnel sur la réfome des retraites vendredi, une douzième journée de mobilisations avec grèves et manifestations se déroule aujourd'hui. Les enjeux, les actions, les commentaires : suivez notre direct toute la journée.

(les dépèches sont classées en ordre chronologique inverse, les plus récentes sont en tête, la mise à jour a été arrêtée à 15h55)


 

Fabien Roussel continuera de se battre « quel que soit la décision du Conseil constitutionnel »

« Quand bien même le Conseil Constitutionnel dirait que la loi est constitutionnelle, nous on dira: quand bien même elle est constitutionnelle, elle est mauvaise et on continuera de se battre pour qu'elle soit retirée », a expliqué  abien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, présent dans le cortège parisien. L'élu communiste du Nord s'est aussi exprimé au sujet du RIP (Référendum d'initiative partagée) et a déclaré qu'il s'agit « de la plus belle porte de sortie pour tout le monde du meilleur moyen de sortir de cette crise ».

« Les Français ne rentreront pas chez eux », selon Marine Tondelier (EELV)

« Neuf Français sur dix sont contre cette réforme. C'est la 12e fois qu'ils manifestent qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente. Même si le Conseil constitutionnel tranche que la réforme est légale, les Français ne rentreront pas chez eux », a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, depuis la manifestation parisienne, à la veille de la décision des Sages sur le texte reportant le départ à la retraite à 64 ans. « Il ne faut pas compter sur la lassitude ou la fatigue des Français, a-t-elle ajouté. Si le Conseil constitutionnel déclare que la réforme est légale, je souhaite bon courage au gouvernement. Il ne faut pas penser que l'on prépare la révolution dans des sous-sol, elle sera spontanée. »

Olivier Faure (PS) appelle la gauche à ouvrir un « débouché politique »

Le premier secrétaire du PS, présent à la manifestation parisienne, a jugé que « la gauche va devoir donner un débouché politique à la mobilisation par le Rip », dont il espère la validation par le Conseil constitutionnel qui doit rendre son avis ce vendredi. « Mais également, a poursuivi Olivier Faure, par la capacité à organiser un projet de coalition pour rassembler ces millions de femmes et hommes qui ont marché pendant des mois et ont exprimé leur rejet a la reforme ».  Et le socialiste d'en appeler à l'apaisement des tensions : « Nous devons éviter les pièges qui nous sont tendus, celui de l'extrême droite et celui de la diabolisation des uns et des autres. Quand on attaque un parti de la gauche, c'est toute la gauche qui est attaquée », a-t-il estimé ajoutant que la Nupes allait « continuer de mettre la pression avec les syndicats qui ont demandé ce matin a ce que le président ne promulgue pas la loi". "Même si le Rip n'est pas validé, nous pourrons tout de même exiger le référendum », assure le député de Seine-et-Marne. 

La CFDT déterminée à continuer le combat, même en cas de validation de la réforme.

La CFDT reste déter. Dans la droite ligne de son secrétaire général, Laurent Berger, plus tôt dans la journée, les syndicalistes présents dans le cortège parisien affichent leur optimisme : actions en cas de validation de la réforme par le Conseil constitutionnel et pointent l'horizon d'un 1er mai unitaire, dans le prolongement de la mobilisation intersyndicale conte la réforme des retriates. 

À Madrid aussi on manifeste

L'ambassadeur de France en Espagne ne les a pas reçus. Qu'à cela ne tienne: des manifestants étaient bien présents à Madrid, « en solidarité avec les travailleurs Français », pour demander la retrait de la réforme des retraites menées Outre-Pyrénées. « Actuellement en France, l'âge moyen de départ à la retraite est plus élevé que celui en Espagne », note le leader de l'UGT.

Pour Manon Aubry (FI) : quoi qu'il arrive vendredi le combat continue

Depuis le cortège parisien, l'eurodéputée FI Manon Aubry a listé "trois scénarios" possibles après la décision des Sages attendue vendredi sur la réforme des retraites. Soit "le Conseil constitutionnel censure la loi et on a gagné. Soit il valide l’essentiel de la loi, et notamment le report de l’âge de depart, auquel cas il faudra continuer la bataille. Et si le Rip est validé, on part en campagne directement", a-t-elle commencé. Dernier cas de figure : ni censure, ni Rip.  "Ce serait un coup de force du Conseil constitutionnel contre la démocratie et dans ce cas là, la colère populaire va monter le ton, a estimé l'insoumise. Penser que Macron va pouvoir tourner la page et mettre un pied dehors sans qu’on lui rappelle sa brutalité politique, c’est se tromper - on l’a vu au pays bas. Les gens n’oublieront pas ce qu’il s’est passé".

Les manifestants se regroupent devant le Conseil constitutionnel

La foule afflue devant le Conseil constitutionnel, bloqué brièvement plus tôt dans la journée.


 

Les syndicats déterminés à faire plier le gouvernement

Toujours motivés, les syndicats sont présents dans le cortège parisien, bien décidés à montrer leur opposition pour la douzième fois depuis l'annonce du projet de réforme des retraites.

Le cortège parisien passera non loin du Conseil constitutionnel

Pour cette 12e journée de mobilisation, la manifestation parisienne part de la place de l'Opéra et se dirge vers la place de la Bastille. Le cortège passera non loin du Conseil constitutionnel, qui siège rue Cambon (Ier arrondissement). Le parcours passera par la rue de Rivoli, la rue Saint-Antoine et terminera sur la place de la Bastille.

Sophie Binet répond "lol" à la proposition de rencontre de Macron

"J'avais envie de dire lol" a réagi en souriant et à brûle-pourpoint la nouvelle secrétaire générale de la CGT lorsqu'elle a été interrogée ce jeudi sur la proposition émise par Emmanuel Macron, d'"un échange qui permettra d'engager la suite et de tenir compte" du verdict du Conseil, avec les syndicats, le tout "dans un esprit de concorde".

"C'est bien qu'il ait tout à coup envie de rencontrer les syndicats, explicite Sophie Binet. Ca fait deux mois qu'on lui a demandé et qu'il a réfusé. Le problème, c'est l'ordre du jour. Le notre, c'est le retrait de cette réforme des retraites. Là, il nous propose un hors-sujet. On n'ira pas pour parler de questions qui ne sont pas posées dans la mobilisation d'aujourd'hui. Si l'ordre du jour est "je promulgue et après on se rencontre", non ce n'est pas possible."

Dans le carré de tête de la manifestation parisienne, en compagnie des leaders des sept autres organisations de l'intersyndicale, la leader de la CGT a affirmé que "contrairement à ce qu'espère le gouvernement, le mouvement n'est pas fini". Le président "ne peut pas gouverner le pays tant qu'il ne retire pas cette réforme".

Ce jeudi matin, Sophie Binet s'est joint au regroupement devant l'accès à l'incinérateur d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour soutenir les éboueurs et agents énergéticiens en grève. "Ce n'est pas le dernier jour de mobilisation, on va se revoir encore beaucoup", a-t-elle affirmé.

Laurent Berger envisage la suite de la mobilisation

Alors que le cortège parisien devrait s'élancer d'ici quelques minutes de la place de  l'Opéra en direction de la Bastille, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s'est exprimé sur les poursuites du mouvement social à l'issue de la décision du Conseil constitutionnel. Il espère d'Emmanuel Macron « une concorde avec les partenaires sociaux » s'il en vient à la promulagation de la loi et évoque l'existence de l'article 10 pour faire une nouvelle lecture de la réforme à l'Assemblée nationale. « Le combat syndical est loin d’être terminé » assure-t-il.

À Marseille, 130 000 manifestants selon la CGT, 6600 selon la police...

Selon la CGT, 130 000 manifestants étaient présents ce matin dans les rues de la cité phocéenne contre 170 000 le 6 avril dernier. La police en décompte de son côté seulement 6 600. Si l'écart paraît choquant, les deux constatent une baisse significative.

La CGT dévoile ses observations envoyées au Conseil constitutionnel

Unie depuis ces trois derniers mois à la tête du mouvement social contre la réforme des retraites, l'intersyndicale a poursuivi sa coordination serrée pour porter ses objections auprès du Conseil constitutionnel. Dans un communiqué publié ce jeudi, la CGT dévoile ses arguments adressés aux "Sages".

  • Premier argument, le détournement de la procédure parlementaire par le gouvernement, "en utilisant un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour faire passer sa loi, ce qui lui a permis d’imposer un énième 49.3. Et ce, alors qu’une réforme des retraites d’une telle ampleur n’a rien à faire dans un projet de loi rectificatif pour 2023, et devrait passer par le biais d’une loi normale, afin de permettre un vrai débat démocratique".

  • Le syndicat a souligné aussi "les effets qu’aura cette réforme des retraites sur les femmes", ainsi que "les inégalités de traitement", selon les générations impactées par cette réforme. Mesure d'accompagnement proposée par la droite sénatoriale et retenue par le gouvernement, le CDI séniors est lui aussi pointé, autant d'"exonérations aux entreprises pour un impact qui sera quasi nul sur l’emploi des séniors".

  • La confédération de Montreuil a enfin mis en lumière l'attaque des "régimes pionniers" (ou spéciaux, en faveur des agens des industries électriques et gazières comme de la RATP, ndlr), "de manière illicite, via un PLFRSS pour 2023, alors que la suppression de ces régimes n’aura que très peu d’effet sur les finances de 2023. Il ne prendra tous ses effets que lors des années suivantes, ce qui constitue encore une fois un contournement grave de la procédure parlementaire".

Quimper, les jeunes à la préfecture

Alors que deux manifestations sont prévues aujourd'hui à Quimper, plusieurs jeunes se sont réunis devant la préfecture pour toquer et escalader les grilles du bâtiment.

Une manifestation sauvage sur les Champs-Élysées

Une manifestation sauvage s'est élancée sur les Champs-Élysées. Les manifestants ont d'abord envahi durant quelques minutes un magasin Louis Vuitton, situé sur l'avenue.

Météo France Toulouse bloquée, une première depuis 15 ans

 Pour  Renaud Tzanos, du syndicat Solidaires Météo France cité par France 3, "c'est une décision du personnel de l'AG de montrer que le ton monte parce que la colère monte. Il est de plus en plus question d'aller au-delà de la réforme des retraites, même si cela reste l'exigence centrale".

Outre le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, les réductions d'effectifs successives au sein de l'établissement public attisent la colère des agents de Météo France depuis plusieurs années.

Dans la manifestation bordelaise, les jeunes en veulent à Emmanuel Macron

« Je suis dégoûtée parce que j’ai l’impression que le gouvernement va aller jusqu’au bout de la réforme », se désole Malie, 20 ans, étudiante troisième année de Lettres à Bordeaux Montaigne. « Il est obstiné, entre l’usage du 49.3 ou les allocutions de Macron, alors que la population continue de manifester. » Au-delà des manifestations, « La réforme de Macron s’inscrit dans une politique libérale », regrette Titouan, 18 ans, lui aussi étudiant à Bordeaux III. « C’est un choix politique de taxer la vie des français plutôt que les entreprises. C’est pour ça qu’on est contre. »

Huit manifestants interpelés devant le Conseil constitutionnel

Sud éducation 93 condamne par voie de communiqué l'arrestation de plusieurs manifestants, dont certains sont adhérents du syndicat, qui s'étaient regroupés quelques heures ce jeudi matin devant le Conseil constitutionnel. Une action symbolique menée dans le cadre de la douzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

Intervention policière musclée au centre de tri des déchets d'Aubervilliers

 Deux sommations, puis une charge sévère des CRS à l'encontre des manifestants, s'achevant sur l'arrestation au hasard de sept d'entre eux. Voilà ce qu'ont vécu les salariés du garage de maintenance des camions de collecte de tri à Aubervilliers, ainsi que leurs 150 soutiens qui bloquaient pacifiquement l'entrée du site depuis 5 heures 30 ce jeudi matin.

Selon une source syndicale, les forces de sécurité sont intervenues vers 8 heures 30 pour permettre l'accès aux camions bennes. Une décision "incompréhensible", pour les représentants CGT SGLCE présents sur les lieux:  "Il n'y avait aucune raison de débloquer le site alors que les salariés allaient y tenir une demi-heure plus tard leur assemblée générale à 9 heures en vue de voter la grève. A partir de ce moment, il était évident que plus aucun camion n'allait être pris en charge. On est clairement dans une opération d'intimidation".

La CGT de la filière déchets et assainissement de Paris a annoncé la veille sa détermination à mener un "acte 2" de la mobilisation des éboueurs contre la réforme des retraites en émettant un nouvel appel à la grève reconductible à partir de ce jeudi. L'opération policière n'a permis de faire aller et venir que cinq camions bennes sur le site d'Aubervilliers.

L'union locale CGT d'Aubervilliers condamne l'intervention entreprise par la direction et la police. Elle déplore par voie de communiqué une "charge policière gratuite et dangereuse qui a blessé plusieurs d'entre nous" ainsi que l'interpellation de quatre militants syndicaux, dont trois de la CGT, tout cela "pour faire sortir cinq camions de collecte pour la vingtaine de minutes restantes pour la tournée. Aucun ramassage sérieux n'était envisageable dans ces conditions"

Les sept personnes arrêtées, assistées chacune par des avocats en lien avec la CGT, se trouvaient toujours en fin de matinée au commissariat d'Aubervilliers devant lequel une cinquantaine de manifestants revendiquaient leur libération. Selon la député insoumise de Seine-Saint-Denis Nadège Abomangoli qui a pu entrer dans le commissariat pour obtenir de leurs nouvelles, "on leur reproche un refus d'obéissance à l'ordre donné de dégager la voie car la manifestation n'était pas déclarée. Mais aucune justification ne m'a été donnée sur le choix d'arrêter ces personnes-ci plutôt que d'autres manifestants". La CGT appelle à un regroupement devant le commissariat à 18 heures 30 pour obtenir leur libération.

À Bordeaux, la CGT Gironde appelle à se rassembler place de la Bourse

Comme partout en France, l'intersyndicale appelle à descendre dans les rues pour protester contre la réforme des retraites. À Bordeaux, le rendez-vous se fera place de la Bourse à midi. 

Dans un tract diffusé jeudi, la CGT Gironde réclame « la juste rémunération du travail et des qualifications » et cela passerait par :

  •  l’indexation des salaires sur les prix et le rétablissement de l’échelle mobile des salaires

  •  l’augmentation du Smic à 2000 euros brut

  •  l’augmentation de 10 % du point d'indice des fonctionnaires.

Déjà des blocages en cours

Des blocages étaient en cours autour de plusieurs villes de l'ouest, notamment à Caen, Brest et Rennes où le dépôt de bus était également bloqué. "Il faudra voir ce que ça donnera demain", après la décision du Conseil Constitutionnel, "si ça va redémarrer de plus belle", considère auprès de l'AFP Philippe Simon, 56 ans, délégué syndical UNSA, au barrage dressé à l'entrée de la zone d'activités de la Plaine de Baud, à Rennes, empêchant notamment les bus du réseau Star d'entrer et de sortir. "Sinon, il faudra monter à Paris" pour manifester, estime-t-il.

A Rennes, des barrages filtrants ont été établis sur certaines sorties de la rocade, en particulier les portes de Beaulieu et de Bréquigny. De même, des ralentissements étaient enregistrés sur la RN 157, qui donne accès à Rennes après la fin de l'autoroute venant de Paris.

Autour de Caen, des déviations ont été mises en place à la suite de blocages, notamment à Solierse à l'échangeur Mondeville/Vallée sèche, selon la préfecture.

A Brest, le rond-point de Pen-ar-C'hleuz, principal débouché de la RN12, venant de Rennes, pour entrer dans la ville, est également bloqué, entraînant des embouteillages.

La RN 12 est également bloquée dans le sens Rennes-Brest à Morlaix (Finistère) et à Guingamp (Côtes d'Armor) des ralentisements sont observés dans les deux sens sur la RN12.

Des barrages filtrants étaient également signalés aux abords d'Angers et de Chartres et les voies ferrées ont été envahies en gare de Quimper vers 8H30.

Des avocats s'inquiètent d'un fichage de manifestants

Une centaine de personnes a déposé plainte pour "détention arbitraire" le 31 mars, via un collectif d'avocats. Selon la Chancellerie, 1.346 personnes ont été placées en garde à vue entre le 16 et le 25 mars en France. Ces gardes à vue, dont 75% se sont soldées sans poursuites, ont "un triple sens" selon ces avocats: "dissuader, sanctionner et ficher".

"Quasiment à chaque fois", les empreintes - et parfois l'ADN - ont été collectés avant l'arrivée de l'avocat au commissariat, explique Me Camille Vannier, membre du collectif.

Ces interpellations réalisées "de manière aveugle", "ça nous inquiète énormément", ajoute-t-elle, parlant d'un "fichage généralisé des manifestants".

Ces données sont enregistrées dans le Fichier automatisé des empreintes digitales (Faed) et le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui visent à identifier les auteurs de crimes ou délits, des personnes disparues ou décédées.

Refuser est une infraction, passible d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.

En cas d'acquittement ou de relaxe à l'issue d'un procès, l'effacement des empreintes est "de plein droit", souligne-t-on à la Chancellerie.

En revanche, pour les personnes qui font l'objet d'un classement ou d'un non-lieu, le procureur peut décider de conserver la fiche selon les "circonstances" et la "personnalité".

L'effacement n'est pas "pas automatique", insiste Me Vannier, qui a été recontactée à ce sujet par des manifestants qu'elle avait assisté. Fin 2021, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) avait rappelé à l'ordre le ministère de l'Intérieur au sujet du Faed et demandé d'en exclure toutes les personnes mises hors de cause. Malgré de multiples sollicitations, Beauvau n'a pas répondu.

publié le 12 avril 2023

Dès ce jeudi à Paris,
les éboueurs appellent à une grève « d'une plus grande ampleur » encore

Nelly Metay sur www.humanite.fr

Les éboueurs et agents de traitements des déchets de la ville de Paris ont voté, mercredi 12 avril, pour mettre en place « l'acte 2 » d'une grève reconductible contre la réforme des retraites. Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.

C'est reparti pour un tour, après quinze jours de disparition progressive, les tas de poubelles devraient faire leur grand retour dans les rues de Paris. Les éboueurs de la régie municipale ont voté mercredi, à l’appel de la filière traitement des déchets de la CGT, pour une nouvelle grève reconductible afin de protester contre la réforme des retraites. Cet appel à la mobilisation est aussi adressé au secteur privé.

Une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée »

Effective à partir de jeudi et reconductible sur décision de censure ou non de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel, cette seconde grève entend être d'une plus grande ampleur que celle menée entre le 6 et le 29 mars.

Lors du précédent épisode, plus de 10 000 tonnes d'ordures s'étaient amoncelées dans les rues de la capitale. Faute de grévistes et remplacés par des entreprises privées dans certains arrondissements, les éboueurs avaient repris amèrement le chemin du travail au bout de 23 jours de grève.

Espérant pour de bon être entendus par Emmanuel Macron, les agents dénoncent une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée ». Dans un communiqué daté du 12 avril, la CGT promet de « travailler à reconduire et à étendre cette mobilisation, dans le cadre intersyndical le plus large, jusqu’au retrait de la contre-réforme des retraites Macron-Borne ». Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.

 

publié le 11 avril 2023

Solidarité :
la France à fond la caisse

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

En cette veille de journée de mobilisation, les caisses de soutien se remplissent à un rythme inédit, et l’adhésion populaire ne faiblit pas. Une incitation assumée à la grève.

Si son employeur savait à quoi Anthony consacre son salaire, il crierait probablement au fou, ou au détournement de fonds. Ingénieur informaticien, Anthony travaille pour une de ces multinationales américaines où le terme de « grève », même quand il est prononcé en anglais, sonne comme une langue étrangère.

Et pourtant, depuis début janvier, le trentenaire a envoyé plus de 2 000 euros aux caisses de grève, pour soutenir la bataille des retraites. « Dans l’absolu, c’est une somme, mais pour moi ce n’est pas grand-chose, ironise-t-il. Je gagne 11 000 euros par mois, ce qui est affolant quand on y pense ! D’un point de vue marxiste, je suis un exploité, mais extrêmement bien payé… »

Il est entré dans le camp des opposants à la réforme par des voies plus intimes qu’idéologiques

Sans jamais se départir d’une forme de lucidité sarcastique, le trentenaire raconte comment il est entré dans le camp des opposants à la réforme, par des voies plus intimes qu’idéologiques : à 55 ans, sa mère trime comme serveuse, ce qui lui vaut des problèmes de dos en pagaille et une carrière en pointillé.

Sa vie offre un démenti cinglant à la propagande gouvernementale qui maquille la réforme en bénédiction pour les femmes. « Les patrons ont toujours déclaré ma mère partiellement, ce qui est courant dans le secteur de la restauration, dit-il. Elle a donc moins cotisé. Par ailleurs, elle m’a élevé jusqu’à un an et demi, ce qui lui a également enlevé des trimestres. Mais la pénibilité de son métier rend inacceptable la perspective de tenir deux ans de plus. »

Anthony n’aime pas trop le cap pris par la France sous Emmanuel Macron (« de plus en plus à droite », précise-t-il au cas où on se méprendrait), mais il ne se voit pas débrayer tout seul dans son coin, d’où son choix de contribuer financièrement à l’effort collectif.

À 800 kilomètres de là, la même analyse a conduit Anaïs, 38 ans, à donner à une caisse de grève. « Je bosse à temps partiel dans une association qui travaille auprès des jeunes des quartiers Nord, explique la Marseillaise. Avec mon salaire actuel – 750 euros net par mois –, je ne me voyais pas faire grève. J’ai préféré donner l’équivalent d’une demi-journée de paye à des grévistes qui, au moins, avaient un impact sur l’économie… »

Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond

Depuis janvier, la France compte des dizaines de milliers d’Anaïs et d’Anthony. Des petits mots de soutien qu’on lance en passant jusqu’aux chèques à quatre chiffres envoyés aux caisses de grève, des collectes de légumes jusqu’aux soirées solidaires, c’est tout un pays qui se dresse contre la réforme des retraites, en marge de l’agitation médiatique.

Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond : 62 % des Français estimaient, fin mars, que le mouvement social devait « se durcir pour faire reculer l’exécutif », selon l’Ifop.

Autre baromètre, les caisses de grève se garnissent à une vitesse inédite. a caisse de solidarité intersyndicale gérée par Info’Com-CGT et SUD poste 92, vient de franchir la barre des 3,4 millions d’euros récoltés, record historique. « En moyenne, nous recevons plus de 100 000 euros de dons par jour, ce qui est considérable », précise Romain Altmann, d’Info’Com-CGT.

Un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés

Les syndicalistes gérant la caisse ont cherché à en savoir plus sur le profil sociologique de cette France solidaire, à partir d’un questionnaire rempli en ligne par quelque 8 000 donateurs. Verdict : un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés. « Les premiers sont dans un combat intergénérationnel, analyse Romain Altmann. Beaucoup envoient un petit mot disant qu’ils se sont battus pour les 60 ans et que leurs petits-enfants doivent en profiter aussi. »

Les CSP + interrogés estiment compliqué ou inutile de se mettre en grève, en raison du caractère « non stratégique » de leur secteur, et préfèrent remplir les caisses. Quant aux catégories populaires, « ce sont des gens modestes, avec des situations personnelles compliquées, qui font parfois des dons de quelques euros, explique le syndicaliste. Un bel exemple de solidarité ouvrière ».

La première fois, j’en aurais pleuré. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne

Sur le terrain, les grévistes voient se construire des convergences inattendues. À Rennes et à Versailles, des paysans de la Confédération paysanne apportent de la nourriture aux cheminots en grève : tous les vendredis, ils remplissent une salle de cageots débordant de légumes frais, fromage, farine, œufs, etc.

« La première fois, j’en aurais pleuré, s’émeut Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Une rencontre tout sauf symbolique, selon lui : « Vous repartez avec un cageot qui vous aurait coûté 60 euros dans une Biocoop ! Cela permet de nourrir sa famille le week-end sans faire les courses, ce qui n’est pas négligeable quand vous avez cumulé quinze jours de grève… »

Tous les militants décrivent un élan de générosité inédit. L’explication réside dans le rejet massif de la réforme, qui transcende en partie les clivages de classe et de génération, et met en mouvement grandes villes et villes moyennes. Les soirées de solidarité avec les grévistes se déroulent ainsi aux quatre coins du pays, dans les métropoles comme dans les villages reculés.

« Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des petits villages »

Coopérative cinématographique de production, les Mutins de Pangée ont proposé à plusieurs réalisateurs de mettre leurs films à disposition du mouvement social : n’importe qui peut organiser des projections publiques, à condition de reverser l’argent récolté aux caisses de grève.

« Nous avons obtenu le soutien de nombreux ­réalisateurs, raconte Olivier Azam, cofondateur des Mutins. 95 films sont à disposition, parmi lesquels  la Sociale, de Gilles Perret, Un pays qui se tient sage, de David Dufresne, ou Comme des lions, de Françoise Davisse. »

Un succès colossal : 620 projections ont été organisées dans tout le pays, pour 114 000 euros récoltés. « Nous voyons apparaître de nouveaux lieux de projection, en marge des réseaux classiques, se félicite Olivier Azam. Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des villages de quelques milliers d’habitants parfois… En un sens, cela colle avec la sociologie des dernières mobilisations, avec des manifestations énormes dans des petites villes. »

Dans trente ans, les professeurs de communication politique se pencheront peut-être sur le spectaculaire accident industriel que constitue la réforme des retraites. Dans les décombres, ils exhumeront l’éditorial signé par Élisabeth Borne accompagnant le dossier présenté à la presse, le 10 janvier : « Aujourd’hui, nous présentons un projet de justice, d’équilibre et de progrès », affirmait-elle gravement.

Ces trois mots que les macronistes ont eu tant de mal à ­incarner n’ont jamais convaincu Jean-François Le Dizès, retraité grenoblois de 76 ans et éternel militant de gauche. « C’est une question de choix de société ! assène-t-il. Veut-on continuer à tout miser sur la production de richesses matérielles, ou sur la valorisation du temps de vivre ? »

Dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration »

Le retraité a signé deux chèques de 3 000 euros pour soutenir les grévistes, mais s’inquiète des faiblesses du mouvement social : « En Mai 68 comme en 1995, nous avions réussi à bloquer l’économie, ce qui nous avait permis d’obtenir gain de cause. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, en dépit de grèves très suivies dans certains secteurs. »

Une avant-garde mobilisée – les énergéticiens, les raffineurs, les cheminots, etc. –, soutenue financièrement par une majorité généreuse mais non gréviste : dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration » pour décrire ce phénomène.

Le terme ne rebute pas Florent Anger : « La grève générale reconductible, on est pour, mais gare à l’incantation ! Le monde du travail a changé : je vois beaucoup de salariés qui aimeraient faire grève mais qui n’en ont pas les moyens. Les gens font ce qu’ils peuvent. »

Le cheminot préfère voir le verre à moitié plein : « Ce qui me plaît dans ce mouvement, c’est qu’on a dépassé le seul cadre de la retraite. On parle du sens du travail, de l’amassement indécent des grandes fortunes, du capitalisme… L’ampleur du soutien populaire montre à quel point les gens s’approprient ces enjeux. »

Où donner sur internet ?

publié le 7 avril 2023

13 avril, 14 avril, 1er mai, trois échéances
pour l’intersyndicale

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

L’intersyndicale, qui se réunissait vendredi soir (au siège de Force ouvrière, fixe comme prochaine date de grèves et de manifestations le jeudi 13 avril contre la réforme des retraites.

 Sans réelle surprise, la douzième journée de mobilisation tombera jeudi 13 avril. Soit la veille de la décision du Conseil constitutionnel qui validera, ou non, tout ou partie de la réforme des retraites. Mais également la veille d’une décision donnant son possible aval à la proposition de loi pour un référendum d’initiative partagée, qui fixerait un âge légal maximum de départ à la retraite à 62 ans.

Une date de mobilisation assez incontournable, choisie dès mardi après-midi, lors de la réunion des numéros un des huit syndicats pour préparer la rencontre de mercredi 5 avril avec Élisabeth Borne. Une nouvelle journée de grèves et manifestations le 13 avril décidée pour peser le plus possible sur les neuf Sages de la rue Montpensier. Mais une date choisie à l’aveugle, avant de connaître l’état des mobilisations de ce jeudi. Finalement, contrairement aux prophéties et aux espérances d’Olivier Dussopt, tablant sur un essoufflement du mouvement, ce matin sur BFMTV, la onzième journée reste d’un assez haut niveau avec 570 000 manifestants dans toute la France, selon le ministère de l’Intérieur (2 millions selon l’intersyndicale). Malgré une certaine fatigue et des retenues de salaires qui pèsent sur le niveau des grèves, la mobilisation tient.

La grande inconnue du Conseil constitutionnel

La semaine prochaine, l’intersyndicale fera l’impasse sur le rendez-vous traditionnel du soir de manifestation. En effet, selon les décisions que prendra le Conseil constitutionnel, la situation politique et l’avenir de la réforme des retraites seront bien différents. En cas d’absence totale de censure, le gouvernement aura le feu vert pour promulguer la loi et pourra tenter d’insister sur sa légitimité à la faire, malgré le 49-3 utilisé à l’Assemblée nationale. Cela pourrait décourager une partie des personnes mobilisées, au moment où les vacances scolaires par zone défavorisent les manifestations massives. A l’inverse, une censure totale du texte enterrerait la réforme et signerait une victoire du mouvement social.

Mais le plus probable reste une censure partielle de la réforme. Celle-ci serait un désaveu pour le pouvoir, un de plus, écornant encore sa légitimité sur les retraites, sans pour autant l’empêcher de promulguer la loi. Enfin, si le Conseil constitutionnel donne son aval à la proposition de référendum d’initiative partagée, une nouvelle ère de grande incertitude s’ouvre. L’exécutif ne serait pas obligé de ne pas promulguer la loi, mais cela apparaîtrait comme un nouveau passage en force. Passage en force qui pourrait de surcroît être annulé neuf mois plus tard. Avec autant d’aléatoires, les huit syndicats attendront vendredi 14 avril en fin de journée pour décider des suites de la mobilisation, avec déjà en ligne de mire le 1er mai.

Vers 1er mai unitaire historique ?

Impossible de savoir aujourd’hui quelles seront les mobilisations proposées au-delà du 13 avril, mais déjà, l’intersyndicale anticipe un 1er mai unitaire. Une situation qui ne s’est pas produite depuis des décennies. En 2010, malgré une réforme des retraites contre laquelle tous les syndicats étaient mobilisés, Force ouvrière avait fait cavalier seul. De même en 2002, pour un 1er mai qui tombait avant le second tour de la présidentielle et avait vu Le Pen père se qualifier.

Mais cette fois-ci, l’unité de l’intersyndicale depuis trois mois pourrait déboucher sur un 1er mai regroupant l’ensemble des syndicats. Autre élément qui pourrait peser sur les choix de l’intersyndicale, Marine Le Pen tiendra sa « fête de la Nation » au Havre le 1er mai. Un hold-up sur la journée de lutte des travailleurs que l’intersyndicale pourrait tenter de contrer dans cette ville symbolique des mobilisations, avec son port mainte fois bloqué ces dernières semaines. Réponses à certaines de ces questions le 14 avril au soir.


 


 

6 avril :
la mobilisation tient bon

La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/

Une jeunesse nombreuse, une grève qui continue d’exister même à faible niveau, des manifestations fournies quoiqu’en légère baisse et toujours des blocages et des actions. On a bien du mal à dire si l’élément notable de la journée demeure le léger étiolement du mouvement ou son incroyable persistance. Aperçu de la mobilisation du 6 avril.

Onzième journée de manifestations…et toujours plus d’un million de manifestants dans la rue, comptent les syndicats. Si ce 6 avril a été légèrement plus faible que le 28 mars précédent, on a bien du mal à dire si l’élément notable de la journée demeure le léger étiolement du mouvement ou son incroyable persistance. A Lyon, 13 000 personnes ont manifesté selon la préfecture – à qui la CGT a tenté de couper l’électricité -, 32 000 selon les syndicats. Un chiffre équivalent à celui de la semaine précédente. A Paris, la CGT annonce 400 000 manifestants, à peine un peu moins que les 450 000 de la semaine précédente. A Marseille, la préfecture annonce 10 000 manifestants, la CGT 170 000. A Clermont-Ferrand, le comptage policier monte à 7500, celui des organisateurs à 20 000. A Nantes : 15 000 contre 50 000.

La jeunesse prend la relève ?

Léa* est lycéenne, aujourd’hui son lycée est bloqué et elle participe à sa première manifestation. « J’avais envie de participer à une action citoyenne, mais d’habitude, mes parents ne me laissaient pas faire les manifestations. Je suis là pour d’autres causes que la réforme des retraites, Parcours Sup par exemple. » La présence des jeunes, plutôt discrets lors des premiers mois de la mobilisation, se confirme ce 6 avril dans les manifestations. Les organisations lycéennes annonçaient 400 lycées mobilisés aujourd’hui en France. Du côté des facs, le syndicat l’Alternative comptabilise 90 facs et écoles mobilisées, un record toutes dates confondues. « La mobilisation des étudiants, c’est important. Ils sont nombreux et le nombre fait la force. On a vu que dans tous les mouvements leur mobilisation avait une importance », estime Eric, personnel administratif à l’université Paris Dauphine et syndiqué chez Sud.

En revanche, depuis quelques semaines, les attaques des militants d’extrême droite contre la mobilisation étudiante s’amplifient. Ce matin, ils ont sillonné le centre ville de Lyon pour mettre la pression sur les lycées. Le syndicat La Voix Lycéenne dénonce le « tabassage » d’un lycéen de 16 ans à 10 contre 1.

Une grève qui se maintient dans la fonction publique

Une relève des jeunes face à une mobilisation enseignante qui s’étiole légèrement ? Ce 6 avril le niveau de grève enseignante est stable par rapport au 28 mars, dernière journée de grève interprofessionnelle, puisqu’il avoisine les 8%. Le Snuipp-FSU annonce de son côté 20% de grévistes. Une dynamique de persistance de la grève, à un niveau toutefois faible, commun à toute la fonction publique. Dans la territoriale, ils sont 3,9% de grévistes ce jeudi à la mi-journée, contre 3,4% le 28 mars, selon les chiffres du ministère. Dans la fonction publique hospitalière ce taux remonte à 5,9% contre 5,4% lors de la précédente journée de mobilisation.

 Les grèves reconductibles, une « colonne vertébrale »

Présente sur le piquet de grève de Gournay-sur-Aronde, en soutien aux salariés des industries électriques et gazières (IEG) mobilisés, Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, a rappelé l’importance des grèves reconductibles, qu’elle juge être « la colonne vertébrale » du mouvement. Si les IEG sont toujours mobilisés, multipliant les grèves stratégiques (quelques heures pour bloquer la production) et les actions, la reconductible a du plomb dans l’aile dans les transports, notamment à la RATP.

Ce 6 avril, le trafic a été « quasi normal » pour le métro et le RER. De son côté, la SNCF a fait rouler trois TGV sur quatre, un TER sur deux et un Intercité sur quatre. Il y a toutefois des exceptions : au technicentre de Châtillon, la grève reconductible est forte depuis le 7 mars. « Tu as vu au technicentre de Châtillon ? On est très mobilisés ! C’est vrai qu’on se sent particulièrement concernés parce que notre travail est très physique, estime José, syndiqué Sud-rail. » Toujours aussi déterminé, cet employé du technicentre veut croire à un « printemps du 49.3 ».

 Raffineries : les réquisitions retoquées

La grève reconductible continue également dans certaines raffineries, avec une bonne nouvelle : « Le préfet de la Seine-Maritime a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève », estime ce matin le tribunal administratif de Rouen. Les dernières réquisitions en date sont donc suspendues. Selon le préfet de Seine Maritime, elles avaient pour but d’endiguer les pénuries de carburant avant le week-end de Pâques. Mais au regard des décisions de tribunal administratif de Rouen, l’argument est fallacieux. « La reprise de la plate-forme Total Energie ne permettra d’assurer l’approvisionnement de la région Ile de France que dans 5 jours et de la région Centre Val de Loire que dans 7 jours », écrit ce dernier. Soit bien après le week-end de Pâques.

En revanche, moins bonne nouvelle : les salariés de la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-sur-Seine ont arrêté ce jeudi leur mouvement de grève et les expéditions vont repartir. « Il n’y avait plus assez de grévistes par quarts pour maintenir l’arrêt des expéditions », explique Germinal Lancellin, élu CGT de la raffinerie à France Bleu Normandie. La grève a été levée à 14 heures ce jeudi.

Mobilisation du 6 avril : toujours des blocages

Enfin, outre les grèves et les manifestations, des actions de blocage ou de tractage ont eu lieu partout en France. Notamment autour des centres d’incinération des déchets, considérés comme des lieux stratégiques depuis le début du mouvement. Ainsi ce matin, une centaine de personnes bloquaient l’incinérateur de la SETM à Toulouse. D’autres se rassemblaient devant la TIRU d’Ivry pour tenter également de la bloquer.

Autre type de blocage : à Marseille, les travailleurs de l’éducation se sont réunis dès sept heures devant la tour La Marseillaise, qui accueille une partie des services de la métropole Aix-Marseille Provence, pour la bloquer. L’intersyndicale a bloqué la zone commerciale sud d’Amiens. A Paris, les locaux du gestionnaire d’actifs Blackrock ont été envahis par des manifestants.

 


 

À Rennes, opération
« ville morte » contre la réforme des retraites

Rose-Amélie Bécel  sur www.politis.fr

Pour la 11e journée nationale de grève et de manifestation contre la réforme des retraites, près de 20 000 personnes ont défilé dans les rues de Rennes selon les chiffres syndicaux. Avec certains collectifs peu habitués des mobilisations. Reportage.

À Rennes, la manifestation de ce 6 avril – la 11e au niveau national à l’appel des syndicats – avait beau commencer à 11 heures, certains étaient mobilisés à l’aube pour mener une opération « ville morte ». Dès 7 heures, le collectif de la Maison du Peuple bloque un rond-point au sud de la capitale bretonne. Un emplacement stratégique, très fréquenté des automobilistes, qui permet de rejoindre la rocade qui entoure la ville.

Les gens détestent tellement Macron. Ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait.

En contrebas, d’autres militants ont installé un barrage filtrant directement sur la quatre-voies, à l’aide de barrières et de caddies enflammés. Voitures et camions s’agglutinent sur la rocade, formant un bouchon dans lequel plusieurs automobilistes affirment avoir été bloqués pendant plus de deux heures.

Furieux, certains franchissent le barrage à toute allure en faisant vrombir leur moteur et crisser leurs pneus. Preuve des vives tensions, un chauffeur manque même de renverser des militants avec son camion. Mais d’autres, nombreux, affichent leur solidarité. « Les gens détestent tellement Macron que même après avoir attendu des heures dans leur voiture, ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait », plaisante Camille* au passage d’un automobiliste qui franchit le barrage aux cris de « Macron démission ».

* Les prénoms ont été modifiés.

Au-delà des syndicats

Sur le rond-point, aucun drapeau syndical. Le blocage est porté par la Maison du Peuple, un collectif né au début des mobilisations contre la réforme des retraites. « L’idée c’était d’occuper un lieu pour former un QG des luttes à Rennes. Nous avons essayé d’investir la salle de la cité, puis le cinéma l’Arvor, mais nous avons rapidement été délogés. Donc le collectif poursuit ses assemblées hors les murs », explique Camille. Depuis, le groupe a organisé six opérations « ville morte » en coordination avec les assemblées générales étudiantes des universités de Rennes 1 et Rennes 2.

À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes.

Laurent, enseignant chercheur, observe depuis un pont le barrage filtrant installé par ses camarades en contrebas. « L’objectif, c’est de rendre la contestation plus visible en organisant un blocage économique. Les manifestations, c’est bien mais c’est davantage symbolique. Maintenant, il faut passer à l’action », défend-il.

Ben, ouvrier dans une usine, partage le même constat mêlé d’inquiétudes : « J’ai l’impression que le mouvement perd de l’ampleur, que la mobilisation syndicale ralentit. Il ne faudrait pas faire seulement une manifestation par semaine, mais bloquer le pays plusieurs jours d’affilée. À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes. »

Blocage historique à la faculté de droit

À 6 heures du matin, Juliette* ne bloquait pas les ronds-points. Mais, avec un petit groupe, elle initiait le premier blocage de la faculté de droit de Rennes. « Des enseignants sont passés nous voir pour nous soutenir en nous disant qu’en 40 ans ils n’avaient jamais vu ça », se réjouit l’étudiante en première année de licence de droit. Historiquement classée à droite, la faculté de droit de Rennes prend le même chemin que le campus parisien de Panthéon-Assas, bloqué le 23 mars pour la première fois depuis le début du mouvement.

Principale revendication des étudiants mobilisés : dispenser les étudiants de présence en cours au moment des manifestations, pour leur permettre de s’y rendre sans être pénalisés par des absences injustifiées. « C’est difficile de mobiliser autour de cette question. Dans mon groupe de cours, les étudiants sont assez peu politisés. Il y a un grand désintérêt pour l’actualité et la mobilisation en cours ne les atteint pas », déplore Juliette.

Sur le chemin vers la place de Bretagne, où débute la manifestation à 11 heures, le cortège des étudiants de la faculté de droit croise celui d’un autre établissement peu habitué des mobilisations : l’INSA Rennes, une école d’ingénieurs.

« Les gens ont sérieusement commencé à se mobiliser après le 49.3, le déni de démocratie inacceptable a réveillé tout le monde », raconte Titouan, étudiant de 2e année.  « Notre mobilisation en tant qu’étudiants ingénieurs, dans un milieu peu politisé, créé aussi un cercle vertueux. J’ai plein d’amis de l’école qui ont fait récemment leur première AG et leur première manif », s’enthousiasme Nelly, également étudiante en 2e année.

À la faculté de Rennes 2, plus habituée à participer aux mouvements sociaux, les cours sont supprimés les jours de manifestation pour permettre aux étudiants et aux personnels de s’y rendre. « Le reste du temps, il y a des cours et des événements organisés par l’AG. Si on bloquait la fac tout le temps, les étudiants ne viendraient pas et on ne pourrait pas organiser nos ateliers et y tenir nos assemblées. Ça rendrait impossible la création d’espaces de politisation dont on a besoin », explique Hugo, étudiant en mathématiques et sciences sociales et membre de l’Union Pirate, syndicat majoritaire de l’université.

À Rennes, la réforme des retraites rassemble contre elle des collectifs de plus en plus variés, pas toujours habitués des manifestations. Ceux qui, parmi les élus et éditocrates, parient sur un essoufflement des mobilisations, risquent d’être déçus.

  publié le 6 avril 2023

Onzième mobilisation
contre la réforme des retraites :
la rue persévère,
le pouvoir s’enferme

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Onzième mobilisation nationale contre la réforme des retraites ce jeudi 6 avril. Manifestations, blocages et débrayages rythment à nouveau la journée. L’exécutif, lui, durcit encore le ton. Pour Emmanuel Macron, le pays n’est pas à l’arrêt, et si les gens ne voulaient pas de la réforme, il ne fallait pas l’élire.

À ce stade, ce n’est même plus un gouffre qui sépare l’exécutif et les opposant·es à la réforme des retraites. La rupture est abyssale. Le premier, pressé de passer à autre chose, feint de ne rien voir tout en multipliant les provocations. Les deuxièmes défilent, bloquent et débrayent pour la onzième fois en trois mois, sidéré·es face à tant de déni et de surdité.

« On est chez les fous ! », a lâché ce jeudi Laurent Berger sur RTL. Le leader de la CFDT est bouche bée. La veille, il a dénoncé – comme l’ensemble de l’intersyndicale – « une grave crise démocratique », à l’issue d’une courte, et ratée, rencontre avec la première ministre.

La réponse a rapidement fusé. Des propos, d’abord attribués à « l’entourage d’Emmanuel Macron » en visite en Chine, sont venus rappeler que le président ne reculerait pas et ne prendrait pas de décision « en fonction de l’opinion ».

Quelques heures plus tard, le journal Le Monde a brisé le « off » présidentiel et révélé la pensée profonde, et limpide, du président. « Les mots ont un sens et si on les galvaude, on fait monter les extrêmes, rétorque ainsi Emmanuel Macron depuis Pékin. Qu’un président élu, avec une majorité élue, certes relative, cherche à mener un projet qui a été porté démocratiquement, ça ne s’appelle pas une crise démocratique. Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République. »

Pour le chef de l’État, le mouvement social est quasi terminé, plié, épuisé : « Quel est le taux de grévistes depuis quinze jours ? Il est à un niveau historiquement très faible. De l’Éducation nationale à l’énergie, aux transports… Qu’on n’aille pas m’expliquer que le pays est à l’arrêt. Ce n’est pas vrai ! »

À propos de la CFDT, il réaffirme sa vision, présentée comme une « vérité » :  « Pour la première fois de son histoire contemporaine, la CFDT n’a proposé aucun autre projet – ni l’accélération ni l’augmentation de la durée de cotisation. »

Appelant au calme et « à garder ses nerfs », Laurent Berger demande en retour au président de ne pas « balancer des petites phrases » et jure n’avoir mené aucune « attaque personnelle » en évoquant une « crise démocratique ».

Ne pas lâcher après onze journées

Ces deux mots ont alimenté toutes les matinales radio et télé. Olivier Dussopt a joué l’ébahi sur RMC : « Une crise ? Quelle crise ? Il y a une crise sociale mais pas de crise démocratique », tandis qu’Olivier Véran pensait à la place de Laurent Berger : « Le connaissant un peu, je pense qu’il n’est, au fond, pas d’accord lui-même avec ce qu’il dit. »

Sur France Inter, Olivier Véran a également bien résumé l’état d’esprit de l’exécutif, souhaitant « qu’on arrive un jour à s’entendre et se comprendre […] pour que chacun puisse appréhender le fait que cette réforme était nécessaire ». En d’autres termes : nous avons raison, et il faudra s’entendre là-dessus.

Mais la rue, elle, ne veut rien entendre. Si les troupes sont fatiguées, si « l’essoufflement » tant espéré par le gouvernement se ressent, bon nombre de personnes restent déterminées, convaincues d’être « à quelques jours de grève de la victoire », comme le pressent un cégétiste aveyronnais interrogé par Mediapart. « On a atteint un cap, c’est la onzième manif, on ne peut plus lâcher, c’est impossible après autant d’investissement ! », maintient également une manifestante.

Alors, pendant que les ministres péroraient sur les antennes, les premiers blocages s’organisaient partout en France, sur des routes et ronds-points, à Brest, Amiens, Caen, Lyon, Marseille ou encore dans la Vienne et les Deux-Sèvres. À Paris, plusieurs centaines de cheminots ont également envahi le siège de la multinationale BlackRock dans le IIe arrondissement. Une intervention éclair et sans heurts, relatée dans le « live » du journal Le Parisien.

Des universités sont également bloquées à la Sorbonne et Assas – pour la deuxième fois –, mais aussi à Rennes et Lyon 2, où les trois campus sont fermés. Côté lycées, le syndicat FIDL dit en recenser plus de quatre cents bloqués dans tout le pays.

Côté Éducation nationale, le ministère annonce près de 8 % de grévistes, un taux similaire à celui de la précédente journée de mobilisation. La veille, le Snuipp-FSU, premier syndicat dans les écoles maternelles et élémentaires, évoquait 20 % de grévistes, soit dix points de moins que le 28 mars. « On sent que ça devient de plus en plus compliqué de faire grève pour les collègues car les retraits de salaire commencent à peser », commente la secrétaire générale du syndicat auprès de l’Agence France-Presse.

Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sortira pas indemnes de ce mouvement social.

 À Paris, le cortège s’est élancé et va relier les Invalides à la place d’Italie. Le lieu de rendez-vous de l’intersyndicale avait quelque chose d’ironique. C’est à quelques pas du ministère du travail, qui symbolise désormais l’impasse du dialogue entre syndicats et exécutif, que les dirigeants syndicaux ont tenu leur traditionnel point presse avant le départ de la manifestation.

Face aux micros et caméras, la nouvelle secrétaire générale de la CGT a critiqué « un président qui gouverne contre son pays, contre son peuple ». « La stratégie consistant à compter sur le fatalisme et la fatigue des Français, ça ne passe pas, a ajouté Sophie Binet. Parce que derrière, il y a l’extrême droite. Emmanuel Macron n’a pas été élu pour réformer les retraites, il a été élu pour lutter contre l’extrême droite, et il ne respecte pas du tout son mandat, ce pour quoi les Français lui ont donné leurs voix. »

Laurent Berger a maintenu ses déclarations sur la « crise démocratique » et évoqué la suite : « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sortira pas indemnes de ce mouvement social. Nous agirons toujours dans l’intérêt des travailleuses et des travailleurs, et on verra le moment venu, mais la CFDT ira toujours discuter avec le gouvernement pour ça. Mais il va falloir bien reprendre la méthode, et il ne suffira pas d’une petite réunion pour remettre les choses dans l’ordre. »

Même Cyril Chabanier, président de la très sage CFTC, fait le constat que quelque chose est cassé. « Plus personne ne croit qu’on pourra sortir par le haut en discutant tranquillement autour d’une table. On ne voit pas très bien la sortie de crise, sauf peut-être grâce au Conseil constitutionnel. J’ai même l’impression que certains dans la majorité et au gouvernement espèrent que le Conseil va arrêter tout ça en censurant la loi. »

La menace démocratique, c’est la violence, selon le président

Avant Paris, les premières manifestations se sont élancées dès le matin à Marseille, où la préfecture dénombre 10 000 personnes, contre 170 000 selon la CGT. Le 28 mars, entre 11 000 et 180 000 manifestant·es avaient défilé dans la cité phocéenne. Légère baisse aussi à Nantes, où entre 15 000 et 50 000 personnes, selon les sources, ont battu le pavé, contre 18 000 à 60 000 la semaine précédente. À Lyon, des tensions émaillent actuellement le cortège, selon le site Actu.fr, qui suit en direct la manifestation.

À propos des violences, Emmanuel Macron a d’ailleurs, depuis Pékin, évoqué des violences « opportunistes », encouragées « par des forces d’extrême gauche, en particulier ». « Ceux qui considèrent qu’en venir aux mains, aux armes, serait légitime, c’est ça, la menace démocratique », a-t-il également déclaré, selon ses propos rapportés par Le Monde

Alors que la onzième journée de mobilisation anime le pays, l’aveuglement reste total. Des records ont été allègrement battus dans les cortèges à plusieurs reprises ? — Oui mais il y a peu de grévistes, répond l’exécutif. L’intersyndicale, unie comme jamais, appelle le pouvoir à la raison ? — Elle fait monter les extrêmes.

Concernant la suite du mouvement, une nouvelle réunion de l’intersyndicale est prévue dans la soirée au siège de Force ouvrière. Une nouvelle journée de mobilisation, la douzième, pourrait être annoncée avant la décision du Conseil constitutionnel, attendue le vendredi 14 avril.


 


 

Mobilisation du 6 avril en direct.
400 000 manifestants à Paris,
170 000 à Marseille et une
nouvelle journée de mobilisation en vue

sur www.humanite.fr

  • A huit jours de la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, les syndicats ont organisé une onzième journée de mobilisation.

  • 400 000 manifestants à Paris, 170 000 à Marseille, 60 000 à Bordeaux, 32 000 à Lyon, 24 000 à Caen, 20 000 à Rennes, Nîmes, Avignon et Nice, 12 000 à Montpellier et Strasbourg... La mobilisation, bien qu'en retrait par rapport à la journé précédente, reste forte.

  • L’intersyndicale, sortie hier de la rencontre avec Elisabeth Borne en dénonçant un discours irresponsable du gouvernement, a prévu de se réunir dans la soirée pour annoncer une nouvelle journée de mobilisation.


 

QUELQUES ÉCHOS DE LA JOURNÉE :


 

Prochaine manifestation : le 13 avril envisagé par plusieurs syndicats

Elle est à confirmer, mais la date du 13 avril pour une prochaine journée de mobilisation est envisagée par plusieurs syndicats. Une réunion intersyndicale devrait avoir lieux dans les heures qui suivent pour valider ou non cette date.


 

Rennes, Vannes, Quimper...la Bretagne toujours très mobilisée

Selon les chiffres de la CFDT Bretagne, plus de 90 000 personnes étaient aujourd'hui mobilisées dans les cortèges bretons. Dans les rues de Rennes, certains ont même entamé une chenille pour faire barrage au passage des forces de l'ordre.


 

15 000 manifestants dans les rues de Toulouse

Plus de 15 000 manifestants étaient présents pour fouler le pavé dans la Ville rose selon la Police. Malheureusement, des heurts auraient éclaté dans le quartier Arnaud-Bernard conduisant à l'arrestation d'une dizaine de personnes.


 

Encore 400 000 manifestants dans les rue de Paris, 57 000 selon la police

Selon la CGT, 400 000 manifestants seraient présents dans le cortège parisien, soit 50 000 de moins par rapport à la semaine dernière. 

La police a quant à elle annoncé un nombre bien en deça de 57 000 manifestants. 


 

Sophie Binet « ne souhaite pas répondre à CNEWS »

La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet qui succède à Philippe Martinez est aujourd'hui présente dans le cortège parisien pour manifester en ce 11e jour de mobilisation contre la réforme des retraites. Interrogée par la chaine télévision Cnews, elle a expliqué son refus de répondre, et qu'elle « préfère répondre aux médias qui garantissent une pluralité et une liberté d'expression ». 


 

Marseille, 170 000 manifestants selon les syndicats, 10 000 selon la police

Dans les Bouches-du-Rhône, les manifestants sont encore au rendez-vous pour protester dans les rues. Les syndicats présents sur place dénombre 170 000 manifestants là où la police estime en compter seulement 10 000.  Il est important de noter une baisse de 10 000 manifestants par rapport à la semaine dernière dans la cité phocèenne. 


 

Au siège du groupe Natixis, l'intersyndicale présente pour un blocage

Des 8h30 ce matin, les syndicats, CGT, Attac, Solidaires et FSU étaient présents au siège du groupe bancaire Natixis pour protester contre la réforme des retraites mais aussi contre l'évasion fiscale

  publié le 5 avril 2023

Réunion avec Élisabeth Borne : l’intersyndicale dénonce un discours irresponsable

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Face au refus de la première ministre d’abroger la réforme des retraites, les syndicats ont coupé court à leur réunion. Le gouvernement s’enfonce dans une stratégie « violente » et « irresponsable », dénoncent-ils.

Qui aurait pu prédire que la réunion entre Élisabeth Borne et l’intersyndicale, ce mercredi matin, se solderait par un échec ? Les représentants des salariés avaient anticipé l’obstacle, et prévenu avant leur entrée dans la cour de Matignon que tout refus de la part du gouvernement de retirer la réforme des retraites entraînerait la fin de leur rencontre.

Le déroulé des évènements n’a pas donné tort à leurs prédictions. « La première ministre nous a opposé une fin de non-recevoir et nous a renvoyé dans la rue », a dénoncé Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, pointant du doigt une « stratégie violence et jusqu’au-boutiste » du gouvernement.

Bec et ongle

La première ministre s’est en effet entêtée dans la défense bec et ongle de son texte injuste. Selon le récit fait de leur échange par les organisations syndicales, la locataire de Matignon a commencé par rappeler le « contexte de la réforme », insistant sur ses bienfaits pour les travailleurs aux carrières longues, pour ceux occupants des métiers pénibles et pour la santé de l’emploi.

« Mais nous étions venus demander à la première ministre de retirer cette réforme. Nous avons donc tous conclu nos propos par cette même phrase : Madame la Première ministre, il faut retirer cette loi, allez-vous le faire ? », relate Frédéric Souillot, de FO. Faute de réponse positive, le numéro un de la CFDT, Laurent Berger a mis fin à la réunion au nom de l’intersyndicale.

« Nous pointons la responsabilité de ce gouvernement »

Interrogée à l’issue de la réunion, Élisabeth Borne a quant à elle loué la qualité de la réunion. « C’était un échange respectueux ou chacun a pu s’exprimer et s’écouter. Il était important dans le moment que nous vivons que nous puissions nous parler avec l’ensemble de l’intersyndicale », a-t-elle déclaré. Et d’assurer : « J’ai entendu leur désaccord sur le relèvement de l’âge et j’ai pu leur dire ma conviction et celle de mon gouvernement de la nécessité de cette réforme. »

Un discours irresponsable, ont rétorqué les parties prenantes de l’intersyndicale. « Cette réforme injuste et brutale, et nous pointons du doigt la responsabilité de ce gouvernement. Ne pas entendre le mouvement social, c’est faire le jeu de l’extrême droite et nier les urgences des travailleurs », a lancé Murielle Guilbert, de Solidaires.

Unies sur le perron de Matignon, les huit organisations syndicales ont appelé d’une même voie les travailleurs à répondre à ce nouvel affront du gouvernement par un déferlement populaire dans les rues, lors de la onzième journée de grève et de manifestations, ce jeudi. « La conclusion de cet échange est limpide, c’est que nous allons être nombreux dans la rue », a affirmé Sophie Binet de la CGT.

« L’opinion n’a pas bougé depuis début janvier, voire s’est accentuée contre la réforme. Le nombre de travailleurs mobilisés est toujours aussi important, il y a toujours la même détermination », constate, de son côté, Laurent Berger de la CFDT. Les syndicats l’ont promis, ceux-ci ne prendront part à aucune concertation tant que l’exécutif n’aura pas prêter attention à la colère populaire contre sa réforme des retraites.


 


 

Les sentinelles du mouvement social

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Mobilisations Sécuriser, soigner, plaider… À l’heure où se durcit la répression de la contestation de la réforme des retraites, nombreux sont ceux qui donnent de leur temps pour garantir le bon déroulé des manifestations. Un appui solidaire précieux.

Voilà désormais un rituel immanquable, les syndicats en sont sûrs, pour des millions de travailleurs. Ce jeudi, les représentants des salariés appellent, pour la onzième fois depuis janvier, les Français à se mobiliser largement contre la réforme des retraites en faisant grève et en manifestant dans les rues. Au lendemain de l’échec de la réunion entre Élisabeth Borne et l’intersyndicale, et une bonne semaine avant la décision du Conseil constitutionnel, qui pourrait décider de censurer le texte, les raisons de battre le pavé sont nombreuses. Si la détermination des 70 % de Français et 90 % de salariés opposés à la réforme du gouvernement sur les retraites reste intacte, les mobilisations des dernières semaines ont été entachées d’un durcissement de la réponse policière. Dès lors qu’a été appliqué le 49.3, le 23 mars, les gardes à vue arbitraires se sont multipliées et les violences policières ont émaillé les rassemblements, blessant parfois gravement les manifestants.

Face à la force de cette réponse répressive, certains ont décidé, souvent bénévolement, de donner de leur temps pour garantir à tous les meilleures conditions pour exprimer leur mécontentement contre la réforme. Qu’il s’agisse de sécuriser les manifestations, de porter secours aux personnes blessées au cours des rassemblements ou de fournir une assistance juridique aux gardés à vue ou déférés, les salariés mobilisés peuvent compter sur des centaines de protecteurs du mouvement social.


 


 

Manœuvres

Laurent Mouloud sur www.humanite.fr

Depuis quinze jours, Gérald Darmanin déploie, avec une gourmandise inquiétante, tout l’arsenal de la surenchère sécuritaire. Pendant qu’Élisabeth Borne joue la montre en recevant – pour la forme – les syndicats à Matignon, l’ambitieux ministre de l’Intérieur, lui, endosse le rôle du pompier pyromane. Avec un zèle déplorable, il matraque l’espace public de ses formules incendiaires empruntées à l’extrême droite, fait assaut d’une mauvaise foi patente pour couvrir les violences policières, ignore les millions d’opposants à la réforme des retraites en agitant le mistigri du « terrorisme d’ultragauche ». Une stratégie de la tension bien huilée que le locataire de la place Beauvau a encore déroulée, mercredi, devant les parlementaires, allant jusqu’à envisager – dans une énième provocation – la remise en cause des subventions allouées à la Ligue des droits de l’homme. Tout un symbole.

Ces manœuvres sont pathétiques. Gérald Darmanin ne tire, malheureusement, aucune leçon des gilets jaunes et des multiples gueules cassées. Enferré dans un déni irresponsable, il balaie toute idée de révision de la doctrine du maintien de l’ordre à la française, dont une pléiade d’associations et d’observateurs (Défenseure des droits, Conseil de l’Europe, Nations unies…) pointent pourtant le caractère disproportionné et antidémocratique. Cette dérive lui passe au-dessus du képi. Pour cause. Sa priorité à lui n’est pas d’organiser la désescalade de la violence, l’encadrement raisonné des cortèges. Mais, bien au contraire, de criminaliser cette lutte sociale à coups d’arrestations préventives et de tonfa pour mieux en masquer le caractère profondément politique et les revendications.

La réponse à ce processus répressif se joue, pour partie, dans la mobilisation d’aujourd’hui. Son ampleur et sa constance sont la meilleure arme à opposer à un exécutif aux abois qui rêve d’étouffer le débat public par le mépris et par la poigne.

  publié le 4 avril 2023

Le gouvernement n’en a
pas fini avec la mobilisation

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que l’intersyndicale ira parler des retraites à la première ministre, la mobilisation continue. Jeudi 6 sera la prochaine journée d’action.

Toujours des grèves

Les grèves reconductibles se maintiennent dans plusieurs secteurs en cette douzième semaine de mobilisation contre la réforme des retraites. Dans les industries électriques et gazières, dans les raffineries – malgré de nouvelles réquisitions – dans le ferroviaire même si elle a faibli, dans l’aviation civile, où chaque jour 20 % des vols sont annulés dans plusieurs aéroports, dont celui d’Orly. De même, malgré la reprise du travail des éboueurs à Paris, la filière déchet reste très perturbée dans plusieurs communes, mais aussi en Île-de-France avec des mouvements qui se poursuivent sur plusieurs sites. Jeudi, l’ensemble des salariés et des fonctionnaires sont appelés à se mettre en grève pour la onzième journée de mobilisation contre la réforme.

 Tous les jours des actions

 Ce mardi, comme chaque jour depuis le 7 mars, des actions et des blocages ont eu lieu sur l’ensemble du territoire affectant des secteurs divers. Un blocage à la raffinerie de Feyzin a été délogé par la police ce matin. Des opérations villes mortes étaient programmées à Nantes et Grenoble, avec plusieurs actions touchant les infrastructures de transport. D’autres blocages routiers ont eu lieu à Saint-Brieuc ou au Mans par exemple. Le secteur de la logistique a également été visé à Bourges et un entrepôt Amazon bloqué à Amiens. La Filière déchet reste mobilisée à Nantes, en région parisienne, à Niort comme à Toulouse, où collecte et centres d’incinération ont été affectés par des blocages. Des coupures de gaz ou de courant ont aussi eu lieu dans la journée dans les Alpes-Maritimes ou à Bordeaux.

Du côté de la jeunesse, plusieurs lycées étaient encore bloqués ce matin, notamment au Havre ou à Albertville, alors qu’à Paris une manifestation s’est déroulée cet après-midi à l’appel d’une coordination nationale étudiante. En Ardèche, la contestation a pris une forme inédite dans un collège où les parents ont refusé d’envoyer leurs enfants en classe. Résultat : 60 % des élèves absents.

 Les éboueurs parisiens de nouveau en grève à partir du 13 avril

A Paris, la CGT FTDNEEA, qui regroupe notamment les éboueurs et les égoutiers, a déposé un nouveau préavis de grève à partir du 13 avril. Le syndicat avait suspendu la grève le 29 mars, après plus de 20 jours. « Nous n’avons presque plus de grévistes », concédait-il. Mais le mouvement continue sous une autre forme, puisque des actions ont régulièrement lieu pour perturber le bon fonctionnement du secteur. Ce 4 avril, deux des trois incinérateurs de déchets ont été bloqués. A Aubervilliers, Ivry-sur-Seine ou Romainville, les camions-bennes sont sortis de leur garage avec plusieurs heures de retard, grâce à des blocages total ou filtrant.

 Solidarité internationale

La Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) appelle au blocage du dépôt Total d’Anvers jeudi 6 avril, date de la prochaine journée de mobilisation nationale en France contre la réforme des retraites.« Le groupe TotalEnergies se vante de livrer du carburant en provenance de Belgique vers la France, ce qui n’arrive jamais d’habitude », explique le syndicat qui dénonce « des tactiques de briseurs de grève » de la multinationale.


 


 

Le tribunal suspend l’arrêté de la préfecture de police de Paris interdisant les manifestations non déclarées : une victoire pour la liberté de manifester !

sur : https://www.ldh-france.org/

Communiqué commun LDH, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale Solidaires

Depuis le 24 mars, la préfecture de police de Paris prend quasiment quotidiennement des arrêtés d’interdiction de manifester, couvrant l’essentiel de la ville, dissimulés en fonction des jours par :

un affichage illisible devant la préfecture ;

des publications sur des sites internet différents ;

des mises en ligne après le début de la période d’interdiction, voire le lendemain.

Cette stratégie visant à empêcher les justiciables d’en prendre connaissance et de les contester a porté ses fruits : multiples verbalisations, rejet à deux reprises des référés initiés par le Syndicat des avocats de France (Saf), la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale Solidaires, en raison de l’impossibilité pour le juge administratif de se prononcer à temps.

Pour la première fois, un arrêté a été publié le 1er avril 2023, dans un délai permettant au juge des référés du tribunal administratif de Paris de statuer à temps.

Le juge administratif constate son caractère manifestement illégal portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux et ordonne sa suspension.

Le Saf, la LDH, le SM et l’Union syndicale Solidaires demandent à la Préfecture de police d’en tirer les conséquences en cessant ces atteintes à la liberté de manifester et au droit à un recours juridictionnel effectif.

La liberté de manifester est un droit fondamental démocratique : nous ne laisserons pas l’autorité préfectorale la piétiner !

Paris, le 3 avril 2023

 

  publié le 1° avril 2023

Ex-GM&S. Des tigres dans le moteur de la lutte sociale

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Six ans après leur épique combat contre le dépeçage de l’usine creusoise, l’avenir reste incertain pour les rescapés du site mais ils ne lâchent rien. Les salariés du sous-traitant automobile, rebaptisé LSI, mènent leurs anciens donneurs d’ordres devant les tribunaux. L’« HM » les a rencontrés à la veille d’une journée d’action contre la réforme des retraites.

La Souterraine, envoyée spéciale

À deux pas de l’entrée de l’usine LSI, un tas de cagettes en bois et de pneus ne demande qu’à s’embraser. Chez le sous-traitant automobile basé à La Souterraine (Creuse), ex-GM&S, la colère semble juste en sommeil. « On a mis ce futur brasero ici en prévision d’une montée de température, explique malicieusement Jean-Marc Ducourtioux, technicien d’atelier, assis sur le canapé du local syndical CGT. Se battre, c’est dans notre ADN. » En ce moment, c’est la réforme des retraites qui active les troupes.

À la veille de la manifestation du 23 mars à Guéret, l’heure est aux préparatifs : acheter de quoi faire des litres de café, des kilos de merguez, etc. Car les salariés ont leur rituel : « C’est barbecue automatique », rit Dominique Pelletier, employé au contrôle qualité et élu CGT au CSE.

Jean-Marc Ducourtioux rebondit : « On en a tellement mangé pendant notre combat, jusqu’à quatre fois par semaine, que j’ai ensuite fait une cure de désintoxication pendant trois ans ! »

Opérations coups de poing les 7 et 23 mars

Dans ce haut lieu de la lutte sociale, les souvenirs affleurent. Au tout début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, en 2017, les ouvriers de GM&S avaient fait parler d’eux en menaçant de faire sauter leur usine. Après des mois de mobilisation pour sauver leurs emplois, ils avaient percé le mur du silence.

Partout en France, ils s’étaient déplacés pour bloquer certaines entreprises des donneurs d’ordres Renault et PSA. Sur le site automobile de Sept-Fons dans l’Allier, le filtrage fut tellement efficace que la marchandise a dû être acheminée en hélicoptère. Des engins volants que l’on retrouve sur l’affiche du documentaire « On va tout péter », réalisé par Lech Kowalski, qui retrace leur bataille exemplaire (1).

« Il y a aussi une BD et un livre qui racontent notre histoire. Mais c’est vrai que, quand nous sommes allés au Festival de Cannes, en 2019, et que nous avons vu notre film projeté, j’ai lâché une larme », s’émeut Jean-Marc Ducourtioux, avant d’ajouter : « On a su se faire entendre, ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on ne peut pas avoir une grande gueule ! » Comme 156 autres salariés, le délégué CGT avait pourtant été licencié en 2017. Mais il a pu être réintégré en 2021, chez LSI (La Souterraine Industry), sur décision du tribunal administratif, après l’annulation définitive du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) par le Conseil d’État.

Avant le traumatisme des suppressions de postes, les ouvriers avaient rivalisé de créativité. « Nous avions un tableau où nous notions nos idées d’action et un autre, avec de fausses informations, que l’on mettait en avant quand les gendarmes venaient jeter un œil », sourit Dominique Pelletier. En même temps qu’il se remémore cette anecdote, il s’aventure dans un atelier rempli de presses à souder abandonnées depuis le plan social. Conscient du gâchis, il ne cède pas pour autant à la nostalgie. « C’est passé. En ce moment, on est dans la réforme des retraites ! tranche-t-il. On aimerait bien accentuer la pression sur le gouvernement. On en a marre de juste faire le petit tour de la ville de Guéret, et basta ! Notre technique de se poser à un endroit stratégique et d’y rester avait plutôt bien marché, en 2017. » Le 23 mars, ils ont donc bloqué un rond-point de la préfecture de la Creuse. À chaque fois, les ex-GM&S, en experts de la mobilisation sociale, sont les moteurs des initiatives coups de poing aux alentours. « Le 7 mars, on a bloqué la circulation sur la RN145, au niveau de La Croisière, où des milliers de camions passent par jour. On a aussi mené une opération escargot entre La Souterraine et Gouzon. Nous donnons l’impulsion et d’autres nous rejoignent. Il faudrait encore pousser : s’allier avec les militants de la Haute-Vienne et bloquer l’autoroute A20 qui mène à Toulouse », réfléchit à haute voix Dominique Lacherade, élu CGT au CSE.

« On est obligés de se battre »

Sur les 99 salariés de LSI, une trentaine est en mouvement contre ce texte de loi. Si les bonnes blagues fusent, tous sont sur la même longueur d’onde quand il s’agit de hausser le ton : « Il faudrait réussir à stopper l’économie. On pourrait aussi envisager de monter à Paris pour qu’on nous voie, avance Dominique Pelletier, qui a été de toutes les dernières actions en grève et en heures de délégation syndicale. D’autres collègues participent également en fonction de leurs horaires de travail », note-t-il, tout en pointant au passage « les oui-oui et les anguilles » qui ne manifestent pas au sein de l’usine. Avec une moyenne d’âge de 56 ans, une majorité d’entre eux seraient rapidement impactés par cette réforme. D’autant que l’avenir de LSI est incertain. À la pause-déjeuner, Thierry Dufour, employé au contrôle qualité et élu CGT, résume la situation : « On vivote depuis la reprise. GMD (le repreneur) nous a toujours dit qu’il ne voulait pas investir un centime ici et que nous n’aurions pas de nouveaux projets. Nous avons du vieux matos et on ne produit que des anciennes pièces de voiture », résume-t-il alors que le tarif des matières premières a explosé mais que le prix des pièces, lui, n’aurait pas augmenté. En ce moment, la société dégage environ 12 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, mais aurait besoin de 17 à 18 millions pour être rentable, selon le syndicat.

De nouveaux nuages viennent assombrir ce ciel lourd. Début 2024, LSI perdrait la production d’un carter d’huile qui génère 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. « En janvier, nous avons aussi découvert qu’un bouchon que nous avons développé et que nous produisons pour Air Liquide allait être fabriqué en partie ailleurs », poursuit Dominique ­Lacherade. Surnommé « Charlot » par ses collègues pour son côté gouailleur, Gilbert Aucharles n’a plus du tout envie de blaguer : « C’est révoltant, on ne laissera pas faire ça ! » Malgré l’usure, pas question de regarder l’entreprise mourir en restant les bras croisés. En 2022, le site a obtenu in extremis 4 millions d’euros de la part de Bercy. Mais ensuite ? « Ils ne voulaient pas que l’on remette le bordel, analyse ­Dominique Pelletier. On est obligés de se battre, sinon on va aller bosser où ? chez Rioland, le maroquinier (qui vient de s’établir dans la Creuse – NDLR) ? Ça ne suffira pas pour recaser tout le monde. Nous sommes nombreux à être proches de la retraite et à pouvoir partir plus tôt en “carrière longue”. Si on veut en bénéficier, il ne faut pas rester plus d’un an au chômage », anticipe-t-il alors que la durée d’indemnisation des seniors a été réduite par une précédente réforme. D’autres rêvent même d’une nouvelle reprise pour enfin sortir la tête de l’eau.

Tous savent que, pour les 157 laissés-pour-compte du PSE de 2017, la suite a été compliquée. Une cinquantaine d’entre eux sont toujours dans la précarité et une dizaine, en très grande difficulté. Dans le secteur, l’emploi industriel ne court pas les rues. « Un collègue est décédé d’un cancer, à 54 ans, dans la misère la plus totale, soupire Gilbert Aucharles, employé à la maintenance et retraité dans quelques jours. Il était seul. On passait le voir et on essayait de l’aider. Un autre est resté bloqué psychologiquement. Il est assis toute la journée au bout de sa table, à taper du poing. » L’association de soutien et de défense des ex-GM&S fait ce qu’elle peut, donnant des coups de pouce financiers et récoltant de l’argent pour les procédures en justice. « Ça permet de garder le lien avec les anciens et de se mobiliser pour sauver LSI. C’est aussi un lieu d’échange », précise Vincent Labrousse qui la préside et travaille désormais dans une imprimerie.

Une solidarité en acier

Pour Christian Bourroux, tout juste retraité, le passage par la case chômage a été un choc. Le dynamique sexagénaire, également pompier volontaire, ne mâche pas ses mots : « C’était la panade. J’ai envoyé énormément de CV, un seul employeur m’a répondu. J’ai été recruté mais ce n’est pas facile de se couler dans un autre poste quand on est resté plus de trente-cinq ans au même endroit, avec une certaine façon de s’organiser. Je n’ai pas très bien vécu ma fin de carrière », témoigne ce futur grand-père qui a participé à toutes les manifestations contre le recul de l’âge légal à 64 ans.

Jean-Pierre Momaud, 62 ans, continue lui aussi à battre le pavé. Volontaire pour partir en 2017, il pensait ensuite pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée, compte tenu de son incapacité de 35 % à la suite d’un accident du travail quand il travaillait dans une mine de fluorine. Mais, une fois quittés les murs de GM&S, ce fut la douche froide : ce droit était remis en cause. « J’ai passé trois ans au chômage. Après, j’ai été pris en intérim chez LSI et j’ai été recruté aux espaces verts d’une commune. J’aurais préféré partir plus tôt. Après des années passées dans l’humidité de la mine et du travail posté, je ne l’aurais pas volé ! » assure celui qui apprécie de retrouver ses anciens collègues autour d’un gueuleton ou d’un café. Ces épreuves ont forgé un esprit de famille. Les boutades permanentes sont le reflet d’une solidarité en acier. Sur les murs du local syndical trônent d’ailleurs des caricatures humoristiques relatant leur épopée, mais aussi des photos de Yann Augras, le délégué syndical CGT, figure de la lutte passée, décédé dans un accident de voiture en 2020.

La bagarre continue aujourd’hui, devant la justice. En mode David contre Goliath, 118 ex-GM&S ont assigné Renault et PSA (Stellantis) pour avoir asséché leurs carnets de commandes. Le délibéré sera rendu le 23 mai. « Depuis 2014, on sait qu’ils avaient “doublé” (fait produire ailleurs – NDLR) nos pièces, expose Gilbert Aucharles. On ne va peut-être pas gagner, mais on est déterminés à les embêter. Nous sommes un des premiers prestataires à les avoir attaqués. Nous attendons aussi de pouvoir représenter notre projet de loi devant l’Assemblée et le Sénat (avec le soutien du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste – NDLR) destiné à responsabiliser les donneurs d’ordres vis-à-vis des sous-traitants. » Une procédure visant Altia, leur ancien actionnaire entre 2009 et 2014, et des dossiers d’indemnisations devant les prud’hommes sont également en cours. Si tous sont sommés de rester aux aguets pour défendre leurs droits et maintenir leurs jobs, la flamme est prête à se rallumer à tout moment.

(1) Un livre-DVD du film vient de sortir. Pour le commander : www.lechkowalski.com/fr/shop/items ou par e-mail à l’éditeur odileallard@me.com

 

publié le 31 mars 2023

Sophie Binet
à Emmanuel Macron :
« Nous ne lâcherons rien »

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

La nouvelle secrétaire générale de la CGT, élue vendredi à Clermont-Ferrand, a averti d’emblée le chef de l’État et la première ministre de la détermination intacte de son syndicat à obtenir le retrait de la réforme des retraites. Elle s’est félicitée que sa centrale ait réussi à se rassembler au terme d’un congrès difficile, en « évitant l’éruption sur cette terre volcanique », a-t-elle déclaré.

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), envoyée spéciale.

Les yeux fatigués, emplies d’émotion, un dernier souffle avant d’arriver à la tribune du congrès. Forte des encouragements des mille délégués, soutenue par l’exécutif nouvellement élu en appui derrière elle, la nouvelle secrétaire générale de la CGT n’était pas seule pour vivre ce moment. Sophie Binet s’est élancée au pupitre. Vendredi, ses premiers mots ont été pour les congressistes. « À tous les délégués qui ont vécu un congrès difficile, nous avons su, par notre sens de responsabilité collectif, sortir avec une CGT largement rassemblée. (…) Sur cette terre volcanique, la CGT a évité l’éruption », a-t-elle lancé. Ce congrès, « au cœur du mouvement social qui dure depuis deux mois et demi », restera dans les annales. Il marquera aussi les esprits par sa « violence qui n’a pas sa place dans les rapports militants », a regretté la première femme élue à la tête de la centrale, avant d’appeler à travailler pour « retrouver des relations apaisées, pacifiées » et faire du « militantisme un havre de paix, de ressourcement pour retrouver les forces face aux attaques du capital ».

Sophie Binet s’est aussi placée comme la garante des orientations de la CGT, votées jeudi à plus de 70 %, et du renforcement du syndicat. À ce titre, elle envisage de lancer une « grande campagne de syndicalisation » pour permettre « à la CGT de franchir un cap ». Dans sa feuille de route, Sophie Binet a particulièrement insisté sur les enjeux environnementaux, autour d’un plan de reconquête et de transformation industrielle. « Nos orientations (sont) claires sur la question environnementale et sur les questions sociales, parce que la marque de fabrique de la CGT est d’être capable de porter au même niveau l’environnement et le social, la fin du monde et la fin du mois, et de sortir des oppositions délétères, stériles entre le social et l’environnemental, a-t-elle développé. Il nous faut travailler à partir de ce que nous savons faire, c’est-à-dire partir (de la question) du travail. » La secrétaire générale a également insisté sur les enjeux du féminisme, en citant notamment l’égalité femme-homme ou la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : « La CGT a su être précurseure. Ces questions ne peuvent être secondaires ».

Philippe Martinez salué pour avoir réussi à faire élire une femme à la tête de la CGT

Dans cette volonté d’apaisement et de rassemblement de l’organisation, Sophie Binet n’a pas oublié de remercier le secrétaire général sortant, Philippe Martinez et « ses moustaches célèbres ». « On dit même qu’un certain nombre de personnes se syndiquent pour ces moustaches », s’est-elle amusée devant les congressistes. Avant de louer sa réussite pour « être parvenu à amener pour la première fois une femme à la tête de la CGT ». La nouvelle secrétaire générale a également tendu la main aux autres postulants à la fonction de numéro un de la centrale syndicale. À commencer par Marie Buisson, candidate proposée par Philippe Martinez, qui n’est pas parvenue à s’imposer. « Marie a vécu des choses dures, violentes. Je tiens à te dire que tu pourras compter sur l’organisation pour les mois et les années à venir », a déclaré Sophie Binet. Puis elle s’est adressée à Olivier Mateu, secrétaire de la CGT des Bouches-du-Rhône, en vantant son « apport déterminant à la lutte et à l’élévation du rapport de force ».

Les deux pieds dans la bataille des retraites, Sophie Binet s’est ensuite tournée vers les congressistes, en commençant par les féliciter pour leur « lutte historique », dans laquelle les militants ont mis « la CGT et le syndicalisme à la place qui est la (leur) ». Puis le ton a changé lorsque la responsable, jusqu’à ce vendredi, des cadres, ingénieurs et techniciens de la CGT a adressé « un message fort, déterminé » à Emmanuel Macron : « Nous ne lâcherons rien, à commencer par notre exigence de retrait de cette réforme. Il n’y aura pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation. On ne reprendra pas le travail tant que cette réforme ne sera pas retirée ». C’est dans cette optique que la secrétaire générale a fixé son agenda pour la semaine prochaine. Le 5 avril, avec ses homologues de l’intersyndicale, Sophie Binet sera au rendez-vous avec Élisabeth Borne : « Nous irons, toute l’intersyndicale unie, pour exiger le retrait de cette réforme, ce qui nous permettra de passer enfin aux vraies priorités. Parce qu’il ne s’agit pas de répondre à un déficit budgétaire qui n’existe pas, mais d’augmenter les salaires ». Puis, si « la réforme n’est pas retirée », Sophie Binet a appelé « à une marée déferlante dans tout le pays » le 6 avril, prochaine journée d’action interprofessionnelle décidée par l’intersyndicale.


 


 

Menaces d’extrême-droite contre la CGT
du bassin de Thau

sur : https://lepoing.net

Des menaces téléphoniques pro-RN ont été proférées à l’encontre de l’Union Locale Bassin de Thau ce mercredi 29 mars. La structure syndicale dénonce une extrême-droite qui révèle son vrai visage, celui d’un ennemi des travailleuses et travailleurs.”

Lors d’une réunion tenue ce mercredi 29 mars dans les locaux de l’UL CGT Bassin de Thau, des coups de fil menaçants ont été passés aux syndicalistes. ”On vous soutient dans votre mouvement contre la réforme des retraites, mais ceci ne serait pas arrivé si vous aviez appelé à voter pour la bonne personne au second tour”, déclare dans un premier temps l’auteur du coup de téléphone, encore inconnu des syndicalistes à ce stade.  Avant que le ton ne monte, rapidement, vers des menaces beaucoup plus directes. ”On va venir tout casser par chez vous”, poursuit l’homme.

Peu précautionneux, celui-ci n’avait pas pris soin de masquer son numéro avant l’appel, et a pu donc être identifié par les syndicalistes présents dans les locaux grâce à un simple annuaire. Il s’agit d’un patron d’une boîte de BTP.

Arnaud Jean, secrétaire de l’Union Locale CGT Bassin de Thau, contacté par Le Poing, a tenu à réagir à ce petit incident : ”A l’Union Locale, on est prêts à recevoir la visite de n’importe quel facho, sans inquiétudes. Ces gens là ne partagent pas nos valeurs. Les connaissant, on sait très bien qu’ils ne viendront pas, ça va finir par des tags ou des dégradations sur nos locaux. Ça peut paraître anodin ce genre d’incident, mais ça ne l’est pas. L’extrême-droite s’était jusqu’ici faite très discrète autour du bassin de Thau depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites, très gênée et paralysée dans son hypocrisie. Cet appel est un révélateur de la vraie nature de l’extrême-droite, quoi qu’elle en dise : des ennemis des travailleuses et des travailleurs. Quand ceux-ci se lèvent dans un puissant mouvement social pour défendre leurs droits, elle ne le supporte pas.”


 


 

Retraites. En Seine-Maritime, « l’addition de nos actions fait notre force »

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

En Seine-Maritime, l’intersyndicale alterne les formes de mobilisation. Décryptage avec Cyril Dhaussy, de la CGT mines-énergies.

L’assemblée générale des salariés de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher a voté jeudi la reconduction de la grève jusqu’au lundi 3 avril. Un vote soutenu par plusieurs centaines de travailleurs des entreprises du Havre, réunis devant le site de TotalEnergies. Cyril Dhaussy, militant de la CGT mines-énergies à l’initiative du rassemblement, explique la stratégie de l’intersyndicale de Seine-Maritime pour faire durer le mouvement social.

Quelle utilité a ce rassemblement par rapport aux journées nationales de mobilisation ?

Cyril Dhaussy : L’objectif premier était d’apporter un soutien massif aux salariés de la raffinerie en grève. Le second était de remettre la lumière sur ce mouvement social qui ne faiblit pas, mais au contraire s’accentue grâce aux différentes formes qu’il prend. Il y a bien sûr les journées de grève et de manifestations. Les deux dernières ont réuni entre 45 000 et 50 000 personnes au Havre. Mais il y existe aussi, entre ces temps forts, toute une organisation moins visible mais tout aussi importante. En arrêtant l’activité, les travailleurs du pétrole, de l’énergie, les cheminots, les portuaires, les dockers, les éboueurs… tous ces salariés pèsent sur l’économie. La résistance à l’immobilisme de Macron sur la question des retraites est en marche. Et elle est très bien organisée !

Comment fonctionne-t-elle ?

Cyril Dhaussy : Cela fait deux mois que tous ces salariés, ces métiers, agissent en cohérence et synchronisent leurs actions. Concrètement, nous nous voyons entre syndicats tous les jours pour définir nos modes d’action. Cette semaine, par exemple, les salariés de la CIM, société de stockage des hydrocarbures et de services pétroliers, n’ont sorti aucune goutte de kérosène, ni d’essence ou de gazole. Mardi, les raffineurs ont pris le relais. Mercredi, les portuaires ont organisé une journée port mort. Le courant de l’usine Bolloré Logistics a aussi été coupé. Et notre action devant la raffinerie TotalEnergies de Normandie a montré le soutien des salariés de Safran et d’une vingtaine d’autres entreprises de l’agglomération havraise à tous ces secteurs en grève. Chacun a, à son échelle, conscience du rôle qu’il peut jouer.

Tout cela en intersyndicale ou seulement entre fédérations de la CGT ?

Cyril Dhaussy : En intersyndicale. Mais il est sûr que chacune de ces composantes apporte ce qu’elle sait faire. Certaines sont extrêmement présentes lors des journées de manifestations. Pour les actions de blocage de l’économie, les fédérations CGT sont en revanche plus représentées. C’est cette addition de formes de mobilisation, très organisées et coordonnées, qui fait notre force.

Comment évaluez-vous l’efficacité de cette stratégie ?

Cyril Dhaussy : Notre première victoire réside dans le fait que les salariés ont bien compris que si le gouvernement reste sourd au mouvement social, il est en revanche très à l’écoute des intérêts économiques du capital. Or, celui-ci commence à ressentir les conséquences de nos mobilisations. C’était le sens de la coupure d’électricité sur le site de Bolloré. Les travailleurs ont compris que l’oligarchie s’immisce de plus en plus dans les processus de décision gouvernementale. En la ciblant, on oblige le gouvernement à prendre en compte la contestation sociale.

Les réquisitions judiciaires de personnel dans les raffineries ne mettent-elles pas en échec votre stratégie ?

Cyril Dhaussy : On sait bien qu’en face, le gouvernement et l’oligarchie disposent d’outils pour imposer leur réforme. Ils se servent des réquisitions comme des violences policières. Nous contestons à chaque fois en justice ces réquisitions.

Avez-vous une idée des pertes économiques liées aux grèves ?

Cyril Dhaussy : Le PIB journalier de la France se situe aux alentours de 10 milliards d’euros. Si nos blocages permettent de le diminuer de 5 ou 6 milliards, nous ferons mal au capital. On sait que la répartition des blocages n’est pas homogène sur le territoire et que certains pèsent plus que d’autres. Quand les ports du Havre ou de Marseille sont à l’arrêt, le poids de cette paralysie se fait davantage ressentir.

Jusqu’à quand pouvez-vous tenir ?

Cyril Dhaussy : Jusqu’à la gagne ! Jusqu’au retrait ! Dans l’esprit des salariés rassemblés ce jeudi, la décision du Conseil constitutionnel sur la recevabilité de la réforme des retraites, attendue le 14 avril, ne représente même pas une étape. S’il y a une attente, c’est sur le référendum d’initiative partagée. Les salariés sont prêts à s’engager à fond.

Les pertes de salaires liées aux jours de grève ne jouent-elles pas contre la mobilisation ?

Cyril Dhaussy : On sait bien que la situation financière individuelle est notre talon d’Achille. Mais, là encore, l’intersyndicale travaille et se coordonne depuis deux mois. L’organisation collective des mobilisations et des caisses de grève nous permet de dire que le mouvement social peut encore durer longtemps.

  publié le 30 mars 2023

Invitation d’Élisabeth Borne : l’intersyndicale sur ses gardes

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Les syndicats envisagent de répondre favorablement à la rencontre proposée par la première ministre, à condition que la réforme soit au menu des discussions.

Pour la première fois depuis le début du mouvement social, le 19 janvier, l’exécutif ouvre la porte à une rencontre avec les représentants de l’intersyndicale, après en avoir fermé beaucoup d’autres. Par de brefs e-mails envoyés mardi 28 mars, la première ministre, Élisabeth Borne, a fait savoir qu’elle était prête à recevoir les organisations syndicales en début de semaine prochaine, lundi, mardi ou mercredi.

« Aborder l’ensemble des sujets »...mais pas le report à 64 ans

L’ordre du jour de cet entretien n’a pas été précisé. «  Les organisations syndicales pourront aborder l’ensemble des sujets qu’elles souhaitent », ont assuré des proches de Matignon cités par BFM. Pourtant, des membres de la majorité qui se sont chargés mercredi matin du service après-vente de la proposition gouvernementale ont expliqué que le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite ne serait pas au programme.

«  C’est le cœur de la réforme, sur lequel, depuis le départ, il n’y a pas d’accord », a justifié sur Public Sénat le ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, appelant à «  ne pas se focaliser sur les sujets où on n’est pas d’accord » et à parler plutôt du «  travail », de la «  pénibilité » ou des «  reconversions ». « Les 64 ans sont dans le texte, (…) on ne peut pas changer de ligne à ce point », a confirmé François Bayrou, président du Modem, sur le plateau de France 2.

« Une nouvelle preuve de l’enfermement du gouvernement dans ses certitudes »

Un discours qui passe mal auprès de l’intersyndicale, alors qu’une dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé, mardi 28 mars, «  plus de deux millions de personnes » dans les rues, selon la CGT, et que le mouvement social est toujours massivement soutenu par l’opinion publique dans les sondages.

 «  Si on pense qu’on peut parler d’autre chose que de la mesure d’âge, on ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe actuellement dans ce pays. C’est grave, et c’est une nouvelle preuve de l’enfermement du gouvernement dans ses certitudes », alerte le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste. «  En plein conflit social, c’est complètement irréaliste de penser qu’on puisse parler d’autre chose que de la réforme des retraites », confirme Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires.

En l’absence d’ordre du jour figé, les organisations syndicales envisagent cependant de répondre favorablement à l’invitation de la première ministre. «  On ira. On pense collectivement qu’on doit y aller pour faire entendre nos propositions », a indiqué dès mardi Laurent Berger. Et le secrétaire général de la CFDT de prévenir : «  J’en parlerai (de la réforme des retraites). Et si on me dit “vous ne pouvez pas en parler”, alors on partira » 

«  Oui pour y aller, mais à condition de parler retraites » : la CFTC et la FSU, entre autres, sont sur la même ligne. Du côté de Solidaires, Murielle Guilbert annonce une «  consultation » interne et souligne que «  la logique est toujours d’avancer en intersyndicale, avec l’objectif d’un retrait de la réforme ».

Quant à la CGT, sa décision est suspendue le temps du congrès confédéral, qui s’est ouvert lundi à Clermont-Ferrand et s’achèvera vendredi. «  La direction sortante ne s’exprimera pas. Ce sera à la nouvelle direction issue du congrès d’en décider », nous a fait savoir Angeline Barth, membre du bureau confédéral sortant. Rencontre avec Élisabeth Borne ou pas, l’intersyndicale a d’ores et déjà annoncé une onzième journée de mobilisation, jeudi 6 avril.

  publié le 29 mars 2023

Retraites :
le gouvernement s’entête, la détermination reste

Nejma Brahim, Cécile Hautefeuille et Karl Laske sur www.mediapart.fr

La participation à la dixième journée de mobilisation est en baisse par rapport au 23 mars, mais elle reste élevée partout en France. L’intersyndicale appelle à une onzième journée d’action le 6 avril, alors que l’exécutif demeure inflexible. La médiation proposée par l’intersyndicale a été sèchement refusée. Mais Matignon lui a lancé une invitation la semaine prochaine, sans plus de détails.

Un recul mais pas un gros décrochage. Si la mobilisation a incontestablement décliné par rapport aux chiffres historiques des rassemblements « post 49-3 », elle revient à des niveaux, déjà remarquables, constatés en janvier puis février. Et elle témoigne d’un mouvement qui ne lâche pas, même après deux mois et demi de bataille.

Mardi 28 mars, la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites a rassemblé 740 000 personnes partout en France, dont 93 000 à Paris, selon le ministère de l’intérieur. La CGT avance deux millions de manifestant·es, dont 450 000 à Paris.

Lors de la précédente journée, le 23 mars, la CGT avait revendiqué 3,5 millions de manifestant·es en France. À Paris, la préfecture de police avait recensé 119 000 personnes soit le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Les 93 000 personnes recensées ce mardi sont donc loin de traduire un essoufflement.

Et la bagarre n’est pas terminée. L’intersyndicale appelle ce soir à une nouvelle « grande journée » d’action le jeudi 6 avril. Par la voix des deux représentants de Solidaires, Murielle Guilbert et Simon Duteil, elle invite aussi « les travailleurs, les jeunes et retraités » à « des rassemblements de proximité » le week-end prochain.

« L’absence de réponse de l’exécutif conduit à une situation de tension qui nous inquiète fortement », a lancé la co-déléguée générale de Solidaires. Car le pouvoir reste inflexible, voire provocateur. Avant même que les premières manifestations ne s’élancent, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a en effet donné le ton : le gouvernement ne bougera pas, quelle que soit la mobilisation.

Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue !

Dans la matinée, des membres de l’intersyndicale, Philippe Martinez et Laurent Berger en tête, avaient appelé à mettre la réforme « en pause » pendant « un mois, un mois et demi », pour sortir de la crise par le biais d’une médiation. « C’est un choix politique et social qu’il faut faire », avait argué le leader de la CFDT.

Fin de non-recevoir du gouvernement. À la sortie du Conseil des ministres, Olivier Véran a laissé la porte fermée à triple tour à toute conciliation, tout en prétendant le contraire. « On n’a pas besoin de médiation pour se parler, on peut se parler directement », a répondu le porte-parole du gouvernement, ajoutant que « la première ministre se tient à disposition des syndicats ».

Dans la soirée, Laurent Berger annonçait d’ailleurs que la cheffe du gouvernement venait d’inviter l’intersyndicale à Matignon en début de semaine prochaine, sans préciser l’ordre du jour. « On ira. On pense collectivement qu’on doit y aller pour faire entendre nos propositions », a-t-il ajouté. « On a encore besoin d’en discuter en intersyndicale», a nuancé Murielle Guilbert, souhaitant mettre « des conditions avant de s’asseoir à une table ». « Ça nécessite une discussion entre nous au préalable », a également indiqué François Hommeril, président de la CFE-CGC.

Emmanuel Macron, lui, ne parlera pas aux partenaires sociaux avant la décision du Conseil constitutionnel, qui se prononcera d’ici quelques semaines, probablement dans la deuxième quinzaine du mois d’avril. Or, c’est bien au président de la République que s’adressent, depuis le début du mouvement social, les membres de l’intersyndicale unis contre le report de l’âge légal de départ à la retraite.

Mais cette question est un sujet clos pour l’exécutif. Il n’y a rien à négocier sur ce point. Le pouvoir s’installe dans un bras de fer avec les manifestant·es, pariant sur la lassitude, l’épuisement et même le lâchage d’une partie de l’opinion publique. « Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue. […] C’est insupportable que la réponse soit une fin de non-recevoir », a répliqué Laurent Berger en réponse à l’intervention d’Olivier Véran. 

Même le président la Conférence des évêques de France s’en est mêlé. « La crise autour de la réforme des retraites met en question fortement les processus de concertation et de décisions collectives prévus par nos institutions ou, à tout le moins, leur mise en œuvre concrète », a déclaré mardi matin Éric de Moulins-Beaufort.

L’ombre de Sainte-Soline dans le cortège parisien

Le recul du nombre de manifestant·es dans les rues, par rapport au 23 mars, ne manquera pas d’être commenté par les Cassandre qui veulent y voir la fin du mouvement. La mobilisation était ainsi en baisse de près d’un tiers à Rennes (13 600 à 25 000 personnes) et Marseille (11 000 à 180 000, un grand écart classique entre police et CGT ) et de moitié à Montpellier (10 000 à 20 000).

Mais d’autres signaux continuent de s’allumer. La jeunesse, entrée tardivement dans la danse, reste fortement mobilisée. Plus de cinq cents lycées ont été bloqués partout en France, selon la FIDL, le syndicat lycéen qui évoque un chiffre historique. D’ailleurs, et alors que les images de violences policières se multiplient, le ministre de l’intérieur a envoyé un SMS aux préfets, obtenu par Mediapart, pour leur recommander de faire « très attention » aux cortèges syndicaux et aux jeunes.

En début de soirée à Paris, place de la Nation, les affrontements ont repris après la dispersion du cortège vers 19 heures. Les forces de l’ordre ont fait de nombreuses charges et ont évacué la place plus d’une heure et demie plus tard, en la plongeant sous les gaz lacrymogènes. 

Plus tôt, sur le cortège de tête déplumé, en tout cas atone, l’ombre des affrontements et des victimes de la police à Sainte-Soline a pesé silencieusement.  « C’est calme, morbide, ennuyeux », commentait un manifestant dans l’après-midi. Au cœur du rassemblement, on se répétait la rumeur - infondée – selon laquelle un des blessés de Sainte-Soline était « mort au bloc ». Un petit tract signé des « camarades de S. », le militant blessé, a finalement été distribué, précisant que son pronostic vital est toujours engagé. Ce tract appelle à « prendre les rues […] pour S et tous les blessés et les enfermés du mouvement ».

Sur le parcours, des vitrines ont été taguées : « Sainte-Soline, du courage d’un côté, 4000 grenades de l’autre », « Darmanin assassin ». Et des feux allumés au niveau du métro Rue-des-Boulets. Ils ont brûlé longtemps, puis les compagnies d’intervention et les gendarmes ont fait leur apparition aux coins des rues. Ils ont chargé en courant sur le boulevard et la foule s’est agglutinée face aux coups de matraque qui tombaient. De toutes parts, des insultes ont fusé. « Qu’ils me massacrent, j’ai des convictions », a hurlé un homme furieux devant un cordon de policiers.

La grève des éboueurs suspendue à Paris

Dans la capitale, les personnes étrangères, avec ou sans papiers, ont également défilé, comme depuis le début du mouvement, espérant une convergence des luttes dans le contexte du projet de loi immigration à venir. Mamadou, 58 ans, se sent particulièrement concerné par le sujet de la retraite. « Je travaillais de temps en temps, mais ce n’était jamais déclaré. Ça veut dire qu’on ne cotise pas forcément pour notre retraite, ce qui est anormal », dénonce le Malien régularisé un an plus tôt, avec l’aide de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP75), après onze ans de vie en situation irrégulière et de précarité.

Du côté des grèves dans les transports, le trafic SNCF était moins perturbé que lors de la dernière journée de mobilisation avec 60 % des TGV Inoui et Ouigo, un quart des Intercités et la moitié des TER. Le trafic a par ailleurs été fortement perturbé au départ et à l’arrivée de la gare de Lyon à Paris après l’envahissement des voies par des cheminots, en soutien à leur collègue, syndiqué Sud Rail, qui a perdu un œil à cause d’une grenade de désencerclement dans le cortège parisien du 23 mars.

Dans l’Éducation nationale, le ministère a recensé 8,3 % d’enseignants grévistes, tous degrés confondus contre 21,41% lors de la neuvième journée de mobilisation.

À Paris, où les ordures s’amoncellent depuis le 6 mars, la grève des éboueurs et le blocage des incinérateurs seront suspendus dès demain, mercredi 29 mars. Annonce de la CGT qui reconnaît manquer de grévistes et entend « rediscuter avec les agents de la filière déchets et assainissement de la Ville de Paris afin de repartir plus fort à la grève ».

Dans les raffineries, la reconduction de la grève a en revanche été votée jusqu’à jeudi midi à Gonfreville-l’Orcher en Normandie. Le site est à l’arrêt, tout comme les expéditions de la raffinerie de Donges, en Loire-Atlantique. À Feyzin (Rhône), le site fonctionne « en débit réduit », selon la direction citée par l’Agence France-Presse.

Une catastrophe évitée à Frontignan, sur le blocage d’un dépôt

La pénurie de carburants s’accentue et commence à toucher certains départements d’Île-de-France. Dans le Val-de-Marne, 44 % des stations manquent d’au moins un carburant et 37 % dans l’Essonne. Au niveau national, 15,5 % des stations-service sont touchées et près de 7 % sont totalement à sec. Selon l’AFP, le département le plus touché est désormais la Mayenne avec 50 % des stations en pénurie d’au moins un carburant. Haute-Garonne (41 %) et Bouches-du-Rhône (39 %) restent également très impactées.

L’un des plus importants dépôts pétroliers du sud de la France, celui de Frontignan dans l’Hérault, a été bloqué pendant plusieurs heures par une centaine de personnes venues de Sète et Montpellier après les rassemblements du matin. Les camions ne pouvaient ni entrer ni sortir du terminal pétrolier. Dans ses vingt-quatre réservoirs, la capacité de stockage est de 966 000 mètres cubes. Le blocage a provoqué des embouteillages monstres sur les routes alentour.

Comme lors de la neuvième journée de mobilisation nationale, les CRS sont intervenus pour débloquer l’accès au site, en usant de gaz lacrymogène. « Vous en avez marre ? Nous aussi ! », leur a lancé un manifestant. « Allez, mettez-vous en grève avec nous et dans deux jours, c’est fini ! »

Une catastrophe a par ailleurs été évitée de justesse : un feu de broussailles s’est déclenché au bord de la départementale, menaçant directement des habitations.

Il a été rapidement maîtrisé par les pompiers. Les policiers sont accusés par les manifestants de l’avoir déclenché par un tir de grenade lacrymogène. Sur Twitter, la préfecture a vivement réagi, dénonçant de « fausses informations ». Les services de l’État assurent au contraire que des fumigènes ont été retrouvés à proximité immédiate du départ de feu.

« Le reste de fumigène, j’ai vu un policier le ramasser au milieu de la route ! », raconte à Mediapart Sébastien Rome, député LFI de l’Hérault qui était sur place. Il décrit une intervention « totalement désorganisée » avec des CRS qui ont « tiré dans tous les sens » et qui auraient pu provoquer le feu par mégarde. Une hypothèse confirmée selon l’élu par un habitant d’une des maisons menacées.

Dans les rangs des manifestant·es, la colère et la détermination étaient plus que palpables. Guillaume, venu de Sète pour soutenir le blocage, appelle à « encore plus de radicalité ». « J’ai fait tous les cortèges interprofessionnels mais les manifs, je n’y crois plus, explique-t-il. La radicalité. Il n’y a plus que ça qui marche. » Et de conclure, l’air sombre : « Mais le problème, c’est dans quel camp ça va tomber… »

« Tu parles de quoi ? De morts ?, lui demande Philippe, cinéaste et membre de la CGT Spectacle. « Des morts, il y en aura, parce que ce pouvoir est fou. Et parce que la police, dont on sait qu’elle vote surtout pour le Rassemblement national, cherche à provoquer l’explosion sociale », poursuit Philippe, qui a connu ses premières manifs « contre la loi Debré », en 1973.

S’il n’est pas très optimiste quant au retrait de la réforme, il voit dans la mobilisation des dernières semaines des signes prometteurs pour l’avenir. « Les ouvriers commencent à reconquérir leur identité de prolétaire. C’est devenu une lutte anticapitaliste qui fait la jonction avec l’écologie. Les jeunes sont remontés comme des pendules. Il y a quelque chose qui se reconstruit, en positif. »


 


 

À Marseille, « on ne va
pas lâcher maintenant,
après tout ce qu’on a fait »

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Mobilisés depuis des semaines contre la réforme des retraites, les salariés du grand port maritime étaient de nouveau au rendez-vous, mardi. La manifestation a réuni 180 000 personnes, selon les syndicats.

Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyé spécial.

Entrée 2C du port maritime de Marseille, 9 h 30. Des palettes carbonisées, un brasero froid et des tags rouges sur les murs rappellent les multiples mobilisations qui ont perturbé l’activité du site depuis le début du mouvement social.

Pour ce 28 mars, la CGT appelle à une grève de 24 heures, puis à des grèves de quatre heures par jour jusqu’à la fin de la semaine. Et après ? « On ne va pas lâcher maintenant, après tout ce qu’on a fait. Il faut qu’on montre au gouvernement qu’on est capables de s’inscrire dans la durée », énonce Pascal Galéoté, le secrétaire général CGT du Grand Port, pas découragé par l’adoption du texte via le rejet de la motion de censure contre le gouvernement, le 20 mars.

« Le 49.3, c'est limite de la provocation »

Autour de lui, ses collègues sautent dans leur voiture pour rejoindre la manifestation intersyndicale qui part du Vieux-Port, comme de coutume dans la préfecture des Bouches-du-Rhône.

« Le 49.3 (utilisé par la première ministre le 16 mars), c’est limite de la provocation. Quand on voit la manière dont se comporte ce gouvernement, alors que la majorité de la population est contre la réforme, on se demande si on est encore en démocratie », enrage Valentin (1), employé dans les cuisines du port.

Didier, 55 ans, dont plus de trente-cinq passés dans les activités portuaires à travailler en trois-huit, abonde : « On nous impose une réforme injuste sans aucune discussion. » Celui qui exerce désormais le métier de docker du côté de Fos-sur-Mer raconte sa fatigue chronique, ses difficultés à trouver le sommeil et ses conversations avec son médecin, qui lui répète que « le corps n’est pas fait pour travailler la nuit ».

Ils ont perdu le compte de leurs jours de grève : 15 ? 20 ?

« Mais ce n’est pas seulement une question de pénibilité », opposent Philippe et Carine, deux agents portuaires qui ont perdu le compte de leurs jours de grève – 15 ? 20 ? « Il y a une réflexion philosophique à avoir sur la manière dont les travailleurs peuvent disposer de leur temps. Quand on entend qu’on devrait travailler plus parce qu’on vit plus, c’est violent. On veut pouvoir vivre en bonne santé après le travail », exposent-ils.

Un peu avant 11 heures, le précortège des salariés portuaires, fort de quelque 200 personnes, débarque sur le Vieux-Port et se fond dans la foule qui martèle pour la dixième fois son opposition à la réforme des retraites.

Étudiants nombreux et bruyants qui scandent leur détermination au rythme du tambour, salariés de l’énergie qui défilent derrière un camion bleu Enedis sur lequel est monté un militant en surchauffe, manifestants de la CFDT rassemblés derrière une banderole « Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on dit non, on dit non », en forme de clin d’œil à Georges Brassens…

Au total, 11 000 personnes sont présentes, selon la police, et 180 000, selon l’intersyndicale. Un chiffre considérable, mais en nette baisse par rapport à jeudi dernier, quand l’intersyndicale avait annoncé 280 000 manifestants, un record depuis janvier.


 


 

Étudiants et lycéens prennent le relais :
« Les gaz lacrymogènes ne nous arrêteront pas »

Yunnes Abzouz et Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr

Les jeunes étaient présents en nombre pour participer à cette dixième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites. Étudiants comme lycéens ont exprimé leur colère face au 49-3, aux violences policières, et plus largement contre « ce système qui veut les faire produire plus », en dépit de l’urgence climatique.

À Paris, les étudiants du Quartier latin s’étaient donné rendez-vous place du Panthéon pour un départ groupé. Parmi les facs représentées, les étudiants de l’ENS (École normale supérieure) font partie des plus discrets. « On est deux fois moins nombreux que la semaine dernière, regrette Mathis, normalien et membre du syndicat Solidaires. L’attaque de la semaine dernière en a dissuadé plus d’un », en référence à la violente agression du cortège, jeudi 23 mars, par un commando d’extrême droite.  

Si certains habitués des manifs ont fait faux bond, leur absence est largement compensée par les indignés du 49-3, ces étudiants qui ont rejoint les cortèges depuis le passage en force du gouvernement. Comme Solène, 22 ans et étudiante à l’École des arts décoratifs, qui entend signaler au gouvernement que « la démocratie, ce n’est pas le 49-3 ». Elle et ses camarades ont transformé depuis quelques semaines leur université en lieu de formation militante. Chaque jour se tiennent des ateliers, au choix de fabrication de banderoles ou de construction de chars, ainsi que des conférences animées par d’anciens élèves, façon retour d’expérience de Mai 68. 

Dans une note consultée lundi par Le Parisien, le renseignement territorial estimait que le nombre de jeunes manifestants pourrait tripler ce mardi 28 mars. Difficile de dire si le compte y est. Une chose est sûre : lycéens et étudiants sont venus massivement grossir les rangs de cette dixième journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites. 

« La mobilisation se maintient alors que la violence de l’État se déchaîne »

« On ne doit pas laisser la mobilisation s’essouffler, pense Solène. On doit tirer des leçons du mouvement des “gilets jaunes” pour dire à Macron que, cette fois, les gaz lacrymogènes ne nous arrêteront pas. » Les scènes de violences de la semaine dernière sont dans toutes les têtes, et la répression policière dans toutes les bouches. « Le 49-3 a signé la fin de nos droits politiques, les réquisitions, la fin du droit de grève et les violences policières, c’est la cerise sur le gâteau », enrage Juliette, étudiante à l’ENS et présente à Sainte-Soline ce week-end, pour manifester contre le projet de mégabassine. Elle est rentrée dimanche des Deux-Sèvres, où elle se souvient d’« avoir regardé le ciel avec anxiété pour voir si une grenade n’allait pas lui tomber sur la tête ». À peine s’est-elle accordé une journée de repos qu’elle a repris le chemin des manifestations : « On a l’impression de participer à un moment historique : la mobilisation se maintient alors que la violence de l’État se déchaîne. » 

À mesure que le cortège d’étudiants s’approche de la place de la République, départ de la manifestation parisienne, la procession est rejointe par plusieurs universités franciliennes, celles de Saint-Denis et de Nanterre entre autres. À l’arrivée au pied de la statue de la République, une voix dans le mégaphone perce les chants de la foule : « Faites du bruit pour nos camarades cheminots. » Des applaudissements appuyés suivent. « Si les travailleurs sont empêchés de manifester à cause des réquisitions, c’est à nous, étudiants, de prendre le relais », appuie Cécilia, étudiante en master à l’université de Saint-Denis.

À côté d’elle, Lucile a d’ores et déjà fait une croix sur sa retraite mais estime que la lutte contre cette réforme engage un combat plus large : « Ce système qui veut nous faire travailler plus longtemps pour produire et consommer plus est responsable de la crise sociale et climatique. » 

« La précarité quand tu es étudiant, c’est ton quotidien, cela fait partie de ta vie », explique Mar, membre du pink bloc, et qui tient à rappeler que « dans ce pays riche, des étudiants se sont suicidés parce qu’ils ne s’en sortaient pas »« On est jeunes, déters » [déterminés – ndlr] et révolutionnaires », scande un groupe de très jeunes manifestants à l’approche de la place Voltaire. À côté des étudiants, les lycéens sont aussi venus en nombre.

Fabio, 17 ans, lycéen à Cachan et proche du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), raconte avoir fait presque toutes les manifs depuis le début du mouvement. « Depuis le 49-3, on fait aussi les manifs sauvages à Concorde, des blocus de lycées », précise-t-il. Comme bon nombre de lycéens rencontrés ce mardi, il affirme que la question des retraites est un motif, parmi d’autres, de sa présence dans le défilé : « On vient aussi parce qu’on est contre le Service national universel, contre la loi Darmanin et, plus largement, contre [l]a politique libérale [de Macron]. »  

À ses côtés, Sharona et Arena, dans le même lycée que Fabio, font leur première manif. Le blocus de leur lycée, après le 49-3, a été leur baptême du feu militant. « C’est intéressant d’être ici. On apprend beaucoup », assure Sharona, qui reconnaît n’avoir pas été très intéressée par la politique jusque-là. « Cela me rappelle ce qu’on apprend en SES [sciences économiques et sociales – ndlr] sur les inégalités sociales. »

En première au lycée Balzac à Paris, Irini, 16 ans, fait aussi le récit d’une politisation « express ». « Je suis dans un lycée “engagé”. Il y a eu beaucoup d’AG ces dernières semaines », explique-t-elle.  Comme ses camarades, elle assure s’être aussi beaucoup formée aux enjeux de la réforme via les réseaux sociaux, et notamment en suivant le compte du jeune député La France insoumise (LFI) Louis Boyard, qu’elle « adore ».

Dans les cortèges, ce mardi, il y avait aussi des étudiants salariés, un pied dans un monde du travail qui ne les fait pas franchement rêver. 

Face à l’église de la Madeleine, une petite dizaine d’employés de Decathlon avaient installé un piquet de grève à partir de midi. Leur cinquième depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Une mobilisation inédite dans ce magasin à la faible culture syndicale, où un très fort turn-over empêche généralement l’action collective.

La fronde contre la réforme des retraites a cristallisé chez ces jeunes salariés – dont beaucoup sont des étudiants qui travaillent à mi-temps – un malaise grandissant. Thomas*, 23 ans, étudiant en sociologie à Paris-Diderot, a déjà – au bout de sept mois à mi-temps dans l’enseigne – une interdiction de porter des charges lourdes à cause d’une tendinite à l’épaule.

« Ici, être vendeur ou vendeuse, c’est faire de la manutention, de la logistique. Le matin, on va vider les camions avec des transpalettes. On manipule des charges qui sont parfois de 600 kilos. Nos heures sont annualisées, donc certains jours on commence à 7 heures du matin, d’autres à 15 heures. Ce sont des rythmes très fatigants », décrit Cyrielle, qui travaille dans le magasin depuis six ans. Une ancienneté que très peu atteignent ici.

Soutenir le rythme des études avec ce travail harassant n’est pas évident. « Quand je commence à 7 heures ici, il m’arrive de m’endormir en amphi l’après-midi », raconte Thomas, qui redouble sa troisième année.

Étudiante en master d’études ibériques, Emma, qui travaille 19 heures par semaines comme vendeuse, assure que ce n’est pas forcément pour sa retraite à elle qu’elle s’engage aujourd’hui : « La retraite, cela semble très loin, et quand on voit tous les problèmes écologiques, notre futur paraît vraiment incertain. Mais ma mère est assistante maternelle, elle va devoir travailler jusqu’à 70 ans si elle veut une retraite. Pour moi, c’est très concret. »

Le recours au 49-3 l’a beaucoup choquée, et plus encore les violences policières des derniers jours.  « Le gouvernement nous impose des choses de force sans comprendre ce que vivent les jeunes. On a une vraie colère et ils ne veulent pas l’écouter », poursuit celle qui s’est fait gazer dans une nasse à la dernière manifestation. « On manifestait tranquillement. Qu’est-ce qu’il faut faire alors pour être entendus ? », s’émeut-elle.

   publié le 28 mars 2023

Dixième journée de mobilisations : la participation baisse, le mouvement tient

Martine Orange sur www.mediapart.fr

Avant même le début des manifestations mardi, le gouvernement a répondu par une fin de non-recevoir à toutes les tentatives de conciliation. Si la participation est en baisse par rapport au 23 mars, elle reste élevée. Les violences policières signent pour les manifestants la politique du pire. Synthèse à la mi-journée.  

L’exécutif a choisi : il ne bougera pas. Avant même que les premières manifestations ne s’élancent en France ce 28 mars pour la dixième journée de protestations organisée à l’appel de l’intersyndicale, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a donné le ton. Le gouvernement restera inflexible, quelle que soit la mobilisation ou la détermination des manifestants et manifestantes. La porte de la conciliation restera fermée.

Mardi matin, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a pourtant essayé à nouveau d’esquisser une tentative d’ouverture : il a proposé une « médiation », afin de renouer les fils entre syndicats et pouvoir, et de mettre la réforme « sur pause » pendant six mois, le temps de rouvrir le débat à la fois sur le travail et les retraites. Plusieurs responsables et constitutionnalistes suggéraient de leur côté de remettre le texte en discussion à l’Assemblée nationale.

Même le président la Conférence des évêques de France s’en est mêlé. « La crise autour de la réforme des retraites met en question fortement les processus de concertation et de décisions collectives prévus par nos institutions ou, à tout le moins, leur mise en œuvre concrète », a déclaré mardi matin Éric de Moulins-Beaufort.

Toutes ces tentatives d’ouverture se sont heurtées à une fin de non-recevoir. Il n’y a « pas besoin de médiation pour se parler. Le président de la République est prêt à recevoir les syndicats dès lors que le Conseil constitutionnel se sera positionné sur la réforme », a répondu Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. Bref, pour l’exécutif, la réforme des retraites est un sujet clos. Il n’y a rien à négocier. L’exécutif s’installe dans un bras de fer avec les manifestant·es, pariant sur la lassitude, l’épuisement et même le lâchage d’une partie de l’opinion publique.

« Ça va commencer à suffire, les fins de non-recevoir à la discussion et au dialogue. […] C’est insupportable que la réponse soit une fin de non-recevoir », a répliqué Laurent Berger en réponse à l’intervention d’Olivier Véran. « La posture idéologique du président nuit gravement à la santé démocratique », rappelait ce matin Christophe Nguyen, un syndicaliste CFTC de toutes les manifestations dans le Cantal depuis le début du mouvement.

Car, face à l’exécutif, la détermination des manifestant·es n’est pas ébranlée, même si des signes de fatigue refont surface après ces deux mois et demi de protestations sociales. « La grève, ça coûte cher », rappelait un syndicaliste pour expliquer la baisse du taux de grévistes.

À la SNCF, ils n’étaient plus que 16,5 %, selon la direction, à faire grève ce 27 mars, contre près du double la semaine dernière. Même chute dans l’Éducation nationale, où le nombre d’enseignants en grève est tombé à 8,38 % selon le ministère (30 % selon le syndicat Snuipp-SNU).

Mais dans les raffineries, les ports, le secteur de l’énergie et des déchets, le mouvement tient toujours. D’autres viennent les rejoindre. Après le musée du Louvre en grève la semaine dernière, la tour Eiffel a à son tour fermé.

À ces mouvements de grève viennent s’ajouter des opérations de blocage. Une grande opération « ville morte » avait été lancée ces deniers jours en Bretagne. Ce mardi matin, les périphériques et rocades de Rennes, Caen, Quimper ou Brest ont été bloqués pendant plusieurs heures. Mais d’autres opérations similaires ont été menées un peu partout dans le reste de la France, les étudiants et étudiantes venant souvent se joindre aux syndicalistes.

Ce que le gouvernement espérait éviter depuis le début du mouvement se concrétise : les jeunes ont rejoint les manifestant·es dans le mouvement contre la réforme des retraites. Souvent descendus dans la rue pour la première fois le 23 mars pour protester contre la réforme des retraites et surtout contre le 49-3, ils se sont à nouveau retrouvés aujourd’hui. De nombreuses universités, à l’instar de Paris I, Lyon 3, Toulouse 2, Cergy, Lille 1 et 3, Sciences Po et même Dauphine sont en grève et bloquées depuis ce matin.

Les lycéens, qui pour la plupart n’ont plus d’épreuves anticipées du bac, les ont rejoints un peu partout en France, mettant en place des blocages filtrants devant leurs établissements. À la retraite, ils ajoutent leurs propres revendications contre le Service national universel (SNU), la réforme des lycées professionnels. Le mouvement s’étend dans toute la France, y compris dans des villes moyennes. Selon la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), cinq cents établissements étaient bloqués ce matin.

Tous se retrouvent dans les manifestations. La mobilisation n’est pas aussi ample que le 23 mars. Mais la participation reste cependant très élevée : 13 600 manifestant·es à Rennes selon la police (25 000 selon les syndicats) ; 11 000 à Clermont-Ferrand selon la préfecture (35 000 selon la CGT) ; 24 000 à Brest selon l’intersyndicale ; 10 000 à Saint-Nazaire selon Ouest-France.

La participation reste forte aussi dans les villes moyennes, très présentes depuis le début du mouvement. Quelque 2 800 personnes selon la police (15 000 selon l’intersyndicale) ont défilé ce matin au Puy-en-Velay. À Tarbes, qui avait connu une participation historique lors de la neuvième journée, 5 000 personnes selon la police (15 000 personnes selon l’intersyndicale) ont à nouveau défilé ce matin, tout comme à Pau (9 000 selon la République des Pyrénées).

Les mots d’ordre n’ont pas changé depuis deux mois : le retrait de la réforme des retraites est demandé par toutes et tous, partout. « On ne lâchera pas, 64 c’est non », témoigne au Monde Marcel, 58 ans, militant CFDT . Une colère sourde s’exprime souvent face à l’obstination du pouvoir, son refus de ne pas entendre, de ne pas bouger. À cela s’est ajouté un nouveau sujet de colère et de crispation : les violences policières.

Les images d’affrontement lors de la dernière manifestation et encore plus celles des assauts menés à Sainte-Soline ce week-end révulsent tous les participant·es. Ce déferlement de violences ne les a pas dissuadé·es de venir manifester mais vient nourrir encore plus leur révolte et le rejet du gouvernement. Pour beaucoup, le gouvernement choisit la politique du pire.

Signe de ce rejet : la pétition pour la suppression des BRAV-M lancée sur la plateforme de l’Assemblée nationale il y a quatre jours avait déjà recueilli 126 000 signatures ce matin.

Face à une population toujours aussi hostile au projet de réforme des retraites, Emmanuel Macron se coupe toujours un peu plus du pays et s’isole à l’Élysée. Après avoir renoncé à se rendre au Stade de France par peur de devoir affronter des huées, il a annulé ce matin son déplacement à Toulon, où il devait parler du Service national universel. 


 


 

À l’aube, près de Marseille, deux cents salariés bloquent une zone d’entrepôts tentaculaire

Pierre Isnard-Dupuy (Marsactu) sur www.mediapart.fr

Dès 4 heures du matin, salariés, chômeurs, étudiants et gilets jaunes ont bloqué mardi la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, l’une des plus importantes d’Europe, pour protester contre la réforme des retraites. « Il faut continuer à alimenter la protestation », exhorte un militant.

Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône).– Le rendez-vous est donné à 3 heures du matin, mardi 28 mars, dans l’obscurité de la zone logistique de Saint-Martin-de-Crau, au milieu des innombrables entrepôts rectangulaires. Le lieu voit transiter toutes sortes de marchandises par camions entre les grandes villes de la région, le grand port de Marseille et des ailleurs européens. Quarante-cinq minutes plus tard, avec l’aide de quelques palettes et de pneus, il a suffi d’une centaine de personnes pour bloquer les cinq accès de cet interminable zone de 500 hectares, dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites et l’usage du 49-3 par le gouvernement.

Aucun camion n’est entré ou sorti jusqu’à 10 heures, moment où les protestataires avaient décidé de lever le camp. Ils étaient « 200 [manifestants] au plus fort », précise la préfecture de police, qui n’a pas engagé la force publique. Les salarié·es avec leur véhicule personnel pouvaient toutefois rejoindre leur lieu de travail. Dès 7 heures, le blocage a provoqué un immense désordre sur tous les axes internes et à proximité, avec des kilomètres de bouchons jusque sur la RN113 (d’Arles à Salon) et la RN568 (de Fos à Saint-Martin). Le ramassage scolaire a aussi été touché, le dépôt des cars se trouvant sur la zone.

« Quand tu as connu le blocage à 30 il y a quatre ans, être aussi nombreux, c’est insolent », salue un ancien « gilet jaune » venu là avec des compagnons. « Nous sommes un collectif interprofessionnel. Nous sommes là en soutien des salariés syndiqués CGT de la zone. Nous sommes très contents de monter d’un cran ici », expose Camille* (prénom d’emprunt) lors du briefing, après une semaine passée entre Fos et Martigues. Pour les manifestantes et manifestants, bloquer les rouages de la logistique, c’est s’attaquer à un pilier indispensable d’une économie mondialisée dans laquelle les marchandises ne cessent de voyager. Amazon, Decathlon, Castorama, Maison du monde, le distributeur pour la restauration Transgourmet sont autant de sociétés qui dépendent d’entrepôts saint-martinois.

Tous les bloqueurs rencontrés témoignent d’une même envie de passer à autre chose que les manifestations en ville, qui jusque-là n’ont pas fait bouger le gouvernement. « Ça suffit de tourner en rond. C’est un lieu stratégique, un des plus grands pôles européens », expose Myriam Ghedjati, conseillère municipale La France insoumise (LFI) à Port-Saint-Louis-du-Rhône. « Il faut continuer à alimenter la protestation pour faire échouer cette contre-réforme par tous les moyens », exhorte de son côté un militant du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) venu de Saint-Chamas.

D’Arles, de Marseille ou d’ailleurs dans le département, les manifestants et manifestantes représentent une constellation d’organisations et de collectifs de gauche. Tous types de catégories sociales sont représentés : des ouvriers et ouvrières, des profs, des chômeurs et chômeuses, des étudiant·es… et les gilets jaunes, de nouveau de sortie. À 3 h 45, les phares des premiers camions commencent à éclairer les barricades de palettes. La plupart des chauffeurs sont compréhensifs, à l’exception de quelques-uns qui tentent de négocier ou de forcer le passage.

« Vendeurs de précarité »

Au bout de longues minutes passées à s’ennuyer dans leur cabine, deux routiers descendent se faire offrir le café par les bloqueurs et bloqueuses. Ils trouvent du réconfort à la lueur d’un feu de palettes bien attisé par un mistral mordant. « Les retraites, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai commencé quand j’avais 20 ans. On avait de quoi arroser les copains en boîte et il nous restait de l’argent. Aujourd’hui, quand on va faire les courses, on pleure », raconte le premier, un grand gaillard aveyronnais de 50 ans. Il n’a fait que passer la nuit à Saint-Martin, avec son chargement de lait pour la Corse, pris en charge à Montauban et qu’il doit laisser à Marseille. Son copain de circonstance doit transporter des meubles et objets de décoration vers les magasins Maison du monde de Bretagne.

Ici, comme dans d’autres agoras du mouvement social en France, les travailleuses et travailleurs dissertent sur leurs conditions de travail. « C’est de pire en pire. Je dois charger 28 palettes à l’heure, avant, c’était 26, témoigne un cariste qui travaille sur la zone. À 43 ans, j’ai le dos fracassé tous les jours, alors quand on me dit qu’il faudrait que j’aille jusqu’à 64 ans… » Puis il se livre à une analyse plus politique : « Ici, cela représente tout ce que l’on combat, le capitalisme. Ce sont des vendeurs de précarité, qui ne proposent quasiment que de l’intérim et ne payent quasiment aucune taxe. » 

Présente parmi les protestataires, la conseillère municipale d’Arles et philosophe de l’environnement (CNRS) Virginie Maris voit ici « l’incarnation de ce qui étouffe les humains et le vivant ». Elle rappelle que la zone a été bâtie « sur le milieu des Coussouls de Crau, qui est une plaine steppique unique en Europe ».

À 7 h 30, un chauffeur nantais déambule au milieu des camions arrêtés en vrac sur la chaussée avec un bulldog en laisse. « Avec tous les blocages, je suis encore moins à la maison. Alors maman [son épouse – ndlr] en a eu marre et elle m’a mis dehors avec le chien », explique-t-il sous sa casquette sans visière. Malgré son désarroi, il vient témoigner de son soutien à un piquet de blocage. À toutes les entrées du site, les palabres se poursuivent jusqu’à 10 heures du matin. À ce moment-là, les manifestantes et manifestants quittent leur poste, comme ils l’avaient prévu. La circulation, au vu des centaines de camions bloqués au cours de la matinée, ne reprendra complètement qu’un peu plus tard.


 


 

Deux pétitions pour dire stop à l’escalade répressive de la police

par Rédaction sur https://basta.media

Une pétition du président de la Ligue des droits de l’Homme et une autre déposée auprès de l’Assemblée nationale demandent la suppression des Brav-M, les brigades de polices motorisées qui terrorisent en manifestation.

« La répression policière qui s’abat sur notre pays doit conduire à remettre à l’ordre du jour l’impératif démantèlement de la Brav-M », défend l’auteur d’une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale. La Brav-M est la brigade de répression de l’action violente motorisée mise en cause dans nombre de cas de violences policières.

« Brigade créée en mars 2019 sous l’impulsion du préfet Lallement pour bâillonner le mouvement des Gilets Jaunes, elle est devenue l’un des symboles de la violence policière, dit encore la pétition. Le pays étouffe de témoignages d’exactions violentes et brutales commises par ces brigades motorisées à l’encontre des manifestants qui tentent de faire entendre leur opposition à un projet de régression sociale. »

La pétition lancée le jeudi 23 mars a déjà réuni plus de 125 000 signatures. Si elle en recueille plus de 500 000, elle devra être discutée à l’Assemblée nationale.

Nasses illégales, interpellations indiscriminées

Face aux excès de violences de la police ces dernières semaines en France, le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) Patrick Baudouin demande lui aussi dans une pétition une réforme de fond du maintien de l’ordre.

« Le territoire français − et les grandes villes plus particulièrement − sont depuis plusieurs jours le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées », résume-t-il dans le texte déposée sur la plateforme Change.

« Ces derniers jours ont vu le retour des nasses illégales, de l’usage d’armes mutilantes comme le LBD et les grenades de désencerclement ou explosives, du gazage à outrance, de l’emploi de policiers non formés au maintien de l’ordre et réputés pour leur violence, en particulier la brigade de répression de l’action violente motorisée et les brigades anti-criminalité, avec des interpellations et des verbalisations indiscriminées, du matraquage systématique et des violences gratuites et attentatoires à la dignité, parfois même à l’intégrité physique des personnes. »

Le président de la LDH juge que la politique du gouvernement « plonge aujourd’hui le pays dans une situation particulièrement alarmante pour la démocratie ».

Avec sa pétition, la LDH demandent à la Première ministre et au ministre de l’Intérieur :

l’interdiction des techniques d’immobilisation mortelles et des armes de guerre ;

une révision des méthodes d’intervention de maintien de l’ordre, notamment la suppression de la Brav-M et de la nasse ;

la suppression du délit de participation volontaire à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations et la fin des gardes à vue « préventives », de la politique du chiffre sur les interpellations ;

un traitement judiciaire équitable des faits de violences policières et un meilleur encadrement des procédures d’outrage et rébellion ;

une réforme des conditions autorisant les contrôles d’identité, aujourd’hui détournés de leur objet à des fins de pression et de répression ;

le respect de la qualité des observatrices et observateurs indépendants et des journalistes, et plus généralement de la liberté d’informer et de rendre compte des pratiques des forces de l’ordre.

« C’est là le préalable à un avenir commun apaisé », conclut la pétition.

 Voir la pétition qui demande la dissolution des Brav sur le site de l’Assemblée nationale
 Voir La pétition en ligne de la LDH

  publié le 27 mars 2023

Pour ravitailler les grévistes : une alliance entre paysans, cantines collectives et salariés en lutte

par Sophie Chapelle sur https://basta.media/

Des produits frais et locaux sont distribués sur les piquets de grève de Touraine. Objectif : aider les salariés en lutte à tenir et favoriser les discussions entre mondes ouvrier et paysan. A la manœuvre : une cantine, La Louche finale.

Ces paniers de fruits et légumes locaux réchauffent les cœurs des grévistes, et celui de Romain Henry, paysan, qui assure la distribution aux cheminots. « Ravitailler les piquets de grève est essentiel pour construire un rapport de forces victorieux sur le terrain », estime le porte-parole de la Confédération paysanne d’Indre-et-Loire.

60 paniers de légumes, pain, pommes et fromages de brebis ont ainsi été livrés le 7 mars aux soixante grévistes du technicentre SNCF de Saint-Pierre-des-Corps, à côté de Tours. « On organise le soutien avec un sens énorme de solidarité. Les collègues savent la valeur qu’il y a dans le panier, ça a beaucoup de sens de faire ça », ajoute l’agriculteur.

Le 14 mars, c’était au tour des gaziers en grève sur le site de Storengy à Céré-la-Ronde de bénéficier de denrées produites localement. Et le 20 mars, les grévistes de la centrale nucléaire de Chinon ont vu ainsi leur petit déjeuner offert sur le piquet de grève qu’ils tenaient.

Au cœur de cette logistique se trouve La Louche finale, une cantine de luttes créée fin 2022 en Touraine. « La Louche finale a organisé la collecte à prix coûtant des produits de nos fermes », explique Romain Henry. « On veut être un outil d’appui à des moments de luttes », précise Violette*, bénévole à la Louche finale.

Défendre un modèle paysan

La structure a un souci constant : soutenir les productrices et producteurs locaux en s’approvisionnant en priorité auprès d’eux et en les rémunérant. « Il s’agit de défendre un modèle paysan avec ce qu’on cuisine. » À chaque mobilisation depuis le 19 janvier 2023, des fermes locales d’Indre-et-Loire approvisionnent via cette cantine le mouvement social.

L’idée d’approvisionner les lieux de luttes remonte, dans la région, à 2019 lors du mouvement d’alors contre la réforme des retraites, qui voulait instaurer une retraite à points. « Les mobilisations de convergence étaient très fortes, se souvient Romain Henry. On savait qu’on ne pouvait pas quitter nos fermes, car les seules personnes qu’on allait bloquer, c’était nous-mêmes. Mais on était plusieurs collègues paysans à vouloir contribuer en approvisionnant les piquets de grève, soit en dons, soit en prix coûtant. » Avec cette conviction : « Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. Nos luttes paysannes sont les mêmes que celles des salariés, il faut s’unir. »

« Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. »

Si la grève prit fin en décembre 2019, la dynamique s’est poursuivie avec l’organisation d’un immense banquet populaire dans les rues de Tours. Plus de 500 repas sont alors assurés, une radio des luttes accompagne le mouvement, des conférences d’éducation populaire se multiplient ainsi que des concerts dans les rues, avec des prix libres qui alimentent les caisses de grève. Le collectif FestiLuttes en Touraine naît de cette dynamique.

« L’abandon de la réforme des retraites à points a suspendu tout cela, mais quand Macron est reparti avec cette réforme, on a embrayé directement, explique Romain Henry. On savait qu’on n’avait pas les moyens d’organiser nous-mêmes des repas, et qu’on avait besoin d’intermédiaires entre nos fermes et les lieux de luttes pour approvisionner. »

Logistique de la cuisine

C’est finalement un collectif militant, La Louche finale, qui se monte fin 2022 pour être l’intermédiaire entre les fermes et les lieux de luttes. « La Louche finale est née de la volonté d’un collectif militant à Tours d’assurer un soutien logistique pour les événements militants en s’occupant de la logistique cuisine de façon bénévole et les services de repas sur différentes manifestations et événements, explique Vince*. C’est monté en puissance grâce au mouvement contre la réforme des retraites. » « On est sur quasiment toutes les manifs qui ont lieu à Tours pour servir des soupes, des fromages, des crêpes, du pain et du café à prix libre », ajoute Violette.

La Louche finale repose sur un collectif de volontaires. « Il y a une équipe de bénévoles pour faire la cuisine la veille de l’événement et une équipe pour assurer le service le lendemain », détaille Vince. Si le collectif est très demandé pour assurer des repas, de plus en plus de manifestants se portent volontaires pour aider à la logistique. On est aussi ouverts aux dons de matériel de cuisine », précise le bénévole [1].

Distribution de paniers

La Louche finale oscille entre dons, prix libre et prix coûtant. « Ce qui est important pour nous, c’est que ce soit des prix libres pour les manifs. Les gens mettent et prennent ce qu’ils veulent », insiste Violette. Ce mode autogestionnaire a rapidement permis de générer une économie permettant à La Louche finale de s’équiper en matériel pour cuisiner, et de rémunérer les productrices et producteurs.

« L’argent supplémentaire dégagé nous a également permis d’organiser la distribution de paniers de fruits et légumes pour les gens faisant des piquets », note Vince. Le principe ressemble à celui des Amap (associations de maintien pour l’agriculture paysanne) : « On collecte les produits chez les paysans qu’on rémunère. Parfois, les productrices et producteurs nous font un prix réduit ou militant, mais ce n’est pas obligé : on a à cœur de rémunérer les paysans pour leur travail. On distribue ensuite ces paniers individuellement à chaque gréviste. Tout cela est financé par les surplus du prix libre. »

Depuis quelques semaines, La Louche finale assure aussi des petits déjeuners sur des piquets de grève. « On sait que les meilleures discussions ont lieu près de la machine à café, remarque Romain Henry. Créer de la convivialité permet à des gens à la fin de rester et de poursuivre la lutte. On crée les possibilités pour des personnes de s’investir et de contribuer. »

Notes

[1] Pour les contacter, écrire à lalouchefinale@proton.me


 


 

Au musée du Louvre :
« Grève, blocage, Macron dégage ! »

Antoine Perraud sur www.mediapart – 27 mars 2023

« La Joconde est en grève et la momie aussi ! » Le Louvre a été bloqué, lundi 27 mars, par une action de l’intersyndicale des personnels du musée. Le philosophe Jaques Rancière et le romancier Laurent Binet sont venus apporter leur soutien au mouvement.

Musée du Louvre (Paris).– La colère gagne par capillarité. La détermination s’amplifie dans la joie d’une lutte sociale en devenir. Il y a, au Louvre, ce lundi 27 mars en fin de matinée, tout ce que ne peuvent comprendre un président de la République en état de glace et un gouvernement borné : des soubresauts annonciateurs, des révoltes logiques, des échines bafouées qui se redressent. Une pincée de ressentiments dignes de 1871, un doigt d’aspirations propres à 1936, un zeste de radicalité badine à la Mai-68...

Mehenna Belaïd, de Sud Culture, qui veille la nuit sur les trésors du musée, se montre fier et heureux d’une mobilisation qui pourrait entraîner d’autres institutions culturelles dans la danse, même si, pour l’instant, on est encore loin d’une vague générale : « Nous avons pu bloquer les quatre accès avec une centaine de personnes mobilisées de part en part. »

Des grévistes issus des rangs du Mobilier national ou du Centre Pompidou sont venus prêter main forte, par solidarité, pour tâter le terrain, afin de manifester cet écœurement, national, qui couve et qui gronde, face à un pouvoir inflexiblement obtus. Ce n’est déjà plus le petit matin, ni encore le grand soir. Mais devant la pyramide de Pei, une faction factieuse s’en donne à cœur joie, persuadée que la lutte continue ; histoire de sentir la fraternité, de comprendre la justice, d’éprouver les conquêtes sociales.

Le sociologue Jean-Marc Salmon, 80 ans, vétéran du bouillonnement de 1968 et de l’université de Vincennes, coanime une cellule informelle visant à « ranimer la figure de l’intellectuel engagé ». Non pas pour guider le Peuple mais pour écouter les travailleurs, voire les épauler, dans la mesure du possible. Tout a commencé au moment de la « loi travail » (El Khomri) en 2016, à propos de violences policières qui font écho à celles d’aujourd’hui : un étudiant avait été éborgné à Rennes par un tir de LBD et un syndicaliste de Sud avait été gravement blessé par une grenade de désencerclement.

« Nous avions alors lancé une pétition, explique Jean-Marc Salmon, contre l’armement quasi létal confié aux forces de l’ordre. Notre réseau a repris du service au moment de la grève des cheminots en 2018. Cette grève perlée était moquée par tous les médias dominants méprisants. Nous avons alors lancé une cagnotte, qui a recueilli 1,3 million d’euros, tout en créant du lien : les messages accompagnant les dons devenaient des fils de discussions passionnants. Ensuite, avec Annie Ernaux, Étienne Balibar, Jacques Rancière, ou encore Laurent Binet, nous avons soutenu le mouvement. »

Ce groupe d’hommes et de femmes de lettres, ami des séditions et des luttes sociales, a été contacté par Mehenna Belaïd et l’intersyndicale (CGT Culture et CGT Spectacle en particulier), pour venir appuyer leur blocage du Louvre – celui du 23 mars ayant été peu remarqué, noyé dans les manifestations de masse de ce jour-là.

C’est ainsi que ce lundi 27 mars, Jacques Rancière, philosophe de l’émancipation ouvrière qui va sur ses 83 ans, a pris la parole. Son maître livre, La Nuit des prolétaires – qui était à l’origine sa thèse d’État –, montre à quel point, au XIXe siècle, la classe ouvrière ne s’est pas contentée de réparer sa force de travail mais, assoiffée de culture et de temps libéré des besognes, s’est échappée des stéréotypes liés à sa condition de dominée, d’exploitée, de corvéable à merci. Avec des mots clairs et nets, Jacques Rancière a rappelé la stratégie des technocrates comprador qui nous gouvernent.

À la porte des Lions, ils ne sont qu’une petite poignée, à l’heure du déjeuner, à garder fermée cette autre entrée du Louvre. Ils travaillent dans les ateliers, voient s’assécher le recrutement de fonctionnaires en interne. Leurs collègues en CDD, ou appartenant à des entreprises extérieures sous-traitantes, sont dépourvus de culture ouvrière héritée du XIXe siècle et n’ont, de surcroît, pas les moyens de se mettre en grève – en particulier celles et ceux travaillant à temps partiel.

Un « bloqueur », bonnet vissé sur la tête, affirme crânement : « Peut-être nous faudra-t-il revoir nos moyens d’action. La grève, l’occupation et le blocage sont sans doute des passages obligés. Mais moi, je ne veux plus discuter avec le patronat pour quémander des miettes. »

Retour à la pyramide, où le romancier Laurent Binet, 50 ans, s’apprête à prendre le microphone à son tour. Il revient de loin. Il avait écrit son récit de la campagne de François Hollande en 2012 : Rien ne se passe comme prévu. Mais en 2014, dans une tribune publiée par Le Nouvel Observateur et titrée « Plaisir de trahir, joie de décevoir », Laurent Binet étrillait les socialistes en peau de lapin au pouvoir : « Il restera quand même ce mystère : quelle ivresse, quelle étrange perversité les aura conduits à exhiber, à mettre en scène de façon aussi spectaculaire leur duplicité ? »

Aujourd’hui proche de cette nébuleuse de plus en plus large, que le pouvoir et ses relais médiatiques désignent avec une rage pavlovienne comme « l’extrême gauche », Laurent Binet fait l’éloge de la foule consciente et mobilisée, ainsi que de la convergences des luttes. Celle-ci, partout en France, dans les villes comme dans les campagnes, petit à petit, ferait son nid pour tirer l’esprit du cachot...

   publié le 26 mars 2023

Le jour où nous avons repris la confiance

Éditorial sur https://www.frustrationmagazine.fr

Mercredi 22 mars, un bourgeois en costume bleu et une montre valant deux SMIC venait s’adonner sous nos yeux à une séance d’auto-congratulation doublée d’insultes envers sa population. Il a tout bien fait, nous a-t-il dit, son seul tort c’est que nous ne soyons pas convaincus qu’il veut notre bien en nous faisant du mal, et d’ailleurs les gens au SMIC sont plein aux as, l’inflation est jugulée et, “oh, regardez, un allocataire du RSA !”. Le message officiel du président était “il n’y a pas de sujet, rentrez chez vous”. Selon les renseignements, ce message aurait été interprété par de nombreuses personnes comme “une déclaration de guerre”. Non, vous croyez ?

Le lendemain, jeudi 23 mars, à 10h30, 9000 personnes défilaient à Saintes, ma ville de 30 000 habitants. Et une incroyable bonne humeur traversait la foule. Comment peut-on avoir tant de rage et sourire autant ? C’est la question que je me suis posée tout le long du défilé : nous écumions de rage envers ce président pathétique et détestable, mais nous nous parlions, nous souriions. Et surtout, ce flot était désormais libre, comme si Macron nous avait autorisé, par son 49-3 et son discours lamentable, à sortir des limites que nous nous imposons si souvent (et que les syndicats et partis fixent généralement). Au programme : traversée de l’hypermarché puis blocage du péage d’autoroute dans une ambiance euphorique.

Comment peut-on avoir autant la rage et sourire autant ? C’est ce qui arrive lorsque l’on sent que la victoire s’approche et que l’on éprouve la fierté d’être en nombre et en force.

Et ce scénario s’est reproduit dans toutes les villes de France. Sans se consulter, sans consignes de chefs ou d’organisation, tous les manifestants ont fait la même chose : sortir des parcours déclarés et aller bloquer physiquement les flux de l’économie capitaliste ou tenter d’envahir les lieux du pouvoir d’Etat. 

Comment peut-on avoir autant la rage et sourire autant ? C’est ce qui arrive lorsque l’on sent que la victoire s’approche et que l’on éprouve la fierté d’être en nombre et en force. C’est le sourire de celles et ceux qui sentent leurs différences ordinaires se dissoudre dans un objectif et des intérêts communs. Faire tomber Macron, défier la bourgeoisie en la privant de son meilleur défenseur et de sa réforme rêvée, celle qui correspond à ses idéaux – nous faire trimer plus – et ses intérêts – ouvrir le juteux marché de la retraite par capitalisation et faire maigrir l’anomalie que reste pour elle la sécurité sociale.

Peut-on dire que face à la puissance de la bourgeoisie nous aurions retrouvé une conscience de classe ? Pas seulement : aussi et surtout une confiance de classe. Ce sentiment d’appartenance à un même groupe uni dans sa diversité – à Frustration nous disons « la classe laborieuse » – qui se double enfin d’une conscience de sa force nouvelle et de la fierté de la voir croître.

La fierté, enfin : celle des gilets jaunes qui ont montré la voie. Celles des grévistes qui tiennent toujours. Celles de tous les autres, enfin sortis du rythme lancinant et désespérant des mouvements sociaux perdants, ceux où plus l’on chante « on lâche rieeeeen » plus on lâche. Tout ça, c’est terminé.

Et la bourgeoisie le sent.

Peut-on dire que face à la puissance de la bourgeoisie nous aurions retrouvé une conscience de classe ? Pas seulement : aussi et surtout une confiance de classe.

Vendredi 24 mars : plus gris qu’à l’ordinaire, les présentateurs de BFM TV commentent l’actualité tandis que derrière eux des vidéos de flammes dans les rues de France se succèdent. Une ambiance de deuil règne sur le plateau. Le deuil d’un dossier qu’ils croyaient classé. 

Programme suivant : Apolline de Malherbes interroge François Ruffin. Le député NUPES est soumis à un interrogatoire. L’objectif de l’éditocrate la plus aristo du PAF est clair : il s’agit de demander à l’insoumis de choisir son camp. Va-t-il aider la bourgeoisie à restaurer l’ordre ou va-t-il attiser les flammes de la révolte ? Le député, mal à l’aise, appelle au calme, tout en défendant le mouvement social comme il sait le faire. Mais une référence à 1789 lui vaut la colère de la gardienne de l’ordre établi. “Vous souhaitez une nouvelle révolution française François Ruffin, c’est ça que vous voulez dire ?!”. Le ton est sec et cassant, une réponse est exigée. Le député s’exécute, s’excusant presque, déclare que ce n’est pas ce à quoi nous assistons, actuellement. “Les gens veulent juste être écoutés”, implore-t-il.

Arf, mais ça c’était avant, François. En janvier et février, les défilés pacifiques et sympathiques étaient entièrement soumis à une stratégie syndicale d’interpellation du gouvernement pour obtenir justice. “Maintenant, ils vont nous écouter”, concluait Laurent Berger, le leader de la CFDT à chaque manifestation dépassant le million. En vain. Et ce temps là est révolu. On ne veut plus être écoutés, on veut décider. Car au-delà de la réforme des retraites, c’est tout un système politique (qui est, il ne faut plus avoir peur de le dire, une dictature -pas militaire, pas nazie, pas russe, mais française et bourgeoise), qui nous rend fou. “Oui mais il a été élu” est devenu le dernier argument des éditocrates pour défendre cette réforme. Et la répétition continuelle de cette phrase est venue mettre à nue l’illégitimité totale de nos institutions. “Oui mais il a été élu”. Et alors ? Qui a vraiment l’impression de vivre un grand moment démocratique pendant les élections en République française ? Les plus diplômés et les plus aisés, oui. Car le système leur profite. Mais les autres ? 

Oui mais il a été élu” est devenu le dernier argument des éditocrates pour défendre cette réforme. Et la répétition continuelle de cette phrase est venue mettre à nue l’illégitimité totale de nos institutions. “Oui mais il a été élu”. Et alors ?

Désormais, il ne s’agit plus de lutter pour stopper une réforme injuste – ça c’est une première étape indispensable. Mais également de reprendre en main la décision politique et économique dans notre pays. Nous évoluons en ce moment comme nous avons avancé au moment des gilets jaunes : d’abord critiquer une mesure injuste puis exiger que le système politique qui a rendu possible cette injustice soit changé. Et tant qu’à faire, dégommer cet appareil répressif totalement en roue libre, avec des policiers à la violence décomplexée.

Et la bourgeoisie n’a plus rien à nous proposer pour faire semblant de répondre à ces revendications. Le “grand débat national” ? Au fond des archives de sous-préfecture. La “convention citoyenne pour le climat” ? Enterrée. Des élections ? Sauf démission, la constitution nous impose de nous taper Macron encore 4 ans. Les défenseurs petits bourgeois de la bourgeoisie, les grandes gueules sur RMC, étaient bien emmerdés ce matin. Que faire pour obtenir un retour au calme ? En plateau, la petite bourgeoisie des commerçants et des restaurateurs chouine sur son chiffre d’affaires. Comme d’habitude ils jouent leur rôle : simuler la défense “par en bas” de la classe dominante. Surjouer le malheur et exagérer le sentiment de chaos. Ça marcherait peut -être si nous n’en avions pas tous ras le cul des restaurateurs, de leurs marges exorbitantes, de leurs jérémiades constantes et de leurs pratiques salariales déplorables : même leurs travailleurs ne veulent plus d’eux.

Admettons maintenant que le scénario désormais le moins probable se passe – une défaite à cause de la répression – eh bien nous n’aurions pas tout perdu. Loin de là.

Les auditeurs de RMC appellent et se ressemblent : des salariés, des artisans, parfois même des petits patrons qui ont plus de haine pour Macron que pour les manifestants. Et même au standard, on se rebelle “attendez, laissez moi parler, vous avez l’antenne tous les jours, pas moi”, proteste un salarié interrogé avant d’appeler ses concitoyens à “prendre les armes”, sous les cris horrifiés des “grandes gueules” qui portaient bien mal leur nom ce matin. Et ils ont beau tenter, l’opinion ne se retourne pas. Sur France info à midi on se lamente sur Paris, cette ville qui ne ressemblera pas, une fois encore, à la carte postale que les touristes s’attendaient à voir. Bien essayé, mais nous avons mieux à faire qu’à pleurer sur le sort de voyageurs fortunés.

Et maintenant, que faire ? Continuer. Et visiblement personne n’a besoin de mode d’emploi. Ce mouvement commence à ressembler à un mix gagnant entre les gilets jaunes, les mouvements étudiants et les grèves. Qui peut résister à ça ?

Admettons maintenant que le scénario désormais le moins probable se passe – une défaite à cause de la répression – eh bien nous n’aurions pas tout perdu. Loin de là. Car l’expérience que nous faisons tous en ce moment, cette rage joyeuse et cette confiance de classe, ne nous quittera pas demain. Quand on ressent à ce point sa force, on y prend goût. La guerre des classes, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.

   publié le 25 mars 2023

Méga-bassines : pourquoi ça déborde

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Des milliers d’opposants à ces retenues d’eau géantes sont attendus dans les Deux-Sèvres, malgré les interdictions. La répression s’annonce sévère.

Il se pourrait bien que la matraque ne soit pas uniquement réservée aux opposants à la réforme des retraites. Dans les Deux-Sèvres, le gourdin policier devrait aussi s’abattre, ce week-end, sur les manifestants hostiles aux méga-bassines.

« La préfecture a laissé entendre que Gérald Darmanin n’envisage pas de nous stopper autrement que par la répression. On s’y prépare du mieux possible », explique Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, collectif coorganisateur de la mobilisation avec les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne. Mardi 21 mars, près de 1 500 personnes ont participé, en ligne, à un « brief juridique pour savoir comment se protéger », assure celui qui est batelier dans le Marais poitevin.

Venus de toute l'Europe

Si bien que, malgré les interdictions de manifester, les renseignements territoriaux attendent au minimum entre 7 000 et 10 000 personnes, d’après RTL, pour la journée de samedi, temps fort de ces « manif-actions ».

Ils seront « plusieurs dizaines de milliers », venus de toute l’Europe, selon Julien Le Guet, pour dire non à ces gigantesques retenues d’eau – de pluie ou pompée, en hiver, dans les nappes phréatiques – censées servir à irriguer, en période de sécheresse, des cultures majoritairement liées à l’agro-industrie.

D’où un dispositif policier conséquent, à l’instar de celui qui avait violemment réprimé une mobilisation similaire en octobre 2022, avec plus de 1 700 agents. À l’époque, les affrontements avaient blessé 61 gendarmes, d’après le ministre de l’Intérieur, et une soixantaine de manifestants, selon les organisateurs. Gérald Darmanin les avait alors qualifiés, toute honte bue, d’ « écoterroristes » de façon à criminaliser les opposants et à se poser en garant de l’ordre.

Pour l’heure, le tracé de la manifestation de samedi, soutenue par plus de 200 organisations syndicales, associatives et politiques, dont EELV, la FI et le PCF, n’est pas encore connu de façon à compliquer la tâche des autorités, qui, elles, soutiennent ces projets de privatisation de l’eau.

Trois options sont sur la table : une marche vers la méga-bassine de Sainte-Soline, dont la taille équivaut au Stade de France, un cortège vers celle de Mauzé-sur-le-Mignon ou bien, s’il y a beaucoup de monde, les deux. « Nous serons nombreux dans les champs du Poitou. Nous viendrons impacter matériellement les chantiers de méga-bassines : nous sommes déterminés à ce qu’elles ne se construisent pas », promet Léna Lazare, figure de la génération climat et représentante des Soulèvements de la Terre.

La manifestation sera ponctuée d’ « actions de désobéissance civile et paysanne », annonce-t-on, quand les services de police craignent « des violences et des dégradations ».

Le collectif Bassines non merci réclame un moratoire

Interdit de territoire dans les deux communes concernées et sous surveillance policière, Julien Le Guet prévient, lui, vouloir « coûte que coûte » stopper les méga-­bassines. Plusieurs associations ont déposé des référés-liberté contre les interdictions de manifester et de circulation du matériel agricole : « S’ils ont peur que ça se passe mal, ils n’ont qu’à autoriser les mobilisations et rouvrir le dialogue », demande Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne.

« Nous ne voyons pas comment les sanctions infligées aux anti-bassines, tout comme le déploiement annoncé des forces de gendarmerie samedi seraient de nature à permettre un dialogue avec les membres du collectif Bassines non merci et leurs soutiens », dénonce dans un communiqué de la fédération communiste du 79.

Car, de dialogue, il n’en existe plus entre les défenseurs des méga-bassines et leurs adversaires. D’un côté, le gouvernement se fait l’avocat de ces projets privés au service de l’agro-industrie notamment souhaités par la FNSEA, premier syndicat agricole.

Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau loue un modèle « vertueux » et le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu accuse la gauche d’ « hystériser » le débat. Des opposants qui, pourtant, ne manquent pas d’arguments appuyés sur une récente contre-expertise à une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

« Tous les usages doivent entrer dans la sobriété, affirme Julien Le Guet. Je veux bien faire pipi sous la douche mais pas si je continue à voir les champs de maïs arrosés tout l’été, grâce aux méga-bassines, quand les cours d’eau d’à côté sont à sec. »

Alors que la France a connu une période de forte sécheresse estivale suivie d’une inédite sécheresse hivernale qui dure, la question du partage de la ressource en eau et de son utilisation se place au cœur des enjeux. Et questionne de fait le recours aux méga-bassines, dont le bénéfice ne profite qu’à certains agriculteurs.

« La question qu’on doit se poser ne tourne pas autour du stockage de l’eau. C’est un combat qui n’oppose pas écologie et agriculture. Il faut se demander : quelle agriculture ?, quelle alimentation ?, continue-t-on à irriguer ?, où prend-on l’eau ?, pour qui ? », interpelle Nicolas Girod, qui demande la « suspension des travaux ».

Quid des évaporations et de la qualité de l’eau ?

Au-delà de l’accès à l’eau quand les nappes phréatiques sont à sec, ces retenues d’eau à ciel ouvert interrogent quant à leur efficacité. Quid des évaporations ? Sans parler de la qualité de cette eau stagnante : « On sait bien que l’eau stockée dans les nappes est de meilleure qualité que celle stockée en plein soleil », martèle Nicolas Girod, quand Julien Le Guet évoque un potentiel risque de pandémie et de contamination.

Surtout lorsqu’elles sont situées à proximité d’élevages de volaille, avec le risque de grippe aviaire. « Au fond des bassines, il y a des cadavres d’oiseaux », assure la figure de la mobilisation, qui évoque aussi la présence de « cyanobactéries ».

Autant de questionnements et d’alertes qui ne se traitent pas par la répression policière. Le collectif Bassines non merci demande un moratoire sur ces immenses bassins.

Mais l’exécutif reste sourd, même lorsque quelques projets sont déclarés illégaux par la justice, comme c’est le cas en Charente-Maritime. Ce qui inquiète Nicolas Girod : « Il y a eu un 49.3 social sur les retraites qui met le pays dans une grande tension. Il ne faudrait pas un 49.3 écologique sur les bassines. »


 


 

Trois jours de mobilisation contre les mégabassines

Mathilde Doiezie  sur www.politis.fr

À l’appel de Bassines Non Merci, des Soulèvements de la Terre, de la Confédération paysanne et d’autres collectifs et associations, un rassemblement de trois jours a lieu du 24 au 26 mars dans les Deux-Sèvres pour lutter contre les mégabassines. Ce, malgré l’interdiction de la préfecture.

Les premiers « No Bassaran » de la mobilisation contre les mégabassines retentiront dans les Deux-Sèvres, au moment de la clôture de la Conférence des Nations unies sur l’eau, la première rencontre intergouvernementale sur le sujet organisée depuis 1977. Jusqu’ici, la question de la ressource en eau ne faisait pas vraiment de vagues… Voilà qu’elle devient de plus en plus scrutée, parmi les crises écologiques multiples auxquelles nous faisons face.

En particulier en France, où le collectif Bassines non merci milite depuis 2017 contre l’installation dans le Poitou de mégabassines, d’impressionnantes piscines d’environ 10 hectares ou plus. Destinées à des agriculteurs faisant face à des sécheresses de plus en plus récurrentes, elles sont censées offrir une solution au manque d’eau en été.

Avec une particularité qui les distingue d’autres retenues d’eau : elles ne se contentent pas de récupérer de l’eau de pluie, mais puisent dans les nappes phréatiques en hiver, au moment où celles-ci sont censées être les plus remplies. Un raisonnement qui pourrait paraître presque logique, sans ce gros hic : la sécheresse continue même en cette saison hivernale.

Des centaines de projets

Sur les 18 derniers mois, 15 ont été déficitaires en pluviométrie. En début d’année, la France métropolitaine a battu son record de nombre de jours sans pluie : 32 jours, du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959, selon Météo France. Le mois de février a ainsi été le plus sec jamais enregistré, avec un déficit de précipitation de plus de 50 %. Soit pile à la période où les nappes phréatiques doivent se remplir.

Les dernières données les concernant sont inquiétantes : «  80 % des niveaux [des nappes] sont modérément bas à très bas », a détaillé mi-mars le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Des arguments, en plus d’autres impacts écologiques, qui ont conduit à deux décisions de justice défavorables à l’utilisation de certaines bassines en février.

Pourtant, « pas d’agriculture sans eau », comme le clame dans ses différentes apparitions le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Mais toutes les solutions ne se valent pas, lui répondent les opposants aux mégabassines. Le gouvernement soutient la construction de ces immenses réserves d’eau, dont une centaine de projets sont à l’étude dans toute la France.

C’est dans l’Ouest, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime, que l’appétit est le plus dévorant. Un projet de 16 bassines est porté depuis 2018 par la Coopérative de l’eau 79. Et début novembre, la préfecture de la Vienne a validé la création de 30 autres bassines.

Une annonce qui a fait office de goutte d’eau supplémentaire dans un vase débordant déjà. Quatre jours plus tôt, 7 000 personnes s’étaient réunies dans le village de Sainte-Soline pour arrêter le chantier d’une mégabassine de 16 hectares, demandant l’arrêt des travaux et un moratoire sur la création de ces réserves d’eau.

La manifestation d’ampleur, interdite par la préfecture, avait donné lieu à une cinquantaine de blessés côté manifestants, une soixantaine côté forces de l’ordre. Elle avait rendu visible au niveau national la lutte contre les mégabassines, aussitôt taxée « d’écoterrorisme » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Sans signe de ralentissement du côté des mégabassines, le collectif Les Soulèvements de la Terre – qui rassemble 150 organisations, syndicats ou collectifs écologistes locaux – a appelé dès le 17 novembre à un nouveau rassemblement d’ampleur ce 25 mars 2023. Depuis, des réunions publiques ont été organisées un peu partout en France pour parler de l’enjeu de la ressource en eau et appeler le plus grand nombre de personnes à venir.

Face-à-face en vue

Le rendez-vous s’est transformé en « mobilisation internationale pour la défense de l’eau » sur trois jours – ces 24, 25 et 26 mars –, avec des moments festifs, des conférences et une manifestation prévue le samedi matin. Le lieu sera communiqué au dernier moment. A priori pour remettre le couvert, soit à Sainte-Soline, soit à Mauzé-sur-le-Mignon, où une autre mobilisation avait eu lieu en novembre 2021. L’objectif ? « Impacter concrètement les projets de bassines et leur construction. »

De leur côté, les autorités se sont aussi préparées et le face-à-face risque d’être très tendu, dans un contexte de mobilisation sociale déjà très intense. Le 17 mars, la préfecture des Deux-Sèvres a publié un arrêté interdisant manifestations et attroupements dans 18 communes, dont Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline.

Le même jour, Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci, était placé en garde à vue puis déféré devant le parquet de Niort. Il a été placé sous contrôle judiciaire et a interdiction de paraître à Mauzé-sur-le-Mignon et Sainte-Soline jusqu’à son procès, prévu le 8 septembre. Une sentence « politique » à quelques jours de la mobilisation qui, l’espérait-il à sa sortie du tribunal, « ne va faire qu’amplifier le son de nos revendications ».


 


 

En Vendée, les bassines divisent doucement le monde rural

Marion Briswalter sur www.mediapart.fr

Ce samedi, une grande mobilisation réunit les opposants des mégabassines à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres voisines, face à laquelle le ministère de l’intérieur a annoncé l’envoi de de 3 200 gendarmes et policiers. Vingt-cinq réserves d’eau ont été creusées en quinze ans sur le pourtour nord du Marais poitevin. La chambre d’agriculture des Pays de la Loire réclame une généralisation des retenues artificielles qui divisent à bas bruit le monde rural.

La Roche-sur-Yon, Les Magnils-Reigniers, Lairoux, Les Autizes (Vendée).– Depuis quinze ans, une politique de construction de bassines est à l’œuvre dans le Sud Vendée. Vingt-cinq ouvrages de stockage de 11 millions de mètres cubes d’eau ont été construits en bordure nord du Marais poitevin.

Ce territoire alterne entre terres inondables, pâturages et grandes cultures céréalières. Il fournit des semences céréalières, des tourteaux pour les animaux, des melons, des légumes bio, du bœuf, le blé des pâtes. Dans quelques mois, le maïs recouvrira un quart des champs. 35 % à 45 % des terres y sont irriguées, contre 7 % au niveau national.

Jusqu'à ces derniers temps, et alors qu’une grande manifestation est attendue ce samedi à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres voisines (et pour lequel le ministère de l’Intérieur a annoncé vendredi l’envoi de 3 200 gendarmes et policiers), l’expérience vendéenne est jusqu’à présent restée loin des projecteurs. Mais elle est actuellement scrutée par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui souhaite en « tirer les enseignements » pour la révision de son schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les futurs projets qui en découleront, déployés sur un quart de la France, du Finistère aux portes de l’Ardèche.

La construction de ces mégaréserves d’eau a nécessité 63 millions d’euros d’investissement, dont 38 millions (60 %) de financements publics. Trois programmes successifs ont été décidés dès 2006 par les acteurs publics et privés pour limiter l’assèchement de la zone humide, trop pompée et trop drainée, tout en soutenant le système agroalimentaire en place, en proie à des risques de baisses de rendement lors des étés secs.

À cette époque justement, l’Europe avait sommé la France de placer au cœur de la préservation du Marais poitevin un basculement vers une agriculture « respectueuse de l’environnement », notamment moins gourmande en eau.

« On est parti d’un état de “far west”, avec une surexploitation de la ressource en été qu’il a été difficile de faire admettre » aux agriculteurs, se remémore Yves Le Quellec, président de France Nature Environnement Vendée. « Cette surexploitation est devenue admissible dès qu’il y a eu cette porte de sortie de déporter les prélèvements. La solution [les bassines – ndlr], c’est peut-être une cote mal taillée mais c’était probablement la seule qui permettait de débloquer politiquement ce sujet [l’assèchement du marais – ndlr] qui n’avait déjà que trop duré. »

Dans les années 2000, l’écologiste maraîchin s’était opposé aux réserves devant la justice. Il a depuis changé de position car « la substitution », qui consiste à remplir en hiver les réserves d’eau artificielles par des pompages dans les nappes souterraines pour les substituer aux pompages du printemps et de l’été, « produit des effets ».

Les effets ? En 2020, la culture du maïs est en retrait, un glissement s’est opéré vers des variétés de maïs plus résistantes au manque d’eau, ainsi qu’une amplification du maraîchage, des prairies, du bio et des semences et une diversification des céréales. Cependant, la substitution n’explique pas à elle seule des choix de cultures aussi fortement conditionnées par les marchés et le prix de l’électricité.

Au conseil départemental, cofinanceur, on s’enthousiasme de la politique des bassines en mettant en avant des avancées : un portage politique qui pacifie la gestion collective de l’eau même en situation de crise et un encadrement des prélèvements par l’Établissement public du Marais poitevin (EPMP), alors qu’ailleurs en France les chambres d’agriculture et les sociétés privées ont plus de latitude. La collectivité défend aussi les effets positifs de la mutualisation des coûts et des quotas d’irrigation entre les 500 fermes irrigantes, branchées ou non aux bassines.

Pour Arnaud Charpentier, conseiller départemental (Union de la droite) et membre de la commission agriculture et eau, « le bilan, au bout de vingt ans, c’est que cet été les nappes étaient trois à quatre mètres plus hautes que ce qu’elles étaient dans les années 1990. Et au printemps, on a des canaux qui vont mettre beaucoup plus de temps à être à sec, ce qui veut dire que les réserves ont permis de préserver le milieu ».

« Mettre en évidence l’effet de la politique [des bassines – ndlr] sur la biodiversité ou sur des niveaux d’eau du marais, c’est une étude en soi qui n’est pas près d’être terminée et qui demande un gros dispositif d’acquisition de données », lui répond Anne Bonis, chargée de recherche en écologie au CNRS et membre du conseil d’administration de l’EPMP.

Un rapport de 2021 de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se montre également prudent. Dans les plaines, « il est impossible de statuer sur l’efficacité des différentes actions, le recul n’étant pas assez important », concluent les auteurs, incapables de démêler finement l’effet de la substitution de celui des quotas d’eau imposés ces dernières années et des arrêtés sécheresse. Quant aux incidences sur le cœur de la zone humide, le rapport confirme le « besoin de définir » des indicateurs plus précis.

Des études Hydrologie, milieux, usages et climat (HMUC) attendues dans les prochains mois devraient aider à actualiser les réponses et, pourquoi pas, comme dans la Vienne, à redéfinir à la baisse les quotas d’irrigation. « Il est hors de question que la profession agricole perde ne serait-ce que l’ombre d’un mètre cube », alors que des « efforts considérables ont été consentis durant les vingt dernières années », prévenait Brice Guyau, le président (FNSEA) de la confédération générale de l’agriculture de la Roche-sur-Yon, dans un courrier adressé en mai 2021 au ministère de la transition écologique, en réponse à un recours devant la justice administrative porté par Nature Environnement 17 réclamant un plafonnement des prélèvements annuels.

Le milieu est détraqué à mort.

Sur le bassin des Autizes, à l’est du département, David Briffaud, paysan boulanger membre de « Bassines non merci », dénonce « les discours qui visent à dire que pour remplir les bassines, on prend de l’eau l’hiver quand elle est abondante. C’est complètement faux ! ».

« Cet hiver, le niveau [des rivières et des nappes – ndlr] était catastrophiquement bas. Le milieu est détraqué à mort », s’alarme aussi Olivier Cotron, maraîcher et arboriculteur bio installé non loin du marais. Pour le paysan, voisin d’une bassine vaste comme 240 piscines olympiques, ce système, s’il a permis de mieux encadrer les prélèvements l’été, conforte néanmoins la mainmise des gros céréaliers sur la terre et l’eau.

Pour Yann Pajot, délégué « eau » à la Confédération paysanne de Vendée, « tout n’est pas négatif » dans la politique sud-vendéenne en cours, « mais il faut engager une vraie transition agricole et revoir les volumes attribués et les plafonner ».

Lorsque les programmes furent signés en 2006 puis au mitan des années 2010, peu voire aucune contrepartie environnementale n’a été demandée en échange des 38 millions d’euros de subventions publiques.

Alors d’ouest en est, la plaine offre un paysage toujours désolé, sans réembocagement ni haies épaisses. Concernant l’utilisation des pesticides, la poussée du bio donne une indication. Cependant, la chambre d’agriculture dit conditionner la baisse de leur utilisation à « l’amélioration » de la « performance » du matériel et au montant des aides financières pour compenser le « manque à gagner ». Pour le conseiller départemental Arnaud Charpentier, la question de la pollution agricole est hors sujet : « Les pilules des femmes polluent beaucoup plus l’eau que d’autres résidus. Le matériel agricole est aujourd’hui bien plus sophistiqué et précis », ose l’élu.

Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité.

Concernant les économies d’eau, la régulation de l’arrosage par des sondes remporte un vif succès mais en quinze ans, la part de la surface irriguée n’a pas reculé. La diversification vers des espèces moins gourmandes en eau et à fort potentiel mellifère n’est pas au rendez-vous.

« Il faut aller sur l’économie d’eau mais si nous voulons préserver notre souveraineté alimentaire, tout le monde va devoir se mettre dans la tête que nous devons trouver les moyens pour stocker cette eau, car il en faut à disposition l’été », assène Joël Limouzin, président (FNSEA) de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.

Désormais, la chambre d’agriculture veut généraliser les aménagements pour brancher au plus vite l’ensemble des irrigants du Sud Vendée à des bassines et ceux du Nord Vendée à des réserves collinaires, ces plans d’eau artificiels déjà largement utilisés par les éleveurs du bocage. « On est prêts à prendre le pari que ces stockages seront multifonctionnels pour la biodiversité, l’agriculture, l’eau potable et contre les incendies. Ce sont les réserves qui vont sécuriser la biodiversité », déroule Joël Limouzin.

Cet état d’esprit est qualifié par certain·es de « fuite en avant ». « Il y a une forme d’optimisme, voire de naïveté, de confiance envers un monde agricole qui depuis trente ans n’arrive pas à relever les défis de la restauration écologique des milieux. Il existe des modèles autres que cette fuite qui va vers plus de production, de céréales, de pompage, de puissance, de vitesse et qui ne colle pas avec la résilience », regrette Frédéric Signoret. L’éleveur et quinze confrères ont mené une petite révolution dans le département cet été, en démontrant qu’un troupeau herbivore de taille modeste et une rotation bien sentie dans des pâturages partiellement réensauvagés et inondables produisent leurs effets même en août.

Le plan gouvernemental adopté en février 2022 prévoit de soutenir « les investissements dans les projets collectifs pour l’amélioration ou la création d’infrastructures hydrauliques », c’est-à-dire les réserves de stockage artificielles d’eau pour l’irrigation.

« On ne peut peut-être pas généraliser ce dispositif » à toute la France, nuance le conseiller départemental Arnaud Charpentier. Pour le président de France Nature Environnement Vendée, « certains s’emparent du Sud Vendée pour en faire un exemple en disant “le stockage ne pose pas de problème”. Dire les choses comme ça, c’est une arnaque ! ».

   publié le 24 mars 2023

Partout dans les rues,
l’union contre Macron

Dan Israel, avec la rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr

Loin d’être un baroud d’honneur, la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites a rassemblé des manifestants en masse dans toute la France. La colère, voire la haine, se concentre sur Emmanuel Macron. Incendies et violences policières ont marqué la fin de journée.

Lilian, 27 ans, et Margaut, 33 ans, sont soudeurs dans une PME de Romorantin (Loir-et-Cher) qui fabrique des chauffages design. Ce 23 mars, ils ont manifesté pour la première fois contre la réforme des retraites, à l’occasion de la neuvième journée de mobilisation nationale organisée par les huit syndicats de salarié·es. Ils ont occupé un rond-point pour ralentir le passage des poids lourds : « Notre cheffe occupe le rond-point du Super U et nous a demandé de bloquer celui-ci. »

Les deux soudeurs n’ont pas dépareillé lors de cette journée singulière, où les manifestant·es ont défilé contre une loi définitivement adoptée – mais pas encore promulguée, en attendant l’avis du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendu dans le courant de la semaine prochaine.

Comme Lilian et Margaut, les primo-manifestant·es n’étaient pas rares dans les cortèges (lire notre récit en direct de la journée, partout en France). Et leur mode d’action illustre une radicalisation à l’œuvre depuis l’adoption du texte à l’Assemblée par le biais de l’article 49-3, jeudi 16 mars. Radicalisation dont les traces ont été notables dans les manifestations partout en France.

La colère qui s’est exprimée, parfois librement, ce jeudi n’a qu’une cible : Emmanuel Macron. Ils sont très nombreux à ne lui pardonner ni le 49-3, ni son intervention télévisée autosatisfaite de mercredi, appuyée par un tweet clamant : « Je suis sûr qu’on saura s’unir, se réunir pour l’avenir du pays. » Le sentiment commun a été résumé par le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, au départ de la manifestation parisienne : par ses mots, le chef de l’État « a jeté un bidon d’essence sur le feu ».

Effet garanti : selon la préfecture de police, 119 000 personnes ont défilé à Paris. C’est le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Dans toute la France, le ministère de l’intérieur a compté 1,1 million de manifestant·es, pas loin des deux pics du 31 janvier (1,2 million) et du 7 mars (1,3 million). La CGT en a dénombré 3,5 millions. Et l’intersyndicale ne désarme pas : dans la foulée de ce succès, elle a annoncé une nouvelle journée de manifestations pour ce mardi 28 mars. 

Le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves.

Comme depuis le début de la contestation, des manifestations étaient organisées sur tout le territoire, quelle que soit la taille des communes, dans 300 lieux différents. Et côté grévistes, la mobilisation était à la hausse après des journées moins suivies. Le trafic des trains, métros et RER a été fortement perturbé toute la journée, et à Paris, 140 des 645 écoles primaires ont fermé.

L’essence se raréfie aussi dans les stations-service en raison des blocages des dépôts pétroliers et de l’arrêt progressif des raffineries : 15,14 % des stations françaises étaient en pénurie d’au moins un des carburants jeudi matin, et les chiffres montent à 40 % dans les départements de l’ouest de la France, et à 53 % en Loire-Atlantique, du fait du blocage du dépôt et de la raffinerie de Donges.

Autre fait frappant, le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves : agent·es de l’Insee, de la Cour des comptes, du Mobilier national… Pour la première fois depuis trente ans, les dockers de Dunkerque ont arrêté le travail. Tout aussi inédit, la faculté de droit Assas-Panthéon a été bloquée par une partie de ses étudiant·es.

La haine contre le chef de l’État s’exprime désormais librement  

Partout, les mêmes termes reviennent pour décrire Emmanuel Macron. À Lyon, une syndicaliste CGT dénonce le « roi », un nouveau « Louis XVI » auquel il est rappelé que « lorsque le peuple se soulève, il fait tomber la monarchie ». À Rennes, Bertrand, délégué syndical CGT chez Lafarge, le constate, « la haine » s’est installée envers le chef de l’État. « Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer ? », interrogeait ce week-end dans Mediapart l’écrivain Nicolas Mathieu. Des mots prémonitoires. 

Dans la petite ville universitaire de Lannion (Côtes-d’Armor), Florestan, 20 ans, participe au blocage de l’IUT. Il a manifesté pour la première fois de sa vie en février, et mercredi, il a écouté « l’allocution » de Macron : « Quand le président dit que les syndicats n’ont pas cherché le dialogue, j’ai pris ça comme un foutage de gueule. Ensuite je me suis demandé : pourquoi cherche-t-il à ce point à alimenter le feu ? »

À Romorantin, Marc a lui aussi écouté le président. « Et j’ai failli exploser ma télé tellement il se prenait pour un monarque. Ce type est en train de bousiller tous nos acquis, et on devrait fermer notre gueule ? » , s’insurge ce chauffeur routier de 60 ans, en préretraite et qui craint que la réforme ne l’oblige à retourner au travail pour compléter ses trimestres.

À Paris, c’est Stéphane, agent communal à Chilly-Mazarin (Essonne), affilié à l’Unsa, syndicat peu connu pour ses outrances, qui laisse déborder sa haine : « S’il était en face de moi, je l’accrocherais en haut de la colonne de la Bastille, et j’attendrais de voir son vêtement craquer. Et je filmerais. »

« Sans même parler de sa réforme, qui est une régression sociale scandaleuse, les méthodes de notre président relèvent de la haute trahison, insiste-t-il. Il fait énormément de mal au pays, il ouvre un boulevard à l’extrême droite. »

Même les adhérents CFDT veulent bloquer le pays 

L’exaspération palpable conduit à un net durcissement des actions et des discours. À Pluzunet (Côtes-d’Armor), l’incinérateur, où on trie et brûle d’ordinaire tous les déchets du Trégor, est bloqué depuis lundi. « Le 49-3 nous a décidés à monter d’un cran, en touchant l’économie », explique Benoît Dumont, de la CGT Lannion.

Marie et Freb, eux, travaillent dans un supermarché de Seine-et-Marne, où ils sont militants CFDT. Et ils s’impatientent : « En haut, à la CFDT, ils sont restés longtemps dans une posture de négociation plutôt que d’action. Puis Laurent Berger a bien constaté qu’il avait atteint une limite et qu’il fallait s’engager dans le mouvement, parce qu’Emmanuel Macron se foutait de lui », analyse Freb.

Et les sages adhérents de la CFDT se révèlent « aussi remontés que ceux de la CGT » : « Maintenant, on espère qu’ils ne s’arrêteront pas. On en est arrivés à un point où il faut aller plus loin : les manifestations, même de masse, le pouvoir s’en moque totalement. Il faut bloquer le pays, avec les transports, les raffineries, les routiers. Tout bloquer. Si possible sans violence. »

Dans une note interne consultée par Mediapart, la direction nationale de la CFDT s’inquiétait justement dans la semaine que ses adhérent·es « ne cèdent à la radicalité » : « L’extrême gauche va essayer de récupérer des colères. [...] Nous devrons être attentifs à ne pas renier ce que nous sommes : réformistes et responsables. »

Il n’est pas certain que ces efforts de la centrale de Laurent Berger payent : ce jeudi, les manifestant·es ont dit de plus en plus clairement qu’ils ne s’interdisaient plus rien. Y compris lorsqu’ils défilent au milieu des drapeaux orange de la CFDT, comme Jessica à Rennes. « La violence du gouvernement rend les gens ultra vénères. Les policiers sont agressifs. On n’est pas à l’église ici, on ne tend pas l’autre joue », considérait la jeune femme, qui s’occupe de l’accueil des étudiantes et étudiants étrangers dans une école de commerce.

Incendies et violences policières 

Les violences sont bien apparues. Et les flammes ont frappé. À Lorient (Morbihan), où environ 300 manifestant·es ont allumé un feu tout contre le commissariat. Des vitres ont été brisées, la grille d’entrée brûlée. À Paris, la soirée a été marquée par les incendies qui ont frappé le quartier de l’Opéra et le IIe arrondissement, à la suite des feux allumés en fin de manifestation par certains participants. Et à Bordeaux, c’est l’entrée de la mairie qui a été incendiée.

« Je suis assez marqué par la colère qu’il y a aujourd’hui. L’utilisation du 49-3 a cristallisé un nouveau truc, prévenait quelques heures plus tôt un vieux routier des mobilisations sociales à Paris. Dans ce mouvement, les manifestations de masse, la grève et les occupations ouvrières ne s’opposent pas à la colère qui peut s’exprimer plus fortement. »

À Paris, les agressions contre les manifestants se sont multipliées.

Durcissement contre durcissement, la journée a aussi vu les violences policières se multiplier. À Rouen (Seine-Maritime), une manifestante a eu un pouce arraché par un tir de grenade des forces de l’ordre. Le député Renaissance Damien Adam a demandé une enquête.

À Paris, les agressions contre les manifestantes et manifestants se sont multipliées, relayées par les vidéastes indépendants qui parcourent les cortèges de tête : coup de matraque en plein visage, policiers s’acharnant sur des manifestants à terre les mains levées dans une immense cohue, début d’attaque du service d’ordre entourant le carré syndical officiel…  

Autant d’actes qui donnent raison au communiqué diffusé quelques heures plus tôt par la Ligue des droits de l’homme : « On ne décrète pas par l’usage de la force la fin d’un mouvement social dans un État de droit », y clamait l’association, appelant « le gouvernement à la raison et le ministre de l’intérieur au respect des droits fondamentaux ».

À Foix, dans l’Ariège, on a beau être loin de la capitale, les esprits n’en sont pas plus sereins. « Macron ne lâchera pas. Il est fou. Il va aller jusqu’à l’insurrection », se désespère Noël, technicien de maintenance à la retraite de 65 ans. Et Jeanine, ancienne institutrice de 90 ans, qui manifeste pour la cinquième fois, a un pressentiment : « Ça va mal finir. Je pense à Mai-68, à la Révolution. Les gens ne vont pas se laisser faire. »


 


 

Grève du 23 mars à Montpellier : une manifestation de tous les records

sur https://lepoing.net/

40 000 personnes dans les rues de Montpellier : il faut croire que le discours de Macron du 22 mars a encore jetté de l’huile sur le feu de la contestation

De mémoire de Montpelliérain.e, on avait pas vu ça depuis des années à Montpellier. Un raz de marée. Ce 23 Mars contre la réforme des retraites, la CGT annonçait 40 000 personnes dans les rues du Clapas, et le syndicat Force Ouvrière parlait quant à lui de 60 000 personnes dans son communiqué.

A partir de 11 h 10 et pendant plus d’une heure, c’est un flux constant ininterrompu et surtout bien serré qui est parti de la place Zeus en direction du Peyrou. Macron a au moins réussi une chose : réveiller le pays ! Chaque cortège syndical était très fourni, la jeunesse etait très représentée, qu’elle soit des universités, des lycées ou des collèges, les chorales et orchestres se sont multiplié et chantaient aussi l’ Internationale, qui sera reprise par le corps de la manifestation.

Après avoir descendu le boulevard Henri IV et à la fin du boulevard Louis Blanc, un grand trou s’était formé dans le cortège, et alors que tout le monde pensait remonter sur la Comédie, des grappes de manifestant.e.s étaient dirigé.e.s vers le lycée Mermoz. Interrogé sur la suite du parcours, un syndiqué du service d’ordre de Force Ouvrièr a répondu : « C’est l’intersyndicale qui a décidé ce parcours avec le préfet pour éviter la casse… »

 A partir de là, le cortège s’est scindé en deux, avec des grappes de personnes perdues sur la signification de ce trajet. Arrivé.e.s Place de l’Europe, fin supposée de nombreuses personnes ne comprenaient plus la situation, sans savoir qu’une partie conséquente de la manifestation avait scindé le cortège. En effet, à l’initiative d’une partie plus combative et plus déterminée de la manifestation, des milliers de personnes ont suivi la banderole des étudiants de Paul Valéry pour remonter sur l’Esplanade, puis le Polygone, qui a encore dû fermer ses rideaux de fer, avant de rejoindre la préfecture.

Un cadre de la CGT commentera à propos du trajet qu’il y avait trop de monde et pas assez de Service d’Ordre » pour canaliser la foule.

Après la manifestation, de nombreuses actions se sont déroulées : les étudiants de la faculté Paul Valéry ont voté le blocage de la fac en assemblée générale, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué puis réprimé, et une nouvelle manifestation sauvage a encore embrasé le centre-ville. Plus d’infos sur les réseaux sociaux du Poing en attendant un prochain article.

publié le 23 mars 2023

En direct. Succès de la journée d'action :
800 000 manifestants à Paris, 280 000 à Marseille

sur www.humanite.fr


 

A Rouen, un nouveau cas de violence policière

Selon plusieurs médias locaux, une enseignante opposée à la réforme aurait eu le pouce arraché par une grenade de désencerclement, à Rouen, où 22 000 personnes ont manifesté (syndicats). 

La députée France insoumise de la circonscription, Alma Dufour, dénonce un "retour à la même violence que contre les gilets jaunes".

A Bordeaux, manif record et lacrymos

Les syndicats annoncent un chiffre record de 110 000 manifestants à Bordeaux (Gironde). La préfecture de police n'en a comptabilisé que 18 200. Dans tous les cas c'est plus du double des journées du 11 et 15 mars, qui faisaient craindre un essoufflement (15 000 le 11 mars, 50 000 le 15 mars, selon les syndicats).

La situation s'est tendue entre certains manifestants et les forces de l'ordre, à partir de 15h30. 

Le cortège parisien refait le plein

La CGT annonce 800 000 manifestants à Paris, ce 23 mars. Le 49-3 et l'intervention d'Emmanuel Macron ont donc fortement remobilisé les opposants à la réforme. Le 11 mars, le syndicat annonçait 300 000 personnes dans les rues de la capitale et le 15 mars, 450 000. 

Manifestation record à Marseille

A Marseille, le cortège affole les compteurs ce jeudi. L'intersyndicale annonce 280000 manifestants pour cette neuvième journée de mobilisations. La police tente le grand écart renversé, avec 16000 participants.

Il n'empêche, les photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux, entre le Vieux-Port et la Porte d'Aix, attestent d'une manifestation massive.

Même la cathédrale de la Major, au passage des manifestants, semblait avoir pris partie, avec une gigantesque banderole déployée au sommet d'une de ses coupoles: "Nik le 49.3, grève générale". "Je veux voir ma mamie maintenant, pas dans deux ans !!", réclamait de son côté sur sa pancarte un petit garçon de 8 ans et demi.

Emmanuel Macron au centre des slogans

L'interview du président de la République, mercredi, a beau ne pas avoir fait recette, avec un total par 11,5 millions de téléspectateurs, ses propos sont bien au coeur des cortèges de cette neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

Le président est méprisant, il ment, et tout le monde en a conscience. Il nous crache à la figure en nous disant qu’on n’est pas légitime. Aujourd’hui, on lui montre notre légitimité, on lui fait entendre notre voix, qu’il le veuille ou non. Et on va continuer comme ca jusqu’à la victoire”, fulmine ainsi Henry, syndiqué à Force ouvrière, rencontré dans la manifestation parisienne.

Un peu plus tôt dans la matinée, lors de l'occuption de la garde de Lyon, Cédric Liechti ne décolère pas: "Son discours a remis un coup d'essence sur le brasier". Au côté du responsable CGT-Energie Paris, Béranger Cernon, son homologue de la CGT-Cheminots, accuse: "Insulter des millions de salariés de factieux et nous comparer à ceux qui ont envahi le Capitole, c'est pire qu'une insulte".

"Je voudrais dire merci à Emmanuel Macron. Il est tellement arrogant et à côté de ses pompes qu'à chaque fois qu'il parle, t'as qu'une envie c'est de prendre ton drapeau pour partir en manif", s'époumone Fabien Villedieu, délégué syndical SUD-Rail sous les applaudissements.

Charles III ira-t-il rendre visite aux grévistes?

Pour sa première visite en tant que nouveau roi d'Angleterre, Charles III devrait recevoir un accueil tout particulier alors que les mobilisations contre la réforme des retraites connaissent un nouveau pic ce jeudi.

"Il y aura des initiatives autour de cette visite" royale, explique à l'AFP une source à la CGT cheminots, confirmant que la visite du roi était "dans le viseur" des manifestants. A Bordeaux, deuxième étape du périple, "il est quasiment certain que le roi ne pourra pas prendre le tramway", sourit Pascal Mesgueni, du syndicat CFTC, cité par le journal Sud-Ouest. Il y aura "possiblement des perturbations sur le réseau", a confirmé un porte-parole de l'entreprise de transport.

Le gouvernement britannique a indiqué jeudi "ne pas être au courant d'un quelconque changement de plan" concernant la visite de Charles III, toujours attendu à Versailles pour un "banquet d'Etat"

Fonction publique : participation à la grève en hausse

Un peu plus d'un agent sur six (15,5%) était en grève jeudi à la mi-journée dans la fonction publique d'Etat. Soit une participation en forte hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle elle avait chuté à moins de 3%.

La mobilisation est également plus importante jeudi à la mi-journée dans les deux autres grandes branches de la fonction publique. Dans la fonction publique territoriale (près de deux millions d'agents), le taux de grévistes atteignait 6,5%, contre 2,2% le 15 mars, tandis que la mobilisation atteignait 8,1% dans la fonction publique hospitalière (1,2 million d'agents), contre 4,5% précédemment.

35000 manifestants à Rennes

À Rennes, l'intersyndicale annonce 35 000 participants (22200). Soit plus du double par rapport à la huitième journée de mobilisation du 15 mars.

Des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène et de canon à eau.

Les leaders de l'intersyndicale font bloc contre la réforme

"Ce n'est que par la mobilisation et la grève qu'on arrivera à les faire reculer", assure Frédéric Souillot au départ du cortège parisien. Au côté du secrétaire général de Force ouvrière dans le "carré de tête", Laurent Berger ressent un "regain de mobilisation" pour cette neuvième journée de mobilisation intersyndicale. "Jusqu'au bout il va falloir garder l'opinion, c'est notre pépite", et pour cela "il faut des actions non violentes, qui n'handicapent pas le quotidien des citoyens", souligne le leader de la CFDT qui appelle "au respect des biens et des personnes, à la non-violence".

Pour Cyril Chabanier (CFTC), la prestation télévisée du chef de l'Etat, mercredi, a donné un coup d'accélérateur aux manifestations et grèves du jour: "Le discours de Macron nous aide à mobiliser". Murielle Guilbert (Solidaires) complète, estimant avoir senti "beaucoup de fébrilité dans les déclarations" de l'hôte de l'Elysée, Dominique Corona (Unsa) jugeant que "le président de la République a la monnaie de sa pièce".

Tous se tournent désormais vers le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer sur le texte dans moins d'un mois. "On a un horizon de mobilisation au moins jusqu'à sa décision", a prévenu Benoit Teste (FSU), pour qui "c'est dans l'intérêt de la société de continuer un mouvement encadré et coordonné".

 Philippe Martinez: "Emmanuel Macron a jeté un bidon d'essence sur le feu"

"Il a jeté un bidon d'essence sur le feu", a déploré ce jeudi après-midi le numéro un de la CGT, Philippe Martinez à propos d'Emmanuel Macron et de son intervention télévisée de mercredi. Alors que le cortège parisien s'élançait en cette neuvième journée de mobilisations contre la réforme des retraites, le leader de la confédération de Montreuil a rappelé que les syndicats avaient écrit au chef de l'Etat pour l'alerter sur la "situation explosive" du pays. Mais "il s'en fout", pointant "une stratégie du gouvernement de mettre en avant des incidents". "Il y a une grande colère", a-t-il insisté. "Aujourd'hui il y a beaucoup de lycéens, d'étudiants, il y a des facs qui sont bloquées, c'est plutôt une bonne chose".

Fabien Roussel (PCF) : "Macron fait le pari du chaos"

Depuis le cortège de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a estime que "Macron fait le pari de la violence, du chaos dans le pays" alors que son "gouvernement ne tient plus qu’à un fil". 

"En quelques jours, on est passé du débat sur les retraites aux violences policières. Le président de la République se comporte comme un casseur", a dénoncé le député du Nord qui "appelle à élargir la mobilisation, à mettre le pays à l’arrêt". "Il faut aller taper dans l’économie", ajoute-t-il invitant "les forces de l’ordre à rejoindre le mouvement car ils sont concernés". 

"Nous sommes respectueux de ce que décide l’intersyndicale, et c'est à elle de déterminer les suites de la mobilisation", a poursuivi le communiste avant d'évoquer le référendum d'initiative partagée, initié par les parlementaires de gauche cette semaine, qui "doit être un argument valable pour que le gouvernement suspende son projet" afin de laisser s'exprimer les citoyens.

"Nous faisons la démonstration qu’il y a un espoir de voir la gauche gagner", juge-t-il. Et Fabien Roussel de renouveler son appel lancé en début de semaine à "la creation d'une union entre la gauche et les organisations syndicales pour travailler main dans la main".  

Des transports fortement perturbés

Selon une recension de l'AFP:

  • A Rennes, le réseau de bus est "très fortement perturbé".

  • A Saint-Brieuc et Evreux, le trafic est quasiment paralysé.

  • A Toulouse, des barrages filtrants sont organisés, selon la CGT, aux dépôts de bus Tisséo de la région toulousaine mais sans blocage.

  • A Nice, la moitié des lignes de bus environ sont à l'arrêt, tout comme les trois lignes de tramway.

  • A Marseille, 16 lignes de bus sur 80 sont à l'arrêt.

  • A Paris, la RATP fait état d'un trafic "très perturbé" dans le métro parisien, avec une trentaine de stations "fermées au public".

  • A la SNCF, seule la moitié des TGV Inoui et Ouigo et le tiers des TER circulent.

  • La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d'annuler 30% de leurs vols à Paris-Orly et 20% à Marseille-Provence, Toulouse-Blagnac et Lyon-Saint-Exupéry en raison de la grève des contrôleurs aériens. Les aéroports de Montpellier et Pau ont été brièvement fermés jeudi matin en raison de l'absence de contrôle aérien.

Jérôme Guedj (PS) appelle le gouvernement à arrêter de "jouer avec le feu"

"C'est la 9e mobilisation et rien que cette enumération en dit long sur le rejet de la réforme exprimé par les Francais", a rappelé le socialiste Jérôme Guedj, lors du point presse de la Nupes depuis la manifestation parisienne. "C’est une mesure de regression sociale à laquelle se sont ajoutés les outils de la brutalité démocratique. J’alerte le gouvernement. Il ne faut pas jouer avec le feu", a également insisté le député. "Le levier de la mobilisation sociale est cruciale, et nous ne désespérons pas de mener notre travail parlementaire", a-t-il ajouté évoquant notamment le référendum d'initiative partagée (RIP) pour lequel "il faut aller chercher ces 4 millions de signatures".

Des manifestations et des blocages

Cette neuvième journée nationale de mobilisations, à l'appel de l'intersyndicale et contre la réforme des retraites, a été marquée ce matin par de très nombreux blocages et barrages.

Dans les villes côtières se déroulent des opérations "port mort".  A Boulogne-sur-Mer, très tôt, des manifestants soutenus par des étudiants ont érigé des barrages avec des barrières, poteaux électriques couchés, palettes, à l'entrée du port et de la zone industrielle de Resurgat, sous le regard du député LFI François Ruffin. A Caen, le port est également bloqué. A Calais, des retards sont enregistrés sur les ferries traversant la Manche et le monde portuaire transmanche est fortement représenté dans la manifestation qui s'est élancée dans la ville.

Ces blocages touchent aussi les transports publics. Ainsi, à Paris, plusieurs centaines de manifestants ont envahi dans la matinée les voies Gare de Lyon, tout comme à Brest ou à Narbonne.

De semblables opérations militantes se sont déroulées sur le périphérique toulousain, sur la rocade lilloise. A Argoeuves près d'Amiens, des barrages filtrants sont organisés dans une zone industrielle. A quelques kilomètres de là, dans l'Oise, sur l'A1, un échangeur à Chevrières et les bretelles d'accès sont fermées en raison de manifestations.

A l'aéroport de Roisy-Charles-de-Gaulle, environ 70 personnes ont bloqué jusqu'à 10 heures l'accès au terminal 1, mettant en place un barrage filtrant pour ralentir les passagers quittant l'aéroport.

En Meuse, des barrages filtrants sont organisés à Bar-le-Duc et Verdun.

Tout comme à Montélimard:

Clémentine Autain (FI) fustige un "président irresponsable"

La députée insoumise Clémentine Autain a dénoncé, lors du point presse de la Nupes à la manifestation parisienne, le cynisme de l'exécutif.  “On a un président qui est irresponsable, qui n’entend pas les Francais, qui piétine la démocratie. Il se comporte comme un chef d’entreprise et certainement pas comme un homme d’Etat”, a fustigé l'élue de Seine-Saint-Denis.

Marine Tondelier (EELV) : "On n'a pas envie de crever donc on continue de marcher"

«On voit bien qu’avec ce gouvernement c’est “marche ou crève” et nous n’avons pas envie de crever donc on va continuer de marcher», a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, lors de la conférence de presse commune de la Nupes dans le cortège parisien. «On suivra évidemment les décisions prises par l’intersyndicale qui n’a visiblement pas envie de se résigner. La priorité aujourd’hui est de faire monter la pression dans la rue, et on voit que le mépris avec lequel le gouvernement nous traite va alimenter cette mobilisation», a-t-elle ajouté, rappelant que la mouvement dispose aussi de «la carte du référendum populaire qui est notre ultime recours».

Quant à la gauche, «il est sûr que la coalition que nous formons depuis les législatives va devoir prendre un nouveau tournant parce qu'on a tous en tête de gagner en 2027 et que cela ne peut être uniquement derrière l'idée d'un candidat unique», a-t-elle ajouté alors que le patron du PS, Olivier Faure, évoque ce jeudi dans Libération un «projet de coalition qui incarne l'alternative».

La grève, c'est aussi dans les entreprises privées


 

Paris: opération "Robin des bois" à la mairie du 5ème

La mairie de cet arrondissement central de Paris, qui inclut le Quartier Latin, est restée sans électricité une partie de la matinée de ce jeudi matin. Cette opération de "sobriété" s'est accompagnée de la "mise en gratuité" d'un hôpital parisien. 

Florence Berthout, maire Horizons, parti de l'ex-Premier ministre Edouard Philippe favorable à la réforme, é déploré  "les conséquences en termes de sécurité" d'une telle action, notamment avec des personnes potentiellement "bloquées dans l'ascenseur". "On reçoit du public, des seniors ou personnes en situation de handicap, peut-être agoraphobes et claustrophobes", a-t-elle ajouté à l'AFP

Deux fois plus de manifestants à Clermont-Ferrand

En Auvergne, les cortèges ont pris de l'ampleur par rapport à la huitième journée d'action. A Clermont-Ferrand, la police a décompté 13500 manifestants, contre 6500 le 15 mars dernier.

L'intersyndicale revendique un cortège de 3000 personnesà Aurillac, de 4000 manifestants à Guéret. Quant à Tulle, le quotidien régional La Montagne décompte 2000 personnes.

Un quart des énergéticiens d'EDF en grève

Les personnels des industries électriques et gazières justifient à nouveau leur qualificatif de fer de lance du mouvement social contre la réforme des retraites. Un peu plus d'un quart des salariés d'EDF (25,3%) avait cessé le travail ce jeudi à la mi-journée, pour la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, selon la direction.

Une participation en légère hausse par rapport à la précédente journée de mobilisation en semaine, le 15 mars, lors de laquelle la direction avait comptabilisé 22,45% de grévistes à mi-journée par rapport aux effectifs totaux de l'entreprise.

 

Actuellement ce sont 21 862 MW ⚡ aux mains des grévistes, retirés du réseau dans les productions d'électricité thermiques, hydrauliques et nucléaires
Dans l'Énergie la #GreveReconductible est toujours là et s'amplifie, par ex de nouvelles bases Enedis sont bloquées depuis lundi
CGT Énergie Lyon (@CgtLyonEnergie) March 23, 2023

Les enseignants grévistes soutiennent la grève reconductible

Les personnels de l’Éducation nationale sont au rendez-vous des grèves et des cortèges de cette neuvième journée nationale contre la réforme des retraites. Selon leur ministère de tutelle, le taux de grévistes se montent ce jeudi à 21,41%,  dont 23,22% dans le primaire et 19,61% dans le secondaire (collèges et lycées). 

Pour le Snes-FSU,  premier syndicat du secondaire, ce niveau de mobilisation conséquent (pour certains personnels, il s'agit de leur neuvième journée sans salaire) s'explique par "la très grande colère de la profession nourrie par l'utilisation du 49.3 et les dernières déclarations du président de la République: jouant la carte de la provocation et du déni de réalité, Emmanuel Macron souffle sur les braises de la crise sociale et démocratique". L'organisation assure qu'elle "soutiendra toutes les actions de reconduction". "L'expérience a montré qu'il était possible de gagner face à un texte passé en force par un gouvernement qui foule au pied la démocratie sociale, à l'image du CPE en 2006", ajoute-t-il dans un communiqué.

Les Grecs solidaires

 

SOLIDARITÉ AVEC LE PEUPLE FRANÇAIS RÉVOLTÉ
Rassemblement à l’Ambassade de France à Athènes#antireport #greve23mars #ReformesDesRetraites pic.twitter.com/pP9S7rN2l1
Από τη σπίθα στη φλόγα (@SpithaFloga) March 22, 2023


 

La journée s'annonce massive

Comme depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, des manifestations seront organisées partout en France ce jeudi 23 mars par l'intersyndicale. Ce sont près de 240 points de rassemblements qui ont été communiqués par les syndicats (CGT, FO, CFDT, FSU, Unsa, CFTC, Solidaires, etc.).

  publié le 22 mars 2023

Retraites, journée du 21 mars à Montpellier : barrages filtrants, manif interpro, début de pénurie d’essence

sur https://lepoing.net

Ce mardi 21 mars, la journée à été bien remplie pour le mouvement montpelliérain contre la réforme des retraites. Le matin, quatre barrages filtrants ont été installés aux entrées de la ville. Un peu plus tard, environ 800 personnes ont manifesté entre la gare et Rondelet, entre repas en soutien aux caisses de grève, envahissement de la direction régionale de la SNCF et coupures d’électricité.

Des barrages filtrants tout autour de Montpellier

Dès les premières heures de la mâtinée, des barrages filtrants ont été organisés sur quatre gros rond-point d’accès à la ville, avec diffusion massive de tracts sur les prochaines mobilisations contre la réforme des retraites. L’Union Locale CGT était présente sur le rond-point du grand M, côté Saint-Jean de Védas. L’assemblée des grévistes de l’Éducation Nationale et le comité de mobilisation de la fac de sciences tenaient le rond-point de Château d’Ô, au nord de la ville. Également au nord, le rond-point de la Lyre, investi lui par les personnels des différents Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) de la ville. Enfin, on trouvait sur le rond-point du Près d’Arènes le groupe de gilets jaunes installés là-bas depuis plusieurs années et l’assemblée ”Montpellier contre la vie chère”.

Ces barrages filtrants ont occasionné en début de mâtinée des kilomètres de bouchon autour de Montpellier, les plus importants, au Nord, remontant jusqu’à Saint-Gély du Fesc.

Début de pénurie d’essence confirmée

Le Sud de la France est particulièrement impacté par le début de pénurie d’essence qui se profile, dans la foulée des grèves en cours dans les raffineries et des nombreux blocages de dépôts pétrolier. Ce mardi 21 mars de nombreuses stations services de l’agglo montpelliéraine et des alentours étaient touchées, comme la station essence Total Energies avenue de la Pompignane, en rupture totale. Ce matin du 22 mars les pénuries, partielles ou totales, concernaient plusieurs dizaines de stations essence dans l’agglo.

Les conséquences commencent à s’en faire sentir dans les commerces, quand on trouve des affichettes annonçant des ruptures de stock sur certains produits liées à l’impact du manque d’essence sur les livraisons, comme dans la rue du Faubourg de la Saunerie.

Une manif interpro envahit la Direction Régionale de la SNCF

En fin de mâtinée, une manif interprofessionnelle appelée par les cheminot.e.s grévistes a commencé au départ de la gare Saint-Roch, dont l’entrée était gardée par six camions de CRS. Après un début de rassemblement à 11h, où les participant.e.s étaient environ deux cent, le cortège a copieusement gonflé, jusqu’à atteindre 800 personnes. Avant départ sur les coups de midi vers le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, via les rails du tram.

Dans la foule, de très nombreux cheminot.e.s de tous syndicats : ils étaient venus de toute l’ancienne région Languedoc-Roussilon, avec de grosses délégations de Nîmes, Béziers, Agde, Narbonne… Mais aussi des personnels hospitaliers, des étudiant.e.s, des membres de l’assemblée de grévistes de l’Éducation Nationale, des syndicalistes de l’enseignement supérieur, des travailleurs sociaux, des gilets jaunes, des jeunes.

Après un repas à prix libre proposé par la CGT, au profit des caisses de grève, un gros quart de la manif, soit environ deux cent personnes, ont pénétré dans le bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, peuplé des cadres et de la hiérarchie de l’entreprise. De nombreux slogans ont été chantés, comme ”Rendez l’argent”, alors que les sonnettes d’alarme incendie étaient régulièrement activées dans les couloirs du bâtiment. Pendant que certain.e.s arrachaient tout ce qui se trouvait accroché aux murs, d’autres reprenaient l’hymne des cheminot.e.s qui a inspiré les gilets jaunes : ”On est là, on est là, pour l’honneur des cheminot.e.s et pour l’avenir de leur marmots, même si Macron ne veut pas nous on est là !”. Quelques tags également sur les murs du bâtiment, tout à fait sévères face à la politique de la direction de la SNCF et demandant des augmentations de salaire.

Les manifestant.e.s auront pu sortir du bâtiment sans intervention des policiers de la CDI postés prêt de l’arrêt Rondelet.

Dans le même temps, une coupure d’électricité était déclenchée par les grévistes sur une partie du quartier de la gare. La poste Rondelet a été impactée, de même que le nouvel Intermarché du coin, alors que les panneaux de tramway annonçaient une suspension des lignes à cause des coupures.

Des initiatives quasi-quotidiennes sur Montpellier

En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture [NDLR : Le Poing revient très bientôt sur celle de mardi soir], puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.

La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.


 


 

Le mouvement social ne désarme pas

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Actions, blocages et manifestations

Impossible de recenser l’intégralité des actions sur l’ensemble du territoire. Mais pour en citer quelques-unes : une opération « ville morte » avec des barrages filtrants à Lyon ce matin. Et des actions similaires à l’entrée des villes de Nantes, Montpellier, Le Havre, Rennes, Toulouse. Cet après-midi, c’est au tour du tunnel Saint-Charles à Marseille.

Autres blocages : Airbus à Toulouse, plusieurs sites de la filière déchet à Nantes, Poitiers, Brest ou encore Lannion, la zone industrielle d’Avignon nord et du Havre, le dépôt pétrolier de Lorient, la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain.

Et après la sobriété énergétique, la motion de censure énergétique. Les énergéticiens en grève ont revendiqué des coupures aux sièges de la Société Générale, de la RATP, de la BNP ou encore à la direction générale de la SNCF à Montpellier, après une manifestation à l’initiative des cheminots de la région en fin de matinée qui a réuni 1500 personnes.

La bataille des dépôts pétroliers

Dans la nuit, les gardes mobiles ont délogé les grévistes du blocage du terminal pétrolier de Donges (Loire-Atlantique) qui durait depuis une semaine. Toujours cette nuit, le préfet des Bouches-du-Rhône annonçait réquisitionner des grévistes du dépôt pétroliers de Fos-sur-Mer. En réaction, la CGT 13 a appelé à converger en opération escargot vers le dépôt et à s’y rassembler à 9h30. S’en est suivi un face-à-face tendu avec les CRS déployés qui s’est soldé par trois policiers blessés selon les autorités. Les syndicalistes quittaient les lieux en milieu d’après-midi.

Pour Fabien Cros, le délégué de la CGT Total la Mède, « la réquisition de grévistes, c’était l’acte de trop qui ne fallait pas mettre en place », rapporte La Marseillaise.

Éboueur : grève reconduite à Paris et qui commence à Marseille

Selon la CGT Services Publics, les grévistes ont décidé hier soir, après le rejet de la motion de censure, de reconduire leur grève jusqu’au lundi 27 mars. L’ensemble de la filière déchets est concernée : éboueurs fonctionnaires, du secteur privé, et salariés des usines d’incinération. Selon le syndicat, d’autres métropoles pourraient rejoindre le mouvement.

A Marseille, les éboueurs ont entamé leur mouvement mardi soir et ce mercredi la grève du ramassage des ordures a commencé, fait savoir FO Territoriaux, qui explique que ce sont les agents qui ont demandé à « entrer dans le dur ». Déjà lundi, des salariés étaient en grève au dépôt de la Cabucelle et au centre de transfert des déchets des quartiers nord, expliquait la CGT. Ce mercredi, FO territoriaux demande à son union départementale de lancer un appel pour le privé.

« Répression du mouvement social »

Plusieurs députés de la Nupes et le Syndicat de la magistrature sont montés au créneau pour dénoncer les violences exercées par la police lors des manifestations nocturnes contre la réforme des retraites. Et les gardes à vue arbitraires signant « une répression du mouvement social ». De nombreuses images circulent sur les réseaux sociaux, montrant des scènes choquantes. Selon le parquet de Paris, 425 personnes ont été placées en garde à vue entre jeudi et samedi dernier et 52 d’entre elles font l’objet de poursuites. Hier soir, 300 personnes ont été interpellées lors des manifestations ayant suivi le rejet de la motion de censure, dont 234 à Paris. De nouvelles manifestations sont prévues ce soir à Paris et dans d’autres villes.

Le Conseil constitutionnel saisi

Les oppositions ont fait connaître leur intention de saisir le Conseil constitutionnel sur la validité du texte, en l’occurrence un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale. Celui-ci a normalement un mois pour se prononcer sur les saisines. Mais Élisabeth Borne saisira elle-même le Conseil constitutionnel pour un examen dans les meilleurs délais, a-t-elle fait savoir cet après-midi. La Première ministre pourrait demander un examen en urgence. Soit sous huit jours.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel doit examiner la recevabilité d’une demande de référendum d’initiative partagée, lancé par des députés et sénateurs de gauche.


 


 

Retraites : étudiants, éboueurs et cheminots se lient, le mouvement social se démultiplie

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

À l’appel des étudiants, un millier de personnes a défilé de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine à la gare d’Austerlitz, à Paris. Les éboueurs étaient peu présents, mobilisés par le blocage de l’incinérateur, mais des cheminots et des enseignants ont rejoint les étudiants, avant de poursuivre la mobilisation ailleurs.

Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).– « Il était temps », se réjouit Frédéric, en voyant débarquer à Ivry-sur-Seine plusieurs centaines d’étudiantes et d’étudiants venus de toute l’Île-de-France, mardi 21 mars. Il est magasinier-cariste au dépôt des camions-bennes situé à côté du plus gros incinérateur d’Île-de-France.

Depuis trois semaines, dans le ciel parisien, manquent les deux panaches de fumée blanche crachés par ses cheminées. L’usine qui brûle une grande partie des ordures des Franciliens est occupée par les grévistes, à l’arrêt. « Et il faudra une semaine pour la relancer », précise Frédéric.

Une nouvelle manifestation s’est élancée à 14 heures, en direction de la gare d’Austerlitz à Paris, encadrée par des policiers. Celle-ci était autorisée, le parcours ayant été déposé, dimanche, par la Coordination nationale étudiante, qui réunit des représentant·es de toutes les universités mobilisées et des organisations étudiantes.

Par les réseaux sociaux et les messageries WhatsApp, la nouvelle a fait le tour des universités, et au-delà. Près de mille personnes sont parties d’Ivry, beaucoup d’étudiant·es de toute l’Île-de-France, mais aussi des cheminot·es, des enseignant·es.

Les éboueurs, eux, n’étaient pas nombreux. « Ils ont compris que, s’ils font grève, ils doivent rester chez eux. Sinon, ils sont réquisitionnés », explique Matthieu Carrier, de la CGT du Centre d’action sociale de la Ville de Paris, venu en soutien.

Depuis la semaine dernière, les forces de l’ordre se présentent chaque matin pour délivrer des ordres de réquisition. Didier, conducteur et syndicaliste Force ouvrière (FO), a dû monter dans un camion ce matin.

« On y va lentement, je n’ai ramassé qu’une demi-rue. Et, de toute manière, on ne peut pas vider les bennes : aujourd’hui, en plus d’Ivry, l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et le centre de transfert de Romainville (Seine-Saint-Denis) sont bloqués. L’incinérateur de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ne laisse passer que quatre camions par heure. » Résultat : les éboueurs employés par des entreprises privées doivent « aller loin, en Seine-et-Marne et dans le Val-de-Marne ».

« La guérilla des poubelles »

Selon Julien, un éboueur en grève qui occupe l’incinérateur d’Ivry, il reste « 10 000 tonnes de reliquat d’ordures dans les rues de Paris, autant qu’avant les réquisitions le 16 mars ». « Nous tenons bon », se félicite-t-il. « C’est la guérilla des poubelles », résume Matthieu Carrier.

« Cela fait trois semaines que cela dure, cela commence à être dur pour certains collègues, financièrement, nuance Frédéric, le magasinier-cariste. Il faut que d’autres corporations nous soutiennent. »

Les étudiant·es ont bien cerné l’enjeu : « La clé de la victoire, c’est de faire en sorte que les grèves reconductibles tiennent, s’étendent, qu’elles soient soutenues par des manifestations de masse », explique Victor Mendez, étudiant à la faculté de Nanterre, membre de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) et du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) Jeunes.

L’occupation de la faculté de Tolbiac, lundi 20 mars, a été mise en échec par une centaine de CRS qui, à la demande de la présidence de l’université, ont bloqué les entrées et empêché la tenue d’une assemblée générale « inter-facs ».

« En début de soirée, nous étions encore deux cents, mais nous avons décidé de quitter les lieux, explique Hortense, du NPA Jeunes, l’une des organisatrices de la mobilisation étudiante. Il y a eu des violences policières aux grilles. Des étudiants ont été gazés alors qu’ils essayaient d’en faire entrer d’autres par une issue de secours. »

La jeune militante en convient : en occupant l’université de Tolbiac, les étudiant·es perdaient en mobilité, alors que le mouvement social se démultiplie. « Il y a des mobilisations tous les jours, dans de nombreux endroits, on essaie d’être présents partout », confirme Imane Ouelhadj, présidente du syndicat Unef.

Ils ne peuvent plus nous canaliser.

« Chaque jour, en assemblée générale, on décide de nouvelles actions, explique Salima, cheminote de Sud Rail. Alors, ils ne peuvent plus nous canaliser. » Cet après-midi, elle est aux côtés des étudiant·es, puis à 18 heures en manifestation intersyndicale, peut-être. « On ne sait pas, on va aller voir. Cela nous fait de grosses journées », plaisante-t-elle.

En lettres rouges sur fond noir se détache la banderole du lycée professionnel Jacques-Brel de Choisy-le-Roi. Quelques dizaines d’enseignant·es, de quatre établissements de cette ville du Val-de-Marne, marchent avec les étudiant·es. Eux aussi sont en grève reconductible, ils tractent tous les matins devant leurs lycées, collèges, écoles.

Grégory Germain, professeur de français et d’histoire, raconte « des échanges chaleureux avec les lycéens. Ils ne sont pas seulement heureux de ne pas avoir cours. Ils nous soutiennent sincèrement, c’est rare. En lycée professionnel, ils savent qu’ils vont commencer à travailler jeunes, que cette réforme aura des conséquences pour eux ».

En première ligne dans le cortège étudiant, se tient un service d’ordre discipliné, en rangs serrés, jeunes femmes et jeunes hommes réunis. « On se protège des voyous en uniformes bleus, explique Victor Mendez, l’un des organisateurs du service d’ordre. Eux sont ultra-organisés pour nous réprimer, à nous de nous auto-organiser pour nous défendre. » Que faire en cas de charge policière, en garde à vue ? Des consignes ont été passées.

Le militant CGT Matthieu Carrier en est lui aussi convaincu : « Cela va monter en violence. La bourgeoisie défend ses intérêts, quitte à nous casser la gueule. » Mais il est plus nuancé dans sa perception des forces de l’ordre : « Cette fois, nos relations sont plus simples. Ils doutent, car eux aussi ne veulent pas travailler plus longtemps. On peut réussir à fatiguer ce dispositif de répression. »


 


 

Retraites : les grèves dans les raffineries, un nouveau front explosif pour l’exécutif

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Les premières réquisitions de grévistes au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer ont rehaussé d’un cran les tensions, alors que toutes les raffineries du pays sont touchées par des mouvements de grève contre la réforme des retraites. Les réserves de carburant s’épuisent dans certains départements.

LaLa scène est impressionnante. Une colonne de CRS reculant face à la foule, sous les sifflets et les huées. Derrière, une épaisse fumée noire se dégage d’un feu de palettes. Captée par le journaliste Cole Stangler mardi 21 mars au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), la vidéo est devenue virale.

« Contre la retraite Macron et la folie d'un homme, seul : la force du nombre, la joie et la détermination pour faire reculer l’homme du chaos, là-haut », a ainsi tweeté le député insoumis François Ruffin.

Dès le début de journée, plusieurs centaines de personnes, essentiellement de la CGT, se sont rassemblées devant l’un des accès du site, en soutien aux grévistes réquisitionnés le matin même par la préfecture. C’est Olivier Mateu, patron de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, qui a battu le rappel : « Non aux réquisitions ! Non à la casse du droit de grève ! Tous au dépôt pétrolier de Fos à 9 h 30 », a posté sur les réseaux sociaux le bouillant cégétiste, considéré comme un dur.

Courant février, il avait raconté son entretien avec le préfet de région à l’automne, lors du précédent mouvement de grève dans les raffineries, et avait précisé à Mediapart qu’il agirait de même à nouveau s’il le fallait : « À la première réquisition, c’est la guerre. Vous touchez un camarade dans une raffinerie, on vous met le feu au département. Mais pas le feu “on s’énerve”. On vous met le feu, les flammes. »

Mardi midi, à Fos-sur-Mer, le face-à-face entre grévistes et forces de l’ordre a rapidement tourné à l’affrontement et trois CRS ont été « sérieusement blessés », selon la préfecture. Deux ont été transportés à l’hôpital. « C’est plutôt eux qui nous ont affrontés ! Pas nous !, commente auprès de Mediapart Fabien Cros, délégué syndical CGT à la bioraffinerie Total de La Mède (Bouches-du-Rhône), venu en renfort avec une dizaine de collègues. On s’est avancés et on s’est pris des lacrymos. »

Hors de lui, Olivier Mateu a dénoncé l’usage de gaz lacrymogène « sans sommation » et tonné sur BFMTV contre « ce gouvernement en déroute qui tape sur les travailleurs », avant de conclure, à l’adresse d’Emmanuel Macron : « Sa réforme, il va la manger, je vous le dis, et le dépôt, on va le reprendre ! »

Ces réquisitions de personnel sont les premières, chez les raffineurs, depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites. Les six raffineries du pays sont touchées par des mouvements de grève. Selon la CGT, plus aucune goutte de carburant ne sort depuis le week-end des 18 et 19 mars.

Volte-face du ministre en 24 heures

Une grande partie des deux cents dépôts pétroliers français sont également impactés, dont les plus importants au Havre (Seine-Maritime), à Dunkerque (Nord) et à Fos-sur-Mer. Selon le quotidien Le Parisien, d’autres dépôts, comme à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ou Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), voient « leurs expéditions se réduire comme peau de chagrin ».

En Loire-Atlantique, les forces de l’ordre sont intervenues dans la nuit du lundi à mardi pour débloquer le terminal pétrolier de Donges, occupé depuis une semaine. La raffinerie n’expédie plus de carburant depuis le 7 mars et les effets se ressentent dans certains départements de l’Ouest, comme en Loire-Atlantique, où 29 % des stations-service sont « en difficulté », rapporte Le Monde.

En face, et quelques mois après les grèves des raffineurs qui ont asséché le pays à l’automne 2022, l’exécutif semble fébrile. Et se contredit à la vitesse de l’éclair. « On n’en est pas à l’heure de la réquisition. À l’heure où nous parlons, nous avons pris des mesures d’anticipation », affirmait lundi matin le ministre des transports, sur France Info.

Vingt-quatre heures plus tard, le même Clément Beaune a dû se dédire, sur France Inter, à propos de Fos-sur-Mer. « La moitié des stations-service sont en difficulté dans les Bouches-du-Rhône et donc, oui, ce matin, de manière ciblée, des réquisitions sont en cours, à Fos-sur-Mer spécifiquement », a reconnu le ministre.

L’objectif de cet arrêté n’est pas le maintien de l’ordre public mais bien de fragiliser le mouvement social en cours.

Dans le sud-est de la France, la pénurie guette. « La région Provence-Alpes-Côte d’Azur connaît une forte et rapide dégradation des ruptures en stations[-service] », indique la préfecture des Bouches-du-Rhône, dans son arrêté de réquisition de personnel de Fos-sur-Mer, valable jusqu’au mercredi 22 mars inclus.

Selon les services de l’État, le taux de rupture de carburant dans la région Paca était de 19 % le 18 mars et de 33 % le 20 mars. « Dans le département des Bouches-du-Rhône, ce taux est passé de 34 % à 51 %, et dans le Vaucluse, ce taux de rupture est de 30 % », ajoute l’arrêté, précisant que « le site DPF [dépôts pétroliers de Fos – ndlr] est un dépôt pétrolier majeur », desservant également l’Occitanie voisine ainsi que la Drôme et le Rhône.

Arguant de risques « de troubles à l’ordre public » et d’une pénurie affectant « le fonctionnement des services publics essentiels », la préfecture décrète donc « la réquisition d’une partie des personnels grévistes ». Comme ce fut le cas durant les grèves des raffineurs à l’automne 2022, cette décision sera attaquée, en référé, devant le tribunal administratif de Marseille. Selon les informations de Mediapart, l’audience aura lieu mercredi 22 mars, à 11 heures.

La Fédération nationale des industries chimiques CGT demande la suspension de l’arrêté préfectoral, jugeant que « lobjectif de cet arrêté n’est […] pas le maintien de l’ordre public mais bien de fragiliser le mouvement social en cours ». La requête, que nous avons pu consulter, souligne aussi « le but expressément assumé » des réquisitions, à savoir : « l’approvisionnement de la région PACA, Occitanie et zone Sud-Est, sans distinction entre les services prioritaires et le reste des consommateurs ».

De son côté, Fabien Cros, de la bioraffinerie de La Mède, assure que ces réquisitions sont plus que douteuses sur le fond : « Ils ont réquisitionné trois salariés par équipe, alors que ça doit tourner à cinq, minimum. C’est dangereux pour l’outil de travail et les salariés ! »

  publié le 21 maers 2023

Retraites : une centaine de personnes rassemblées devant les locaux montpelliérains du MEDEF

sur https://lepoing.net/

Une centaine de personnes se sont rassemblées ce lundi 20 mars devant les locaux du MEDEF, syndicat patronal inspirateur de bon nombre de politiques néo-libérales, pour protester contre la réforme des retraites.

Le rassemblement était à l’initiative des syndicats locaux. Sur place, une nette surreprésentation de la CGT, avec pas mal de drapeaux de l’Union Syndicale Solidaires, quelques gilets jaunes et militant.e.s anticapitalistes. Petite présence des autres syndicats.

L’action, appelée sur les coups de midi, aura duré un peu plus de deux heures, après un barbecue au profit des caisses de grève. Des pneus ont été posés à la sortie du rond-point qui dessert les locaux du MEDEF et d’autres entreprises, obligeant les conducteurs à faire le tour de la zone pour y accéder. Malgré ces petites perturbations, le rassemblement a été salué de nombreux coups de klaxon en signe de soutien.

Les actions et manifs contre la réforme des retraites sont maintenant quotidiennes sur Montpellier. En plus de la grande manif intersyndicale et interprofessionnelle du 23 mars, à 10h30 place Zeus, d’autres défilés sont prévus mardi, mercredi et jeudi soir à 18h devant la préfecture, puis samedi à 14h sur la Comédie, avec pour projet de converger avec la mobilisation contre les lois Darmanin et Kasbarian, qui sabrent respectivement les droits des étrangèr.e.s en situation irrégulière et ceux des locataires et squatteurs (cette seconde manif est prévue elle aussi le samedi à 14h, toujours sur la Comédie), côté office du tourisme.

La prochaine assemblée interprofessionnelle aura lieu le jeudi 23 à 18h30 à Paul Valéry, après une AG étudiante à 15h30. Ce mercredi 22, les cheminot.e.s grévistes prévoient un petit déjeuner revendicatif, ouvert à tous, à partir de 7h. Une nouvelle AG de travailleurs sociaux aura lieu à partir de 18h au bar Le Dôme.


 


 

Une nuit pas comme les autres à Montpellier : quand le mouvement social s’encanaille

sur https://lepoing.net/

19 h 30, ce lundi 20 mars, place des Martyrs de la Résistance : environ 700 personnes ont répondu présentes au rassemblement devant la préfecture montpelliéraine, en réaction à l’échec de la motion de censure présentée contre le gouvernement d’Élisabeth Borne. Le cortège s’élance rapidement dans le centre historique et gagne de l’ampleur au fil des carrefours piétons. Les visages sont jeunes, la foule compacte, les slogans vindicatifs. Une ambiance qui marque par son contraste avec celle des cortèges syndicaux traditionnels, cœur de la mobilisation contre la réforme des retraites depuis deux mois.

Après un premier face à face avec les forces de l’ordre devant la préfecture le cortège s’enfonce dans les ruelles sinueuses menant vers la gare Saint-Roch. Le pas est déterminé, la foule se densifie, des barricades fleurissent autour de l’Écusson – la police elle, peine à s’organiser face à une mobilisation aussi volatile. Les camions de CRS arrivent en trombe devant l’entrée principale de la gare alors que les manifestants ne sont qu’à quelques dizaines de mètres des portes : à tribord, toute ! Ça repart vers la Comédie. La spontanéité de la mobilisation déroute, surtout que les passants semblent apprécier le spectacle : la maréchaussée n’a pas fini d’enfiler ses boucliers, mais, vite, il faut retourner dans les camions. Un jeu du chat et de la souris aux lumières des feux de poubelles qui durera près de deux heures, sans que la police ne parvienne à reprendre la main sur une mobilisation si imprévisible.

Ce quatrième jour de mobilisation consécutif en France depuis le recours au 49.3 semble marquer une rupture avec les précédents du mouvement contre la réforme des retraites. De Paris à Brest, de Strasbourg à Saint-Étienne, de Montpellier à Lille : l’émeute parcourt le pays comme un écho au vote qui se déroulait plus tôt dans la soirée à l’Assemblée nationale. Ici les signes d’une mobilisation au tournant sont nombreux : des gilets jaunes présents dans le cortège, quelques drapeaux d’organisations syndicales, des étudiants… Et des fenêtres qui s’ouvrent devant les manifestants pour les applaudir. Avant de se disperser on entend les rendez-vous pris pour demain, ça foisonne, ça boue. Les prochains jours vont être chargés. Le nombre et la diversité des mobilisations partout en France entrevoir une inversion du rapport de force amorcé par Emmanuel Macron : reste à savoir qui cédera le premier.


 


 

« Ils passent en force, 
on utilise la force »

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Depuis l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution pour adopter la réforme des retraites sans vote au Parlement, jeudi dernier, des dizaines d’actions ont eu lieu partout sur le territoire. Des mobilisations plus radicales, que l’intersyndicale ne contient plus.

Des rues du 8e arrondissement parisien jonchées de poubelles enflammées. La rocade rennaise bloquée par des barricades en feu. La place de la République lilloise noyée sous les gaz lacrymogènes face à des manifestants refusant une nasse. Des routes bloquées à Aubenas, Lorient ou Quimperlé.

La liste pourrait encore s’allonger. Depuis jeudi après-midi et l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 pour adopter la réforme des retraites sans vote à l’Assemblée nationale, la mobilisation sociale s’est radicalisée. « Ils passent en force, on utilise la force », confie Malik*, le visage à moitié masqué sur la place de la Concorde.

Dans la soirée, plusieurs manifestations sauvages brûleront poubelles et voitures dans les rues de ce cossu quartier parisien. Le tout émaillé d’images de répression policière. Des scènes rappelant, vivement, celles des premières mobilisations des gilets jaunes.

Les limites de la stratégie du « calme »

Or, outre la violence et la répression, un point commun saute aux yeux lorsqu’on regarde le mouvement de la fin d’automne 2018 et ces mobilisations spontanées qui émergent partout sur le territoire : elles ne sont pas à l’initiative d’organisations syndicales.

Pourtant, depuis le départ, et au contraire des gilets jaunes, la contestation contre la réforme des retraites est marquée par une union syndicale forte, et inédite – une première depuis treize ans. Mais après huit journées de mobilisations historiques avec des affluences record dans la rue, la stratégie du calme semble avoir atteint ses limites dans l’esprit de nombreux contestataires.

« Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger », assure Sami, commercial dans le privé, venu en soutien aux éboueurs sur un piquet de grève. « Cela fait des semaines qu’on a mis en garde le président de la République sur la colère sociale qui monte, souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Avec ce 49.3, elle est aujourd’hui au maximum. Cette explosion sociale, ce sont eux qui en sont responsables ».

Il faut y aller plus dur, y a que ça qui les fait bouger.

« Responsables », car ce n’est pas faute, du côté des organisations professionnelles, d’avoir tout tenté pour se faire entendre. Mais ni les millions de personnes dans la rue, ni le million de signatures de la pétition intersyndicale, ni les grèves, ni le courrier qui lui a été adressé n’ont fait bouger d’une oreille un Emmanuel Macron sourd à leur égard.

« C’est insensé que l’exécutif s’entête jusqu’au 49.3 pour faire passer sa réforme coûte que coûte. Quelle folie ! », s’exclame Marylise Léon, secrétaire nationale adjointe de la CFDT. C’est aujourd’hui cette intransigeance qui pousse de nombreuses personnes à radicaliser leurs moyens d’action. « La colère, après tout ce qui vient de se passer, est compréhensible. Cela fait aussi partie de notre boulot de la contenir. Mais on ne répondra pas à toutes les envies d’en découdre », prévenait, dès jeudi soir, la cédétiste.

Une question se pose cependant. Si tout le monde s’accorde à dire qu’Emmanuel Macron est responsable de cette « explosion sociale », l’intersyndicale y a-t-elle pleinement répondu ? Jeudi soir, à la suite du recours au 49.3, les syndicats ont publié un communiqué très sobre, appelant simplement à poursuivre la mobilisation au travers d’actions « calmes et déterminées ».

« Calme », un mot qui n’avait, depuis le début du mouvement social, jamais été utilisé dans les communiqués intersyndicaux. Encore une semaine avant, c’est dans ce type de communication que les syndicats menaçaient d’une « situation explosive ».

L’exécutif devant ses responsabilités

Un revirement mûrement réfléchi. Après le passage en force du gouvernement, les organisations syndicales veulent jouer à fond la carte de la respectabilité. « Ce qu’on voit désormais, c’est que la démocratie, c’est nous », clament Catherine Perret et Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa. « Nous, on avance tranquillement face à un gouvernement qui fait n’importe quoi. C’est ça la réalité aujourd’hui », abonde Simon Duteil, codélégué général de Solidaires.

Ainsi, plutôt que de répondre à l’urgente colère qui germait dans les esprits de nombreux manifestants, la prochaine date de mobilisation interprofessionnelle a été fixée au jeudi 23 mars, soit une semaine après l’utilisation du 49.3. Une date relativement éloignée que certains militants critiquent.

« Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi. Il faut mettre en place des grèves plus dures, plus longues », assène le militant de Révolution permanente Anasse Kazib devant des centaines de personnes amassées place de la Concorde, jeudi.

Il faut arrêter de manifester une fois par semaine et ensuite rentrer chez soi.

Pour de nombreux protagonistes, la présence de la CFDT dans l’intersyndicale empêche tout durcissement du mouvement, surtout après un 7 mars où les taux de grévistes n’ont pas été à la hauteur des espérances. « Faire grève un jour puis retourner au travail, ça ne sert à rien », poursuit Anasse Kazib.

« Je ne trouve pas que les syndicats plus modérés imposent une ligne trop tendre au mouvement », réfute Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « La grève, ça ne se construit pas en appuyant sur un bouton. À la CGT, nous continuons d’appeler à massifier les grèves reconductibles », rappelle Catherine Perret.

En choisissant la date du jeudi 23 mars, les leaders syndicaux se doutaient bien que des mobilisations spontanées verraient le jour entre-temps.  D’une certaine manière, ce choix les dédouane des actions plus radicales et violentes qui ont eu lieu ces derniers jours. C’est aussi une façon de placer l’exécutif devant ses responsabilités. Lui, et lui seul, est responsable de cette explosion sociale.

Malgré tout, si l’intersyndicale est restée mesurée, le caractère antidémocratique du recours au 49.3 a heurté bon nombre de personnes. Depuis, de nombreux secteurs ont appelé à poursuivre et à durcir les mouvements de grève. Du fait de la mobilisation dans les raffineries par exemple, de plus en plus de stations-service commencent à manquer de carburant.

« On est dans une séquence où on peut encore imposer un rapport de force. Donc on le dit clairement, c’est vraiment là qu’il faut agir, c’est vraiment jeudi qu’il faut se mettre en grève », conclut Benoît Teste. À voir si, ce jeudi, les organisations syndicales réussiront à ne pas se faire déborder dans les rues par une colère trop bouillonnante pour qu’elles arrivent à la contenir.

publié le 20 mars 2023

Des vallées alpines aux facs du Nord, des luttes ravivées

Cyprien Boganda, Samuel Eyene, Joseph Korda et Guillaume Pavis sur www.humanite.fr

Depuis l’utilisation par l’exécutif du 49.3, le 16 mars, la mobilisation sociale contre la réforme des retraites est entrée dans une nouvelle phase d’actions mêlant mouvements de grève et manifestations locales, parfois violemment réprimées. Retour sur trois jours à nul autre pareils.

Instantanément, l’article 49.3 dégainé a produit son effet. Jeudi, en fin d’après-midi, des manifestations spontanées ont surgi de Rennes à Bordeaux, de Dijon à Marseille et jusqu’à la place parisienne de la Concorde. Une éruption de colère, parfois violente, qui ne s’est pas démentie les jours d’après, alors que l’intersyndicale a appelé à des actions locales, avant une nouvelle journée nationale de mobilisation jeudi.

Vendredi, Paris, 7 h 30. Le périphérique à l’arrêt

Un homme sort de son sac une chasuble rouge de la CGT. Un autre se pare du vêtement rose de Solidaires. Une centaine de personnes effectuent le même mouvement. Une fumée rouge enveloppe l’air, signe du craquement d’un fumigène.

« La CGT, l’union départementale Paris, l’interprofessionnelle et des syndicats autonomes ont décidé de bloquer le périphérique à trois endroits différents, dont la porte de Clignancourt, dévoile Cédric Liechti, secrétaire général CGT énergie Paris. C’est notre réaction au coup de force réalisé jeudi par le gouvernement. »

Cinq minutes plus tard, les militants et grévistes déboulent sur la voie intérieure à pied, banderoles dépliées, chants entonnés. Malgré l’agacement des quelques conducteurs immobilisés, l’opération s’effectue sans violence et dans la joie.

Des automobilistes en sens contraire klaxonnent en guise de soutien. « Je suis contente d’être mobilisée aux côtés de tout ce monde présent », se réjouit Florine, professeure en collège, qui appelle à « multiplier les actions sauvages ».

Une heure et demie plus tard, le cortège, arrivé à la porte de la Chapelle, se disperse. « La rue va reprendre ses droits », promet Cédric Liechti pour les prochains jours.

Vendredi, Saint-Georges-de-Commiers (Isère), 11 heures. Que la troisième semaine de lutte commence

Le barbecue commence à fumer. Voilà de quoi accueillir la cinquantaine de personnes venues partager un moment revendicatif à la centrale hydroélectrique de Saint-Georges-de-Commiers. C’est la plus proche de Grenoble parmi les huit sites isérois à être occupés par les énergéticiens encore ce week-end. « Il y a des grévistes d’Enedis, de RTE, des gaziers, des cheminots, des profs », énumère Jordan, technicien d’exploitation. « C’est la deuxième fois qu’on se réunit sur le piquet, ces grèves ont vraiment soudé tout le monde », se réjouit Nicolas Peix.

Pour cet autre technicien et représentant syndical Force ouvrière, « ça nous permet de faire le point après le 49.3, qui nous a vraiment énervés et remotivés. On a discuté d’actions à mener la semaine prochaine et de comment durcir le mouvement ».

Une fois le repas terminé, les salariés votent la reconduction à main levée : à l’unanimité, la grève se poursuivra au moins jusqu’au jeudi 23 mars. « On va entrer dans notre troisième semaine de lutte », explique Nicolas.

Dans l’après-midi, les salariés reçoivent la visite de Marie-Noëlle Battistel, la députée socialiste de la 4e circonscription de l’Isère. « Avec elle, on a fait un point sur la semaine à venir, entre les motions de censure et le référendum d’initiative partagée (RIP) », égrène Nicolas Peix.

Vendredi, Rennes (Ille-et-Vilaine), 14 heures. Opération « ville morte » votée pour lundi

Ils auraient pu inscrire « pagaille » ou « désordre ». C’est « le zbeul tous les soirs » qui fait l’unanimité comme maître mot de l’assemblée générale organisée à l’université Rennes-II, après une manifestation pacifique qui a réuni 5 000 personnes dans la matinée, dont une foule de jeunes galvanisée.

Devant le bâtiment universitaire, entre deux votes à main levée, on fait le point en fumant quelques cigarettes roulées. Les murs sont tagués de nombreux slogans revendicatifs accumulés semaine après semaine. « Il suffira d’une étincelle », peut-on lire sur l’un d’entre eux. Une bande d’amis s’amusent à jouer au black bloc avec des parapluies et projectiles fictifs. Le chat et la souris version militant radical et policier.

À l’intérieur, on essaie de se projeter vers les jours à venir. Manifestations, barrages, blocages ? Tout à la fois ? On se demande s’il ne serait pas temps d’obtenir cette fameuse « prime à la violence » évoquée par Laurent Berger. Finalement, l’assemblée générale décide l’organisation d’une journée «  ville morte » lundi 20 mars

C’est qu’après la nuit de violences de jeudi 16 mars, d’une rare intensité (quelques blessés, des magasins saccagés, du mobilier urbain détruit), l’ambiance est encore électrique. Au petit matin, les commerçants ont ramassé ce qu’il reste de leurs vitrines.

Les devantures du centre-ville sont barricadées par crainte que le 49.3 dégainé par Élisabeth Borne n’embrase à nouveau la capitale bretonne. Mais le calme est de rigueur, finalement, ce vendredi soir, dans le cœur de Rennes, où une armada de CRS est déployée. Après une poussée de fièvre, la mobilisation marque une pause. On se replie pour mieux préparer la suite.

Vendredi, Lille (nord), 22 h 30. L’espoir de convergence face à la répression

S’il fallait un mètre étalon pour mesurer la colère des Lillois à l’annonce du passage en force du gouvernement pour faire adopter sans vote son projet de réforme des retraites, la place de la République en fournirait un efficace.

Le 16 mars au soir, l’esplanade dédiée à l’accueil des manifestations unitaires les jours de mouvement national est longtemps restée occupée par des militants de tout bord. Parmi eux, quelques dizaines de jeunes et d’étudiants.

Le lendemain matin, le gros de ces forces est déjà présent sur le campus de Lille-III. « On avait occupé le campus dès mercredi, explique Louis, étudiant en sociologie et histoire et adhérent de la Fédération syndicale étudiante (FSE). Pour contrarier le mouvement, la direction de l’université avait décidé de passer les cours en distanciel. Point que nous avons dénoncé. »

À 11 heures, en assemblée générale interprofessionnelle, étudiants et salariés ont voté le principe d’une grève reconductible pour ce début de semaine. Le soir même, plusieurs centaines de personnes organisent des manifestations spontanées réprimées par la police avec une violence peu habituelle dans la capitale des Hauts-de-France. Le rond-point précédant la porte des Postes est le théâtre de heurts importants. Le rassemblement s’achève vers 22 h 30 avec un appel à intensifier le mouvement.

« Nous déplorons plusieurs blessés, dont certains ont dû passer par les urgences », témoigne un étudiant entre deux nuages de gaz lacrymogènes. « La logique est d’occuper les mêmes lieux, chaque jour à la même heure, mais ce n’est pour autant pas la même qu’au moment des gilets jaunes », prévient Louis.

Ici, les étudiants comptent sur une convergence dans la durée, permettant aussi de porter les revendications propres au milieu universitaire, comme la question de la sélection ou des moyens alloués aux facultés. « Ce qui se passe est incroyable, franchement. Si on ne bouge pas, au-delà des retraites, c’est l’extrême droite qui va gagner », prévient Élise, étudiante en histoire. Qui s’inquiète : « J’espère que le mépris du gouvernement et les violences policières ne décourageront pas les grévistes. »

Samedi, centrale de Grand-Maison (Isère), 15 heures. La grève de vallée en vallée

« Si la motion pour le référendum d’initiative partagée (RIP) passe, on lève le piquet dès le lendemain », assure Valentin Dombey. Chaque jour sur les routes pour soutenir les grévistes des nombreux barrages hydroélectriques en débrayage, le délégué syndical CGT d’EDF Hydro Alpes se trouve ce samedi 18 mars à la centrale de Grand-Maison.

En cet après-midi, le piquet de la plus importante installation de ce type en France est tenu par une dizaine de salariés. « Depuis le début de la grève le 6 mars dernier, j’ai passé dix nuits ici. C’est devenu une ZAD », s’amuse Léa, mécanicienne de 26 ans, tout en remplissant d’eau une cuve dans laquelle elle a installé des bancs.

« On se fabrique un Jacuzzi », sourit-elle. Avant de redevenir plus grave : « On ira jusqu’au bout. Je vais taper dans mon épargne, faire attention aux dépenses. Mais mieux vaut se priver que de tirer quatre ans de plus », explique-t-elle en référence à la destruction du régime des industries électriques et gazières prévue par le projet de loi gouvernemental.

Samedi, Paris, 18 heures. Une manifestation au secours de la démocratie

« Au point où on en est, ce n’est même plus vraiment la retraite que je défends, c’est la démocratie. » Erick, directeur de MJC (maison des jeunes et de la culture) parisienne, a de la colère à revendre et un certain sens de la formule. Il n’a pas hésité longtemps avant de se rendre place d’Italie pour participer à cette manifestation organisée par la CGT où se pressent plusieurs milliers de personnes.

« Quand Élisabeth Borne est redescendue de la tribune de l’Assemblée nationale avec le sourire après avoir annoncé le 49.3, nous avons basculé dans autre chose, poursuit le quinquagénaire, accoudé à la balustrade de l’entrée du métro. Nous sommes toujours en République, certes, mais plus en démocratie. »

À croire que la brutalité politique déployée par l’exécutif a cristallisé une colère qui dépasse la seule opposition à la réforme des retraites. Chez les manifestants, c’est un ras-le-bol généralisé qui s’exprime. Ainsi qu’une réelle volonté d’en découdre.

Des incidents se produisent d’ailleurs dans les avenues adjacentes à la place d’Italie lorsque des manifestants tentent de rejoindre le site d’incinération d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où les éboueurs sont en grève.

La police revendiquera 110 interpellations. « Le passage en force n’est pas acceptable », cingle Valérie, militante FSU et prof de SVT au lycée Jules-Ferry, qui se prend à rêver à un scénario façon CPE en 2006.

Dimanche, Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), 16 heures. Vannes fermées au terminal méthanier

Les installations sont à l’arrêt depuis le 6 mars. En temps normal, le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) accueille des navires chargés en gaz naturel liquéfié (GNL), qui est ensuite transformé à l’état gazeux sur le site, odorisé, puis envoyé sur les réseaux. Mais pas en ce moment. Les grévistes ont arrêté les pompes, les moteurs, et rien ne sort des tuyaux.

Lorsqu’on appelle Julien Guillaud, délégué syndical Elengy (filiale d’Engie), il se trouve dans la salle de contrôle. « Les grévistes se relaient sur le site pour le maintenir en sécurité, explique-t-il. Nous avons trois cuves de 120 000 mètres cubes de GNL, un liquide incolore et inodore. Autant dire qu’il ne faut pas qu’il y ait de fuite. »

Le taux de grévistes – autour de 80 % en moyenne – donne une indication quant au niveau de détermination. « L’utilisation du 49.3 ne fait que nous conforter dans notre action, assure le syndicaliste. Nous avons été parmi les premiers à entrer dans la lutte, ce n’est pas le moment de lâcher. » La suite sera décidée en assemblée générale, ce mardi.


 


 

La mobilisation décolle dans de nombreux secteurs

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Raffinerie, électricité, gaz, déchets ménagers, le ton monte depuis le passage en force du gouvernement, en vue de la journée d’action nationale de jeudi 23 mars à l’appel de l’intersyndicale.

Après un week-end riche en manifestations à travers le pays, la pression monte pour le gouvernement avant la journée d’action interprofessionnelle du 23 mars. Alors que le début de semaine s’annonce décisif avec le vote des motions de censure à l’Assemblée nationale pour barrer la route à la réforme des retraites, les différents secteurs économiques haussent le ton.

Dans les raffineries, plus rien ne sort

Dans les raffineries, les robinets commencent à se fermer. Depuis le 17 mars au soir, l’arrêt des installations du site de TotalEnergies en Normandie, le plus important du pays, basé à Gonfreville-L’Orcher (Seine-Maritime), est acté et devrait se poursuivre jusqu’à lundi soir. Selon Éric Sellini, coordonnateur CGT du groupe TotalEnergies, « plus rien ne sort » du site.

Les expéditions sont aussi stoppées à la raffinerie Pétroineos à Lavéra (Bouches-du-Rhône), qui serait mise à l’arrêt dès demain. Alors que la grève se poursuit au dépôt pétrolier du Havre (tout comme à celui de Fos-sur-Mer), la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) ­devrait cesser l’activité le 21 ou 22 mars, faute de matière première.

« Ça fait quinze jours que les ­expéditions sont ralenties partout. Depuis le 7 mars, on travaille à mener un bras de fer plus important : ce ne sont pas des jours de grève par-ci par-là qui allaient faire plier le gouvernement, poursuit Éric Sellini. On voit les premiers effets : 70 stations-service étaient en rupture totale de stock jeudi 16 mars, elles sont 300 aujourd’hui et 400 sont en rupture partielle, c’est plus marqué dans les grandes agglomérations et le sud de la France. » Pour l’instant, les menaces de réquisitions brandies par le gouvernement n’ont été mises en application nulle part.

À la centrale nucléaire du Blayais, des barrages filtrants 24 heures sur 24

Réunis vendredi 17 mars, les syndicats CGT de l’énergie ont décidé quant à eux de « renforcer partout » le mouvement cette semaine et d’appeler à « la ­reconduction de la grève et à la perturbation maximale du travail », selon Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la CGT énergie.

À la centrale nucléaire du Blayais, en Gironde, les barrages filtrants à l’entrée sont désormais en place 24 heures sur 24. Ce week-end, la production a baissé de 75 mégawattheures et deux arrêts de tranches ont eu lieu. Les équipes grévistes se relaient pour dormir sur le piquet et occuper l’entrée.

On ne bougera pas tant que la réforme ne sera pas retirée. Ça permet de canaliser certains agents qui voudraient recourir à des moyens plus extrêmes tellement ils sont en colère ». Olivier Delbos, secrétaire CGT de la centrale nucléaire du Blayais

Pour le secrétaire de la CGT du site, Olivier Delbos, « c’est du jamais-vu depuis 2005. Quand le gouvernement a commencé à devenir plus agressif, on a changé notre façon de faire à la demande du personnel. On ne bougera pas tant que la réforme ne sera pas retirée. Ça permet de canaliser certains agents qui voudraient recourir à des moyens plus extrêmes tellement ils sont en colère ».

Partout, comme le précise Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT mines-énergie, « les baisses de production continuent dans le thermique, l’hydraulique et le nucléaire. Les actions “Robin des bois” de gratuité d’électricité aussi. D’autres centrales ont mis en place des barrages filtrants comme celles de Tricastin ou de Penly. Les trois terminaux gaziers d’Elengy, filiale d’Engie, sont à l’arrêt depuis le 7 mars, les stocks baissent. L’impact commence à se faire sentir ». Le mouvement s’est durci également sur les onze sites de stockage souterrain de gaz Storengy, dont le plus important, à Chémery (Loir-et-Cher), a été mis à l’arrêt.

Les éboueurs ont reconduit jusqu'au 21 mars

Du côté des incinérateurs de déchets ménagers, la mobilisation tient bon. Sur les trois sites franciliens d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), les grévistes ont mis en place des barrages filtrants pour laisser passer quelques camions de collecte des ordures. En assemblée générale vendredi 17 mars, ils ont « reconduit l’action jusqu’à mardi inclus, avec un filtrage des camions à Issy-les-Moulineaux samedi et dimanche, puis à Saint-Ouen lundi et mardi », a déclaré Fatiha Lahrech, déléguée syndicale CGT à Issy-les-Moulineaux.

Si vendredi, la police est venue déloger les salariés du site d’Ivry-sur-Seine, selon la CGT, 95 % d’entre eux restent en grève et son accès est toujours bloqué. Quant aux quatre syndicats représentatifs de la SNCF (CGT, Unsa, SUD, CFDT), ils ont appelé à maintenir la grève reconductible entamée le 7 mars.

publié le 19 mars 2023

Sur le blocage d’un site pétrolier : « J’aimerais être un révolutionnaire,
mais je ne peux pas »

Antton Rouget sur www.mediapart.fr

Depuis quatre jours, des grévistes contre la réforme des retraites bloquent l’accès d’un important centre de stockage pétrolier, en Loire-Atlantique. Sur place, les manifestants oscillent entre espoir d’un durcissement du mouvement et exaspération face au mutisme du pouvoir.

Quelques volutes de fumée s’échappent encore, ici ou là, de tas de cendres disposés en travers de la route. Mais pas la trace du moindre mouvement à l’horizon, ce samedi 18 mars, dans la zone industrielle de Donges, près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). La mobilisation s’est-elle déjà éteinte dans ce que l’on présente, à la radio et à la TV, comme un centre névralgique de la contestation contre la réforme des retraites ?

Au bout du bout de la route qui longe la Loire, après le terminal méthanier, et juste derrière le terminal charbonnier, une nouvelle barricade, toujours enflammée celle-là, empêche le passage. Voilà un signe de vie : le début du blocage de la SFDM, un important dépôt pétrolier contrôlé par l’État français, et de la raffinerie Total. Le centre de stockage et l’usine, qui se font face à quelques centaines de mètres du terminal pétrolier, sont non seulement à l’arrêt, mais leur accès est bouché depuis jeudi 16 mars par des manifestants, qui empêchent les camions-citernes de venir s’approvisionner.

Avant de tout bloquer, une centaine de grévistes était parvenue, mercredi soir, à barrer le chemin à un pétrolier de 28 000 tonnes chargé de gasoil, qui n’a pas pu accoster sur le port. Cette action coup de poing a été conduite par des raffineurs et des dockers de la zone industrielle, soutenus par des cheminots et des énergéticiens. Le navire a attendu que le pilote du port habilité à réaliser les manœuvres d’appontement soit dépêché. Il n’est jamais venu. Obligeant donc le bateau à repartir en mer, les cuves pleines.

Ce coup d’éclat a galvanisé les troupes, qui ont décidé en AG d’empêcher la circulation par les voies terrestres également. « Le blocage a été décidé un peu au pied levé », admet Christophe Jouanneau, secrétaire départemental de la CGT Mines-Énergie, venu prêter main-forte à ses collègues de la fédération Chimie. La faute à un concours de circonstances opportun : « La pression est montée mercredi au moment de l’arrivée du pétrolier, qui coïncidait justement avec, dans le calendrier parlementaire, la décision de la CMP [commission mixte paritaire entre députés et sénateurs – ndlr] sur le projet de loi », retrace le syndicaliste, en relevant qu’il « y avait une grosse attente, au sein du syndicat mais aussi dans la population, pour le durcissement du mouvement ». Conséquence : « Dans la nuit, nous étions plusieurs centaines pour tout installer. »

Depuis, sur près de 300 mètres, la route qui mène à l’entrée de la SFDM et de la raffinerie est jonchée de pneus en flamme, de palettes, de troncs d’arbres, grillages, panneaux et autres plots. Deux bouteilles de gaz ont aussi été posées au milieu de la voie. 

Il faut provoquer une pénurie générale d’essence, mettre le bordel partout pour muscler le rapport de force. Aude, 24 ans, mobilisée sur le blocage

Sur le premier barrage filtrant, c’est Yannick, 69 ans, avec son gilet rouge de la CGT, qui tient le rôle de vigile en chef, au milieu d’une équipée hétéroclite d’une dizaine de personnes. Le retraité, ancien salarié sur la zone industrielle, a passé la nuit sous la pluie, ne dormant que quelques heures dans sa voiture. L’ambiance est détendue : grâce à des indiscrétions, les grévistes ont su que les forces de l’ordre, fortement mobilisées à Nantes, n’interviendraient sûrement pas ce week-end pour essayer de les déloger. Yannick partage par ailleurs un autre motif de satisfaction : la diversité du mouvement. « Des gens qui n’ont rien à voir avec la chimie participent au blocage, se réjouit-il. On voit venir des salariés du BTP, des artisans, des jeunes… »

À ses côtés, Maguy, 47 ans, est arrivée le matin depuis La Roche-sur-Yon, à 120 km en voiture. « J’ai été “gilet jaune”, et puis je suis retournée en manifestation contre la réforme des retraites », raconte cette salariée dans le domaine de l’insertion socio-professionnelle. Après avoir vu passer l’annonce du blocage du site de Donges sur les réseaux sociaux, elle n’a pas hésité à venir seule, « même si je ne savais pas ce que j’allais trouver sur place ». « Mon fils est chez son père, je profite d’avoir du temps pour me mobiliser », précise-t-elle également.

Pour Aude, étudiante en formation agricole de 24 ans également présente sur le premier barrage depuis le matin, le choix a été tout aussi limpide : « Il faut provoquer une pénurie générale d’essence, mettre le bordel partout pour muscler le rapport de force, lance la jeune femme, venue depuis la région nantaise avec des proches. Donges, c’est l’endroit où il faut être. »

Le dépôt pétrolier est effectivement un des lieux d’approvisionnement stratégiques en France. D’abord parce que chaque jour, entre 250 et 300 camions viennent y charger l’équivalent de 10 000 m3 de carburant pour fournir les stations-services des centres commerciaux et aires d’autoroute d’une grande partie de la façade ouest du pays.

« Il commence à y avoir des tensions sur les stocks [en station] », croit d’ailleurs savoir un transporteur, venu passer l’après-midi pour soutenir le blocage. Les risques de rupture sont accrus par la situation de la raffinerie Total, dont les stocks sont également rendus indisponibles par le blocage, après deux semaines de fermeture pour un défaut d’alimentation électrique d’origine accidentelle, et l’annonce d’une grève du personnel jusqu’au 24 mars.

En plus de la distribution par camions-citernes, le dépôt pétrolier de Donges – racheté en janvier 2022 par l’État au groupe Bolloré, qui avait sous-investi dans les installations (lire ici notre enquête) – distribue également du carburant par un pipeline tracé, depuis 1956, jusqu’en Moselle, en passant par la région parisienne. L’entreprise en tire d’ailleurs son nom : SFDM pour Société française Donges-Metz.

La compagnie présente une autre particularité, celle de ne reposer que sur très peu de salariés, une vingtaine en tout sur le site de Donges, dont 14 opérateurs. « À chaque mouvement, on compte 100 % de grévistes chez les opérateurs, sauf que la direction appelle des intérimaires en remplacement », déplore Morgan Lemarie, 31 ans, délégué syndical CGT de l’entreprise. « Si on était partis sur une grève reconductible, il n’y aurait eu aucun impact. » À l’inverse du blocage des accès, très efficace.

Ce mode d’action présente par ailleurs l’avantage de contrecarrer – au moins sur une courte durée, jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre pour lever le blocage – le risque de réquisition des salariés, agité ce samedi par le ministre de l’industrie Roland Lescure, une mesure qui a déjà été expérimentée à Donges. « C’était lors de la grève de 2010 [lors de la mobilisation contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy] », se souvient un ouvrier gréviste. « Ma femme est venue me réveiller, les gendarmes étaient au portail de la maison. J’ai signé un document : si je n’allais pas au travail, je risquais des poursuites, pas qu’au niveau du travail, mais aussi de la justice. Je n’ai pas eu le choix », rappelle-t-il. 

Après le 49-3, des collègues m’ont dit : “Ça y est, c’est la guerre.” Serge*, ouvrier mobilisé

Passé le premier barrage filtrant, le piquet de grève est principalement tenu, ce samedi, par des grévistes de la centrale thermique EDF de Cordemais, non loin de là. Plusieurs barnums ont été dressés : un grand frigo, des machines à café, et même un écran de télévision autour duquel les manifestants se rassemblent pour regarder les matchs de rugby du Tournoi des Six Nations.

« La centrale est bloquée depuis deux semaines. On tourne sur une moyenne de 90 % de grévistes, il n’y a pas un mégawatt qui sort », se félicite Yoann, syndiqué CGT de 33 ans. Au fil de l’échange, les questions s’empilent : Jusqu’où faut-il engager le rapport de force ? Comment faire céder le gouvernement ? N’est-ce pas déjà trop tard ? « Je ne sais pas si cela aurait changé grand-chose si on était partis plus tôt. Ils n’écoutent rien de toute façon. Cela fait deux semaines que l’on fait des blocages et que le chef de l’État ne nous parle pas. Il faut maintenant bloquer le pays. Je pense que le 49-3 va contribuer au durcissement du mouvement  », tranche le gréviste.

Serge*, la quarantaine, qui travaille sur le site industriel de Donges, a lui vécu comme une humiliation supplémentaire le choix d’Emmanuel Macron de ne pas passer par un vote à l’Assemblée nationale. « Au téléphone, dès que le 49-3 est tombé, des collègues m’ont dit : “Ça y est, c’est la guerre.” » Lui-même hésite sur la conduite à tenir désormais, rêvant d’actions plus dures encore : « Au bout d’un moment, marcher dans le rang dans les rues en manifestation, ça devient trop peu. Mais j’ai une famille, des enfants, je ne peux pas sortir du rang, même si j’en ai très envie. » Avec ses 2 300 par mois, il sait qu’il est « un privilégié », complète-t-il. Avant de lâcher, gagné par l’émotion : « J’aimerais être un révolutionnaire, comme mes collègues qui n’ont rien à perdre, mais moi je ne peux pas. » 

« Les salariés étaient contents de faire le tour de Saint-Nazaire en manif, mais il fallait passer au stade supérieur », reconnaît Morgan Lemarie, le délégué syndical de la SFDM. D’autres actions sont d’ailleurs prévues dès lundi. « Si on ne durcit pas, il n’y aura pas d’évolution », professe-t-il. Mais Morgan Lemarie a aussi à cœur de « garder l’intersyndicale », y compris avec des organisations plus modérées. « Il y a plus de gilets jaunes sur le piquet que de CFDT, c’est certain, mais du point de vue de l’opinion, l’union syndicale, c’est une force du mouvement », ajoute le représentant.

Il faudra aller à la violence réelle pour qu’on soit entendus. Je le regrette. Marie-Pierre, retraitée de l’Éducation nationale

Les doutes, voire l’exaspération face à l’attitude du gouvernement alimentent aussi les discussions lors de la manifestation qui parcourt, samedi matin, les rues de Saint-Nazaire. Le cortège s’est élancé de la gare à 11 h 30, après un appel à la mobilisation diffusé à la dernière minute, la veille au soir, par les sections locales de l’intersyndicale, avant la grande journée nationale du jeudi 23 mars. Il n’y a pas de camion, mais des drapeaux CGT, Solidaires ou CFDT, pas de sono, pas de banderole de tête, et le parcours, qui n’a pas été déclaré en préfecture, est improvisé.

Trois voitures de gendarmes se tiennent à distance. Les quelques centaines de manifestant·es défilent dans une zone commerciale, occupent brièvement un rond-point puis pénètrent à l’intérieur du centre commercial Auchan. « Le plus important, c’est que l’intersyndicale tienne, que le mouvement se poursuive dans l’union. On nous a dit plusieurs fois que cela ne tiendrait pas, mais le 49-3 va encore renforcer l’union syndicale », estime Stéphanie, une Atsem (agente intervenant en école maternelle) de 51 ans encartée à la CGT. 

Mais Thierry, employé d’un grand groupe dans l’électronique, ne partage pas cet enthousiasme. « Je suis surpris qu’il n’y ait pas plus de monde aujourd’hui. Je pensais que le 49-3 allait mobiliser, c’est la phase finale, c’est maintenant que ça se joue », confie ce salarié non syndiqué de 54 ans, qui ne manifestait pas avant de s’engager contre la réforme.

Marie-Pierre, 63 ans, retraitée de l’Éducation nationale habituée du mouvement social, est partagée, se disant à la fois « enthousiaste » face à l’ampleur de la mobilisation depuis janvier, mais également « pessimiste quand [elle] voit[t] la personnalité du président ». Elle a en effet « peur » de l’évolution de la situation, et « d’un recours à la force, encore plus souvent que ce que l’on connaît déjà ».

« À l’époque, se remémore-t-elle, on voyait des gouvernements qui reculaient quand la contestation sociale était forte. Là, on sent un mépris total de la rue, du nombre. Il y a des millions de personnes mais cela ne change rien. » La retraitée ne voit ainsi pas d’autre issue que « d’aller à la violence réelle pour qu’on soit entendus ». « Il ne connaît que la violence, dénonce-t-elle au sujet d’Emmanuel Macron. Je le regrette, car j’ai toujours été pacifiste. »

  publié le 18 mars 2023

Le Havre pris par la fièvre anti-réforme

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Alors que les parlementaires poursuivaient leur examen du projet de recul de l’âge de départ à la retraite, ces deux dernières semaines, les Havrais ont uni leurs forces pour crier leur rejet du texte. Dans les manifestations, sur les points de blocage et les piquets de grève, plongée dans le combat des travailleurs de la cité océane pour faire plier le gouvernement. Reportage.

Au premier étage du Cercle Franklin, l’imposante bâtisse du XIXe siècle qui abrite les syndicats du Havre, la sonnerie du téléphone retentit. « Ça n’arrête pas », s’amuse Sandrine Gérard, secrétaire de l’union locale (UL) de la CGT. Nous sommes le lundi 6 mars et la journée du lendemain s’annonce historique.

À l’appel de l’intersyndicale, les travailleurs de la porte océane s’apprêtent à prendre la rue et à cesser le travail. Certains ont d’ores et déjà décidé d’entamer des grèves reconductibles contre la réforme des retraites. « Le mouvement prend bien. La journée de demain sera une réussite, c’est sûr », prophétise l’aide-soignante en Ehpad public.

Vingt mille tracts ont été distribués la semaine précédente et des actions ont été multipliées dans les quartiers populaires de la ville, à destination de ceux que l’on voit le moins se mobiliser. « Ils sont demandeurs, pourtant, il ne faut pas les oublier », souligne Rémi Caniel, membre du bureau de l’UL.

Ceux-là, comme beaucoup d’autres travailleurs peu habitués aux grèves et manifestations, ont pris la rue ces dernières semaines pour clamer leur opposition au projet de réforme. 

Une grève, et nous pouvons avoir Le Havre entre les mains ». Sandrine Gérard, Secrétaire de l'Union locale CGT

À l’heure des derniers préparatifs, l’exaltation monte dans la salle de l’union locale. « Ici, nous avons un grand port, une grande zone industrielle. Une grève, et nous pouvons avoir Le Havre entre les mains », jubile Sandrine Gérard.

La zone industrielle du Havre, à cheval sur les communes voisines de Harfleur et de Gonfreville-l’Orcher, voit rapidement cette stratégie militante se mettre en place. Là, une usine Safran, des entrepôts logistiques Bolloré, les ateliers Renault, mais aussi la plus grande raffinerie de France, celle de Normandie, exploitée par TotalEnergies. À l’automne dernier, les raffineurs de Gonfreville-l’Orcher ont été le fer de lance de la lutte pour les augmentations de salaire. Leur expérience compte.

« Plus rien ne rentre, plus rien ne sort de la zone  »

Réunis place d’Armes à Harfleur, à 5 heures du matin, ce mardi 7 mars, les travailleurs ont été parmi les premiers à lancer les hostilités contre la réforme des retraites dans la métropole. L’aube n’a pas encore point que toutes les entrées de la zone industrielle sont bloquées par des palettes et des braseros.

« Plus rien ne rentre, plus rien ne sort de la zone », sourit Alexis Antonioli, secrétaire CGT de la raffinerie, alors que 72 heures de grève reconductible viennent d’être votées. Avec 75 % de grévistes parmi les salariés de Total et bon nombre chez les sous-traitants, le mot d’ordre est passé.

Sur les axes routiers qui convergent, des files de camions patientent sur le bas-côté. Face à l’ampleur de la mobilisation, l’usine Renault est même contrainte de cesser complètement l’activité. Les grévistes espèrent aller plus loin. « La retraite à 60 ans, ce n’est pas négociable », confirme l’un d’eux, à l’entrée du périmètre.

« Nous, on vit quatorze ans de moins que la moyenne ! »

Partout dans la ville, piquets de grève et blocages se multiplient. Au nord du Havre, à deux pas de l’hôpital, les camions-bennes sont cloués au centre technique de la métropole, le 7 mars au petit matin. Bien avant le lever du soleil, plusieurs dizaines de fonctionnaires territoriaux, employés des villes ou de la communauté urbaine, se sont donné rendez-vous devant le site.

Deux gros véhicules blancs, floqués du logo de la Ville du Havre, bloquent les sorties et un feu de palettes est allumé comme pour réchauffer les grévistes cueillis par le froid de ce début mars. « Ils veulent supprimer les régimes spéciaux, mais pas ceux des sénateurs ou des ministres ! » s’enflamme Mathieu.

L’égoutier à la carrure imposante peine à retenir son agacement face au projet du gouvernement de repousser de deux ans l’âge légal de départ à la retraite, y compris pour son métier pénible. Chaque jour, le salarié travaille pourtant à l’entretien du réseau d’assainissement de la métropole, dans des cavités d’un diamètre à peine supérieur à un mètre, et est exposé à des quantités de gaz toxiques.

« On nous dit qu’il faut travailler plus longtemps car l’espérance de vie des Français augmente. Mais nous, on vit quatorze ans de moins que la moyenne ! Autour de moi, les gens sont fatigués, ils ont des cancers », constate-t-il. Pour conserver son droit de partir à la retraite à 52 ans, l’égoutier est prêt à mettre les moyens et à convaincre ses collègues.

« Perdre une, deux ou trois semaines de salaire, ce n’est pas un problème. Le vrai problème, c’est de perdre deux ans de notre vie ! » insiste-t-il, soucieux d’inscrire ses revendications liées à son métier au mouvement collectif en cours. Le blocage du centre technique et la grève sont reconduits pour au moins trois jours.

45 000 personnes convergent, un record au Havre depuis le début du mouvement social

Pendant que certains agents territoriaux tiennent le piquet, d’autres prennent le chemin, dans la matinée, de la maison des syndicats. C’est là que 45 000 personnes convergent pour manifester. Un record au Havre depuis le début du mouvement social. « C’est très fort, mais il va falloir apprendre à la préfecture à compter », plaisante la secrétaire générale de l’union locale de la CGT, moquant l’annonce des quelque 10 000 manifestants totalisés par les représentants de l’État.

Difficile pourtant de s’y méprendre : les rues jouxtant le bassin du commerce, celles frôlant le théâtre Le Volcan – emblématique structure de l’architecte Oscar Niemeyer –, sont noires d’un défilé dense et inédit dans la cité seinomarine. Dans le cortège, animé de joyeuses batucadas et fanfares, les manifestants, désormais habitués, témoignent toujours de la même ténacité.

Vêtues de leur blouse blanche, Sylvie, Marie-Laure et Carole, trois employées de la crèche hospitalière du Havre, se demandent : « Comment fera-t-on, à 64 ans, pour s’occuper de 60-90 bébés ? Comment fera-t-on pour changer 300 couches dans la journée ? » « On adore notre métier mais on risque de devenir maltraitantes », redoute Carole, qui dorlote les enfants du personnel soignant.

À quelques pas de là, Farès, opérateur chez Renault depuis huit ans, a pris l’habitude de se joindre à la foule à chaque journée de manifestation depuis l’annonce du projet de réforme. Un gilet CFDT sur le dos, il fera « toutes les grèves qu’il faudra faire », assure-t-il. « Aujourd’hui, on nous dit que ce sera 64 ans. Ce sera quoi après, 67 ans ? Mes collègues ont mal au dos, mal aux jambes », confie l’ouvrier.

Montrer qu’il existe des alternatives possibles au projet du gouvernement

Face à la déferlante de ce 7 mars, Baptiste Bauza, secrétaire de la section havraise du PCF, reconnaît que « la mobilisation est extrêmement forte ». « Ce qui est frappant depuis le début du mouvement, c’est qu’il y a beaucoup de primo-manifestants, beaucoup de jeunes travailleurs, beaucoup de personnes non syndiquées », constate le militant qui est aussi cheminot.

Alors que de nombreux travailleurs du bassin d’emploi intensifient la lutte, lui et le parti ont aussi un rôle à jouer, estime-t-il : « Soutenir les grévistes et montrer qu’il existe des alternatives possibles au projet du gouvernement, comme la retraite à 60 ans en prenant en compte les années d’études et de maternité », assure-t-il.

Depuis le début de ce round offensif contre le recul de l’âge de départ à la retraite, Le Havre vit au rythme des assemblées générales : à chaque quart chez les raffineurs, chaque matin chez les territoriaux, un mardi soir à l’université où le responsable de l’Unef tente de mobiliser les quelques étudiants présents.

L’intersyndicale locale se plie aussi à l’exercice, invitant les travailleurs de tous horizons à décider des contours de la mobilisation. Dans une grande salle du Cercle Franklin qui revêt des allures de gymnase, les participants ont sommairement installé quelques chaises.

« On ne peut pas se borner à faire des journées de grève saute-mouton. La grève reconductible doit être faite partout où c’est possible ! » martèle Alexis Antonioli, de la raffinerie Total, devant l’assemblée interprofessionnelle. Tous opinent.

Beaucoup partagent le constat que de nombreuses entreprises ne s’engagent pas encore dans la lutte, faute de soutien. « Il faut que tout le monde entre dans le mouvement, chaque pierre à l’édifice compte », acquiesce un salarié de la CIM, le terminal pétrolier du port du Havre. Chacun quitte la maison des syndicats convaincu de la nécessité d’apporter du soutien partout où c’est possible.

3 000 dockers du Havre, 100% en grève

Une consigne que les dockers ne tardent pas à appliquer. Mercredi 8 mars, dans la « cabane », le foyer syndical des salariés des docks havrais, Jérémy Julien, secrétaire adjoint CGT, peaufine le programme de la journée. Les près de 3 000 dockers du Havre – 100 % en grève – ont fort à faire en ce jour décrété « port mort » par la fédération CGT des ports & docks.

Une journée de conteneurs non déchargés, ce sont des millions d’euros qui échappent à l’économie. » Jérémy Julien, secrétaire adjoint CGT

« La différence avec un simple jour de grève, c’est qu’on occupe les lieux et qu’on empêche toute activité », détaille le cégétiste, qui rappelle : « Une journée de conteneurs non déchargés, ce sont des millions d’euros qui échappent à l’économie. »

Dès 5 heures, tous les accès aux quais sont bloqués, des piquets de grève mis sur pied et des abris de fortune imaginés dans des conteneurs. Le travail a cessé, mais les missions ne manquent pas : il faut se relayer sur les points de blocage, raviver sans cesse les feux de pneus qui enfument le centre-ville, porter à manger aux grévistes qui tiennent les piquets, mais aussi apporter son soutien aux autres luttes.

Jérémy Julien revêt, au téléphone, le rôle de chef d’orchestre, s’assurant que les dockers prêtent main-forte partout où ils le peuvent. Devant Siemens Gamesa, toute nouvelle usine d’éoliennes où se joue une bataille pour l’emploi, en plus de celle contre la réforme des retraites. Mais aussi devant la caisse d’assurance-maladie, où se tient un rassemblement de soutien à un salarié menacé de licenciement.

Lui se rend à Radicatel, terminal de déchargement à mi-chemin entre Le Havre et Rouen qui emploie une trentaine de personnes. Le syndicat CGT y date de quelques années seulement, mais les travailleurs se sont relevé les manches. Un brasier a été allumé et l’accès est complètement bloqué. Une ribambelle de camions patientent le long de la route, attendant que les travailleurs déchargent à nouveau les cargaisons. « Certains ont fait demi-tour ! » plaisantent les salariés, leur tenue orange vif sur le dos.

En attendant la 8e journée de mobilisation

« On fait un métier pénible, on doit monter sur les conteneurs, accrocher, décrocher, se mettre à genoux, on fait beaucoup d’heures sup’ », explique Alex, docker au terminal depuis trois ans. « À 45 ans, nos collègues ont déjà mal partout. J’ai 30 ans et je sens déjà que je fatigue, alors, travailler plus ? » expose-t-il.

Du fait de la nature pénible de leurs tâches et de l’exposition à l’amiante jusqu’en 2004, certains travailleurs des docks peuvent aujourd’hui partir à la retraite à 55 ans. Un âge de départ que ferait reculer la réforme. Les plus jeunes recrues, dont l’exposition aux fibres toxiques n’est pas reconnue, pourraient partir à la retraite à 60 ans au lieu de 58 ans. Inenvisageable pour beaucoup.

Après ces 48 premières heures de grève puis de blocage réussies, la fédération des ports donne rendez-vous pour trois jours consécutifs de lutte à partir de mardi 14, culminant jeudi 16 sur une nouvelle journée « port mort ». Elle n’est pas la seule. Le jeudi précédent, des étudiants ont effectué des blocages à l’université, répondant à l’appel des syndicats et organisations de jeunesse.

Vendredi, l’opération « S’unir pour ne pas subir », lancée par la CGT d’Harfleur, a bloqué la zone industrielle avec ses 1 200 entreprises et 30 000 emplois. Samedi, 8 000 personnes ont répondu à l’appel au rassemblement lancé par l’intersyndicale sous l’emblématique arche de conteneurs colorés, à l’entrée du port.

Un nouveau tour de chauffe familial avant la huitième journée de mobilisation de mercredi 15. Le gouvernement est alors en plein marchandage avec les parlementaires de droite pour faire passer sa réforme. Les Havrais, eux, continuent de se battre pour « son retrait ».

publié le 17 mars 2023

Le mouvement social galvanisé par le mépris gouvernemental

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Réunies devant l’Assemblée nationale, les organisations syndicales ont appelé à poursuivre les manifestations et les grèves pour faire tomber le projet de réforme adopté.

Les leaders des huit syndicats unis contre la réforme des retraites se souviendront longtemps de cet étonnant jeudi 16 mars. Arrivés dès midi devant l’Assemblée nationale pour exercer un dernier coup de pression sur un gouvernement qui disposait alors encore de toutes les cartes afin de faire voter sa réforme des retraites, ils se sont retrouvés en début de soirée au siège de la CGT à la tête d’un mouvement social galvanisé par le passage en force d’un exécutif soudainement affaibli.

L’adoption du texte porté par Élisabeth Borne est à ce point tronquée qu’elle n’a pas mis fin à la contestation. Loin de là, estime même Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « En recourant au 49.3, le gouvernement fait la démonstration qu’il n’a pas de majorité pour approuver le report de deux ans de l’âge légal de départ en retraite. Le compromis politique a échoué. Ce sont les travailleurs qu’il faut écouter quand on prétend agir sur leur travail. »

En écho, la CGT soulignait dès le coup de force parlementaire que « c’est bien la lutte déterminée des travailleuses et travailleurs, de la jeunesse, dans le cadre d’une intersyndicale complète, qui conduit à cette impossibilité pour Élisabeth Borne d’obtenir une majorité pour sa contre-réforme des retraites ».

Rassemblements spontanés

Pour les organisations syndicales, le projet de réforme des retraites est désormais politiquement illégitime, en plus d’être largement contesté par la population. « Le 49.3 est un vice démocratique. Mais le gouvernement avait déjà déclenché auparavant le 47.1 (qui sert à limiter les débats parlementaires – NDLR) et utilisé un projet de loi rectificatif du financement de la Sécurité sociale, qui n’est pas le bon cavalier pour un projet de société majeur », rappelle Frédéric Souillot, de Force ouvrière.

Les heures qui viennent devraient donc voir une intensification des assemblées générales intersyndicales un peu partout en France en vue d’une relance des manifestations et des grèves, prévoit Philippe Martinez : « Le passage en force avec l’utilisation du 49.3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. »

Beaucoup n’ont d’ailleurs pas attendu leur signal pour continuer à s’opposer au recul de l’âge de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. À Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, une cinquantaine de personnes ont par exemple investi matinalement les locaux de l’assurance-maladie. « La Sécurité sociale appartenait et était gérée par les travailleurs en 1945. Aujourd’hui, l’État a mis la main dessus et est en train de la démolir. Nous voulons reprendre la main sur ce qui est à nous », revendique sur place Christophe Couderc, de la CGT.

Les dockers et travailleurs portuaires de Saint-Nazaire, Brest, Le Havre et Calais ont poursuivi leur grève et le blocage des quais au cours d’un jeudi 16 mars qui avait été décrété « port mort » par la fédération CGT des ports et docks.

Loin de calmer les ardeurs, le déclenchement du 49.3 a généré une vague de rassemblements spontanés, comme à Orléans, au Havre, à Lyon ou Toulouse. À Paris, un rendez-vous organisé par Solidaires, un temps interdit par la préfecture de police de Paris, s’est amplifié tout au long de l’après-midi sur la place de la Concorde, séparé de l’Assemblée nationale simplement par la Seine et un épais cordon policier. Réunissant plusieurs milliers de personnes, celui-ci s’est peu à peu mué en déambulation revendicative dans les rues de la capitale.

Répression antisyndicale

Face à une détermination des Français intacte, les organisations syndicales redoutent désormais que le pouvoir use de la violence pour faire taire le mouvement social et tourne la page du large désaveu de son texte. « Le gouvernement, de plus en plus, remet en cause le droit de grève. Au lieu d’écouter le peuple, ils utilisent la force », confirme Philippe Martinez.

« Nous avons le sentiment qu’il y a eu beaucoup de violence, beaucoup de répression ces derniers jours. On sent que le gouvernement veut sonner la fin du mouvement social », confie Murielle Guilbert, cosecrétaire générale de Solidaires.

Ce gant de fer n’a pas eu raison des nombreux piquets de grève tenus par les éboueurs comme les énergéticiens ou les raffineurs. « Le gouvernement espère peut-être une fin de partie, mais ce n’est pas ce qu’il va se passer », confirme Frédéric Souillot. Devant l’Assemblée nationale, puis dans la rue, tous ont en tête l’exemple de la mobilisation du contrat première embauche, en 2006. Le texte, pourtant adopté, avait été retiré devant l’ampleur des mobilisations populaires.


 


 

Après le 49-3,
la mobilisation se durcit

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Des dizaines de milliers de manifestants hier soir et aujourd’hui

A l’annonce de l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution, des centaines d’opposants à la réforme ont convergé vers l’Assemblée nationale avant de se rassembler sur la place de la Concorde voisine. Les centaines sont finalement devenues des milliers, puisqu’au moins 10 000 personnes ont manifesté à Paris, selon le ministère de l’Intérieur. Dispersés après 20 h, une partie des manifestants ont allumés des feux de poubelles et formés des barricades sur leur parcours.

Des rassemblements ou manifestations, parfois spontanés, parfois à l’appel des syndicats, ont également eu lieu dans de nombreuses villes. Au moins 25, selon les chiffres donnés par ministère de l’Intérieur. Hier soir, la place du Capitole était remplie à Toulouse, près de 2000 personnes manifestaient à Montpellier, 3000 à Lyon. Des défilés ont également eu lieu à Strasbourg, Clermont-Ferrand, Grenoble, et donné lieu à des heurts à Rennes ou Lyon.

Certaines villes ont reconduit les rassemblements dès aujourd’hui. Les syndicats ont annoncé 5000 manifestants à Rennes, 2600 selon la préfecture. Pour ce soir, des appels à se rassembler tournent dans plusieurs villes, dont un à 18h place de la Concorde à Paris.

49-3 jeudi, blocage vendredi

 Comme depuis le début de la semaine, des blocages ont eu lieu en différents lieux du territoire au lendemain de l’utilisation de l’article 49-3. Si le plus visible reste celui, coordonné en plusieurs points, du périphérique parisien, les cibles industrielles n’ont pas manqué ce matin. Par exemple : les dépôts pétrolier de Saint-Nazaire, Port-la-Nouvelle et de Vern-sur-Seiche près de Rennes, les plateformes de tri du courrier à Bourges et Nantes, le port de Brest, un incinérateur à Fos-sur-Mer ou encore deux dépôts de bus à Clermont-Ferrand.

Dans le même temps, la contestation grossit chez les étudiants. Le syndicat étudiant l’Alternative comptabilisait 55 université ou écoles bloquée, occupées, ou dans lesquels les cours sont annulés ou remplacés par des temps collectifs de formation en lien avec la mobilisation.

Deux raffineries bientôt à l’arrêt ?

C’est une montée d’un cran à laquelle rechignait les grévistes jusque-là. Mais 49-3 leur a fait passer le pas. En reconductible depuis le 7 mars, les salariés de la raffinerie Total de Normandie, première raffinerie de France, ont décidé hier soir la mise à l’arrêt des activités de raffinage. Une opération longue et complexe. Elle devrait être suivie par la raffinerie Petroineos de Lavéra (Bouches-du-Rhône), d’après Olivier Mateu, secrétaire générale de l’union départementale CGT 13.

Réquisitionner les éboueurs, ça prend du temps

Gérald Darmanin, que l’on retrouve au devant de la scène depuis que la mobilisation se durcit, tient à rassurer : les réquisitions sont en cours. Mais alors que le cap des 10 000 tonnes d’ordures non ramassées vient d’être franchi à Paris, cette réquisition pourrait prendre plus de temps que prévu.« La préfecture doit être plus occupée à gérer les manifestations spontanées qui ont lieu à Paris depuis l’annonce du 49-3 que la réquisition des éboueurs », sourit François Livartowski, secrétaire général de la CGT services publics. Le syndicaliste sait surtout combien cette réquisition s’annonce complexe à mettre en œuvre. « La maire de Paris a transmis une liste de 4000 noms à la préfecture. Cela fait beaucoup de monde. En plus de ça, les salariés des incinérateurs ne sont pas réquisitionnés et on ne peut toujours pas brûler les déchets », continue-t-il.

Sondage : rejet du 49-3 et du gouvernement

Selon un sondage Harris Interactive pour RTL, 82% des Français estiment que le recours au 49.3 hier est une mauvaise chose. La conséquence : 71% des sondés souhaitent l’adoption d’une motion de censure et la démission du gouvernement. Dans le même temps, le soutien au mouvement social perdure : 65 % des Français souhaitent que la mobilisation se poursuive.

Grève du Bac ?

L’idée trotte dans la tête des enseignants grévistes depuis plusieurs semaines. Quatre organisations syndicales enseignantes, le Snes-FSU, SUD Education, FO et CGT Education, appellent à durcir le mouvement contre la réforme des retraites « sous toutes ses formes, y compris par la grève des surveillants ». Ce n’est donc pas un appel franc à la grève reconductible dès lundi, mais un encouragement. Et cela pourrait prendre : déjà, des listes d’enseignants grévistes se composent en interne et les opposants à la réforme comptent leurs troupes.

Les syndicats de la SNCF appellent à poursuivre la grève reconductible

Les quatre syndicats représentatifs de la SNCF ont appelé ce vendredi à « maintenir la grève » entamée le 7 mars et « à agir massivement le 23 mars » pour s’opposer à la réforme des retraites. La CGT-Cheminots, l’Unsa-Ferroviaire, SUD-Rail et la CFDT-Cheminots invitent également les salariés du rail à « multiplier les actions et initiatives unitaires dès ce week-end dans tous les territoires » après le déclenchement du 49.3 décidé jeudi par le gouvernement.

Darmanin met en scène la répression

Au total, 310 personnes ont été interpellées jeudi en France dont 258 à Paris à l’issue de manifestations spontanées. Les force de l’ordre ont délogé deux piquets de grève parisiens liés à la grève des éboueurs, expulsé de nombreux barrages routiers et nassé des étudiants qui comptaient manifester.

Mais ce que retient Gérald Darmanin, ce sont les violences des manifestants. « Il y a eu dans plusieurs grandes villes de province une pression extrêmement forte exercée contre les symboles de l’État et des permanences parlementaires », a déclaré le ministre de l’Intérieur. Une victimisation dont la ficelle : justifier la répression, est bien grosse.

Motion de censure déposée

Peu après 14h, le groupe centriste LIOT a déposé une motion de censure transpartisane, co-signée par des élus de la Nupes, en riposte au déclenchement du 49.3 pour faire adopter sans vote la réforme des retraites. Si elle était votée par plus de la moitié des députés, elle provoquerait la chute du gouvernement.

publié le 16 mars 2023

49.3 : le bras d’honneur de macron

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Le 100e 49.3 de la Ve République – le 11e du gouvernement Borne –, est déclenché pour un passage en force de la réforme des retraites. Un triste aveu d’échec de la part d’un président et de son gouvernement. Un naufrage politique et démocratique.

Tout ça pour ça ! Après s’être couché devant la droite ; après avoir usé et abusé de tous les recours prévus par la Constitution (articles 47.1 et 44.3) et le règlement du Sénat (article 8) pour accélérer la procédure parlementaire et empêcher le débat sur la réforme des retraites de se tenir dans de bonnes conditions, Emmanuel Macron a tranché : ça sera le 49.3.

Le 100e 49.3 de la Ve République. Le 11e du gouvernement Borne. Un triste aveu d’échec de la part d’un gouvernement qui ne dispose donc d’aucune majorité pour faire adopter un texte, la (contre) réforme des retraites, rejeté par une écrasante majorité de Français. Un gouvernement qui a pourtant tout donné pour obtenir les suffrages des Républicains (LR).

Au final, Éric Ciotti n’aura pas tenu ses troupes puisque tout reposait sur les députés de droite qui devaient offrir une victoire politique à Macron. C’est donc aussi un échec personnel pour le patron des Républicains. L’échec est politique. Il est aussi démocratique.

Comment sur une réforme aussi structurante, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ?

Comment sur une réforme aussi structurante pour la vie des Français à qui l’on impose deux ans de travail supplémentaires, face à une opposition aussi massive – grâce notamment à une unité syndicale inédite depuis 13 ans –, le président de la République peut-il assumer un tel passage en force ? Un bras d’honneur à la démocratie.

Les conséquences vont être nombreuses. D’abord sur le mouvement social qui, après un léger tassement, pourrait reprendre de la vigueur alors que la pénibilité des conditions de travail s’affiche au grand jour avec la grève des éboueurs. L’unité syndicale qu’on annonçait sur la fin devrait sortir renforcée de cette séquence.

Laurent Berger, le patron de la CFDT, avait prévenu : « le recours au 49-3 aussi légal soit-il serait un vice démocratique ». À peine ce dernier déclenché, le leader syndical a ainis annoncé que de « nouvelles mobilisations » auront lieu. Les annonces de l’intersyndicale prévues ce soir ou demain seront observées avec attention, face à une colère populaire toujours plus grandissante.

Conséquences politiques aussi. En recourant au 49-3, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, engage sa responsabilité et assume dans le même temps son échec, elle qui ne cessait d’expliquer depuis plusieurs jours ne pas envisager de recourir à l’article tant controversé qui permet au gouvernement d’adopter un texte sans passer par un vote des députés.

Plusieurs scénarios

Plusieurs options se dessinent à présent. La gauche a d’ores et déjà annoncé saisir le Conseil constitutionnel et enclencher la procédure du référendum d’initiative partagée pour contraindre le gouvernement à une consultation des Français.

Une autre option est également sur la table. Le groupe LIOT (centristes), emmenés par le député Charles de Courson, pourrait déposer une motion de censure interpartisane avec une partie de la gauche et de la droite pour faire tomber le gouvernement. Si la motion a des chances d’aboutir, elle doit néanmoins réunir les voix de la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, soit 289 voix. Les chances d’aboutir restent minces. La motion sera débattue dès lundi.

L’échec de la majorité présidentielle est tel qu’une dernière option pourrait être envisagée par la voie même de l’hôte de l’Élysée. Une allocution du président pourrait intervenir dans les prochaines heures pour rappeler aux Français tout l’enjeu de cette réforme « nécessaire » selon lui, et dans le même temps assurer avoir entendu la colère des Français, s’en remettant à des élections législatives anticipées. Ainsi pourrait-il soumettre sa défaite au vote. Pour l’heure, c’est Elisabeth Borne – celle qui assume n’être qu’un fusible – qui est attendue dans un 20 h, ce soir.

La gauche saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ?

La réforme ne serait pas remise en cause mais Emmanuel Macron offrirait ainsi aux oppositions et à sa propre majorité – à qui il ferait porter la responsabilité de cet échec politique – l’opportunité d’une nouvelle séquence politique. Une séquence à double tranchant. L’extrême droite est prête. Elle n’attend que ça. Et la gauche ? Saura-t-elle porter les colères qui se sont largement exprimées au cours de ces dernières semaines ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, c’est le quinquennat de Macron qui se joue. 


 


 

selon l’ Humanite.fr ( site consulté le 16 mars à 16h28) :

La CGT appelle au rassemblement
Place de la Concorde

Alors qu'une manifestation est en train de prendre de l'ampleur Place de la Concorde à Paris, la CGT a appelé au rassemblement à 16H.

Laurent Berger : « Il y aura de
nouvelles mobilisations »

« Il y aura de nouvelles mobilisations » contre la réforme des retraites, a déclaré jeudi, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dénonçant un « vice démocratique » après la décision du gouvernement d'activer l'arme constitutionnelle du 49.3 pour faire adopter sa réforme.

« Evidemment qu'il y aura de nouvelles mobilisations, parce que la contestation est extrêmement forte, on a déjà énormément de réactions de la part des équipes syndicales. On décidera ensemble dans une intersyndicale », qui se tiendra jeudi soir au siège de la CGT, a-t-il poursuivi.

Philippe Martinez :
" La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier"

Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, a estimé, après le recours au 49.3 par le gouvernement, que «la mobilisation des citoyens sous l’impulsion des organisations syndicales n’a pas permis au président de la République d’avoir une majorité pour voter sa loi».

«Le passage en force avec l’utilisation du 49-3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent s’amplifier. L’intersyndicale de ce soir en définira les modalités», annonce-t-il.

  publié le 16 mars 2023

Le dépôt de carburant de Frontignan bloqué par une intersyndicale

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que le parcours législatif de la réforme des retraites touche à sa fin, les actions de blocage se multiplient partout en France. Toute la nuit et jusqu’à dix heure ce matin, le dépôt pétrolier de Frontignan a été bloqué par une intersyndicale. Reportage.

 L’information a circulé de bouche à oreille dans les manifestations héraultaises de mercredi : une action est prévue le soir même au dépôt de carburant de Frontignan, un des plus gros du sud de la France. L’initiative a été prise par l’intersyndicale de Sète et menée par l’union locale CGT de la ville. Peu avant minuit, des syndicalistes rejoints par des militants du mouvement social, arrivent par grappes sur la seule route menant au dépôt. Selon l’union locale de Sète, le site compte 25 salariés et pas de section syndicale. Certains de ses salariés ont fait grève lors des grosses journées de manifestation, mais pas ce soir. Le blocage est donc constitué uniquement de personnes extérieures à l’entreprise. A une centaine de kilomètres de là, le dépôt de Port-la-Nouvelle est également bloqué.

Un blocage réussi

Rapidement, des pneus sont installés en chicanes, bloquant l’accès, quelques drapeaux CGT et FO ornent ces barrages de fortune. « Demain la loi passe à l’Assemblée et Macron n’a répondu ni à l’intersyndicale ni aux salariés en grève », explique Arnaud Jean, le secrétaire général de l’Union locale. D’où l’action de blocage que les syndicalistes entendent poursuivre « jusqu’à ce que l’on nous déloge », ou jusqu’à ce qu’ils obtiennent le retrait de la réforme. Pour tenir, l’occupation de la route s’organise : un feu est allumé pour se réchauffer, des cafés, de la nourriture et du vin sont offerts aux présents. L’attente commence.

 Quelques dizaines de camions citernes s’agglutinent déjà le long de la route. Ils seront plusieurs centaines à débarquer dans quelques heures au dépôt de Frontignan, bloqué. « Ils arrivent tôt parce que les premiers arrivés sont les premiers remplis et les premiers partis », explique Arnaud Jean. Autour du feu : on assiste à une répétition de la journée de manifestation, avec des chants, des slogans. Les discussions, les rires, les espoirs s’expriment. On fait aussi des blagues : « elle est longue la lutte finale, mon grand-père la chantait, mon père la chantait et je la chante aussi », rigole un quinquagénaire, chasuble de la CGT sur le dos, alors que résonne l’internationale. Plus sérieux, Gilles, syndicaliste CGT dans l’éducation, n’imagine pas que les députés puissent voter une loi rejetée par 90% des travailleuses et travailleurs : « quand j’ai commencé à travailler, il fallait 37,5 annuités. Aujourd’hui c’est 43 », se désole le militant.

Vers 8 heures, les routiers téléphonent à leurs fournisseurs pour savoir ce qu’ils doivent faire. Beaucoup repartent vides du dépôt. La compagnie de CRS attendue n’arrive pas et, contrainte, la direction du dépôt avance l’heure de fin de chargement. Réussi, le blocage est levé vers dix heures du matin.


 


 

Retraites : pour les gaziers en grève,   le 49-3,
« c’est déjà une victoire »

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Un rassemblement était organisé jeudi dans les Yvelines, devant le site d’une filiale d’Engie chargée du stockage souterrain du gaz naturel. Les militants syndicaux n’hésitent plus, ils veulent « monter d’un cran » face à un gouvernement définitivement discrédité à leurs yeux par le passage en force à l’Assemblée.16

Beynes (Yvelines).– Peu avant 15 heures, la nouvelle s’est faufilée de téléphones portables en exclamations entre collègues. À Beynes dans les Yvelines, à 25 kilomètres à l’ouest de Versailles, c’est alors que le rassemblement syndical organisé devant Storengy touchait à sa fin que les militant·es ont appris que le gouvernement engageait l’article 49-3 pour faire adopter sa réforme des retraites à l’Assemblée.

Aussitôt, des débats épars s’engagent parmi la centaine de personnes présentes, qui ont achevé le barbecue et la paëlla offerts par les organisateurs. On révise à toute vitesse le principe du 49-3 (« C’est mort, on ne peut plus rien toucher au texte, le gouvernement passe ce qu’il veut sans vote. »), les règles entourant les motions de censure (« N’importe quel député peut en déposer une ? ») et les principes de la majorité dans l’hémicycle (« C’est 287 ou 289 députés ? »).

Certains demandent encore un rafraîchissement de leurs connaissances sur les différences entre motion de censure et dissolution, que d’autres sont ravis de leur donner. « C’est déjà une victoire, ça montre que Macron n’a plus aucun poids face à personne », se réjouit un syndicaliste, résumant le sentiment qui a saisi l’assemblée en quelques minutes.

Ce 16 mars au matin, l’intersyndicale des industries électriques et gazières (IEG) avait réuni ses troupes sur le site de Storengy, cette filiale d’Engie spécialisée dans le stockage souterrain de gaz naturel. Les grévistes, opposés à la réforme des retraites, y organisent depuis le 7 mars un filtrage permanent du site : les salarié·es souhaitant travailler peuvent le faire, mais les prestataires et les sous-traitants sont interdits d’entrée, ce qui entraîne une dégradation de la maintenance.

« Voilà une information qui me va bien, elle montre où on en est réellement en France », lance Arnaud Boulay, le délégué syndical CGT du site. « C’est impeccable, ça va bien nous motiver pour la suite, et puis ça prouve que certains députés ont peut-être un cerveau en activité, confirme Martine Ravarey, la déléguée syndicale CFDT de Storengy. Emmanuel Macron ne pensait pas que le peuple allait réagir. »

Durant les heures qui ont précédé, toutes les discussions tournaient autour de ce sujet. « Aujourd’hui est un jour assez historique. Il va falloir qu’on ne lâche pas, parce que personne n’est dupe de ce qui va sortir de l’Assemblée cet après-midi », avait averti au micro Nicolas Nogues, coordinateur régional de la CGT énergie.

Il a ensuite lu un message signé de Sébastien Menesplier, le secrétaire général du syndicat national. « Quoi qu’il se passe aujourd’hui, la démocratie sociale est en péril », avertissait déjà ce dernier, menaçant le pouvoir d’un « choc énergétique national ».

Un régime spécial âprement défendu

« On est tout simplement présents pour obtenir le retrait du report de l’âge de départ à 64 ans, et pour obtenir le maintien de notre régime de retraite », résument Laurent et Alban, salariés du site de Beynes, respectivement vingt-neuf ans et quinze ans d’ancienneté dans les IEG, ce secteur professionnel qui compte 140 000 agents et dispose d’un régime spécial de retraite.

Contre un doublement des cotisations (salariales et employeurs), les agent·es ayant 17 années de service actif ont le droit de partir cinq ans avant l’âge légal de la retraite, soit 57 ans actuellement. 23 % des effectifs sont concernés par ce dispositif. Mais pour toucher un taux plein, la plupart restent plus longtemps en poste. La moyenne d’âge de départ est désormais autour de 60 ans, et devrait atteindre les 62 ans en 2024.

« Cela fait 30 ans que je cotise double, pourquoi est-ce qu’on m’enlèverait tous mes droits d’un coup ? C’est absurde, témoigne Arnaud Boulay. D’autant que notre régime est excédentaire ! » En 2022, la caisse de retraite des IEG a en effet apporté 120 millions d’euros au régime général. À Beynes, toutes et tous défendent l’extension de ce régime à l’ensemble des Français.

« Notre régime fonctionne depuis 1946. Notre message, c’est laissez-nous travailler, laissez-nous tranquille, clame Frédéric Probel, secrétaire général du syndicat CGT énergie de Bagneux (Hauts-de-Seine). Même si cette loi est votée, on continue. Cette loi, elle ne s’appliquera pas. » Comme lui, beaucoup ont en tête l’exemple de mars 2006, où la loi sur le Contrat première embauche (CPE) avait été promulguée, mais jamais mise en œuvre.

Chez Storengy Beynes, 1,2 milliard de mètres cubes de gaz reposent dans le sous-sol (là où le plus gros site de stockage français en contient 7 milliards). On est à la jonction de neuf gazoducs, qui embarquent le gaz depuis ou vers la Bretagne, la Normandie, et surtout l’Île-de-France. Sur les 70 salarié·es qui travaillent sur le site, 35 techniciens suffisent à assurer. Les grévistes qui tiennent le piquet tournent, par tranches de deux heures l’après-midi, et de une heure le matin, pour assurer l’occupation du site sans être trop pénalisés financièrement.

Les douze sites de Storengy en France sont occupés de cette façon. Ils alimentent le pays en gaz, alors que les terminaux méthaniers sont à l’arrêt et que les gazoducs fonctionnent au ralenti depuis que la Russie a stoppé son approvisionnement de la France, en juin. Ils alimentent également les centrales à gaz, qui assurent environ 10 % de la production d’électricité en France.

Passer à la vitesse supérieure 

Les grévistes ne bloquent pas la circulation du gaz, mais font très régulièrement pression sur leur direction pour faire baisser le niveau du gaz qui circule dans le réseau. Le 15 mars, ils ont obtenu que la pression baisse jusqu’au seuil symbolique de 49,3 bars – sous 49 bars, les centrales à gaz ne peuvent plus fonctionner, et le réseau s’effondre si la pression descend sous 20 bars.

« Même en cas de coupure de notre côté, il n’y aura pas d’impact sur les particuliers, tient à rappeler Alberto da Silva, élu CFDT. Ce sont seulement nos clients industriels, Engie, TotalEnergies ou ENI, pour qui nous stockons le gaz, qui devront trouver d’autres solutions d’approvisionnement. Pour ces grosses entreprises, ce sera une désoptimisation financière, rien de plus. » Le syndicaliste rappelle que Storengy n’est pas propriétaire du gaz stocké : « On est seulement prestataires de service, comme un parking où nos clients viendraient garer leurs voitures. »

Sur place, tout le monde en était conscient, avant même la certitude que le 49-3 allait être utilisé : on est passé à une autre étape dans le rapport de force. « On voudrait que tout le peuple se soulève pour faire reculer le gouvernement », dit simplement Fatma, élue CGT chez GRT Gaz, qui gère les infrastructures gazières, à Gennevilliers.

« Le vote une fois tous les cinq ans, ce n’est pas un chèque en blanc pour les responsables politiques, embraye son collègue César. La légitimité, ce n’est pas de faire un score misérable au second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen. Il faut qu’ils le sachent, il y aura des actions pour dire notre colère. Il y en a marre d’être sages. »

« Le président de la République nous accule, il considère que les millions de personnes sorties dans la rue n’existent pas, estime Yasmina, élue Solidaires d’EDF R&D, venue en soutien. Le gouvernement nous pousse à aller plus loin, il faut monter d’un cran dans les actions. »

« C’est notre modèle social qui est attaqué, poursuit son amie Catherine, élue CGT chez EDF. Après la retraite à 64 ans, Édouard Philippe ne fait pas mystère de sa volonté de pousser à 67 ans. Et après, quoi ? On réduit le nombre de jours fériés ? On supprime une semaine de congés payés ? On diminue la durée du congé maternité ? On peut dérouler longtemps la pelote, on va à l’inverse du progrès social. »

Les responsables syndicaux sont à l’unisson de leurs troupes, excédées par la surdité d’Emmanuel Macron. « Jusqu’à présent, on a été raisonnables, on a préservé l’outil de travail, mais si le gouvernement ne nous entend pas, on agira autrement », glisse Philippe Guimard, délégué syndical FO de Storengy.

Les coupures se multiplient 

Les gaziers et les électriciens ont déjà commencé à faire monter la pression depuis plusieurs jours. Le secteur est le plus visible dans les actions, avec celui des éboueurs – les deux professions partagent d’ailleurs la gestion des incinérateur, bloqués à Paris depuis dix jours.

Parmi les grévistes de ce 16 mars, la nouvelle de la garde à vue de cinq de leurs collègues marseillais – dont Renaud Henry, secrétaire générale de la CGT Énergie Marseille et figure de l’opposition à la réforme, que Mediapart a suivi récemment – a alimenté la colère.

Des centaines de gars savent comment couper, et on ne pourra pas mettre un policier derrière chacun d’entre eux !

Après les actions « Robin des bois » pensées pour éviter toute nuisance, les coupures à répétition se multiplient désormais. Elles visent des permanences et des domiciles de députés et sénateurs, ou des lieux symboliques comme Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille le 14 mars, ou le Stade de France à Saint-Denis le 9 mars.

« Au Stade de France, l’idée est de montrer qu’on a les mains sur les manettes, qu’on est capables d’agir, commente Frédéric Probel. La vérité, c’est que les employeurs sont plutôt rassurés quand les syndicats sont présents, car ils savent que tout sera fait proprement et en responsabilité. Après, des centaines de gars savent comment couper, et on ne pourra pas mettre un policier derrière chacun d’entre eux ! »

De la théorie à la pratique, les militants syndicaux présents à Beynes ont procédé en fin de matinée à « une mise en sobriété énergétique », en coupant l’électricité d’une partie du site. Comme à chaque action, « la stratégie de la tortue » a été mise en œuvre : des dizaines de personnes en rangs serrés, bras levés, empêchent de voir celles et ceux qui coupent, capuches relevées ou cagoules masquant les visages.

Pendant l’action, un chant retentit, sur une mélodie rendue célébre par les « gilets jaunes » : « Emmanuel Macron, si tu continues, il va faire tout noir chez toi ! » Si les choses n’étaient pas assez claires, un autre slogan enfle, qui pourrait bien devenir un mot d’ordre dans les jours qui viennent pour les syndicalistes les plus résolus : « Grève, blocage, Macron dégage ! »

   publié le 15 mars 2023

Au port du Havre, « si on ne se bat pas aujourd’hui,
que vont faire nos gosses demain ? »

Maxime Sirvins  et  Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Très mobilisés, les travailleurs portuaires du Havre ont commencé, le mardi 14 mars, soixante-douze heures de grève contre la réforme des retraites. Reportage au petit matin.

« On ne désarmera pas et on montera en puissance », lance Laurent Delaporte, secrétaire général de la CGT des travailleurs portuaires du Grand Port maritime du Havre, au petit matin du mardi 14 mars. Dès 6 h 30, alors que la température ne dépasse pas les 7 °C et que le vent souffle jusqu’à 80 km/h, une bonne centaine de travailleurs portuaires vont bloquer le siège d’Haropa Port, le complexe portuaire qui regroupe les ports de Paris, de Rouen et du Havre, à l’appel de la section locale de la CGT.

Des camions sont garés en travers du grand boulevard pendant que des syndicalistes mettent le feu à un tas de pneus pour protester contre la réforme des retraites. « Notre fédération a décidé de durcir le mouvement en appelant à 72 heures de grève, dont une journée “port mort” jeudi », explique François Brisot, secrétaire adjoint de la fédération. La semaine dernière, une grève de 48 heures avait déjà paralysé le port, premier en France pour le trafic des conteneurs, avec trois millions d’unités par an en 2022.

Alors que de rares badauds filment la scène et que quelques jeunes aident à brûler des pneus, la centaine de salariés, vêtus de leurs gilets jaunes et rouges, tiennent fermement la route et ne comptent pas s’arrêter là dans l’intensification du mouvement.

Pour Sébastien Fassi, qui participe aux manifestations depuis deux mois, il faut « durcir le ton » car après avoir « commencé par des manifestations tranquilles, finalement on se rend compte que marcher gentiment dans la rue ne permet pas d’être écoutés ». « On nous prend carrément pour des guignols », lance le syndicaliste. « Du coup, on bloque. »

Le combat, il faut aussi le mener pour les autres.

Pourtant, ce travailleur portuaire qui s’occupe de l’entretien des portiques à conteneurs – les grandes grues qui chargent et déchargent les bateaux – partira à la retraite avant ses camarades. Timidement, presque avec honte, il explique être travailleur de l’amiante, ce qui lui permettra d’arrêter le travail plus tôt. Rassuré par un collègue qui lui explique qu’il le « mérite » face aux risques sanitaires, Sébastien Fassi ajoute : « Je ne suis pas là à me battre pour moi, je suis là pour me battre pour les autres personnes, pour mes camarades et pour mes enfants. Le combat, il faut aussi le mener pour les autres. »

Même son de cloche pour François Brisot sur les formes que doit prendre la lutte. « Qu’on soit un, deux ou trois millions dans la rue, le gouvernement continue de regarder ailleurs », assène le syndicaliste, avant d’ajouter : « Certains préfèrent manifester car ils se mettent uniquement deux heures en grève. Ils ne peuvent pas se permettre de poser 24 heures pour bloquer. On a donc besoin de multiplier et de diversifier les actions. »

Si, aujourd’hui, ils réalisent leur action devant le siège d’Haropa Port, c’est avant tout pour « envoyer un message », explique Laurent Delaporte, conscient que cette réforme touche tout le monde et tous les corps de métiers. « C’est un siège symbolique de l’autorité portuaire, pour inviter tous nos patrons à retourner vite vers leurs relais politiques et gouvernementaux afin qu’ils retirent le projet de loi. » Pour ce syndicaliste, c’est avant tout un « combat de société ».

Car le ras-le-bol général s’est ancré profondément. « Quand on voit comment on galère aujourd’hui pour se soigner. Quand on voit comment on galère pour mettre de l’essence dans sa voiture. Quand on voit sa liste de courses et le prix dans les magasins. Quand on voit l’inflation monstrueuse et les salaires qui ne suivent pas. Tout ça, c’est un changement profond de société qu’ils sont en train de nous imposer et ça ne nous convient pas. » Le syndicat enregistre depuis des semaines « des dizaines et des dizaines de nouvelles adhésions à l’union locale de la CGT », raconte François Brisot.

C’est un changement profond de société qu’ils sont en train de nous imposer et ça ne nous convient pas.

Au milieu des crépitements des pneus en feu, Sébastien Fassi charge plus encore le gouvernement. « On vire l’impôt sur les grandes fortunes, on ne taxe pas les grandes entreprises, certaines ne payent même pas d’impôts et pendant ce temps-là, on va taxer le pauvre peuple. On ne peut plus entendre ça, donc on a commencé par des journées de grève. La semaine dernière, c’était 48 heures, là, 72 heures, et je vous laisse imaginer ce que ça va donner la semaine prochaine. »

Mais, pour Laurent Delaporte, la lutte ne s’arrête pas à la réforme des retraites. « Il va falloir que cette réforme tombe et puis qu’on continue à monter ce mouvement de grogne des salariés contre une société qui ne nous convient pas. » Le but, pour le syndicat, est « d’éveiller les consciences, d’aller au débat avec les travailleurs pour leur faire comprendre ce qu’est cette société, et qu’il ne faut pas s’enfermer dans l’individualisme ou le fatalisme ».

Pour eux, il faut aller encore et toujours plus loin car le gouvernement « ne joue plus le jeu » avec ses recours aux articles 47.1, 49.3 et 44.2. « On utilise la Constitution pour tout et n’importe quoi dès lors qu’elle sert le pouvoir du président. » Pour le secrétaire général, un « changement politique profond » s’impose comme, par exemple, « la fin de la VRépublique ».

Le combat est sur le long terme. Et il vient tout juste de commencer. « Si on ne se bat pas aujourd’hui, je ne sais pas ce que vont faire nos gosses demain. On doit se battre pour eux. Et pour cela, il s’agit de se battre dès aujourd’hui pour espérer pouvoir les nourrir. » Le vent commence à se calmer. Mais la tempête face à la réforme des retraites ne fait que se lever. 


 


 

Tout comprendre à la grève des déchets à Paris

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce. 

Depuis le 6 mars, l’ensemble des salariés de la filière déchets sont en grève à Paris. Cette mobilisation a été rendue possible par une coordination entre de multiples secteurs et entreprises, bien décidés à faire échouer la réforme des retraites. Malgré les tentatives de casser le mouvement, la solidarité tient bon.

 Des déchets devant le Palais de l’Élysée. L’image a fait réagir et a vite animé les plateaux des chaînes d’informations en continu. Et pour cause : s’il a fallu du temps aux salariés de la filière déchets pour se mettre en grève, la mobilisation ne faiblit pas depuis le 6 mars. Depuis plus d’une semaine, les agents de la collecte et du traitement des déchets de Paris ont réussi une grève reconductible.

À Nantes, Le Mans, Rennes, Angers, Antibes, Dole, Le Havre, les éboueurs sont également mobilisés. Mais la grève parisienne semble particulièrement marquer les partisans de la réforme des retraites, au point de susciter des fantasmes et de servir d’arène politicienne à certains élus.

Les agents de la mairie en grève

Le 6 mars, à la veille d’une journée de mobilisation nationale, les éboueurs employés par la ville de Paris commençaient leur grève. Anticiper d’une journée leur mobilisation par rapport au reste du mouvement social leur a permis d’augmenter leur impact. « Il n’y a pas de collecte le dimanche », nous expliquait François Livartowski, secrétaire fédéral de la CGT Services Publics. Dans la journée du lundi, l’équivalent de deux journées de déchets, soit plus de 500 tonnes, s’entassait donc déjà dans les rues de certains arrondissements parisiens. Depuis ce jour, la collecte est ainsi perturbée dans les très bourgeois 2e, 5e, 6e, 8e et 16e arrondissements de Paris, et également dans le 12e, 14e et 20e. Selon la mairie de Paris, citée par France Info, 7 000 tonnes de déchets n’auraient pas été ramassées depuis une semaine.

Loin de se terminer, la grève est au contraire partie pour durer. Le 14 mars, les grévistes ont voté sa reconduction jusqu’au 20 mars, lors d’une assemblée générale chapeautée par la fédération CGT du nettoyage de la ville de Paris (FTDNEEA), très largement majoritaire dans le secteur. Les grévistes se disent, en outre, prêts à « engager des nouvelles formes d’actions qui participeraient à la victoire des travailleurs » en cas de vote de la réforme ou d’utilisation du 49.3.

La grève des déchets s’étend au privé

Tous les arrondissements ne sont pas concernés. La mairie de Paris a en effet décidé de confier la collecte des déchets de l’autre moitié des arrondissements à trois entreprises privées, où il est plus difficile de mobiliser les salariés. Mais dans l’entreprise Pizzorno, en charge de la collecte dans le 15e arrondissement, les éboueurs ont réussi à se démarquer. La totalité des agents sont en grève. « La grève a été reconduite à l’unanimité jusqu’à demain avec des AG quotidiennes », nous indiquait, le 14 mars, Matthieu Carrier, élu CGT à la ville de Paris. Le syndicaliste a soutenu les salariés dans l’organisation de leur grève et l’assure : « la détermination est au maximum et le mot d’ordre est la reconduction systématique jusqu’à l’ouverture de négociations salariales avec des revendications ambitieuses ».

Un conflit interne à l’entreprise vient en effet s’ajouter à celui sur la réforme des retraites pour ces salariés. En octobre 2022, 90 % des salariés du site étaient déjà en grève, pour obtenir de meilleures conditions de travail. Après six jours d’interruptions du travail, un accord a été signé, avec à la clé six nouveaux camions et des primes pour certains agents. « Mais l’accord de fin de conflit n’a jamais été appliqué », s’indigne Valentin Soen, secrétaire général de l’union locale CGT de Vitry-sur-Seine. En plus de l’application de l’accord et de l’abandon de la réforme des retraites, les salariés demandent une augmentation de 8 % de leur salaire. « Le patron a proposé 3,6 % », s’agace Mathieu Carrier. Une promesse qui n’engage pas à grand-chose puisqu’il s’agit de l’augmentation déjà prévue par la convention collective du secteur.

Casser la grève des déchets

Face à une direction tout aussi obtuse que le gouvernement, la mobilisation des salariés de Pizzorno ne devrait donc pas s’arrêter au lendemain du vote de la réforme. Ils devront cependant faire face à la résistance de l’entreprise, prête à tout pour casser la grève. Celle-ci a en effet envoyé une vingtaine de salariés normalement employés sur d’autres sites, notamment celui de la Seyne-sur-Mer ou de Draguignan (83) pour assurer la collecte des déchets parisiens.

« Ils ont réussi à sortir dix camions pour casser la grève. Ils sont arrivés en pleine nuit [ndlr : entre dimanche et lundi], et le temps d’appeler du renfort, c’était déjà trop tard », témoigne Matthieu Carrier. Le site compte une trentaine de camions, dédiés au ramassage parisien, mais aussi à la collecte dans d’autres villes aux alentours. Dans ces dernières, la collecte est forcément perturbée : bien que la grève y soit moins forte, les camions manquent. Dans la plupart des autres communes d’Ile-de-France où la collecte est assurée par le privé, « la grève se limite aux journées nationales », indique Ali Chaligui, élu de la CGT Transport, en charge de ces questions.

Pour éviter que de nouveaux camions ne sortent du dépôt, les éboueurs ont ainsi appelé à un « blocage en 3X8 » du site. « C’est un blocage citoyen, c’est l’interpro qui bloque, pas les grévistes », souligne Valentin Soen. L’enjeu est en effet d’éviter toute mesure de rétorsion de la part de l’entreprise. Matthieu Carrier témoigne de « pics de soutien à 40 personnes qui baisse à une petite dizaine dans les temps faibles ».

Ce n’est pas la première fois que Pizzorno a des relations conflictuelles avec ses salariés. Sur son site varois, une grève avait aussi éclaté en octobre 2022. Les salariés exigeaient de meilleurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail. Après un blocage du dépôt pendant une semaine, des salariés avaient payé le prix fort de leur engagement dans la lutte. « Ils ont convoqué 12 personnes. Il y en a 10 qui ont été mises à pied pendant trois semaines, dont moi. Et deux ont été licenciées », indique David Hatier, délégué CGT sur le site de la Seyne-sur-Mer. Sur son site, la grève contre la réforme des retraites n’a donc pas eu lieu. « Ils ont mis la pression. Donc les gens ont peur. Il n’y a juste qu’une poignée de courageux qui seraient prêts à faire grève », regrette-t-il.

Des déchets sans destination

L’entassement des déchets n’a pas tardé à susciter l’indignation des élus de la droite. Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, pourtant non-concerné par la grève, a ainsi demandé sur Twitter « l’instauration d’un service minimum de collecte des déchets » en accablant Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui, bien que n’entretenant pas d’excellentes relations avec ses agents, n’a de toute façon pas de pouvoir en la matière. La réquisition relève en effet de la compétence de l’État. La municipalité semble cependant avoir fait appel à une entreprise privée déjà en charge de la collecte dans une partie de la ville, Derichebourg, pour collecter les déchets d’arrondissements normalement sous régie publique, indique BFM TV.

Mais c’est de toute manière oublier bien vite que cette grève s’exprime à toutes les étapes de la filière. Ainsi, la totalité des agents en charge de la conduite des trois incinérateurs de déchets de la petite couronne de la région parisienne, sont, eux aussi, en grève. « On voit des usagers qui se plaignent des odeurs en disant que c’est insalubre. Nous, nos salariés, ils sont en permanence avec des déchets », fait d’ailleurs remarquer Marc Bontemps, élu de la branche Énergie de la CGT (FNME). « La moyenne d’âge du décès chez nous, elle est de 70 ans », souligne-t-il.

Jusqu’à maintenant, les salariés de ce secteur pouvaient partir à la retraite à 57 ans. Ce sera 59 ans, et même 64 ans pour les nouveaux arrivants, si la réforme est adoptée. « Nos salariés sont prêts à se battre corps et âme pour les jeunes qui arrivent. Nos outils de travail, ils n’ont pas changé. » La grève va se poursuivre, au moins jusqu’à jeudi où une nouvelle assemblée générale aura lieu, et devrait probablement entériner la poursuite du mouvement.

Actuellement, les cheminées des incinérateurs d’Ivry-sur-Seine et d’Issy-les-Moulineaux ont cessé de cracher leurs fumées. Celui de Saint-Ouen avait opportunément été mis en maintenance par la direction, le 5 mars, à la veille de la grève. « C’était une tentative de contournement du droit de grève », accuse Marc Bontemps. Néanmoins, les salariés de la maintenance sont également en grève, ce qui devrait donc repousser d’au moins une semaine le redémarrage de l’incinérateur.

Même collectés, les déchets devront ainsi s’entasser dans les camions, faute de destination immédiate. En temps normal, il est possible d’entreposer le surplus de déchets sur le site de stockage de Romainville, avant qu’ils ne soient envoyés à Claye-Souilly (77) où ils sont enterrés. Mais désormais, le site de Romainville est saturé.

Jeudi 16 mars, les sénateurs devraient une nouvelle fois approuver la réforme des retraites. Il leur suffirait pourtant de jeter un œil à l’extérieur du Palais du Luxembourg, pour y voir une ribambelle de poubelles, symbole de la colère sociale.

  publié le 14 mars 2023

15 mars. « On se bat pour les retraites de tous »

Cyprien Boganda et Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Alors qu’une nouvelle journée d’action est prévue ce mercredi 15 mars, à l’appel de l’intersyndicale, les grévistes veulent capitaliser sur un soutien populaire toujours aussi massif. Témoignages de Paris à Saint-Nazaire.

La question est aussi ancienne que les mouvements sociaux. Dans les raffineries, les ports ou les gares, à mesure que les grèves se reconduisent et que la colère grandit, chacun se demande comment s’ancrer dans la durée sans épuiser ses forces, ni son capital de sympathie.

Une semaine décisive vient de s’ouvrir dans la bataille des retraites, avec un possible vote sur le projet de loi en ligne de mire. Ce mercredi 15 mars, jour de la commission mixte paritaire (CMP) au Parlement, l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée d’action.

Sur le terrain, les salariés les plus en pointe dans le mouvement s’organisent concrètement, jour après jour, pour poursuivre les grèves entamées la semaine dernière. Dans le bassin nazairien, la détermination ne faiblit pas.

« Tous les outils de production sont à zéro » dans l'énergie

Les grévistes qui, ce matin-là, s’abritent des rafales de vent et de la pluie, devant la centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique), affichent leur confiance : « La mobilisation est de très haut niveau, exceptionnelle même, assure Christophe Jouanneau, secrétaire général de la FNME 44. Tous nos outils de production sont à zéro. » Il cite la centrale à charbon, le terminal méthanier ou encore la centrale à gaz.

Idem au port où les terminaux portuaires sont tous à l’arrêt, fermés, et à la raffinerie où rien ne sort depuis mardi 7 mars 5 heures. Ce vendredi 10 mars, les raffineurs ont acté collectivement de poursuivre la grève au moins jusqu’au jeudi 16 mars 21 heures et selon les mêmes modalités.

Nourris de leurs expériences, les opérateurs ont appris à « peser sur l’économie sans trop perdre d’argent ». À chaque changement d’équipe par exemple, les agents des services de conduite se concertent pour décider qui cessera le travail ce jour-là, en tournant. Idem dans la raffinerie à côté. Ainsi, une soixantaine de salariés doivent chaque jour se mettre en grève sur près de 350 pour que la production soit interrompue.

En 2017, la caisse de grève a permis de tenir deux mois et demi

Fin février, la FNME a mis en place une caisse électronique de grève pour aider les plus touchés. À Cordemais, la solidarité prend racine dans la lutte menée en 2017 contre le projet de fermeture de la centrale. Un minimum de salariés en grève, les autres qui cotisent. Ce mécanisme a permis à l’époque de tenir deux mois et demi jusqu’à la levée de la menace, explique le responsable de la CFE-CGC, Damien Mouille : « En 2017, nous avions 250 cotisants sur 350 salariés », précise-t-il. « On n’est pas là pour crever la dalle. On s’organise intelligemment », lance un gréviste présent sous la tente.

C’est pour répondre à cette impérieuse nécessité – tenir sans « crever la dalle » – que les caisses de grève ont recommencé à fleurir sur tout le territoire. Certaines centrales comme la CFDT ou FO ont des caisses permanentes, alimentées par les cotisations des adhérents – les réserves cumulées chez la CFDT depuis cinquante ans atteignent les 140 millions d’euros, selon un responsable de la confédération cité par l’AFP.

Ailleurs, les caisses se remplissent uniquement en cas de conflit social d’ampleur, comme en ce moment. La cagnotte « solidarité CGT mobilisation », accessible sur le site Leetchi.com, affichait ce 13 mars près de 857 000 euros au compteur.

Un mouvement multiforme, en trois temps : grands-messes nationales, initiatives locales, et retour en entreprises pour convaincre les non-grévistes 

Tenir sans s’essouffler, donc… Et construire la lutte au jour le jour. C’est un mouvement multiforme, en trois temps, avec des grands-messes nationales, des initiatives locales, et des temps de retour dans les boîtes pour convaincre les non-grévistes et réfléchir aux prochaines actions, qui continue à se construire, analyse le secrétaire général de l’union locale CGT de Saint-Nazaire, Damien Girard.

Car quel que soit le parcours législatif de la loi, les salariés ici sont persuadés d’obtenir le retrait de la réforme. Damien Girard cite notamment le CPE, voté en 2006, puis retiré par Dominique de Villepin. Le vote bloqué au Sénat, l’évocation d’un 49.3 sur le texte final, ou encore, la menace d’exclusion à tout député de Renaissance qui ne voterait pas le texte, sont autant de signes qui montrent que, au fond, « ils ont les pétoches ».

En attendant, le soutien populaire au mouvement social ne faiblit pas : un sondage BVA publié en fin de semaine dernière montre ainsi qu’une large majorité de Français (61 %) approuve le « durcissement » du mouvement, ce qui en dit long sur l’exaspération sociale qui bouillonne dans le pays.

À Saint-Nazaire, tous racontent les mots de soutien lancés de la vitre des voitures, les sourires et les nombreux signes d’encouragement lors de cette matinée où les militants de la CGT ont fermé l’ensemble des accès au port et perturbé la circulation de plusieurs axes routiers.

Les Robins des bois de l’énergie, apparus en France dans les années 2000, ont repris du service

Partout dans le pays, les grévistes comptent bien capitaliser sur ce soutien, eux qui ont tout fait, depuis le début du mouvement, pour ne pas s’aliéner la sympathie de l’opinion. C’est dans ce but que les Robins des bois de l’énergie, apparus en France dans les années 2000 (et plus spécifiquement au cours du mouvement social de 2004 contre le changement de statut d’EDF), ont repris du service.

Au programme : coupures de courant « ciblées » – contre les permanences parlementaires macronistes, notamment –, rétablissement chez les usagers privés d’électricité, etc.

L’aspect « coup de com » de ce type d’actions est tout à fait assumé par Sébastien Roumet, 35 ans, Robin des bois dans la Vienne : « Bien sûr que cela a un impact médiatique, explique-t-il. Les journaux parlent davantage d’une coupure temporaire dans une permanence Renaissance que d’une baisse de rendements dans une centrale électrique ! Mais nos luttes ne se limitent pas à cela. »

Les scènes de fraternité se multiplient

En menant ce type d’actions, les Robins de bois tissent aussi des liens avec la population… et créent des interactions inattendues. « Il y a quelques jours, nous avons organisé le blocage collectif d’une grosse zone commerciale à Poitiers, raconte Sébastien. Les salariés d’un petit boulanger nous ont engueulés, en nous expliquant que l’action risquait de nuire à leur activité. Là-dessus, le patron arrive, et nous propose le café ! Il nous a assuré qu’il comprenait notre combat. Finalement, nous avons passé son compteur en quasi-­gratuité, en guise de remerciement. »

Anecdotique ? Pas seulement. Les scènes de fraternité se multiplient un peu partout en France, loin du procès « en prise d’otages » traditionnellement instruit contre les bloqueurs. « Nous recevons des courriers, des appels, des messages sur les réseaux sociaux, se réjouit Matthieu Bolle-Reddat, conducteur (CGT) de la ligne de RER C. Les gens nous disent : “Nous sommes derrière vous, ne lâchez rien.” Lorsqu’on fait des AG dans les gares, des usagers nous applaudissent, alors même qu’ils galèrent à cause de nous ! Ils savent que nous luttons pour le bien commun. »

Les paysans épaulent les grévistes

Le syndicaliste explique que les paysans ont décidé d’épauler­ les grévistes. Ce mercredi matin, près de 2 tonnes de denrées alimentaires (poulets, miel, pâté, etc.) doivent ainsi être distribuées aux salariés devant la gare de Versailles-Chantiers, collectés par le Mouvement de défense des ­exploitants familiaux (Modef) et la Confédération paysanne.

Même si le scénario d’une « grève par procuration » ­rebute certains grévistes, las de monter au front tout seuls, il faut bien avouer que, cette fois encore, une minorité de secteurs d’activité ont pris les devants du mouvement social, parmi lesquels l’énergie, le raffinage ou les transports en commun.

« J’assume complètement de me battre pour défendre les retraites de tout le monde, assure Matthieu Bolle-Reddat. Beaucoup de salariés en France ne peuvent pas le faire, pour des raisons diverses – travailleurs précaires, salariés de petites boîtes, retraités, etc. Cela dit, le plus dur dans ce type de combat, c’est le sentiment de solitude qui peut gagner les grévistes, ce sentiment de se battre tout seul dans son coin. C’est pour ça qu’il est aussi important de pouvoir compter sur le soutien de la population. » 


 


 

« À Grand’Maison, on sera en grève au moins jusqu’à dimanche »

Guillaume Pavis sur www.humanite .fr

En débrayage depuis neuf jours, les agents de la plus grande centrale hydroélectrique de France seront en tête de la manifestation grenobloise, mercredi, et comptent poursuivre le mouvement. Vaujany (Isère), correspondance.

Depuis neuf jours, les salariés grévistes occupent la centrale hydro­électrique de Grand’Maison, la plus puissante de France. Deux tas de pneus et des banderoles ornent l’entrée du site. L’une d’entre elles, estampillée CGT et FO, affiche la couleur : « Réforme des retraites : c’est non ». Derrière le portail, une trentaine de grévistes partagent, ce lundi matin, un petit déjeuner autour d’un brasero. Ils se bouchent subitement les oreilles lorsqu’une sirène d’alarme vient briser le calme de ce fond de vallée alpine. « On la fait sonner régulièrement pour signaler notre présence », s’amuse Valentin Dombey, délégué syndical d’EDF Hydro Alpes avant de détailler : « On se relaie jour et nuit pour occuper le site. On dort sur des matelas gonflables que l’on a installés à l’intérieur. »

Entre les massifs de Belledonne et des Grandes Rousses, la centrale fait partie, ce lundi, des cinquante sites (20 réacteurs, 15 hydro­électriques, 15 thermiques) où les énergéticiens ont « pris la main sur leur outil de travail », comme le revendique la CGT mines-énergie. Ici, « plus ça va, plus les gens sont déterminés, se réjouit Cyril Carnot, agent et élu CGT. Sur les 35 salariés du site, 90 % sont en grève. On sera là au moins jusqu’à dimanche ». À ses côtés, Johann abonde : « C’est la première fois que je fais grève aussi longtemps », détaille le technicien. « On assure tout de même nos astreintes pour la sûreté des équipements. Samedi soir, par exemple, je suis intervenu à 23 h 30. »

« Pour nous, c’est la double peine »

« On instaure un rapport de force en tapant au portefeuille », reprend Valentin. « EDF est contraint de se fournir chez nos voisins. Localement, les industries comme celles de l’électrométallurgie sont également obligées de baisser leur production. » Si la centrale est à l’arrêt, les grévistes font tourner les turbines en cas de fortes tensions sur le réseau. « Jusqu’ici on a joué le jeu. Car si le réseau venait à tomber, il faudrait compter une semaine pour redémarrer. On aimerait ne pas en arriver là », prévient Mathilde, technicienne sur le site voisin de Saint-Guillerme.

Loin de Paris, les agents ont pourtant l’œil rivé sur le Parlement. « Si le gouvernement passe en force, on montera le ton, prévient son collègue Hervé. J’aimerais que les députés et les sénateurs viennent nous voir pour se rendre compte de la pénibilité de nos métiers. Entre le bruit, la chaleur et les astreintes où l’on part dépanner tard dans la nuit en montagne… À 64 ans, très peu d’entre nous seront capables de le faire », détaille le technicien de 33 ans, entré à EDF à l’âge de 20 ans. C’est aussi le cas de Mathilde : « Pour nous, énergéticiens, cette réforme, c’est la double peine : en plus de décaler l’âge de départ, l’article 1 s’attaque à notre régime, pourtant excédentaire. On a déjà du mal à recruter pour travailler dans ces sites reculés… »

Pour tenir, les grévistes peuvent compter sur le soutien des habitants. « Hier soir, un restaurateur, qui ne peut pas faire grève, nous a même apporté des pizzas », se réjouit Valentin. Qui annonce : « Nous serons en tête de la manif, ce mercredi, à Grenoble. »

publié le 13 mars 2023

La population fait bloc
derrière les grévistes

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Cette septième journée de mobilisation a rassemblé samedi un large public familial. Plus d’un million de personnes, selon la CGT, sont venues réaffirmer leur refus de la retraite à 64 ans et leur soutien au mouvement social. Reportage dans le cortège parisien.

Les énormes et structurés cortèges syndicaux qui ont battu le pavé mardi ont laissé place aux familles avec poussettes et pancartes faites maison. Le relais est passé, le soutien populaire à la mobilisation s’est exprimé ce samedi 11 mars.

De quoi réchauffer le cœur de Cécile et d’Évelyne, deux institutrices, grévistes, qui cheminent de concert dans les rues parisiennes. « Il n’y a pas un parent d’élève qui ne nous soutienne pas », assure la première. « Cela a donné le courage à pas mal de collègues de faire grève », renchérit la seconde.

La journée de mardi a en effet enregistré 60 % de grévistes dans l’éducation nationale. Les colères s’accumulent : à la réforme des retraites s’est ajoutée la réception de la nouvelle carte scolaire, avec son cortège de suppressions de classes et de postes.<< Nouvelle zone de texte >>

« Et puis là il y a le bac qui arrive. J’ai une copine qui fait grève et qui assure quand même ses cours aux classes de terminale », précise Évelyne. Cécile acquiesce : « On veut se mobiliser, durcir le mouvement, mais on est un service public, ça a encore un sens, c’est avant tout le public qu’on pénalise. »

« Quand on dit que “ça va péter” »

Voilà une considération que connaît bien Nathalie, syndiquée à la FSU. Cette assistante sociale a une manière bien à elle d’exprimer le problème : « Quand je fais grève, les seuls que ça dérange, c’est les plus précaires. Vous croyez vraiment que Macron et Roux de Bézieux en ont quelque chose à faire quand les travailleurs sociaux débrayent ? Mais on n’a pas le choix », tranche-t-elle.

Elle prend une grande inspiration et s’imagine à 63 ans, épuisée, en plein burn-out… « Comment pourrais-je encore aider les gens qui en ont besoin ? C’est moi qui aurai besoin d’aide. » Le large soutien populaire au mouvement social, partout en France, la rassure.

Elle voudrait trouver des moyens de soutenir davantage ceux qui peuvent vraiment bloquer le pays. « Quand on dit que “ça va péter”, souvent on ne veut pas vraiment tout casser. Mais parfois, on n’a pas le choix », répète-t-elle.

Sentir le soutien populaire, s’en nourrir, se réconforter

Loin devant, en tête de manifestation, sous les ballons rouges de la CGT Île-de-France, Didier a l’air un peu fatigué. Il fut de toutes les journées de mobilisation, de tous les défilés depuis le 19 janvier et aurait bien passé ce samedi en famille. Travailleur et militant chez Enedis, c’est aussi l’un des 300 à avoir participé à l’action coup de poing au Stade de France jeudi.

Bravant la fatigue, il est venu sentir le soutien populaire, s’en nourrir, se réconforter. « C’est important, sans ce soutien, on ne serait pas là », lâche-t-il. Quand on parle de durcir le mouvement, Didier et ses camarades sont en première ligne. « On va multiplier les actions, les coupures de courant ciblées, revendiquées. On va aussi débrancher les compteurs d’hôpitaux, de boulangers et d’artisans pour qu’ils aient l’électricité gratuite, c’est populaire mais ça ne se voit pas beaucoup. Par contre, si ça continue, si ça se tend encore, il y aura sûrement des actions incontrôlables », prévient-il.

Avec ses près de trente années de militantisme à la CGT derrière lui, Didier est un peu résigné à rester en première ligne. Il comprend en tout cas ceux qui ont peur des répercussions : « On a tellement vu de conseils de discipline, de camarades licenciés… Ce couperet fait peur. »

« Si tu as 50 ou 100 balles à mettre dans une caisse de grève, c’est bien, mais ça veut surtout dire que tu as les moyens de faire grève ! »

À côté, Rudy, technicien de maintenance à la RATP et également militant CGT, n’est pas aussi conciliant. Pour lui, le simple soutien n’est plus suffisant et la situation exige davantage. Le terme de « grève par procuration » commence à l’agacer. « Si tu as 50 ou 100 balles à mettre dans une caisse de grève, c’est bien, mais ça veut surtout dire que tu as les moyens de faire grève ! Et ça ne te coûtera pas plus cher de descendre dans la rue », résume-t-il.

Place de la République, sa fille sur les épaules, sa mère à sa gauche, les trois générations de la famille de Mélanie s’apprêtent à rejoindre le cortège. Deux raisons ont décidé cette juriste, mère célibataire, à s’engager. « Déjà, j’ai calculé que si je voulais que ma fille puisse faire des études supérieures, je n’aurai jamais les moyens de m’arrêter, donc je n’aurai jamais de retraite », confie-t-elle.

Et de s’indigner : « Je suis sidérée par le mépris de ce gouvernement : plus de 90 % des travailleurs sont contre cette réforme et il s’en moque. En 1995, Juppé était tombé pour moins que ça ! »


 


 

Soutenir les grévistes
contre la réforme des retraites :
les caisses de solidarité, mode d’emploi

sur https://basta.media/

Pour que les grèves contre la réforme des retraites puissent durer, les syndicats ont mis en place ou relancé des caisses de solidarité. Des centaines de milliers d’euros sont déjà collectés. Explications et liens pour contribuer.

« Voici une idée que vous jugerez certainement irréaliste, car cela nécessiterait une unité et une solidarité nationales, au-delà des divergences syndicales et professionnelles…, nous écrivait un lecteur il y a quelques semaines. Le principe serait de lancer un mouvement de grève uniquement dans les secteurs d’activités susceptibles de bloquer l’économie du pays. Dans le même temps, une caisse de solidarité serait créée avec appel national aux dons afin d’indemniser les grévistes. » Le principe existe bel et bien déjà et s’appelle la « caisse de grève ».

Les caisses de grève avaient déjà joué un rôle central dans le mouvement contre la réforme des retraites de 2019. Elles avaient alors collecté plusieurs millions d’euros pour aider les grévistes mobilisés à tenir dans la durée. Cet élan solidaire est à nouveau à l’ordre du jour aujourd’hui, contre la nouvelle réforme des retraites d’Emmanuel Macron, qui veut relever l’âge de départ à 64 ans.

Des caisses de solidarité pour les grévistes, il en existe depuis le 19e siècle déjà. La CFDT en a une permanente, la Caisse nationale d’action syndicale, tout comme Force ouvrière avec son fonds de solidarité de grève confédéral.

En 2016, au moment des mouvements de grève reconductibles liés à la loi travail, la CGT Infocom (fédération du syndicat qui regroupe les professions de l’informatique, les journalistes, etc.) avait créé une caisse de grève interprofessionnelle et intersyndicale sous forme d’association, la Caisse de solidarité.

« Ne pas favoriser la grève par procuration »

Cette caisse a depuis soutenu de multiples mouvements : celui contre la réforme des retraites de 2019 évidemment, mais aussi les grévistes de Geodis ou de Total à l’automne dernier (toutes les grèves soutenues sont mentionnées sur cette page). La Caisse de solidarité est à nouveau à pied d’œuvre face au mouvement actuel. Depuis 2016, elle a récolté plus de 4,7 millions d’euros, et a aujourd’hui plus de 800 000 euros disponibles en soutien aux grèves contre la réforme des retraites version 2023.

La CGT a aussi lancé sa propre caisse de grève pour le mouvement, « pour gagner une réforme des retraites plus juste et plus solidaire ». Celle-ci a déjà réuni plus de 700 000 euros.

« La grève est un outil puissant dans les mains des travailleuses et des travailleurs. Évidemment, la grande difficulté pour les salarié·es, c’est la perte de revenu, souligne le syndicat Solidaires. C’est dans ce cadre que les caisses de grève peuvent être un outil important de la lutte… si on prend bien garde à ne pas favoriser la grève par procuration, où certain·es feraient grève, tandis que d’autres alimenteraient les caisses plutôt que la grève ».

La fédération Solidaires de l’Éducation nationale a notamment mis en place une caisse spécifique pour les grévistes du secteur. Il existe par ailleurs des caisses de grève locales de Solidaires. Le site « Caisses de grèves autogérés » recense aussi une multitude de caisse de grèves sectorielles ou locales.


 

Les différentes caisses où on peut donner

 La caisse en ligne de la CGT ou par chèque via le site de la CGT.

 La Caisse solidaire interprofessionnelle et intersyndicale https://www.caisse-solidarite.fr/

 La caisse de Sud-Éducation

 Tous les liens des caisses locales de Solidaires sont à retrouver ici

 La caisse de Sud-Rail

 Caisse de grève queer

 La caisse de grève mise en place par la France insoumise

 Le site qui recense différentes caisses de grèves

publié le 12 mars 2023

« La colère est toujours là » : contre la réforme des retraites, les manifestants refusent de se résigner

Christophe Gueugneau et Dan Israel sur www.mediapart.fr

Partout en France, la septième journée de mobilisation a donné lieu au même constat ce samedi : le mouvement social, bien que moins fourni, ne désarme pas. Emmanuel Macron, lui, avance imperturbablement, comptant faire adopter son texte le 16 mars. L’intersyndicale demande désormais une « consultation citoyenne ».

Sur le pavé parisien, Delphine et Émilie, enseignantes en collège et maternelle, en sont à leur cinquième mobilisation contre la réforme des retraites. Mais ce samedi 11 mars, elles avouent finir par douter de l’efficacité des manifestations. « C’est clair que le mépris affiché par le président pousse à aller plus loin », glisse l’une. « Je cherche des solutions tout en restant dans la légalité, je ne veux pas finir en prison », énonce l’autre. Toutes les deux disent « se questionner » sur leur vote au second tour de la présidentielle, en faveur d’Emmanuel Macron.

Leur sentiment reflète bien l’humeur – aussi changeante que la météo au-dessus des cortèges sur tout le territoire – des participant·es à cette septième journée de mobilisation. Exactement un mois plus tôt, le 11 février, le nombre de Parisien·nes ayant répondu à l’appel des huit syndicats de travailleurs et travailleuses n’avait jamais été aussi grand depuis plus de trente ans. Et le 7 mars, quatre jours avant ce samedi maussade, le record pour toute la France avait été dépassé selon les chiffres du ministère de l’intérieur, pour la deuxième fois depuis la deuxième journée de mobilisation le 31 janvier.

Les chiffres annoncés par le ministère de l’intérieur pour ce 11 mars ne sont pas aussi exceptionnels : 368 000 personnes sur tout le territoire, dont 48 000 à Paris – soit la plus faible affluence depuis le début du mouvement. La CGT a quant à elle dénombré plus d’un million de participant·es sur tout le territoire, et 300 000 à Paris.

Pourtant, en une poignée d’heures, le bras de fer s’est encore durci. Et le pouvoir, raidi. Vendredi 10 mars, le gouvernement a déclenché la procédure de « vote bloqué », autorisée par l’article 44-3 de la Constitution : les sénateurs n’auront droit qu’à un seul vote sur l’ensemble du texte. Lequel devrait être adopté d’ici dimanche soir à la Chambre haute, comme attendu par le gouvernement, pour être définitivement validé jeudi 16 mars, le lendemain d’une nouvelle (et ultime ?) journée de manifestation.

Emmanuel Macron a aussi répondu vendredi, par deux fois, à la demande pressante des dirigeants de l’intersyndicale qu’il les reçoivent à l’Élysée. Dans un courrier, il a refusé toute rencontre au motif qu’il entend respecter « le temps parlementaire ». Lors d’une conférence de presse avec le premier ministre britannique, Rishi Sunak, qu’il recevait à Paris, le chef de l’État a ensuite déclaré que la réforme devait aller à son « terme ». Quant aux questions sur la nécessité éventuelle de recourir à l’article 49-3 à l’Assemblée nationale, pour faire adopter définitivement le texte sans majorité parlementaire, il a rétorqué qu’il ne ferait « pas ici de politique-fiction ».

La volonté du président d’avancer coûte que coûte n’a pas échappé à Claude, Marie-Claire, Brigitte et Djida, manifestantes à Paris samedi. Chasuble orange CFDT sur le dos, elles qui ont dépassé la cinquantaine exercent un travail physique pour le compte d’associations franciliennes. Et elles ne décolèrent pas.

« Les gens sont en train de se résigner, ils comprennent que la réforme va passer. Mais on continuera à se battre jusqu’au bout, même s’ils nous méprisent. La colère est toujours là », lâche l’une. « Tout le monde sait qu’après 55 ans, pour les employeurs, on est de la merde. On attend quoi, qu’on soit au chômage plus longtemps en fin de carrière ? », clame l’autre. « Nous représentons les fameux travailleurs invisibles de la pandémie, ceux qu’on était censé récompenser. Et voilà notre récompense, deux ans de travail de plus. Et encore, on ne vous a pas parlé du niveau de retraite des femmes… Tout ça est lamentable », grondent en chœur leurs amies.

Les syndicats dénoncent le « double bras d’honneur » du président 

Dans le carré officiel en tête de manifestation, les dirigeants syndicaux utilisent des termes à peine plus policés. Tous évoquent « un double bras d’honneur » du président, au Parlement et au mouvement social. « Dans la réponse à notre lettre, le président nous explique qu’il faut respecter le “temps parlementaire”. Mais au moment même où j’ai reçu le mail contenant sa réponse, j’entendais Olivier Dussopt annoncer l’utilisation de l’article 44-3 au Sénat, qui empêche justement la discussion parlementaire, relate Frédéric Souillot, le dirigeant de FO. Ce qu’ils font, cela s’appelle du mépris. »

« Les remontées que nous avons de nos militants, c’est une forme de sidération devant les non-réponses du gouvernement, renchérit Laurent Berger pour la CFDT. On a un mouvement social jamais vu, des procédures parlementaires très bousculées, et 90 % de la population active qui est opposée à cette réforme. Et on a un pouvoir qui nous dit “non non, on continue”. Il y a un déni de la démocratie sociale qui vient de s’opérer, et un mépris de toute la population. »

« La réponse que fait le président de la République à notre courrier, c’est “allez vous faire voir”, tempête le leader de la CGT Philippe Martinez. Qu’est-ce qu’il faut faire de plus ? Il y a un risque que des citoyens, des salariés excédés, passent à autre chose. C’est peut-être ce que cherche le président de la République, d’ailleurs… »

L’inquiétude commence à être palpable sur les conséquences possibles de cette fin de non-recevoir du pouvoir. Et l’analyse est partagée d’un bout à l’autre de l’intersyndicale, y compris par ses membres réputés les plus sages.

« On aborde une phase dangereuse. S’ils misent sur la résignation, ils ont tort : la colère sera plus forte que la résignation, et c’est dangereux pour notre pays, considère ainsi Laurent Escure, le patron de l’Unsa. Il y aura des rebonds de cette colère, même si la réforme passe. »

Pascale Coton, spécialiste respectée du dossier des retraites à la CFTC, et secrétaire générale du syndicat chrétien de 2011 à 2015, pointe sans détour le risque de voir renforcé le Rassemblement national : « Ils sont en train d’installer au pouvoir un autre parti. » Sentiment partagé par Benoît Teste, le dirigeant de la FSU, premier syndicat de l’enseignement : « Le déni de démocratie, ça fait peur. Derrière, le risque du RN est énorme. »

François Hommeril, à la tête de la CFE-CGC, décrit l’opposition syndicats-exécutif comme « deux trains qui avancent sur deux voies parallèles ». « On a essayé de jeter des ponts de l’une à l’autre, mais ça n’intéresse pas le président, il ne souhaite pas entrer en contact avec le pays réel », considère-t-il.

À la recherche d’une voie de sortie à cette confrontation qu’elle n’arrive pas gagner, l’intersyndicale a décidé de mettre une nouvelle demande sur la table : l’organisation d’une « consultation citoyenne » sur la réforme. « Il faut envisager la consultation du peuple », plaide Laurent Berger. « S’il est si sûr de lui, qu’il consulte les Français », gronde Philippe Martinez. « Mieux vaut une consultation citoyenne que la violence », insiste Frédéric Souillot. « C’est une voie nécessaire pour éviter que la crise sociale que nous traversons devienne une crise démocratique – et on en prend le chemin », estime Laurent Escure.

Il y a peut-être une forme de lassitude. On voit bien qu’il faut un nouveau souffle.

Cette demande découle aussi du constat que la tentative de « mettre le pays à l’arrêt » à partir du 7 mars n’a pas été concluante. Des grèves ont eu lieu, mais pas au niveau que pouvaient espérer certains parmi les plus radicaux des militants syndicaux. Comme Mediapart a pu le constater au Havre (Seine-Maritime), les grèves reconductibles n’ont pas attiré les foules.

Les seuls secteurs où le blocage se fait sentir sont l’électricité, où les travailleurs ralentissent nettement la production, les raffineries, qui ne sont pas stoppées mais où la distribution du carburant est bloquée, le ramassage des ordures dans certaines villes, et notamment à Paris où il est très perturbé, et la SNCF, où au moins un train sur deux est encore annulé ce week-end.

« Il y a peut-être une forme de lassitude, convient Benoît Teste. On voit bien qu’il faut un nouveau souffle et on a essayé de l’impulser le 7, mais on est retombé sur ce qui est la forme de ce mouvement : une journée de manifestations de masse, ce qui est excellent, mais qui ne renouvelle pas les choses. »

Des heurts avec la police inédits depuis le début du mouvement

Dans le cortège parisien, qui a avancé sur deux itinéraires différents entre la place de la République et celle de la Nation, on cherche aussi des alternatives pour se faire entendre. Beaucoup sont venus en famille ce samedi. Nelly, retraitée, Jérôme, technicien en lycée, et Orane, lycéenne, manifestent en famille et sur trois générations. Des trois, Nelly est sans doute la plus remontée : « Je viens défendre nos acquis et nos jeunes. Le pouvoir est méprisant, je crois vraiment que la seule solution, c’est de les prendre en otages, être plus méchants, je pense qu’on est trop gentils. »

Jérôme, son fils, temporise, et se dit « moins radical ». « Je pense que c’est ce qu’ils cherchent, ils sont provocateurs », se justifie-t-il. Pour Orane, c’est la première manifestation. « C’est important de savoir comment ça se passe. Au lycée on en parle très peu, mais je suis là pour mes parents qui ont des métiers fatigants », dit-elle. Aucun des trois ne croit réellement à l’organisation d’un référendum. Ce qui est sûr, pour Jérôme, c’est que les gens ne sont plus dans la rue uniquement pour les retraites, mais aussi pour dénoncer « une façon de gouverner »

Sacha, la vingtaine, a participé à toutes les manifestations du mouvement. Pour lui, le « référendum serait une porte de sortie ». « Mais ce ne sera jamais fait », anticipe-t-il. Son seul espoir est qu’un « vrai mouvement insurrectionnel » se mette en branle.

Tout comme Thierry, la quarantaine, qui manifeste en famille avec femme et enfants. Journaliste pour une radio privée, il a déjà « perdu sept jours de paie pour faire la grève ». Il pense lui aussi qu’on ne pourra pas « échapper au blocage du pays ». « Mais est-ce que les syndicats ont le pouvoir de lancer ça ? Je ne sais pas, reconnaît-il. En tout cas, le niveau de défiance est tel qu’on ne pourra pas en rester là, il y a une telle colère, presque une haine… »

Au fil du défilé, beaucoup citent cette confidence d’un conseiller de l’exécutif, relayée par L’Opinion, qui estime que la seule chose qui freinerait l’adoption de la réforme serait « un scénario extérieur, un mort dans une manifestation, un attentat… ».

Est-ce la conséquence du durcissement de la confrontation ? Un net regain de tension s’est fait sentir samedi à Paris, amplifiant ce qui était déjà devenu visible le 7 mars. Contrairement aux précédentes manifestations, les forces de l’ordre étaient plus présentes et plus proches des manifestants du cortège de tête, au contact, comme c’était déjà le cas lors des manifestations gérées par le précédent préfet de police de Paris, Didier Lallement.

À l’avant du cortège, des heurts ont éclaté assez tôt. Peu avant Bastille, des groupes organisés en black blocs ont envoyé des projectiles sur des forces de l’ordre, qui sont immédiatement intervenues en avançant dans le cortège. Celui-ci s’est retrouvé découpé en plusieurs tronçons jusqu’à la hauteur de la place de la Bastille, à quelques centaines de mètres. Des affrontements, épars mais parfois violents, se sont poursuivis tout au long de l’après-midi. Puis en fin de défilé, cet incident pas vu depuis longtemps à Paris : le carré officiel a été pris à partie par des membres des black blocs, au point que le service d’ordre syndical a joué de la gazeuse pour les éloigner.

Quoi qu’il se passe, Emmanuel Macron a déjà perdu, et nous avons gagné, c’est mon sentiment profond.

« On se sent floués, bafoués, piétinés. On a du mal à savoir quelle valeur on va transmettre à nos enfants », confie Gaëlle, responsable socioculturelle dans une association, venue avec Oli, sa fille de 6 ans, et avec son frère Jérémy, conducteur de travaux dans le bâtiment. « À la fin des années 1990, j’ai été très impliquée dans le soutien aux sans-papiers, et je venais souvent par ici, j’ai beaucoup manifesté, raconte la mère de famille. Et puis je suis partie plusieurs années en Bretagne, j’ai moins défilé, et j’ai même beaucoup douté de l’utilité des manifs. »

Mais Gaëlle a vécu un nouveau déclic le 19 janvier dans la capitale : « J’ai à nouveau ressenti l’enthousiasme des grands rassemblements, à quel point on pouvait être fort ensemble, et j’ai absolument voulu transmettre ça à mon enfant. J’espère que sa génération trouvera d’autres formes de luttes, qu’elle saura réinventer l’engagement. »

Cet embryon d’espoir se retrouve chez bien d’autres manifestant·es, parfois accompagné d’un réel optimisme sur la portée du mouvement. « Quoi qu’il se passe, Emmanuel Macron a déjà perdu, et nous avons gagné, c’est mon sentiment profond », clame, rayonnante, Stéphanie, enseignante-chercheuse et militante FSU à l’université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée (Seine-et Marne).

« Les syndicats ont donné le cadre, les gens s’en sont saisi, unis. Les travailleuses et les travailleurs ont compris le sens du texte de loi, ils ont aussi découvert qu’ils pouvaient s’approprier une loi pour débattre de son contenu, énumère Stéphanie. La bataille de l’opinion, nous l’avions déjà remportée lors de la première tentative de réforme en 2019, mais là, cette victoire s’est consolidée. »

« Des collègues en fin de course, qu’on tient à bout de bras pour qu’ils puissent tenir jusqu’à 62 ans alors qu’ils travaillent plus lentement, on en connaît. Comment va-t-on faire si on doit tous continuer jusqu’à 64 ans ?, interroge son amie Samia, responsable administrative et syndicaliste CGT dans le même établissement. On n’y arrivera pas. Les ressources humaines ne savent pas quoi faire de ces travailleurs âgés, ils n’ont pas de poste pour les reclasser. »

Mais lorsqu’on interroge Stéphanie sur la possible impasse qui semble se dresser face au mouvement de contestation, elle corrige aussitôt : « Une impasse ? Mais c’est Emmanuel Macron qui est dans une impasse. S’il continue dans cette voie, c’est sa seule responsabilité. Beaucoup de gens ne peuvent jamais partir en vacances, la retraite est leur seul horizon pour profiter un peu. Et on leur recule cet horizon de deux ans ? C’est d’une violence incroyable. »

 

  publié le 11 mars 2023

Le renouveau des caisses de grève « répond à l’endurance » du pouvoir

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites dure depuis près de deux mois, avec des actions désormais reconductibles, les caisses de grève permettent aux salariés en lutte de tenir. Entretien avec le sociologue Gabriel Rosenman, ex-cheminot et spécialiste des caisses de grève.

Boîtes à chaussures ou de conserve transformées en tirelire sur les stands des manifestations, caisses de grève confédérales, caisses autogérées, cagnottes en ligne ouvertes par fédération, département ou organisation syndicale, cagnottes pour les raffineurs, le secteur du nettoyage ou lancées au sein même des entreprises, récolte de dons par des « gamers » sur la plateforme Twitch via l’espace « Piquet de Stream »... Les caisses de grève bourgeonnent, prospèrent et se propagent sur tous les supports, depuis près de deux mois.

Leur but est commun : soutenir la lutte sociale et permettre au mouvement contre la réforme des retraites de durer, en aidant financièrement les grévistes.

Gabriel Rosenman est un ancien cheminot de la gare Saint-Lazare, à Paris. Il a travaillé à la SNCF pendant dix ans, de 2008 à 2018, avant de reprendre des études de sciences sociales. Il prépare actuellement une thèse sur la pratique des caisses de grève dans le mouvement ouvrier français. Pour Mediapart, il décrypte les formes et les enjeux de ces soutiens financiers qui n’ont rien de nouveau – loin de là – dans le mouvement social, mais prennent de nouvelles formes.

Mediapart : On observe un retour en force des caisses de grève, comment l’expliquer ?

Gabriel Rosenman : D’abord, parce qu’on observe une accumulation d’expériences lors des conflits, depuis 2010, dans les branches et au niveau interprofessionnel. Ensuite, il y a un durcissement des conditions de la grève, avec des conflits qui s’allongent dans le temps. Ces dernières années, il y a eu des exemples assez extrêmes, comme le mouvement lancé en 2018 par les postiers des Hauts-de-Seine. Il a duré quinze mois. Ou encore la longue grève des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles pendant plus de vingt-deux mois, entre 2019 et 2021. Elle aurait été inenvisageable sans la caisse de grève de la CGT-HPE [hôtels de prestige économique – ndlr].

Une autre expérience intéressante remonte à 2016, pendant le mouvement social contre la loi Travail. La CGT-Info’Com avait lancé une collecte nationale interprofessionnelle. Elle a récolté plus de quatre millions d’euros depuis son ouverture et a été récemment réactivée par la mobilisation contre la réforme des retraites [890 000 euros ont déjà été collectés pour la “campagne 2023” – ndlr].

Ces caisses de grève représentent donc un rapport de force nouveau ?

Gabriel Rosenman : Oui, très clairement. D’autant plus que les classes populaires s’appauvrissent, comme cela a été mis en lumière par les « gilets jaunes ». Très rapidement dans le mois, un certain nombre de personnes n’ont plus aucune marge de manœuvre dans leur budget. C’est difficile d’assumer de longues grèves. D’ailleurs, les directions d’entreprise jouent clairement là-dessus.

C’est-à-dire ?

Gabriel Rosenman : Leur volonté est de sanctionner – financièrement – le plus durement possible les grévistes. C’est devenu un outil pour affaiblir ou abréger les conflits. Il peut y avoir une forme de chantage. Je me souviens d’une anecdote, durant les grèves de 2019 : un délégué local de la RATP m’avait montré un texto de sa DRH qui lui proposait l’étalement du prélèvement des jours de grève sur trois mois, en échange de la reprise du travail dès le lendemain.

Depuis les années 2010, on observe d’ailleurs la fin de l’usage des négociations de fin de conflit dans lesquelles se jouait cet étalement. Désormais, à la RATP, à la SNCF ou à La Poste, les grévistes peuvent avoir des fiches de paie à zéro en fin de mois. Il y a donc un gros besoin de solidarité, et donc de caisses de grève.

Il existe aussi une part d’épargne individuelle, quand c’est possible. Je me souviens de l’un des premiers conseils donnés par les anciens quand je suis arrivé à la SNCF : « Quand tu rentres, tu mets un mois de salaire de coté pour les jours de grève. »

Car si les grèves se prolongent autant, c’est aussi parce que les entreprises adoptent de nouvelles stratégies pour remplacer les grévistes et limiter les pertes économiques. À la SNCF, vous avez un service entier de conducteurs dédié au remplacement des grévistes. Il y a l’équivalent à la RATP. Ces agents sont dédommagés avec des primes très substantielles, pour s’assurer de leur loyauté.

On prête souvent attention à l’endurance des grévistes mais, symétriquement, il faut regarder l’endurance des entreprises ! Les nouvelles formes de caisse de grève peuvent donc être une réponse. La cagnotte nationale de la CGT-Info’Com est assez unique en son genre. Elle a relancé des réflexions stratégiques dans beaucoup de secteurs du mouvement syndical.

Justement, quel rôle jouent les organisations syndicales dans les caisses de grève ?

Gabriel Rosenman : La CFDT est la seule à détenir une grande caisse confédérale, créée en 1973 et financée par une partie des cotisations syndicales. Elle est dotée d’environ 140 millions d’euros, c’est la plus massive, et de très loin. N’importe quel adhérent qui fait grève à l’appel de son syndicat local est couvert par cette caisse. Par exemple, en 2019, la confédération n’appelait pas à se mobiliser contre la réforme des retraites mais localement, certains ont fait grève et ont été couverts.

Côté CGT, la question d’augmenter les cotisations des adhérents pour alimenter un fonds de grève s’est souvent posée depuis sa création mais ça n’a jamais pu se mettre en place, à cause de scissions et désaccords internes. En 1969, les statuts confédéraux sont très clairs : la solidarité en temps de grève s’organise uniquement sous forme de collecte dans la population. Cela permet de populariser les grèves, de susciter et d’entretenir la solidarité envers les ouvriers.

Ces statuts sont modifiés avant les grèves de 1995 [contre la réforme des retraites d’Alain Juppé – ndlr]. Toute mention de solidarité financière disparaît. La CGT n’a plus vraiment de boussole et plus aucune fédération n’a de caisse de grève permanente.

Chez Force ouvrière (FO), un fonds confédéral de soutien aux grévistes existe, une part du budget y est dédiée, mais comme souvent avec FO, c’est difficile d’avoir des informations. Parfois, ce fonds est mis en marche, parfois pas.

La France insoumise (LFI) a aussi lancé une caisse de grève et récolté, à ce jour, plus de 390 000 euros. Les collectes politiques, c’est nouveau ?

Gabriel Rosenman : Disons que c’est un renouveau. L’investissement des structures politiques dans le soutien aux grèves est très ancien et le Parti communiste y a joué un rôle clé, notamment via ses municipalités. Ensuite, l’affaiblissement de la gauche et, pendant une certaine période, l’affaiblissement des grèves ont moins mis ça sur le devant de la scène. Ce qui est un peu nouveau dans la démarche de LFI, c’est le format : la collecte ne s’appuie pas sur des réseaux militants, comme ce fut le cas avec le Parti communiste, mais sur les réseaux sociaux. Cela correspond aussi à la place politique occupée par La France insoumise dans le paysage, qui est, pour le dire sobrement, une volonté d’hégémonie politique et d’occuper le terrain, y compris celui de la solidarité financière.

Ces caisses de grève couvrent-elles l’intégralité des salaires non versés ?

Gabriel Rosenman : Non, c’est très rarement le cas. La prise de risque est donc importante pour les grévistes. À la CFDT, vous savez à l’avance ce que vous percevrez [7,70 euros par heure pour les adhérents de plus de six mois, précise l’organisation syndicale – ndlr]. Pour d’autres cagnottes, la répartition et la proportion sont variables. Cela peut tenir compte du grade, de la composition familiale, ou encore des horaires de travail. Il existe aussi des seuils à partir desquels les grévistes peuvent bénéficier de la caisse, selon le nombre de jours de cessation de travail. On voit aussi des caisses, dans l’éducation, qui prévoient des seuils très bas pour les précaires. Le but n’est alors pas d’étendre la grève sur la durée mais de l’étendre à un maximum de monde.

Y a-t-il eu des cas où les salaires étaient intégralement reversés ?

Gabriel Rosenman : Oui, en 2010 contre la réforme des retraites, dans le secteur des raffineries. Celle de Grandpuits (Seine-et-Marne) est devenue un symbole du mouvement. Les grévistes ont reçu un afflux de dons non sollicités et largement supérieurs à leur perte de salaires. Ils ont pu s’indemniser en totalité et reverser une partie à d’autres raffineries et au Secours populaire. Mais l’excédent d’argent reste très rare.

Dans le cadre de votre thèse, vous travaillez sur les profils des donatrices et donateurs...

Gabriel Rosenman : C’est effectivement en cours, grâce à des informations tirées d’un questionnaire distribué depuis 2019 aux donateurs de la caisse de la CGT-Info’Com. 5 000 personnes sur 40 000 ont répondu. 35 % sont des retraités, 32 % des cadres et professions intermédiaires. Il y a très peu d’ouvriers. 66 % des donateurs se définissent aussi comme militants, ce qui peut avoir plein de sens différents.

L’un des débats au sein de la CGT est causé par la crainte que les caisses de grève encouragent la grève par procuration. Les réponses au questionnaire apportent un autre éclairage. Les dons proviennent plutôt de gens qui ne peuvent pas faire grève car ils sont retraités, indépendants, artisans… Ce sont aussi des cadres et professions intellectuelles supérieures qui pourraient le faire mais font face à des pressions ou y voient un intérêt limité par rapport aux grèves d’ouvriers et de techniciens.

Votre thèse en préparation s’intéresse à la pratique des caisses de grève dans le mouvement ouvrier français. Quelles ont été les grandes étapes dans l’histoire ?

Gabriel Rosenman : La première trace que j’ai trouvée date de 1831, avec les révoltes des canuts lyonnais. Ils avaient créé une société de secours mutuel baptisée « le devoir mutuel ». L’idée était de mutualiser une partie des ressources en prévision des pertes de revenu liées à des cessations de travail. Ça ne s’est pas passé comme prévu car la grève s’est transformée en insurrection.

Pendant l’essentiel du XIXe siècle, d’autres sociétés de secours mutuel émergent pour les ouvriers sans aucune protection sociale ni structure syndicale. Le but est de s’entraider face à des risques d’accident du travail, de maladie et même de mort, car ces sociétés prenaient en charge les enterrements. Mais cela couvrait aussi la grève, qui s’appelait « coalition » et était illégale jusqu’en 1864. Dans certains cas, les sociétés de secours mutuel étaient quasi exclusivement créées en vue de la grève, comme lors de la grande grève des mineurs d’Anzin dans le Nord, racontée dans Germinal.

À la fin du XIXe, des chambres syndicales apparaissent et prennent le relais des sociétés de secours. Les grèves commencent à toucher de grandes masses ouvrières et cela exige des quantités d’argent qui dépassent les fonds disponibles. L’aide repose de moins en moins sur l’accumulation de fonds mais sur des appels aux dons, sur la solidarité extérieure.

Plus tard, les structures syndicales auront un rôle d’intermédiaire, en centralisant et redistribuant les dons. En 1963, la grande grève des mineurs déclenche un élan de solidarité qui surprend tout le monde. Une intersyndicale se met même en place pour centraliser les fonds. C’est à partir de cette expérience, et de Mai 68, que la CFDT et la CGT vont développer des stratégies différentes sur les caisses de grève.


 

Pour apporter votre soutien financier aux salariés engagés dans la grève reconductible, la CGT organise la solidarité financière qui leur est entièrement dédiée.

Pour contribuer à la solidarité financière :

  • En ligne en cliquant sur Solidarité Grévistes

  • Par chèque : à l'ordre de « Solidarité CGT Mobilisation » adressé à : "Confédération Générale du Travail, Service Comptabilité", 263 rue de Paris, 93100 Montreuil.

  publié le 10 mars 2023

Retraites « Quel avenir,
si on ne se mobilise pas ? »

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Les jeunes s’étaient donné rendez-vous, le jeudi 9 mars, pour prendre leur part du mouvement contre la réforme des retraites. Dans la manifestation parisienne, la colère dépassait largement cette seule question.

Devant la gare Saint-Lazare, ce jeudi, le ton est donné avant même le départ de la manifestation, à l’appel des organisations de jeunesse (Unef, Fage, l’Alternative, la Voix lycéenne, Jeunes communistes, Jeunes écologistes, Jeunes socialistes, Jeunes insoumis…). Aux couleurs de la Coordination interfacs d’Île-de-France, la banderole de tête proclame : « Étudiant·e·s et salarié·e·s en grève pour tout bloquer. » Signe d’une mobilisation qui veut s’ancrer dans la jeunesse, malgré des débuts hésitants.

Depuis le 7 mars, le nombre de jeunes manifestants, comme la hausse des AG et des blocages dans les lycées et les universités, constitue un signe encourageant. Ce jeudi, ce sont les étudiants en architecture qu’on ne peut pas manquer. Venus en nombre et en colère, derrière une banderole qui fait de l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) une « École nationale sans avenir ». Parmi eux, Lisa ne se fait pas prier pour résumer la situation : « On étudie dans des conditions déplorables, dans des locaux insalubres, délabrés, sans accès aux restaurants universitaires. Avec la culture de la “charrette’’ (travailler intensément – NDLR) , on ne dort pas, tout ça finit par avoir des conséquences sur notre santé. Nos enseignants sont souvent des contractuels très mal payés… » On ne l’arrête plus : « Quel avenir pour nous si on ne se mobilise pas ? Pour avoir une retraite, il faut déjà avoir un travail ! »

Chez nombre de jeunes présents, la problématique de la réforme des retraites ne vient pas seule. Baptiste manifeste tout en distribuant des flyers du collectif Dernière Rénovation : « L’urgence pour la planète, c’est de ralentir la production, donc cette réforme est une absurdité ! » Marianne, des Jeunes écologistes, se demande : « Pourquoi faire travailler nos aînés plus longtemps si c’est pour nous imposer des bullshit jobs dépourvus de sens ? » Matéo, un assistant d’éducation (AED) venu avec des collègues, remarque : « La plupart des AED sont à temps partiel, et on a des primes qui, en plus de ne toujours pas être payées depuis octobre 2022, ne comptent pas pour la retraite ! »

Le ras-le-bol « face à toutes les réformes qui détruisent »

Venu de l’université de Nanterre, bloquée depuis le 7 mars, Roméo se dit « pas hostile par principe à une réforme des retraites. Mais Macron fait des choix contestables ». Pompier volontaire, il questionne : « Pourquoi faire travailler plus les gens alors qu’on peut aller chercher ailleurs l’argent dont on a besoin, pour les retraites mais aussi pour des services publics comme l’hôpital ou les pompiers ? » Lycéen, Ceydric remarque que la perspective des premières épreuves du bac, dans quinze jours, ne facilite pas la mobilisation malgré le ras-le-bol « face à toutes les réformes qui détruisent l’éducation nationale, Parcoursup, la réforme du bac, le SNU (service national universel), qu’ils veulent rendre obligatoires tout en les finançant avec l’argent de l’école »… « Beaucoup de jeunes n’ont connu que Macron, son nom cristallise le rejet de méthodes de gouvernement dont on ne veut plus », conclut Mathieu, jeune travailleur et secrétaire de la JC Paris.


 


 

Bonne idée

Maurice Ulrich sur www.humanite.fr

C’est comme pour les grands crus, à savourer sans modération. La presse économique, confirmant les résultats des géants du CAC 40, saluait, jeudi, « un millésime exceptionnel ». 1 700 milliards de chiffre d’affaires, 142 milliards de profits. Et la bonne nouvelle pour toutes celles et tous ceux qui attendent un ruissellement, c’est que « les actionnaires de la Bourse de Paris vont être choyés », écrivent les Échos. Bien, mais qui sont-ils au juste ? Là, le Figaro nous le dit : « Le CAC 40 est une affaire de familles », avec une liste des dix premières et même la photo du trio de tête : la famille Arnault, ça va de soi, les héritiers Hermès, Françoise Bettencourt-Meyers… Aujourd’hui, ces familles détiennent 21,5 % du CAC 40, contre 9,7 % en 2012. Ça ruisselle pas mal à Paris et même ça déborde. Sinon, comme l’écrivent les Échos, alors que la mobilisation sur les retraites bat son plein, « pour certains, c’est le signe que des ressources financières significatives sont à portée de main ». Mais en voilà, une bonne idée !

  publié le 9 mars 2023

Aux quatre coins du pays,
la grève s’enracine

Cyprien Boganda, Samuel Eyene, Marie Toulgoat et Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Après une nouvelle mobilisation historique, les syndicats veulent amplifier la dynamique par des débrayages reconductibles dans les entreprises. Sur le terrain, la résistance s’organise.

Dans les transports en commun, les raffineries ou les ports, une même conviction : les manifestations, aussi massives soient-elles (celle du 7 mars a attiré 3,5 millions de personnes dans les rues, selon la CGT), ne suffiront pas à faire fléchir l’exécutif.

Désormais, l’objectif est de multiplier les grèves reconductibles pour peser sur l’économie, tout en évitant le piège de la grève par procuration, dans laquelle une minorité de travailleurs organisés montent au front, soutenus par la « majorité silencieuse ».

« Nous sommes entrés dans une nouvelle phase du mouvement, assure Emmanuel Lépine, secrétaire national de la Fnic-CGT (industries chimiques). Il nous faut désormais maintenir ce niveau de mobilisation et élargir le mouvement au maximum de secteurs de l’économie. »

Ce mercredi, en tout cas, les secteurs clés étaient toujours à la bagarre. Dans les raffineries de TotalEnergies, les installations fonctionnent toujours, mais les expéditions sont bloquées. La CGT fait état de taux de grève oscillant entre 70 et 100 % sur les différents sites, signe que la journée du 7 mars a gonflé les voiles de la mobilisation. Quant aux quatre terminaux méthaniers portuaires permettant d’importer du gaz naturel liquéfié en France et à l’ensemble des stockages de gaz où il y a du personnel, ils étaient toujours bloqués.

Dans l’énergie, plus de 15 000 mégawatts ont été retirés du réseau par les grévistes des centrales thermiques et nucléaires, un niveau « historique », selon la CGT. Les transports en commun et les ports poursuivent également le mouvement (voir plus bas). De Paris au Havre, l’Humanité est allée à la rencontre des salariés concernés pour comprendre comment ils organisent la résistance.

À la gare de Lyon, une reconduction et des soulagements

« Ce matin, j’ai entendu que 15 000 personnes étaient dans la rue à Blois. Je pensais qu’il n’y avait que le château, là-bas. » La satisfaction de ce cheminot, au micro de l’assemblée générale de la gare de Lyon, ce mercredi, tranche avec la mobilisation de 2019 contre la réforme des retraites à points. « Dans les aéroports, les ports & docks, les raffineries, le gaz, la liste des secteurs en reconduction est longue, la grève est ancrée, poursuit Berenger Cernon (CGT). Non, cette fois-ci, les cheminots ne sont pas seuls. »

Chez les agents grévistes du Sud-Est parisien, le soulagement est de mise. Ce mercredi, second jour de grève reconductible, 40 % des agents de l’axe Paris sud-est et 95 % des conducteurs sont en grève. « Le 7 mars était formidable. Police et syndicats s’accordent à dire qu’il s’agissait de la plus grosse mobilisation sociale depuis quarante ans ! Comment pourrions-nous être déçus par cette démonstration de force ? » souligne Fabien Villedieu, délégué syndical SUD rail, pour encourager les agents à poursuivre le mouvement.

Pour autant, Berenger Cernon souligne « l’état d’esprit paradoxal » parmi les grévistes. « Il y a du monde dans les rues et, à la SNCF, le taux de grévistes est encourageant, mais il n’y a pas de volonté collective d’aller au carton contre la réforme », enchaîne le cégétiste. À la SNCF, la crainte est que la reconduction ne s’estompe, ce week-end. La journée d’action interprofessionnelle de samedi, à laquelle ont appelé les confédérations syndicales, est un atout pour déjouer ce piège. « Il y avait, le 7 mars, 39 % de grévistes, tous collèges confondus, du jamais-vu après un mois et demi de mobilisation depuis vingt ans, insiste Daniel Teirlynck (Unsa). Le silence du gouvernement entraînera de la violence, ce qui n’est pas notre volonté. »

Dans un hangar de la SNCF, la reconduction à la gare de Lyon a été votée par les plus de 80 grévistes présents. Avant, pour ces derniers, de rejoindre la place de la République pour la manifestation féministe. « L’égalité salariale, c’est 5,5 milliards de cotisations pour les retraites », rappelle Fabien Villedieu. Et Radia, une gréviste, de conclure : « Nous donnons la vie mais sommes les moins payées et les plus précaires. Les femmes doivent se rendre dans la rue. »

Sur le rond-point d’Élancourt, « on ira jusqu’au bout »

Autour du rond-point, les bruits d’avertisseurs se font entendre à intervalles réguliers. Les passants en voiture ont bien compris le mot d’ordre : « Un Klaxon = un soutien », affiche une pancarte exhibée à l’entrée du croisement. Sur le rond-point du Commando-Kieffer, à Élancourt (Yvelines), ils sont une trentaine de participants réunis en assemblée générale, ce mercredi 8 mars.

Au lendemain d’une grève qui a rassemblé un nombre historique de manifestants, les salariés d’Airbus, présents, se tournent déjà vers l’avenir. « Nous n’allons rien lâcher, nous irons jusqu’au bout », avertit Pascal. Déterminé, ce développeur en informatique et délégué syndical CGT invite les participants à « durcir » le mouvement de lutte.

Et il n’est pas seul. Tour à tour, les syndicalistes se passent le micro. Des représentants d’autres secteurs d’activité sont venus apporter leur soutien. Ils exhortent les uns les autres à poursuivre la lutte. « Les agents sont très motivés. Nous sommes venus pour soutenir la mobilisation aux côtés des salariés d’Airbus », explique Morgan, électricien chez Enedis.

Pour lui, la grève par procuration n’est pas une option. « Nous avons décidé d’appliquer la sobriété énergétique », plaisante-t-il au sujet des modes d’action utilisés par les grévistes de son entreprise. De fait, ils ont décidé de faire des coupures d’électricité ciblées. D’autres initiatives tentent de voir le jour. Benoît, chimiste chez Thales et délégué CGT Île-de-France, parle de « quête au drapeau ». « Nous demandons aux salariés qui le souhaitent de soutenir financièrement les mobilisations. Puis nous redistribuons les fonds obtenus aux caisses de grève », explique-t-il.

À quelques pas, Aude, enseignante en CP, fait également preuve de ténacité. « Pour faire reculer la réforme des retraites, il faut se mobiliser. Qui peut imaginer un enseignant encore en classe à 64 ans ? » s’agace la syndicaliste FSU. Pour arriver jusqu’au lieu d’échanges, elle a fait vingt minutes de route avec son fils. Il est important d’agir, pour elle. « Je n’ai pas pu aller à Paris ce 7 mars, mais il faut montrer notre présence. Les gens sont là, ils occupent le terrain. Il faut le rappeler. » Et ce samedi 11 mars, nouvelle journée de mobilisation annoncée par l’intersyndicale, en est l’occasion toute trouvée.

Au Havre, les dockers immobilisent le port

Ports morts. Aucune marchandise ne rentre, aucune ne sort. À l’appel de leur fédération CGT, les dockers du Havre (Seine-Maritime) ont immobilisé le port, ce mardi, au lendemain d’une première journée de grève. « La différence avec une grève de 24 heures, c’est que, cette fois-ci, on occupe les lieux », détaille Jérémie Julien, secrétaire général adjoint de la CGT des ouvriers dockers du Havre.

L’appel n’est pas resté sans réponse : dès 5 heures ce matin, les nombreux dockers de la cité seinomarine ont bloqué les points d’entrée de six terminaux de la ville, rendant impossible tout déchargement de cargaison. Pour le deuxième jour de suite, 100 % d’entre eux étaient en grève.

À l’abri de la pluie dans des conteneurs convertis en cabanes, les travailleurs ont condamné l’accès aux débarcadères par de grands feux de pneus, dont la fumée s’est répandue jusqu’au centre-ville. Pour les travailleurs des docks, impossible d’accepter que la réforme des retraites soit entérinée.

« À 45 ans, nos collègues ont le dos en vrac. J’ai 30 ans et je suis déjà usé par la fatigue », souffle Alex, docker de Rouen travaillant au terminal de Radicatel (Saint-Jean-de-Folleville), que ses collègues du Havre sont venus soutenir. Du fait de la nature pénible de leur métier et de leur exposition à l’amiante jusqu’en 2004, certains peuvent aujourd’hui partir à la retraite à 55 ans. Un âge de départ que ferait reculer la réforme. Les plus jeunes recrues, dont l’exposition aux fibres toxiques n’est pas reconnue, pourraient partir à la retraite à 60 ans au lieu de 58 ans, inenvisageable pour beaucoup.

Une assemblée générale fédérale, ce 9 mars, devrait décider de la suite du mouvement des dockers et établir un calendrier d’actions à partir du 13 mars. « On est dans l’optique de l’élévation du mouvement », confie Jérémie Julien, qui espère que les autres secteurs décident également l’intensification de la lutte. En attendant, les ouvriers restent déterminés à tenir tête au gouvernement en interrompant complètement l’activité portuaire, jusqu’à la levée de leur blocage dans la nuit. « On n’est pas habitués à se laisser faire », glisse Florent, salarié de GMP, à deux pas de l’ancienne centrale thermique du Havre.

   publié le 8 mars 2023

Direct 8 mars. Tensions au Sénat, le point sur les grèves reconductibles

L'essentiel

  • Pas une goutte de carburant ne sort des raffineries ce mercredi, selon la CGT. Le mouvement se poursuit sous différentes formes avant le nouveau rendez-vous samedi prochain. Les syndicats demandent à être reçus par Macron. 65% des Français les soutiennent et se prononcent pour la grève reconductible.

  • Les organisations féministes, qui appellent à la grève ce mercredi 8 mars, dénoncent le caractère inique de la réforme.

  • Au Sénat, la majorité de droite a voulu couper court aux débats dans la nuit de mardi à mercredi pour tenter de faire voter l’article 7 du projet de loi, qui repousse l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Au final, dans un climat tendu, celui-ci n’a pas été voté. La séance doit reprendre ce mercredi.

  • Face à un gouvernement qui reste inflexible, les organisations syndicales ont réussi leur pari d'une mobilisation historique ce 7 mars, avec 3,5 millions de Français dans les rues.

     

La Nupes propose une loi pour revaloriser les « premières de corvée »

Une proposition de loi cosignée par les quatre groupes parlementaires de gauche prône une meilleure prise en compte de la pénibilité des métiers dits « féminisés », comme caissière ou aide-soignante, ainsi qu’une revalorisation de leurs compétences.

Poursuite du mouvement jeudi à la RATP

La RATP annonce cet après-midi que le trafic sera encore touché jeudi dans le métro parisien et le RER B. Les prévisions devraient être plus précisément connues vers 17h.

Macron renâcle à recevoir les syndicats

Emmanuel Macron semblait rechigner mercredi à recevoir les syndicats opposés à sa réforme des retraites au lendemain d'une mobilisation record dans la rue, le gouvernement préférant faire le dos rond dans l'espoir d'un probable vote au Sénat et d'un essoufflement du mouvement social.

L'intersyndicale, qui veut continuer à mettre la pression avec une nouvelle mobilisation samedi et la multiplication des actions, a demandé à être reçue "en urgence" par le chef de l'Etat "pour qu'il retire sa réforme".

Ce à quoi l'Elysée a semblé opposer une fin de non recevoir.

"Ce serait une erreur si le président recevait" les syndicats, qui "veulent repersonnaliser le débat autour de "pour ou contre le président". Le président n'a pas à entrer là-dedans", a affirmé une source gouvernementale mercredi. "C'est au gouvernement de les recevoir et pas au président".

"La porte du gouvernement est plus qu'ouverte", a assuré de son côté sur RTL son porte-parole Olivier Véran.

Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal a également semblé balayer la demande en rappelant que le président avait reçu les syndicats... en juin. "Il y a un temps pour tout", a-t-il dit sur BFMTV/RMC.

L'exécutif n'a pas non plus proposé, à ce stade, de date à l'intersyndicale pour une rencontre avec Elisabeth Borne ou le ministre du Travail Olivier Dussopt.

Emmanuel Macron, à l'origine de cette réforme très contestée, est resté en retrait depuis sa présentation début janvier. Son entourage met régulièrement en scène un chef de l'Etat concentré sur les chantiers de l'après-retraite, de la refonte des institutions à l'école ou l'hôpital.

Ports bloqués

Les ports du Havre, de Rouen et de Marseille-Fos sont bloqués mercredi par une opération "ports morts" afin de protester contre le projet de réforme des retraites du gouvernement. "Nous laissons passer les véhicules légers, mais pas les camions", précise Yann Mallet, secrétaire général de la CGT dockers de Rouen.

S'étirant sur 15 kms, le port de Rouen, qui emploie aujourd'hui plus de 18.000 personnes des docks aux usines de transformation aux alentours, est le premier port céréalier d'Europe.

Gérald Le Corre, de l'union départementale CGT, a précisé que les blocages seraient maintenus "jusqu'à 15h00. Une grande partie de la zone portuaire est paralysée."

Le port du Havre, premier de France pour les conteneurs, est bloqué lui depuis 6h00 selon un tract diffusé sur le site de la CGT portuaire.

Les zones industrielles des deux villes normandes étaient également bloquées très tôt mercredi, a précisé le syndicat.

Selon la préfecture de la Seine-Maritime, "l'opération a démarré vers 5h30 à Rouen avec un accès coupé à Rubis terminal (distribution de produits pétroliers) et vers 6h00 au Havre où l'accès à la zone industrielle portuaire est bloqué, perturbant à la fois la circulation et l'activité commerciale du port, sans incidents".

La police nationale tente de "fluidifier au maximum la circulation" autour de ces deux opérations "annoncées pour durer jusque vers 15h00".

A Marseille, "tous les accès au Grand Port maritime", qui s'étend sur une surface équivalente à la ville de Paris --du quartier de la Joliette, proche du centre-ville à Marseille, jusqu'à Port-Saint-Louis-du-Rhône, en Camargue--, sont bloqués, a confirmé Pascal Galéoté, représentant CGT des agents portuaires du Grand Port maritime de Marseille (GPMM) et de Fluxel (opérateur des terminaux pétroliers de Fos et Lavéra).

Il y a "des piquets de grève un peu partout", a-t-il ajouté, précisant que le blocage durerait "toute la journée" et que rien ne sortirait des deux terminaux pétroliers.

Que ce soit chez les agents portuaires ou les dockers, on comptait "100% de grévistes", ont indiqué plusieurs sources syndicales CGT.

Où en sont les grèves reconductibles mercredi ?

  • Raffineries: expéditions toujours bloquées

Les expéditions de carburants étaient toujours bloquées mercredi matin à la sortie des raffineries du groupe TotalEnergies en France : "la grève a été reconduite dans les établissements de la Mède, Donges, la Raffinerie de Normandie, Feyzin et Flandres, avec des taux de grévistes entre 70% et 100%", a indiqué à l'AFP Eric Sellini, élu national de la CGT-Chimie qui a appelé à une grève reconductible.

Il fait également état de 80% de grévistes sur le site de Lavéra (Sud-Est) du groupe Petroineos, filiale du britannique Ineos et de PetroChina.

Côté Esso-ExxonMobil, il indique que la raffinerie de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) comptait 86% de grévistes parmi les équipes du matin, et que celle de Gravenchon (Seine-Maritime) "était en grève cette nuit" - on attend les chiffres du matin.

A la raffinerie Esso ExxonMobil de Port Jérôme près du Havre, la CGT annonce 20% de grévistes et "aucune sortie de carburant".

Les raffineries elles-mêmes continuent de produire du carburant: de l'essence et du gazole qui devront jusqu'à nouvel ordre être stockés sur place, faute de pouvoir sortir. Quand les réserves sur site seront pleines, les raffineries devront s'arrêter, mais cela nécessiterait plusieurs jours, voire semaines de blocages. En attendant, les 10.000 stations de France peuvent compter sur 200 dépôts de carburants.

Un dépôt pétrolier EPG à Ambès, sur l'estuaire de la Gironde, est bloqué depuis 3 heures du matin par une centaine des manifestants, selon la préfecture. 

  • Gaz : blocages mais gazoducs ouverts

"Les quatre terminaux méthaniers" portuaires permettant d'importer du gaz naturel liquéfié "et l'ensemble des stockages gaz où il y a du personnel, soit 13, sont toujours bloqués, on est dans la même situation qu'hier. Cela durera aussi les jours prochains car le but est de mettre la pression. Il y a des assemblées générales tous les matins, la détermination est là", a indiqué à l'AFP Fabrice Coudour, secrétaire fédéral du syndicat FNME CGT.

"Les piquets sur les terminaux méthaniers et les stockages gaz sont maintenus, on continue et on s'installe. Partout les messages de sûreté réseaux sont respectés, il n'y a pas d'impact auprès des usagers", a-t-il ajouté.

Le réseau français de gaz est alimenté par trois sources principales: le gaz naturel liquéfié (GNL) importé par navires dans quatre terminaux portuaires; les 13 sites de stockage souterrain, dans des cavités naturelles; et du gaz importé par gazoduc de Norvège ou d'Espagne.

A ce stade, les gazoducs du gestionnaire du réseau de transport, GRTgaz, restent ouverts et les clients sont donc alimentés. 

  • Energie: toujours des baisses de production

"Il y a déjà des baisses de production ce matin partout où cela peut s'opérer", selon Fabrice Coudour.

Mardi, les grévistes avaient fait état d'une baisse de production de 13.000 MW sur les centrales thermiques et nucléaires, un niveau "historique" selon le syndicat, équivalent à une douzaine de réacteurs, et ont bloqué 8.000 MW de puissance disponible sur les barrages. 

  • Transports: un train sur trois en moyenne

Un train sur trois est prévu mercredi à la SNCF, soit mieux que les 20% de mardi. La grève continuera jeudi et au moins vendredi mais le trafic s'améliorera, a dit le ministre chargé des Transports, Clément Beaune, sur LCI mercredi. Tous les syndicats de la compagnie publique ont appelé à une grève reconductible.

A Paris, dans les transports en commun gérés par la RATP, le trafic est en hausse mercredi dans le RER, il est quasiment normal pour les bus et les tramways, et dans le métro : entre un quart et la moitié du service habituel est prévu.

Dans les aéroports, "la situation devrait être sensiblement la même" que mardi selon la Direction générale de l'aviation civile, qui a demandé aux compagnies de réduire leurs programmes de vols de 20% à Paris-Charles-de-Gaulle et de 30% à Paris-Orly, Beauvais, Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Marseille, Montpellier, Nice et Toulouse.

Les suppressions de vols se poursuivront jeudi et vendredi, selon Clément Beaune.

Deux rendez-vous dans la rue à venir

Ecartant le risque d'un essoufflement, l'intersyndicale, qui présente toujours un front uni, appelle à deux nouvelles journées d'actions: samedi 11 mars, puis le jour où Sénat et Assemblée tenteront de se mettre d'accord en commission mixte paritaire (CMP) sur le texte. Très vraisemblablement le 15, selon des sources parlementaires.

  publié le 8 mars 2023

Mouvement des retraites à Montpellier : le 7 mars de toutes les attentes

sur https://lepoing.net/

Plus de 25 000 manifestant·es selon la police. 42 000 selon les syndicats. Une chose est certaine : en nombre, à Montpellier, ce 7 mars 2023 aura connu le plus puissant des rassemblements contre la réforme des retraites. Un rassemblement encore nettement plus fourni que le seul qui fut organisé un samedi (le 7 février). Et cela alors que désormais la protestation est suffisante pour que les petites villes du département connaissent leurs propres cortèges, aux résultats parfois impressionnants (1000 à 2000 manifestant·es à Clermont l’Hérault), à déduire de la foule dans le chef-lieu.

Il faut donc l’écrire et le réécrire : la ténacité de cette opposition de rue est d’une ampleur et d’une durée rarement égalées. Mais on peine à en dire beaucoup plus : les allocutions des représentants syndicaux, prononcés pour une fois avant le cortège (à partir de 13h30 sur la place de l’Europe, en bord du Lez à Antigone), ont essentiellement martelé l’argument de l’unité syndicale, large et inébranlable, avec elle aussi les allures d’une première historique.

Mais une autre question était également dans les têtes, de manière pressante, face à ce nouveau rendez-vous réussi : « Il n’y a pas à tergiverser. C’est maintenant que toutes les conditions sont réunies. C’est maintenant qu’il faut y aller. Sinon c’est plié ! » estimait un enseignant gréviste, au cours de l’AG de lutte du secteur de l’Éducation, tenue dans la matinée à la Maison des Syndicats. D’une autre manière, Laurent Murcia, leader Force Ouvrière de la TAM, n’était pas moins tranchant en répondant au Poing : « Le gouvernement est allé tellement loin dans le refus d’écouter qu’il n’y a maintenant plus qu’une solution pour gagner, et c’est la grève illimitée ».

De manière analogue, dès 5 heures le matin, le personnel de la société Nicollin se déclarait en grève à 100 %, reconductible, jusqu’à ce que la gêne provoquée se respire très fortement dans la ville. Mais quelles sont les conditions pour que cela se traduise dans les faits ? Le syndicaliste de la TAM confiait aussi : « C’est très dur d’amener tout le monde dans la grève. Les gens sont acculés par les effets de l’inflation ». Même pour cette journée de blocage du 7 mars, des trams étaient en circulation, réduite au niveau de service d’un dimanche, semblait-il peu ou prou.

De manière analogue, dès 5 heures le matin, le personnel de la société Nicollin se déclarait en grève à 100 %, reconductible, jusqu’à ce que la gêne provoquée se respire très fortement dans la ville. Mais quelles sont les conditions pour que cela se traduise dans les faits ? Le syndicaliste de la TAM confiait aussi : « C’est très dur d’amener tout le monde dans la grève. Les gens sont acculés par les effets de l’inflation ». Même pour cette journée de blocage du 7 mars, des trams étaient en circulation, réduite au niveau de service d’un dimanche, semblait-il peu ou prou.

Quant à son homologue de Nicollin, le cégétiste Sébastien Valéro, il précisait que la grève illimitée reste malgré tout au stade d’un objectif : « Il va falloir tirer les conclusions de ce qui se passe vraiment ce 7 mars. Il faudra voir aussi ce qu’indiquera l’intersyndicale sur le plan national. Nous réunirons un C.S.E. ce soir, et c’est sur ces bases qu’on pourra envisager la suite ».

A l’agenda, figure en première place, dès ce mercredi 8 mars, la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, avec son appel à la grève, convergeant cette fois avec le mouvement des retraites. Une AG ouverte aura lieu dans la matinée à la Maison des syndicats (à 11h), enchaînant sur une manifestation (14h, place Zeus). Les allocutions de ce mardi ont souligné comment plus de la moitié des femmes partent en retraite avec une allocation de moins de mille euros mensuels ! Entre autres discriminations de toute nature.

A l’agenda toujours, l’appel des organisations de jeunesse suit, dès ce jeudi 9. Lors des allocutions de ce mardi, la représentante du syndicat étudiant SCUM a souligné comment l’âge moyen d’accès à un emploi stable est actuellement de 27 ans – imaginons la suite en terme d’annuités pour la retraite. La journée de ce mardi avait commencé par des blocages lycéens à Joffre, Clémenceau et Jules Guesde. Dans le cortège d’après-midi, la composante juvénile était beaucoup plus nombreuse que jamais ces derniers temps, et encore plus « déter et révolutionnaire ». Des AG s’annoncent dès aujourd’hui à Paul Valéry et en sciences (où le personnel présent en AG ce mardi s’est prononcé en faveur d’une grève reconductible).

Malgré une bruine assez méchante, c’est l’ensemble du cortège d’après-midi qui n’a pas manqué de pêche (merci les trois bandas). Et en son sein, la section la plus combattive comptant entre deux et trois mille personnes, ce qui n’est pas mince, pour crier puissamment : « Nous, ce qu’on veut, c’est la grève générale »(on trouve là les jeunes, étudiants et lycéens, des bataillons de Sud étonnamment fournis, l’AG montpelliéraine contre la vie chère, les mouvances plus directement politiques de l’UCL, du NPA, de Révolution permanente, quantité de non organisées, les Gilets jaunes).

Celles et ceux de Prés d’Arènes avaient marqué leur matinée en s’invitant à l’intérieur même de la grande surface bordant leur rond-point. Puis devant la gare, et encore Place de l’Europe, ils ont muté en chorale pour exhumer une première version historique du chant “On est là, on est là…”, lequel est en fait issu d’une lutte plus ancienne des cheminots. Ces derniers ont rappelé leur engagement en reconductible dès ce mercredi.

Ce bouillonnement se complétait d’une première tentative de blocage effectif d’une zone d’activités : soit le rond-point qui, à Mauguio, dessert des plateformes de fret de la Poste, d’UPS, et de Bolloré Logistics. Une vingtaine de membres de l’AG montpelliéraine contre la vie chère ont pu s’y installer en filtrant, une bonne part de la matinée, non sans recueillir des marques de sympathie. Toujours avec l’espoir de méthodes d’actions plus ouvertes et entreprenantes, le CAASOS, qui anime la lutte des travailleurs sociaux depuis plusieurs mois, appelait à une AG d’après-manif à la Carmagnole, où la question de constituer une véritable interpro devait être discutée (et qui fait salle comble à l’heure où nous publions ceci).

Dans la matinée, Le Poing avait pu suivre l’AG éducation, qui elle aussi déborde des seules étiquettes syndicales. On put y percevoir comme une synthèse de la situation actuelle : les bilans de la grève du jour étaient généralement encourageants, avec pas mal d’établissements proches du blocage. Puis furent débattues toutes ces idées qui permettraient à un mouvement de se renforcer et faire tâche d’huile : cela va de blocages en inter-pro en sortant des établissements, à toute une quantité de décloisonnements. Par exemple, le marché de La Mosson connaîtra un tractage spécifique des enseignants vers la population, tant la grève des premiers peut impacter les parents d’élèves que sont les seconds. Or ces derniers, les femmes notamment, feront partie des populations les plus durement touchées par la réforme en projet.

On a appris là que certaines caisses de grève connaissent un magnifique succès – grâce à l’effort des retraités notamment. Mais on s’est inquiété de la manière de n’en pas faire profiter que les seuls syndiqués, et de se préoccuper très particulièrement des plus précaires, AESH, et AED, souvent les plus combattifs, mais les moins à même de tenir dans la durée. Aussi bien a été évoqué un décloisonnement où les personnels de lycée se préoccuperaient de ceux des collèges avoisinants ; de même de collèges vers les écoles élémentaires. Cela de sorte que nul ne se sente faible et isolé. Sans oublier qu’il n’y a pas que des enseignants dans l’Éducation, mais aussi des personnels relevant d’inter-pro, qu’ils soient départementaux, œuvrent en cantines, ou autres.

C’est ce décloisonnement, cette ouverture active, cette audace des formes d’action, qu’on n’a pas eu la sensation de cultiver en se contentant de manger les sandwichs de la merguez-party de la place de l’Europe, alors que, physiquement, les occasions devraient y foisonner, pour débattre et se solidariser. On y remarqua un stand et un seul témoignant d’une ouverture élargie au mouvement social : celui de TechnoPolice, qui se bat contre la société de contrôle et de surveillance. Dans le même ordre d’idée, saluons cette pancarte aperçue au bras d’une des manifestantes, élargissant, certes gravement, les horizons : « La main d’œuvre que vous réclamez, vous la laissez couler en Méditerranée ».


 


 

Retraites : le site Nicollin-Sète bloqué, les grévistes appellent à rejoindre

sur https://lepoing.net/

Le site de Nicollin Sète est bloqué par grévistes et soutiens, à l’appel de la CGT, depuis ce mercredi 8 mars à 4h du matin. Le barrage doit être maintenu toute la journée, voir plus, et les grévistes appellent les personnes disponibles à venir les y rejoindre.

Depuis 4h du matin, à l’appel de la CGT, l’entrée du site Nicollin de Sète, au 954 avenue Gilbert Martelli, est bloquée. Sur le piquet cohabitent grévistes et personnes extérieures à l’entreprise, dont des gilets jaunes.

Cette action fait suite à la journée de grève interprofessionnelle et intersyndicale du 7 mars contre la réforme des retraites. A Montpellier, le ramassage des ordures et le nettoyage de la voie publique ont été complètement interrompus par la grève ce mardi 7 mars. A contrario, l’activité n’a pas été complètement stoppée à Sète, même si quelques tournées ont été annulées. Arnaud Jean, secrétaire de l’Union Locale CGT Bassin de Thau, a mis en cause la politique anti-grévistes de la direction de Nicollin Sète Environnement (NSE), filiale de la maison maire montpelliéraine, évoquant d’importantes pressions sur les participant.e.s au mouvement dans l’entreprise.

D’où l’action du jour, et l’importance du piquet de grève, alors qu’une vingtaine employés de NSE ont reconduit la grève ce mercredi 8 mars. A huit heure du matin, une soixantaine de personnes étaient rassemblé.e.s devant l’entrée de l’entreprise, attendant une relève pour maintenir l’action tout au long de la journée, voire au-delà.

Une assemblée est en cours (à 9h30), alors que certains salariés sont tentés de rejoindre la grève.

publié le 7 mars 2023

Direct 7 mars. Grèves, manifestations, occupations : le pari réussi de la mobilisation

sur www.humanite.fr

L'essentiel :

  • Face à un gouvernement qui reste inflexible, les organisations syndicales souhaitent franchir un cap avec cette nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. 700 000 personnes ont défilé à Paris selon la CGT, soit plus que les précédentes journées. Des cortèges nourris en régions également.

  • 65% des Français les soutiennent et se prononcent pour la grève reconductible dès ce 7 mars, selon notre sondage Ifop exclusif.

  • Entre 250 et 300 manifestations partout dans le pays : les syndicats prévoient un « tsunami social » 


 

Toulouse  : « Si ça ne suffit pas, on passera un autre cap »

La pluie est tombée dru mais les parapluies se sont révoltés. Parés en conséquence, les manifestants ont convergé en masse sur la place Saint-Cyprien. Au plus fort de l’après-midi, le cortège a rassemblé plus de 120 000 personnes, selon le chiffre intersyndical, soit l’affluence la plus forte depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, le 19 janvier. Preuve de la solidité du mouvement social ? « On est dans un marathon, on ne doit pas lâcher. Nous voulons monter en puissance. Il faut que le gouvernement entende que le peuple est largement opposé à son projet », plaide Christine, militante au syndicat Solidaires et employée dans l’industrie chimique. Parmi les manifestants, l’appel à « mettre la France à l’arrêt », lancé par l’intersyndicale, fait consensus. « Quel autre moyen avons-nous ? », interroge Francis, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse, venu avec son fils. « Il faut quelque chose qui fasse comprendre au gouvernement qu’on ne lâchera rien, enchaîne Antoine, autoentrepreneur dans le secteur de l’hydromel. Donc, on passe au cap supérieur. Et si ça ne suffit pas, qui sait, peut-être qu’on ira à Paris, qu’on sortira les pavés. » Un brin provocateur, un jeune homme a écrit sur la pancarte accrochée à son cou : « En grève jusqu’à la retraite. »


 

700 000 manifestants à Paris, selon la CGT

Quelque 700 000 personnes manifestaient mardi à Paris pour la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, a annoncé la CGT à l'AFP, alors que le chiffre des autorités n'était pas immédiatement disponible. C'est davantage que lors des précédentes journées d'action, laissant entendre un pari réussi des syndicats.


 

A Chartres : « Cette réforme, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase »

À Chartres, après une matinée de barrages filtrants, mobiles et réactifs, les opposants à la réforme des retraites se sont retrouvés mardi après-midi dans une manifestation massive et sans aucun signe d’essoufflement.

Halte aux clichés : quand les agriculteurs manifestent à Chartres, ce n’est pas forcément pour demander plus de pesticides, du haut de tracteurs plus puissants que vos voitures. Dans la colossale manif pour les retraites, qui s’écoule comme un fleuve humain sur les plus larges boulevards de la capitale beauceronne, ils sont là, sous les drapeaux de la Confédération paysanne. Amandine par exemple, jeune exploitante en grandes cultures bio : « La plupart des retraités agricoles sont sous le seuil de pauvreté. Ma mère, conjointe d’exploitant, touche 300 euros de retraite ! Macro nous avait promis 1000 euros minimum : ils sont où, avec cette réforme qui va aggraver les choses ? »

Elle n’est pas la seule à montrer une colère intacte, après deux mois de mobilisations. D’après les plus expérimentés, ils sont autant ce 7 mars que le 31 janvier, soit quelque 10000 personnes dans une agglomération qui en compte 140000. Un cortège rajeuni, avec des lycéens, de gros bataillons d’enseignants et une CGT encore plus présente que d’habitude. Frédéric, qui porte une drapeau FO Santé, est ambulancier : « Deux ans de plus dans nos métiers, avec des conditions de travail toujours plus difficiles, c’est impossible. Cette réforme, à l’hôpital, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! »

Le midi, les cheminots ont décidé, à l’appel de la CGT, la CFDT et l’Unsa, de reconduire le mouvement jusqu’à ce mercredi, 14 heures. « Après, ils vont venir nous rejoindre à la manif pour les droits des femmes ! » précise Céline, du Snuipp-FSU. Parce qu’il n’y a pas qu’à l’hôpital que le vase déborde.


 

Paris. Vent en poupe pour les leaders syndicaux

Avec un peu de retard lié à l’affluence, le début du cortège parisien s’élance en direction de la place d’Italie. L’avant-garde de la manifestation est jeune, festive, massive, pas du tout résignée.

Dans le carré de tête, on se félicite de l’ampleur nationale de la journée interprofessionnelle. « Selon les premiers retours, il y a plus de monde que lors des précédentes journées. Et surtout plus de grèves », assure Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. « Beaucoup de salariés se rendent compte que, malgré la mobilisation et le refus massif de cette réforme, le gouvernement ne bouge pas », explique-t-il.

Pour tous les syndicats, l’heure est au durcissement du mouvement. Et si la France doit être à l’arrêt, le gouvernement en portera la responsabilité. « Plus vite le gouvernement voudra aller en faisant passer la loi, plus vite il durcira le mouvement », résume Cyril Chabanier, président confédéral de la CFTC. À ses côtés, Simon Duteil, de Solidaires, renchérit : « On a déjà fait retirer la loi sur le CPE, on peut le refaire ! »

Les jeunes se mobilisent le 9

En tête du cortège, on se sent le vent en poupe : le soutien au mouvement social ne faiblit pas, à l’inverse de l’opinion favorable à la réforme qui n’a jamais été aussi basse. Évoquant les 65 % de soutien à la grève reconductible dévoilé par un sondage Ifop pour l’Humanité, Benoît Teste, de la FSU, assure que « c’est plutôt le gouvernement qui s’essouffle. Il est à court d’arguments pour défendre son projet et se voit réduit à commenter la mobilisation et les blocages ». Selon lui, le nombre de grévistes dans l’éducation nationale est au moins au niveau de celui du 19 janvier.

Idem pour la mobilisation estudiantine, confirme Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef, grâce à la fin de la période d’examens et des partiels. Les organisations de jeunesse comptent bien le démontrer encore massivement ce 9 mars, au cours d’une journée de mobilisation qu’elles porteront.

 

   publié le 7 mars 2023

« Si on bloque tous les secteurs, ça va les faire bouger » : sur les piquets de grève, l’espoir de la victoire

par Anne Paq sur https://basta.media/

En marge des grandes manifestations intersyndicales, la vie d’une lutte sociale est constituée d’une multitude de rencontres où se forge un élan commun : piquets de grève, moments festifs, occupations, AG… Récit en images et témoignages.

Caisses et piquets de grèves, marches aux flambeaux, rassemblements festifs, occupations dans les universités, blocages des lycées, rencontres et assemblées générales dans les facs, manifestations « sauvages »… Le mouvement social est trop souvent résumé dans les médias aux grandes manifestations intersyndicales. Il donne pourtant lieu à un bouillonnement social et politique, avec des revendications qui vont au-delà de la question des retraites.

Sur le piquet de grève du dépôt RATP de Pantin (Seine-Saint-Denis), les prises de parole se succèdent devant le camion. Des enseignants, des militants politiques de mouvements de gauche, des étudiants sont venus en solidarité. « Sur les piquets de grève, on cherche à fédérer, à avoir des discussions. Il faut aussi qu’on soit vu par les collègues, pour préparer le 7 mars », explique Riadh Benmessaoud, 58 ans, agent de maintenance à la RATP depuis 25 ans. « Il n’y a que l’économie qui peut leur mettre la pression. Si pendant une semaine, on bloque dans tous les secteurs, alors ça va les faire bouger. »

« Je suis touchée personnellement par la réforme. J’ai signé pour partir à 50 ans, puis c’est passé à 52 ans et maintenant ce serait 54 pour nous », confie Myriam Sainte-Marie, 38 ans, machiniste au dépôt RATP de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et déléguée CGT. Elle bénéficie encore du régime particulier à la RATP, qui prend en compte la pénibilité de certains métiers, et permet par exemple aux conducteurs et conductrices de prendre leur retraite à 52 ans. « J’ai déjà mal au dos, aux cervicales. Si je me bats, c’est avant tout pour mes trois enfants, et pour mes collègues. Pour les nouveaux qui arrivent, ce serait 64 ans ! Notre métier est dur. Ils seront inaptes. Ils vont faire quoi, alors ? »

Si elle garde espoir, Myriam ne cache pas les difficultés à mobiliser dans son dépôt : « Nous avons essentiellement des jeunes, avec un statut précaire. Ils ont peur de ne pas être embauchés au bout d’un an s’ils se mettent en grève. En plus, il y a la prime de présentéisme. Avec la journée de grève, les personnes vont perdre la prime, qui est de l’ordre de 150 à 200 euros. C’est énorme et cela rebute de nombreuses personnes. Mais on continue de discuter : il y a les piquets et les permanences syndicales pour essayer de convaincre. »

Dans une mobilisation longue, les caisses de grève sont le nerf de la guerre : elles permettent à davantage de salarié·es de se mettre en grève, et d’être aidé·es financièrement si besoin. Les initiatives se multiplient pour alimenter ces caisses : projections de films, cantines solidaires, fêtes... Elles se remplissent aussi lors des grandes manifestations. « Est-ce qu’on va se contenter d’une journée ? Non, il faut aller dans le dur ! Tout le monde attend le 7, c’est un espoir », pense Riadh. « C’est bien d’être dans la rue, mais ça ne suffit pas. Le gouvernement ne nous écoute pas », confie aussi Myriam.

Les caisses de grèves sont aussi vitales dans le secteur privé où les taux de participation aux grèves sont généralement en dessous de celui du secteur public. Aïcha [1] travaille dans une entreprise de sous-traitance en nettoyage (Arc-en-ciel Environnement). Elle est agente d’entretien sur le campus de Jussieu.

Et mène sa troisième grève contre le sous-traitant : retards dans le paiement des salaires, licenciements abusifs, heures supplémentaires impayées, mauvaises conditions de travail figurent parmi les raisons qui ont incité les salarié·es à se mettre en grève. « Si nous avons tenu, c’est grâce aux soutiens des syndicats, et aux personnes qui ont alimenté les caisses de grève. »

Elle entend aussi participer à la journée d’action du 7 mars : « Bien sûr, je participe ! Notre métier est trop dur. J’ai des problèmes aux articulations. Je ne vois pas comment je pourrai continuer jusqu’à 64 ans. Il faut qu’on soit toutes et tous ensemble dans cette grève. Cela nous protège. Les licenciements se multiplient, alors l’entreprise ne cherche qu’un prétexte pour nous virer. Nous nous sentons vulnérables », explique-t-elle.

À Aubervilliers, la mobilisation permet aussi de rapprocher les travailleurs de différents secteurs. Cela s’est matérialisé par une assemblée générale interprofessionnelle et intersyndicale, communément appelée « interpro ». Elle avait été créée lors du mouvement contre la réforme des retraites de 2019-2020. Des assemblées se tiennent avant chaque grande manifestation, ainsi que des évènements locaux.

L’interpro a ainsi organisé une marche aux flambeaux. L’occasion de parler des luttes locales, comme celle des Jardins ouvriers d’Aubervilliers, ou du squat Schäffer, menacé d’expulsion après la trêve hivernale. « L’idée, c’est de se faire entendre dans ce quartier entre Aubervilliers et Saint-Denis, d’être visibles, de discuter avec les gens et de faire des liens avec les luttes locales : la lutte pour les jardins d’Aubervilliers avec les enjeux écologiques, la lutte contre la pauvreté, le mal-logement, les sans-papiers, les écoles, etc. », explique Anouk Colombani, une des organisatrices, syndicaliste à Sud-Culture.

Loin de se terminer par les discours habituels sur la place du Front populaire, la déambulation s’est achevée dans un square où des forces de l’ordre étaient en train de nasser une trentaine de jeunes du quartier, en grande majorité noirs et mineurs, qui tournaient un clip. Comme les manifestant·es refusaient de partir, et ont commencé à scander des slogans tels que « Tout le monde déteste la police ! » et « Libérez nos camarades ! », les jeunes ont été relâchés.

Les évènements festifs, à l’image d’un « bal contre la réforme des retraites » le 3 février sur la place de la Mairie, sont aussi l’occasion de se rencontrer dans un cadre plus convivial, et permet d’attirer un autre public. En plus de la réforme des retraites, d’autres projets de loi sont critiqués, dont la loi Darmanin sur l’immigration, ou la loi Kasbarian-Bergé qui réprime durement les squats et les locataires précaires. Parmi les prises de parole remarquées, celle des étudiant·es de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) du campus Condorcet.

Ils et elles ont témoigné de la répression policière lors de leur tentative d’occupation. Une trentaine d’étudiant·es avaient été rapidement mis en garde à vue et ont subi des violences. La direction de l’université a finalement toléré l’occupation partielle d’un bâtiment, qui a été rebaptisé « L’ Acabane ».

« C’est un bâtiment du campus qui est le fruit d’un partenariat public/privé. Il incarne ce nouveau modèle d’université qui se développe partout, qui tend à aseptiser les facs et qui en dépossède les usagers », détaille une étudiante. « Si on occupe, c’est pour avoir un lieu de vie autogéré dans lequel on peut s’organiser, dans lequel on fait de la politique au quotidien. Notre campus est en plein quartier populaire, il sert à gentrifier le quartier, comme les Jeux olympiques. Occuper, cela permet d’être ouvert sur le quartier, de rompre cette frontière entre étudiants et habitants. Cela permet de faire du lien. »

Les universités vont-elles continuer à servir de vivier de contestations et d’apprentissages politiques ? Fermetures administratives de campus ou passage des cours en visioconférences, évitant de fait toute présence physique d’étudiants, ont pour l’instant entravé les velléités d’occupation. Même l’occupation de Tolbiac, souvent en pointe dans les mouvements de contestation, n’a pas tenu 24 h.

Les lycéen·nes qui tentent de rejoindre le mouvement social subissent également une répression instantanée. Au lycée Racine à Paris, bloqué le 7 février, trois élèves ont été emmenés en garde à vue. À l’université Paris 8, réputée pour son militantisme politique, des assemblées générales interfac ont cependant lieu chaque semaine.

Une soirée spéciale intitulée « Féministes et antiracistes : construire la grève générale pour nos retraites et tout renverser ! » y a été organisée le 20 février. Devant un amphithéâtre bondé, Oumou Gueye, ex-gréviste de la société de sous-traitance Onet, a incité les jeunes à se saisir de ce mouvement : « J’ai arrêté de travailler à 60 ans à cause de la maladie, parce que le nettoyage ne vous laisse pas indemne. Il faut se battre contre cette réforme des retraites, contre la loi Immigration, c’est à vous les jeunes de le faire ! »

Adèle Haenel, actrice connue pour ses prises de position féministes et contre les violences sexistes et sexuelles, y a lancé : « J’ai joué dans un film qui s’intitule Portrait de la jeune fille en feu. Aujourd’hui j’ai envie de dire : vous pouvez faire la misère au capitalisme et aux bourgeois, et faire le portait de la jeunesse en feu ! » Elle a depuis subi les attaques de la droite réactionnaire pour sa participation à la conférence.

publié le 6 mars 2023

Sébastien Menesplier :
« On va passer un cap dans la mobilisation »

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

La CGT mines-énergie a entamé vendredi une « semaine noire », en coordination avec d’autres secteurs, pour obtenir le retrait de la réforme. Un objectif atteignable, selon Sébastien Menesplier. Entretien.

La fédération mines-énergie­ CGT a lancé dès vendredi­ la grève reconductible, au moment où le Sénat ­commençait la discussion sur les régimes spéciaux. Dimanche 5 mars, plus de 5 800 MW étaient « retirés au réseau ». Un « début » avant une « semaine noire ».

Comment réagissez-vous à la décision du Sénat d’entériner la fin des régimes spéciaux pour les nouveaux embauchés, samedi ?

C’est lamentable et démagogique. L’exécutif et les 233 sénateurs qui ont voté cet article tentent de faire croire à la population que nos métiers ont changé, que les jeunes entrant dans les industries énergétiques et gazières n’auront pas les mêmes pénibilités.­

Ce sont les mensonges de ceux qui ne connaissent rien au monde du travail, et rien à nos métiers. Sauf qu’ils oublient que la filière nucléaire, avec la construction de six EPR, va avoir besoin d’embaucher au minimum 4 000 agents par an pendant cinq ans. Or, cet article met à mal l’attractivité de nos métiers et en péril la relance du nucléaire.

La production électrique a baissé d’un équivalent à cinq réacteurs nucléaires. Comment va se passer la « semaine noire » ?

Cette semaine a commencé vendredi 3 mars par la baisse de production d’électricité dans le nucléaire, et aussi dans le thermique. Des usines ont été mises à l’arrêt dans l’hydraulique. Cela s’est poursuivi tout le week-end et va se poursuivre ce lundi.

Le 7 mars sera l’occasion de franchir un nouveau cap. Sa réussite est déjà acquise. Les grèves vont être extrêmement massives, avec pléthore d’actions. Des blocages et des occupations de sites stratégiques sont prévus. Il y aura des baisses de production d’électricité, et de gaz avec le non-déversement­ des terminaux méthaniers. Nous aurons aussi des camions et des véhicules immobilisés, ainsi que des coupures ciblées. On ne manque pas d’imagination…

L’après-7 mars est déjà en construction avec plusieurs fédérations CGT de secteurs dits « stratégiques ». L’objectif proclamé est de mettre « à genoux l’économie française » sans attendre l’intersyndicale confédérale. Pourquoi ?

Nous avons essayé de nous coordonner pour donner une impulsion nouvelle dans les territoires, avec les autres professions : cheminots, ports et docks, chimie, services publics… Là aussi, notre volonté­ est de passer un cap.

Nous avons senti cette nécessité d’avoir une CGT qui part ensemble et qui s’arrête ensemble, pour gagner, plutôt qu’une CGT dispersée, avec des dates un peu différentes, comme nous l’avons connu en 2018 ou 2019. Cette union était attendue par nos militants car, en agissant ainsi, nous sommes plus forts dans l’action.

Depuis, d’autres professions nous ont rejoints : la fédération de la construction et celle du commerce. C’est aussi un moyen de cadencer la grève reconductible, en complément des initiatives prises par l’intersyndicale nationale. Nous nous inscrivons aussi dans l’appel du secrétaire général de la CGT qui, à plusieurs reprises dans les médias, a appelé à des grèves ­reconductibles dans les entreprises.

Fabrice Coudour, le porte-parole de votre fédération, a déclaré être « capable de tout » pour « aller encore plus loin », qu’entendez-vous par là ?

Le vote qui a eu lieu sur l’article 1 ne laisse guère d’illusion pour l’article 7. Jusqu’ici, nous nous sommes mobilisés de la plus belle des manières, en respectant nos outils de travail, en aidant ceux qui sont touchés par la précarité énergétique.

Si le gouvernement reste arc-bouté,­ nos agents iront plus loin dans les actions. Ce nouveau cap va mettre l’économie en difficulté. Avec des problèmes d’approvisionnement dans les stations-service, et dans les magasins sur des produits de première nécessité. Le gouvernement ne pourra pas nous ignorer et ne pas entendre ce qui se passe.

Le blocage de l’économie est plébiscité par les Français. Cela n’a pas toujours été le cas. Est-ce un point d’appui ?

Nous allons entrer dans une nouvelle ère, avec l’appui des citoyens. La population est aujourd’hui à nos côtés, aux côtés de celles et ceux en grève. Elle a ouvert les yeux.

Ce soutien indéniable, on espère qu’il dure et même s’intensifie. Il est extrêmement encourageant pour les nombreux grévistes qui perdent de l’argent depuis janvier. Cela va permettre d’amplifier la mobilisation.

Pour le moment, le gouvernement reste aveugle. Cette attitude est d’autant plus grave qu’elle fait le jeu de l’extrême droite, en incitant les Français à bouder les urnes. Nous savons que les jours qui viennent vont être déterminants. Tous les signaux sont au vert. Le retrait du projet de réforme des retraites est atteignable.


 


 

Retraites : contre le gouvernement,
les syndicats tentent avec la grève du 7 mars
le bras de fer ultime

Cécile Hautefeuille, Dan Israel et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Alors que l’exécutif espère faire voter son texte par le Sénat avant la fin de la semaine, la sixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites devrait rassembler massivement. Les militants les plus résolus espèrent qu’elle sera le point de départ de grèves reconductibles dans plusieurs secteurs.

LesLes acteurs de la pièce sont déjà connus. Leurs revendications n’ont pas bougé. Mais la semaine qui s’ouvre a des airs d’affrontement final. Dans la bataille autour de la réforme des retraites, l’exécutif mise tout sur un vote de son texte au Sénat avant la fin de la nuit du dimanche 12 mars. Les syndicats, eux, ont appelé à « mettre la France à l’arrêt » mardi 7 mars, et certains d’entre eux comptent bien poursuivre le mouvement les jours suivants.

À l’orée de ces jours décisifs, chaque partie pousse les curseurs à fond. Afin de marteler ses convictions quant au bien-fondé de sa réforme, la première ministre Élisabeth Borne s’invite sur France 5 le 6 mars au soir, pour une heure de direct.

Depuis plusieurs jours, gouvernement et majorité, conscients d’avoir perdu la bataille de l’opinion, tentent de sauver les meubles, dans une certaine confusion : tour à tour, il s’agit de dramatiser les risques que feraient courir les grévistes à l’économie française, ou bien de banaliser la journée noire qui s’annonce, pour mieux se projeter dans un hypothétique « après ».

De quoi faire sourire Marylise Léon, la numéro deux de la CFDT, de retour de la banlieue de Saint-Étienne (Loire) où, jeudi, l’intersyndicale a encore affiché son unité – exceptionnelle dans l’histoire des mouvements sociaux français, tant par son ampleur que par sa solidité.

« La stratégie du gouvernement, qui vise à relativiser l’importance de la mobilisation existant dans tout le pays, me paraît périlleuse, surtout si elle est menée de façon aussi maladroite. Il ne faut pas prendre les Français pour des imbéciles », commente la dirigeante syndicale. « Il faut arrêter de prendre les gens pour des cons », a rebondi le 6 mars au matin Laurent Berger, le dirigeant du syndicat, sur France inter.

Comme tous ses homologues, elle aborde en confiance le 7 mars, sixième journée de mobilisation nationale depuis le 19 janvier. Pour les opposants à la réforme, tous les indicateurs sont au vert. Beaucoup font le pari que les manifestations rassembleront davantage que le 31 janvier dernier, qui était déjà la journée de manifestation la plus massive de ces trente dernières années. Les appels lancés depuis le 16 février à faire flancher l’économie, au moins une journée, devraient aussi se traduire par de nombreuses grèves.

« Une des journées les plus difficiles qu’on ait connues », a prédit dimanche sur France 3 le ministre des transports Clément Beaune. La RATP et la SNCF ont en effet annoncé un trafic « très fortement perturbé ». La direction générale de l’aviation civile a pour sa part demandé aux compagnies de réduire leurs programmes de vols mardi et mercredi, de 20 % à 30 % pour anticiper les cessations d’activité. Et ce sans compter sur la mobilisation des avitailleurs, chargés d’approvisionner les avions en carburant, qui n’ont pas à déclarer à l’avance leurs arrêts de travail.

Les routiers, qui se tenaient à l’écart du mouvement car ils souhaitaient négocier de leur côté le maintien de leur « congé de fin d’activité » à 57 ans, ont appelé dimanche leurs troupes à rejoindre la mobilisation.

Les syndicats enseignants tablent de leur côté sur des grévistes majoritaires dans tous les établissements. Dans la métallurgie, l’appel à la grève concerne tous les mastodontes du secteur aéronautique ou automobile. Et dans les raffineries, la CGT ne cache pas sa volonté de « bloquer l’ensemble de l’économie », en agissant sur la production, la distribution et l’importation de carburant.

Dans certains secteurs, comme chez les gaziers et les électriciens, la mobilisation a même commencé dès vendredi, pour peser sur les discussions au Sénat et le vote de la suppression de plusieurs régimes spéciaux.

Enfin, les routiers, qui se tenaient jusque-là à l’écart du mouvement car ils souhaitaient négocier de leur côté le maintien de leur « congé de fin d’activité » à 57 ans, ont appelé dimanche leurs troupes à rejoindre la mobilisation, après avoir compris qu’ils n’échapperaient pas à deux ans de travail supplémentaire.

La colère bouillonne partout 

Il faut bien mesurer le caractère inédit de la situation, après presque deux mois d’affrontements autour de la réforme. Qui aurait pensé voir la CGT et Force ouvrière préserver à toute force leur proximité avec la CFTC ou l’Unsa, que les syndicats les plus revendicatifs ont toujours trouvé trop tièdes ? Qui aurait parié voir Laurent Berger, leader d’une CFDT traditionnellement rétive aux grandes journées de mobilisation nationale, appeler à ce qui ressemble bien à la grève générale, même s’il évite ce terme ?

« Depuis que nous avons annoncé cette journée du 7 mars, le gouvernement attend que nous fassions la démonstration de notre force, et nous la ferons, assure Marylise Léon. On décompte plus de 260 points de manifestation, dans davantage de secteurs d’activité que les journées précédentes. Dans le bâtiment, nous invitons à arrêter les chantiers, et nous encourageons les commerces à baisser le rideau au moins pour quelques heures. »

Dans toute la France et dans l’ensemble des secteurs, la détermination est palpable. Et chacun y va des signaux encourageants glanés autour de lui. « On sent que ça va être énorme, se réjouit Simon Duteil, co-délégué générale de Sud Solidaires. À Saint-Denis, les camarades ont fait la tournée des commerces, et quatorze boutiques de proximité, pas particulièrement militantes, ont accepté nos affichettes. C’est une première… » « Ma femme travaille dans un hôpital, et toutes les infirmières et tous les médecins seront en grève. Cela n’était jamais arrivé, jamais », raconte un autre dirigeant syndical.

Nous demandons à être augmentés pour obtenir de meilleurs salaires maintenant, mais aussi de meilleures pensions lorsque nous serons à la retraite.

Constat partagé partout. À Paris, un enseignant-chercheur en sciences à la Sorbonne sent le mouvement prendre : « Pour les précédentes manifs, nous étions trois. Mais pour le 7, entre un tiers et la moitié de mes collègues se disent sûrs d’y aller. Un enseignant d’un autre labo voit s’organiser des assemblées générales d’étudiants en thèse et postdoc. Il n’avait jamais vu ça. »

La mobilisation vaut pour tout le secteur de l’enseignement. « Mettre la France à l’arrêt en fermant les collèges, les lycées et les écoles, il n’y a plus que ça à faire ! », tonne Diane, professeure dans un collège et membre du SNES-FSU. « La grande majorité des enseignants a participé à au moins une journée d’action, estime-t-elle. Les collègues sont motivés par dépit, face au mur du gouvernement. »  

La colère que toutes et tous décrivent est aussi alimentée par l’inflation, qui pèse lourd sur les porte-monnaie : la hausse des prix alimentaires dépasse 14 % sur un an, et les salaires sont loin de suivre. Carole Vallauri est conductrice de bus chez Keolis (transporteur urbain, filiale à 70 % de la SNCF) dans les Alpes-Maritimes. En grève avec ses collègues depuis le 27 février pour obtenir une hausse de salaire de 8 %, elle fait tout naturellement la liaison entre cette revendication et le mouvement social qui agite le pays.

« Le lien est évident : nous demandons à être augmentés pour obtenir de meilleurs salaires maintenant, mais aussi de meilleures pensions lorsque nous serons à la retraite. C’est pour cela qu’on ne veut pas de primes, qui ne comptent pas pour la retraite », détaille celle qui sera en grève le 7, comme les cinq précédentes journées de mobilisation. « Pour mon salaire et contre la réforme des retraites, en même temps. »

La grève reconductible, enfin ?

À Montpellier (Hérault) le 2 mars, où un rassemblement aux flambeaux a réuni une centaine de personnes, les chants appelaient frontalement à la « grève générale ». Et plus personne ne s’interdisait de rêver tout haut à un mouvement qui s’étendrait sur plusieurs journées.

« On va y arriver, on gagnera ! Si le gouvernement ne lâche pas, on ne lâchera pas non plus ! », s’échauffait une agente de la fonction publique territoriale, qui a fait toutes les grèves depuis le 19 janvier, et se dit prête à continuer « tout le mois de mars, en avril, en mai… »

« Ça va être grand, soutient Sébastien, de FO Santé, infirmier en hôpital psychiatrique. À chaque nouvelle journée d’action, nous avons eu peur que ça désemplisse. Mais ça a toujours été le contraire ! » Il en est convaincu, « il n’y a plus d’autre choix que de faire une grève générale et un blocage total ». « Pourtant, ce n’est pas dans l’ADN de Force ouvrière, on préfère le compromis, convient-il. Mais on n’a plus le choix. »

L’enjeu, c’est que ça dure : il faut entrer dans une grève plus dure.

Cela fait des semaines que cette question de la reconduction de la grève est sur toutes les lèvres, à Paris comme à Marseille. Et cette fois, même si l’intersyndicale n’appelle pas officiellement à la grève reconductible, ils sont nombreux à parier que les mobilisations ne s’arrêteront pas mardi soir.

Mercredi 8 mars marque la journée internationale des droits des femmes et date d’une « grève féministe » chaque année davantage suivie. Les syndicats ont appelé chacun à « se saisir » de l’occasion pour rappeler à quel point les femmes seront perdantes dans la réforme prévue par le gouvernement. Le 9 mars, c’est au tour des organisations de jeunesse d’appeler à descendre dans la rue sur leurs revendications spécifiques. Et certains appels visent le 10 mars pour mettre l’accent sur la question écologique. Certains espèrent voir le mouvement s’étendre au-delà…

« Le 7 mars sera une très forte journée d’arrêt économique, je n’en ai aucun doute. L’enjeu, c’est que ça dure : il faut entrer dans une grève plus dure, anticipe Marie Buisson, dirigeante de la fédération CGT de l’éducation et candidate désignée par Philippe Martinez à sa propre succession à la tête de la confédération. On sait la force que peut donner une journée où les travailleurs se rendent compte que s’ils arrêtent de travailler, il n’y a plus de richesse produite dans ce pays. »

Cinq des fédérations les plus combatives de la CGT (Ports et Docks, Cheminots, Industries chimiques, Verre et Céramique et Mines-Énergie) ont appelé à « la reconductible ». Conscientes de leur capacité à bloquer certains secteurs clés, et sans doute bientôt rejointes par les organisations du commerce et de la construction, elles sont unies sur un même mot d’ordre : « Mettre à genoux l’économie française. »

L’alignement des planètes est à son meilleur, c’est maintenant qu’il faut y aller tous et toutes ensemble, pour faire sortir le fleuve de son lit et gagner.

Chez les cheminots, comme à la RATP, tous les syndicats de la SNCF ont rejoint l’appel à poursuivre la grève au-delà de mardi. Y compris la CFDT (quatrième et dernier syndicat représentatif de l’entreprise). « Nous avons consulté nos adhérents, et 80 % y étaient favorables, explique Thomas Cavel, secrétaire général de la CFDT Cheminots. L’exaspération est extrême et infuse dans toute la société. Il y a tous les ferments pour que la mobilisation soit forte pendant plusieurs jours. »

Le responsable syndical rappelle la visite d’Emmanuel Macron le 25 février au Salon de l’agriculture, où le chef de l’État a pris pour référence les conditions de travail des agriculteurs pour relativiser la rigueur de la réforme à venir, ou les atermoiements du gouvernement face aux demandes de la droite sénatoriale de supprimer les régimes spéciaux dès 2025 pour tous, sans attendre que les cheminots actuels aient terminé leur carrière. « Chaque jour, un bidon d’essence est ajouté dans le brasier par celui qui a lancé l’incendie », résume Thomas Cavel.

Chez Solidaires, seul syndicat à appeler tous les secteurs à la grève reconductible, on jubile devant le début d’incendie. « L’alignement des planètes est à son meilleur, c’est maintenant qu’il faut y aller tous et toutes ensemble, pour faire sortir le fleuve de son lit et gagner », lance Simon Duteil. Le co-délégué général de Solidaires appelle à une « grevilla », où chaque salarié stopperait la production de la manière qui lui est accessible. « Si ça ne dépasse pas le cadre de la RATP et de la SNCF, on ne gagnera pas », considère-t-il.

À la CGT, Marie Buisson ne dit pas autre chose : « Certains salariés vont faire une heure de grève à la prise de poste ou au changement d’équipe, une journée de grève puis reprendre le travail deux jours avant de refaire grève une journée, etc. Ce n’est pas la même grève partout, mais tous vont vers le même but : bloquer suffisamment l’économie pour que les patrons disent stop au gouvernement. »

À ce titre, le mouvement syndical a lu avec attention la récente tribune de Jacques Attali, conseiller écouté de tous les présidents depuis François Mitterrand, qui en 2007 avait mis le pied à l’étrier du jeune inspecteur des finances Emmanuel Macron au sein de sa commission « pour la libération de la croissance ». Mi-février, le vieux sage libéral a ouvertement appelé à rapidement « tourner la page » de la réforme des retraites, et de préférence « en renonçant ».

Le spectre des gilets jaunes 

S’il est bien un secteur professionnel où l’inquiétude patronale est palpable, c’est celui des raffineries, mises à l’arrêt cet automne par quelques centaines de grévistes CGT, conduisant à une pénurie de carburant dans les stations-service.

« On n’en a rien à faire des consignes de l’intersyndicale, cette fois on part pour de bon et on ne s’arrêtera que quand on aura gagné… ou perdu, expose Fabien Cros, délégué syndical CGT à la raffinerie Total de La Mède (Bouches-du-Rhône). Les salariés en ont marre, ils doivent se battre pour des salaires décents dans une boîte qui fait 36 milliards de bénéfice, pour la sauvegarde de l’outil de travail, pour conserver des retraites… Il n’y a plus grand-chose qui les arrêtera. »

Bien conscients du risque, plusieurs directeurs de raffineries Total ont pris publiquement la parole pour refroidir les ardeurs de leurs troupes. « C’est à nouveau la menace d’une crise longue, comme en fin d’année, qui pèse sur la plateforme », s’inquiète dans une vidéo interne le directeur de la raffinerie de Feyzin, près de Lyon. Il invite tous les salariés, et pas seulement les syndiqués, « à s’exprimer », et menace à mots couverts : en cas d’arrêt de sa raffinerie, « il n’y aurait d’autre choix que de prendre d’autres dispositions ».

Le directeur de la raffinerie de Normandie a développé par écrit les mêmes éléments de langage, estimant que la plateforme « ne doit pas subir de conséquences disproportionnées en réponse à un débat politique national » et décrivant lui aussi de possibles représailles : « Une bonne disponibilité de nos installations est nécessaire pour justifier les investissements futurs dont la plateforme a besoin, telle que notre transition énergétique. »

Pour le moment, les syndicats canalisent la colère et l’organisent, mais ça ne pourra pas tenir indéfiniment.

Le bras de fer s’annonce dur, notamment dans l’énergie. « À Marseille, on va continuer nos actions “Robin des bois”, mais on aussi prévoit des coupures ciblées dès le 7 mars, détaille Renaud Henry, responsable CGT Énergie à Marseille. On ne va plus plaisanter : la majorité des Français sont favorables au blocage du pays, on va faire en sorte que le gouvernement se rende compte de ce que cela veut dire. »

Jusqu’où exactement ira l’affrontement ? Le syndicaliste dit tout haut ce que de nombreux militants pensent tout bas : « S’ils ne retirent pas leur réforme, ils vont encourager la population à se “gilet-jauniser”, puisque pour être écouté par ce gouvernement, il faut apparemment brûler des voitures et semer le chaos. Pour le moment, les syndicats canalisent la colère et l’organisent, mais ça ne pourra pas tenir indéfiniment. »

Cela fait des semaines que Laurent Berger le dit de façon à peine moins virulente, sur tous les plateaux : alors que les manifestations pacifiques de masse ne font pas bouger le pouvoir, les gilets jaunes ont obtenu fin 2017 des milliards d’euros, après « des actions parfois très violentes » tout en n’étant au maximum que « 284 000 » dans les rues, selon les chiffres de la police.

« Laurent Berger a raison sur les gilets jaunes. Le risque, c’est que faute de réponse, les actions individuelles se multiplient et que dans ce bouillonnement, il y ait des débordements, alerte un haut responsable syndical. Le gouvernement va guetter ces débordements, et il insistera lourdement dessus. La seule ligne tactique qui lui reste, c’est la division. » Ce responsable craint que les syndicats les moins contestataires condamnent trop fortement d’éventuels débordements locaux, et que l’unité de l’intersyndicale se fissure.

Le congrès de la CGT complique la donne

Le risque n’est pas nul. D’autant que la fraction la plus radicale de la CGT est tentée de pousser les feux en vue du congrès confédéral du syndicat, tout proche : c’est entre le 27 et le 31 mars, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), que l’organisation se choisira un ou une nouvelle dirigeante, pour remplacer Philippe Martinez.

Une coalition de mécontents, estimant la direction actuelle trop molle, cherche à faire échouer la nomination de Marie Buisson, souhaitée par le sortant. Un candidat dissident s’est déjà déclaré officiellement, en la personne d’Olivier Mateu, le patron de l’union départementale des Bouches-du-Rhône, considéré comme un dur. Et depuis quelques jours, une courte vidéo du leader marseillais circule justement sur les réseaux sociaux, illustrant bien la tonalité de ses interventions.

Les stratèges du mouvement ne cachent pas leurs inquiétudes quant à l’issue de l’affrontement en cours. Et leurs angoisses ont un visage : celui de Marine Le Pen.

Tournée le 23 février à Lille, à l’occasion d’une conférence intitulée « De quelle CGT avons-nous besoin ? », on y entend Olivier Mateu évoquer les grèves des raffineries de l’automne. « Le seul département où il n’y a pas eu de réquisitions [des salariés pour faire tourner les installations – ndlr], c’est les Bouches-du-Rhône », se vante-t-il.

Et d’expliquer ce particularisme local : « On est allé voir le préfet. On lui a dit : “À la première réquisition, c’est la guerre. Vous touchez un camarade dans une raffinerie, on vous met le feu au département. Mais pas le feu ‘on s’énerve’. On vous met le feu, les flammes. »

Contactée par Mediapart, la CGT des Bouches-du-Rhône persiste et signe. C’est « comme ça qu’on continuera à faire si on est confrontés à des risques de réquisitions » à partir du 7 mars, affirme-t-on sur place. La vidéo a déjà valu à Olivier Mateu des attaques virulentes sur BFMTV le 2 mars au soir, auxquelles il a répondu avec un mépris souverain.

S’ils sont sûrs de leur force, les stratèges du mouvement ne cachent pas non plus leurs inquiétudes quant à l’issue de l’affrontement en cours. Et leurs angoisses ont un visage : celui de la dirigeante du Rassemblement national, qui pourrait être, estiment-ils, la bénéficiaire finale d’un passage en force de l’exécutif.

« On arrive au dernier moment du bras de fer, et on n’a plus beaucoup de cartes à jouer, confie un dirigeant de l’intersyndicale. Si le pouvoir se dit que c’est le moment d’humilier le mouvement social et les millions de Français qui sont derrière nous, le risque est énorme de voir Marine Le Pen arriver au pouvoir aux prochaines échéances électorales. »

« Je constate parmi les militants une vraie exaspération, un écœurement même, par rapport au coût démocratique que ces gens-là sont prêts à nous faire payer, résume Thomas Cavel, de la CFDT Cheminots. Ils ne s’y prendraient pas autrement s’ils voulaient mettre à terre nos valeurs. »

  publié le 5 mars 2023

Accidents du travail : la colère des familles endeuillées

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Rassemblés dans un collectif né à l’automne, des proches de victimes d’accidents mortels organisent un rassemblement à Paris, samedi 4 mars, contre « l’invisibilisation » de ce fléau, qui tue près de trois personnes par jour ouvré.

C’est une manifestation inédite dans l’histoire sociale récente du pays : un rassemblement en hommage à tous les morts au travail, organisé par un collectif de familles de victimes. Il aura lieu samedi 4 mars, à 14 heures, à proximité du ministère du Travail à Paris.

Un an presque jour pour jour après la mort sur un chantier de forage pétrolier de Seine-et-Marne d’un jeune sondeur de 27 ans, Flavien Berard, dont les parents Fabienne et Laurent sont à l’initiative du collectif Stop à la mort au travail.

Celui-ci rassemble pour le moment seize familles venues des quatre coins du pays avec pour point commun d’avoir perdu un être cher dans un accident du travail. Elles s’organisent sur une boucle WhatsApp, espace de soutien moral et de partage d’expérience. « Il n’y a pas d’association spécifique pour aiguiller les familles confrontées à de tels drames. Entre nous, on se donne des conseils et ça nous aide beaucoup », rapporte Fabienne Berard.

Le 2 février, les parents de Flavien Berard ont rencontré à Paris deux membres du cabinet du ministre du Travail, Olivier Dussopt, et leur ont présenté la liste de revendications établie par le collectif. Nombre d’entre elles portent sur la prise en charge des familles endeuillées : paiement des frais d’obsèques par les employeurs, soutien psychologique et judiciaire, simplification des procédures judiciaires.

Le collectif réclame aussi des actions pour améliorer la prévention du risque et la « transparence sur les chiffres » concernant le nombre de morts au travail. Selon les données de la Caisse nationale d’assurance-maladie, 733 accidents mortels du travail ont été déclarés en 2019, soit près de trois par jour ouvré. En 2020, année marquée par un fort ralentissement de l’activité économique en raison de la pandémie de Covid, ce bilan est tombé à 550, avant de remonter à 645 en 2021.

« En France, on n’est pas capable de compter de façon fiable les accidents du travail. On a un comptage complexe et opaque »

Problème : ces statistiques, les plus complètes dont on dispose, ne prennent en compte que les salariés du régime général (pour l’année 2019, un rapport de la Dares publié en décembre 2022 y a ajouté notamment les travailleurs agricoles, relevant le total à 790 morts). Sont exclus du recensement les fonctionnaires, les travailleurs détachés et les travailleurs non salariés, à l’image des autoentrepreneurs.

« En France, on n’est pas capable de compter de façon fiable les accidents du travail. On a un comptage complexe et opaque, qui crée de la confusion », regrette Matthieu Lépine, professeur d’histoire-géographie à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et auteur de l’ouvrage l’Hécatombe invisible. Enquête sur les morts au travail, à paraître le 10 mars.

Depuis 2019, ce dernier tient sur Twitter son propre décompte, basé sur les informations publiées dans les journaux de la presse locale. « Je pense qu’il faut changer de paradigme par rapport aux accidents du travail. Il faut que tout le monde comprenne que ce n’est pas la faute à pas de chance, mais un phénomène social, car, dans la majeure partie des cas, les accidents surviennent en raison de manquements en termes de formation ou de sécurité », explique celui qui a participé à mettre en relation les membres du collectif de familles.

8 000 décès supplémentaires seraient à déplorer d’ici à 2030, si la tendance 2010-2019 devait se maintenir

Au mois d’avril dernier, la Confédération européenne des syndicats alertait sur l’augmentation dans le temps du nombre d’accidents mortels du travail en France, prévenant que près de 8 000 décès supplémentaires seraient à déplorer d’ici à 2030, si la tendance 2010-2019 devait se maintenir.

Face à cette menace, le gouvernement a décidé, en 2022, d’inclure à son plan Santé au travail 2022-2025 un « axe transversal » consacré aux accidents graves et mortels. Une « feuille de route » qui se concentre sur la question de la prévention (avec « un effort accru en termes de sensibilisation » auprès des jeunes, des nouveaux embauchés ou des intérimaires), que l’exécutif a lui-même contribué à fragiliser en supprimant, en 2017, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui jouaient un rôle majeur en la matière.

En outre, la stratégie gouvernementale ne s’attaque pas au cœur du problème, selon Véronique Daubas-Letourneux, spécialiste des accidents du travail. Si elle salue « une prise de conscience », la sociologue déplore une « approche individualisante » du phénomène. « Il n’y a pas suffisamment d’attention portée aux enjeux d’organisation du travail et de dilution de la responsabilité en cas de sous-traitance », déplore-t-elle.

Des leviers d’action existent, pourtant, que la CGT construction a rappelés dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, en octobre 2022 : interdiction de la sous-traitance en cascade, obligation de prise en compte du « mieux-disant social » dans les appels d’offres, établissement d’une liste noire pour les entreprises ayant été condamnées pour non-respect grave de la législation du travail…

« Il y a une espèce d’omerta en France, parce qu’il ne faut pas contrarier le travail » 

Autant d’éléments que les membres du collectif Stop à la mort au travail pourront aborder avec des représentants d’Olivier Dussopt qui devraient à nouveau les recevoir après le rassemblement du 4 mars. Les familles espèrent que la manifestation permettra de braquer les projecteurs sur un fléau social quotidien qu’elles jugent trop souvent « invisibilisé » et négligé, tant par les médias que par les dirigeants politiques.

« Si un gendarme meurt en exercice, un ministre va se déplacer pour aller lui rendre hommage. Je ne conteste pas ça. Mais notre fils ne mérite pas moins d’avoir les hommages de la République », proteste Véronique Millot, mère d’Alban Millot, décédé à Lieuron (Ille-et-Vilaine), le 10 mars 2021, jour de ses 25 ans, en tombant d’un toit sur lequel il devait installer des panneaux photovoltaïques.

« Passer ces affaires sous silence, c’est banaliser les choses. Ce n’est pas normal de mourir au travail aujourd’hui. » Elle s’arrête, cherche ses mots. « Il y a une espèce d’omerta en France, parce qu’il ne faut pas contrarier le travail. On veut conserver les emplois à tout prix. Moi, dans mon cœur de maman meurtrie, j’aimerais qu’une loi sur les accidents du travail porte le nom de mon fils. » 


 


 

Rassemblement contre les accidents du travail : “Nous ne voulons plus que ces drames soient traités comme des faits divers”

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Une délégation de familles de victimes a été reçue, samedi 4 mars, au ministère du Travail, devant lequel avait lieu une manifestation contre ce fléau qui a coûté la vie à plus de 700 personnes en 2019.

Alcodori, Adrien, 29 ans, mort au travail ! Bardel, Hugo, 22 ans, mort au travail ! Bento, Alexandre, 36 ans, morts au travail !” Lentement, Véronique Voisin égrène les noms de la quinzaine de défunts représentés par le collectif de familles de victimes Stop à la mort au travail, créé en novembre dernier, qui appelait au rassemblement ce samedi à proximité du ministère du Travail à Paris. A côté d’elle, sa fille Sarah Jaubert brandit un portrait de son frère Steven, décédé à la suite d’une chute en septembre 2020. Et des dizaines d’autres proches de victimes martèlent en écho la sentence macabre : “ Mort au travail !” Sur le grillage qui barre l’entrée du square d’Ajaccio, derrière eux, les manifestants ont déposé des roses blanches et des photos des travailleurs décédés. En 2019, dernière année comptabilisée à échapper aux restrictions liées au Covid-19, 733 personnes ont perdu la vie dans un accident du travail, selon les chiffres de la Cnam, qui ne prennent en compte que les salariés du régime général de la Sécurité sociale.

Plus d’une centaine de personnes sont présentes, parmi lesquelles des représentants de professions particulièrement endeuillées, à l’image de la Fédération nationale CGT des salariés de la construction, bois et ameublement pour le secteur du BTP. En début d’après-midi, les familles sont reçues par deux membres du cabinet du ministre du Travail Olivier Dussopt, à qui elles présentent leurs doléances : “ Des mesures d’accompagnement afin d’aider et d’encadrer les proches des victimes”, notamment un soutien psychologique et juridique mais aussi la prise en charge des frais d’obsèques par les employeurs, des condamnations “ exemplaires” pour les entreprises coupables de manquements à la sécurité, des campagnes de prévention massives, un “ réel effort de remise en marche de la branche inspection du travail”... Au-delà de ces revendications, le collectif entend aussi sortir la mort au travail d’une forme d’anonymat ressentie comme une criante injustice. 

On ne veut pas être oubliés”

Nous ne voulons plus que ces drames soient traités dans la rubrique faits divers des journaux. C’est un véritable problème de société”, résume Caroline Dilly, mère de Benjamin, décédé en février 2022 à l’âge de 22 ans. “ La santé et la sécurité au travail, c’est une question proprement politique”, corrobore le député LFI des Hauts-de-Seine Aurélien Saintoul, qui avait interpellé Olivier Dussopt à l’Assemblée nationale sur le sujet, le 13 février. Et l’élu de citer la suppression en 2017, par les “ordonnances Macron”, des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui jouaient un rôle majeur en matière de prévention du risque au travail. “ Ceux qui gouvernent ne sont pas conscients de la gravité du problème”, dénonce-t-il. 

Au terme d’une rencontre de près de deux heures au ministère du Travail, Fabienne Berard, à l’origine de la création du collectif, salue des “ échanges constructifs” et une “ vraie écoute” de la part de ses interlocuteurs. La mère de Flavien, décédé sur un chantier de forage pétrolier en mars 2022, assure que les familles seront désormais “ associées à certains des travaux” de la rue de Grenelle. Mais aucune nouvelle mesure concrète n’a été annoncée pour le moment.

Se pose désormais la question de la suite de la mobilisation, et des moyens pour ce collectif nouveau-né de maintenir la pression médiatique et politique. “ L’après, c’est ce qui nous fait peur, confie Véronique Millot, mère d’Alban Millot, tombé d’un toit sur lequel il installait des panneaux photovoltaïques à Lieuron (Ille-et-Vilaine), le 10 mars 2021, jour de ses 25 ans. Là, il y a du monde, on se sent soutenus, mais on ne veut pas que l’attention qu’on nous porte disparaisse. On ne veut pas être oubliés.” Le 28 avril prochain, date de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail, une nouvelle manifestation en hommage aux victimes d’accidents mortels du travail sera organisée à Paris. Plusieurs membres du collectif Stop à la mort au travail devraient faire le déplacement.

  publié le 5 mars 2023

Des tribunes contre la réforme Borne-Macron des retraites

sur www.humanite.fr

La mobilisation des salariés du privé et du public, des jeunes, lycéens ou étudiants, des chômeurs, des retraités, à l’appel des organisations syndicales et de jeunesse, est soutenue par toute la société.


 

La grève pour faire entendre les intérêts des travailleurs

par Laurent Brun Secrétaire général de la CGT cheminots

Depuis plusieurs semaines, les cheminots CGT débattent avec leurs collègues. Le sentiment qui domine est celui d’une immense injustice et d’un rejet très large de la réforme des retraites.

La participation massive aux journées de grève et aux manifestations, à l’appel des confédérations, témoigne de ce mécontentement. Même si la question financière pèse et que l’inflation a fracassé les moyens des ménages, beaucoup de cheminots comprennent la nécessité de durcir la mobilisation face à un gouvernement qui n’écoute rien. Pour autant, un doute persiste : « Serons-nous seuls ? » Deux millions de manifestants dans les rues devraient donner des indications sur la réponse : non, nous ne serons pas seuls. Une initiative inédite de rassemblement de plus de 500 secrétaires de syndicats de 5 fédérations de la CGT s’est déroulée, jeudi 2 mars, dans le patio du siège national de l’organisation à Montreuil. Elle a confirmé l’analyse : nous sommes plus nombreux, plus unis et mieux coordonnés qu’en 2019. C’est un point d’appui important. Nous pourrions être encore plus forts. Dans toutes les professions, les militants CGT posent la question de la grève et de sa reconduction. Donnons-nous les moyens de la gagner !

« Même si la question financière pèse et que l’inflation a fracassé les moyens des ménages, beaucoup de cheminots comprennent la nécessité de durcir la mobilisation face à un gouvernement qui n’écoute rien. »

Des salariés s’interrogent encore : pourquoi sacrifier du temps et du salaire ? La réponse est sous nos yeux : le gouvernement contrôle les institutions et il compte en abuser pour imposer son projet. Tant que personne ne le contraint à faire autrement, il défend l’intérêt des milliardaires, même sans avoir d’arguments, même contre l’avis de l’écrasante majorité de la population, même contre l’évidence. Il est littéralement dans un rapport de forces. Il faut donc trouver une manière de l’obliger à faire autrement, de l’obliger à prendre en compte nos intérêts et nos revendications. Nous ne pouvons pas attendre les élections pour cela, il faut user du seul contre-pouvoir qui existe, celui des salariés de cesser le travail (ce qui n’empêche pas d’avoir de la mémoire dans l’isoloir).

Et, quitte à mettre son salaire dans la balance, autant que cela serve au maximum. Avec la grève reconductible, nous voulons gagner contre la réforme, mais aussi nous assurer un meilleur avenir. La fédération CGT des cheminots revendique un départ en retraite à taux plein à 60 ans pour tous, l’amélioration des pensions, la prise en compte de la situation spécifique de nombreuses professions (par exemple, la surmortalité) en leur permettant de partir à 55 ans, et un système de départ anticipé à 50 ans pour les métiers à contrainte ou à pénibilité. Nous voulons également une augmentation générale des salaires, des créations d’emploi et stopper le démantèlement du service public ferroviaire.

L’amélioration de notre vie au travail permet d’améliorer nos droits à la retraite car l’emploi et les salaires apportent des cotisations sociales supplémentaires pour les financer. Tout est lié. Nous sommes une classe. Il faut désormais qu’elle s’organise, par Willy Pelletier Sociologue à l’université de Picardiequ’elle manifeste sa force et qu’elle défende ses intérêts. Toutes et tous en grève le 7 maPas leur problème : ils n’ont aucune idée de nos viesrs, et les jours suivants !


 

Pas leur problème : ils n’ont aucune idée de nos vies

par Willy Pelletier Sociologue à l’université de Picardie

Chaque matin pareil, Thermos de café, Tupperware du midi, 4 h 30. À 5 heures, récupération du collègue à Château-Thierry ; à 8 heures, sur site pour bosser, parfois avant. Bruno est soudeur sur des conduites de gaz compliquées. Il est souvent appelé pour des réparations d’urgence. Une mini-erreur, l’explosion. Deux copains à lui sont morts comme ça, les mecs en bouillie :  « L’intestin qui sort du bide et le gars qui hurle, t’oublie pas quand t’as vu ça ! » dit Bruno. Il a 59 ans. Le matin, il se lève épuisé, il dort mal, trop de pression H24 en soudure. Et la route, des fois 5 heures de route, car les chantiers sont sur toute l’Île-de-France. Annie, sa femme, part à 6 heures, ouvrière dans une conserverie. Ils ont acheté une maison, c’était leur rêve, un peu de terrain pour que jouent, le dimanche, les filles de leur fille. Ils pensaient en profiter à plein, et maintenant assez vite. Parce qu’ils ont bossé la vie entière, commencé à 20 ans, et que, ces dernières années, c’est trop dur, le corps ne récupère plus. Ils pensaient profiter de Cléo, de Luce, leurs petites-filles. Leur fille et son copain auraient pu partir en vacances alors. Ils travaillent en champignonnière. Annie et Bruno ne sont jamais partis en vacances. Ils pensaient aussi qu’ils pourraient s’occuper mieux du père d’Annie, Alzheimer.

« Annie et Bruno ont bossé la vie entière, commencé à 20 ans et ces dernières années, c’est trop dur, le corps ne récupère plus. »

Alors Bruno est là. À Compiègne, on est 10 000 manifestants, c’est la première fois qu’il fait grève, jamais il n’a manifesté. Il dit :  « Encore cinq ans de boulot crevant comme ça, pareil pour Annie, on éclate, c’est mort, avec tous les efforts qu’on a faits déjà, c’est pas vrai. Ceux qui font cette réforme, ils n’ont aucune idée de comment on vit. » Oui. Ce n’est d’ailleurs pas leur problème à ces députés qui votent cette réforme, et aux membres des cabinets ministériels. Eux s’achètent déjà des assurances privées qui permettront la retraite quand ils voudront.

Souvent venus « des beaux quartiers », ils passent leur vie parmi leurs semblables. Ils ont été sélectionnés par eux, au travail ou en amour. Ils ne connaissent aucun ouvrier, aucun employé, aucun technicien. Leurs emplois du temps les cannibalisent : pas un tête-à-tête où ne pas assurer son rôle et, corseté dans ses contraintes, le tenir ferme, un remous perpétuel. Des assistants, secrétaires, chauffeurs, « N-1 », nounous, les protègent, les allègent, les servent. Les tâches ordinaires sont déléguées presque toutes : les transports, les courses, nettoyer… Enfermés dans des buildings bouclés, ils naviguent d’étages réservés en réunions ou repas d’affaires, et décompressent avec leurs semblables.

Les peines, les budgets qui serrent la gorge, les fureurs, les emmerdements des salariés « d’en bas » sont d’un autre univers. Et pas leur problème. Il est tout autre, leur problème : avancer dans la carrière en écrasant leurs concurrents directs, en dégageant plus de cash qu’eux (par des dispositifs qui plaisent aux patrons). Ils interdisent les jours les plus heureux de nos retraites méritées mais ne savent pas ce qu’ils vont faire endurer.

Coauteur de la Valeur du service public (la Découverte, 2021).

 

publié le 4 mars 2023

Les retraites, cette
grande conquête de la vie
sur le capital

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

Issu du programme du Conseil national de la Résistance, notre système de retraite a permis à des millions de personnes d’avoir une existence épanouissante après une vie de travail. En recul depuis la fin des années 1980, il constitue une bataille civilisationnelle qui se poursuit encore aujourd’hui dans la rue, contre la réforme d’Emmanuel Macron. Analyse.

En 2003, des milliers de personnes défilent (ici à Marseille) contre la réforme Fillon qui étend à la fonction publique l’allongement des annuités instauré par la réforme Balladur de 1993. © Anne-Christine Poujoulat

Imaginez une création sociale si enthousiasmante que vous seriez prêt à construire et à peindre les murs des administrations à bâtir. « C’est ce qui s’est passé lors de la fondation de la Sécurité sociale et du régime général de retraite. Pour la première fois, tous les Français avaient droit à une pension. Ils ont été des milliers à donner un coup de main de façon bénévole et volontaire pour ouvrir 138 caisses de Sécurité sociale en quelques mois à travers le pays, car ils mesuraient bien qu’ils étaient en train de créer un patrimoine commun et de mener une conquête humaine formidable », raconte Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d’Ambroise Croizat (1901-1951), fondateur de la Sécu, en 1945.

Échapper à la pauvreté

Une mobilisation massive, une conscience collective qui se retrouvent aujourd’hui dans les pas des millions de citoyens qui composent les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites du gouvernement. Manifester, c’est montrer sa force, son nombre et sa cohésion. C’est marcher pour ses droits et défendre cette grande conquête des retraites.

Une conquête sur le temps, et sur l’argent : un nouvel âge de la vie, grâce à des richesses socialisées. Mais une conquête menacée. « Marre de simuler ma retraite, je veux en jouir », peut-on lire sur les pancartes des citoyens opposés au report de l’âge légal à 64 ans. Car le droit à la retraite est en recul depuis les années 1980 et se trouve au cœur d’un bras de fer qui ne cesse de s’accentuer : le capital ne supporte pas que des citoyens puissent se libérer du travail, tout en touchant une pension qui échappe à toute marchandisation. C’est cette révolution inouïe dans l’histoire de l’humanité, ce rêve forgé à travers les âges qu’il convient de protéger.

Le capital ne supporte pas que des citoyens puissent se libérer du travail, tout en touchant une pension qui échappe à toute marchandisation. C’est cette révolution inouïe dans l’histoire de l’humanité, ce rêve forgé à travers les âges qu’il convient de protéger.

Un rêve qui s’est pleinement concrétisé à la Libération, émanation directe du programme du Conseil national de la résistance (CNR). « En 1945, l’objectif était de faire en sorte que la vie après le travail ne rime pas avec pauvreté. À cette époque, il y avait 4,7 millions de salariés ou anciens salariés de plus de 60 ans, mais seuls 1,7 million bénéficiaient d’un régime de retraite », expose Jean-Christophe Le Duigou, conseiller d’État et ancien dirigeant de la CGT, sur le site de l’Institut CGT d’histoire sociale. 

La création du régime de retraite général, à l’initiative du ministre communiste et cégétiste Ambroise Croizat, constitue alors un tournant majeur : tous les Français bénéficient désormais d’un droit à la retraite et d’une pension concrète. « Des millions d’entre eux sont sortis du jour au lendemain de l’angoisse de la vieillesse, qui signifiait pour eux l’indigence, tout comme ils sont sortis de l’angoisse de la maladie et de l’accident du travail, qui signifiait la perte de l’emploi et la plongée dans la misère la plus absolue », insistait Michel Étiévent, historien de la Sécurité sociale et biographe de Croizat décédé en 2021.

« Avant 1945, nous étions quelque part dans l’antiquité de nos droits », estime le député PCF Pierre Dharréville, pour qui la généralisation du droit à la retraite et sa mise en place effective constituent « une œuvre civilisationnelle majeure, avec à la fois une protection de ceux qui ont fait leur part de travail et vieillissent et l’ouverture d’un autre temps de vie, d’un autre horizon, le tout grâce à une forme de collectivisation des richesses imposée au capital ».

Un des piliers de notre modèle social

En 2021, les Français ont ainsi consacré 345 milliards d’euros pour financer leurs retraites, dont 79 % issus des cotisations sociales. Selon l’OCDE, la France offre une « bonne protection » et un régime avantageux en comparaison de ses voisins. Tout n’est pas parfait et beaucoup reste à améliorer, mais les Français partent en moyenne plus tôt à la retraite, et seuls 7,6 % de ces retraités vivent sous le seuil de pauvreté, soit l’un des taux les plus faibles au monde. Les retraites sont ainsi devenues l’un des piliers de notre modèle social. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Il s’agit même d’une conquête toute fraîche. Se mettre à l’abri du besoin lors de ses vieux jours a été un objectif dès les débuts de la condition humaine, mais la solidarité familiale et la charité ont longtemps semblé un horizon indépassable pour le commun des mortels.

Le tout premier régime de retraite créé au monde, par répartition qui plus est, est l’œuvre de Colbert : en 1673, le ministre de Louis XIV instaure la Caisse des invalides de la marine.

Des tentatives d’entraides communes et des innovations visant les serviteurs de l’État ont bien émaillé le Moyen Âge, mais de façon non pérenne ou uniquement pour quelques-uns. Quant au tout premier régime de retraite créé au monde, par répartition qui plus est, il est l’œuvre de Colbert : en 1673, le ministre de Louis XIV instaure la Caisse des invalides de la marine. De là à dire que, prendre sa retraite, c’est voir la mer, il y a encore un large pas à franchir.

« L’ambition est d’attirer du monde, de développer la marine militaire mais aussi marchande. Et donc il s’agit d’une sorte d’avantage proposé. Cela va peu à peu s’étendre aux militaires, avec cette idée : vous allez souffrir, risquer votre vie, peut-être mourir, mais à la fin vos vieux jours seront assurés », note le député centriste Charles de Courson.

La véritable révolution philosophique arrive ainsi à partir de 1789. À travers leurs cahiers de doléances, les citoyens insistent sur le besoin d’accorder assistance et dignité aux plus âgés, notamment à travers des « rentes » versées à domicile. « Les révolutionnaires instaurent les droits-créances, qui préfigurent notre modèle social actuel », souligne l’historienne Sophie Wahnich.

Pour la toute première fois, les pensions de retraite sont défendues comme un droit universel, au nom du droit à une existence digne placé comme premier des droits de l’homme. « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler », indique la Constitution de 1793 dans son préambule. La loi du 22 floréal an II (mai 1794) crée une forme de droit à la retraite quasi universel, finalement jamais mis en place dans le tourbillon de la Révolution et de ses épreuves. Mais les bases sont jetées. Le principe de cotisation par répartition a même été proposé, et la volonté que chaque pensionné touche au minimum l’équivalent d’un Smic actuel clairement signalé. Preuve de la formidable modernité de la Révolution française.

Un enjeu mésestimé par la IIIe République

Si l’utopie a été aperçue, elle sera encore longue à devenir réalité. Des régimes monarchiques succèdent à la Révolution. Surtout, l’industrialisation provoque une explosion des morts et des vies brisées au travail, ainsi que l’émergence d’une classe ouvrière sous un nouveau visage, noir de suie.

Les retraites (en dehors de celles d’État pour les fonctionnaires, ou via des mutuelles inégales, comme encouragé par Napoléon III) sont données à certains des métiers les plus pénibles et dangereux (mineurs, métallurgistes, cheminots), branche patronale par branche patronale (les syndicats étant interdits), avec la volonté de fixer la main-d’œuvre. « Votre travail sera pénible, vous serez silicosé, mais vous aurez une retraite », résume Charles de Courson.

Mais le mouvement ouvrier, de plus en plus conscient et déterminé à se défendre, ne se satisfait pas d’un système d’exploitation violent et de pensions qui tiennent du paternalisme. En outre, l’idée que des droits liés au travail – en lieu et place de ceux liés au patrimoine (une dualité toujours présente aujourd’hui) – doivent apporter à l’ensemble des salariés des moyens de subsistance pour toute la vie ne cesse de monter en puissance.

Jean Jaurès appelle à accepter chaque avancée arrachée, fût-elle modeste, et fixe un cap en 1906 lors du discours d’Albi : celui d’un « ordre social nouveau », où l’« assurance sociale doit s’appliquer à tous les risques, à la maladie comme à la vieillesse, au chômage et au décès comme à l’accident ».

Arrive alors le XXe siècle. La question des retraites ne cesse de s’intensifier et va animer continuellement la vie parlementaire de la IIIe République, sans que les progrès soient forcément à la hauteur des enjeux ou comme un droit pour tous passé un certain âge ? Faut-il fonctionner par capitalisation ? Les débats prennent leur temps.

Jean Jaurès appelle à accepter chaque avancée arrachée, fût-elle modeste, et fixe un cap en 1906 lors du discours d’Albi, la même année : celui d’un « ordre social nouveau », où l’« assurance sociale doit s’appliquer à tous les risques, à la maladie comme à la vieillesse, au chômage et au décès comme à l’accident ».

En 1910 est votée la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. L’âge de départ est fixé à 65 ans, après trente années de cotisations. C’est « la retraite pour les morts », dénonce la CGT, qui rappelle que 94 % des ouvriers meurent alors avant 65 ans et exige un bien meilleur système. Reste que l’histoire est en marche. « Dès demain, tous les vieux relèveront le front, et tous les jeunes, tous les hommes mûrs se diront du moins que la fin de la vie ne sera pas pour eux le fossé où se couche la bête aux abois », lance Jean Jaurès. La suite va lui donner raison, malgré des chemins sinueux et une lutte permanente.

« La Sécu n'est pas tombée du ciel. C'est le résultat d'un combat pour la dignité »

En 1936, le Front populaire n’a pas le temps de mettre en place le système de retraite ambitieux souhaité par Léon Blum, chef du gouvernement. Mais la gauche au pouvoir et la formidable mobilisation populaire, massive, lors des grandes grèves permet de mettre en place les premiers congés payés et la semaine de 40 heures. Une avancée décisive vers la conquête du temps libre. Un camouflet infligé au capital, pour qui chaque jour payé doit être travaillé.

Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie ». Ambroise Croizat

Un député communiste se distingue alors : Ambroise Croizat. Très engagé dans le programme du CNR sous l’Occupation, il devient ministre à la Libération. « Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie », lance-t-il le 3 décembre 1945. « Rien ne pourra se faire sans vous. La Sécurité sociale n’est pas une affaire de lois et de décrets. Elle implique une action concrète sur le terrain, dans la cité, dans l’entreprise. Elle réclame vos mains… », ajoute-t-il un an plus tard. 

La Sécu sera donc une œuvre collective majeure, dont la très belle aventure est racontée dans le film « La Sociale » (2016), de Gilles Perret. « La Sécu n’est pas tombée du ciel. C’est le résultat d’un combat pour la dignité qui vient du fond des siècles et s’enracine alors. En 1945, le rapport de forces est clair : le PCF fait 29 % des voix, il y a 5 millions d’adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par la Résistance et un patronat mouillé dans la collaboration », soulignait Michel Étiévent.

La retraite passe ensuite à 60 ans sous François Mitterrand, en 1982, avec l’idée de libérer du temps au fur et à mesure que la productivité et les richesses augmentent. Mais le « patronat ne désarme jamais », prévenait Ambroise Croizat. Et les gouvernements soumis au capital n’ont eu de cesse d’attaquer pour rogner ce droit malmené, jusqu’à nos jours. C’est face à ce projet que se sont dressés des millions de citoyens depuis le 19 janvier. Ils seront de nouveau dans la rue le 7 mars pour défendre les droits de tous. Le combat en vaut la chandelle. Car, « ce qui a marqué socialement le XIXe siècle, c’est l’accès à l’éducation. Et l’événement social du XXe siècle, c’est la Sécurité sociale », déclarait, à raison, Jack Ralite, ministre communiste de la Santé entre 1981 et 1983.


 

Trente ans d'attaques contre les retraites

 Depuis la fin des années 1980, les gouvernements qui se sont succédé ont tenté de détricoter l’héritage du Conseil national de la Résistance. Certains avec succès, en jouant principalement sur l’allongement de la durée de cotisation et de l’âge légal.

La casse progressive du système de retraite ? C’est Denis Kessler qui en parle le mieux : « Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR », proposait l’ancien numéro deux du Medef dans la revue « Challenges » en 2007. Ils ne s’en cachent pas : tous les acquis sociaux du système de retraite par répartition, les libéraux tentent de les saboter méthodiquement avec, comme inlassable argument, un prétendu « sauvetage ».

Dès 1987, la réforme Séguin choisit d’indexer les pensions uniquement sur l’inflation et non plus sur l’évolution du salaire moyen brut. Entraînant, sur vingt-cinq ans, une baisse de 20 % du niveau des pensions, selon la CGT. Le livre blanc de Michel Rocard devient, quatre ans plus tard, la ligne de conduite des réformes successives. Dans ce premier rapport, l’idée d’un allongement de la durée de cotisation s’impose.

C’est dans cette optique qu’Édouard Balladur entérine en 1993 le passage de 37,5 à 40 annuités pour les salariés du secteur privé et change progressivement les calculs des pensions, se fondant sur les 25 meilleures années, au lieu de 10 jusqu’alors. Le plan Juppé, mené en 1995, embrase le pays.

Le premier ministre de Jacques Chirac étend les règles de calcul des pensions de la réforme Balladur aux fonctionnaires et aux salariés des entreprises publiques (RATP, SNCF et EDF). Après trois semaines de blocage de l’économie par les syndicats, le gouvernement recule. Les rapports ministériels qui se succèdent ensuite invitent au renflouement du déficit de la Sécurité sociale par des réformes paramétriques.

Avec sa réforme en 2003, François Fillon épouse ces vieilles recettes libérales. Il parvient cette fois-ci à instaurer les 40 annuités pour les fonctionnaires. Les salariés des entreprises publiques et des professions à statut particulier connaissent le même sort sous Nicolas Sarkozy : en 2010, son ministre du Travail, Éric Woerth, fait reculer l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. L’héritage de François Mitterrand est directement attaqué, malgré des manifestations massives pour s’y opposer.

Le PS revient au pouvoir en 2012, mais François Hollande valide les politiques libérales en cours : la réforme Touraine relève en 2014 la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans à partir de 2020 pour parvenir à 43 annuités en 2035. C’est ce paramètre que la première ministre, Élisabeth Borne, souhaite aujourd’hui accélérer dans la réforme actuelle, pour atteindre cet objectif dès 2027, en plus de vouloir décaler l’âge de départ à 64 ans. Avant elle, la Macronie avait tenté un pilonnage en règle du système de retraite par répartition, avec un projet de régime universel à points.

Cette réforme, dont le but caché était de faire chuter le niveau des pensions, tombe finalement sous l’effet des mobilisations massives et de la crise du Covid. Mais ne retire en rien la détermination des tenants du libéralisme à continuer le détricotage du système. « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » ajoutait Denis Kessler dans son entretien. Gage d’un absolutisme libéral sans bornes.

  publié le 3 mars 2023

À Strasbourg,
un tour de chauffe avant le 7 mars

Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr

Le meeting de la Nupes a fait le plein, mercredi soir, dans la capitale régionale, avec des députés PCF, FI, EELV, PS et un public gonflés à bloc dans la perspective de la grève contre la réforme des retraites. Strasbourg (Bas-Rhin), correspondance particulière.

La salle est pleine à craquer, les 400 places assises ont été prises d’assaut. Sont venus, bien sûr, les militants des formations politiques qui composent la Nupes à l’origine de ce meeting à Strasbourg, mercredi soir, mais pas seulement. « Moi, je n’ai pas de carte, assure Nordine, avant que les prises de parole ne s’enchaînent. Je sais déjà dans les grandes lignes pourquoi je suis contre cette réforme, mais c’est important d’avoir un maximum d’arguments pour les proches, pour la famille ou les amis qui hésitent et qui ne sont pas encore assez motivés pour nous rejoindre dans les rues », poursuit ce travailleur social. À la tribune, les arguments ne manquent pas, justement. Le député de Strasbourg Emmanuel Fernandes (FI) démonte minutieusement les discours mensongers du ministre du Travail, « le pire de ce que l’on peut faire en politique ». Exemple : la retraite à 1 200 euros, dont Olivier Dussopt a fini par reconnaître qu’elle concernerait 10 000 à 20 000 retraités, très loin des 2 millions évoqués un temps par les macronistes. De quoi provoquer la colère, et pas seulement dans l’opposition. « J’ai rencontré des personnes qui y ont réellement cru et qui ont été abasourdies quand elles ont compris que c’était un mensonge, rapporte Emmanuel Fernandes. Un gouvernement qui agit comme cela décrédibilise la politique. On aura encore plus d’abstention aux prochaines élections. »

Dans le public, les jeunes sont nombreux, comme ils le sont au cours des manifestations strasbourgeoises où ils occupent la tête du cortège depuis la première mobilisation du 19 janvier. « Cela fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seuls à se battre contre cette réforme. Il y a un besoin d’avoir un pied dans la rue pour manifester et un pied dans les réunions de sensibilisation comme celle-ci », explique Anaïs, étudiante en seconde année de Sciences-Po à Strasbourg. « La jeunesse aujourd’hui est obligée de se mobiliser énormément parce qu’elle se rend compte que le gouvernement ne répond pas à nos besoins, pas plus qu’à ceux des autres générations. On se bat pour les aînés, mais c’est aussi une question d’avenir pour nous puisque nous sommes les futurs travailleurs », ajoute Chloé, elle aussi étudiante à Sciences-Po.

« Nous ne voulons pas faire le chemin à l’envers ! »

Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, rappelle que la retraite, « la plus grande conquête du XXe  siècle », a été portée par le ministre communiste du Travail Ambroise Croizat, dans un gouvernement issu de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Les Français passaient du rêve à la réalité. Enfin les hommes et les femmes pouvaient vivre leur vieillesse. » Le député de Seine-et-Marne pointe également la réduction du temps de travail de 65 à 60 ans décidée en 1981. « Nous ne voulons pas faire le chemin à l’envers ! », lance-t-il sous les applaudissements. « Ce que veut le gouvernement, c’est sauver le système capitaliste. Le 47.1 est une illustration du passage en force. Nous avons un autre projet de société à proposer », enchaîne, à la tribune, la députée communiste Elsa Faucillon. « Ce que j’entends autour de moi, c’est que les gens se préparent. Les associations, les syndicats sont prêts. Ils veulent arrêter le pays et je pense que c’est l’essentiel. J’ai vraiment l’impression qu’on est tous en rang pour bloquer le pays », témoigne Salem, un élu municipal.

Constatant de fortes mobilisations de la jeunesse contre la politique du gouvernement, ainsi que des blocus, Anaïs voit la grève du 7 mars avec optimisme. « Je pense que ce peut être une des rares fois où la jeunesse se mobilise autant depuis Mai 68, si on veut être un peu idéaliste », dit-elle. La députée écologiste du Bas-Rhin Sandra Régol ajoute sa pierre à l’argumentaire en rappelant que le projet de réforme des retraites se fait « quasi exclusivement sur le dos des femmes ». « Emmanuel Macron veut que vous soyez résignés, poursuit-elle. Il veut empêcher qu’un enfant ait un grand-parent ! » Dans la salle, Noé écoute attentivement et en est convaincu : « Les politiques néolibérales menées par ce gouvernement ont des effets qui poussent des gens à la mort. Quand on voit que chez les hommes, les plus pauvres ont 25 % de risque de mourir avant la retraite, oui, on parle bien de vie ou de mort », constate l’étudiant. En écho, la députée européenne Manon Aubry (FI) dénonce le système de retraite par capitalisation que veut mettre en place le gouvernement, rappelant qu’une augmentation de 2 % de la part des salaires dans la valeur ajoutée suffirait à équilibrer les retraites. Elle constate que partout en Europe où l’on a repoussé l’âge de départ à la retraite, le taux de pauvreté a augmenté. « Si on gagne sur les retraites, on gagnera demain sur les salaires », assure-t-elle.

 

 

Dans les métros, dans les campagnes : préparer la grève

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Tractage massif à la RATP

On avait reçu un texto la veille : « 200 militants, tous syndicats de la RATP confondus seront présents dans différentes gares parisiennes pour une opération auprès des usagers ». Chose annoncée, chose faite : ce jeudi, aux aurores, les salariés de la RATP ont déferlé à gare pour tracter.

L’occasion d’expliquer le pourquoi de la grève et d’inviter à se joindre au mouvement. Un tel tractage, « de mémoire d’agent RATP, ce n’était pas arrivé depuis très longtemps », confie un agent au Parisien. Bilan : 36 000 tracts à peine distribués, qu’il faut déjà les réimprimer et un accueil plutôt bon. « Les Français ne veulent pas de cette réforme injuste et la réaction des voyageurs est très bonne », se réjouit Jean-Christophe Delprat, de FO-RATP, toujours auprès du Parisien.

Journée à la campagne pour les têtes des syndicats

Philippe Martinez secrétaire général de la CGT, Frédéric Souillot, patron de FO, Benoît Teste, à la tête de la FSU… et la liste est encore longue. Les huiles du syndicalisme français, tous syndicats confondus, étaient réunies ce jeudi 2 mars à La Ricamarie, commune de 8000 habitants, à la demande de l’intersyndicale de la Loire. Une occasion de réaffirmer que le mouvement contre la réforme des retraites est fortement implanté dans les petites et moyennes communes. Et que la bataille du blocage de la France s’y jouera aussi.

Deux fédérations CGT de plus entrent en reconductible

La CGT construction bois et ameublement, ainsi que celle du commerce rejoignent la liste des fédérations CGT qui appellent les salariés à la grève reconductible à partir du 7 mars. Pour rappel, la FNME-CGT (énergie), la FNIC-CGT (chimie), la fédération CGT du verre et de la céramique, la fédération CGT des ports et docks, ainsi que la CGT-cheminots ont déjà exprimé leur volonté de rentrer en grève reconductible à partir de cette date. Les fédérations CGT ne sont pas les seules à avoir lancé ce type d’appel. On peut par exemple y ajouter l’ensemble des fédérations cheminotes représentatives.

La blague (d’)Olivier Dussopt

C’est un gag qui n’en finit plus de durer. Après avoir longtemps zigzagué entre les arguments et les chiffres, Olivier Dussopt, ministre du travail, avoue finalement : avec sa réforme, seuls 10 000 à 20 000 retraités pourront bénéficier d’une revalorisation de leur pension de manière à atteindre 1200€. Rappelons que le ministre avait précédemment annoncés, à la louche, le chiffre, déjà très bas, de 40 000 bénéficiaire. Olivier Dussopt devrait le savoir : les plaisanteries les plus courtes sont souvent les meilleurs.


 


 

Cinq fédérations CGT s’allient pour lancer la grève reconductible

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 2 mars, cinq fédérations de la CGT, très actives depuis le début de la bataille contre la réforme des retraites, livraient leur stratégie. Au programme : grève reconductible, blocage et actions ciblées pour porter un coup décisif au projet du gouvernement.

 Ce jeudi 2 mars, le patio du siège de la CGT, à Montreuil, résonne de chants militants. Quelques jours avant une journée de mobilisation que beaucoup espèrent encore plus massive que celle du 31 janvier, plusieurs centaines d’élus de la CGT sont venus exprimer leur détermination à poursuivre la lutte. En face d’eux se trouvent les secrétaires de cinq fédérations très mobilisées dans le mouvement (Mine-Énergie, Ports et Docks, Cheminots, Industries Chimiques et Verre-Céramique) qui pour l’occasion apparaissent comme la direction de la CGT pour la grève reconductible. Et ce, à trois semaines du prochain congrès de la CGT où ces mêmes fédérations vont vivement s’opposer à la ligne défendue par Philippe Martinez et la direction confédérale.

« Grève Générale ! » appellent en chœur les militants, avant d’être interrompus par Laurent Brun, le secrétaire national des cheminots : « Les manifestations ont été massives, mais le gouvernement maintient son projet. Les salariés ont un levier supplémentaire par rapport aux citoyens : ils peuvent cesser le travail », annonce-t-il en guise de prémisse. Si l’intersyndicale a dores et déjà appelé à « mettre la France à l’arrêt », ces cinq fédérations cégétistes entendent préparer l’étape suivante : la grève reconductible.

L’union fait la force de la grève reconductible

« On a conscience que ce qu’il manquait en 2019, c’était la coordination. Nos fédérations rassemblées ont décidé d’agir et d’unir leurs forces », assure Sébastien Menesplier, à la tête de la fédération Mine-Énergie, quelques dizaines de minutes plus tard, lors d’une conférence de presse. Deux nouvelles fédérations devraient bientôt rejoindre le quintet : la CGT Commerce et la fédération de la Construction, du Bois et de l’Ameublement.

En soi, la coordination entre ces cinq fédérations de la CGT n’est pas une surprise. Elles ont déjà eu l’occasion de nouer des contacts depuis le début de la mobilisation, et ont plusieurs fois appelé en chœur à des grèves de plusieurs jours. Mais cette rencontre a le mérite de clarifier la stratégie des différents secteurs, à l’approche d’une date vitale pour la suite du mouvement.

Chez les dockers, la partie paraît déjà jouée d’avance. « Nous appelons à un arrêt de travail de 48 heures les 7 et 8 mars. Et le 8 mars, une action ” ports morts “, c’est-à-dire un blocage de toutes les entrées du port pour qu’aucune activité ne puisse y avoir lieu au-delà même de notre secteur », explique Tony Hautbois, le secrétaire national de la fédération, devant des syndiqués ravis. Après avoir souligné l’exemplaire représentativité de son secteur – 80 % chez les portuaires, 90 % chez les dockers -, il s’enorgueillit : « grâce à notre discipline d’organisation, nous pouvons mettre 90 % de l’activité portuaire à l’arrêt ».

Une étape de franchie

À la fédération Mine-Énergie, on promet une « semaine noire ». « Ce matin, les secrétaires généraux ont décidé de passer un cap », explique Sébastien Menesplier. Au programme : « reprise en main de l’outil de production », coupures ciblées, occupations de sites, blocages, opération « Robin des Bois », et surtout une grève reconductible. Au soir du 16 février, les énergéticiens de la CGT appelaient déjà à une « grève reconductible jusqu’au 7 mars », assurant qu’elle avait déjà commencé depuis le premier jour de la mobilisation. En réalité, si les actions se sont multipliées un peu partout en France et que des grèves tournantes ont été mises en places dans certaines entreprises de l’énergie, la grève ne s’est pas encore durablement installée sur tous les lieux de travail.

« Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’il y a une montée d’un cran de la mobilisation avec des actions qui jusque-là n’avaient pas encore été appelées puisque l’on attendait de voir où menaient les grèves et les manifestations », explicite Sébastien Menesplier. Faute de réaction de la part du gouvernement, la mobilisation devrait donc prendre une nouvelle forme chez les énergéticiens. Pour que la grève dure longtemps, Sébastien Menesplier prône la ruse. « Huit heures par jour, c’est compliqué. La grève reconductible s’organise selon les milieux avec des modalités qui permettent que ça coûte le moins cher possible », explique-t-il en évoquant des possibles débrayages de quelques heures. Objectif : le maximum d’impact, le minimum de perte de salaire et une grève qui dure dans le temps.

Des journées massives de grève pourraient également avoir lieu chez les cheminots. Cette fois, l’unité se fera entre les quatre syndicats représentatifs de la SNCF. Peu d’inquiétude aussi dans la chimie, le verre et la céramique. Emmanuel Lépine, à la tête de la CGT Industrie chimique, rappelle l’objectif : « mettre à genoux l’économie française ».

Une mobilisation qui s’étend ?

Derrière une motivation qui paraît inébranlable, Laurent Brun le confesse : « c’est quand même un sujet dans l’esprit des camarades : la peur d’être seul ». En 2019, la grève paraissait surtout portée par certains secteurs, ce qui avait rendu amers certains grévistes pourtant déterminés. Malgré tout, le secrétaire national des cheminots se veut rassurant : « on craint beaucoup moins la grève par procuration, car on voit que la mobilisation est plus massive. Et on s’organise pour que ça n’ait pas lieu ! ».

« On a conscience qu’on est dans des champs structurants de l’économie française, assure Emmanuel Lépine. S’il y a une grève dans nos secteurs, il y aura un impact et un effet d’entrainement ». Tous espèrent ainsi que leur mobilisation saura inspirer les salariés exerçant des professions précaires, ou peu enclines à des grèves longues et massives.

Pour Laurent Brun, les signes positifs ne manquent pas. « Il y a eu des mobilisations très importantes. Mais il n’y a pas 2 millions de syndiqués chevronnés. Certains pensaient que le nombre suffirait. Maintenant, les salariés ont compris que la carte démocratique, on pouvait la rentrer », abonde-t-il. « D’habitude, le vote d’une loi pèse sur les salariés lors d’un mouvement social, surtout les moins politisés. Or, ici, le vote de la loi à l’Assemblée Nationale n’a eu strictement aucun effet sur le niveau de mobilisation : on annonce la plus grosse journée le 7 mars ! ».

Loin de se jouer dans le théâtre parlementaire, la lutte aura davantage lieu dans la rue et les lieux de travail, assurent-ils en chœur. « Le vote d’une loi, ce n’est pas notre sujet. On veut imposer un rapport de force pour justement ne pas dépendre de ce vote », souligne Laurent Brun. De son côté, Sébastien Mesnesplier fixe un cap : « peu importe la suite, commission mixte paritaire ou retour à l’assemblée, adoption de la loi par le Sénat ou pas, on continuera jusqu’à ce qu’on gagne ».

   publié le 2 mars 2023

 

 

La lutte contre la réforme des retraites prépare son coup de jeune

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

À Lyon, les organisations et syndicats multiplient les initiatives pour que la jeunesse, majoritairement contre le projet de l’exécutif, descende dans la rue les 7, 8 et 9 mars. Reportage à Lyon (Rhône), envoyé spécial.

Titrés « Contre la réforme des retraites, manifestation le 7 mars ! », les tracts passent de main en main. Ce mercredi 22 février, Lucas effectue une distribution devant l’entrée du restaurant universitaire de la rue Pasteur, à Lyon. Accompagné de deux de ses camarades, le responsable du secteur de l’Union des étudiants communistes (UEC) entend convaincre les jeunes de se mobiliser contre le projet d’Élisabeth Borne. « Je suis chaud », assure Armand, au milieu de la foule.

« La retraite me paraît trop loin »

Cet étudiant en biotechnologie ne s’est, pour l’heure, rendu à aucune manifestation depuis le début du mouvement social. « La retraite me paraît trop loin et aucun de mes amis ne m’a poussé à manifester », argue-t-il. La donne pourrait changer : « Le 7 mars ? Je pense quand même venir, aussi bien pour la retraite que pour le repas à 1 euro au Crous », proposition de loi récemment repoussée par les macronistes à l’Assemblée.

Dans l’ombre de l’intersyndicale, les organisations de jeunesse battent tout autant le rappel pour amplifier le mouvement de protestation contre la réforme des retraites. À l’unisson de tous les syndicats de travailleurs, elles ont coché les dates du 7 et du 8 mars pour mettre la France « à l’arrêt », avec la perspective de grèves reconductibles dans de nombreux secteurs, puis pour faire de la Journée internationale des droits des femmes la grande date de lutte contre les régressions sociales qu’imposerait aux femmes le projet de loi sur les retraites.

Le 9 mars, journée de la jeunesse contre la réforme

À ces deux temps forts s’ajoute le 9 mars, en passe de devenir la journée de la jeunesse contre la réforme gouvernementale, sous l’impulsion de l’Unef, Alternative, la Fage, la Voix lycéenne et des organisations de jeunes communistes, socialistes, insoumis et écologistes.

L’enjeu n’est pas mince. Selon un sondage Ifop, 77 % des 18-24 ans soutiennent la mobilisation du 7 mars. Mais ceux-ci ne sont pas encore vraiment entrés dans la bataille comme lors des grands mouvements lycéens et étudiants du CPE en 2006 ou contre la loi travail sous François Hollande.

Preuve en est, le 31 janvier. Alors que la CGT ne dénombrait pas moins de 2,8 millions de manifestants à travers la France, l’Unef ne comptabilisait que 180 000 jeunes dans les cortèges. Et en dehors de ces temps forts intersyndicaux, tout au plus quelques blocages assez marginaux ont eu lieu à Rennes-II ou encore à Toulouse.

Par rapport à 2019, les AG sont faibles, il y a moins d’étudiants dans la bataille

À Lyon, ce mercredi, une poignée d’étudiants, en dehors de l’assemblée générale (AG) des étudiants, a bloqué le campus de Bron de l’université Lyon-II, classée à gauche. Une initiative similaire avait déjà eu lieu, lundi 20 février, jour de la rentrée universitaire. Sam était sur place, venu prêter main-forte, en fin de matinée. « Par rapport à la précédente réforme en 2019, les AG sont faibles. Il y a moins d’étudiants dans la bataille, mesure ce militant à l’Unef de la tendance Tacle, proche du NPA. Le Covid a fait perdre des réflexes dans l’organisation des luttes. Le principal enjeu reste de convaincre les jeunes que la victoire est possible. »

Lucas, le responsable de l’UEC, dresse un constat similaire : « Les étudiants ne se sentent pas légitimes à venir en AG, car ils ont l’idée qu’il faut être militant pour y participer. Au contraire, les réunions publiques sont plus attractives, le format est plus ouvert. » Voilà pourquoi « l’interorga » de jeunesse de Lyon a convenu de tenir une réunion d’ici le 7 mars.

Les jeunes et étudiants communistes n’en restent pas là. Mardi 21 février, un porte-à-porte dans une cité universitaire était au programme. Au troisième étage de la résidence André-Lirondelle, Charles ouvre la sienne. Étudiant en langue étrangère appliquée à Lyon-III, il se déclare « contre la réforme. Le gouvernement use de stratagèmes fallacieux pour la faire adopter. J’ai découvert l’existence de l’article 47.1 qui permet un débat accéléré ». 

« Nous n’échapperons pas au débat sur le partage des richesses »

L’étudiant s’informe via Twitch. Cette plateforme vidéo permet à des streamers ou des personnalités de produire des contenus en direct. « Dans un stream, Jimmy2Fois avait invité Heu ? reka, qui vulgarise l’économie. C’était convaincant », explique Charles, qui y a appris que « la réforme n’est pas nécessaire, parce que la productivité est meilleure en France que lors des Trente Glorieuses. Nous n’échapperons pas au débat sur le partage des richesses ». Pour autant, l’étudiant n’a jamais manifesté, ni participé à une réunion publique : « Ni au lycée avec les gilets jaunes, ni aujourd’hui. »

À l’étage du bas, Cliou, en troisième année de licence d’histoire, commence, elle, tout juste à s’intéresser au débat sur les retraites. Consciente des inégalités que celle-ci engendrerait, l’historienne s’est déjà jointe à des cortèges féministes, le 8 mars, ou lors des marches pour le climat. Mais elle « ne se voit pas louper des cours pour aller manifester, étant opposée aux actions violentes ». 

Lucas, responsable de l’UEC, décrypte cet autre élément qui explique les difficultés des organisations de jeunesse à mobiliser, « la propagande d’État », pour discréditer le mouvement social. « Quand le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin dit que nous voulons bordéliser le pays ou que les facs seraient en proie à une invasion d’islamo-gauchistes, nous passons pour des extrémistes », déplore-t-il.

«  Ma génération ne se projette pas sur le long terme à cause des bouleversements énormes sur le climat et l’économie que nous allons vivre  »

Dangereuses, les manifestations sociales ? « Avec les gilets jaunes, il y a eu beaucoup de violence venant des manifestants et surtout des policiers. Les vidéos ont fait des millions de vues chez les jeunes. Si bien que la manifestation est devenue un danger dans beaucoup de têtes », rétorque Sacha, étudiant et militant à SOS Racisme, présent avec son pote Théo dans un ciné-bar associatif de la Croix-Rousse, lors d’une projection de la Sociale, film qui retrace l’histoire de la création de la Sécurité sociale, avec son régime général de retraite par répartition, sous l’impulsion du ministre communiste Ambroise Croizat. 

Les deux amis se sont rendus dans les cortèges depuis le début de la contestation. « Mais ma génération ne se projette pas sur le long terme à cause des bouleversements énormes sur le climat et l’économie que nous allons vivre, mesure Théo. C’est un paradoxe : le capitalisme s’essouffle, mais les jeunes se disent qu’on ne peut rien faire face à la loi du marché. » Sam, le militant Unef, tempère : « Nous ne sommes pas sûrs de gagner, mais ce mouvement est intéressant pour la suite car les liens de solidarité chez les étudiants et chez les travailleurs se sont recréés. »

Un quart des jeunes qui ont voté ont choisi Marine Le Pen

Autre endroit, autre jeunesse, autre ambiance. Posé à la terrasse d’un café à proximité du site de la Manufacture des tabacs de Lyon-III, classée à droite, Alex attend son prochain cours. « La réforme ? Je suis contre. Le président du Conseil d’orientation des retraites assure lui-même qu’il n’y a pas de problème de dépenses dans les années à venir, rappelle l’étudiant en écogestion. D’autant que le climat social, avec l’inflation, est tendu. Faire passer cette réforme maintenant est difficilement compréhensible. »

Le discours est construit et argumenté. De-là à se rendre dans un cortège syndical ? « Certainement pas ! » assène-t-il. Car, à la présidentielle, Alex a glissé un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. « C’est culotté pour les syndicats de manifester aujourd’hui, alors qu’ils avaient la possibilité, il y a un an, de battre Macron », conclut-il. Ce faisant, il oublie que les députés du RN ont brillé par leur absence lors des débats à l’Assemblée et que le projet de l’extrême droite ne prévoit pas de retour à un âge de départ à 60 ans. Mais Alex n’est pas un cas isolé. Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria, si 31 % des 18-24 ans ont voté Jean-Luc Mélenchon, le quart d’entre eux a choisi Marine Le Pen.

« À la fac, seul un petit pourcentage d’étudiants est politisé. La notion de lutte des classes n’est pas évidente pour tous, il faut l’expliquer avec de la pédagogie, ce qu’elle signifie à travers cette réforme », nuance Lucas, le responsable de l’UEC. À Lyon, la jeunesse communiste a par ailleurs recruté une quinzaine de nouveaux membres lors des journées de mobilisation. Ils sont 700 nationalement. Tous sur le pont les 7, 8 et 9 mars, journées décisives pour obtenir le retrait de la réforme… dans la rue.


 


 

« Le blocage, c’est le seul moyen qu’on a de se faire entendre » : les lycéens dans la bataille des retraites

par Guillaume Bernard sur https://basta.media/

À la faveur du mouvement social contre la réforme des retraites, les syndicats lycéens retrouvent du poil de la bête. Mais c’est quoi, au juste, un syndicat lycéen ? Quelles sont leurs activités et quel est leur poids ? Réponses.

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Rapports de force.

« Les travailleurs, les chômeurs, les étudiants, les lycéens, tout le monde est d’accord pour dire que cette réforme est injuste et injustifiée. » Debout, devant les poubelles qui bloquent le lycée Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris, Manès Nadel répond du tac au tac aux questions de BFMTV.

En ce 31 janvier 2023, journée de manifestation record contre la réforme des retraites, son syndicat, la Voix lycéenne (VL), a décidé d’appeler au blocage des établissements scolaires. Ce jour-là, le jeune homme de 15 ans scolarisé en seconde générale au lycée parisien Buffon fait clairement le buzz : sa prise de parole est reprise en masse sur les réseaux sociaux et d’autres médias lui tendent désormais le micro. « L’interview de BFMTV a permis de faire connaître la VL, nous avons reçu des demandes d’adhésion par la suite », se réjouit Manès Nadel.

Son succès n’est pas simplement dû au contraste, particulièrement télégénique, entre son visage quasi poupon et son élocution parfaitement maîtrisée. Si la vidéo fait le tour de France, c’est aussi parce qu’elle marque le retour à l’écran du syndicaliste lycéen. Depuis Louis Boyard (ex-syndicaliste à l’Union nationale lycéenne (UNL), ancêtre de la VL) cette figure se faisait particulièrement rare dans les médias. En 2023, à la faveur d’un nouveau mouvement social contre la réforme des retraites, la séquence de deux minutes pendant laquelle Manès Nadel s’exprime, rappelle que les lycéens ont des idées et peuvent s’organiser en syndicats pour les faire entendre.

Pourtant, s’ils possèdent le privilège d’incarner une parole lycéenne revendicative dans les médias, il reste difficile de mesurer le poids de ces syndicats, savoir comment ils fonctionnent et tentent de mobiliser la jeunesse.

Associations ou syndicats lycéens ?

Qu’est-ce qu’un syndicat lycéen ? Précision d’importance : sur le plan juridique, il n’existe pas de syndicats lycéens, ni même étudiants. Le terme de « syndicat » n’est réservé qu’aux structures professionnelles. En revanche, différentes organisations lycéennes, constituées en associations, revendiquent le nom de syndicat.

Elles adoptent les codes de ces derniers, prônent la défense des intérêts des lycéens et tentent de se structurer sur le modèle des syndicats professionnels en constituant des fédérations départementales et des directions nationales. Elles expriment aussi leur position lorsque des réformes majeures sont annoncées. Les dernières en date : Parcoursup, le Service national universel (SNU), le nouveau baccalauréat et bien sûr les réformes des retraites de 2019 et 2023.

Autres particularités du syndicalisme lycéen : il est cantonné à un rôle purement consultatif et la courte durée de la scolarité lycéenne (trois ans) implique un renouvellement constant des effectifs. Ces syndicats conservent donc des liens avec d’anciens membres, bien souvent devenus étudiants, comme le précise un rapport de 2021 du ministère de l’Éducation nationale sur le fonctionnement de ces associations.

Enfin, la plupart des syndicats lycéens proposent des adhésions gratuites et tirent la majeure partie de leurs financements de dotation du ministère de l’Éducation nationale. Le même rapport indique toutefois des défaillances dans la gestion financière de la plupart de ses syndicats.

La Voix lycéenne, premier syndicat ?

À l’heure actuelle, trois associations lycéennes revendiquent le nom de syndicat et une influence nationale : la Voix lycéenne (VL), la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) et le Mouvement national lycéen (MNL). Tous trois sont opposés à la réforme des retraites. Historiquement, ces trois syndicats lycéens sont classés à gauche, notamment du fait de leur proximité avec le Parti socialiste. À la suite de la perte d’influence de ce dernier, ces liens se sont fortement distendus.

La VL se revendique premier syndicat lycéen de France. « Nous avons 45 fédérations et nous devons être 20 à 25 personnes par fédération. Sur Discord, on doit être 2500. Donc, oui je pense que je suis habilité à dire qu’on est le premier syndicat lycéen », détaille Manès Nadel, secrétaire fédéral à Paris. L’affirmation demeure toutefois difficile à vérifier, comme l’indique le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. La VL est issue d’une refondation de l’UNL en 2021, après un placement en redressement judiciaire de l’association alors criblée de dettes.

Fondée en 1994, l’UNL fait ses armes lors de la bataille – victorieuse – contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP). À sa naissance, elle est proche du Parti socialiste et du syndicat étudiant de l’Unef (Union nationale des étudiants de France). Un de ses premiers secrétaires généraux, Michaël Delafosse, est d’ailleurs aujourd’hui maire (PS) de Montpellier. « L’UNL de 2020 n’avait plus grand-chose à voir avec celle de 1994. On est satisfaits de ne plus être proches du PS », explique un ancien secrétaire général de l’Unef souhaitant rester anonyme.

Depuis le mandat de Louis Boyard, ex-secrétaire général de l’UNL, devenu député France insoumise (LFI), la question du lien entre le syndicat lycéen et le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon se pose. « Il n’y a pas de mainmise de LFI sur la Voix lycéenne », soutient Manès Nadel. Quant à savoir si les jeunes membres de la LFI sont surreprésentés parmi les effectifs du syndicat : « Il y a évidemment des militants de la VL qui sont dans des partis politiques. Oui, à LFI, mais aussi au PS, chez EELV ou encore dans la frange radicale du NPA », assure Manès Nadel.

La FIDL, syndicat le plus ancien

Si la VL est le syndicat lycéen le plus visible, la FIDL est en revanche le plus ancien, créé en 1987 par des lycéens proches de SOS Racisme et du Parti socialiste. Une relation qui a d’ailleurs causé de nombreux torts au syndicat lycéen. Le dernier en date : en 2018, les militants de la FIDL accusent SOS Racisme d’ingérence et leur reprochent d’avoir eux-mêmes décidé qui serait placé à la tête de la FIDL.

Arrivés après ces événements, les militants de la FIDL que nous avons interrogés parlent d’un renouveau de leur syndicat ces dernières années. « On refait surface depuis deux ans », explique Gwenn Thomas-Alves, secrétaire fédéral de la FIDL dans le Val-de-Marne (94) et élève de terminal au lycée Jean-Macé de Vitry-sur-Seine. Le syndicat revendique aujourd’hui 500 membres actifs. « On a un conseil national de la FIDL dans trois mois », précise Angelo, élève de seconde en lycée professionnel à Tours et membre de l’organisation.

Précision importante, qui distingue les militants de la FIDL de leurs homologues de la VL et du MNL : ces derniers fournissent des prestations de sensibilisation auprès des collectivités territoriales, notamment contre le racisme ou les LGBTphobies. « Comme on ne touche plus de subvention du ministère, il nous arrive d’aller chercher des financements auprès des mairies », explique Gwen Thomas-Alves. Parfois, ces prestations sont faites aux côtés d’autres associations, comme SOS Racisme.

Le MNL : les syndicats lycéens doivent être des « outils »

De son côté, le MNL est issu d’une scission de l’UNL survenue en 2016 à la suite « de problèmes de démocratie interne », explique Charlotte Moisan, secrétaire générale du MNL. Il se distingue par l’affirmation de son caractère révolutionnaire. « Le MNL est un outil, pas une fin en soi », soutient Charlotte Moisan, également élève en classe de première au lycée parisien Janson-de-Sailly (16e arrondissement de Paris).

« On pense qu’un réel changement de société ne peut passer que par la lutte dans la rue. Notre syndicat n’est proche d’aucun parti politique et se revendique de la charte d’Amiens (texte fondamental du syndicalisme révolutionnaire, ndlr). Il nous arrive aussi de travailler avec l’union nationale Solidaires », détaille la lycéenne. Le syndicat MNL revendique 70 à 80 fédérations. « On est bien représentés à Angers, dans l’Isère, dans le Tarn-et-Garonne… », égrène Charlotte Moisan.

Blocages des lycées

À quoi sert un syndicat lycéen ? Malgré des histoires différentes, les trois syndicats lycéens précédemment cités sont d’accord sur une chose : « Le blocage d’un lycée, c’est le seul moyen qu’on a de se faire entendre », résume Angelo de la FIDL.

Pourtant, les blocages ont la vie dure depuis le début du premier mandat d’Emmanuel Macron et les réformes de l’ancien ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer. On se rappelle les lycéens de Mantes-la-Jolie, mis à genoux par la police en 2018. Outre cette séquence largement médiatisée, le recours à la police pour débloquer un lycée n’est plus chose rare, la mise en garde à vue de lycéens et les blessures infligées par des tirs de LBD non plus.

« Depuis le mouvement lycéen de décembre 2018, on a constaté une explosion des violences policières. C’est une caractéristique du gouvernement Macron », déclarait Élie Saget, ex-vice-président de l’UNL auprès de Rapports de Force en 2021.

Malgré un mouvement puissant contre la réforme des retraites cette année, les blocages de lycées sont encore loin d’être massifs. Le 31 janvier, la Voix lycéenne annonce 200 lycées bloqués le matin (dont 30 à Paris) et 300 lycéens mobilisés, de son côté l’Éducation nationale annonçait 11 lycées bloqués. Même en prenant en compte le chiffre syndical, le nombre de lycées en lutte demeure relativement faible comparativement aux 3750 lycées que compte le territoire français.

Qui bloque ?

En outre, les blocages de lycées sont loin d’être tous causés par l’action de syndicalistes lycéens. « À Paris, les blocages se passent la plupart du temps sans les syndicats. Les lycées ont des traditions de lutte autonomes », explique Charlotte Moisan du MNL. Certains de ces lycéens s’organisent au sein de la Clap (Coordination lycéenne autonome de Paname) et viennent en renfort sur des actions de blocage. De nombreux blocages surviennent également de manière spontanée, sans qu’une quelconque organisation soit à la manœuvre.

« Évidemment, il faut bloquer pour se faire entendre et nous soutenons toutes les initiatives de blocages. Mais il faut aussi s’interroger sur la pertinence de bloquer un établissement sans y organiser d’assemblée générale ni faire de travail préparatoire en tractant, en expliquant pourquoi on veut bloquer. Sans AG, c’est difficile d’avoir des blocus qui tiennent plusieurs jours. Et on peut aussi avoir des blocus qui se passent mal », nuance de son côté Manès Nadel, de la VL.

Agir dans les établissements

Le syndicalisme lycéen ne se limite pas à la question du blocage. « J’ai rejoint la FIDL parce que je souhaitais avant tout m’engager dans mon lycée. J’ai d’abord été élu au conseil de la vie lycéenne, explique Angelo de Tours. Je souhaitais mener des projets pour améliorer le quotidien des lycéens : organiser le bal de fin d’année, prévoir des journées thématiques comme celle du droit des femmes. Mon but, c’est que le lycée ne soit pas seulement un endroit où on passe avant de rentrer chez soi. Ensuite, je me suis présenté au conseil académique de la vie lycéenne. C’est par ce biais que j’ai rencontré la FIDL. »

Gwen Thomas-Alves, de la FIDL 94, est lui aussi venu au syndicalisme pour agir dans son établissement. « J’étais membre du conseil de vie lycéenne et on voulait absolument faire rénover les toilettes de mon lycée, qui étaient dans un état lamentable. On a fait des lettres à la région Île-de-France, sans succès. C’est là que je me suis dit que j’aurais peut-être plus de poids en rejoignant un syndicat ».

Du côté du MNL : « En plus de mener des batailles nationales, nous aidons les lycéens dans leurs établissements. Ils et elles peuvent se rapprocher de nos fédérations locales. Nous sommes particulièrement actifs sur la question des élèves visés par des obligations de quitter le territoire français », expose Charlotte Moisan.

Jouer le jeu institutionnel

« On a l’habitude de dire qu’on est un syndicat qui marche sur deux jambes, un pied dans les instances, un pied dans la rue », explique un ancien secrétaire général de l’UNL.

Conseil de la vie lycéenne à l’échelle des lycées, conseil académique de la vie lycéenne pour les académies, Conseil national de la vie lycéenne et Conseil supérieur de l’éducation (CSE) à l’échelon national, les syndicats lycéens doivent se faire représenter au sein de ces instances s’ils veulent obtenir un cadre formel de dialogue avec la hiérarchie de l’Éducation nationale. Leur niveau de représentativité au sein de ces dernières leur permet également d’espérer obtenir davantage de financements du ministère. Pour mieux y parvenir aux prochaines élections du CSE 2023 , la VL, la FIDL et le MNL ont d’ailleurs déposé, pour la première fois, une liste commune.

« Mais le problème qu’on soulève de longue date c’est : “pourquoi n’y a-t-il aucune instance lycéenne décisionnaire ?” À ce qu’on sache, ce sont bien les lycéens qui sont les plus nombreux dans les lycées », souligne le même ancien secrétaire général de l’UNL.

Qui a peur du syndicalisme lycéen ?

Malgré ce rôle strictement consultatif, et un niveau de développement relativement bas, le syndicalisme lycéen est surveillé comme le lait sur le feu par le ministère de l’Éducation nationale. La preuve la plus éclatante de cela reste l’affaire dite « Avenir lycéen », du nom d’un syndicat lycéen monté de toute pièce en 2018 par le numéro 2 du ministère de l’Éducation nationale.

Fin 2020, Libération révélait que l’entourage de Jean-Michel Blanquer avait largement contribué à la création de cette association « pour servir la communication du ministre, et surtout rompre tout dialogue avec les syndicats lycéens » opposés à ses réformes, notamment celle du bac. L’argent confié aux membres d’Avenir lycéen avait par la suite été dilapidé en frais de bouche ou avait tout simplement disparu des radars, poussant le parquet à ouvrir une enquête pour détournement de biens publics.

Refondée sous la forme du collectif « Les lycéens ! », l’association lycéenne aux idées proche du gouvernement n’est toutefois pas tout à fait un échec. Elle a réussi à occuper deux des quatre postes au CSE lors des élections d’avril 2021, réalisant son objectif d’évincer des syndicats historiques de cette instance. Dans la foulée, le collectif est devenu une association nommée « Nous lycéens ».

On peut en revanche douter que ce syndicat maison parvienne à atteindre son autre objectif : mettre fin à la contestation des réformes et aux blocages des établissements scolaires. « On n’a jamais vu un membre de ce soi-disant syndicat tracter contre le blocage d’un lycée, ça n’existe pas ! Ce sont nos idées qui sont majoritaires », assure Manès Nadel. Son syndicat appelle d’ailleurs à une grande journée de mobilisation de la jeunesse le 9 mars, en plein dans une séquence de grèves interprofessionnelles qui démarrent le 7 mars et pourraient être reconductibles.

publié le 1° mars 2023

Objectif 7 mars !

Par Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

L'intersyndicale veut mettre "la France à l'arrêt" le 7 mars prochain.

Alors qu’Emmanuel Macron entame une tournée africaine en annonçant vouloir faire du neuf tout en activant les vieilles recettes de la Françafrique – s’adapter pour perdurer, en somme –, l’explosif projet de loi sur les retraites est désormais en discussion au Sénat. Entre vacances et rentrée scolaire, le pays, en état d’extrême tension, semble comme suspendu dans l’attente des jours prochains, à la manière d’une sorte de « trêve » durant laquelle chacun retient son souffle pour mieux préparer le retour de la grande bataille. Une date occupe déjà tous les esprits : le 7 mars.

Ce jour-là, les mobilisations devraient prendre une tout autre forme et sans doute s’installer dans la durée. Des transports au secteur de l’énergie (raffineurs, EDF, etc.), la volonté de « bloquer le pays » n’est pas qu’un affichage, mais bien une réalité sous la forme de grèves reconductibles, d’ores et déjà annoncées çà et là. Ainsi, à la SNCF, l’ensemble des syndicats appellent à l’action dès le 7 mars. Nous connaissions la position de la CGT cheminots et de SUD rail. L’Unsa ferroviaire et la CFDT attendaient de consulter leurs adhérents. Les résultats de « la base » sont sans appel : plus de 80 % d’avis favorables ! Tous les cheminots rejoignent donc les grévistes de la RATP, qui avaient déjà annoncé, mi-février, participer au durcissement du combat.

Rien n’est écrit à l’avance. Mais l’affaire risque de se compliquer pour le couple Macron-Borne. D’autant que les sondages ne montrent aucun essoufflement, bien au contraire. Dans la dernière livraison de l’Ifop, seules 10 % des personnes interrogées se déclaraient « tout à fait favorables » à la réforme. Du jamais-vu ! L’exécutif a définitivement perdu la bataille de l’opinion. L’ampleur du mouvement de contestation nous prouve par ailleurs que la lutte sociale, quand elle redevient centrale, modifie le paysage et instaure en profondeur un nouveau rapport de forces. Toucher aux retraites a joué en point d’accroche, révélant une colère fondamentale et légitime : l’inaltérable exigence d’égalité, celle qui secoue les citoyens et élève les consciences. À rebours de l’histoire, Macron et ses premiers de cordée ont osé envoyer un message mortifère aux générations futures : « Après nous, le déluge ! » Le rejet des Français est à la hauteur de ce mépris.


 


 

Retraites : selon Olivier Dussopt, le ministre du Travail est un menteur

Par Loïc Le Clerc sur www.regards.fr

Combien de retraités vont voir leur pension atteindre les 1200€ grâce à sa réforme ? Plus on pose la question à Olivier Dussopt, moins ils sont nombreux.

Olivier Dussopt se pavanait, le 15 février, sur France Inter : « Quand on me dit combien grâce à cette réforme vont passer le cap des 85% du Smic ? On a une prévision, elle m’est arrivée hier soir : 40 000 personnes de plus chaque année ».

Le 23 février, dans un courrier adressé au député socialiste Jérôme Guedj, ce même Olivier Dussopt écrit : « À la suite de votre sollicitation, un chiffrage complémentaire estimant le nombre de nouveaux retraités franchissant le seuil des 1200€ par le seul fait de la hausse des minima de pension vous a été transmis par la Direction de la Sécurité sociale. Les services estiment, selon les générations, qu’entre 10 000 et 20 000 personnes franchiront le seuil des 1200€ par cette seule mesure. »

Soit « 1,2% à 2,5% des retraités », commente Jérôme Guedj. Ou pour prendre le problème à l’envers, « 4,75 millions de nos retraités devront encore vivre avec moins de 1200 euros », note la députée communiste Elsa Faucillon.

Mais revenons à Jérôme Guedj. Celui-ci est parti d’un constat simple : Olivier Dussopt est un vilain menteur. Encore faut-il le prouver. Usant de son statut de vice-président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, Jérôme Guedj s’est donc rendu à la Sécu, mais aussi à Matignon et au ministère du Travail. Il y a obtenu plusieurs documents et a tout simplement posé des questions au ministre Dussopt, lequel s’est vexé, arguant qu’il n’avait pas de comptes à rendre à quelqu’un qui « perd les pédales ». Son camarade Franck Riester est allé jusqu’à crier à la « délation ». Ce n’est pas la honte qui les étouffe.

Voilà comment, parce que l’opposition a encore quelque pouvoir, on se retrouve avec un ministre du Travail se dédisant publiquement.

Le ministre avait donc menti mi-février. Mentir, ça s’écrit « revoir à la baisse » dans Le Monde ou Libération, et « reconnaître son erreur » sur BFMTV. Pudeurs de gazelle ou excès de zèle ?

Car, si le gouvernement s’amuse à tordre la vérité sur une des mesures phares de sa réforme, qu’en est-il du reste ? Que penser de l’explication d’Emmanuel Macron en personne, le week-end dernier au Salon de l’agriculture, qui n’a fait que nous prouver qu’il ne comprend rien à sa propre réforme ?

Que penser du fait que « les fameux "1200 euros", brut, ne constitueraient plus un "minimum" pour tous, mais pour les seuls pensionnés justifiant d’une carrière complète, à taux plein, sur la base d’un salaire équivalent au Smic », sachant que nous avons déjà vu que ce type de carrière n’existe quasiment pas !

Relisons ce qu’écrivait ici-même (le 16 janvier !) notre chroniqueur éco Bernard Marx : « Une carrière complète de 42 ans intégralement payée au Smic, c’est pratiquement introuvable. Dans son rapport annuel de 2018, le très officiel groupe d’experts sur le Smic a été regarder de plus près les trajectoires salariales au voisinage du Smic entre 1995 et 2015 : sur 2,5 millions de personnes observées, "seules 48 ont passé les 21 années d’observation avec une rémunération inférieure à 1,1 fois le salaire minimum". »

« On va continuer les investigations », a tweeté Jérôme Guedj. D’ici là, on peut toujours désespérer que le mensonges d’un ministre fasse moins causer les commentateurs que son portrait dans Le Monde, portrait où l’on apprend surtout qu’Olivier Dussopt « se lève à 5h15, enchaîne cinquante pompes et autant d’abdominaux avant 6h30 [soit moins d’une pompe et d’un abdo par minute en moyenne, ndlr], suit un régime protéiné à base de steaks tartares. » Voilà donc le régime avec lequel la Macronie fonce tête baissée, à droite toute.

   publié le 28 février 2023

Un blocage populaire
le 7 mars

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Un soutien exceptionnel au blocage

 Selon un sondage IFOP publié ce jeudi, 67 % des Français estiment justifié l’appel à bloquer le pays le 7 mars. Ils sont même 40 % à trouver cette proposition de mettre « la France à l’arrêt » tout à fait justifiée. Un niveau rarement atteint pour un appel à durcir le mouvement. Et un soutien encore supérieur chez les femmes (69%), les actifs (75%), les salariés du public et du privé (76%) les 18-24 ans (77%). Avec un record absolu chez les ouvriers : 89 % d’approbation, dont 62 % qui trouvent tout à fait justifié le mouvement.

Après avoir remporté la bataille de l’opinion sur l’appréciation du contenu de la réforme en janvier, le mouvement social est en train de gagner une seconde bataille. Celle de l’adhésion à ses méthodes pour s’opposer au gouvernement : la rue et la grève. Il lui reste encore à convaincre d’ici le 7 mars que la victoire est possible, pour réussir à entraîner le monde du travail dans une participation prolongée aux grèves.

L’espérance de vie en bonne santé à la naissance reste inférieure à 67 ans

Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) indique que l’espérance de vie sans incapacités a progressé entre 2008 et 2021. Centrée sur l’espérance de vie sans incapacité à l’âge de 65 ans, elle indique que celle-ci est de 12,6 ans pour les femmes et de 11,3 ans pour les hommes en moyenne. Soit au-delà de 75 ans.

Il n’en a pas fallu plus pour que de nombreux titres de presse relayant l’étude considèrent que cette étude donnait des arguments au gouvernement en pleine réforme des retraites, puisque l’on vit plus longtemps sans incapacités. Mais c’est aller un peu vite en besogne.

Certes, l’espérance de vie en bonne santé progresse, mais le curseur des 65 ans pour l’évaluer peut induire en erreur. En effet, pour évaluer le nombre d’années en bonne santé qu’il reste à vivre à 65 ans, il faut être arrivé à cet âge en bonne santé. Ce qui soustrait les incapacités intervenues avant cet âge et a fortiori les personnes décédées avant 65 ans.

D’ailleurs, l’étude rappelle, dès son chapeau de présentation, que l’espérance de vie sans incapacité à la naissance, bien qu’ayant progressé, reste de 65,7 ans pour les hommes et 67 ans pour les femmes. Une information qui a échappé à bien des confrères.

Le chiffre du jour : 52 %

La majorité des nouveaux retraités de droit direct en 2022 sont partis avec une retraite incomplète, rapporte le journal Marianne, à partir des dernières données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Bien que leur âge moyen de départ s’est élevé à 62,8 ans pour les hommes et 63,3 pour les femmes – au-delà de l’âge légal de 62 ans – la majorité des retraités n’avaient pas l’ensemble de leurs trimestres au moment de leur départ. Et ce, avant l’accélération de la réforme Touraine qui imposera 43 annuités pour une retraite à taux plein, dès 2027, avec la réforme du gouvernement.


 


 

SNCF : tous les syndicats appellent à la reconductible le 7 mars

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

La CFDT-cheminots rejoint la reconductible

 Dans un communiqué publié cet après-midi, la CFDT-cheminots appelle à la grève reconductible le 7 mars. « 80 % de nos adhérents [y] sont favorables », soutient la fédération. C’est la 4e fédération syndicale cheminote à y appeler après la CGT-cheminots, Sud-Rail et l’Unsa-ferroviaire.

Les quatre syndicats représentatifs à la SNCF sont, dans l’ordre, la CGT, l’UNSA, SUD et la CFDT.

Macron ne comprend pas sa propre réforme

C’est une information mise en lumière par le service de fact checking de Libération. Lors du salon de l’agriculture, Emmanuel Macron s’est fendu d’une tirade sur la valeur travail et la réforme des retraites : « Ces 1200 euros pour la retraite minimale, c’est pour ceux qui ont une carrière complète. Et c’est juste. Parce que si vous faites toute votre carrière à mi-temps, que moi je fais toute ma carrière à temps plein, qu’on arrive à la retraite, qu’on a la même retraite, à juste titre, je vais dire : ” je me suis fait avoir ” ».

Mais le président de la République confond tout. Comme le rappelle Libération, une carrière complète, qu’elle soit à mi-temps ou non, est bel et bien une carrière complète. Le fait d’avoir cumulé 43 années de cotisations sociales, ou de liquider ses droits à 67 ans, permet à tout salarié – à mi-temps ou non – d’avoir accès au minimum contributif (mico), s’il en a besoin. Avant la réforme, le mico permettait à tout salarié ayant passé sa vie au SMIC, et dont la retraite de base s’élevait à moins de 747 €, de voir sa pension complétée afin d’atteindre ce seuil. À quoi il faudra ajouter la retraite complémentaire pour atteindre environ 1200 €.

Élément crucial : ce seuil de 747 € est le même, qu’un salarié ait travaillé 43 ans au SMIC à temps plein ou non ! Ainsi, les salariés à temps partiel – qui ont les pensions les plus basses – bénéficient d’une revalorisation de leurs pensions souvent plus importante que ceux qui ont aussi touché le SMIC, mais ont travaillé à temps plein.

Or, contrairement à ce que croit Emmanuel Macron, la réforme ne change absolument rien à ce système. En remontant le niveau du mico, on peut au contraire soutenir qu’elle va davantage profiter aux salariés à temps partiel qu’à ceux à temps plein…

La loi arrive au Sénat

Il n’y aura pas de surprise au Sénat. Alors que le texte arrive en commission demain, la majorité sénatoriale de droite a déjà indiqué qu’elle voterait le texte.

Les sénateurs LR veulent toutefois apporter leur petite touche personnelle au projet. Ils ont déjà évoqué plusieurs propositions, comme la surcote de 5 % pour les mères de famille ou la suppression des régimes spéciaux. Le texte sera examiné en séance publique à partir du 2 mars, jusqu’au 12 mars inclus.

  publié le 23 février 2023

L’exécutif nous impose le durcissement

par Mathieu Pineau Secrétaire général de la CGT Mines-Énergie de Loire-Atlantique sur www.humanite.fr

Le « dialogue parlementaire » est à l’image du « dialogue social » dans certaines grandes entreprises : il est inexistant. Les décisionnaires convoquent toutes les parties pour cocher les étapes d’un protocole, mais sans aucune volonté de faire évoluer leurs propositions en fonction des débats. Puis ils diront : « Notre porte est ouverte ! Nous sommes prêts au dialogue ! »

Ce sont encore des méthodes de communication à la sauce macroniste. Souvenons-nous du grand débat issu du mouvement des gilets jaunes ; il n’aura offert aucune avancée sociale significative, en revanche il aura permis d’endormir la mobilisation. Seulement, monsieur Macron, nous ne sommes ni dupes, ni crédules, ni amnésiques ! Nous avons informé et débattu : les citoyens sont de notre côté. Les Français ont démontré par la grève et les manifestations massives leur refus de la réforme « Borne-Macron ». Des actions ponctuelles et symboliques ont été mises en œuvre pour que le gouvernement mesure notre capacité à durcir notre action. Puis nous laissons place au temps du « dialogue » par le biais des échanges à l’assemblée.

Alors oui, monsieur Macron, nous sommes très raisonnables et modérés. Et nous aussi nous savons respecter un « cérémonial ». Malheureusement, malgré tous ces éléments qui illustrent l’opposition quasi générale à cette réforme, le gouvernement s’enferre dans son mutisme. Alors il va falloir rentrer dans le dur ! Par des 49.3 à répétition, Emmanuel Macron nous a montré que l’usage de la force était la méthode qu’il plébiscite. Dont acte ! Nous allons lui rappeler que le « rapport de forces » est issu de notre vocable syndical et surtout qu’il constitue notre histoire et notre ADN. Nous sommes préparés et plus déterminés que jamais.

La CGT avec toutes ses forces, tous ceux qui voudront être à ses côtés et avec tous les soutiens qui lui seront apportés, saura prendre et assumer ses responsabilités. Emmanuel Macron ne nous en laisse pas le choix. Alors, poursuivons nos actions et gardons le cap jusqu’au 7 mars, continuons de grossir nos rangs et d’affûter nos capacités de nuisance ; Puis, à partir de cette date, nous donnons rendez-vous à toutes les femmes et tous les hommes de notre pays pour une mobilisation, massive, organisée, puissante et surtout reconductible et paralysante ; pour rappeler au gouvernement qu’il est à la tête d’un peuple de lutte et de résistance ; et qu’il va devoir, par la force, remballer sa réforme et tout le reste de sa politique antisociale et destructrice. Nous ne laisserons pas quelques financiers massacrer notre protection sociale.

publié le 18 février 2023

Bataille des retraites :
durcir le ton,
élargir le front

Fabien Escalona et Romaric Godin sur www.mediapart.fr

Face à un pouvoir radicalisé, le mouvement social doit à la fois durcir ses actions et élargir la bataille à d’autres enjeux que la réforme des retraites. La victoire n’est aucunement garantie, mais seule cette voie est constructive, même en cas d’échec.

CeCe jeudi 16 février a eu lieu la dernière des grandes manifestations organisées par les centrales syndicales depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Sans surprise, elle n’a rien changé au rapport de force : en dépit d’une hostilité massive de la société, le pouvoir compte bien faire voter et appliquer son projet.  

Cette impasse apparente, entre d’un côté un mouvement qui a prouvé l’adhésion populaire à ses revendications, et de l’autre un exécutif retranché dans les institutions, a suscité une évolution stratégique des syndicats. La journée du 7 mars est en effet annoncée comme une « mise à l’arrêt » du pays, avec une suspension la plus large possible de l’activité productive. Un seuil serait alors franchi dans le répertoire des actions syndicales. Il mérite que l’on s’y attarde, pour en décrypter la rationalité et les équivoques.  

D’une certaine façon, l’évolution stratégique du mouvement social est parfaitement logique. L’ensemble du front syndical a pris acte que les règles du jeu ont changé. « Enfin ! », diront certains, tant les défaites se sont enchaînées depuis le retrait du contrat première embauche (CPE) en 2006. 

La précédente réforme des retraites, en 2019-2020, n’avait été abandonnée qu’avec l’aide malheureuse de la pandémie, alors que le gouvernement n’avait pas hésité à user du 49-3 à l’Assemblée. Entre-temps, des régressions en la matière avaient déjà eu lieu, comme en 2010, en dépit de cortèges syndicaux superbement ignorés par le pouvoir sarkozyste. Mais il ne s’agissait finalement que d’une redite de 2003, lorsque François Fillon avait passé outre des démonstrations de force similaires dans la rue.

Tout se passe comme si depuis des années, un pacte tacite n’était plus respecté, selon lequel un gouvernement ne peut décemment pas camper sur ses positions face à des manifestations de masse. Un pacte qui avait conduit au recul, plus ou moins bien ordonné, des exécutifs combattus par les partisans de l’école libre en 1984, les opposants de la réforme universitaire Devaquet en 1986, ou encore ceux du « plan Juppé » en 1995 (quelle qu’ait été l’intention de ce dernier de rester « droit dans ses bottes »).

« Entre 1983 et 2002, rappelle l’historienne Danielle Tartakowsky dans Le 1 Hebdo, une douzaine de mobilisations vont ainsi venir à bout de projets de loi et faire sauter, dans la plupart des cas, les ministres concernés […]. La manifestation se met à fonctionner comme une sorte de référendum d’initiative populaire spontané. »

La radicalisation des élites de la Ve République

Chaque épisode a bien sûr sa singularité et ses ressorts spécifiques, mais le fait est là : jusqu’aux années 2000, les mouvements sociaux ayant atteint les étiages les plus hauts historiquement de mobilisation dans la rue ont eu gain de cause ; par la suite, ils ont largement été défaits – et il y a fort à parier que si l’actuel mouvement en reste à de sages promenades collectives, rien ne freinera la brutalisation assumée du corps social par le pouvoir macroniste.

Ce constat renvoie à une évolution plus générale du régime de la VRépublique, dont les élites dirigeantes ont décidé de transformer le modèle social français dans un sens néolibéral. Depuis les années 1980, ces choix consistent à épouser les intérêts et respecter les prérogatives des milieux d’affaires, en démantelant bout par bout l’État social bâti au fil du siècle. Ce faisant, ils ont heurté de manière de plus en plus visible et profonde les droits et les capacités d’agir des citoyens ordinaires.

Ceux-ci ont exprimé à de nombreuses reprises leur résistance à cette évolution. Mais puisque le pouvoir estime ne plus avoir les moyens de leur accorder des concessions, en raison de l’affaissement objectif et tous azimuts de l’économie capitaliste, il retourne contre le peuple toutes les armes que lui donne la Constitution de 1958. Plus encore que dans d’autres pays où des tendances similaires sont repérées, l’exécutif dispose des moyens de se retrancher dans les institutions et d’y produire des décisions, sans aucun égard pour les légitimités qui s’expriment en dehors des échéances électorales.

À ce titre, le ralliement de la CFDT à une radicalisation des moyens d’action est tout à fait révélateur. Il n’est pas anodin qu’un acteur syndical connu pour sa modération estime ne plus avoir d’autre issue que de durcir son mode de contestation. Cela renseigne sur le comportement illibéral du pouvoir, qui a altéré les formes connues d’échange politique, pour en adopter une à sens unique, depuis une poignée de décideurs vers le reste de la société.

Et cela dit bien, aussi, à quel point l’économie politique contemporaine ressemble de plus en plus à un jeu à somme nulle, dans lequel vous êtes perdant si vous n’êtes pas gagnant. Dans le capitalisme du néolibéralisme tardif, la production de profit dépend étroitement de la déconstruction des protections sociales. Sans gains de productivité suffisants, le travail doit être toujours plus pressurisé. C’est le sens des différentes réformes qui se succèdent, en premier lieu celle des retraites, qui n’est qu’une poursuite des réformes du marché du travail ou de l’assurance-chômage.

Le choix de la masse, préférable à celui des minorités agissantes

Avant l’annonce d’une possible « journée morte » le 7 mars, le mouvement social semblait précisément prendre le chemin d’une défaite par simple ignorance du pouvoir exécutif, peut-être mal-aimé mais doté de la puissance d’État.

Dans divers secteurs de la gauche radicale, la crainte de ce scénario noir a généré des réflexions concluant que le pouvoir ne reculera que s’il a suffisamment « peur ». Dans Frustration Magazine, Rob Grams affirmait ainsi, le 2 février dernier, que des occupations de lieux et des grèves ciblées sur les points de blocage de l’économie seraient bien plus efficaces que n’importe quelle massification du mouvement.

Une stratégie résumée sous la formule de « Gilet jaune salarial », qui s’appuie sur deux précédents : 1995, quand une forme de « grève par procuration » avait été menée par les fractions les plus mobilisées du corps social, notamment dans les transports, et avait fait céder le pouvoir ; 2019, quand des manifestations violentes et déterminées avaient conduit le gouvernement d’Édouard Philippe à lâcher du lest, principalement sous la forme d’une baisse de l’impôt sur le revenu et d’une augmentation de la prime d’activité.

Mais avec le recul, ces deux victoires apparaissent problématiques, et justifient de chercher une autre voie, comme l’esquissent encore timidement les syndicats. Les deux mouvements de 1995 et de 2019, centrés autour d’une minorité active, ne sont en effet pas parvenus à changer la donne durablement.

1995 n’a pas empêché la contre-offensive néolibérale de se poursuivre. Dès l’année suivante, une réforme Juppé de la Sécurité sociale a été mise en œuvre, dont les conséquences jouent dans le désastre sanitaire actuel, notamment via l’assèchement des comptes par la création de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Cette évolution a d’ailleurs justifié les réformes des retraites de 2003 et 2010, que le mouvement social a échoué à contrer.

Quant au mouvement des gilets jaunes, s’il peut encore être inspirant de par le processus de politisation des acteurs qui s’y sont engagés, il a toujours évité la question salariale et ne s’est jamais ancré dans les entreprises. Ses revendications étaient centrées sur l’État et sa démocratisation. Dès lors, le pouvoir a pu centrer ses concessions sur des moyens parfaitement compatibles avec la logique néolibérale de compression salariale et de baisse de la fiscalité.

Il ne faut d’ailleurs pas sous-estimer la capacité du capitalisme actuel à se remettre de tels défis. En 1995 comme en 2019, le mouvement social n’avait fait perdre que 0,2 point de richesse (PIB) à la France. Au reste, si les pertes liées au mouvement social devaient être compensées par des gains futurs estimés supérieurs, les capitalistes peuvent se montrer patients.

Autrement dit : perdre de l’argent peut leur être acceptable, du moment qu’ils ne perdent pas le pouvoir. Et la crise sanitaire a montré combien ils pouvaient s’appuyer sur l’État lui-même pour résister à l’effondrement de l’économie.

Une masse « non agissante » serait laissée à la merci du pouvoir des employeurs (puisqu’elle continuerait de travailler) et de la communication du gouvernement.

En outre, la stratégie du « blocage de l’économie » est fragile, du simple fait que l’intégralité de l’action repose sur une minorité de travailleurs. Même dans le cas de caisses de grève ou d’actions de solidarité ponctuelles, la réalité effective serait celle que d’autres travailleurs resteraient spectateurs de la grève déterminante. Cette masse serait alors laissée à la merci du pouvoir des employeurs (puisqu’elle continuerait de travailler) et de la communication du gouvernement.

Ces deux puissances s’allieront alors aisément pour faire pression sur les non-grévistes par du chantage à l’emploi pour les uns et par un jeu de division du monde du travail pour les autres. Rapidement, la minorité agissante deviendra la responsable des maux du pays, et l’unité du mouvement sera emportée. Le mouvement social aura alors lâché la proie de l’unité pour l’ombre de sa défaite.

Ce risque est très bien perçu par certaines catégories de travailleurs souvent en première ligne du mouvement social, comme les cheminots qui demandent une action plus unitaire du salariat. D’où une autre idée en circulation : le blocage général du pays. Il ne faut certes pas fantasmer la « grève générale » comme la solution miracle capable de provoquer une révolution, mais cette idée d’intégrer l’ensemble des secteurs d’activité dans une action de masse apparaît comme une gradation nécessaire, qui répond à l’état de la mobilisation sociale actuelle.

D’abord parce que l’idée d’une grève de masse prend acte du rejet général de la réforme dans la population, ce qui implique de ne pas laisser une partie du salariat dans une position passive. Un tel mouvement aurait aussi la vertu d’interroger chaque salarié non seulement sur le sens de cette réforme, mais aussi sur sa place personnelle dans le système économique (pourquoi il travaille et produit), et sur l’impact qu’il peut avoir. Lorsque le temps marchand est suspendu, la critique de la marchandise devient possible.

La nécessaire politisation du mouvement social

Un mouvement de grève massif, surtout s’il s’inscrit dans le temps, modifierait la nature du mouvement. Il obligerait en effet à s’organiser, à mettre en place des solidarités, à improviser un monde différent. Le gréviste n’est plus alors dans l’attente de la « réaction gouvernementale » ou d’un hypothétique « effondrement de l’économie » : il est sommé, par les circonstances, de se poser le problème de la production et de sa finalité. Inévitablement, la grève deviendrait alors politique.

Elle impliquerait de s’interroger non seulement sur le « monde » de la réforme des retraites, pour comprendre ce qui la rend si importante pour le pouvoir, mais aussi de relier cette lutte avec d’autres luttes du moment : les luttes économiques, bien sûr, comme la question de l’inflation, mais aussi d’autres luttes d’émancipation (on le voit déjà avec la question féministe autour de cette réforme) et, finalement, celles que nécessite la crise écologique.

Car si la contestation dépasse la seule réforme des retraites pour porter sur le mode de production et les violences politiques que celui-ci suppose pour fonctionner, alors il devient possible de remettre en cause aussi l’impact de ce mode de production sur les écosystèmes dont l’humanité est dépendante.

Pour reprendre les termes de Georg Lukács dans Histoire et conscience de classe (1920), le monde du travail devient alors « capable de considérer la société à partir de son centre, comme un tout cohérent, et par suite, d’agir de façon centrale pour modifier la réalité ».

Face à un pouvoir sourd et aveugle au rejet dont sa réforme fait l’objet, le mouvement social a donc tout intérêt à promouvoir la suspension massive, et pourquoi pas durable, de l’ordre productif en vigueur. Non pas pour fragiliser l’économie en tant que telle, mais pour fragiliser le pouvoir économique. C’est cette fragilisation seule qui est capable de faire céder des élites radicalisées, parce que la perte du contrôle de l’économie rend caduques leurs réformes.

Le mouvement du 7 mars peut être une première pierre, une porte de sortie de la logique des résistances sporadiques, parcellaires et « improductives ».

Bien sûr, une étude réaliste des rapports de force doit amener à une forme de lucidité. La population vit depuis cinq décennies dans une ambiance néolibérale qui a affaibli les ressources de la contestation. L’habitude de la défaite a démobilisé les individus, l’atomisation des relations de travail a rendu les actions collectives plus difficiles, le matraquage médiatique et culturel n’arrange rien. Tout est à reconstruire.

Mais cette nécessité même invite à entrer dans une stratégie de contestation de masse sur les lieux de travail, parce que c’est précisément de là qu’il convient de rebâtir la contestation. On n’en finira pas avec le monde de la retraite à 64 ans par une simple grève générale, mais sans doute n’en finira-t-on pas sans elle.

Évidemment, un tel processus n’est pas l’objectif de l’intersyndicale qui est concentrée sur un objectif défensif. Mais si cet objectif défensif ne peut être atteint que par une contestation plus large, alors il sera nécessaire que le mouvement en prenne conscience et accepte sa propre logique. C’est là toute la spécificité de ce que Rosa Luxemburg appelait « l’action de masse » et c’est sans doute dans ce mouvement précis que les références aux gilets jaunes ou à Nuit debout sont pertinentes.

L’avenir dira si le mouvement a les capacités d’aller plus loin que la grève générale du 7 mars et si cette dernière peut mobiliser largement. Mais il n’y a pas grand-chose à perdre. Si le mouvement se poursuit jusqu’au retrait de la réforme, la victoire sera sans doute plus solide que celles de 1995 et 2019, parce qu’elle aura été emportée par un monde du travail plus largement mobilisé et conscient de son pouvoir potentiel.

Et si le mouvement finit par s’essouffler, la défaite ne pourra pas être complète : même temporaire, la mobilisation massive du salariat aura ouvert la possibilité de poser les fondations d’une réflexion politique plus large. L’enjeu sera alors de faire perdurer la contestation en mettant en danger le « monde de la retraite à 64 ans » en toute occasion : conflits salariaux, nouvelles réformes, contestation des politiques climatiques…

Dans Grève de masses, partis et syndicats (1906), Rosa Luxemburg souligne qu’« il est absolument faux d’imaginer la grève de masse comme une action unique. La grève de masse est bien plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de la lutte de classes s’étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies ».

Sous ce prisme, le mouvement du 7 mars pourrait être une première pierre, une porte de sortie de la logique des résistances sporadiques, parcellaires et « improductives ». C’est l’occasion de répondre enfin dans les mêmes termes à une offensive néolibérale menée en conscience par des élites qui déroulent une politique de classe continue, systématique, déterminée et transformative.

Dans l’histoire des mouvements sociaux, il y a beaucoup de défaites. Mais toutes n’ont pas la même signification. Certaines sont démobilisatrices ; d’autres sont, au contraire, des moments fondateurs. Quelle que soit l’issue du 7 mars à propos des retraites, son plus grand résultat pourrait être ce que Marx avait dit de la Commune : « son existence en actes ».

publié le 17 février 2023

En attendant de mettre
« la France à l’arrêt »,
les syndicats
ont enfiévré Albi

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Pour la cinquième journée de mobilisation, les dirigeants des huit syndicats s’étaient donné rendez-vous dans le Tarn. Manière de renouveler le récit médiatique et de contrer une affluence fatalement moins forte. Mais pas d’adoucir le propos face au gouvernement, au milieu d’une foule galvanisée par le défilé.

Albi (Tarn).– La barbe blanche et l’énergie pétillante malgré ses 79 ans et une douleur au genou, Jean-Claude ne perd pas une miette du spectacle. « Je n’ai jamais vu Albi comme ça. Autant de monde, une telle unité entre les syndicats ! Et pourtant, je n’en suis pas à ma première manif », sourit cet « ancien professeur des écoles et conseiller municipal de gauche ».

Il y a bien des choses inédites qui se sont déroulées dans les rues d’Albi, jeudi 16 février, pour la cinquième journée de manifestation organisée par les huit syndicats de salarié·es, toujours unanimes contre la réforme des retraites lancée le 10 janvier par le gouvernement. Le samedi précédent, les dirigeants des huit organisations avaient annoncé qu’ils manifesteraient ensemble dans la préfecture du Tarn.

Jamais la ville n’avait accueilli 55 000 personnes, selon le décompte des syndicats, et seulement 10 000 selon la police – dans toute la France, la CGT a compté 1,3 million de manifestant·es, contre 440 000 selon le ministère de l’intérieur. C’était aussi la première fois que le défilé, ordinairement organisé dans le centre, autour des deux ponts de la ville, était fixé avenue François-Verdier, une grande voie rectiligne à l’écart du centre-ville, qui démarre sur un rond-point à l’entrée ouest de la ville.

Jamais auparavant BFMTV n’avait donc installé là un plateau télé éphémère où les dirigeants syndicaux ont défilé, devant un magasin La Halle, un Burger King et un McDonald’s. Ce qui a permis à une militante de Sud de lâcher au micro un facétieux : « On a une heure et demie à occuper, il y a un McDo à démonter sur votre gauche ! »

Pourquoi Albi ? Officiellement, il s’agissait pour les responsables de l’intersyndicale de souligner une des singularités du mouvement de contestation, qui est particulièrement suivi dans de très nombreuses villes petites et moyennes, avec souvent des niveaux de mobilisation inconnus jusqu’alors, même en 1995 ou en 2010, les derniers mouvements massifs d’opposition à une réforme des retraites.

L’intersyndicale n’était sans doute pas non plus mécontente d’avoir une nouveauté à proposer, alors que cette journée ne s’annonçait pas comme devant faire le plein de manifestant·es : deux zones sur trois sont déjà en vacances (elles démarrent vendredi soir à Paris, Montpellier, Toulouse et, donc, Albi) et tous les regards sont déjà fixés sur le 7 mars, date à laquelle les syndicats, CFDT en tête, appellent à durcir le mouvement et à « mettre la France à l’arrêt ».

Bien sûr, dans les discours des militants et militantes, l’âme de Jean Jaurès n’est jamais très loin. Natif de Castres, la sous-préfecture voisine, et député socialiste du Tarn de 1893 à sa mort en 1914, le patriarche du socialisme à la française s’est rendu célèbre en soutenant la grande grève des mineurs de Carmaux (à 20 kilomètres au nord d’Albi), de 1892 à 1895.

Le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez ne s’est d’ailleurs pas privé de passer saluer dans la matinée les ouvriers de la Verrerie d’Albi, ex-Verrerie ouvrière d’Albi. Cette ancienne coopérative est mythique car elle a été montée dans la foulée de la grève de Carmaux. Dans le défilé de l’après-midi, ses salariés arborent un gilet CGT orné de la croix occitane, d’une bouteille en verre et du portrait de Jean Jaurès.

Toujours est-il que la « manifestation nationale délocalisée » aurait pu aussi se dérouler à Tarbes ou à Mende, les dirigeants de l’intersyndicale ayant hésité. Quand la ville a été choisie, les militant·es sur place ont été saisi·es d’un léger vertige. « On ne connaissait pas tout ça, on découvre, et on est un peu débordés par l’organisation… », glissait-on mardi à l’union départementale CGT Albi.

« Je ne vous cache pas que depuis lundi soir, on n’arrête pas. Je me dis que même Ronaldo n’a pas autant d’appels que moi en ce moment ! », confiait lui aussi Philippe Béco, secrétaire général du syndicat CFDT Interco du Tarn (qui rassemble les agent·es des collectivités locales, de la justice, les policiers et pompiers, etc.). L’événement était tellement imprévu que le responsable syndical devait subir une petite opération 15 février. Mais le lendemain, il était bien présent dans le cortège, un bras en écharpe, pour saluer Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

Juste avant la manifestation, devant le local de FO, situé à quelques centaines de mètres du départ, c’est l’effervescence. Un petit groupe d’enseignant·es et d’AESH (accompagnantes d’élèves en situation de handicap, parmi les plus précaires de l’Éducation nationale) peaufine ses pancartes et les banderoles.

« Ça met une petite pression de recevoir les dirigeants nationaux, admet Benoît, enseignant à Gaillac, à 25 kilomètres à l’ouest. Les gens arrivent de partout, de Lozère, du Gard, de l’Aveyron… On a aspiré toute l’Occitanie. Samedi 11, nous avions déjà eu un record de manifestants. Les policiers ont compté 7 000 personnes, mais pour nous c’est impossible, on a l’habitude de jauger la densité du cortège, toujours sur le même parcours, et nous étions beaucoup plus nombreux. Et aujourd’hui, on attend un nouveau record. »

Les syndicats savourent toujours leur unité

Dans le cortège, l’ambiance est joyeuse, tous les syndicats sont représentés. On se retrouve majoritairement entre habitué·es, mais certaines et certains sont en effet venus de Toulouse, ou de plus loin. « Nous voyons d’un bon œil cette délocalisation, c’est sympathique de voir les secrétaires généraux dans cette ville. Quand on voit le monde qui s’est déplacé, on se dit que quelque chose est en marche », apprécient Fred et Lucie, qui travaillent à Pôle emploi.

Lui arrive de Castres et elle de Villefranche-de-Lauragais, à 100 kilomètres au sud. « Après des manifestations à Toulouse et Castres, Albi, c’était the place to be aujourd’hui ! On va en renfort là où il y a besoin, et à chaque fois, on est un peu plus déguisés », rigole Lucie en désignant sa tenue, chasuble blanche et nombreux autocollants aux couleurs de la FSU, son syndicat, très implanté dans le service public.

Leur regard sur le projet de réforme est sévère : « Les finances des caisses de retraite ne sont pas en danger. Et de nos postes, on le voit bien : à partir de 58 ans, les gens ont de plus en plus de mal à retrouver un job, ils deviennent inemployables [lire notre reportage à ce sujet]. Et alors, après 40 ans de boulot, ils finissent au RSA. Une telle situation, c’est socialement destructeur. Mais ça, le gouvernement ne l’entend pas. »

C’est sur cette surdité qu’ont insisté les leaders syndicaux, la mettant en opposition avec leur détermination unitaire. « Les mobilisations restent importantes car tous les Français ont compris que lorsque les syndicats sont ensemble, ils ont beaucoup de force, déclarait Philippe Martinez avant que la manifestation ne s’ébranle. Dans les petites villes, les mobilisations sont nombreuses autour de la disparition des services publics, la fermeture des écoles et des hôpitaux, les transports publics pas adaptés… Aujourd’hui, toutes ces mobilisations ont lieu en même temps derrière la question de la réforme des retraites. »

Laurent Berger (CFDT) a complété : « Cette France, celle qui vit la faible évolution des salaires, le travail qui fatigue, elle se sent méprisée. Le monde du travail entend être considéré, respecté, c’est cela qui se joue. »

Juste à côté de lui, souriait Simon Duteil, codélégué général de Solidaires. « Nous vivons une unité très large du syndicalisme, qui tient dans le temps, et qui tiendra. L’union syndicale Solidaires côte à côte avec la CFDT en tête de manif, ça ne s’est pas vu depuis… longtemps. »

Jamais peut-être, tant l’inimitié a été forte entre les deux organisations après l’exclusion, en 1989, de certaines fédérations rebelles de la CFDT, qui ont ensuite contribué à fonder Solidaires. Le petit syndicat s’est ensuite renforcé après le mouvement de 1995 contre la réforme de la Sécurité sociale et des régimes spéciaux, de larges bataillons le rejoignant en quittant la CFDT, pas assez opposée à la réforme d’Alain Juppé.

Au cœur de la manifestation albigeoise, impossible de rater la trentaine de camions bleus d’Enedis, dont quelques gigantesques engins de chantier, qui roulent au pas. Certains portent encore le logo EDF-GDF, feu l’entreprise publique de gaz et d’électricité – GDF a été privatisé et a fusionné en 2008 avec Suez, avant de devenir Engie. « Regardez bien ça, ça n’existe plus ! », insiste un électricien en tapotant le logo. Il marche parmi plus de 150 salariés de l’entreprise qui accompagnent les véhicules, bien décidés à batailler pour sauvegarder leur régime spécial.

Comme à Marseille, où les actions « Robin des bois » se multiplient (lire notre reportage), la volonté de durcir la mobilisation est bien présente. « Et on n’attendra pas le 7 mars », glisse un des agents, juché sur un camion.

Portant un discours moins musclé, mais tout aussi fidèles aux manifestations depuis la première le 19 janvier, Paule, Danielle et Muriel sont venues ensemble, vêtues aux couleurs de la CFDT. Ces militantes syndicales actives travaillent à la direction générale des finances publiques, à Albi. Mais elles ne sont pas en grève aujourd’hui : elles ont toutes posé une demi-journée de congé ou de récupération.

« On a un problème de pouvoir d’achat, on ne peut pas faire grève trop souvent, sinon on ne peut plus manger », explique l’une d’elles, exhortant à ne pas avoir les yeux rivés sur le nombre de grévistes, « qui ne veut plus rien dire car les gens se débrouillent autrement pour venir manifester ». « J’ai 61 ans, et même avec mon emploi de bureau bien moins difficile que d’autres boulots, je n’aurais jamais tenu jusqu’à 64 ans, confie Paule. Je ne pense même pas partir à taux plein, c’est trop difficile, je partirai avant. »

Ce n’est pas Rose qui la contredira, elle qui porte fièrement sa pancarte « Je ne veux pas d’une retraite 6 pieds sous terre ». « J’ai fait toutes les manifestations à Albi depuis peut-être l’an 2000. Celles des “gilets jaunes” aussi !, revendique-t-elle fièrement. J’ai presque 61 ans, j’ai longtemps été femme de ménage, comment je pourrais faire ce métier à 64 ans ? »

« Et lui, comment pourra-t-il porter des charges lourdes pendant encore des années, alors qu’il a déjà des vis dans le dos », dit-elle en désignant son compagnon, Patrick, un magasinier de 55 ans. « Tous les dix ans, on se prend deux ans de travail en plus. Il faudrait peut-être que les efforts soient mieux répartis, expose celui-ci. Pas toujours sur les salariés, mais aussi sur les plus riches, les grandes fortunes, ceux qui touchent les dividendes record distribués en ce moment… »

Prochaine étape, le 7 mars

À l’image de Patrick, les salarié·es du secteur privé étaient également présent·es. Jade et Claire, par exemple, qui sont libraires jeunesse dans le centre-ville. Elles manifestent avec la bénédiction de leur patronne, qui avait baissé le rideau toute la journée pour la première manifestation, le 19 janvier, et qui a encore fermé pour quelques heures le 7 février.

Jade est apprentie et passe une semaine par mois en formation à Paris. Elle décrit avec passion la manière dont, dans la capitale, le mouvement prend peu à peu dans le monde des métiers du livre, généralement rétif aux mouvements collectifs. Mais d’AG en AG, la contagion militante fonctionne.

« Il y a d’abord eu les employés des librairies, indépendantes ou grandes chaînes, puis nous avons réussi à faire venir des éditeurs et nous avons organisé des cortèges dans les défilés parisiens, ce qui est totalement inédit, décrit-elle. Et nous espérons faire venir des personnes qui fabriquent, celles qui font les livraisons… »

Claire traduit parfaitement un sentiment omniprésent dans les rues d’Albi, mais aussi dans celles de toute la France depuis le début du mouvement : « Au-delà des retraites, c’est l’ensemble de la politique de ce gouvernement qui est critiqué. Les réformes de l’assurance-chômage, la loi Darmanin sur l’immigration qui arrive… Nous ne voulons plus de la manière dont ils gouvernent, dont ils nous traitent. »

« Aujourd’hui, c’est une démonstration de force. La mobilisation est massive, les manifestations rassemblent encore largement partout, avance Benoît Teste, le dirigeant de la FSU. Et bien sûr qu’il faut accélérer : si, le 7 mars, le mouvement de blocage est massif comme nous l’espérons, si, le 8 mars, il y a ensuite de fortes mobilisations féministes, alors la question de poursuivre le mouvement se posera. »

François Hommeril, dirigeant de la CFE-CGC, syndicat des cadres, résume l’état du bras de fer : « Le 7 mars est dans trois semaines. C’est une période que le gouvernement et Emmanuel Macron devraient mettre à profit pour étudier les voies et moyens pour retirer cette réforme. C’est la seule décision possible. »

Comment les syndicats, et leurs troupes, réagiront-ils si le gouvernement ne bouge pas ? Ils n’ont pas prévu de changer de stratégie, laissant présager un affrontement de plus un plus fort face à un pouvoir qui reste inflexible. « Le 7, ça va être symbolique. Si les choses bougent, tant mieux, mais si elles ne bougent pas, on continuera, pronostique Dominique, une juriste du syndicat Unsa. À un moment, il va falloir qu’ils écoutent les syndicats, et le peuple. »


 


 

Retraites. Deux meetings avant « l’heure de vérité »

Diego Chauvet et Nada Abou El Amaim sur www.humanite.fr

A Bobigny et Montpellier, la Nupes et Jean-Luc Mélenchon ont à nouveau etrillé la réforme des retraites. Les insoumis sont partagés sur la question du retrait de leurs amendements.

Alors que les débats à l’Assemblée nationale touchent à leur fin, la Nupes et la FI tenaient deux meetings simultanés jeudi, au soir de la cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Les insoumis à Montpellier, un rendez-vous auquel participaient Jean-Luc Mélenchon et les députés Nathalie Oziol, Sébatsien Rome et Sylvain Carrière, et qui a réuni 1400 personnes. La Nupes à Bobigny, où se sont notamment retrouvés les élus FI Raquel Garrido, Eric Coquerel, François Ruffin, Clémentine Autain, l’écologiste Sabrina Sebahi, le communiste Fabien Gay et le socialiste Boris Vallaud. «  C’est plus qu’une réforme, c’est la mère de toutes les batailles », a d’emblée lancé le sénateur PCF Fabien Gay dans la ville de Seine-Saint-Denis, estimant qu’  « il nous faut mener en même temps que la bataille contre la réforme des retraites, la bataille pour le sens du travail ». « Si nous gagnons ce bras de fer, c’est la fin du quinquennat Macron », a également assuré Clémentine Autain tandis que son collègue François Ruffin insistait, lui, sur la journée de grève du 7 mars prochain. L’  « heure de vérité », lors de laquelle les Français ont l’occasion de  « reprendre (leur) destin en main », selon le député de la Somme  .

Les orateurs ont insisté à tour de rôle sur l’unité de la coalition de la Nupes, mais aussi du mouvement social : un atout décisif, selon eux, pour emporter la victoire face à la réforme de régression sociale que tente d’imposer Emmanuel Macron.  « On est tous d’accord, et cette union fait une force irrépressible », a ainsi jugé Raquel Garrido, députée insoumise de la circonscription qui accueillait ce meeting. La parlementaire considère également que seuls  « deux blocs » sont en présence :  « le peuple tout entier et un homme seul » .

A Montpellier, Jean-Luc Mélenchon a étrillé le gouvernement durant une heure trente. Le fondateur de la FI y a qualifié le ministre du travail Olivier Dussopt de  « traitre » , et interpellez son auditoire :  « cessez le travail le 7 mars, tirez les rideaux, manifestez. Montrez la force immense du peuple français, capable de renverser des montagnes. Et en même temps, à l’Assemblée, nous luttons et ne lâcherons pas ».  « Allez dire à Macron que vous ne lui avez rien demandé ! », lance-t-il également à l’adresse du patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux.

La tenue de ces meetings à distance et en simultané avait également une portée plus symbolique en ce qui concerne les insoumis. Un peu plus tôt, le groupe FI à l’Assemblée nationale a débattu et voté contre le retrait de tous ses amendements pour accélérer les débats et aller au vote de l’article 7 de la réforme des retraites, portant sur le report de l’âge légal à 64 ans. Un tweet de Jean-Luc Mélenchon, posté aux alentours de 17 heures est venu mettre la pression: il y fustigeait vivement le choix des communistes de retirer tous leurs amendements jusqu’à l’article 7. Le vote interne s’est joué à une voix près parmi une cinquantaine de députés insoumis, ce qui révèle leur divergence tactique alors que la fin des débats approche. Par ailleurs, Raquel Garrido, Alexis Corbières, François Ruffin, Eric Coquerel et Clémentine Autain, sont les cinq parlementaires FI à avoir donné de la voix pour critiquer les orientations et le fonctionnement du mouvement ces derniers mois. L’affaire Quatennens avait fait office de détonateur en septembre dernier, lorsque l’ex-candidat à la présidentielle avait twitté son soutien au député du Nord accusé de violences conjugales. La nouvelle direction du mouvement, annoncée sans vote par voie de presse en décembre dernier avait encore approfondi la crise lorsque les cinq députés du meeting de Bobigny s’en était retrouvés exclus. La question du retrait des amendements apparaît aussi être une nouvelle ligne de fracture à la tête de la France insoumise.

Pas de quoi cependant remettre en cause l’unité de la Nupes, à en croire les déclarations des autres groupes de la coalition. Pour le premier secrétaire du PS Olivier Faure, il ne s’agit que de divergences  « tactiques » , qui ne remettent pas en cause la stratégie unitaire.

 

 

Réforme des retraites :
que les politiques
fassent de la politique

La rédaction sur www.regards.fr

Les députés votent sur la réforme des retraites. Quelle stratégie à l’Assemblée nationale pour s’y opposer ? La question n’est pas tactique, elle est politique.

Face au projet de réforme des retraites, un rapport de force, solide et ancré, est en cours de construction. Les syndicats, unis, se mettent à son service. Le rythme et l’ampleur de la mobilisation sont donnés par les manifestations et les débrayages. Des millions de personnes agissent d’ores et déjà et l’élargissement du mouvement reste plus que jamais la clé. Toute idée d’avant-garde est vaine. Dès décembre, la secrétaire confédérale CGT, Catherine Perret, affirmait que son syndicat soutiendrait toute forme de lutte, quelle qu’en soit l’origine. Mais aucune ne doit être tenue pour plus légitime que d’autres : c’est leur conjonction qui permettra au mouvement de s’amplifier dans la durée.

Cette adéquation de forme et d’actions avec le mouvement social est aussi recherchée par les partis de gauche. À l’Assemblée nationale, leurs députés se veulent à l’image du mouvement. Que représenter ? Une France en colère, « au bord de l’insurrection » ? Une France pleine d’une colère froide ? La résignation tant redoutée recule et le climat des manifestations est marqué par la détermination tranquille. Mais la radicalité ne se mesure pas à l’aune de la violence des actes et des mots. Les charges violentes contre un « adversaire politique » qui se meut en « ennemi » est loin de l’état d’esprit des foules manifestantes.

Le sujet n’est pas seulement là. Les députés ne sauraient se substituer aux syndicats, aux AG d’entreprises – pas plus qu’à celles des étudiants. C’est avec eux et c’est là que se construit la mobilisation, facteur décisif de toute victoire. La fonction des députés est de donner à voir ces mobilisations. Mais surtout de faire la loi, de proposer une logique politique alternative à celle qui conduit à l’iniquité de réformes successives, dont la réforme des retraites est un sommet.

Le mouvement social a besoin que les peines du travail s’entendent dans l’Assemblée, que des arguments solides soient énoncés, que des solutions soient proposés. Que chacun soit placé devant ses responsabilités : que les députés votent devant le peuple. Le mouvement a besoin que chacun joue son rôle, que les partis fassent de la politique et que les débats soient menés.

C’est d’autant plus nécessaire que le Rassemblement national est en embuscade, dans une France dont on sait depuis 2017 qu’elle est politiquement éclatée. Ce serait un comble de laisser le parti de Marine Le Pen se présenter comme l’expression du plus grand nombre, le garant de la protection des démunis, voire le champion de l’ordre et du bon sens républicain. Si la gauche ne parvient pas à incarner, non pas une partie du « peuple » la plus déterminée à s’opposer, mais la plus large pour bâtir un autre avenir, c’est au RN que la voie est ouverte. Il n’y a pas de fatalité à cette éventualité.

publié le 16 février 2023

Pour monter d’un cran
dans la contestation,
les syndicats
misent sur le terrain

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Dans la perspective de la journée de mobilisation interprofessionnelle de ce jeudi, mais aussi la mise « à l’arrêt » de la France, le 7 mars, les organisations démultiplient les initiatives locales. Grâce au mouvement social, leurs structures voient grossir leurs rangs, après un reflux de 0,9 % de la syndicalisation entre 2013 et 2019

Les secrétaires généraux et présidents des confédérations quittent la capitale. Ce jeudi 16 février, les leaders des huit centrales seront à Albi, pour cette nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites. Terre de Jean Jaurès, le lieu n’a pas été choisi sans arrière-pensée. Hors des vacances scolaires, la préfecture du Tarn, peuplée de 49 000 habitants, a vu plus de 15 000 manifestants déferler dans ses rues le 31 janvier. « Cela démontre l’ancrage de la contestation, les Français ne veulent pas de cette réforme » , souligne Frédéric Souillot (FO).

La mobilisation tient bon dans les territoires

Loin de s’enliser ou de se reposer sur des secteurs clefs de l’économie, la mobilisation tient bon dans les territoires. « C’est de l’inédit, parfois même supérieur à 1995, avec une particularité : la forte mobilisation dans les petites villes », note Dominique Besson-Milord, secrétaire générale de l’union départementale (UD) CGT d’Ille-et-Vilaine. Dans le département breton, 1 000 personnes ont manifesté à Cambour, le 11 février. Elles étaient également 5 000 à Fougères, ville de 20 000 habitants. « Avec 55 000 manifestants dans l’Hérault, samedi dernier, nous avons battu tous les records », insiste Serge Ragazzacci. Le responsable de l’UD CGT note la présence « frappante de primo-manifestants » dans les cortèges, qui « dépasse les bases de l’ensemble des syndicats. »

Une aubaine pour les centrales, alors que, en février, une note de la Dares pointait un recul de 0,9 % de la syndicalisation, entre 2013 et 2021, s’établissant à 10,3 % dans l’ensemble des secteurs. Pour janvier, la CFDT et la CGT ont annoncé avoir réalisé 10 000 nouvelles adhésions chacune. FO comptait 2 400 adhésions en ligne. « Dans l’Hérault, nous en sommes à 200, soit trois fois plus que les années antérieures, note Serge Ragazzacci. Dans les bus que nous affrétons, 50 % des personnes sont des non-syndiqués. Cela montre une confiance nouvelle à l’encontre des syndicats et les adhésions se font assez naturellement. »

L’importance « de se rendre là où sont les travailleurs et privés d’emploi, en distribuant des tracts dans les entreprises, les métros et les quartiers »

En Ille-et-Vilaine, la dynamique est similaire. « Nous syndiquons aussi bien dans les cortèges qu’en ligne, note Dominique Besson-Milord. Cela contribue au rapport de forces. » Au-delà de la seule question des retraites, qui s’exprime à travers ce mouvement, cette dynamique des syndicats s’explique aussi par un travail de terrain. Le 24 novembre 2022, par exemple, un meeting régional s’est tenu à Toulouse, organisé par la CGT. « Outre les marches aux flambeaux, nous démultiplions les réunions publiques avec l’intersyndicale », précise Serge Ragazzacci.

De son côté, la responsable CGT d’Ille-et-Vilaine insiste sur l’importance « de se rendre là où sont les travailleurs et privés d’emploi, en distribuant des tracts dans les entreprises, les métros et les quartiers ». Surtout, dans la perspective de la « mise à l’arrêt » de la France le 7 mars, Dominique Besson-Milord souligne la nécessité « d’ancrer la grève dans les entreprises pour bloquer l’économie ».

D’ici là, un « village intersyndical » sera organisé au centre-ville de Rennes, en lien avec les organisations de jeunesse. « L’intersyndicale est un atout dans les entreprises stratégiques comme pour les trams à Montpellier, elle permet une meilleure mobilisation des travailleurs », conclut Serge Ragazzacci.

   publié le 15 février 2023

Retraites : la pétition de l’intersyndicale dépasse le million de signatures

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Un chiffre atteint au lendemain du premier revers du gouvernement à l’Assemblée Nationale et à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation.

C’est un chiffre symbolique qui vient d’être dépassé. Peu après 11 heures ce mercredi 15 février, la pétition lancée par l’intersyndicale contre la réforme des retraites a dépassé le million de signatures. Une petite victoire pour les organisations syndicales – la CFDT en tête – qui portaient ce moyen d’action.

Ce cap a été franchi au lendemain d’une première défaite pour la majorité gouvernementale dans l’hémicycle. En effet, le 14 février, l’Assemblée nationale a rejeté par 256 voix contre 203 l’article 2 du projet de loi. Celui-ci prévoyait la création d’un « index seniors » pour les entreprises. Ce résultat s’explique par l’opposition d’une grosse partie des députés Les Républicains – dont le président du groupe, Olivier Marleix.

« Mettre la France à l’arrêt »

Surtout, ce million de signatures intervient à la veille d’une cinquième mobilisation appelée par l’intersyndicale. Une journée aux airs de répétition générale avant un durcissement du mouvement annoncé à partir de la rentrée. Le 7 mars, les organisations syndicales appellent en effet, à « mettre la France à l’arrêt » avant, peut-être, des grèves reconductibles.

C’est en tout cas ce qu’a déjà décidé Solidaires lors d’un conseil national extraordinaire lundi. « Nous proposons à l’ensemble des travailleuses et travailleurs, du privé comme du public, de mettre en débat en assemblées générales la possibilité de reconduire la grève à partir du 7 mars selon les modalités propres à chaque secteur, avec inventivité et détermination », écrit l’union syndicale dans un communiqué.

Des débats houleux à l’Assemblée où la majorité se voit mettre en minorité, un mouvement social qui se durcit et donc, désormais, une pétition recueillant plus d’un million de signatures… Un caillou de plus dans la chaussure du gouvernement.

Pour signer : https://www.change.org/p/retraites-non-%C3%A0-cette-r%C3%A9forme-injuste-et-brutale-reformesdesretraites

publié le 15 février 2023

Logements insalubres et menaces d’expulsion :
le combat des résidents d’un foyer de travailleurs migrants

par Maÿlis Dudouet sur https://basta.media/

118 résidents des foyers de travailleurs migrants de Boulogne-Billancourt sont menacés d’expulsion par le gérant, Adoma, à la suite d’une grève des loyers menée contre l’ancien bailleur et pour demander une rénovation des lieux, vétustes.

Les fissures lézardent les couloirs des bâtiments. À l’intérieur, « les pannes d’ascenseur peuvent durer plusieurs mois », rapporte Bakary Cissokho. Ce retraité sénégalais de 65 ans vit dans l’un des deux foyers de travailleurs migrants de Boulogne-Billancourt, ouvert dans les années 1970. Depuis son emménagement en 1980, l’homme y observe la lente dégradation des lieux.

« Les bailleurs successifs ne veulent pas faire de travaux, et pourtant les loyers augmentent », proteste Oumar Diakité, chauffeur de taxi et codélégué du comité des résidents des foyers de travailleurs migrants de la ville. Face à cette situation, en juillet 2016, certains résidents ont cessé de payer leurs loyers à l’ancien gérant, l’entreprise Coallia, durant plus d’un an. À l’origine du mouvement, il y avait la fermeture de la cuisine collective de la résidence.

En décembre 2016, un incendie criminel cause la mort d’un résident. La victime âgée d’une quarantaine d’années s’était défenestrée du troisième étage pour échapper aux flammes. L’auteur des faits n’a pas été identifié.

Menaces d’expulsion pour 118 résidents

Depuis, les bâtiments ainsi que la dette de loyers ont été rachetés par une autre entreprise, Adoma, pour un euro symbolique, sous réserve de la tenue de travaux. Adoma est une société d’économie mixte détenue par l’État et par CDC Habitat, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations.

L’entreprise affirme que « les locaux ont été intégralement remaniés et leur sécurité renforcée » et dresse la liste des modifications opérées : « Changement de la chaudière, travaux des ascenseurs, travaux de plomberie et remise en état des espaces de cuisines, peinture des cages d’escaliers, création d’un local d’ordures ménagères, remplacements des fenêtres des cuisines, remise à jour de la sécurité incendie, installation de vidéos protections. »

Selon Adoma, « plus de 510 000 euros ont été investis dans les foyers de Boulogne depuis avril 2018 », période à laquelle les résidents ont recommencé à payer leurs loyers, au moment du changement de propriétaire.

Mais le nouveau propriétaire a exigé devant les tribunaux le remboursement de la dette de loyer de 2016-2017, qui s’élève à plusieurs milliers d’euros par résident. La justice a donné raison à Adoma en mai 2022. 118 résidents risquent maintenant l’expulsion au 1er avril prochain s’ils ne paient pas.

Pas de gazinière et des rats dans le garde-manger

Une silhouette frêle s’extirpe d’une des chambres de 9 m2 pour saluer. Avec ses 77 ans, Sow Bamody est le plus âgé des résidents actuels. Ancien ouvrier, il est arrivé au foyer le « 14 septembre 1974 » et a travaillé à l’usine Renault de Boulogne « pendant 22 ans ».

« Avant, il y avait beaucoup d’ambiance, dit-il nostalgique. Mais depuis que le bar du bâtiment B a fermé en 2020 à cause du Covid, on ne peut plus se retrouver », soupire-t-il. « C’est devenu une prison ici », abonde Bakary Cissokho.

Au pied du bâtiment, l’ancien bar n’est plus qu’une façade fantomatique. Les entrées sont scellées par de lourdes portes métalliques. « Adoma nous a dit que c’était en raison du Covid, mais ils refusent toujours de nous rouvrir l’accès », commente Oumar Diakité. « La cafétéria-bar était en partie occupée par des personnes extérieures au foyer, et utilisée pour abriter des commerces informels. Par mesure de sécurité et pour préserver nos résidents, nous avons fait le choix de fermer cet espace afin de limiter les “squats”. Nous n’avons pas prévu de la rouvrir pour le moment », justifie de son côté le gestionnaire.

Dans le deuxième foyer de la ville, baptisé Stalingrad, la situation est encore plus critique. Au pied de la fenêtre de la chambre occupée par Lamné et son oncle Moussa Bakayoko, une planche de bois recouvre le trou béant qui les sépare de la chambre du dessous.

Au rez-de-chaussée de l’immeuble, la moitié des gazinières ne fonctionnent plus dans la grande cuisine. Les hottes sont mouchetées de graisse. « Elle est pas belle notre cuisine ? » ironise Oumar Diakité. Les frigos sont scellés avec des cadenas et le garde-manger est en réalité un local rempli de barils destinés à protéger la nourriture. Un rat se fraye un chemin parmi les contenants en plastique.

                       « La moitié des résidents poursuivis sont à la retraite »

Dans ces conditions, les 118 résidents refusent de payer les arriérés de 2016-2017 à Adoma, et ont fait appel de la décision de justice. Menacés d’expulsion, ils ont manifesté le 2 février devant la mairie de la commune. « Adoma, justice ! » scandent les manifestants. « Non aux expulsions Adoma », peut-on lire sur la banderole brandie par les habitants des foyers.

« Quand Adoma est arrivé, ils nous ont donné leur parole que la dette de l’ancien bailleur Coallia ne les concernait pas, rapporte Samba Konte, résident depuis 1991, qui faisait partie des anciens grévistes des loyers. On a recommencé à payer les loyers puis ils nous ont demandé de payer les antécédents… »

« La moitié des résidents poursuivis sont à la retraite. Adoma ne peut pas saisir leur retraite, donc il n’y a pas d’argent à récupérer », dénonce aussi Pascal Winter, avocat des résidents et membre du Copaf, l’association de défense des droits des résidences sociales pour travailleurs immigrés isolés.

« Travailleurs subsahariens, maghrébins : ce qui fait toute la richesse de Boulogne, c’est nous les immigrés »

Adoma affirme avoir lancé l’action en justice « en dernier recours », et qu’« aucune expulsion n’est programmée et aucun des résidents concernés ne sera expulsé s’il respecte l’échéancier de paiement sur 24 mois qui été décidé par la justice ». L’entreprise enjoint les résidents les plus en difficulté à « respecter cet échéancier », condition qui permettrait de « déclencher des aides comme le Fonds de solidarité logement », qui peut accorder des aides financières aux personnes qui rencontrent des difficultés pour payer les dépenses liées à leur logement.

Plus de cent foyers en attente de rénovation

Au-delà du seul cas de Boulogne, c’est la question de la rénovation de tous les foyers de travailleurs migrants qui est en jeu. L’État a lancé en 1997 un « Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants » afin de remettre en état les 687 foyers dégradés accueillant près de 110 000 travailleurs immigrés. Or, d’après le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre, si 465 foyers ont pu être rénovés au 31 décembre 2020, « mi-2022, 126 foyers sont toujours en attente de traitement, exposant leurs résidents (environ 30 735 personnes) à des conditions de vétusté parfois dramatiques ». 25 ans après le lancement du plan, près d’un foyer sur cinq reste donc à rénover. C’est le cas des deux foyers de Boulogne-Billancourt.

Adoma dit vouloir les démolir pour les reconstruire en neuf, « pour plus de confort et d’autonomie » pour les résidents, vante l’entreprise. Mais le projet n’en reste pour l’instant qu’au stade d’étude, sans calendrier précis.

« N’oubliez pas que le développement de Boulogne, c’est grâce aux immigrés qui travaillaient dans les usines Renault, rappelle Bakary Cissokho devant la mairie de sa ville. Ce sont nos pères et nos grands-pères. Travailleurs subsahariens, maghrébins : ce qui fait toute la richesse de Boulogne, c’est nous les immigrés. »

Le 2 février, l’homme et les autres membres d’une délégation ont pu rencontrer l’adjointe au maire de Boulogne-Billancourt en charge de l’urbanisme. La mairie a annoncé qu’une rencontre devait être fixée pour relancer les concertations avec Adoma. Au foyer, les travailleurs qui nettoient les rues de Boulogne attendent toujours d’être fixés sur leur sort.

Nous avons contacté l’ancien bailleur Coallia ainsi que la mairie de Boulogne-Billancourt. Aucun n’a répondu à nos sollicitations.

  publié le 14 février 2023

Les « Robin des bois » offrent le gaz contre la réforme des retraites

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Dans la région de Marseille, Mediapart a suivi Paul* et Marcel*, techniciens gaz à GRDF qui enchaînent les journées de grève et les manifestations. Mais ce n’est pas tout. Ils trafiquent des compteurs de gaz pour que les usagers ne payent que la moitié de leur consommation, voire rien du tout.

Marseille (Bouches-du-Rhône).– Habillés de noir, masqués, gantés et discrets, ils annoncent le programme, les yeux rieurs : « Aujourd’hui, c’est opération gaz gratuit ! » On appellera le premier Paul, le second Marcel. « Comme Paul Marcel, notre modèle », s’amusent les deux gaziers, en référence au ministre communiste de la production industrielle à l’origine de la création d’EDF-GDF et de la nationalisation de l’énergie en 1946.

Il est aussi celui qui créera les œuvres sociales d’EDF-GDF, chères à Marcel et Paul. « C’est lui qui nous a légué le statut dont on jouit encore aujourd’hui et que le gouvernement ne cesse d’attaquer. » Pour rappel, la réforme des retraites prévoit la fin du régime spécial des travailleurs des industries électriques et gazières. 

Le rendez-vous est fixé à 6 h 15 du matin ce dimanche 12 février, devant le café fermé d’une toute petite place, comptant à peine un autre commerce et une pharmacie, dans la région de Marseille. 

Les deux gaziers arrivent dans une voiture qui n’est pas la leur, le coffre plein de stickers CGT, drapeaux et autres mégaphones. « Les gens nous prêtent leur voiture quand on fait ces actions pour pas qu’on vienne avec nos propres véhicules et qu’on soit reconnus directement », affirme Paul, tout en essayant d’éviter au maximum les caméras du quartier… Tâche plutôt aisée pour les deux gaziers qui connaissent très bien les allées, les cités, les coffrets gaz du coin, puisque c’est aussi là qu’ils travaillent.

En cas de doute, pas de GPS non plus. Lors des actions « Robin des bois », chacun laisse son téléphone portable à la maison.

Opération - 50 % sur le gaz dans les quartiers populaires

Marcel est le petit, Paul, le grand et, chacun avec sa clé à pipe, ils ouvrent les coffrets gaz du quartier, y plongent les mains quelques secondes, les referment aussitôt avant d’y coller un sticker bleu qui annonce : « Électricité et gaz augmentés ! Pouvoir d’achat amputé ! Financiers gavés ! Agents énervés. » 

C’est notre grain de sable à nous, c’est ce qu’on peut faire à notre niveau pour le bien commun.

Chaque coffret marqué du carré bleu ne comptabilise plus que la moitié du gaz utilisé par les habitant·es. Mieux, les coffrets démunis du « boîtier jaune » qui assure la télécommunication entre les coffrets et les réseaux peuvent être complètement coupés sans que GRDF s’en rende compte : « Opération 100 % gratuite pour les habitants de cet ensemble ! Et notre employeur ne s’en rendra compte que quand ils dépêcheront un agent pour relever les compteurs, dans six mois ou plus. » 

« C’est pas ça qui va les sortir de la galère mais c’est mieux que rien. C’est notre grain de sable à nous, c’est ce qu’on peut faire à notre niveau pour le bien commun, et c’est toujours ça de moins dans la poche de ceux qui spéculent sur l’énergie », s’accordent à dire Marcel et Paul. 

Le soleil du Sud ne s’est toujours pas levé, les deux compères continuent d’ouvrir des robinets, arpentant rapidement les allées de la ville pour ne pas être interrompus. « Si les habitants nous demandent ce qu’on fait, on leur dit, mais si on croise des policiers, on leur ment », sourit Paul. Le silence est complet, rares sont les âmes déjà éveillées. 

Les actions « Robin des Bois » sont menées depuis 2004

Ces actions, menées par les agents mobilisés des industries électriques et gazières, ne sont pas nouvelles. Depuis 2004, date du changement de statut d’EDF-GDF et de l’ouverture de son capital à des investisseurs privés, des agents ont repris la main sur leur outil de travail pour s’opposer à certaines réformes, protester contre la hausse des prix de l’énergie ou pour exiger des augmentations de salaire.

« Depuis, on continue, rappelle Fabrice Coudour, secrétaire général de la CGT Mines-Énergie. Au quotidien, des agents font ce type d’actions “Robin des bois”, mais elles sont beaucoup plus nombreuses quand on est mobilisés et on continuera à leur montrer qu’on a la main sur l’outil productif, de bout en bout. »

On risque notre job et des poursuites en justice en faisant ça. Mais on le fait pour obtenir le retrait de la réforme.

Les raisons de la colère sont nombreuses. Marcel et Paul, entre deux coups de clé à pipe, rappellent la flambée sans précédent des prix de l’énergie, l’inflation qui prend au cou les agent·es et l’ensemble de la population, la destruction du service public de l’énergie, les profits records faits par leurs entreprises, avec un bénéfice net d’environ 3,7 milliards d’euros pour Engie selon les chiffres de février 2022.

Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, ils se sont mis en grève à chaque appel intersyndical et comptent bien ne plus reprendre le travail après le 7 mars, date à laquelle les syndicats promettent une journée de grève totale, dans tous les secteurs… Tout en continuant leurs activités nocturnes sur le réseau. 

« On risque notre job et des poursuites en justice en faisant ça, rappelle, sous le masque, Marcel. Mais on le fait parce que si on ne coûte pas cher à ce gouvernement, on n’obtiendra jamais le retrait de la réforme des retraites. On trouve aussi scandaleux le prix auquel les gens payent leur électricité et leur gaz. Pour nous, ça c’est du bien commun, c’est nécessaire pour que les gens vivent dignement et ça ne devrait pas être soumis à la loi du marché. » Paul acquiesce. 

Après les ensembles, les gaziers se dirigent vers les grandes tours – vingt étages, cinq logements par palier. Certaines ne sont pas équipées du « boîtier jaune » qui assure la communication avec GRDF : « Là c’est le jackpot, s’enthousiasment les techniciens. On vient de passer un peu plus de cent logements en gratuité de gaz, rien que sur cette tour. » Deux stickers rouge et noir de la section marseillaise de la CGT Énergie ornent désormais le coffret. 

Depuis le début du mouvement, on a retiré une soixantaine de boîtiers liés à des compteurs Linky.

« Depuis le début du mouvement, au niveau de l’électricité, on a retiré une soixantaine de boîtiers liés à des compteurs Linky, ce qui fait qu’on a déconnecté à peu près 60 000 Marseillais », comptabilise Renaud Henry, secrétaire général de la CGT Énergie à Marseille, depuis son local syndical. Pour ces foyers, Enedis ne pourra plus réduire a minima l’électricité de ceux et celles qui ne s’acquitteront pas de leurs factures. Ils et elles devraient jouir du courant normalement, et non pas des 1 000 watts accordés aux plus pauvres. Une alimentation qui ne permet pas, par exemple, de brancher une machine à café et un frigo à la fois. 

« Si Enedis veut quand même leur enlever le courant, il faudra qu’ils dépêchent des agents sur place, poursuit le cégétiste. On a demandé à nos agents de ne plus répondre à ces ordres-là. » 

La section marseillaise de la CGT Énergie revendique aussi le passage au tarif réduit de plusieurs boulangeries et petits commerces, ainsi que des opérations gaz à - 50 %, voire gaz gratuit, pour deux quartiers populaires de la ville.

Au niveau national, la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT ne boude pas son plaisir à aligner les chiffres : « Une trentaine de bâtiments de santé ne payent plus l’électricité, il y a à peu près 500 foyers précaires à qui on a rétabli l’électricité après qu’ils ont été coupés. Entre 300 et 400 petites entreprises payent désormais leur électricité à tarif réduit et plus de 100 000 foyers, dont les compteurs Linky ont été coupés du réseau, ne peuvent plus subir de baisse de charge si jamais ils ne payent pas… Il y a aussi quelques permanences de députés macronistes favorables à la réforme qu’on a privées de courant », liste Fabrice Coudour. 

7 heures du matin, fin de l’action

Dans la région de Marseille, Paul et Marcel s’offrent une cigarette.  Il est 7 heures du matin, les habitant·es commencent à sortir, quelques voitures circulent, il est temps de plier bagage mais ils promettent de revenir les jours suivants, « pour finir le travail ». « À deux, c’est pas vilain », encourage Paul.

En moins d’une heure, ils ont ouvert les robinets d’une quinzaine de coffrets, passant des centaines d’habitant·es en gratuité de gaz ou leur permettant de ne payer que la moitié du prix de leur consommation. 

Autour d’un café serré sans sucre, ils tombent le masque, les gants, le bonnet. « Pour ne pas que la boulangère pense qu’on va la braquer. » Paul et Marcel pensent que l’allongement du temps de cotisation, le rapport de l’âge légal de départ à la retraite, la suppression des régimes spéciaux protecteurs ne sont pas seulement des mesures techniques mais des choix politiques violents.

« Ils veulent supprimer notre régime alors qu’il est à l’équilibre et qu’il est même excédentaire au point de reverser une partie de nos cotisations au régime général », débute l’un. « Et comme ça ne va pas dans leur narratif que notre régime soit excédentaire, ils essayent de nous faire comme à la SNCF : ils multiplient les intérimaires pour avoir moins de statutaires qui cotisent au régime spécial, ce qui fait qu’il finira par se casser la gueule », complète l’autre. 

Lundi, un rendez-vous chez la députée LREM

Sans surprise, ils souhaiteraient que leur régime protecteur soit appliqué à l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. « Si ce n’est pas possible tel quel, on pourrait au moins généraliser l’idée de solidarité qui sous-tend notre système, et qui veut que chaque agent cotise à la hauteur de ses moyens », rêve Paul, les perles de sucre de sa brioche plein les doigts. 

Ils en ont conscience, leurs actions de ce type sont populaires. Cependant, « Robin des bois », dont Marcel, Paul et les autres se revendiquent, ne fait pas que redistribuer aux pauvres : il truande aussi les puissants. Les électriciens et gaziers marseillais comptent bien en faire la démonstration cette semaine. Pas de nom, pas de lieu, pas de précision mais ils l’assurent : « On va agir ces jours-ci, parce qu’ils ne comprennent que ça : le rapport de force. »

Lundi 13 février, les agents mobilisés rendront visite à Claire Pitollat, députée Renaissance de Marseille et ancienne agente EDF. « On a rendez-vous, d’abord pour discuter, assure Renaud Henry, de la CGT Énergie locale. Et après, on verra ce qu’on fait selon l’accueil qu’elle nous réserve et ses réponses à nos questions. »

publié le 12 février 2023

Klitch Norris et
les streamers anti-réforme

sur www.humanite.fr

De sur puis le 18 janvier, des dizaines de militants se relaient sur la plateforme de streaming Twitch pour soutenir la lutte contre la réforme des retraites grâce à une caisse de grève.

Brest (Finistère), correspondance.

De l’humour, de la musique, de l’actualité, du jeu vidéo, mais surtout des heures de discussions politiques. Depuis le 18 janvier, le streamer Klitch Norris participe avec des dizaines d’autres militants de gauche au Piquet de stream, une émission contre la réforme des retraites diffusée sur la plateforme en ligne Twitch. Le but ? Se relayer à l’écran et lever un maximum de fonds pour la caisse de grève de la CGT Infocom. Rencontré chez lui, près de Brest, ce père de trois enfants raconte aujourd’hui dédier une grande partie de son temps libre à ce projet. L’idée lui est venue il y a quelques semaines avec ses camarades Yukaino et Joyeux Sociologue, eux aussi streamers.

Entre stratégie de lutte et avenir de la gauche

C’est dans son bureau que le trentenaire passe ainsi des heures en ligne à interagir avec le public, s’attaquant à la politique de la majorité ou encore aux chimères de l’extrême droite. Le plus souvent en soirée, lorsque les petits sont couchés. Au fond de ce studio fait de bric et de broc, on distingue un flyer de la France insoumise (FI). « J’ai souvent ressenti une certaine frustration à la manière d’aborder ces sujets dans les groupes militants dans lesquels j’ai pu être. Le streaming me permet de dire ce que je veux, sans suivre la ligne d’un parti ou d’un syndicat », précise le vidéaste.  

À lui et à ses camarades, Twitch offre une opportunité de motiver les troupes et de créer un débat d’idées hors des canaux traditionnels. Sa femme, Sihaya, avec qui il réalise des pastilles vidéo sur YouTube, est aussi de la partie. Une affaire de famille, où l’on discute stratégie de lutte et avenir de la gauche entre deux parts de gâteau.

L’audience de la chaîne reste relativement modeste

Éthique et convictions politiques obligent, l’argent versé à Piquet de stream ne passe pas directement par Twitch « pour éviter d’en donner à Amazon », à qui appartient la plateforme. Si l’audience de la chaîne reste relativement modeste (quelques dizaines, voire centaines de spectateurs à la fois), le résultat est prometteur : 45 000 euros ont déjà été récoltés pour soutenir les grévistes les plus précaires, touchés par des pertes de salaire. En 2019 et en 2020, un projet similaire baptisé Recondustream et organisé contre le précédent projet de réforme des retraites, abandonné par l’exécutif en pleine pandémie de Covid, avait permis de collecter 152 000 euros en six semaines.

Un secteur souvent précaire et gangrené par l’ubérisation

C’est qu’un tel événement demande une organisation conséquente et un engagement intense, difficile à porter pour certains. Pour les militants dont le stream est le métier, cela signifie aussi une perte de revenu non négligeable dans un secteur souvent précaire et gangrené par l’ubérisation. Derrière Piquet de stream, plus d’une centaine de personnes donnent ainsi un coup de main à tour de rôle pour communiquer, s’occuper du planning ou gérer la technique. Chacun apporte sa pierre à l’édifice.

C’est pour ça que SpaaaceCore, 22 ans, a rejoint l’initiative. Le sympathisant de la FI s’occupe désormais de la promotion de l’événement. « Ça aide concrètement, le mouvement et le streaming nous permet de toucher les jeunes. C’est un outil qu’ils connaissent vraiment et on le traduit de manière à soutenir la lutte sociale. »

Difficile de manifester en fauteuil roulant

Piquet de stream permet aussi de multiplier les formats, de discuter sur le temps long, passant du divertissement pur à d’intenses moments de vulgarisation politique. Avec des moments touchants comme lorsque la jeune streameuse Desentredeux a fait intervenir son grand-père de 93 ans pour parler de son passé de militant. « Il a été très touché par les retours du public, des camarades, et très admiratif de nos façons de mener nos luttes », témoigne l’intéressée, qui participe à Piquet depuis ses débuts.

Celle-ci estime ainsi que le streaming est un mode de contestation complémentaire et « permet à certaines personnes de s’investir à leur manière ». Difficile, par exemple, de participer à une manifestation lorsqu’on se déplace en fauteuil roulant ou que l’on est agoraphobe.

Le streaming offre aussi une certaine horizontalité. Contrairement à des plateformes plus anciennes, l’interaction du public en direct est au cœur de l’intérêt de Twitch. Cet espace de dialogue, s’il est bien géré par ses utilisateurs, permet de soutenir, contredire ou corriger à la volée la parole du streamer. Et de forger une culture du collectif, seul face à son écran. « C’est paradoxal : il y a une certaine concurrence avec les autres, mais, malgré tout, on s’entraide, explique Klitch Norris. Ça crée du lien. »

À voir sur : www.twitch.tv/piquetdestream

publié le 11 février 2023

Les syndicats réussissent leur pari d’élargir la mobilisation contre la réforme des retraites

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

L’appel à manifester nationalement ce samedi contre le projet de loi Borne-Dussopt, lancé par les syndicats et organisations de jeunesse et soutenus par la gauche a suscité des cortèges plus importants que mardi dernier. Les leaders des confédérations envisagent un durcissement du mouvement social.

Les journées records de mobilisation contre la réforme des retraites s’enchainent et Emmanuel Macron ne voit toujours rien. À son habitude hors de France à chaque fois que la contestation contre son projet de recul de l’âge légal de retraite de 62 à 64 ans envahit les rues de toutes les villes, grandes et petites, le président de la République s’est contenté de souhaiter, depuis le sommet européen de Bruxelles, que « le travail puisse se poursuivre au Parlement », sans que la contestation « bloque (…) la vie du reste du pays ».

L’appel des syndicats et organisations de jeunesse à manifester ce samedi a pourtant été couronné de succès. À Clermont-Ferrand, 50 000 participants ont été comptabilisés (8 000 selon la préfecture). À Toulouse, la CGT a revendiqué un nombre record de « plus de 100 000 manifestants », contre 25 000 selon la police. À Paris, la CGT a annoncé 500 000 marcheurs contre le projet Borne-Macron. Mais ce sont dans les villes moyennes et petites que l’ampleur des cortèges a frappé à nouveau les esprits. Comme à Roanne (Loire) où la police a compté 6 000 manifestants, contre 3 000 mardi. Même tendance à Périgueux, où 5 200 personnes ont défilé contre 3 700 quatre jours plus tôt, selon les statistiques des forces de sécurité. Ou encore à Guéret, avec 4 000 participants contre 2 900 en début de semaine.

Quelles que soient les méthodes de comptage, les confédérations syndicales ont plus que réussi leur pari d’élargir le mouvement social à des cortèges d’opposants n’ayant pas pu manifester jusqu’alors, et ce, alors que deux zones sont en vacances scolaires. Si bien que ce « quatrième acte » a rassemblé plus de monde que le troisième, mardi 7 février dernier et relance la dynamique du combat contre la réforme des retraites.

Cette dynamique prend une nouvelle tournure, avec un appel à un cinquième acte de manifestation le jeudi 16 février prochain, et des leaders syndicaux qui défileront côte à côte d’Albi, cette fois. Ces derniers ont annoncé être prêts « à durcir le mouvement » et à « mettre le pays à l’arrêt le 7 mars », si le gouvernement et le Parlement « restent sourds » aux mobilisations. Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, devrait connaître des actions d’envergure « pour mettre en évidence l’injustice sociale majeure de cette réforme », insiste le communiqué des 8 confédérations unies contre la réforme des retraites. « Ça laisse un peu de temps s’ils veulent réagir », a commenté Laurent Berger (CFDT), précisant que l’ « on n’est pas dans la logique de grève reconductible ». Pour Philippe Martinez (CGT), « la balle est dans le camp » de l’exécutif.

L’examen du projet de loi gouvernemental reprend ce lundi à l’Assemblée nationale et s’achèvera quoi qu’il arrive vendredi soir. « Si le gouvernement n’entend pas (la mobilisation) c’est très grave. Il met en danger la démocratie » a déploré dans le cortège lillois Fabien Roussel (PCF). En marge du cortège marseillais, Jean-Luc Mélenchon a jugé que « Monsieur Macron, s’il compte sur l’usure, se trompe de pays », le chef de file des Insoumis estimant que sa manière d’agir est « une incitation à la violence ». À Paris, le patron du PS Olivier Faure a salué une « mobilisation extraordinaire » et souhaité « que chaque article soit décrypté » lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.


 


 

500.000 personnes à Paris. Des manifestants venus en famille pour « transmettre le témoin des luttes sociales »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Dans la foule du cortège parisien, les primo manifestants et les familles se sont joints aux très denses cortèges syndicaux.

« C’était match ou manif… ». Entre le match des Six nations opposant la France à l’Irlande ou manifester contre la réforme des retraites, Clément a fait son choix. Comme de nombreux manifestants, ce samedi à Paris, ce syndicaliste CGT dans la culture manifeste pour la première fois du mouvement. Clément est venu avec ses collègues Lucile et Anne. Lucile a tenu à être accompagnée de sa fille, Anna, 15 ans. « C’est la première fois que je manifeste car c’est un samedi. Et je tenais à être avec ma fille, c’est pour transmettre le témoin des luttes sociales. » Anna, lycéenne, vit sa deuxième manifestation de rue. La première était en novembre, avec le collectif Nous Toutes, contre les violences faites aux femmes. «  J’avoue être moins concernée par les retraites que par les questions sociétales », assure-t-elle. Anne, la collègue de Lucile, poursuit : « Les femmes seront les premières touchées par cette réforme. Je viens de la montagne, ma mère a été saisonnière. Elle est morte six mois après son départ, avec une pension de misère, à 64 ans. Le symbole de cet âge est lourd. »

Manifester le samedi, un bon compromis.

Un peu plus loin, sur la place de la République, Simon et Géraldine tiennent la main de leur fils, Abel, 4 ans. « Bien que les scratchs de ses chaussures fassent des siennes, c’est sa première manifestation, glisse le caméraman de profession. C’est important qu’il sache qu’il est possible de contester les choses dans la rue, pacifiquement. » Simon était déjà dans la rue mardi, sans faire grève. Sa compagne, l’est pour la première fois. « Je ne travaille pas à Paris, ce qui complique le fait de venir en semaine, mesure le professeur des Universités . D’autant qu’il faut venir récupérer la petite à 17 heures tous les soirs à la maternelle. » Manifester le samedi est un bon compromis pour ce couple. Même s’ils ne font pas grève, leur détermination à obtenir le retrait de la réforme est intacte. «  Je ne me vois pas porter une caméra après 50 ans… » glisse Simon. Géraldine, elle, a fait ses calculs : « J’ai 40 ans, il me reste 103 trimestres à cotiser. Je devrais donc travailler jusqu’à 67 ans. » Et d’ironiser «  Si je ne suis pas en burn-out, c’est sûr que je serais en pleine forme pour enseigner et faire de la recherche ! »

De ma difficulté de faire grève

Dans la manifestation, après le Bataclan, en direction de la place de la Nation, le cortège est à l’arrêt. Clément et Johanna, bientôt 40 ans, tiennent la poussette de leur nourrisson. « Je travaille dans la formation professionnelle. Je donne des cours à des gens venus de France entière. Impossible de faire grève, car derrière, les gens ne peuvent pas rattraper la formation », insiste Clément. Johanna, metteuse en scène poursuit « nous sommes trop précaires pour faire grève. » Tous deux saluent l’organisation de cette journée en week-end. Pour autant, Clément se dit « admiratif » des professions qui devraient se lancer dans une grève reconductible à compter du 7 mars. Et de conclure «  je pense donner un peu d’argent à une caisse de grève pour les soutenir. »

 

L’intersyndicale prête à durcir
le mouvement, vers une grève reconductible dès le 7 mars

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

L’intersyndicale hausse le ton face à un gouvernement arc-bouté sur sa réforme des retraites, malgré la contestation populaire. Lors d’une conférence de presse, en amont de la manifestation parisienne de ce samedi 11 février, les leaders des confédérations annoncent « durcir le mouvement ». Les centrales syndicales appellent à « mettre la France à l’arrêt », le 7 mars, si « le gouvernement et les parlementaires restaient sourds à la contestation. »

« Cette démarche se construit sur le terrain, pas besoin de galvaniser nos troupes, elles le sont déjà, mesure Frédéric Souillot (FO), chargé de lire la déclaration de l’intersyndicale. Entre le 16 février et le 7 mars, nous allons maintenir la pression à la base » Par ailleurs, les responsables des organisations syndicales ont annoncé leurs présences jeudi prochain à Albi, pour la prochaine journée de mobilisation interprofessionnelle. La préfecture du Tarn, terre de Jean Jaurès, avait vu manifester 15 000 personnes le 31 janvier. Une démarche pour « appuyer l’ancrage fort de ce mouvement partout sur le territoire, dans les petites villes, comme dans les plus grandes », selon la déclaration conjointe, alors que la région d’Occitanie ne sera pas en vacances scolaires. Les syndicats innovent donc une fois de plus dans leurs formes d’action afin de mettre en échec la stratégie de l’enlisement d’un gouvernement qui reste sourd aux demandes de dialogue.

Après les congés scolaires, la journée du 7 mars devrait voir des secteurs professionnels reconduire la grève. Une perspective d’ores et déjà prévue par cinq fédérations de la CGT : verre-céramique, ports et docks, cheminots, énergie et chimie. Par ailleurs, les syndicats CGT, FO, Unsa et CFE CGC de la RATP, ont annoncé, ce samedi, « une grève reconductible à partir du 7 mars afin de peser encore plus fort et gagner le retrait de ce projet de loi. »

Frapper plus fort

« Nous avions toujours dit que si le gouvernement ne comprenait pas le rejet dans la rue, nous allions frapper plus fort », insiste Philippe Martinez. De son côté, Benoit Teste assure que « la question de continuer la grève se posera dans l’ensemble des secteurs. » Le secrétaire général de la FSU annonce que le 7 mars sera « une immense journée et massive », symbolisant « une montée en puissance de la contestation », dans un mois de mars « crucial pour l’emporter. » « Le gouvernement tente de faire le buzz pour détourner la colère. Mais ça ne fonctionne pas. 75 % des citoyens rejettent la réforme », note François Hommeril. Le président de la CFE-CCG affiche toutefois des réserves sur des actions susceptibles à « amoindrir la force du mouvement », tout en assurant que « la balle est dans le camp du gouvernement. »

Enfin, l’intersyndicale entend « se saisir » du Frapper plus fort8 mars, journée internationale de la lutte pour le droit des femmes, « pour mettre en évidence l’injustice sociale majeure de cette réforme envers les femmes », grande perdante de cette réforme. Des initiatives conjointes avec les associations sont d’ores et déjà prévues.

 

  publié le 10 février 2023

Contre la réforme, les syndicats voient encore plus grand

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

En appelant les salariés à se mobiliser ce samedi 11 février, les organisations syndicales et de jeunesse, unanimes contre le projet du gouvernement, veulent élargir le périmètre des cortèges au-delà des habitués. Elles envisagent toujours l’arme de la grève.

Le calendrier sort de l’ordinaire : ce samedi,­ les salariés sont appelés à se mobiliser partout en France. « Avec près de 2 millions de manifestants, ce 7 février a confirmé, s’il était encore nécessaire, la très forte détermination à refuser le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement », écrivaient, mardi, les 13 organisations syndicales dans un communiqué. « L’intersyndicale appelle toute la population à manifester encore plus massivement, le samedi 11 février, sur l’ensemble du territoire. »

Ce n’est pas la première fois que des syndicats organisent des journées de mobilisation le week-end – c’était le cas en octobre 2010, par exemple, lors de la bataille contre une autre réforme des retraites, défendue alors par François Fillon. Mais, globalement, les initiatives de ce type restent rares. L’objectif affiché par les syndicats est très clair : ils veulent renforcer la mobilisation en l’élargissant, en permettant à des gens qui hésitent à descendre dans la rue pendant la semaine de rentrer dans la bataille. « Il y aura beaucoup de personnes samedi qui n’étaient pas là mardi », pronostiquait ainsi, mercredi, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, sur LCI.

« Nous voulons nous adresser à tous ceux qui ont du mal à se mobiliser pendant la semaine, complète Céline Verzeletti, secrétaire confédérale à la CGT. Je pense notamment à tous ces salariés isolés, dans des secteurs dépourvus d’implantation syndicale, mais aussi aux travailleurs sous contrat précaire, qui hésitent à faire grève car ils craignent de ne pas être renouvelés. Nous espérons enfin que la manifestation sera plus familiale. » Personne ne se risque à avancer des chiffres de mobilisation, mais il est probable que les cortèges voient apparaître de nouvelles têtes, comme en témoignent ces salariés rencontrés par l’Humanité.

« Faire la démonstration du soutien de l’opinion »

Sur le terrain, les syndicalistes battent la campagne pour rallier le plus de monde possible. « Nous avons organisé beaucoup de tractages, devant les cantines administratives d’Amiens et sur la zone industrielle, à la porte des sociétés, raconte Kévin Crépin, secrétaire général de l’UD CGT de la Somme. Nous avons rencontré des gens pris à la gorge par l’inflation et le tassement du pouvoir d’achat, qui n’avaient pas fait grève jusque-là mais qui comptent bien venir samedi. » « En diversifiant le profil des manifestants, le but des syndicats est de faire la démonstration “physique” du soutien de l’opinion publique, analyse l’historien spécialiste des mouvements sociaux Stéphane Sirot. L’hostilité à la réforme est telle qu’un retournement brusque de l’opinion me paraît très improbable.  »

De fait, l’opposition au texte défendu par Élisabeth Borne atteint des niveaux inédits, par-delà les traditionnels clivages de classe ou de tranches d’âge. Un sondage Elabe publié ce mercredi 8 février le confirme encore, malgré un léger tassement : la réforme est toujours rejetée par 75 % des ouvriers et employés ; 76 % des professions intermédiaires ; 63 % des cadres, etc. « Globalement, le gouvernement a perdu la bataille de l’opinion, affirme Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa. Tout le monde a bien compris qu’avec cette réforme, il en prenait pour deux ans ferme. C’est encore plus difficile à accepter quand on sait qu’il n’y a aucune urgence à réformer, contrairement à ce que veut nous faire croire l’exécutif. »

Ce n’est pas un hasard si, dans ce contexte, ce dernier durcit le ton, quitte à s’embourber dans la caricature. « N’ayons pas peur de le dire : en matière de retraites, mesdames et messieurs les députés, c’est la réforme ou la faillite ! » lançait le ministre Gabriel Attal à l’Assemblée nationale, au début des débats. Usé jusqu’à la corde et inaudible pour une large partie de la population, cet argumentaire apocalyptique traduit la fébrilité du pouvoir au moins autant que sa détermination. Poussés dans leurs retranchements par des députés LR moins conciliants que prévu, les macronistes continuent de lâcher du lest sur le texte pour tenter d’arracher le soutien de la droite. Dans le même temps, ils espèrent à chaque journée de mobilisation que les défilés marqueront le pas.

Par définition, la manifestation de samedi pèsera moins sur l’activité économique qu’une journée en semaine, puisque les débrayages seront beaucoup moins nombreux. Cependant, il n’est pas question, pour les confédérations syndicales, de renoncer à l’arme de la grève, comme elles ne cessent de le répéter. « S’il faut passer par des blocages, nous n’aurons aucun doute, il faudra y aller ! » martèle Dominique Corona. « Les salariés sont lucides, ils savent qu’il va falloir en faire beaucoup plus pour faire céder le gouvernement et le président de la République, soulignait de son côté Philippe Martinez, sur BFM, le 7 février. Cela passe par des grèves et certainement par des grèves reconductibles. »


 


 

Mobilisations après samedi,
rendez-vous jeudi 16 février

Sur www.humanite.fr

Le calendrier de la suite de la mobilisation se précise. Jusqu’à présent, seule la journée du samedi 11 février était actée, mais l’intersyndicale vient d’annoncer une nouvelle date, le jeudi 16 février. Dès mardi, Philippe Martinez (CGT) avait appelé à des grèves « plus nombreuses et plus massives ». De son côté, Solidaires suggère le 8 mars comme première journée de grève reconductible, tout en précisant que « cette proposition doit s’articuler avec le calendrier de l’intersyndicale ». Face à l’entêtement de l’exécutif, Laurent Berger (CFDT) alerte sur « un risque » que le mouvement ne « dégénère ».


 


 

Grève le 7 mars : le plan de l’intersyndicale se dessine [L’AG]

Guillaume Bernard sur ttps://rapportsdeforce.fr

Grève le 7 mars et reconduction possible dès le 8 mars pour certains syndicats ? Le plan de l’intersyndicale se précise peu à peu. Pendant ce temps, une journée de grève est déjà fixée au 16 février, et la manifestation du samedi 11 s’annonce massive.

Grève reconductible : le plan se dessine

On s’attendait à ce que les annonces des prochaines journées de mobilisation soient faites à l’issu de la réunion intersyndicale qui aura lieu samedi 11 février en fin de matinée. Or Yvan Ricordeau, un des secrétaires nationaux de la CFDT a annoncé aujourd’hui à l’AFP qu’une journée de grève nationale aurait lieu le 7 mars, en plus du 16 février. « Il y aura une grosse journée le 7 et une initiative particulière le 8, en lien avec la journée internationale des droits des femmes », a-t-il précisé à l’AFP. Cette déclaration est d’une grande importance. Alors que l’union syndicale Solidaires a soumis à l’intersyndicale sa volonté d’enclencher une grève reconductible à partir du 8 mars, elle semble montrer que le reste de l’intersyndicale n’a pas d’hostilité à ce que se mette en place cette stratégie complémentaire. L’annonce confirme la volonté de l’intersyndicale d’ancrer la grève autour de cette journée internationale de lutte contre les droits des femmes. La CGT et la FSU pourraient être les premiers à se joindre à ce plan de bataille.

« On ne veut pas se faire piéger par un faux rythme, qui nous enfermerait dans le fait de mettre notre énergie dans les grandes mobilisations, en s’empêchant de pouvoir construire la grève reconductible. Nous proposons donc une date qui pourrait circuler et donner confiance à tout le monde pour dire : on part en reconductible. Ce serait autour du 8 mars », expliquait Simon Duteil, co-secrétaire générale de Solidaires dans une interview à Rapports de Force.

« Le 8 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes : or, on sait que la question des femmes est centrale dans cette réforme. Celle-ci va fortement leur nuire, contrairement à ce que prétend Élisabeth Borne. On sait aussi que la manifestation du 8 mars 2020 a été la plus importante justement parce qu’on sortait de longs mois de mobilisation contre la réforme des retraites. Notre souhait, c’est que le 8 mars 2023 fasse entièrement partie du calendrier de la bataille contre la réforme des retraites », précisait Murielle Guilbert, également co-secrétaire générale de Solidaires, dans la même interview.

 Un 11 février de tous les records ?

Après trois journées de grèves et de manifestations en semaine, l’intersyndicale mise sur un élargissement de la mobilisation à de nouvelles parties du monde du travail, pour qui la grève est difficile, en proposant de manifester samedi 11 février. Ce jeudi, nous avons déjà répertorié 244 manifestations sur l’ensemble du territoire. Le 31 janvier, journée de mobilisation particulièrement massive, les syndicats avaient recensé 268 lieux. Il est probable que ce chiffre soit cette fois-ci dépassé.

 

 

Retraites : Des messages de solidarité de syndicats du monde entier

Sur www.humanite.fr

En Italie, l’Union italienne du travail (UIL)

« Nous partageons et soutenons les raisons pour lesquelles vous avez choisi de manifester et de faire grève. Nous sommes à vos côtés et ne manquerons pas de soutenir les développements de votre action. »

En Espagne (Pays Basque), Solidarité des Ouvriers Basques (ELA)

« Votre combat est aussi notre combat ! Nous savons à quel point la solidarité internationale est importante entre ceux qui partagent les mêmes luttes pour améliorer les conditions de travail et de vie de la classe ouvrière en France, au Pays basque et dans le monde. »

En Algérie, la Confédération générale autonome des travailleurs (CGATA)

« Vous menez un noble combat, vous honorez la mémoire de ceux et celles qui vous ont précédés pour arracher de tels acquis et vous refusez de ne laisser qu’un champ dévasté aux générations futures. Nous vous déclarons notre entière solidarité. »

En Angleterre, le syndicat des travailleurs de la fonction publique (PCS)

« Une victoire en France, où la mobilisation permettrait de repousser le plan du président Macron, devrait inspirer le mouvement syndical britannique pour se battre également. »

En Belgique, la Confédération des Syndicats chrétiens (CSC)

« C’est une joie de voir à nouveau tant de villes et de places en France devenir des lieux de rencontre pour parler de dignité au travail, de pensions et de projets de vie émancipée ! Nos cœurs et nos pensées sont avec vous. »

À Bruxelles (UE), l’IndustriALL

« Nous saluons cette grève intersectorielle importante, qui vise à faire échouer la réforme des retraites annoncée par le président Emmanuel Macron et à s’attaquer à ces mesures injustes que le gouvernement français tente d’imposer aux travailleurs. Nous soutenons nos camarades et affiliés de la CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires et FSU. »

Au Liban, la Fédération nationale des syndicats des travailleurs et des employés du commerce (Fenasol)

« Nous saluons la grande mobilisation de la CGT et des syndicats en France dans leur lutte pour défendre les intérêts des travailleurs contre le projet du gouvernement sur les retraites. Nous sommes certains que vous allez réussir, dans l’unité syndicale. »

En Argentine, la Centrale des travailleurs d’Argentine (CTA-T)

« Nous partageons pleinement votre lutte contre ce projet et les politiques néolibérales qui, depuis des années, bafouent partout les droits sociaux, du travail et syndicaux. »

En Italie, la Confédération générale italienne du travail (CGIL)

« Nous serons dans les rues avec vous, à Paris et dans toutes les villes où il y a des camarades de l’Inca-CGIL. Nous sommes à vos côtés dans cette lutte. »

En Inde, le conseil central des syndicats ( AICCTU)

« Nous sommes confiants, le mouvement ouvrier uni, en France, va certainement parvenir à faire reculer le gouvernement. Nous souhaitons à la classe ouvrière une grande victoire contre cette réforme des retraites. »

En Nouvelle-Calédonie, l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE)

« Repousser l’âge de départ à la retraite est une mesure antisociale. Les plus riches trinquent tandis que le peuple trime à payer le capital. C’est la garantie de vieillir en mauvaise santé, surtout pour ceux ayant les revenus les plus modestes. »

Aux Philippines, le centre des travailleurs unis et progressistes (Sentro)

« Le Sentro exprime sa solidarité avec les travailleurs de France alors qu’ils résistent collectivement aux attaques pour faire reculer les protections sociales dont ils bénéficient. Alors que le monde est confronté aux multiples menaces et pressions liées à une récession imminente, à la résistance du Covid, ainsi qu’aux effets de la guerre, une politique sociale régressive est la dernière chose dont les travailleurs ont besoin. »

Au Bangladesh, le syndicat national des travailleurs de l’habillement (NGWF)

« Le gouvernement français joue le rôle de gardien des riches en abandonnant les intérêts des gens du peuple. Les travailleurs de l’habillement du Bangladesh sont solidaires avec les syndicats qui appellent à la grève et avec tous les mouvements de travailleurs français. Nous sommes à vos côtés. »

publié le 8 février 2023

Retraites : dans des cortèges moins fournis, l’envie d’en découdre

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Pour la troisième journée de manifestations contre la réforme des retraites, mardi 7 février, des rassemblements ont encore éclos sur tout le territoire, y compris dans des villes peu habituées aux défilés. La police a compté un peu plus de 750 000 manifestants, moins que les deux premières mobilisations. Les discussions sur la suite se font pressantes.

La vague de contestation contre la réforme des retraites a cessé de grossir, mais elle déferle toujours ce 7 février. Pour la troisième journée de mobilisation appelée par les huit syndicats de salarié·es unanimes, après les 19 et 31 janvier, de larges manifestations ont eu lieu dans tout le pays, et dans de très nombreuses communes, bien au-delà des lieux traditionnels de manifestation (lire ici nos récits au cœur de cortèges partout dans le pays).

Le ministère de l’Intérieur a annoncé avoir compté 757 000 manifestant·es : 700 000 personnes hors de Paris, et 57 000 dans la capitale. La CGT, elle, a revendiqué « près de 2 millions » de manifestant·es, dont 400 000 à Paris, autant que le 19 janvier – contre 2,8 millions le 31 janvier.

Comme anticipé, on est loin du record du 31 janvier (1,27 million de personnes dans les rues de France selon la police, un record depuis la fin des années 1980, et 87 000 à Paris). Mais les chiffres restent très hauts, pour une troisième manifestation sur le même thème en moins de trois semaines. D’autant que les syndicats ont aussi donné rendez-vous dans la rue samedi 11 février, faisant le pari que les cortèges grossiront avec les familles, et les salarié·es qui ne peuvent ou ne souhaitent pas poser de jour de grève pour aller manifester.

Pour Guillaume, professeur d’EPS et militant de la FSU croisé à Amiens, il s’agit d’une course d’endurance. « Ce n’est pas de la résignation, c’est de la conscience professionnelle », glisse-t-il en constatant que la fréquentation était moindre. Mais il appelle à scruter « la diversité des profils » présents dans les rues.

Tout comme Agathe, Parisienne défilant « pour la première fois en tant que libraire » : « Notre profession, ce sont principalement des petites entreprises de quatre, cinq, dix salariés. Nous sommes en dessous des seuils de représentations syndicales. » Mais ses collègues et elle mettent un point d’honneur à venir défiler, à trois ou quatre sur les sept employé·es de la boutique, à tour de rôle, patronne comprise. La libraire résume le sentiment général face à la réforme, et sur les mauvaises conditions générales de travail qu’elle fait mine d’oublier : « Derrière la joie qu’on éprouve à manifester toutes et tous ensemble aujourd’hui, il y a tout de même beaucoup de colère… »

La querelle d’interprétation sur ces données ne devrait néanmoins pas manquer de se déployer rapidement, entre un gouvernement et sa majorité parlementaire qui seront enclins à pointer un « essoufflement » du mouvement, et leurs opposants qui se prévaudront de la robustesse du mouvement et de son ancrage territorial.

Lieux de rassemblement toujours nombreux 

Pour s’alimenter, les deux récits pourront piocher des arguments dans les faits du jour. Le taux de grévistes est en baisse dans tous les secteurs (transports, énergie, éducation, fonction publique), mais le mouvement est loin de montrer des signes d’épuisement.

Chez EDF, plus d’un tiers de grévistes ont entraîné des baisses de production importantes dans les centrales électriques, atteignant en tout l’équivalent de six réacteurs nucléaires. Et la SNCF n’a réussi à faire rouler que deux TGV sur trois, un Intercité sur deux et un TER sur deux. La circulation des trains restera par ailleurs perturbée mercredi, puisque la CGT et SUD ont appelé à une grève de deux jours.

Dans les grandes métropoles régionales, la participation aux manifestations reste importante. Il y avait quelque 25 000 personnes à Toulouse selon la police (la CGT en a dénombré 80 000) , 11 300 à Grenoble (27 000 selon la CGT). À Lyon, la préfecture a annoncé 10 700 manifestant·es, alors que le quotidien Le Progrès en a dénombré entre 14 000 et 19 000 – la préfecture les avait estimé·es à 25 000 le 31 janvier.

Surtout, le mouvement s’enracine dans des villes peu connues pour leur tradition contestataire et qui sont souvent des fiefs de la droite.

Particulièrement scrutées depuis le début du mouvement, les villes moyennes ont aussi enregistré une baisse de participation dans les manifestations. À Pontivy (Morbihan) ils étaient 3 000 ce matin, contre 5 000 la semaine dernière. On en comptait 5 000 à Angoulême selon les autorités, contre 8 500 le 31 janvier et 9 000 le 19 janvier. À Rouen, les manifestant·es étaient 8 700 selon la préfecture, contre 13 800 le 31 janvier et 13 000 le 19.

Mais là aussi, l’essoufflement est à relativiser. Le nombre d’appels à manifestation dans les différents départements atteint toujours un niveau rarement vu. Dans la Sarthe, outre la manifestation au Mans, traditionnel lieu de défilé, pas moins de quatre manifestations supplémentaires étaient organisées. En Normandie, quatre autres défilés étaient prévus, en plus de ceux de Rouen et du Havre. Des situations qui se sont répétées à l’identique en Bretagne, dans les Alpes, en Dordogne, dans l’Est…

Surtout, le mouvement s’enracine dans des villes peu connues pour leur tradition contestataire et qui sont souvent des fiefs de la droite. À Albertville (Savoie), ancien fief du chiraquien Michel Barnier, quelque 3 000 personnes ont défilé. À Pau, ville dont François Bayrou est le maire, quelque 7 500 personnes selon la police ont défilé. Les élus de ces villes pourront-ils rester longtemps insensibles aux protestations de leurs électeurs ? Le pari des syndicats, CFDT en tête, est que la pression sera trop forte.

Des manifestants loin des débats parlementaires 

Dans les cortèges, ils étaient bien peu à évoquer les débats qui ont démarré la veille à l’Assemblée nationale. Malgré des premières heures de discussion très agitées, l’inflexibilité du pouvoir, et les cartes institutionnelles qu’il pourrait jouer pour faire passer le texte même sans majorité, ne permet pas de penser que le Parlement pourra jouer un rôle de contre-pouvoir.

Ce mardi en fin d’après-midi, « l’article liminaire », qui introduit le texte de la réforme, a été voté dans l’hémicycle, à une courte majorité. 247 député·es ont voté en faveur d’un appel à supprimer cet article, et seulement 257 ont voté contre. Puis, le propos a été adopté par l’Assemblée nationale avec 246 votes pour et 229 votes contre.

C’est lors des questions au gouvernement que la position de l’exécutif, en la personne du ministre du travail Olivier Dussopt, s’est révélée la plus fragile. Iñaki Echaniz, député PS des Pyrénées-Atlantiques, lui a posé une question sur les retraites. Elle reprenait, quasiment mot pour mot, la question posée en 2010 par un jeune député socialiste nommé… Olivier Dussopt, alors farouchement opposé à un décalage de l’âge légal. Il dénonçait à l’époque une réforme « doublement injuste ». Olivier Dussopt a répondu comme si de rien n’était, avant que l’élu des Pyrénées-Atlantiques reprenne la parole pour révéler le pot aux roses.

Mais dans les défilés, cet effet de manche n’a pas été remarqué ni commenté. Les discussions tournaient bien plus autour des questions stratégiques. Celles et ceux qui défilent sont nombreux à avoir en tête le dilemme des syndicats, qui cherchent à préserver à la fois leur unité et le soutien populaire, et hésitent à se lancer dans des actions plus dures, qui risqueraient de faire s’éloigner la CFDT, et de braquer une partie des Français·es. Mais comment faire bouger un gouvernement qui reste inflexible sur l’essentiel ?

« Il faut mettre le bordel. Il n’y a plus que cela à faire », s’indignaient dans la matinée deux manifestantes niçoises de 69 et 74 ans. À Lyon, Fred, 47 ans, salarié dans un laboratoire du secteur hospitalier et militant de la CFDT pense comme elles. « C’est presque trop structuré pour que ce soit révolutionnaire. Là on s’amuse, on est gentils et c’est cool, mais ça ne suffit pas, estime-t-il. Il faut reprendre la pression des samedis comme pendant les gilets jaunes, le 11 ce sera un vrai test. Mais c’est la seule voie, parce qu’après trois jours de grève les gens tirent la langue. »

Le militant à la chasuble orange rejoint les déclarations des dirigeants CGT considérés comme des « durs ». « Si on en reste à des journées comme celles-là, on en fait encore trois ou quatre, le gouvernement passe son projet », s’énervait ce matin sur France Info Laurent Brun, secrétaire de la CGT Cheminots, tandis que Virginie Gonzales, dirigeante du secteur Mines Énergie appelait à passer « à la vitesse supérieure ».

Dans l’intersyndicale, on est conscient de l’impasse qui pourrait se profiler, et les échanges se font plus serrés pour organiser au moins une journée de grève dure, peut-être le 8 mars, après les longues vacances de février, qui s’étalent sur quatre semaines. À ce moment, le texte sera en discussion au Sénat.

Mais pour l’heure, les dirigeants syndicaux, réunis en fin d’après-midi à la Bourse du travail à Paris, n’ont rien tranché. Ils se sont bornés à appeler au retrait du texte et à souligner que le gouvernement « portera la responsabilité des suites de ce mouvement social inédit par son ampleur et désormais ancré dans le paysage social ». Alors qu’ils devaient tenir une conférence de presse, celle-ci a été reportée à la fin de la manifestation de samedi prochain.

Premières failles dans le mouvement ? Jusque-là entièrement alignée sur les positions de l’intersyndicale, la CGT a cette fois également publié un communiqué de son côté. Si le gouvernement s’entête, prévient-elle, « il faudra passer à la vitesse supérieure avec des actions plus marquées, plus longues, des grèves plus dures, plus nombreuses, plus massives et reconductibles ». L’avertissement vaut sans doute pour le gouvernement comme pour les syndicats les plus sages.


 


 

Retraites : 3ème round à Montpellier ou comment tenir dans la durée pour gagner

M. Le Coz sur https://lepoing.net/

Troisième journée de grève et de manifestation ce mardi 7 février à Montpellier, comme dans plus de 200 villes, contre la réforme des retraites, dans une unité syndicale qui persiste.

Effectivement le nombre de manifestant·es était un peu moins important que mardi dernier, un peu plus de 15 000 à Montpellier dit la CGT, 1500 à Sète et 5000 à Béziers. Mais le nombre concernant cette journée n’est pas le seul élément à prendre en compte car une nouvelle manifestation doit clore la semaine, ce samedi 11 Janvier à 13h sur les berges des rives du Lez. Et deux journées de mobilisation dans la semaine, cela commence à compter. Même si comme nous le confie un délégué de la CGT : « la manifestation de samedi sera plutôt sociétale. Ce qui n’est pas dans nos objectifs de s’inscrire dans une mobilisation de grèves reconductibles permettant d’engager une lutte qui pourrait gagner.». Ceci étant dit, la journée de samedi sera sans doute l’occasion d’évaluer le mécontentement des non-grévistes. D’autant que la période qui s’annonce, avec l’étalement des vacances scolaires sur les 3 zones, risque d’être une difficulté dans la dynamique d’une mobilisation qui persiste et s’étend.

La manifestation a suivi le même parcours que le 31 janvier (et que le 19 janvier… sic.) de la place Zeus au Peyrou puis à la Comédie avec le long du parcours du café offert en soutien aux manifestant·es par la Biocoop du Courreau. On a pu voir à nouveau tous les syndicats et partis politiques. Un cortège CGT en tête très fourni et mais également un beau cortège de jeunes, facultés et lycées, très dynamique et plus nombreux que les fois précédentes. Ce qui a fait dire dans la prise de paroles à la fin par le leader CGT  « maintenant les étudiants rentrent dans le mouvement » . Par contre la CFDT avait un cortège bien plus mince que la semaine dernière ce qui évoque sans doute cette fameuse question de l’unité syndicale dont le Poing écrivait pour le premier rassemblement du 13 janvier devant la préfecture qu’elle « était aussi attendue qu’espérée ». Le cortège Solidaires, en queue de défilé, semblait lui clair sur les objectifs : les journées de mobilisations de suffisent pas. Autrement dit : passons d’une grève d’opinion à une grève de combat. 

Le Poing a évoqué cette question avec différentes personnes lors de la manifestation. Un délégué de la CGT a évoqué « cette unité aussi miraculeuse que fragile car elle existe autour d’une seule revendication commune : le refus du recul de l’âge à 64 ans. Ce qui explique également la présence de nombreux secteurs de la population dans la rue, c’est cette mesure qui est inacceptable». Pour autant, les modalités d’action sont difficiles à trouver, par exemple une institutrice à la retraite rencontrée explique que pour ses collègues en activité « c’est le troisième jour de grève et entre deux journées de mobilisation prévues dans la même semaine elles ont préféré choisir le samedi plutôt que de perdre encore une journée de salaire. Les caisses de solidarité ont d’ailleurs du mal à se remplir à la fois à cause de l’inflation mais également sans perspective concrète quand les journées de grève sont ponctuelles, trop parsemées dans le temps ».

En 1995 la mobilisation dans la rue et le mouvement social a mis trois semaines pour faire plier le ministre Juppé, «on ne reproduira pas 1995» nous dit un délégué de Solidaires «on sait aussi qu’une seule journée de grève de temps en temps sans passer à un stade supérieur c’est une impasse pour un mouvement». Plus loin dans la manifestation la rencontre de deux militant·es de Sud Rail permet d’évoquer la grève reconductible :  « c’est un sujet à l’ordre du jour dans chacune de nos assemblées générales cela le sera encore mais sous couvert de l’unité syndicale, c’est la première chose à préserver l’unité syndicale pour la décision de toute forme d’action. » En allant à la rencontre de militants de la CGT des hôpitaux, le Poing apprend que pour l’instant il n’y a pas d’assemblées générales au CHU et cette question n’est pas évoquée. Dans les prises de parole de la CGT à la fin de la manifestation cette question a été énoncée : inscrire dans la durée le mouvement, alors que le débat au Parlement est ouvert. « Cette réforme est rejetée par l’ensemble des syndicats et de la population , la seule réponse à obtenir du gouvernement c’est son retrait. Pour cela débattons  partout y compris de la grève reconductible ».

Nous en sommes à un moment d’étape dans la mobilisation. Préserver l’unité syndicale c’est bien. Gagner, c’est mieux. 


 


 

Retraites : Dans les raffineries, tous
« prêts à partir en reconductible »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

La colère bouillonne toujours dans les raffineries des Bouches-du-Rhône, en grève ces mardi et mercredi. Cependant, les salariés ne veulent pas faire grève « par procuration ».

Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyé spécial.

Pour eux, la mobilisation coule de source. « Vous ne trouverez pas grand monde dans les raffineries qui soit enchanté à l’idée de bosser deux ans de plus, sourit Sébastien Varagnol, de la CGT du site de Lavéra (groupe Ineos, Bouches-du-Rhône). Nous avons des métiers pénibles, avec des salariés en trois-huit, qui vivent sept ans de moins que la moyenne. Résultat, tout le monde est hostile au projet de réforme, même ceux qui ne se mobilisent pas. » Le délégué doit hausser la voix : le bruit des enceintes se mêle au mistral qui s’engouffre sur le quai du port de Marseille, et le tout est ponctué par les détonations des pétards. En cette matinée ensoleillée, le cortège syndical s’étire lentement en direction de la porte d’Aix, affichant une joie conquérante – la CGT a compté 180 000 personnes, à peine moins que lors de la journée précédente. Les premiers fumigènes montent dans le bleu éclatant du ciel.

« Les gens savent très bien que ce type de journée ne suffira pas, poursuit Sébastien. Pour faire plier le gouvernement, il faudra peser plus fort sur l’outil de travail, comme à l’automne dernier. » Forcément, le souvenir plane dans toutes les têtes : à l’époque, plusieurs raffineries de Total et ExxonMobil s’étaient mises en grève pour arracher des augmentations de salaires. On n’en est pas encore là, même si les taux de grévistes revendiqués par les raffineries du département se maintiennent à des niveaux élevés et que le mouvement reconductible s’annonce du même niveau ce mercredi. « Chez les équipes de nuit, on tournait autour de 90 % de grévistes et nous étions à 75 % ce matin, assure Fabien Cros, délégué CGT de la raffinerie Total de la Mède. Les gens se sentent très concernés par la bataille des retraites : regarde le monde qui défile aujourd’hui ! »

La volonté des salariés d’en découdre

Dans la foule, on croise Nathalie, qui travaille au CSE de LyondellBasell depuis vingt-trois ans. Issue d’un milieu populaire – son père était ouvrier dans une ancienne raffinerie BP –, elle a commencé à travailler dès 19 ans, sitôt empoché son BEP de sténo-dactylo. À 56 ans, Nathalie sait qu’elle pourra partir plus tôt, au titre du dispositif « carrière longue », mais qu’elle devra malgré tout trimer deux ans supplémentaires. « Partir à 63 ans plutôt qu’à 61, ce n’est pas la même chose, explique-t-elle. Je n’ai pas à me plaindre de mon salaire, ni de mes conditions de travail, mais à partir d’un certain âge, on fatigue quoi qu’il arrive. Les réveils sont plus difficiles, le dos commence à tirer… »

Nathalie se dit prête à se battre « jusqu’au bout », c’est-à-dire jusqu’au retrait. Ce n’est pas la seule : la plupart des salariés que nous avons rencontrés nous ont confié leur volonté d’en découdre, à condition de ne pas monter au front tout seule. « Les gars sont prêts à partir en reconductible, mais il faut que cela suive ailleurs, résume Fabien Cros. Nous sommes souvent l’avant-garde des mouvements sociaux, ce qui veut dire qu’on se prend les attaques médiatiques les plus féroces. Les collègues en ont marre. » Délégué CGT dans la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer, Lionel Arbiol ne dit pas autre chose : « La grève par procuration, on n’en veut plus. En 2010 (contre la réforme des retraites – NDLR), en 2016 (contre la loi travail – NDLR), le secteur s’est mobilisé très fortement. Là, nous avons besoin que tout le monde s’y mette. »


 


 

Grève reconductible le
8 mars : la proposition de Solidaires

La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/

Solidaires en est persuadé, pour gagner il faut une grève dure. Comment la réussir avec des manifestations très imposantes, mais des assemblées générales encore peu fréquentées et des secteurs traditionnels qui ne souhaitent pas partir en grèves seuls ? Pour résoudre l’équation, Solidaires met en débat en son sein, comme auprès de ses partenaires syndicaux, une date de départ commune en grève reconductible le 8 mars.

  

Le niveau de mobilisation et de grève du 19 et du 31 janvier a été très haut, au point, semble-t-il, d’avoir surpris un peu tout le monde. On a désormais cette troisième journée du 7, plus un samedi… Ce niveau de conflictualité est-il suffisant pour espérer faire reculer le gouvernement ? 

Murielle Guilbert : Les millions de personnes dans la rue ont eu un effet de dynamique assez incroyable. Au-delà des choix tactiques qui seront faits dans les prochains temps, cela a renforcé la capacité à se projeter dans une victoire contre cette réforme. Et ce n’est pas rien, au vu des difficultés de ces dernières années. Mais le gouvernement est parti dans sa course pour obtenir le vote de sa loi. Il joue la carte d’ignorer ces millions de personnes dans la rue. Nous pensons donc qu’il va falloir élever le niveau de conflictualité. Si on ne touche pas au fonctionnement de l’économie, le gouvernement va jouer la carte de la lassitude de la population. Il a tort : il y a un vrai mouvement de fond, et une clairvoyance sur l’injustice que constitue cette réforme. 

Simon Duteil : Le 31 janvier, on a entendu un petit discours sur la baisse de la grève dans la fonction publique, la SNCF ou de grandes entreprises. Mais les retours que l’on a, de la part de plein d’entreprises du privé ou des manifestations, c’est que beaucoup de grévistes opèrent une forme de rotation de la grève : y aller le 31, pas le 19… Les gens posent aussi des RTT, des congés. On est dans une crise sociale forte, avec l’inflation, avec des réalités tendues sur les salaires : donc perdre des jours de salaire, c’est dur. Mais la détermination est tellement forte que les gens se débrouillent pour venir. 

En outre, on dépasse le cadre des salariés traditionnels qui y participent. On a vu des auto-entrepreneurs, des petits commerçants, des artisans, des paysannes et des paysans… Ils participent à ces manifestations, mais ce ne sont pas des grévistes de fait. Ceci étant, on voit que les assemblées générales n’ont pas été très fournies. Dans les secteurs où il y en a, on n’arrive pas, globalement, à dépasser le cadre des militants et militantes. C’est dû notamment au fait que l’on est dans la période de ces grandes manifestations entraînantes : beaucoup de monde pense que l’on peut gagner comme ça. 

Or la tactique, pour Solidaires, est assez claire : depuis le début, on dit que l’on ne pourra pas gagner si l’on ne va pas vers une vraie reconductible et un blocage généralisé de l’économie. Les grandes manifestations ne suffiront pas. 

Au-delà du calendrier fixé par l’intersyndicale depuis le 10 janvier, on n’observe pas une grande poussée de la grève, y compris dans les secteurs qui ont avancé un plan de bataille comme les raffineries, l’énergie, les cheminots… La question de la reconductible est posée dans le paysage, mais il n’y a pas d’accélération concrète pour le moment. Pour quelles raisons ? 

Simon Duteil : Il y a des tentatives par certains secteurs de faire des accélérations sur janvier et février. Mais il faut voir où on en est, en 2023, dans le mouvement syndical et dans la capacité d’entraînement. Nous sommes dans une première temporalité : se redonner confiance par la mobilisation, par ces grandes manifestations. Cela fait que des gens se disent « on peut gagner », là où beaucoup partaient défaitistes. C’est aussi une histoire d’adéquation des moments. 

Du côté des secteurs que l’on dit plutôt bloquants, comme les cheminots, certains ne veulent pas être les locomotives. Ce que l’on porte chez Solidaires dans ces secteurs, et c’est le cas de Sud Rail notamment, c’est qu’il faut arrêter la grève par procuration. C’est en étant en grève toutes et tous ensemble que l’on pourra gagner. Mais cela nécessite un peu de recul par rapport à là où on en est, maintenant, dans la mobilisation. 

Murielle Guilbert : Il y a aussi le constat, y compris par ces secteurs, que les dates intersyndicales et interprofessionnelles marchent, avec un haut niveau de mobilisation, comme on n’en a jamais vu depuis dix ans. Cela change la grille de lecture dans certains secteurs, qui s’économisent aussi. Ces secteurs ont beaucoup donné dans les dernières grèves, que ce soit les raffineries dans les mobilisations autour des salaires ou les cheminots en 2019. Être à nouveau un secteur en pointe, ça signifie des situations de reconductibles très rudes.

Tout cela est en train de se mettre en place. Pour le moment, il y a une attente, une prudence, pour observer si d’autres secteurs partent et rejoignent une démarche de grève unitaire plus large. 

Simon Duteil : On ne veut pas se faire piéger par un faux rythme, qui nous enfermerait dans le fait de mettre notre énergie dans les grandes mobilisations, en s’empêchant de pouvoir construire la grève reconductible. Nous proposons donc une date qui pourrait circuler et donner confiance à tout le monde pour dire : on part en reconductible.

Ce serait autour du 8 mars. C’est une proposition, évidemment : nous ne sommes pas un état-major, qui déciderait de tout sans être au plus près de ce qu’il se passe dans les territoires, dans les secteurs. On pense qu’on va gagner, on sait qu’on va gagner, mais il faut adapter notre tactique à ce qu’il se passe sur le terrain.  

Vous proposez donc de fixer un nouveau cap de construction de la grève en mars, avec un départ en reconductible le 8 mars. Attendre quatre semaines, cela ne risque-t-il pas de faire redescendre le niveau de la mobilisation ? 

Simon Duteil : Cette proposition doit s’articuler avec le calendrier de l’intersyndicale professionnelle nationale. Il n’est pas question de rompre l’unité qui est très importante. Mais on sait aussi que cette intersyndicale n’appellera pas à des grèves reconductibles. On pense par contre qu’elle est capable d’assumer une diversité des tactiques. Notre calendrier se pose donc comme un calendrier complémentaire. 

Murielle Guilbert : Anticiper sur le 8 mars, ça ne veut pas dire qu’il ne se passera rien d’ici là.  Début mars, c’est la sortie des vacances scolaires. Ça laisse aussi le temps aux militants d’aller encore convaincre. Notre proposition est faite pour sortir de ce moment un peu attentiste, où chacun regarde l’autre. Et en même temps, on ne souhaite pas décréter de mouvement hors sol. Il y a des endroits où les salariés ne savent pas à quoi sert une AG. Il y a aussi des générations qui ne pensent pas forcément que la grève reconductible est une manière de sortir gagnants du conflit. 

Le 8 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes : or, on sait que la question des femmes est centrale dans cette réforme. Celle-ci va fortement leur nuire, contrairement à ce que prétend Élisabeth Borne. On sait aussi que la manifestation du 8 mars 2020 a été la plus importante justement parce qu’on sortait de longs mois de mobilisation contre la réforme des retraites. Notre souhait, c’est que le 8 mars 2023 fasse entièrement partie du calendrier de la bataille contre la réforme des retraites.

On sait que la FSU et la CGT ont l’habitude de construire le 8 mars à nos côtés. Pour le reste, on n’a pas les contours de leur positionnement. Cette semaine est de toute façon très importante. À la fin, on aura une sorte de bilan global de là où on en est. 

Simon Duteuil : Il est possible que pendant trois semaines, la mobilisation soit moins sur le devant de la scène, qu’il y ait moins de monde en manifestation que le 31 janvier. Mais cela ne va pas empêcher les marches, les meetings, les collages… Économiser sur la grève, c’est se donner les moyens de la réussir au moment où il faudra partir tous ensemble. 

Il faut aussi garder en tête que si une accélération arrive dans les jours prochains, on ne s’interdit pas d’accélérer aussi, comme on l’a fait en octobre sur les salaires.

  publié le 7 février 2023

Direct 7 février.
400 000 manifestants à Paris,
les Rosies arrêtées,
la CGT appelle à intensifier le mouvement

sur www.humanite.fr

L'ESSENTIEL

  • Après avoir rassemblé deux millions de personnes le 19 janvier, puis 2,8 millions de manifestants le 31 janvier, une nouvelle journée de mobilisation se déroule ce mardi 7 février, avant une autre manifestation cette fois le samedi 11 février.

  • La manifestation a réuni 400 000 manifestants à Paris, selon la CGT. Soit un chiffre comparable à la première journée de mobilisations du 19 janvier 2023.

  • Ce matin, une trentaine d’activistes et Rosies d’Attac ont organisé une action aux portes de l’Assemblée nationale, pour dénoncer la réforme. Suite à cette action, 9 militant.es sont en gardes à vue, dont deux porte-paroles d’Attac : Lou Chesné et Youlie Yamomoto.


 

Une mobilisation comparable au 19 janvier selon la CGT

Il y a à Paris 400.000 manifestants, selon la CGT. Soit un chiffre comparable à la première journée de mobilisations du 19 janvier 2023, qui s'était soldée selon les organisations syndicales par un total, sur toute la France, de deux millions environ de manifestants.


 

Inaki Echaniz, un député facétieux...

Le député PS  des Pyrénées-Atlantiques Inaki Echaniz a posé à l'actuel ministre du Travail Olivier Dussopt une question d'actualité sur la réforme des retraites. Olivier Dussopt ne s'est pas aperçu en répondant que mot pour mot, cette question, pour critiquer une réforme des retraites, il l'avait lui-même posée quand il était député PS le 4 mai 2010... 

vidéo : https://twitter.com/i/status/1622972139191119872

Je remercie @olivierdussopt d’avoir répondu à la question qu’il avait lui-même posé le 4 mai 2010 à @ericwoerth ministre en charge de la #ReformeDesRetraites de @NicolasSarkozy   Depuis, il a retourné sa veste pour devenir ministre de la casse sociale et de l’impôt sur la vie !

Vidéo : https://twitter.com/i/status/1622984948062777344


 

Les Rosies embarquées après avoir dansé devant l'Assemblée

La présidente de l'Assemblée nationale, Yael Braun-Pivet, a confirmé que des militantes du célèbre collectif féministe "Les Rosies" avait été arrêtées après avoir mené une action symbolique contre la réforme des retraites, devant le palais Bourbon. Les forces de sécurité leur reprochent des dégradations sur la statue de la loi et sur une porte de l'Assemblée. 

Vêtues de leur célèbre bleu de travail, les Rosies ont dansé et chanté "Nous on veut vivre", leur habituelle performance artistique qu'elles déploient lors des manifestations contre le projet gouvernemental de recul de l'âge légal de départ à 64 ans. Les militants d'Attac en ont profité pour déployé une chasuble géante bleue sur la statue qui a alors arboré un "64 ans, c'est non". Des "60 ans" ont de même été inscrits au sol.

Lors d'une conférence de presse, ce mardi matin, Yael Braun-Pivet a dénoncé des "pressions" et "intimidations inqualifiables" contre des députés des groupes Renaissance et Rassemblement national en marge des débats sur les retraites.  Lundi, "c'est la présidente de la Commission des Affaires sociales (Fadila Khattabi, Renaissance) qui recevait une lettre particulièrement odieuse d'insultes racistes et de menaces contre elle et contre sa famille", a d'abord cité la présidente (Renaissance) de l'Assemblée. Avant de déplorer "des appels téléphoniques malveillants qui ont été adressés à certains membres de cette Assemblée", notamment des messages vocaux reçus lundi par des députées du Rassemblement national, prétendant qu'un membre de leur famille était hospitalisé. Dans un second temps, la locataire du "perchoir" a poursuivi son propos en citant les inscriptions sur l'Assemblée et "des individus" interpelés.

Dans un communiqué, Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac et co-fondatrice des Rosies explique l'action matinale : « L’étude d’impact du gouvernement démontre elle-même que la réforme va pénaliser plus sévèrement les femmes, qui perçoivent une pension inférieure de 40% en moyenne par rapport aux hommes. Or le projet ne prévoit aucun dispositif pour compenser cette situation. L’impact sur les femmes constitue une injustice majeure de cette réforme. C’est cette question que les Rosies soulèvent par leurs chansons chorégraphiées, qui ont vocation à servir de levier de mobilisation pour faire barrage à cette réforme. »


 

La CGT appelle à intensifier le mouvement

Avant que ne démarre le défilé parisien, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez appelle à des grèves "plus dures, plus nombreuses, plus massives". Si le gouvernement persiste à ne pas écouter, forcément il faudra monter d'un cran", a-t-il déclaré, se montrant par ailleurs optimiste sur la participation à la troisième journée de grèves et de manifestation à l'appel des syndicats, avec des chiffres montrant "qu'on est au niveau du 19 si ce n'est plus". A ses côtés, Laurent Berger (CFDT) a jugé que ce serait "une folie démocratique de rester sourd" à la contestation de la réforme.


 

Pour Martinez, "Macron joue avec le feu"

Le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a dénoncé mardi "l'ego surdimensionné" d'Emmanuel Macron, accusé par le leader syndical de vouloir faire passer la réforme des retraites à tout prix avec le risque que le RN "prenne l'Elysée" en 2027.

"On a à faire à un président de la République, parce que c'est lui qui est au coeur de tout ça, qui veut par ego surdimensionné montrer que lui, il est capable de faire passer une réforme. Quel que soit l'avis de l'opinion publique, quel que soit l'avis des citoyens et c'est dangereux de raisonner comme ça", a déclaré M. Martinez sur RTL à l'occasion de la troisième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

"Le président de la République joue avec le feu", a affirmé le N.1 de la CGT.

Il a appelé l'exécutif et les députés qui ont commencé lundi l'examen du texte à l'Assemblée nationale à "écouter le peuple" au risque d'aller au devant de déconvenues démocratiques.

"Si on est élu, une fois qu'on est élu, on fait ce qu'on veut et on écoute plus, forcément, il ne faut pas s'étonner premièrement, de l'abstention et puis du risque que dans quelques années, pas si longtemps que ça, ça soit le Rassemblement national qui prenne les clés d'Élysée", a fait valoir Philippe Martinez.


 

Macron a un message pour les manifestants

Le député Renaissance proche d'Emmanuel Macron, Marc Ferracci a assuré mardi que "la détermination va rester" du côté de la majorité présidentielle pour faire passer le texte sur la réforme des retraites malgré la nouvelle journée de mobilisation à l'appel de l'ensemble des syndicats. "On n'a pas été élus pour gérer les affaires courantes pendant 4 ans", assure le député.

Répétant souhaiter "ardemment" que le texte soit adopté sans passage par l'article 49.3 (qui permet une adoption sans vote sauf motion de censure), il a estimé que "si on n'arrive pas à dégager une majorité sur un texte aussi important, il faut se poser la question d'en chercher une autre"


 

4.500 MW de baisses de production d'électricité dans les centrales d'EDF

Les grévistes d'EDF ont procédé entre lundi et mardi à des baisses de production d'électricité de près de 4.500 MW, soit l'équivalent de plus de quatre réacteurs nucléaires, mais sans provoquer de coupures, pour s'opposer au projet de réforme des retraites, a-t-on appris auprès de la CGT et du site internet d'EDF.

Plusieurs centrales nucléaires, comme celle de Paluel (Seine-Maritime) et de Dampierre (Loiret), mais aussi la centrale à charbon de Cordemais (Loire-Atlantique) ou la centrale thermique de Martigues (Bouches-du-Rhône) étaient touchées, avec "de forts taux de grévistes" et des "filtrages à l'entrée des sites", selon Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la FNME-CGT.

ublié le 5 février 2023

Mobilisons-nous ce mardi 7 et

samedi 11 février pour dire

non à la réforme des retraites

https://r.newsletter.cgt.fr/

Rejoindre la lutte

 

Même pas peur” a rétorqué le gouvernement à la levée en masse des 2,8 millions de manifestant·es le 31 janvier. Un moyen de se rassurer ? Une astuce pour décourager la contestation ? Un peu des deux probablement.

Le gouvernement est borné.

Faire l’autruche n’est jamais bon signe. La méthode “circulez, il n’y a rien à voir” est un pari risqué. Derrière le discours de fermeté, les faux airs de sérénité et les provocations se cache une certaine fébrilité.

L’ampleur de la contestation met en échec la stratégie gouvernementale.

La pression augmente. Le pouvoir reste sourd, mais tout le monde ne chante plus à l’unisson. Le doute s’installe dans le camp des pourfendeurs de la réforme. Pas sur le fond, mais sur le passage en force.

À défaut d’être entendue, la mobilisation ne peut être étouffée.

La puissance et l’enracinement géographique de la contestation dans les territoires souligne l’élargissement du mouvement au-delà des “bastions” syndicaux.

La balle est dans notre camp.

Alors que 60% des Français·es déclarent comprendre le blocage par la grève pour faire capoter le projet, sur le terrain, les militant·es de la CGT s’emploient à convaincre du rôle que chacun·e peut jouer dans cette bataille.

 

C’est l’enjeu pour gagner le succès des deux prochaines journées de mobilisation les 7 et 11 février et mettre en échec le projet du gouvernement.


 

publié le 4 février 2023

En plein mouvement social,
le médico-social
veut se faire entendre

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/

Ce jeudi 2 février, Sud Santé Sociaux et la CGT organisaient une manifestation des salariés du secteur médico-social à Paris, pour exiger de meilleures conditions de travail. Dans leur ligne de mire : le destin de la future convention collective du secteur et la prime Ségur.

 Organiser une manifestation sectorielle entre deux grosses journées de mobilisation contre la réforme des retraites : le pari des organisations syndicales du médico-social pouvait paraître risqué. Mais ce rendez-vous du 2 février était planifié depuis plusieurs semaines, et les salariés du secteur ne souhaitaient pas voir la réforme des retraites, qui les affectera tout particulièrement, éclipser leurs autres revendications.

C’est donc devant les locaux de Nexem, l’une des deux organisations patronales représentant les employeurs du secteur associatif, que se réunissent des aides soignantes, infirmières, assistantes sociales ou aides à domicile, ce jeudi matin. Entre 1 000 et 2 000 personnes sont présentes. Le lieu du rassemblement n’a pas été choisi au hasard, pas plus que la date du rendez-vous. Ce jour-là, des négociations ont lieu entre représentants syndicaux et employeurs, à propos de la future convention collective étendue.

La future convention a pour objectif de rassembler derrière un même accord tous les salariés du secteur médico-social, actuellement partagés entre deux conventions, la 51 et la 66, chacune ayant certains avantages et inconvénients. Si l’objectif de fusion est partagé par les deux camps, ce sont ses modalités qui font débat. Alors que les salariés demandent une convention collective étendue « de haut niveau », prenant appui sur les avantages des deux conventions, les organisations patronales jouent plutôt la carte de la régression sociale.

« C’est la merde »

A l’heure du déjeuner, l’ambiance est à la fête au cœur du 3e arrondissement de Paris. Des salariés venus de toute la France et exerçant des métiers variés sont réunis. Les drapeaux de la CGT et de Sud s’agitent sous le regard des passants, pas forcément au courant de l’enjeu de cette mobilisation.

Mais cette joie militante cache une colère bien vive. « Nexem, on a besoin d’aide. C’est la merde ! », s’exclame une femme à la tribune, sous les fenêtres de l’organisation patronale. Une autre, venue des Alpes-Maritimes, lui succède : « On n’acceptera pas de négocier la convention bloc par bloc », explique-t-elle avec force, avant de demander à la foule : « qui veut exprimer sa colère ? ». Au fil des interventions, c’est le portrait d’un secteur fracassé par les contraintes budgétaires qui se dessine. Xavier, venu de Poitiers avec 90 de ses collègues, désespère : « on est aussi invisible que les personnes qu’on accompagne ». Un slogan tourne alors en boucle dans la bouche des personnes présentes : « Le social, il se bat pour tout le monde. Et tout le monde se bat pour le social ».

Le gouvernement dans leur ligne de mire

Sur les coups de 14h, la place se vide et les personnes présentes se tournent vers leur nouvel objectif : Matignon. Leur colère n’est pas seulement dirigée vers leurs employeurs, mais également vers le gouvernement. Dans la catégorie des patrons peu scrupuleux, l’Etat se taille une bonne place comme le rappellent des salariées de l’Education Nationale ou de l’hôpital public. Et sans surprise, il n’hésite pas à soutenir les propositions au rabais des employeurs du secteur privé non lucratif.

Mais c’est surtout la prime Ségur qui fait figure de symbole d’injustice aux yeux de beaucoup. Si certaines professions du secteur médico-social y ont droit, d’autres en restent exclus, alors même qu’ils sont au contact quotidien de personnes fragiles et dès lors assume un rôle social dans leur travail. « N’oubliez pas de parler de la prime Ségur ! », nous apostrophe une femme en passant à côté de nous. Pour ces salariés, ces 183€ mensuels viennent compléter de faibles salaires, mais jouent aussi un rôle symbolique : pour beaucoup, elle est un signe de reconnaissance de leur abnégation au travail.

Une valeur sociale non reconnue financièrement, mais sur laquelle n’hésitent pourtant pas à jouer les employeurs lorsque les salariés se mobilisent. « La culpabilité doit changer de camp. Moi quand je me mets en grève, c’est pour moi mais c’est aussi pour ceux que j’aide, pas contre eux » , explique Thibault, éducateur de rue dans l’Essonne et adhérent de la CGT.

Médico-social : une manifestation contre la précarité

Dans le cortège, Angélique raconte les restrictions budgétaires. « Dans ma structure, on a 500€ par an pour organiser des activités. Qu’est ce qu’on fait avec 500€ ? Rien .» Après 25 ans en tant qu’aide-soignante, elle a jugé nécessaire de venir à Paris depuis le Calvados pour exprimer son désarroi. « A chaque fois, on se mobilise dans nos établissements mais on n’est pas visibles. Là, à Paris, on est davantage visibles ». Pascale et David, eux, sont venus d’Eure-et-Loire, « pour des augmentations de salaire, pour la convention, pour de meilleures conditions de travail ». Tous deux accompagnent des travailleurs handicapés, au sein d’une structure dédiée. En 23 ans de carrière, David l’assure : les conditions de travail se sont empirées. Pascale, elle, a rejoint le secteur il y a seulement 5 ans. Elle fait partie de ces salariées qui voient leur salaire stagner au Smic à cause d’une grille dont les premiers échelons sont en dessous du salaire minimum.

Précaires mais déterminés à se faire entendre, tous l’assurent : ce rendez-vous ne sera pas le dernier. Les 25 et 26 mars, la rencontre nationale du travail social en lutte aura lieu à Lille. D’ici là, les syndicats appellent à se mobiliser les 7 et 11 février contre la réforme des retraites

publié le 1er février 2023

La mobilisation du 31 janvier, « un uppercut dans la tête du gouvernement »

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Entre 1,27 et 2,8 millions de personnes ont manifesté ce mardi pour protester contre le projet de réforme de retraites du gouvernement. Prochaines dates de mobilisations interprofessionnelles : les mardi 7 et samedi 11 février.

« 6 000 à Saint-Omer, 4 600 à Auch, 9 000 à Saint-Quentin. Même sur la petite île de Groix, il y a eu 300 personnes ! » Au soir de la seconde journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites, les différentes organisations syndicales se réjouissaient de son succès écrasant.

Douze jours après celle du 19 janvier qui avait déjà largement mobilisé, entre 1,27 (selon le ministère de l’Intérieur) et 2,8 (selon les syndicats) millions de personnes ont manifesté partout en France, un record depuis 1995 pour une mobilisation contre une réforme sociale.

« Et ça augmente partout », souligne Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT, « entre 15 et 30 % dans presque toutes les villes ». « Ce 31 janvier a confirmé la très forte détermination à refuser le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement » affirme le communiqué de l’intersyndicale publié dans la soirée, à l’issue d’une réunion qui a rassemblé des représentants de chaque organisation.

« Les députés feraient bien d’entendre cette colère avant de voter n’importe quoi »

À l’issue de celle-ci, tous mettent d’ailleurs l’accent sur cette très forte mobilisation en région – que Politis vous raconte dans ce reportage à Laon. « Ça montre que les gens ont envie de se mobiliser chez eux, sans forcément aller dans les grandes villes », analyse Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT.

Surtout, alors que le projet de loi a commencé à être examiné en commission au Parlement, les syndicalistes souhaitent que ces fortes participations mettent la pression sur les députés. « Ils sont élus localement. Ils doivent aussi rendre des comptes aux électeurs locaux » poursuit Marylise Léon. « Les députés ont vu les chiffres dans leur circonscription. Ils feraient bien d’entendre cette colère avant de voter n’importe quoi » abonde Catherine Perret.

Car c’est ce qui ressort de cette seconde journée de mobilisation : le gouvernement a bel et bien perdu la bataille de l’opinion. « Personne ne s’est laissé tromper par la propagande du gouvernement », assène ainsi le communiqué. Dans le cortège parisien, on n’hésite pas, par exemple, à railler la petite phrase de Franck Riester, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a reconnu que « les femmes seront pénalisées par le report de l’âge légal ».

 Il suffit de les laisser parler, à chaque fois qu’ils prennent la parole, ils s’enfoncent un peu plus.

« Regardez, c’est eux-mêmes qui le disent » lit-on sur une pancarte dans le cortège. « Il suffit de les laisser parler, à chaque fois qu’ils prennent la parole, ils s’enfoncent un peu plus » rit Simon Duteil, co-secrétaire national de Solidaires, « cette journée est clairement un uppercut dans la tête du gouvernement ».

Rendez-vous les 7 et le 11 février

Afin de poursuivre sur cette lancée, l’intersyndicale appelle à deux nouvelles journées de mobilisations interprofessionnelles, mardi 7 et samedi 11 février. Deux dates rapprochées, dont une un samedi, que Catherine Perret explique : « On veut être accordé avec le monde du travail. On a conscience que faire grève, perdre une journée de salaire, c’est parfois compliqué, surtout en ce moment. Cette journée du samedi permettra à des gens, bien souvent des invisibles, de se rassembler en dehors du temps de travail pour s’opposer à cette réforme. Les invisibles doivent pouvoir compter dans ce mouvement. »

Au risque d’avoir des chiffres en baisse le mardi ? « On verra, mais il faudra tirer les enseignements le samedi au soir, pas avant » souffle Marylise Léon qui rappelle l’importance de « faire masse ».

Une grève générale et reconductible, elle, ne semble pas être encore à l’ordre du jour de l’intersyndicale. « On aura sans doute une réflexion là-dessus d’ici la mi-février » assure Simon Duteil. « Après, il peut y avoir des secteurs qui décident de partir en grève reconductible. Ce serait un appui supplémentaire », poursuit-il, évoquant différents préavis de grève, notamment chez les cheminots.

Un avis pas forcément partagé à la CFDT où l’on craint de voir basculer l’opinion publique en cas de blocage important, notamment en période de vacances. « C’est normal qu’on ne soit pas d’accord sur tout, sinon on ne serait qu’une seule et même organisation. Cette intersyndicale a été réfléchie depuis des mois. Elle est forte, soudée et chacun assume ses différences » assure Murielle Guilbert, co-secrétaire national de Solidaires.

Pour l’instant la mobilisation est très bon enfant. Mais si on ne nous entend pas, ça risque de se durcir.

Des mots partagés par l’ensemble des représentants syndicaux sur place. Fort de ces deux succès consécutifs, ils sentent que c’est aussi leur union qui rassemble et inquiète le gouvernement. « On se parle très régulièrement, et franchement. L’ambiance est vraiment bonne » affirme Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA.

Silence gouvernemental

Ce mardi soir, c’est surtout le silence du gouvernement qui interroge. Aucune des organisations syndicales n’a été contacté pour d’éventuelles négociations. « Y’a plus de son, plus d’image » commente, un peu ahuri, Dominique Corona. « Pour l’instant la mobilisation est très bon enfant. Mais si on ne nous entend pas, ça risque de se durcir. » Même son de cloche côté cégétiste : « On en a encore beaucoup sous la pédale. Si le gouvernement passe en force, il sera responsable de l’embrasement du pays. »

En début de soirée, au moment de l’annonce des futures dates de mobilisations, la Première ministre, Élisabeth Borne, s’est fendue d’un tweet. « La réforme des retraites suscite des interrogations et des doutes. Nous les entendons » a-t-elle notamment écrit, poursuivant : « Le débat parlementaire s’ouvre. Il permettra, dans la transparence, d’enrichir notre projet avec un cap : assurer l’avenir de notre système par répartition. C’est notre responsabilité ! »

Un tweet sans concession, mais en forme de première perche vers des discussions de la part de la Première ministre qui craint, sans doute, la même défiance dans l’hémicycle que dans la rue.


 


 

Partout en France, un raz-de-marée populaire contre la réforme des retraites

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

L’opposition au projet régressif du gouvernement a soulevé les foules, partout en France, ce mardi. Avec 2,8 millions de manifestants, selon la CGT, dont 500 000 à Paris, la lutte a dépassé le niveau du 19 janvier, soulignant le rejet massif de ce texte. Reportages

Une démonstration de force. Partout en France, les manifestants ont déferlé pour rappeler leur opposition, très largement majoritaire, au projet de réforme des retraites régressif d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne. « C’est une des plus grandes manifestations organisées dans notre pays depuis des dizaines d’années », s’est félicité Laurent Berger, numéro un de la CFDT.

Les huit organisations syndicales qui appelaient à la mobilisation (CFDT, CGT, FO, CFDTC, Unsa, CFE-CGC, FSU et Solidaires) s’attendaient à faire aussi bien qu’il y a dix jours, mais la réalité a dépassé leurs espérances. « Dans tous les retours que j’ai, c’est plus que le 19 », confirme Philippe Martinez de la CGT. Avec 500 000 personnes à Paris au départ de la place d’Italie, 65 000 à Nantes, 10 000 personnes à La Réunion, 80 000 personnes à Toulouse, la mobilisation de ce mardi 31 janvier a atteint une ampleur monstre, qui pourrait titiller les records des grèves de 1995.

Face à ce raz-de-marée, la première ministre, Élisabeth Borne, a assené que « la majorité sera unie ». Méthode Coué ? En tout cas, pour l’instant, l’unité est surtout du côté de la rue, où tous les manifestants ont clamé en chœur leur mécontentement face à une réforme injuste.

C’est le cas de Fabrice. À 59 ans, le maître-nageur sauveteur attendait patiemment son départ à la retraite prévu à 60 ans et 7 mois, grâce à une carrière commencée jeune. Si la réforme entre en vigueur, il devra finalement continuer à travailler jusqu’à 62 ans passés. « C’est comme si on courait un marathon, et à quelques pas de la ligne d’arrivée, on rajoutait 3 kilomètres », déplore celui qui n’avait jamais battu le pavé avant le 19 janvier. « Est-ce que j’arriverai encore à exercer mes missions de sauveteur à 62 ans ? Ma santé ne sera pas excellente avec tout le chlore que j’inhale », se questionne-t-il.

La logique du recul de l’âge légal échappe aussi à Farid Borsali, secrétaire général SUD à Stellantis, à Poissy (Yvelines). « Le travail sur une chaîne de montage, c’est usant. Les ouvriers sont à bout à 50 ans, alors aller jusqu’à 64 ? C’est impensable », tranche le salarié, affecté sur la ligne de production des Opel Mokka.

La « propagande gouverne mentale » ne prend pas

Face à la férocité du mouvement social, les ministres de Macron ont multiplié les allocutions pour tenter de convaincre du bien-fondé de la réforme. Avant de hausser le ton : Borne a ainsi déclaré que le report à 64 ans de l’âge légal n’était plus « négociable ».

Mais, dans le cortège parisien, la « propagande gouvernementale » ne prend pas. « On nous explique qu’il n’y a pas de sous pour les retraites, alors qu’on parle de proposer 400 milliards de matériels militaires à l’Ukraine ? Je n’y crois pas une seconde. On n’a pas eu autant de mal à trouver des sous lors de la crise sanitaire », constate, amer, Cédric Soltani, éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, secrétaire interrégional au SNPES-FSU. Lydie, employée à la préfecture de l’Essonne, ne décolère pas après avoir reçu, sur son adresse électronique personnelle, une vidéo de son ministre de tutelle, Stanislas Guerini, vantant les mérites de la réforme. « C’est un scandale. Il n’a fait que nous répéter à quel point cette réforme allait être bonne pour nous, c’est de la propagande », s’agace la fonctionnaire, une chasuble floquée FO sur le dos.

Comme eux, de nombreux agents de la fonction publique étaient en grève ce mardi : ils étaient un peu moins de 20 %, et plus de 50 % parmi les professeurs du primaire et du secondaire. À EDF, le taux de grévistes s’élevait à la mi-journée à 40,3 % de l’effectif global. Les chiffres, légèrement en retrait par rapport à la semaine passée, témoignent tout de même de « la même dynamique », assure la CGT mines et énergie. Les raffineries ont maintenu la pression avec de 75 % à 100 % de grévistes, selon les sites. Lycéens et étudiants ont également été très nombreux dans les cortèges.

Cristelle, mêlée à l’impressionnant cortège bleu de la CFTC, n’avait pas manifesté depuis 2010 et le projet de réforme de Woerth, mais s’enorgueillit de participer à une si grande mobilisation. « J’ai commencé à travailler tard, alors, pour avoir une pension décente, il faudrait déjà que je travaille jusqu’à 70 ans », regrette la vendeuse en magasin de jouets. Bien que déterminée, la Seine-et-Marnaise redoute que ses finances ne l’empêchent de multiplier les journées de mobilisation. « Je crains que le gouvernement ne joue sur ce facteur, qu’il profite que la grève s’essouffle », s’alarme-t-elle. « Mais il faut rester démocratique, il faut tenir compte de la mobilisation ! » enjoint-elle, sans cesser de remuer son drapeau bleu ciel. À ses côtés, et ailleurs en France, des centaines de milliers de Français sont décidés à continuer le mouvement.

 


 

Mobilisation retraites le 7 et 11 février : la stratégie de l’intersyndicale décryptée

sur https://rapportsdeforce.fr/

Plusieurs options étaient sur la table de l’intersyndicale contre la réforme des retraites, au soir d’une journée de mobilisation très réussie dans la rue ce 31 janvier. Finalement, les huit syndicats annoncent ensemble une prochaine journée de grève le mardi 7 février et une manifestation le samedi suivant. Décryptage.

 Le choix de l’accélération l’a plutôt emporté lors de la réunion de l’intersyndicale contre la réforme des retraites. Les huit syndicats qui la composent ont décidé que la prochaine journée de grève aurait lieu mardi 7 février, soit dans une semaine exactement. Mais ce n’est pas tout. Dans la foulée, le samedi 11, ils organisent également une journée de manifestation pour rassembler les salariés pour qui il est difficile de se mettre en grève.

Des stratégies syndicales différentes à concilier

Laurent Berger de la CFDT n’en a pas fait mystère : son syndicat n’est pas partisan d’un appel à la grève reconductible et fonde plutôt sa stratégie sur des démonstrations de force dans la rue pour faire flancher l’exécutif et fragiliser la possibilité d’une majorité parlementaire votant le projet de loi. A l’inverse, au moins la CGT et Solidaires poussent à la grève et à sa possible reconduction pour contraindre le gouvernement à abandonner tout recul de l’âge de départ à la retraite.

Mais une chose est certaine : les huit syndicats sont quasiment condamnés à se mettre d’accord. Tous sont convaincus que leur union a été un levier important du succès des deux premières journées de mobilisations. C’est probablement ce qui explique que chacun accepte des compromis. D’abord la CFDT, en acceptant la date du 19 janvier, alors qu’elle préférait laisser passer le Conseil des ministres du 23 janvier avant de se mobiliser. Puis, les syndicats de transformation sociale, qui ont accepté à leur tour le 31 janvier, plutôt que le 26 janvier, alors que la CGT avait cette date en tête.

En outre, une troisième stratégie est sur la table. Elle est portée par 4 fédérations de la CGT. Celle de la chimie (FNIC), celle de l’énergie (FNME), les cheminots ainsi que les ports et docks. Toutes ont d’ores et déjà fait part de leurs volonté d’observer plusieurs jours de grèves entre le 6 et le 8 février.

Une mobilisation historique dans la rue

C’est pourquoi ce 31 janvier au soir, l’équation permettant de trouver le bon calendrier de mobilisation était difficile à résoudre. Surfer sur des manifestations énormes pourrait apparaître comme une évidence.

Le nombre de manifestants à battu tous les records des grandes mobilisations sociales. Avec 2,8 millions de manifestants dans tout le pays selon la CGT (1 272 000 selon le ministère de l’intérieur), il y avait plus de monde ce 31 janvier qu’en 1995, en 2010 ou en 2019.

Les cortèges ont été très importants dans la capitale avec 500 000 personnes dans les cortèges (87 000 selon la police), dans les grandes villes et plus encore dans des villes moyennes. Les 14 000 manifestants de Saint-Nazaire ou les 20 000 de Brest, selon Ouest France, en sont une démonstration nette. De la même façon, le nombre de points de rassemblements a presque atteint les 300 sur l’ensemble du territoire. Là aussi, un niveau très important.

Autre élément notable, même si c’est loin d’être une déferlante, la jeunesse a participé aux mobilisations du jour. Le syndicat L’Alternative affirme que 150 000 jeunes étaient présents dans la rue cette fois-ci : au moins deux fois plus que le 19 janvier. De son côté, le syndicat La Voix lycéenne revendique 200 blocages et 300 lycées mobilisés. Des chiffres contredits par le ministère de l’Éducation nationale qui compte 11 lycées bloqués, 4 tentatives et 17 filtrages. Pour autant, les actions lycéenne se sont élargies au-delà de la capitale, contrairement au 19 janvier.

Pourtant, malgré un succès majeur dans la rue, les taux de grève dans les secteurs traditionnels et le niveau de fréquentation des assemblées générales ne traduisent pas une poussée de la grève.

Les secteurs traditionnels légèrement moins mobilisés

Une chose est sûre, les raffineurs sont au rendez-vous lors des journées de grève. La CGT TotalEnergies a annoncé, ce mardi 31 janvier, 75 à 100 % de grévistes dans les raffineries et dépôts de l’entreprise. La raffinerie de Normandie compte 75% de grévistes, celles de Feyzin (Rhône) et Donges (Loire-atlantique) respectivement 80 et 90% de grévistes.

Mais outre ce secteur fer de lance, la mobilisation est légèrement plus faible dans les secteurs les plus habitués à la grève. Du côté des énergéticiens, la mobilisation est massive mais légèrement moins forte que le 19 janvier. Selon les chiffres de la direction, le taux de gréviste à la mi-journée s’élève à 40,3 % chez EDF, en très légère baisse par rapport au 19 janvier où il était de de 44,5 %.

A la SNCF, le taux de gréviste est également important : 36,5% pour cette deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, a appris l’AFP de source syndicale. Toutefois, le 19 janvier, ils étaient 46,3%. Pour l’heure, la direction de la SNCF n’a pas annoncé ses chiffres.

Petit affaissement également chez les enseignants. Le SNES-FSU (syndicat majoritaire) annonce 55% de grévistes dans l’enseignement secondaire. Dans le premier degré, le SNUipp-FSU (également majoritaire) avait déjà annoncé 50% de grévistes lundi 30 janvier. C’est légèrement moins que le 19 janvier, où les deux syndicats avaient respectivement annoncé 65% et 70% de grévistes. De son côté, le ministère annonce 26,65% de grévistes dans le premier degré et 25,22% dans le second degré. Le 19 janvier, il déclarait respectivement 42,35% et 34,66%. Les chiffres du gouvernement sous-évaluent souvent la mobilisation du fait de la méthode de calcul utilisée.

Enfin, selon le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, le nombre de grévistes à la mi-journée dans la fonction publique d’État passe de 28 % le 19 janvier à 19,4 % ce 31 janvier. Cela confirme une mobilisation un peu moins exceptionnelle dans l’Éducation nationale, qui constitue le gros des effectifs de ce versant de la fonction publique. Petite baisse également dans la territoriale (7,9 % contre 11,3 % le 19 janvier) et l’hospitalière (8,5 % contre 9,9%), soumise à réquisition.

L’inconnu du privé

Comment dès lors expliquer que, malgré des chiffres de grève légèrement plus bas, les mobilisations soient encore plus massives dans la rue ce 31 janvier ? Sur ce point, on ne peut faire que des hypothèses. La première, c’est que de nombreuses grèves ont lieu dans des secteurs faiblement syndiqués, dans lesquels il n’est donc pas possible d’obtenir de remontées chiffrées du nombre de grévistes. En somme, une sorte de grève invisible du privé.

Nathalie Cagny, secrétaire régionale CFDT en charge du département de la Somme et salariée au centre d’appel Coriolis d’Amiens, observe un fort taux de gréviste dans sa boîte, complètement resté sous les radars. « Au centre d’appel Coriolis d’Amiens, on a plus de 50% de grévistes, sur 700 à 800 salariés », souligne-t-elle.

Du côté de la CGT, on confesse aussi volontiers ce manque d’ancrage et de remontées. Une partie du travail de construction de la grève, effectué ces derniers jours, consistait d’ailleurs à recontacter les mandatés CGT pour leur demander d’effectuer ce travail de documentation tout en mobilisant leurs collègues (voir notre article). La confédération annonce toutefois quelques données : 5 000 grévistes chez Airbus, plus de 90% de grévistes dans les ports et 100% des dockers, du Havre à Ajaccio, de Brest à Bayonne, de Cherbourg à Marseille.

La possibilité que de nombreux salariés aient posé des jours de RTT pour participer à la manifestation n’est pas non plus à exclure. D’abord parce que l’étiquette gréviste peut être stigmatisante dans certaines entreprises. Ensuite, parce que certains salariés peuvent essayer de limiter le coût de leur participation aux mobilisations dans un contexte de forte inflation. Un choix que l’on retrouve aussi parfois dans la fonction publique : « plusieurs de mes collègues ont préféré poser des RTT pour aller manifester, au vu de la crise actuelle… », confiait ainsi Éric, de la CGT Territoriaux, lors d’une AG ce matin au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis).


 


 

Face à la réforme des retraites, le retour de la « joie militante » pour faire des manifestations une fête

par Ivan du Roy, Yann Lévy sur https://basta.media

Déguisements, jeux de mots, slogans inventifs, musiques ou maquillages : les grandes manifestations contre le recul de l’âge de départ à la retraite voient refleurir la joie de se retrouver et de se faire entendre. Notre reportage en images.

Mobilisation massive

Environ deux millions de personnes ont manifesté dans toute la France ce 31 janvier, lors de cette deuxième grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites portée par Élisabeth Borne et Emmanuel Macron. Deux millions si l’on retient la moyenne entre les chiffres du ministère de l’Intérieur (1,3 million) et ceux de la CGT (2,8 millions). L’écart entre ces deux sources est le plus fort à Paris, où les organisations syndicales annoncent un demi-million de manifestants et manifestantes, contre seulement 87 000 comptabilisés par la préfecture.

Près de 300 manifestations et rassemblements se sont tenus sur l’ensemble du territoire, avec de très fortes participations dans plusieurs villes moyennes. C’est la plus grosse mobilisation sociale sur les retraites depuis trente ans, y compris lors des grandes et longues grèves de novembre-décembre 1995. Le nombre de grévistes a été important dans l’Éducation nationale, les transports en commun, le secteur de l’énergie, chez les dockers (voir le détail sur le site Rapports de force). Plusieurs dizaines de lycées ont par ailleurs connu des actions de blocages.

Comment installer le mouvement dans la durée, voir même l’intensifier, sans épuiser manifestants et grévistes ? Telle est la question qui se pose désormais aux animateurs de la contestation sociale. Rendre les cortèges revendicatifs plus festifs, en faire des moments où l’on se rencontre et l’on s’amuse, est peut-être l’un des moyens pour continuer à attirer les foules.

Des collectifs, des artistes, des grévistes ou des citoyens imaginatifs tentent déjà de rompre avec le risque de défilés syndicaux routiniers, et parfois un peu tristes. Et avec la crainte d’une répression débridée et aveugle qui planait sur les participants aux manifestations depuis le mouvement contre la loi Travail puis le celui des Gilets jaunes.

Le photographe Yann Lévy était dans la manifestation parisienne du 31 janvier pour saisir des instants de cette « joie militante » [1].

Zombies

Grimées en zombies pour dénoncer le recul de l’âge de départ à la retraite, le collectif des Rosies s’est créé en 2019 lors de la précédente tentative de remise en cause du système de retraites par répartition pour dénoncer ses conséquences négatives pour les femmes, déjà maltraitées par le système actuel. Et organise des ateliers de maquillage en plein air.

Bourgeois

Un manifestant s’est déguisé en caricature de bourgeois pour dénoncer les milliardaires et revendiquer qu’ils soient mis à contribution pour le financement des retraites. Pour l’ONG Oxfam, une taxation du patrimoine des 42 milliardaires français – dont la fortune cumulée atteint 544 milliards d’euros – à hauteur de 2 % suffirait à combler le déficit attendu du système des retraites (12 milliards d’euros en 2027 selon le Conseil d’orientation des retraites).

Inégalités de genre

Les femmes, particulièrement affectées par le projet de réforme de retraite, étaient très nombreuses dans le cortège parisien. Actuellement, une femme perçoit une pension inférieure en moyenne de 30 % à 40 % à celle des hommes. Cette inégalité de genre perdure depuis toutes les précédentes réformes des retraites.

Born to be...

« Un mouvement massif ça donne la pêche aux gens », pense John, qui est postier. « La manifestation, c’est une façon de s’organiser, l’occasion de se rencontrer, d’échanger, de discuter. On se rend compte que si on est nombreux, des choses sont possibles, que l’on peut inverser le rapport de force avec le patronat. Ce n’est pas que la réforme des retraites : l’inflation, les salaires trop bas, on en a marre. » Admirez le jeu de mots. Sa revendication est claire.

Batucada

Emma travaille dans l’Éducation nationale. « Je fais partie d’une batucada. Je joue souvent en manifestation. Je ne sais pas si la musique correspond à ce genre de manifestation où on est là pour revendiquer. Mais créer une ambiance festive, ça aide à se rassembler, faire bloc et se solidariser. »

Cool

« Je viens avec mon fils, le côté joyeux comme aujourd’hui c’est cool, ça ressemble à une grosse fête pour lui », raconte Damien, qui est artiste. « C’est important de pouvoir l’emmener et qu’il découvre ce qu’est manifester, ce que signifie nous faire entendre. » Avec la réforme, les nouvelles générations ne seront pas à la fête. Elles devront travailler jusqu’à 64 ans pour percevoir une pension complète, et cotiser pendant 43 ans ans minimum (donc commencer à travailler à 21 ans pour prendre sa retraite sans baisse de pension).

Margaret Macron

Emmanuel Macron mixé avec Margaret Tatcher, fossoyeuse de l’industrie, des services publics et des mouvements sociaux britanniques dans les années 1980. Le Royaume-Uni est actuellement confronté à une très forte inflation qui pénalise les salariés et les familles modestes. Le pays connaît également un mouvement social de grande ampleur, avec une grève massive ce 1er février.

  publié le 31 janvier 2023 à 20h20

  

en attendant les articles plus complets sur cette journée de mobilisation du 31 janvier contre la réforme des retraites, voici quellques titres de la presse :

 


 


 

sur www.mediapart.fr

« Noir de monde » : le record de mobilisation de 2010 est battu

Près de 250 rassemblements étaient organisés mardi à l’appel des syndicats pour contester le projet de réforme des retraites. Dans nombre de villes, les cortèges étaient encore plus nourris que le 19 janvier, avec 87 000 personnes comptabilisées par la police à paris, 500 000 par la CGT.


 


 

Sur www.humanite.fr

Partout en France, le raz-de-marée populaire contre la réforme

Retraites L’opposition au projet régressif du gouvernement a soulevé les foules, partout en France, ce mardi. Avec 2,8 millions de manifestants, selon la CGT, dont 500 000 à Paris, la lutte a dépassé le niveau du 19 janvier, soulignant le rejet massif de ce texte.


 


 

Sur www.midilibre.fr

DIRECT. Grève du 31 janvier : 1,27 million de manifestants pour la police,
de nouvelles mobilisations
les 7 et 11 février

19 h 10 : La CGT parle de 2,8 millions de manifestants dans le pays

Le chiffre est bien évidemment à prendre avec les précautions d'usage. Mais la CGT avance le chiffre de 2,8 millions de personnes qui ont manifesté dans tout le pays. Le 19 janvier, les syndicats avaient parlé de plus de 2 millions de manifestants.

L'intersyndicale vient d'annoncer deux nouvelles journées d'action, à savoir le mardi 7 et le samedi 11 février.


 


 

Sur https://actu.fr/occitanie/montpellier

Montpellier : 30 000 manifestants contre la réforme des retraites

La mobilisation se renforce. Les Héraultais étaient plus nombreux dans la rue ce mardi que le 19 janvier. Le mot d’ordre des manifestants : le retrait de la réforme.

 

publié le 29 janvier 2023

Les paris stupides

Cédric Clérin sur www.humanite.fr

La réponse des citoyens au projet du gouvernement de reculer l’âge légal de la retraite à 64 ans a été franche et massive. Deux millions de personnes à travers le pays ont choisi de descendre dans la rue pour protester contre cette réforme injuste. Jamais une première journée de mobilisation contre une réforme des retraites n’avait réuni autant de monde. Dans certaines petites villes de France, c’est un nombre inédit de manifestants qui se sont retrouvés.

Aucun des arguments du gouvernement ne parvient à convaincre, et pour cause : ils sont soit trompeurs, soit carrément mensongers. «Il n’y a pas de perdants» avec cette réforme, a même osé le ministre Olivier Dussopt, en charge du dossier, alors que tout le monde a compris qu’il n’y aurait, au contraire, aucun gagnant : travail allongé pour tous et décote plus forte, surcote moindre ou pension plus faible, selon les cas.

Si la réforme venait à être appliquée, ce serait au sens propre un passage en force puisqu’elle ne s’appuie sur rien de solide. Le gouvernement n’a pas de légitimité politique, puisque la grande majorité des Français y sont opposés et qu’Emmanuel Macron a été élu essentiellement pour faire barrage à l’extrême droite. Aucune légitimité sociale, puisque le président du Conseil d’orientation des retraites, Pierre-Louis Bras, explique lui-même que «les dépenses de retraite sont globalement stabilisées et, même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre». Aucune légitimité économique enfin, puisque le gouvernement explique que cette réforme servirait à financer d’autres besoins en termes d’éducation ou de santé. Argument presque lunaire au moment où l’on apprend le montant des profits record du CAC 40 (172 milliards d’euros), celui du versement des dividendes (80 milliards), et pour couronner le tout l’augmentation sans précédent de la fortune des milliardaires français depuis le Covid (+ 173 milliards rien que pour les cinq plus riches d’entre eux). De l’argent, il y en a donc (beaucoup), et ailleurs que dans les poches des futurs retraités.

La ficelle est grosse et c’est une des raisons du succès du 19 janvier : le gouvernement se fout du monde et ça se voit. Car, au-delà de l’appréhension de la nocivité du projet gouvernemental, la mobilisation et son soutien par l’opinion disent également le ras-le-bol qui sourd depuis des mois dans les tréfonds du pays. Comment subir la hausse de l’énergie due au bradage du service public, la hausse des prix des produits de première nécessité sans aides significatives du gouvernement et les affres quotidiennes dans les transports ou la santé sans réagir ? Le mouvement des retraites peut être le catalyseur des colères et de la volonté de changement contre un système qui craque.

Mais, non content de vouloir aller au bout d’une réforme massivement rejetée, l’exécutif envisage l’utilisation de l’article 47-1, artifice constitutionnel pour faire passer un texte et l’appliquer par décret sans motion de censure possible. Il ferait pourtant bien de se souvenir que bafouer les institutions républicaines dans un contexte de crise sociale peut mener au pire. Le président a semble-t-il oublié qu’il a été élu face à l’extrême droite et qu’elle est aujourd’hui plus menaçante que jamais.

À trop vouloir imposer un projet illégitime en pariant sur le pourrissement, c’est la République qu’il met en danger. S’il faut trouver des acteurs publics responsables, c’est bien du côté des syndicats et de l’opposition de gauche qu’il faut chercher. Le succès du 19 janvier appelle à construire une mobilisation dans la durée, forte avec la justice sociale et la taxation du capital comme alternative. Un pas vers la République sociale, en somme. Dans la rue, il faudra encore de nombreux pas pour y arriver. Des millions de Français y sont prêts.


 


 

Réforme des retraites : l’exécutif s’enfonce,
la majorité panique

Pauline Graulle et Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr

Déjà en proie à une mobilisation sociale qu’il n’imaginait pas si forte, le gouvernement se retrouve confronté aux critiques de plus en plus audibles de son propre camp. Les faux pas de communication viennent assombrir un peu plus l’horizon de l’exécutif. La semaine parlementaire et sociale qui s’ouvre pourrait lui être fatale.

La consigne est pourtant explicite, venue du plus haut sommet de l’État. Pour les soutiens du président de la République, l’urgence est à « se déployer » pour « expliquer, expliquer et encore expliquer les enjeux » de la réforme des retraites, comme il l’a martelé en conseil des ministres le 18 janvier. Mardi soir, la première ministre a demandé aux parlementaires de la majorité de « faire vivre l’esprit d’équipage ». « Nous aurons besoin de vous au Parlement, sur les plateaux, dans la PQR [presse quotidienne régionale – ndlr], sur le terrain. »

L’auditoire n’a rien dit, mais il n’en pensait pas moins. Une élue influente de la majorité résume l’état d’esprit ambiant : « Franchement, qui a envie d’aller se prendre des gifles pour défendre cette réforme ? » Dans la majorité, la pluie de réunions publiques dont rêvait Matignon a laissé place à un grand concours de discrétion. Si bien que trouver des parlementaires prêts à « vendre » la réforme dans leur circonscription relève de la quête du Graal.

« Franchement, j’ai déjà toutes les cérémonies de vœux qui s’enchaînent, plaide le député Horizons Frédéric Valletoux. Je n’ai pas le temps. » Comme plusieurs de ses collègues, l’ancien maire de Fontainebleau (Seine-et-Marne) assure qu’il a reçu « dix mails à tout casser » sur le sujet et que personne ne l’interpelle là-dessus sur le terrain. Nadia Hai, élue Renaissance des Yvelines, jure qu’elle organisera des réunions ouvertes au public et à la presse. Mais pas tout de suite : « Pour l’instant, on est en procédure d’amendement, il faut attendre un peu. »

Certains s’y hasardent toutefois, non sans précaution. Le président de la commission des affaires économiques, Guillaume Kasbarian, a organisé une réunion publique à Chartres (Eure-et-Loir) jeudi soir, sous la protection de quatre agents de sécurité. Benjamin Haddad, son collègue Renaissance, a privatisé un bar-tabac du XVIe arrondissement de Paris pour y défendre la réforme – dans une circonscription qui a voté à 81 % pour Emmanuel Macron le 24 avril 2022. Une autre encore, réputée de l’aile « sociale » du groupe, a préféré annuler la réunion initialement ouverte à la presse pour la transformer en « réunion d’information aux militants » en petit comité. Moins risqué.

Au gouvernement, la tendance est la même. Malgré l’appel à la mobilisation du chef de l’État, rares sont les ministres à porter le fer. Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a fait savoir qu’il n’organiserait pas de réunions publiques sur le sujet – uniquement des « déplacements thématiques », plus simples à baliser. Gabriel Attal, son collègue chargé des comptes publics, est pour l’instant le seul à se plier à l’exercice. Non sans assurer ses arrières.

À Olivet (Loiret), où il animait le 19 janvier une réunion sur le sujet, le ministre est sorti ravi des échanges. Et pour cause : « Aucun opposant à la réforme ne s’est exprimé », relève France Bleu, qui y était. Mieux, les 80 personnes présentes avaient été « exclusivement invitées » par la députée Renaissance de la circonscription, Stéphanie Rist. Et la station locale de conclure : « Une sorte de réunion privée, plus que publique. »

Conscient de la réticence collective à défendre la réforme, un ministre se veut compréhensif. « Tout le monde se souvient des législatives, où nos candidats se sont fait pilonner sur le sujet », explique-t-il. Dans une boucle de messagerie qu’il partage avec des député·es, un autre membre du gouvernement raconte avoir vu monter l’inquiétude ces derniers jours.

À la question d’un badaud, croisé en circonscription, un élu de la majorité y raconte par exemple à ses collègues qu’il n’a « même pas su quoi lui répondre ». « On n’y arrive pas, on s’en rend compte sur le terrain, reconnaît une députée Renaissance. La réforme est inexplicable en moins de trois heures, les gens ne pensent qu’à la mesure d’âge. C’est impossible de leur expliquer qu’il y a des avancées. »

Plus inquiétant encore, des voix de plus en plus nombreuses dans la majorité font entendre leurs réserves quant à la réforme. À ce jeu-là, François Bayrou n’est pas en reste. Le président du MoDem, par ailleurs haut-commissaire au Plan, a redit lors de ses vœux à la presse mercredi toutes ses réserves sur une réforme « améliorable », évoquant les « difficultés » qu’elle soulève. Deux jours plus tôt, Élisabeth Borne avait ironisé sur la « créativité » du MoDem et sèchement balayé la proposition formulée par des députés du groupe centriste de rouvrir le débat sur les 35 heures.

Le MoDem et Horizons assument le rapport de force

Dans le groupe dirigé par Jean-Paul Mattei, une poignée d’élu·es ont même fait savoir qu’ils et elles ne se voyaient pas voter le texte « en l’état ». C’est le cas de Richard Ramos, qui se dit favorable à une réforme « mais pas celle-là et pas comme ça ». Le député du Loiret ne mâche pas ses mots sur la communication du gouvernement et les éléments de langage « hors sol » distillés lors des réunions de travail. « Olivier Dussopt n’a rien compris, cingle-t-il. Se contenter de dire qu’il faut faire de la “pédagogie” et asséner des chiffres comme un tracteur, ça ne fait pas de la politique ! »

« Contrairement à ce que croient certains, les Français sont un peuple mature politiquement, qui ne fait pas la gueule pour faire la gueule, poursuit le député MoDem. Mais quand ils se rendent compte qu’ils vont finir leur vie professionnelle au RSA – car ils savent bien que les boîtes vont continuer à virer les gens –, c’est une humiliation… »

Chez l’autre partenaire de la majorité, Horizons, la réception de la réforme n’est pas plus rassurante pour le pouvoir. Sur les trente membres que compte le groupe, six envisagent de s’abstenir ou de voter contre le texte, selon un comptage de La Chaîne parlementaire (LCP). Parmi eux, Jean-Charles Larsonneur s’est dit « guère enthousiaste » devant une réforme qu’il juge « assez brutale » et trop peu « ambitieuse ». Son collègue Yannick Favennec n’a pas caché non plus son opposition à un texte dont il regrette l’absence de « justice sociale ».

En réunion de groupe, le président des député·es Horizons, Laurent Marcangeli, a promis de porter auprès d’Élisabeth Borne une série de revendications, parmi lesquelles l’instauration d’une clause de revoyure en 2027, une meilleure prise en compte des carrières longues ou une amélioration de la situation des femmes. « Le message qu’il va lui tenir, c’est : soit on avance sur ces sujets, soit je ne répondrai pas de mon groupe », décrypte un cadre du parti. Les fidèles du chef de l’État rient jaune : c’est l’ancien premier ministre, favorable à une retraite à 65, 66 ou 67 ans, qui vient les titiller sur la brutalité de leur réforme.

Plus ça avance, plus ceux qui doutent sont nombreux. Il y a un effet de contagion.

Comme le MoDem, le parti d’Édouard Philippe semble décidé à faire entendre sa voix dans la séquence ; quitte à laisser l’exécutif à ses galères. « On finira par voter le texte, très majoritairement, pense un cadre du groupe. Mais on ne va certainement pas se griller là-dessus. Ce n’est pas notre réforme, ce n’est pas celle qu’Édouard aurait faite, et personne n’a l’intention de prendre des baffes pour ce gouvernement. En séance, on va faire le strict minimum. » 

D’où l’appel à « l’esprit d’équipage » lancé par Élisabeth Borne aux trois groupes de la majorité. Car la mer est agitée en interne. Lors d’un déjeuner récent, une passe d’armes a opposé Olivier Dussopt à plusieurs député·es, dont l’élu Horizons Thierry Benoit, qui réclamaient l’instauration d’une clause de revoyure en 2027. « Mais quel est le problème, franchement, à mettre une clause de revoyure ? Si c’est comme ça, moi, je ne voterai pas ! », a fini par s’emporter le parlementaire d’Ille-et-Vilaine.

« Franchement, aucun président de groupe de la majorité, que ce soit à Renaissance, à Horizons ou au MoDem, n’est en mesure de tenir ses troupes », glisse un proche d’Édouard Philippe. Même au sein du parti présidentiel, les critiques se font de plus en plus audibles. Elles émanent des élu·es du petit parti En Commun, dont l’ancienne ministre Barbara Pompili, mais pas seulement. « S’ils vous disent que tout va bien, ils mentent, observe le même interlocuteur philippiste. Ça ne va pas fort dans la majo, et plus ça avance, plus ceux qui doutent sont nombreux. Il y a un effet de contagion. »

Le récit du gouvernement s’écroule au fil des jours

Une contagion facilitée par l’incapacité du gouvernement à convaincre du bien-fondé de sa réforme. En milieu de semaine, les boucles de messagerie ont diffusé à toute vitesse un sondage commandé par BFMTV. Les soutiens du chef de l’État y ont relevé un chiffre cruel : depuis qu’ils ont présenté leurs mesures le 10 janvier, le soutien à la réforme a perdu 14 points dans les enquêtes d’opinion. « Pour nous, c’était spectaculaire », souffle un ministre.

Après avoir vu le conseil d’orientation des retraites saper l’argument budgétaire – avancé comme le fondement même de la réforme –, la stratégie de l’exécutif et de la majorité consistant à vanter les (maigres) améliorations contenues dans le projet de loi s’est peu à peu fracassée sur l’analyse minutieuse des mesures.

Avec pour conséquence de lever de nouveaux lièvres en matière d’égalité entre les hommes et les femmes – la « grande cause » du quinquennat –, les 44 années cotisées pour un certain nombre de travailleurs et travailleuses précoces, le peu de volontarisme déployé pour obliger les entreprises à garder les seniors en emploi…

« Le problème, c’est que quoi qu’on dise sur la revalorisation des petites retraites, c’est de la littérature, car les gens n’ont qu’une seule chose en tête : ils devront bosser deux ans de plus », affirme un député Renaissance. « Il faut dire que plus on ausculte le système de retraites, plus les injustices qui avaient été créées par les réformes précédentes, et qui ne sont donc pas de notre fait, nous explosent à la figure », regrettait, jeudi soir, le député de Paris Benjamin Haddad, en marge de sa réunion publique dans le XVIe arrondissement.

Les faux pas de communication aggravent encore un peu plus l’horizon élyséen. Invité de LCP et Public Sénat lundi, Franck Riester a reconnu que les femmes seraient « un peu pénalisées » par la réforme du gouvernement. « On n’en disconvient absolument pas », a même dit le ministre des relations avec le Parlement, suscitant un vent de panique dans le camp présidentiel. Et une réaction immédiate : « Matignon verrouille tout maintenant, glisse un conseiller ministériel. Ils ne sont plus que quatre ou cinq à avoir le droit de s’exprimer sur le sujet. »

Dont Stanislas Guérini, chargé de la fonction publique, qui s’est pris les pieds dans le tapis de la réglementation sur les données personnelles. En fin de semaine, des milliers de fonctionnaires en poste – ou même ayant quitté leurs fonctions – ont reçu sur leur mail personnel une vidéo où leur ministre de tutelle, s’emploie, face caméra, à vanter les bienfaits de la réforme des retraites. Du jamais vu, selon un fonctionnaire des finances publiques contacté par Mediapart, qui suppose comme beaucoup que les adresses mail personnelles auraient été directement récupérées via les déclarations fiscales des agent·es ou par la plateforme dédiée à leur fiche de paie.

L’affaire a en tout cas ému bon nombre d’intéressé·es qui sont allés fissa déposer plainte auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Laquelle a annoncé qu’elle instruisait ces plaintes et procédait actuellement à des « vérifications ». Le syndicat Force ouvrière a dénoncé « l’utilisation des adresses mail personnelles des agents à des fins de propagande politique » et appelé à ce que la CNIL « fasse le nécessaire afin de faire respecter la protection des données personnelles de l’ensemble des agents »

Dans un tel contexte, l’arrivée du texte en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, lundi 30 janvier, s’annonce particulièrement tendue. Les toutes premières heures d’examen du texte, pour avis, en commission des finances ont déjà donné lieu à une polémique. La députée Renaissance Claire Guichard a fait parler d’elle en refusant une meilleure prise en compte de la situation des accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH). « Vous oubliez, chers collègues, que la vie est faite de choix, a dit l’élue, suppléante de Gabriel Attal. Les AESH choisissent ce statut pour avoir les mercredis et les vacances scolaires, et elles assument, c’est un choix. »

Les errements de communication et les turbulences internes viennent s’ajouter à une pile de difficultés déjà encombrante pour l’exécutif. Initialement rassuré par l’accord scellé avec le parti Les Républicains (LR), le gouvernement n’est absolument pas certain de disposer d’une majorité à l’Assemblée et compte les défections, chez LR comme dans ses rangs. La mobilisation du mardi 31 janvier s’annonce, à cette aune, particulièrement suivie… et périlleuse pour le pouvoir. « Ce qui va se passer pendant les prochaines semaines est totalement imprévisible, reconnaît une cadre de la majorité. À l’instant T, ils sont dans le pétrin. »

publié le 27 janvier 2023

Retraites. Les syndicats investissent le terrain pour convaincre les Français

Stéphane Guérard, Cécile Rousseau, Naïm Sakhi et Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Après la réussite de la journée de mobilisation du 19 janvier contre la réforme du gouvernement, grèves et initiatives se multiplient localement pour emporter le soutien de la population, avant le deuxième acte, le 21 janvier. 

Au soir du 19 janvier, fort des deux millions de personnes défilant dans les rues de France contre le projet de réforme des retraites, les leaders des huit organisations syndicales unies contre le texte Borne-Dussopt s’étaient donné du temps pour évaluer l’impact de l’incroyable élan populaire né de cette première journée de mobilisation. Sur la route conduisant au retrait de la réforme, il y aura bien une deuxième étape : le 31 janvier.

Entre-temps, le gouvernement a présenté les détails des mesures accompagnant la régression de l’âge de départ, de 62 ans à 64 ans, ainsi que l’accélération du tempo des économies prévues sur le dos des travailleurs, avec le passage subito presto de 41 à 43 annuités de cotisations pour espérer une pension à taux plein. L’Assemblée nationale se saisit, le 30 janvier, du projet de loi. Pas grave. Dans ce long combat social arbitré par les Français, qui ne peut se régler que par KO, les syndicats ont misé sur un long et patient travail de conviction et de contre-argumentation avant le second round de mardi.

D’entreprises en administrations, de distributions de tracts en « retraites aux flambeaux », de journées de grève en opérations coups de pouce des électriciens aux boulangers, les initiatives se sont multipliées. Est-ce ce travail de fond qui commence à payer ? 72 % des Français se prononcent désormais (sondage Elabe pour BFMTV) contre le projet gouvernemental ; 57 % déclarent même qu’ils comprendraient que « les grévistes bloquent le pays, car c’est le seul moyen pour que le gouvernement retire ou modifie sa réforme ». L’Humanité a suivi ces préparatifs et pris le pouls de cette mobilisation qui monte.

A Paris, chez les gaziers, aller jusqu'au retrait

Ils sont une petite quarantaine à monter les étages du siège régional de GRDF pour soutenir deux de leurs collègues menacés de procédures disciplinaires à la suite des huit semaines de grèves victorieuses pour les salaires, fin 2022. Malek Bouakkaz fait le point sur l’autre grand sujet : la réforme des retraites. « En ce qui concerne les AG, nous avons terminé le tour des sites », se félicite le secrétaire général adjoint de la CGT énergie 93.

Cette réforme n’est pas un petit sujet. Le régime spécial de ces 140 000 agents reconnaît la pénibilité de certains de leurs métiers avec un départ possible dès 57 ans. Une contrepartie qui ne concernerait plus les nouveaux embauchés. Or « un électricien ou un gazier ont 5 à 7 ans d’espérance de vie en moins que la moyenne », rétorque Malek, qui promet de rester « déterminé jusqu’au retrait ».

A Saint-Denis, les étudiants votent la grève à l'unanimité

À l’université Paris-VIII de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), rendez-vous a été donné pour une assemblée générale, le 25 janvier, à l’heure du déjeuner. L’affluence rappelle les grands jours qui ont fait la réputation militante de la fac dionysienne : amphithéâtre bondé, étudiants assis à même le sol, entre les travées qui séparent les bancs couleur de miel, ou debout, en haut des escaliers. Plus de 250 personnes sont présentes. « On a la plus grande AG étudiante de France ! » fanfaronne une participante. L’heure est à l’enthousiasme et à la projection dans la suite. Désarçonnés par le choix d’attendre le 31 janvier pour une nouvelle journée de mobilisation nationale après la démonstration de force du 19 janvier, les étudiants entendent accélérer le mouvement contre un projet fortement rejeté par les jeunes, selon les sondages (71 % des moins de 35 ans y sont défavorables, d’après une étude Ifop du 16 janvier).

« Nous devons réfléchir à un vrai plan d’action, pas seulement à des journées de mobilisation toutes les deux semaines. L’histoire nous a montré que, quand les étudiants se mobilisent largement, ça peut être l’étincelle qui allume le feu », lance Irène, étudiante et militante du collectif le Poing levé. « Il faut massifier la grève et partir en reconductible », lui répond un autre. Les propositions fusent, consciencieusement consignées sur le tableau blanc par la modératrice. Les étudiants espèrent des convergences avec les autres facs, mais aussi avec les lycées et les travailleurs.

Un appel à une assemblée générale interprofessionnelle vendredi est voté, ainsi qu’une autre le lundi, interfacs et avec les lycées cette fois. Le principe d’une grève mardi est adopté à la quasi-unanimité. Un ancien de Paris-VIII, désormais salarié de l’énergie et syndiqué à la CGT, harangue le public : « Si on veut gagner cette lutte, il faut que tout le monde fasse la grève, pas seulement les travailleurs des secteurs qu’on appelle stratégiques ! Mardi, il faut qu’il y ait des taux de grévistes énormes ! » Tonnerre d’applaudissements.

A Evry, ouvriers et instits marchent aux flambeaux

Le froid glacial de cette fin janvier n’a pas entamé la détermination des 250 manifestants réunis place des Terrasses-de-l’Agora, à Évry (Essonne). Dans la nuit, la marche aux flambeaux organisée par l’intersyndicale de l’Essonne fait son effet. Antonio, drapeaux de la CFDT à la main, est électrotechnicien chez le fabricant de câbles Nexans. « Quand on travaille sous les machines, à les réparer à genoux et à les déménager à la force de nos bras, la retraite à 64 ans, nous n’y arriverons jamais. À 60 ans nous sommes déjà cassés. » À ses côtés dans le cortège, son collègue Patrick poursuit : « Je pouvais partir au 1er janvier 2024. Mais, avec la réforme, je devrais cotiser plus de trimestres. »

Avec 40 ans d’ancienneté dans la même entreprise, Patrick manifestera le 31 janvier, « avant tout pour (s)es enfants et petits-enfants ». Selon lui , « leur avenir est incertain, car à chaque mandat les gouvernements font adopter une réforme des retraites toujours plus contraignante ». Le 19 janvier, à Nexans, 80 des 220 salariés du site Draveil étaient en grève. « Avec les camarades de FO, nous nous cotisons pour payer un bus pour le 31 janvier », assure Antonio, pour qui « l’intersyndicale est un atout, d’autant que les salariés comptent sur cette unité ».

Plus loin dans le cortège, Sonia, une enseignante de maternelle, fulmine. « Je n’ai que 52 ans et je suis rincée. Physiquement, deux ans de plus à se pencher sur les petits pour leur apprendre à écrire ou les porter quand ils ont un bobo, ce n’est pas tenable. » Le 19 janvier, le taux de grévistes atteignait 70 % dans le primaire en Essonne. « Des collègues se tâtent encore à faire grève » le 31 janvier, souligne cette militante FSU. Comment les convaincre ? « En leur démontrant que cette réforme est injuste. Il va falloir travailler plus longtemps, sacrifiant ainsi les corps et par la même occasion les enfants. »

À la sortie du RER, tracter pour « se donner confiance »

«Tous les syndicats unis contre la réforme des retraites ! On va les faire plier ! » Ils sont une vingtaine, estampillés CFDT, CGT, FO ou Solidaires, à braver le froid, ce jeudi matin, pour dénoncer le projet gouvernemental et appeler à participer à la manifestation nationale du 31 janvier. Six mille tracts ont été imprimés, que distribuent les militants postés à diverses sorties du RER B et du RER D, à Saint-Denis. « On va voir les gens pour les convaincre et leur donner confiance dans la possibilité de gagner. Il s’agit de construire un climat de mobilisation », explique Kamel, secrétaire général de la CGT 93. Reza, son homologue de FO, ne dit pas autre chose : « Ici, c’est un département très populaire. Tout le monde a compris qu’il allait falloir travailler deux ans de plus, et les gens trouvent ça dégueulasse. Maintenant, il faut que ça se traduise par de la mobilisation. »

À 7 heures arrivent les ouvriers et les agents d’entretien   « la France qui se lève tôt ». Un peu plus tard, c’est au tour des cadres de descendre des trains. Tout le monde ne s’arrête pas : il faut se presser pour aller au travail. Mais les syndicalistes sont optimistes. « On sent qu’on a le soutien de la population. Les gens sont contents de nous voir », s’enthousiasme Jules, militant CGT, conforté par les résultats d’un sondage Elabe qui a montré, la veille, l’hostilité croissante de l’opinion publique à la réforme des retraites. Au même moment, une femme blonde emmitouflée dans son manteau passe en levant le poing : « On est avec vous ! »

Les dockers, les portuaires… et les clowns du gouvernement

Dès 6 h 30, une cinquantaine de dockers, en grève, ont bloqué l’entrée du plus gros céréalier du port de Rouen (Seine-Maritime), Sénalia, répondant à l’appel de la CGT des ports et docks. « On a presque dix ans d’espérance de vie en moins que le reste de la population, ce n’est même pas envisageable de décharger les bateaux deux ans de plus », tranche Judicaël Jibon, secrétaire adjoint de la CGT des ouvriers dockers et assimilés.

De l’autre côté de la Seine, plus d’une centaine d’agents portuaires ont, entre autres, bloqué le siège du Grand Port maritime de Rouen. Une énorme pancarte a été soudée sur le bitume représentant Olivier Dussopt, Élisabeth Borne et Emmanuel Macron en clowns. Fabrice Lottin, secrétaire général de la CGT portuaires, contemple : « Comme ils mentent sur tous les sujets, ils ne sont absolument pas crédibles. On est prêts à monter crescendo dans la lutte pour garder nos acquis. »

Chez  Enedis, une jeune génération prête à se battre pour un service maximum

Hervé (1) s’est mis en grève, ce jeudi. Dans le local syndical de la CGT, au siège d’Enedis à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), il s’informe sur le parcours parlementaire de la réforme des retraites : « Mais, au fait, c’est quoi cet article 47.1 ? » Les détails comptent dans cette lutte qui a le vent en poupe : « Les gens veulent relever la tête. Le Covid a endormi les colères, mais elles repartent avec l’inflation et cette réforme. »

Salarié d’une entreprise des industries électriques et gazières, il pourrait partir à 58 ans. « Uniquement parce que j’ai quinze ans de travail actif avec de la pénibilité », précise-t-il. Avant d’œuvrer dans les bureaux, Hervé a débuté « en bas de l’échelle », comme releveur de compteurs EDF-GDF. Puis il est devenu technicien clientèle. « Quand il y a un black-out, on intervient, même de nuit où l’appréhension n’est pas la même et nécessite une meilleure concentration, explique l’agent Enedis. Si un pompier appelle à 3 heures du matin, c’est une vraie pression. Dans nos métiers, nous sommes responsables des gens, tout en étant tributaire des contraintes climatiques. » Aujourd’hui, l’agent est opérateur dans un centre d’appels et dépannage (CAD). En service discontinu, il travaille en 3 × 8. « Le travail de nuit, même si on est devant un ordinateur et un téléphone, c’est pénible. Le corps est fait pour dormir la nuit », mesure Didier Hamelin, lui aussi opérateur.

Ce jeudi 26 janvier, 50 % des agents du CAD ont répondu à l’appel à la grève de la CGT énergie. « Au-delà, nous pouvons être réquisitionnés, car il faut assurer le service d’urgence », poursuit le délégué syndical CGT. Sur le site, une assemblée générale, toutes professions confondues, s’est tenue le week-end dernier. « La nouveauté, c’est que les jeunes sont prêts à se battre et ne disent plus qu’ils n’auront pas de retraite, note le responsable syndical. Pour certains, âgés entre 25 et 35 ans, le 19 janvier était leur première manifestation. » Sans doute pas la dernière. L’union locale CGT avait rempli deux cars le 19 janvier. Au moins quatre sont prévus pour le 31 janvier.

(1) Le prénom a été modifié.


 

Loi kasbarian-bergé des occupations d’usines hors la loi ?

La proposition de loi dite antisquat, présentée par les députés de la majorité Guillaume Kasbarian et Aurore Bergé, ne se contente pas de criminaliser les locataires en situation d’impayés et les sans-abri qui cherchent un refuge. Tel qu’il a été réécrit par les députés LR et RN lors du passage à l’Assemblée, son article 1 permet de sanctionner de trois ans de prison et jusqu’à 45 000 euros d’amende « toute introduction ou tout maintien dans un local à usage économique sans être titulaire d’un contrat de bail ». « Ça signifie que tout gréviste qui ferait un piquet de grève dans son entreprise pourrait être condamné », résume Véronique Martin, de la CGT. Pour elle, pas de doute : « Cette nouvelle écriture de l’article 1 remet en cause l’exercice constitutionnel du droit de grève et criminalise encore plus l’action syndicale et revendicative. »


 


 

 

 

Retraites. Les femmes seront davantage pénalisées

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Cette réforme, comme les précédentes, va accroître les inégalités sociales en général et, en particulier, celles de genre, décrypte l’économiste Rachel Silvera.


 

En quoi cette réforme risque-t-elle d’aggraver les inégalités de genre ?

Rachel Silvera : L’allongement des durées de cotisation déjà entérinées dans la précédente réforme Touraine et le recul de l’âge de la retraite vont pénaliser davantage les femmes que les hommes. C’est mathématique. Parce qu’elles ont des carrières incomplètes en raison d’inégalités sur le marché du travail, et des montants de pension beaucoup plus faibles. Pour rappel, celles-ci sont en moyenne inférieures de 40 % à celles des hommes.

Le gouvernement a fini par concéder que les femmes seraient « un peu pénalisées ». Un peu…

Rachel Silvera : L’âge moyen de départ en retraite recouvrirait en effet de fortes disparités, avec un écart allant du simple au double : si on prend la génération 1980, les hommes travailleraient 4 mois supplémentaires contre 8 mois pour les femmes. Le gouvernement part du principe que les gens prolongent naturellement leur départ. Évidemment que les femmes prolongent ! Une grande majorité d’entre elles n’ayant pas de carrière complète, elles essayent de faire une ou plusieurs années de plus, voire attendre 67 ans la fin de la décote, parce que leurs pensions sont trop faibles. Lors de la conférence de presse de présentation de la réforme, Élisabeth Borne a osé dire et répété trois fois que cette réforme serait « juste pour les femmes car l’âge d’annulation de la décote restera à 67 ans ». Mais en quoi est-ce un progrès, alors que cette décote restera en vigueur et pénalisera davantage les femmes ? Si la durée de carrière des femmes s’allonge progressivement, elle reste inférieure à celle des hommes…

Pourtant, le gouvernement continue d’affirmer que cette réforme permettra de réduire les écarts de pension entre les femmes et les hommes...

Rachel Silvera : C’est scandaleux ! Comme elles vont travailler plus longtemps, elles vont cotiser plus longtemps, elles vont donc percevoir une pension un petit peu plus élevée. C’est mécanique. On nous dit aussi que la pension moyenne des femmes sera revalorisée de 1 à 2,2 %, contre 0,2 à 0,9 % pour celle des hommes. Le message envoyé, c’est : « Mesdames, vous allez travailler plus longtemps, mais ne vous inquiétez pas, l’écart entre pensions, qui est de 40 % actuellement, va se réduire. » Mais de qui se moque-t-on ? Et ce n’est pas la revalorisation des minimums de pension qui changera la donne. Le gouvernement fait miroiter un minimum de 1 200 euros brut. Mais, pour percevoir ce montant, il faudra avoir une carrière complète. Or, les femmes qui sont nombreuses à avoir des carrières incomplètes, toucheront ce minimum au prorata de leur durée de cotisation. Donc, non, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, les femmes ne sont pas les grandes gagnantes.

Y a-t-il une meilleure prise en compte de la pénibilité ?

Rachel Silvera : Depuis la mise en place du compte professionnel de prévention (C2P), en 2017, la pénibilité est moins prise en compte, car les critères sont plus restrictifs. Peu de personnes ont pu bénéficier de trimestres cotisés en bonus grâce à ce système. On estime que seulement 3 % des salariés en auraient bénéficié dont 75 % d’hommes. Le gouvernement dit qu’il va améliorer les seuils. Mais, pour les emplois très féminisés, les facteurs de pénibilité ne sont absolument pas pris en compte, notamment ceux liés aux contraintes physiques mais aussi « émotionnelles » : faire face à la souffrance d’un patient en fin de vie, à la violence de personnes qu’on accompagne… Toutes ces dimensions sont totalement invisibles.

Ce n’est même plus une double peine…

Rachel Silvera : Au départ, il y a deux inégalités principales : les montants des pensions et les contraintes familiales qui font que, encore aujourd’hui, une femme sur deux, au moment de la naissance d’un enfant, va réduire ou même stopper son activité professionnelle. Par comparaison, c’est un homme sur 9. Il y a donc une double pénalité à la fois dans le calcul sur les durées qui va jouer, ensuite sur les montants. Montants qui vont dépendre des carrières, etc.

Faudrait-il lutter en amont contre les inégalités de genre ?

Rachel Silvera : C’est ce qui conditionne les montants des pensions. Il faudrait commencer par réduire, voire supprimer les inégalités salariales, s’attaquer à la question des pénalités que subissent les femmes quand elles sont mères, etc.

   publié le 26 janvier 2023

Les leaders syndicaux surfent sur l’impopularité record de la réforme

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Unis devant l’Assemblée nationale avant une audition par les parlementaires, les représentants des huit organisations syndicales œuvrent pour une mobilisation massive, le 31 janvier, contre le projet de réforme des retraites, dont 72 % des Français ne veulent pas.

Rien ne semble ébrécher ce front commun. Devant l’Assemblée nationale, ce mercredi, les numéros un des huit organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Unsa, FSU, Solidaires) ont réitéré d’une même voix leur opposition au projet gouvernemental de réforme des retraites. « Cette réforme est d’autant plus injuste qu’elle va frapper de plein fouet l’ensemble des travailleurs et travailleuses, et plus particulièrement celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, mais aussi celles et ceux dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue », a clamé Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, au nom de l’intersyndicale.

Si les dirigeants syndicaux se sont réunis devant le Palais Bourbon pour soutenir leur délégation, reçue par la commission des Affaires sociales pour une table ronde au sujet de la réforme, l’objectif pour les centrales était également de prouver que l’union de leurs forces est partie pour durer. « Cette intersyndicale est pleine, entière et déterminée », a assuré le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot. Mais aussi, de continuer à impulser des dynamiques de lutte, à quelques jours de la deuxième journée de mobilisation interprofessionnelle du 31 janvier.

Dans cette optique, les syndicats ont le vent en poupe. Selon la dernière enquête d’opinion publiée ce mercredi par Elabe pour BFMTV, jamais ce projet de réforme des retraites n’a été jugé aussi impopulaire (72 % de Français défavorables, + 6 points en une semaine, + 13 en quinze jours), si injuste (74 %, + 16 en quinze jours), inefficace (+ 11 en deux semaines) et inutile ( « non nécessaire » pour 54 %). Ils sont même 57 % (+ 2 points en une semaine) à déclarer qu’ils comprendraient « que les grévistes bloquent le pays, car c’est le seul moyen pour que le gouvernement retire ou modifie sa réforme des retraites ».

Une semaine après la franche réussite de la première journée de lutte du 19 janvier, rien ne semble donc entacher l’optimisme des huit organisations. « Beaucoup de personnes hésitaient à se mobiliser le 19, et quand elles ont vu le succès que ça a été, elles nous ont dit qu’elles seraient dans la rue le 31 », confie Philippe Martinez. « Toute la semaine, il y a eu des assemblées générales, des rassemblements devant les préfectures, nos militants ont rencontré des députés pour les alerter sur l’injustice de la réforme », ajoute Frédéric Souillot.

Les préavis de grève se multiplient

« De plus en plus de secteurs commencent à parler d’une grève reconductible », se réjouit Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires. Les préavis de grève se multiplient. La fédération CGT de la chimie lance les hostilités dès ce jeudi, avec deux jours de grève dans les raffineries, puis les 6, 7 et 8 février. Les 6 et 7 février, les cheminots cesseront également le travail, à l’appel de la CGT et de SUD rail. Les agents de la RATP, de leur côté, seront en grève le 31 janvier, et décideront dès le lendemain de la suite à donner au mouvement. Les professeurs, appelés à la mobilisation par SUD éducation, débuteront mardi prochain une grève reconductible, tout comme les saisonniers des remontées mécaniques.

Alors que la lutte monte en puissance, les leaders syndicaux gardent la tête froide face aux appels du gouvernement à la « responsabilité » et à ne pas handicaper les Français pendant les vacances scolaires. « Ils s’affolent, constate Simon Duteil, codélégué général de Solidaires. Tout le monde préférerait que les choses fonctionnent correctement, mais c’est de la responsabilité du gouvernement. Il n’a qu’à retirer sa réforme. »


 


 

Vieillissement, coût du travail, compétitivité : les anti-retraites utilisent les mêmes arguments depuis 1945

par Rachel Knaebel sur https://basta.media

Pourquoi réformer les retraites ? Vieillissement de la population, compétitivité, coût du travail : ces arguments sont déployés à l’envi depuis... la création du système de retraite par répartition en 1945 ! Entretien avec le sociologue Ilias Naji.


 

Basta!  : Les débats sur de nécessaires « réformes » des retraites sont-ils arrivés rapidement après la mise en place du système général de retraite dans l’immédiat après-Deuxième Guerre mondiale ?

Ilias Naji [1] : Le régime général des retraites par répartition est installé en France à partir de 1945. Dès le début, des controverses sur les retraites et la Sécurité sociale de manière plus générale apparaissent. On retrouve alors des arguments qui existent encore aujourd’hui, notamment celui du vieillissement démographique. À l’époque, les démographes n’anticipent pas du tout le baby-boom qui se profile. Pour eux, la France est un pays vieillissant. Selon eux, cela coûterait beaucoup trop cher de généraliser les retraites par répartition.

On entend aussi l’argument lié au coût du travail, mis en avant par le patronat et repris par des acteurs de la classe politique. Leur raisonnement est : si on généralise la retraite et la Sécurité sociale, cela fera augmenter les cotisations, donc le coût du travail, donc les entreprises françaises vont être moins compétitives par rapport aux pays voisins, cela sera mauvais pour l’économie.

Basta!  :Comment a été mise en place la retraite à 60 ans à taux plein ?

Ilias Naji : La retraite à 60 ans existe avant 1945 dans certains types de régimes de retraite. Dans le régime général du secteur privé conçu à la Libération, l’âge de départ à taux plein est fixé à 65 ans, à cause de cet argument du vieillissement de la population. Il existe déjà alors une forte revendication syndicale, de la CGT notamment, pour la retraite à 60 ans.

La revendication de la retraite à taux plein à 60 ans est annoncée très vite en 1981

Puis, à la fin des années 1960, s’ouvrent de nouveaux débats sur ce que cela coûterait d’établir la retraite à 60 ans pour tout le monde. Finalement, ce sont les préretraites, appelées alors « garantie de ressources », qui se développent beaucoup dans la décennie suivante. Ce système n’est pas décidé par le gouvernement de l’époque, mais par les partenaires sociaux, les syndicats et le patronat. C’est une prestation de l’Assurance chômage qui est elle-même gouvernée de manière paritaire par les partenaires sociaux.

Un accord est trouvé en 1972 sur les préretraites en cas de licenciements économiques, et en 1977 sur les préretraites pour démission. Il était alors possible de démissionner à l’âge de 60 ans et de disposer d’une préretraite jusqu’à 65 ans. Comme le montant des préretraites est alors plus important que celui de la retraite, ce dispositif a beaucoup de succès. La « préretraite démission » est largement utilisée notamment par les cadres. De grandes entreprises industrielles se servent aussi de ce système pour licencier de manière déguisée, car ce n’étaient pas elles qui payaient les préretraites, mais l’Assurance chômage.

Basta!  :La situation change-t-elle avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterand en 1981 ?

Ilias Naji : Avec le « succès » des préretraites, le taux d’activité des personnes de plus de 60 ans se retrouve à un niveau très bas au début des années 1980. La revendication de la retraite à taux plein à 60 ans, présente dans le programme commun du Parti socialiste et du Parti communiste, est annoncée très vite en 1981. Cette demande est, d’une certaine manière, déjà réalisée, sauf pour une partie de la population qui n’a pas droit aux préretraites. La mise en place de la retraite à 60 ans à taux plein s’est ensuite faite en deux étapes.

Pour le régime général, cela est fixé par ordonnances à l’automne 1981. Le régime général couvre deux-tiers du montant de la retraite pour le secteur privé. S’y ajoutent des retraites complémentaires obligatoires, qui, elles, sont gérées paritairement par les syndicats et le patronat. Il faut donc que ceux-ci trouvent un accord pour réformer également les retraites complémentaires. Comme les préretraites restent alors plus avantageuses que la retraite, les syndicats n’y sont pas trop favorables au début. Le patronat refuse, lui, la retraite à 60 ans dans les régimes complémentaires car il milite déjà contre toute hausse des cotisations.

Suite à des négociations, on parvient en 1983 à un accord et à un montage financier sur la retraite à 60 ans pour les retraites complémentaires, sans hausse du taux de constatation en utilisant l’argent prévu pour les préretraites de garanties de ressources qui sont progressivement éteintes.

Basta!  : Que s’est-il passé pour que, suite à la mise en place de la retraite à 60 ans, débute une série de réformes qui vont dans le sens contraire ?

Ilias Naji : En 1982, c’est le tournant de la rigueur, aussi appelé plus tard politique de « désinflation compétitive ». L’idée est de maîtriser le coût du travail avec l’espoir que in fine, cela créera de l’emploi. Ce coût du travail inclut les taux de cotisations qui financent la Sécurité sociale et notamment les retraites.

Le mot d’ordre est donc la surveillance des taux de cotisations. Cela s’applique aussi aux retraites. Le raisonnement est que, si on veut que le coût du travail n’augmente pas, les dépenses des retraites ne doivent pas trop augmenter. Dès 1983, l’indexation des pensions de retraite change. Avant, elles étaient indexées sur les salaires nets. Après, elles sont beaucoup moins revalorisées, en dessous même de l’inflation. À partir de 1987, elles sont indexées sur les prix, soit à un niveau moindre que si elles étaient revalorisées au niveau des salaires. Le gouvernement choisit de modifier le mode d’indexation des retraites pour faire des économies sur les dépenses et ne pas avoir à augmenter le taux de cotisation. C’est une réforme peu perçue à l’époque.

Ensuite, tout au long de la décennie, différents projets de réforme sont formulés par le ministère des Affaires sociales d’un côté et le ministère de l’Économie de l’autre. Ces deux administrations s’accordent pour continuer la désinflation compétitive, donc faire en sorte que les dépenses de retraites n’augmentent pas trop vite.

Un gouvernement de droite est élu en 1993. À partir

de là, ça va très vite. C'est la réforme Balladur qui

augmente la durée de cotisation à 40 ans

Si l’administration budgétaire est plus radicale dans la compression des dépenses que l’administration sociale, les deux sont favorables à l’ augmentation de la durée de cotisation. La durée de cotisation minimale pour obtenir le taux plein est à l’époque de 37,5 années [entre 42 et 43 ans ans aujourd’hui en fonction de votre année de naissance, ndlr]. Les ministères veulent alors l’allonger à 40 ans, voire plus. En 1991 sort le « Livre blanc sur les retraites » qui reprend globalement les positions de la direction du budget. Puis, un gouvernement de droite est élu en 1993. À partir de là, ça va très vite. Les lois sont votées dès l’été 1993. C’est la réforme Balladur qui augmente la durée de cotisation à 40 ans et qui change aussi la durée du salaire de référence [le nombre de meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension] de 10 à 25 ans.

À cette époque est aussi créé le fonds de solidarité vieillesse, pour financer le minimum vieillesse. Ce fonds est abondé par la CSG, pas par des cotisations. À la création de ce fonds est aussi associée l’idée de financer des dépenses de solidarité par des taxes et par l’impôt et non plus par des cotisations, avec derrière la volonté de faire baisser le coût du travail.

Basta!  : L’argument le plus visible dans le débat public autour des retraites, c’est la question démographique : « On vit plus longtemps ». Est-ce en fait la question du coût du travail qui reste centrale dans toutes les réformes ?

Ilias Naji : L’argument démographique est présent dès 1945. Il vient s’opposer à des réformes des retraites avantageuses pour les retraités au prétexte de la charge que ferait peser sur l’économie la part âgée de la population. Puis, dans les rapports de l’administration sur les retraites de la décennie 1970, cet argument est critiqué : le vieillissement ne serait pas si grave, d’autant que si on résonne sur le plan du ratio de la part inactive en fonction de la part de la population active, il n’y a pas de différence entre jeunes et vieux. Il peut ensuite y avoir des débats pour déterminer si une personne âgée coûte plus cher qu’une personne jeune inactive.

L’argument du coût du travail qu'il faudrait réduire est

très ancien pour justifier les réformes des retraites

Une deuxième argument dans les débats établit un lien entre retraites, coût du travail et chômage. Par exemple, une grande réforme de l’organisation de la Sécurité sociale est mise en œuvre en 1967, car on a un problème de déficit. Dans les débats politiques revient l’idée que la Sécurité sociale coûterait trop cher dans un contexte économique de compétition internationale où il faudrait réduire le coût du travail. L’argument du coût du travail, qu’il faudrait réduire pour faire baisser le chômage, est très ancien. Les réformes des retraites sont justifiées par cet argument au moins depuis les années 1980. Ce n’est pas pour autant que le chômage baisse fortement[le taux de chômage oscille entre 5,4% et 10,8 % depuis 1982, il est à 7,3 % en 2022, ndlr].

Basta!  : Percevez-vous une ligne de partage politique continue dans ces débats entre libéraux et partisans de la solidarité nationale, entre patronats et syndicats ?

Ilias Naji : Jusque dans les années 1970, deux visions de l’organisation de la Sécurité sociale s’opposent. Certains défendent la caisse unique, qui revient à centraliser l’argent de toutes les branches de la Sécurité sociale : retraites, famille, maladie. Ensuite, cet argent est utilisé pour répondre à des risques et des besoins sociaux, comme les retraites, et parfois aussi pour répondre à des objectifs de réduction des inégalités sociales et de redistribution.

Ce projet de généralisation de la Sécurité sociale s’arrête en 1946-1947 du fait des oppositions, notamment des régimes de retraite de la fonction publique, mais aussi des agriculteurs, des professions libérales, des indépendants, des cadres, qui ne veulent pas se retrouver avec le régime général, car ils ont l’impression qu’ils y perdraient.

Des oppositions existent aussi sur ce que devrait être un bon système de protection sociale. Certains disent que la Sécurité sociale ne devrait pas financer la redistribution dans le but de réduire des inégalités sociales. Cette vision défend une approche plus « assurantielle » qui lie la prestation au fait d’avoir cotisé. Dans les années 1970, des syndicats demandent le retour à la caisse unique. Il y a encore alors cette controverse sur les finalités de la protection sociale : est-ce seulement une assurance sociale [face au risque de la maladie ou du chômage, ndlr] ou est-ce aussi un instrument de redistribution qui vise à lutter contre les inégalités ?

Basta!  : Le système de retraite par répartition est-il régulièrement remis en cause pour aller vers un système par capitalisation ?

Ilias Naji : Dans le programme du CNR [Conseil national de la Résistance qui réfléchit avant même la Libération à un nouveau modèle social français], aucun choix n’est vraiment fait sur le mode de financement des retraites. Les retraites d’avant-guerre qui fonctionnaient en partie par capitalisation ont beaucoup pâti de l’inflation liée à la crise économique et financière des années 1930 puis à la Seconde Guerre mondiale. Les retraités se sont retrouvés appauvris, car leur pension était devenue très faible par rapport à l’évolution des prix. Dans cette situation, le choix fait en 1945 d’un système par répartition était avant tout pragmatique.

Après l'inflation liée à la crise économique et

financière des années 1930, le choix fait en 1945 d'un

système par répartition était avant tout pragmatique

Le système par répartition a plusieurs fois été remis en cause par la suite. Un projet de généralisation des fonds de pension est discuté en France dès 1965. Face aux oppositions, il est abandonné. Ensuite, Raymond Barre [ministre de l’Économie, puis Premier ministre entre 1976 et 1981, ndlr] fait des déclarations favorables à la retraite par capitalisation, avec le lobby des assurances qui pousse au développement de la capitalisation. Cela ne s’est pas concrétisé. On retrouve ces mêmes tentatives dans les années 1980 et 1990. En plus du levier « coût du travail », la politique de rigueur des années 1980 active celui des « investissements », pour que les entreprises investissent pour devenir plus compétitives.

Une manière d’attirer les investissements est de créer des fonds de pension, donc de favoriser la retraite par capitalisation. Des projets sont alors menés au ministère de l’Économie avec la création d’un plan d’épargne retraite à la fin des années 1980. Finalement, les épargnants préfèrent l’assurance vie, car c’est plus facile d’en retirer son argent. Dominique Strauss-Kahn (PS), ministre de l’Économie, relance le projet de retraites par capitalisation en 1998. La bulle internet en 2001, puis la crise des subprimes en 2007-2008 ont atténué ce débat parmi les économistes.

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[1Ilias Naji est docteur en sociologue, chercheur postdoctoral à l’université Johannes-Kepler de Linz. Il a consacré sa thèse au retournement des réformes des retraites dans les années 1980.

publié le 25 janvier 2023

Retraites : des AG pour
« aller chercher
les étudiants un par un » avant le 31

Maïa Courtois sur ttps://rapportsdeforce.fr/

Dans les campus, partout en France, des étudiants et enseignants syndiqués tentent d’informer le plus massivement possible sur le contenu de la réforme des retraites afin de grossir les rangs des manifestants dans la rue. En attendant le rendez-vous du 31 janvier, des AG ont lieu tout au long de la semaine. 

 Il faut le reconnaître : ce mardi, à l’université d’Évry, le rendez-vous donné sur la pause de midi ressemble « plus à une intersyndicale qu’à une AG ». Adrien, co-secrétaire de Sud dans l’Essonne, l’admet avec le sourire. Il lance tout de même la question du jour à la volée : « quel peut être notre rôle dans cette mobilisation contre la réforme des retraites ? ». En face de lui se tiennent une dizaine d’enseignants et de personnels administratifs membres de l’intersyndicale locale. Au fond de l’amphi, quelques étudiants curieux, en cursus de sociologie et d’informatique, sont tout de même venus écouter.

À leur demande, Adrien déroule un diaporama exposant les grands axes de la réforme, et les principaux contre-arguments. L’un des étudiants, Ryan, engagé à La France Insoumise, a tracté devant sa fac… Et en a vu les limites : « beaucoup de jeunes ne se sentent pas concernés car ils ne travaillent pas encore. Ils restent concentrés sur leurs études ».  Ce n’est pas seulement le cas des étudiants. « Il y a encore des collègues qui pensent qu’ils ne sont pas touchés par la réforme », témoigne Heike, enseignante syndiquée SNESUP-FSU, à qui l’un d’eux a récemment rétorqué : « je suis né en 64, je ne suis pas concerné ».

Le besoin de mieux informer est donc incontestable, selon plusieurs participants à l’AG. Et puis, il y a aussi ceux qui « donne la priorité au présent : boucler les fins de mois, manger », témoigne Carine, syndiquée SNASUB-FSU. Parmi ses collègues du personnel administratif, technique et des bibliothèques, « il y a beaucoup de gens avec des petits salaires, qui survivent ».

« Les salaires, c’est aussi le sujet »

« Il faut aller leur dire que la misère étudiante, c’est aussi le sujet. Que les salaires, c’est aussi le sujet », insiste Jean-Renaud Pycke, secrétaire CGT de l’université d’Évry. La CGT est en dehors l’intersyndicale d’Évry, mais celui-ci a tenu à participer à l’AG du jour. « Il faut libérer la parole, demander aux gens, aux jeunes, leurs revendications : c’est la seule chance de massifier. Beaucoup se sentent bel et bien concernés mais se disent : je suis pauvre et à ma retraite je le serai encore plus, voilà tout ».

Mélissa, étudiante en sociologie, le concède : cela fait longtemps que la jeune femme pense que sa génération n’aura pas de retraite, et subira un système de capitalisation à l’américaine. « Le bon angle d’attaque pour les étudiants, ce serait par exemple le taux de chômage. Il faut qu’on puisse trouver un point de vue particulier, un angle d’analyse » qui mobilise ses pairs, abonde-t-elle.

« Cette réforme frappera de plein fouet l’ensemble des personnels de l’ESR et plus particulièrement les plus précaires déjà en difficulté (salaires faibles, carrières incomplètes, généralisation des vacations le plus souvent non mensualisées…) », déplore l’intersyndical de l’université d’Évry (SNASUB-FSU, CFDT, SNESUP-FSU, SNPTES-UNSA, SUD, UNEF).

« Aller chercher les étudiants un par un »

Le temps presse. Il ne reste que quelques jours avant la seconde journée nationale de mobilisation, le 31 janvier. Partout en France, des étudiants et personnels tractent, discutent, organisent des rassemblements. Au Mirail à Toulouse par exemple, « on diffuse tous les jours des tracts pour appeler à une nouvelle assemblée générale ce jeudi 26 », raconte une militante. Tous ont conscience de l’urgence du calendrier : la crainte du 49-3 ou d’un 47-1 plane. « Il faut réussir à taper très fort le 31 janvier, être extrêmement efficaces », presse un participant de l’AG d’Évry.

Comment s’adapter vite à la réalité du terrain ? « Si les gens ne viennent pas à nous, c’est à nous d’aller vers eux. Il n’y a qu’une solution : faire des tournées de bureaux, et des tournées d’amphi », propose Adrien de Sud.

Les étudiants dans la salle y sont tout à fait favorables. « Il faut aller chercher les étudiants un par un », appuie Ryan, qui suggère même d’organiser des AG dehors, devant la fac. Malgré le froid mordant de la période, cette suggestion remporte aussi l’adhésion générale.

Coordination d’AG dans plusieurs villes : vers des blocages ?

« Entre le SNU (service national universel), le projet de réforme des bourses qui ne sortira pas la jeunesse de la précarité, des services publics sous-financés, une sélection qui va être renforcée par la nouvelle réforme de l’entrée en Master, nos organisations se mobiliseront pour mettre en protection sociale la jeunesse, et faire de l’accès à l’enseignement supérieur un droit et non un privilège », défend la Coordination nationale étudiante dans son communiqué du 17 janvier. Cette coordination regroupe les syndicats UNEF et l’Alternative.

Elle rassemble des bases syndicales dans « une trentaine de villes. C’est un outil important de mobilisation », soutient Victor Mendez, président de l’UNEF-Tacle à l’université de Nanterre et membre du NPA. La coordination appelle à organiser, dans cette trentaine de villes, des AG ce mercredi.

« Notre but c’est de mettre totalement en grève la fac », soutient Victor Mendez. « Le 31 sera notre point d’appui. Là, on est dans une phase explicative : il s’agit de faire comprendre aux étudiants qu’ils ont un rôle à jouer. Celui de massifier les manifestations. Si la jeunesse rejoint, cela donnera énormément de confiance aux travailleurs ». 

Ce mercredi, les lycées aussi sont en mouvement. La Voix Lycéenne a aussi appelé à la tenue d’AG ce jour. En outre, « nos fédérations départementales seront très mobilisées jusqu’au 31 pour tracter, échanger devant les lycées, mener des actions diverses pour convaincre et amplifier le mouvement », indique le syndicat, à l’image de ce qu’il se passe chez les étudiants.

  publié le 24 janvier 2023

Les cheminots préparent leur entrée en grève reconductible
par étape pour mi-février

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

La CGT cheminots et SUD-Rail viennent d’annoncer un calendrier de mobilisation dans le ferroviaire. Les deux syndicats veulent faire de la journée de grèves et de manifestations du 31 janvier une rampe de lancement vers une grève reconductible, avec deux journées de grève dès la semaine suivante, en convergence avec les énergéticiens et les raffineurs.

 Monter d’un cran. C’est l’objectif de la CGT et de SUD-Rail avec un appel commun à élever « le rapport de force pour gagner le retrait » de la réforme des retraites. Les deux fédérations appellent les cheminots à se mettre en grève massivement le 31 janvier. Mais aussi à se « réunir en assemblée générale pour mettre en débat l’intensification de l’action ». Ainsi elles proposent à la discussion « une séquence de deux jours consécutifs de grève les 7 et 8 février à l’instar d’autres branches professionnelles ». Des dates modifiables selon les décisions de l’intersyndicale nationale, au soir du 31 janvier, assurent la CGT-Cheminots et SUD-Rail. Les deux syndicats proposent ensuite de passer à la grève reconductible mi-février, si le gouvernement ne retire pas son projet de loi.

Pourquoi un départ en grève reconductible dans 15 jours et non le 31 janvier ? En grande partie parce que la journée du 19 janvier est un peu paradoxale. Certes, le nombre de grévistes a été très important à la SNCF (46 % et même 77 % des conducteurs de TGV), mais les assemblées générales de la journée sont restées assez vides de cheminots. Or sans AG forte, pas de grève reconductible forte. De plus les cheminots n’ont pas envie de porter à aux seuls ou avec quelques rares professions l’ensemble de la contestation. Une date plus tardive pourrait ainsi permettre que de nouveaux secteurs s’organisent pour un conflit dur, espèrent-ils.

Par conséquent, l’option d’appeler à 48 h de grève les 30 et 31 janvier, un temps sur la table, a été abandonnée au profit d’un calendrier plus distendu, par crainte de griller une cartouche inutilement avec un jour où seuls les cheminots auraient été en grève le 30 janvier. De même, l’idée de deux jours d’arrêt de travail tous les cinq jours, comme lors du conflit sur la privatisation de la SNCF, n’a pas été retenue. Au lendemain des manifestations massives du 19 janvier, les quatre syndicats représentatifs de l’entreprise (CGT, UNSA, SUD, CFDT) se sont réunis une première fois. Depuis, les échanges se sont poursuivis par téléphone, jusqu’à chuter sur l’appel de deux syndicats sur quatre ce mardi 24 janvier.

L’unité syndicale mise sur pause chez les cheminots

Si l’ensemble des organisations syndicales de la SNCF sont d’accord pour amplifier la mobilisation cheminote le 31 janvier, elles n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un calendrier pour durcir le mouvement après cette date. La CFDT cheminots, dont le conseil fédéral s’est réuni lundi 23 janvier, faisait savoir dans un communiqué de presse qu’elle « n’exclue pas de s’engager dans une reconductible, mais c’est trop tôt ». Pour le quatrième syndicat de la SNCF – 15,94 % aux élections professionnelles de décembre dernier – qui n’a pas attendu la fin des échanges entre fédérations cheminotes pour s’exprimer « la date du 31 janvier fixé par l’intersyndicale est une priorité ». Avec comme objectif pour elle de « surpasser le 19 janvier ».

L’Unsa, deuxième syndicat de l’entreprise, ne s’est pas joint à la CGT et à SUD non plus. Mais au même titre que la CFDT, elle pourrait raccrocher les wagons d’une grève reconductible après le 31 janvier, selon l’état de la mobilisation chez les cheminots et les perspectives données par l’intersyndicale nationale au soir de la seconde journée interprofessionnelle de mobilisation. « Les suites à donner après le 31 seront à donner après le 31 pour amplifier », écrit la CFDT, ne fermant ainsi pas la porte à un durcissement du mouvement. Une porte que ne ferme pas non plus la CGT-Cheminots et SUD-Rail qui assurent qu’elles « s’attacheront à maintenir un caractère le plus unitaire possible au conflit des retraites dans la branche ferroviaire ».

 

 

 

Retraites : la réforme
n’est pas « plus juste » pour les femmes

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Le projet de réforme des retraites a été présenté lundi 23 janvier en conseil des ministres. L’exécutif n’entend pas revenir sur le report de l’âge légal à 64 ans. Envers les femmes, la promesse passe d’une réforme « plus juste » à celle, plus modeste, d’un texte qui « ne creuse pas les inégalités ».

IlIl ne s’agit même plus de convaincre, mais d’esquiver les retours de bâton. En martelant pendant dix jours que les femmes seraient « mieux protégées » par la réforme des retraites, le gouvernement s’est enfermé dans son propre piège. Non seulement le projet, qui a été présenté lundi 23 janvier en conseil des ministres, remet en lumière les inégalités flagrantes entre les femmes et les hommes, mais il ne les règle en rien, malgré les « progrès concrets » avancés par Élisabeth Borne.

L’étude d’impact de la réforme, révélée lundi par Les Échos, est sans appel. Le report de l’âge de départ sera clairement plus marqué pour les femmes. « Les femmes nées en 1972 verront leur âge moyen de départ augmenter de neuf mois en moyenne contre cinq pour les hommes de la même génération, souligne le quotidien. Pour la génération 1980, l’effort est même deux fois plus important puisqu’elles partiraient huit mois plus tard contre quatre mois pour les hommes. »

Où est donc la réforme « plus juste » pour les femmes promise par la première ministre ? Face à la presse, à l’issue du conseil des ministres, Olivier Dussopt cachait mal son embarras. À propos des informations parues dans Les Échos, le ministre du travail a évoqué un document « provisoire » et tenté une pirouette : « Ce n’est pas une étude d’impact mais un rapport permettant aux parlementaires […] d’avoir les impacts et conséquences des mesures que nous présentons. »

Voilà qui s’appelle jouer sur les mots. Étude ou rapport, le document consulté par le quotidien économique mesure bien l’impact de la réforme, et son contenu n’est nullement contesté par le ministre. Olivier Dussopt a fini par le concéder : « Le fait de décaler légèrement l’âge de départ officiel, légal, à la retraite a cette conséquence que vous décrivez », a-t-il répondu, à propos de ce report de l’âge plus important pour les femmes.

Cette conséquence est toute simple et cruelle : les femmes vont perdre une partie de leurs « avantages » liés à la maternité. Dans le privé, elles peuvent obtenir jusqu’à huit trimestres supplémentaires : quatre en contrepartie de la maternité ou de l’adoption, et quatre autres pour l’éducation. Ces derniers peuvent d’ailleurs être répartis, pour les enfants nés après 2010, entre les deux parents. Dans le public, la bonification de durée peut aller jusqu’à quatre trimestres.

C’est donc mathématique : rehausser de deux ans l’âge légal de départ efface partiellement ces « bénéfices familiaux ».

Un écart de pension ramené à 20 %

Contraint d’admettre l’évidence, Olivier Dussopt a rapidement enchaîné sur les mesures du projet de loi « qui ne creusent pas les inégalités entre les hommes et les femmes ». Doit-on s’en réjouir, tant ces inégalités sont déjà béantes ? Le ministre lui-même en convient : « Nous ne pouvons pas demander à notre système de retraite de réparer les inégalités de carrière accumulées tout au long de la vie. » Il n’est donc plus question d’une réforme « qui protège les femmes », mais d’un projet de loi qui n’enfonce pas davantage le clou.

Selon l’Insee, le revenu salarial des femmes reste inférieur de 22 % en moyenne à celui des hommes. En toute logique, cela se répercute sur les pensions de retraite. En 2020, la pension moyenne de droit direct des femmes était encore inférieure de 40 % à celle des hommes, indique la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) dans son panorama 2022 sur « les retraites et les retraités ». Soit 1 154 euros par mois en moyenne pour les femmes contre 1 931 euros pour les hommes.

« Cet écart est en baisse continue », ajoute le rapport, rappelant qu’en 2004, il s’établissait à 50 %. Par ailleurs, « en tenant compte des pensions de réversion, dont les femmes bénéficient en majorité, les écarts se réduisent un peu, à 28 % ».

Ce fossé, l’exécutif entend le réduire encore. Vantant « une marche progressive vers l’égalité », Olivier Dussopt évoque un écart ramené à 20 % pour la génération 1971. « La pension moyenne des femmes sera revalorisée de 2,2 % alors que celle des hommes le sera de 0,9 % à horizon 2030 », indique le ministre du travail, avant d’ajouter : « du fait du différentiel du temps de cotisation ». Dit autrement : parce que les femmes vont travailler davantage.

De nouveaux droits dérisoires

Il insiste aussi sur de « nouveaux droits » ciblant particulièrement les femmes, parmi lesquels la « création d’une assurance-vieillesse pour les aidants » de manière à ce que les trimestres « consacrés à aider une personne handicapée ou malade » puissent être considérés comme des trimestres validés. Ou encore la prise en compte des périodes de congé parental dans la limite de quatre trimestres « pour être éligible soit au minimum de pension, soit au dispositif de départ anticipé en carrière longue ».

« Cette mesure ne devrait concerner que 3 000 femmes par an, de l’aveu même du gouvernement ! », s’étrangle l’économiste Rachel Silvera, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre et spécialiste des inégalités sociales et de genre. Elle ajoute ce rappel : « Concernant les départs anticipés, n’oublions pas que les carrières longues seront, elles aussi, taxées de deux années supplémentaires, en passant de 60 à 62 ans. » Selon elle, ce qui est vendu comme « de nouveaux droits » par le gouvernement reste donc « dérisoire ». Ce que le gouvernement accorde d’un côté, il le reprend de l’autre.

Concernant la garantie de pension minimale, elle s’appliquera à toutes et tous, confirme Olivier Dussopt, soit « 1,8 million de retraités actuels et 200 000 nouveaux retraités par an » qui « toucheront une hausse de leur pension pouvant aller jusqu’à 100 euros par mois ».

Élisabeth Borne nous regarde dans les yeux et répète à trois reprises que c’est “juste” et “favorable” aux femmes ?

Là encore, le ministre insiste : « Nous savons que beaucoup de bénéficiaires sont des femmes car elles ont des carrières hachées », et des salaires moindres durant leur carrière. Selon lui, cela va se traduire « pour les assurés de la génération 1962 par un gain beaucoup plus important, deux fois et demi supérieur, pour les femmes que pour les hommes ».

S’il y aura donc bien des revalorisations pour les plus modestes, les fameux 1 200 euros promis par le gouvernement resteront un mirage pour bon nombre de personnes, comme Mediapart l’a déjà écrit. Pour y avoir droit, les salarié·es concerné·es devront justifier à la fois d’une carrière complète à temps plein dans le privé et d’un niveau de salaire n’ayant jamais dépassé le Smic. Le premier critère excluant en premier lieu... les femmes.

Pour l’exécutif, la manœuvre n’est décidément pas aisée. Comment transformer en progrès une réforme qui retire plus de droits qu’elle n’en accorde ? Invitée sur France Inter le 14 janvier, la première ministre a ressorti son argument le plus étonnant : celui du statut quo. « Notre projet porte des progrès concrets pour les femmes : l’âge d’annulation de la décote est maintenu à 67 ans pour un départ à taux plein. » En clair : on ne touche à rien et c’est une bonne nouvelle.

« Élisabeth Borne nous regarde dans les yeux et répète à trois reprises que c’est “juste” et “favorable” aux femmes ? », s’indigne Rachel Silvera. « C’est un scandale, c’est dingue ! En gros, elle nous dit : “J’aurais pu décaler à 69 ans l’âge d’annulation de la décote, mais rassurez-vous, je ne vais pas le faire.” »

Le retour des « Rosies »

Selon l’économiste, 19 % des femmes attendent aujourd’hui d’avoir 67 ans pour prendre leur retraite « à taux plein » et échapper à la décote, contre 10 % des hommes. Maintenir cet âge à 67 ans, tout en accélérant le nombre de trimestres nécessaires, les pénalisera davantage, en diminuant le montant de leur pension.

En effet, un·e assuré·e qui part à l’âge du « taux plein » sans avoir réuni le nombre de trimestres suffisant voit le montant de sa pension touchée. À 67 ans, il n’y plus de décote mais le montant reste calculé au prorata du nombre de trimestres acquis. « Les femmes, qui ont des carrières interrompues et avec beaucoup de temps partiels seront les grandes perdantes », assure Rachel Silvera, agacée par la communication du gouvernement instrumentalisant la cause des femmes.

« Ça suffit !, lance à ce propos l’économiste. Le gouvernement actuel n’a rien entendu ? Ne tire aucune leçon ? », interroge-t-elle, en référence à la réforme des retraites abandonnée en 2020, laquelle érigeait déjà les femmes comme les « grandes gagnantes » du projet. Un argument battu en brèche et combattu dans la rue par des collectifs féministes.

Les « Rosies », militantes féministes d’Attac en bleu de travail, s’étaient illustrées dans les manifestations. Et sont d’ailleurs de retour pour la version 2023 du mouvement social. Le message est limpide : les femmes veulent faire valoir leurs droits, pas être des faire-valoir de la réforme.

  publié le 22 janvier 2023

Retraites :
les jeunes s’en mêlent

Mathieu Dejean et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Au moins 14 000 personnes ont défilé samedi, à Paris, contre la réforme des retraites, à l’appel d’organisations de jeunesse et de La France insoumise. Une initiative pensée comme « complémentaire » des actions de l’intersyndicale. 

CeCe matin, Anna, Thaïs et Judith étaient en train de plancher sur un devoir surveillé pour leur prépa littéraire à Melun (Seine-et-Marne). À 14 heures, elles marchaient contre la réforme des retraites à Paris, aux côtés des organisations de jeunesse (L’Alternative, Voix lycéenne, les Jeunes insoumis, les Jeunes écolos, la Jeune Garde, entre autres) et de La France insoumise (LFI), qui revendiquaient dimanche soir 150 000 participant·es. Une source policière citée par Le Monde en a dénombré 12 000, tandis que le cabinet indépendant Occurrence (qui effectue un comptage indépendant pour un collectif de médias dont Mediapart) parle d’au moins 14 000 personnes.

Les trois amies n’avaient pas pu venir battre le pavé jeudi 19 janvier, à l’appel de l’intersyndicale. Alors cette fois-ci, à deux jours de la présentation en conseil des ministres du projet de loi, qui prévoit notamment le recul de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, elles ont tout fait pour ne pas rater le départ du cortège, place de la Bastille.

« C’est une réforme qui, comme toutes les réformes de Macron, n’est pensée que pour les riches, estime Judith. Ils ne prennent pas en compte les travailleurs les plus précaires, ceux qui travaillent déjà tard et qui n’ont pas la possibilité de travailler jusqu’à 64 ans parce que c’est trop pénible. » Elles pensent à leur avenir, à leurs parents, à la masse des travailleurs et travailleuses au dos cassé. « On sait aussi que pour eux, faire beaucoup de jours de grève, c’est un vrai sacrifice, alors on y va aussi pour les soutenir », ajoute Anna. 

« Et puis, c’est aussi une question de démocratie, reprend Judith. Une majorité de Français est contre cette réforme. Nous sommes nombreux à manifester. Si elle passe encore avec un 49-3, qu’est-ce que ça voudra dire de l’état de notre démocratie ? » Les trois jeunes femmes évoquent d’autres alternatives, comme augmenter les cotisations des entreprises ou, disent-elles en chœur, « taxer les riches ». « Qu’ils remettent l’ISF ! », ajoute Thaïs.

Derrière les trois copines, un baffle retransmet les discours prononcés sur le camion-tribune devant le carré de tête. Au micro, Colin Champion, président du premier syndicat lycéen, Voix lycéenne : « Nous qui sommes jeunes, on ne se rappelle pas distinctement la retraite à 60 ans. Mais nous qui sommes si jeunes, nous nous rendons bien compte qu’en l’espace de douze ans, l’âge de la retraite a reculé de quatre ans. » 

Une réforme qui concerne aussi les jeunes 

Alors « jusqu’où ? », s’interrogent des étudiants et jeunes travailleurs dans le cortège. Parmi eux, Quentin, thésard, et Johan, ancien professeur de physique-chimie, au chômage après avoir démissionné de l’Éducation nationale. Les deux compères avaient fait leurs études ensemble, ils se sont retrouvés par hasard à la manifestation. « Les gens, ils en bavent déjà, balaye Quentin. Ils travaillent trop, trop longtemps. » 

Les deux manifestants de 27 ans trouvent honteux l’argument de la Macronie selon lequel cette réforme serait faite pour que les jeunes puissent avoir une retraite, comme le développait de manière mélodramatique la « première dame » sur TF1, le 9 janvier. « C’est un argument hypocrite, ajoute Johan, comme tous les arguments qu’ils utilisent pour cette réforme : ils mentent. Par ailleurs, si on allonge le temps du travail pour les seniors, l’accès au monde du travail pour les jeunes sera plus compliqué encore. Et puis, si on est jeune aujourd’hui, on sera vieux demain, donc on se bat aussi pour nos retraites à nous. » 

Aurélien Le Coq, co-animateur des Jeunes insoumis, ne dit pas autre chose et se félicite de cette initiative qui a vocation à servir de « déclencheur » de la mobilisation des jeunes dans les lycées et les universités (les étudiant·es étaient encore récemment en partiels). « Les jeunes seront parmi les premières victimes de cette réforme, argue-t-il. Ils ne veulent pas voir leurs parents ou leurs grands-parents mourir au travail. » Comme le représentant insoumis, Quentin et Johan préféreraient une retraite à 60 ans. 

Nous disons que le temps de la vie n’est pas seulement celui que vous croyez utile parce qu’il produit. C’est aussi le temps libre !

Le sujet est au centre du bref discours prononcé par Jean-Luc Mélenchon quelques instants plus tard : « Ils n’ont pas compris pourquoi nous sommes là. Nous disons que le temps de la vie n’est pas seulement celui que vous croyez utile parce qu’il produit. C’est aussi le temps libre ! Celui qui nous donne la possibilité d’être pleinement humains. » Si, des quatre partis membres de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), seule La France insoumise (LFI) soutenait officiellement – et a largement pris en main matériellement – cette marche, plusieurs figures de l’alliance (et au-delà, à l’instar d’Olivier Besancenot du Nouveau Parti anticapitaliste) y ont pris la parole tout au long de la manifestation. Un rite institué depuis la marche contre la vie chère, le 16 octobre dernier. 

La députée écologiste Sandrine Rousseau était du nombre. « Je soutiens toutes les mobilisations, il faut que tout converge, même s’il est évident que les syndicats sont en lead et donnent la cadence dans cette bataille », explique-t-elle. Pour l’économiste, l’enjeu est d’autant plus important pour les 18-25 ans que non seulement ils seraient impactés en termes d’emplois par l’allongement de l’âge légal de départ, mais en cas de passage en force, ils pourraient subir dans la foulée une hausse des frais d’université. « Macron a lancé un ballon d’essai en évoquant ce sujet pendant la campagne présidentielle, et quand il fait ça, on sait ce qu’il en est... », suggère-t-elle. 

Et elle n’est pas la seule à faire le constat de l’accumulation des réformes pénalisant les jeunes. Dans le cortège, elles et ils parlent de l’angoisse de Parcoursup, du manque de places à l’université, de la précarité.

Sofia, Basile et Lucie sont étudiant·es et membres de la Fédération des jeunes révolutionnaires. Ils distribuent un tract : « Passer de 62 à 64 ans, c’est nous voler deux ans de vie ! Quand cessera-t-on de nous exploiter ? » Et de faire le lien avec le service national universel (SNU), ersatz de service militaire pour les jeunes de 15 à 17 ans mis en place par Emmanuel Macron. « Alors que le gouvernement ne nous donne que les emplois précaires, le chômage et l’armée pour perspective, il entend encore mettre des milliards pour généraliser le SNU quand il brise nos retraites. »

À quelques mètres de là, d’autres jeunes tractent. Ils portent un gilet orange « Dernière rénovation ». Eux font le lien entre la réforme des retraites et la lutte écologiste : « Ces luttes sont liées parce que, dans les deux cas, il s’agit d’avoir un futur, non seulement désirable, mais aussi un futur tout court. On veut rester en vie mais aussi vivre dignement » (lire notre article sur les jeunes militants écolos mobilisés contre la réforme). 

Une Nupes à géométrie variable

Des écologistes étaient d’ailleurs présent·es dans la foule, comme les députées Sandra Regol, Sophie Taillé-Polian et Marie-Charlotte Garin. Les socialistes, eux, sont aux abonnés absents – trop occupés à régler leurs querelles internes à la suite de la victoire contestée d’Olivier Faure au congrès du Parti socialiste (PS) –, tout comme les communistes, opposés à cette marche qui « contrarie », selon eux, le calendrier syndical. C'est pour la même raison que l'Unef et les Jeunes communistes n'y participaient pas.

C’est donc une Nupes à géométrie variable qui a rejoint les cortèges samedi, en dépit du fait que le vent social devrait souffler dans ses voiles, après la journée historique du 19 janvier, qui a réuni plus d’un million de personnes. 

La gauche unie a l’avantage, dans cette séquence, d’avoir pris un engagement commun que rappelle la députée insoumise Raquel Garrido : « Nous avons stabilisé le programme commun de la Nupes sur la retraite à 60 ans, c’est un point d’appui majeur, car auparavant il y avait une dissonance à gauche sur cette question, notamment du côté social-démocrate. C’est un socle programmatique qui fait résonance avec l’unité syndicale. »

Sur le camion-tribune, comme dans le carré de tête, un jeune député insoumis s’impose comme une figure centrale de la journée. Louis Boyard, député du Val-de-Marne, 22 ans, était engagé à l’Union nationale lycéenne (UNL) avant son élection. Depuis des mois, il fait la tournée des facultés pour sensibiliser la jeunesse et nouer des liens avec ses organisations. La marche du 21 janvier en est le fruit. « Macron et ses amis ne s’attendaient pas à ce que vous soyez là ! Il vous méprise parce qu’il a peur de vous ! », clame-t-il du haut de l’estrade, ajoutant : « Ce qui a manqué aux “gilets jaunes”, c’est la jeunesse. Et aujourd’hui, voilà qu’elle est là ! » 

Juste avant les banderoles et les pancartes des Jeunes insoumis, celles du Pink bloc, regroupant les manifestant·es LGBTQI+. Elles, ils et iels ont des affiches qui ramènent un peu de paillettes dans cette journée froide de janvier. On y voit Dalida, sur fond coloré, chanter qu’« il venait d’avoir 60 ans, c’était le plus bel argument de sa retraiiiiteuh ». Et tout le monde de scander : « Trans, gouines, tapettes en grève pour les retraites » ; ou encore : « La retraite à 20 ans, pour baiser il faut du temps ».

Dans le Pink bloc, Gaëlle, salariée, et Colline, en recherche d’emploi, marchent en se dandinant au rythme des remix de Dalida. Si le cortège est joyeux, le sujet n’en est pas moins sérieux : « Les LGBT sont des travailleurs plus précaires que les autres et je pense notamment aux personnes trans qui subissent une vraie discrimination dans le monde du travail, explique Gaëlle. Cette précarité, c’est toute la vie qu’on la subit, et ça a un impact sur le niveau de nos retraites. La réforme ne va rien arranger. »

Derrière, défilent quelques militants syndicaux mais surtout de nombreux groupes d’Insoumis et Insoumises, chaque département avec sa banderole. Alors que la manière dont LFI a pris les devants de cette marche n’avait pas fait consensus au sein du mouvement, tiraillé ces derniers mois par des divergences internes, Manuel Bompard, le nouveau coordinateur (à la désignation contestée), espère que la page de ces turbulences est tournée. « Tout le monde a conscience que l’objectif est d’être les plus en avant et les plus unis dans la bataille, dit-il. La clé de la victoire, c’est l’unité syndicale et politique. »

Sur ce point, et sur le respect dû aux organisations syndicales, tout le monde semble d’accord. Prochaine étape : la journée d’action du 31 janvier convoquée par l’intersyndicale, à laquelle plusieurs des jeunes interrogé·es aujourd’hui comptent participer. « Le 31, la rivière doit sortir de son lit », clame le député François Ruffin.


 


 

Après la manifestation de la Nupes, quelle suite
pour la mobilisation des jeunes ?

Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/

Deux jours après la mobilisation réussie des organisations syndicales, les jeunes de la Nupes appelaient à une seconde manifestation. Si elle est farouchement opposée au recul de l’âge de départ à la retraite, la jeunesse ne semble pas encore avoir trouvé de modalité d’organisation pour la suite.

 Après la manifestation historique du 19 janvier, les organisations de jeunesse de la Nupes appelaient à une seconde manifestation ce samedi 21 janvier. Dans l’étroite rue du faubourg Saint-Antoine, le cortège, qui ralliait Nation depuis Bastille, pouvait paraître fourni, mais faisait pâle figure face aux 400 000 manifestants annoncés par les syndicats deux jours plus tôt. Selon les organisations de jeunesse, 150 000 personnes ont répondu à l’appel. La police en a décompté 10 000 contre 80 000 à la manifestation de l’avant-veille.

Dans le cortège, on croise de nombreux manifestants ayant probablement quitté les bancs de l’école depuis longtemps. Mais la jeunesse constitue malgré tout une part importante des troupes. Si quelques syndicalistes interviennent pour expliquer leur combat au reste de la foule, les drapeaux des syndicats ont été remplacés par ceux des partis. Face à des jeunes et des moins jeunes, les logos de la France Insoumise, de la Nupes, du NPA ou encore du POI, sont nombreux à orner le ciel.

Pas de mobilisation au sein des universités

Pour certains, cette nouvelle date fait office de rattrapage. « J’habite près de Cergy donc je n’ai pas pu venir jeudi, avec la grève des transports », explique Milena, 21 ans. À côté d’elle, Maëlle, qui étudie, elle aussi, le droit à l’université de Nanterre, le confesse également : « je n’étais pas disponible pour venir jeudi ». Mais pour Milena, « c’est important d’être là pour montrer qu’on n’est pas content » face à une réforme que les deux étudiantes disent impopulaire auprès de leurs camarades de fac. Une colère qui ne se transformera pas pour autant en mouvement d’occupation de leur fac, prédisent-elles. « Macron fait ce qu’il veut », se désespère Milena.

Plus loin dans le cortège, Audrey, Yasmine et Cyril font le même constat. La première, étudiante de 23 ans à Agro Paris Tech, indique que certains de ses camarades circulent régulièrement au sein du campus pour parler de la réforme des retraites. Un petit groupe d’étudiants s’est même organisé pour venir ensemble à la manifestation. Mais le pas semble encore trop grand à franchir pour basculer vers une occupation du campus. « C’est déjà arrivé il y a deux ans, quand on a voulu vendre notre campus au privé. Mais pour l’instant, la question ne se pose pas », souligne-t-elle.

 Des jeunes pourtant opposés à la réforme

Faute d’organiser une mobilisation massive au sein de leur lieu d’étude, un certain nombre de jeunes n’exclut pas de participer à d’autres manifestations à l’avenir. « Je ne sais pas si on va faire plier le gouvernement, mais la bataille dans les esprits est déjà gagnée », se réjouit Arthur, 23 ans, qui était déjà présent lors de la mobilisation de 2019. Il se dit déterminé à « maintenir la pression sur le gouvernement » même si ses camarades de l’ENS, pourtant d’accord avec lui, n’ont pas non plus prévu de lancer un mouvement étudiant d’ampleur.

C’est donc peut-être en dehors des structures étudiantes que les jeunes se mobiliseront. Lors de cette manifestation, les organisations de jeunes antiracistes donnaient de la voix pour soutenir les sans-papiers et victimes du racisme d’État, que la réforme des retraites affectera tout particulièrement.

publié le 21 janvier 2023

Non, les jeunes ne se foutent pas de leurs retraites

Par Elisa Verbeke et Baptiste Villermet sur https://www.streetpress.com

Dix jeunes expliquent à StreetPress pourquoi ils ont marché dans Paris, ce 19 janvier. Certains pour leurs retraites et leur santé, d’autres pour celles de leurs proches.

« ​Les jeunes s’en foutent, de leur retraite, ce n’est pas un sujet », a assuré un ministre au JDD. Ils étaient pourtant présents dans les rues de Paris et partout en France ce jeudi 19 janvier 2023, pour protester contre la réforme des retraites. 10 étudiants, lycéens et jeunes salariés ont expliqué pourquoi ils ont décidé de descendre dans la rue.

Romane, 22 ans, étudiante en dernière année d’éduc’ spé’

Dans le cortège des travailleurs de l’hôpital, Romane est bien plus jeune que ses camarades de lutte. Cette étudiante de 22 ans, en dernière année d’éduc’ spé’ est particulièrement remontée : « Je suis ici avec mes parents. Ils travaillent avec des publics difficiles, à l’hôpital psychiatrique. Et moi aussi je vais travailler avec des publics difficiles. » En colère, elle reproche : « Ce sont des métiers pénibles, qui ne sont pas considérés comme tels. On est des travailleurs oubliés. Et pourtant, on va devoir travailler encore plus longtemps. »

Axel, 18 ans, étudiant en sociologie

C’est la première manifestation d’Axel. À seulement 18 ans, cet étudiant en première année de socio accompagne sa mère, syndiquée à Force Ouvrière Essonne. « Il y a une vraie différence à partir à 62 ou 64 ans. Quand tu exerces des métiers manuels ou des métiers avec moins de prestige, où tu gagnes moins, le corps est plus abîmé. Ils taffent et paient la retraite des riches, car eux vivent plus longtemps et plus confortablement. »

Colline, 22 ans, ingénieure agronome dans une fondation de recherche, et Chloé, 24 ans, mannequin

« Ma mère doit partir à la retraite plus tard que mon père, parce qu’elle était à 80% pour nous éduquer. Elle a une maladie professionnelle, à 52 ans. Dans quel état elle sera si elle doit travailler jusqu’à 65 ans ? », s’insurge Colline, 22 ans, avant d’ajouter : « Si on allonge cette durée-là, les gens vont vivre plus de pénibilité à la fin de leur carrière. » Cette ingénieure agronome est reconnue comme travailleuse handicapée : « J’ai peur qu’avec d’autres réformes, on me retire cette reconnaissance. » Chloé, 24 ans et mannequin, tient une brosse à toilettes à l’effigie de Macron. Elle ajoute : « C’est un ras-le-bol général. J’en ai ras le cul de ce gouvernement, ce foutage de gueule me rend malade. »

Chahine, 24 ans, étudiant en santé publique et épidémiologie

Chahine distribue des journaux marxistes nommés « Révolution » sur la place de la République. « Un mouvement politique qui compte beaucoup de partisans en Angleterre ! », certifie-t-il. L’étudiant en Master 2 de santé publique et en épidémiologie a 24 ans. Pour lui, cette réforme est « brutale » : « Si je finis mes études à 25 ans, ça m’emmènera à travailler jusqu’à 68 ans. C’est inimaginable ! La moyenne de l’espérance de vie en bonne santé tourne autour des 60 ans. Ce qu’on nous promet, c’est de travailler après cet âge. Il faut dire non tout de suite ! »

Noémie, 16 ans, lycéenne

Noémie, 16 ans, est la vice-présidente du syndicat FIDL Val-de-Marne. Pour la lycéenne, « cette réforme est anti-sociale ». « Les vieux vont travailler plus longtemps alors qu’un quart des plus pauvres sont morts avant leur départ à la retraite. » L’air déterminé, pancarte à la main, l’élève en première générale poursuit : « Les pauvres vont devoir cotiser pour que les plus riches touchent leurs retraites. » L’augmentation de l’âge de départ à la retraite l’inquiète. « Nos aînés seront plus longtemps sur le marché de l’emploi. *Ce sont des emplois qu’on n’aura pas, alors qu’on sait que le taux de chômage chez les 18 – 25 ans est de 18%. » Soit 11 points de plus que la moyenne nationale.

Naoufel, Axel et Maxime, 22, 23 et 21 ans, développeur et jeunes diplômés

La bande se prend en photo et pose avec leurs pancartes. Sur l’une d’entre elles, un « Pas content ». « Référence à Asterix », plaisante Naoufel, 22 ans et développeur depuis trois ans. « Je suis là pour défendre notre droit à la retraite, c’est une réforme injuste. » Axel, son comparse jeune diplômé, sans emploi, le rejoint : « Avec l’ISF, on pourrait faire des économies un peu partout. Mais c’est à nous qu’on demande de travailler plus longtemps plutôt que de taxer les hypers riches et les grosses entreprises. » Maxime, le dernier du trio, tient une pancarte avec un dessin détourné de Diable positif, un youtubeur qui décrypte l’actualité. Il n’a pas l’habitude de descendre dans la rue. Mais il raconte, touché, être là pour sa mère : « Elle a 62 ans et souffre déjà de problèmes de santé. On ne peut pas la laisser travailler deux ans de plus… »

Ugo, 20 ans, étudiant en droit, sciences politique, vice-président et trésorier de l’Unef Paris 1

Ugo a 20 ans et propose des pistes de solutions : « Le gouvernement veut faire payer des millions de personnes pour régler un problème de déficit temporaire. Il pourrait être réglé en taxant les milliardaires à hauteur de 2%, en augmentant les cotisations des entreprises. » Le trésorier et vice-président de l’Unef Paris 1 ajoute : « C’est un coût qu’on fait payer à une population qui travaille de plus en plus, qui ne voit pas ses salaires indexés à l’inflation et qui souffre d’un grand taux de chômage, surtout les jeunes. »

L’étudiant en droit et sciences politique en Licence 1, ne se sent pas concerné par la pénibilité du travail. Mais il conscientise : « Être prof par exemple, n’est pas considéré comme un métier pénible. Il n’y a pas d’aménagement, mais quand on doit se lever, s’accroupir, parler à des enfants qui ont trois ans et qui passent leur journée en mouvement, c’est absolument physique. » Pour lui, « le critère de la pénibilité est très lacunaire sur plein de points et n’est pas suffisant. »

Ce 19 janvier, 1,12 million de personnes ont manifesté dans toute la France contre la réforme des retraites, dont 80.000 à Paris, selon le ministère de l’Intérieur. La CGT avance, elle, « plus de 2 millions » de manifestants en France, dont 400.000 à Paris. Quant à Emmanuel Macron, il a annoncé, depuis Barcelone, que l’exécutif poursuivra sa réforme des retraites « avec détermination ».

   publié le 20 janvier 2023

À Paris, la plus grosse manifestation de l’ère Macron

Victor Fernandez https://rapportsdeforce.fr

400 000 personnes ont manifesté à Paris contre la réforme des retraites, selon les syndicats. Pour la police ils étaient 80 000. Malgré les écarts de chiffres, organisations syndicales et ministère de l’intérieur s’accordent sur un fait : ce 19 janvier a vu naître la plus grosse manifestation de l’ère Macron. La première étape d’un mouvement qui va s’ancrer dans la durée ? L’intersyndicale a déjà annoncé une prochaine journée de grève interprofessionnelle le 31 janvier.

 

A Paris, c’est un cortège massif qui s’est lentement élancé de la place de la République jusqu’à la place de la Nation. La CGT a annoncé 400 000 personnes, la police 80 000. Le 5 décembre 2019, lors de la première manifestation contre la retraite à points, les chiffres étaient en deçà du résultat du jour. Respectivement 250 000 pour les organisations syndicales et 65 000 pour la police. A l’échelle nationale, Philippe Martinez a déclaré 2 millions de manifestants, les forces de l’ordre 1,12 million. Tout le monde est donc d’accord : la manifestation du jour est bien la plus grosse jamais vue sous l’ère Macron.

« Je ne m’attendais pas à une mobilisation de cette taille »

Dans le cortège parisien, si  de nombreux manifestants s’attendaient à une forte mobilisation, ils se disent également agréablement surpris du nombre de personnes présentes. Le flux est si important qu’il alimente deux cortèges, l’un boulevard Voltaire, l’autre boulevard du Temple. « C’est fort, très fort, se réjouit Jacques Borensztejn, secrétaire adjoint de l’union départemental FO 75. Je ne m’attendais pas à une mobilisation de cette taille. Au-delà de la manifestation, les échos qui nous reviennent des premières assemblées générales (AG) sont encourageants. La grève continue et, dans certaines AG, ils ont appelé à la grève jusqu’au retrait. » 

Au jeu de la comparaison avec la mobilisation de décembre 2019, cette nouvelle date présente quelques avantages, assure l’élu syndical : le nombre mais aussi la rapidité de la mobilisation. « Le 5 décembre 2019, la mobilisation avait été préparée dès septembre. Là, en 9 jours seulement on a eu un mouvement assez fort. »

 Un levier pour le futur

Quelques centaines de mètres avant la place de la Bastille, un nombre assez important de manifestants ont affronté la police pendant plusieurs heures. En amont du parcours, l’ambiance s’avérait beaucoup plus conviviale : on y croisait des manifestants de tout âge, ce qui pouvait contraster avec les manifestations des dernières années. Une base sur laquelle construire de futures mobilisations, au-delà même du mouvement contre la réforme des retraites ? Pour Wag, étudiant à l’Université Paris 13, cette lutte peut être « un levier ». « Il y a eu beaucoup de lois dégueulasses : celles sur les expulsions des locataires, sur l’assurance chômage, sur la dissolution des associations. Par exemple, la lutte pour les travailleurs sans papiers mobilise moins de monde et ça ne veut pas dire que c’est moins important. » Dans son université, il assure que la mobilisation reste cependant à construire.

« Il y a des gens qui sont en retard. Ils ne sont pas vraiment politisés. » Laurent, comédien, fait le même constat dans son secteur. « Dans l’ensemble, c’est une profession peu syndiquée », souligne celui qui appartient au syndicat français des artistes interprètes et assure avoir une « longue histoire de syndicalisation ». « Les mobilisations sont bonnes pour faire avancer la lutte mais aussi en tant qu’outil d’éducation populaire », continue-t-il.

Les 60 ans, tout de suite ?

Dans le cortège parisien, de nombreuses pancartes revendiquent un retour à 60 ans de l’âge de la retraite. Mais les manifestants rencontrés au long du parcours, d’accord sur le fond de la revendication, se montrent sceptiques sur la possibilité de dépasser la stricte lutte défensive. « Oui, nous avons des propositions d’amélioration. Mais le premier objectif, c’est de faire tomber la réforme », assure Jacques Borensztejn. « Techniquement, on pourrait baisser l’âge à 55 ans et travailler 20 ou 25 heures par semaine, souligne Laurent. Mais politiquement, ce n’est pas évident de le demander là tout de suite. » Pour Wag, cette mobilisation est une « revanche ». « Pourquoi on a les 62 ans ? Car on a perdu en 2010. » Alors que le gouvernement mise sa crédibilité politique sur cette réforme, les prochaines semaines s’annoncent cruciales pour inverser le rapport de force. Prochain rendez-vous le 31 janvier.


 


 

 

 

Retraites : les syndicats appellent à une nouvelle mobilisation le 31 janvier 

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Réunie au siège de Solidaires ce jeudi soir pour donner une suite aux manifestations du jour qui ont rassemblées plus de 2 millions de personnes, l’intersyndicale appelle à manifester de nouveau quelque jours avant le début de l’examen du projet de loi en séance à l’Assemblée nationale, le 6 février. D’ici-là, la CGT devrait mobiliser dans des secteurs clefs.

L’intersyndicale espérait un million de manifestants et de grévistes pour cette première journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Ce jeudi 19 janvier, ils étaient plus de 2 millions à défiler partout en France, selon la CGT, dont 400000 à Paris, 140000 à Marseille et 40000 à Lyon.  «Les chiffres nous ont surpris, mais cela démontre que le mouvement est populaire», assure Catherine Perret, secrétaire confédérale CGT.

Les villes moyennes ont elles-aussi connu une affluence record: 12 000 à Saint-Nazaire, 6 000 à Troyes ou encore 3000 à Montargis. «Des niveaux de mobilisation qui correspondent au plus fort de la contestation de 2010», mesure Catherine Perret, alors que les représentants des huit organisations de travailleurs arrivaient au siège de Solidaires pour évaluer le mouvement social et lui donner une suite. Fort du succès du jour, l’intersyndicale a annoncé une nouvelle date de manifestations et de grèves interprofessionnelles: le lundi 31 janvier.

Douze jours pour convaincre

Douze jours pour convaincre plus largement les salariés à se mobiliser: le délai peut interroger alors que des rendez-vous plus rapprochés avaient été évoqués durant la journée.  «Il nous reste du travail pour expliquer la réforme, assure Benoît Teste (FSU). Ce matin dans les salles de professeurs, nous n’étions pas tous convaincu que l’on pouvait gagner. Ce soir nous le sommes.» A ses côtés, Simon Duteil (Solidaires) abonde:  «Il est important de multiplier les Assemblées générales dans les entreprises». D’ici là, les confédérations entendent maintenir la pression sur le gouvernement. «L’important est d’avoir un feu roulant d’action la semaine prochaine», insiste Catherine Perret (CGT). 

Les syndicats ont notamment coché la date du lundi 23 janvier, jour de la présentation du projet de loi au Conseil des ministres. «Nous laissons le soin aux équipes de choisir les formes d’actions adéquates sur le terrain. Mais il est hors de question de céder une journée entière au gouvernement», affirme Catherine Perret. Des fédérations de la CGT ont d’ores et déjà déposé des préavis dans des secteurs clefs de l’économie. Dans la chimie, une grève de 48 heures aura lieu à compter du 26 janvier, puis 72 heures la semaine suivante. Dans l’énergie, la CGT mines énergies entend, en plus des 26 et 27 janvier, mobiliser le 6 février avec un appel à la grève de 72 heures, suivi d’un possible mouvement reconductible. «Il n’est pas improbable que nous nous calquions sur ce calendrier», confiait un cadre de la CGT RATP, mardi. Ce vendredi après-midi, une réunion interfédérale devrait décider du calendrier dans les transports.

De son côté, la CFDT entend d’abord «réussir la journée du 31 janvier». Selon Marylise Léon, la confédération «ne donnera pas d’autre date d’ici là nos militants». La secrétaire générale adjointe cédétiste souligne «la forte réussite» de cette première journée, dont l’intersyndicale a été un «facteur essentiel.» Un avis partagé par l’ensemble des centrales, déterminées à obtenir le retrait du projet Borne. «Neuf travailleurs sur dix rejettent la réforme. Le message est très clair. Le gouvernement doit renoncer au 64 ans et à la hausse de la durée de cotisation», insiste Murielle Guilbert la co-déléguée de Solidaires.

publié le 19 janvier 2023

Ouvriers, jeunes, cadres, quinquas…
la retraite à 64 ans,
c’est non !

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

L’immense majorité des Français rejette la réforme du gouvernement, qui prévoit un recul de deux années supplémentaires de l’âge légal et un allongement de la durée de cotisation. Alors que la bataille des retraites a débuté, l'Humanité donne la parole aux salariés. Témoignages

Souvent présenté comme le roi de la division, il faut reconnaître à Emmanuel Macron un talent certain dans l’art de fédérer des pans entiers de la société… contre lui. Les sondages qui se suivent campent un pays farouchement opposé à la réforme des retraites et cette opposition transcende les appartenances de classe ou d’âge. Selon une étude Odoxa réalisée début janvier, 80 % des sondés s’opposent à un recul de l’âge légal à 64 ans.

En septembre 2022, une enquête de l’Ifop montrait que l’opposition aux 64 ans était majoritaire dans toutes les couches de la population, jeunes comme quinquagénaires, catégories populaires comme cadres, à trois exceptions près: les chefs d’entreprise (qui soutiennent la mesure à 54 %), les retraités (50 % de taux d’adhésion) et les plus riches (56 % d’adhésion). Ou pour résumer en caricaturant à peine, le cœur de l’électorat macroniste… En attendant, les annonces de l’exécutif, faites à la presse le 10 janvier, n’ont pas changé la donne: les salariés continuent, dans leur immense majorité, à s’opposer au « travailler plus » de l’Élysée.

MÉTIERS PÉNIBLES
« 60 ans c’est déjà trop tard. Alors, imaginez, deux ans supplémentaires ! »

David et Pedro travaillent tous les deux chez Total­Energies, dans la raffinerie de Feyzin (Rhône), un site qui fut le fer de lance de la grande grève des raffineurs à l’automne dernier. À l’époque, ils ont tous les deux eu du mal à encaisser les commentaires acerbes qui les dépeignaient en «privilégiés», trop bien payés pour se plaindre.

Calme et méthodique, Pedro Afonso (délégué CGT) dresse la liste impressionnante de tous les facteurs de pénibilité auxquels sont exposés les opérateurs de raffinerie: « Il y a d’abord les gaz que vous respirez (même si vous êtes protégé), comme l’hydrogène sulfuré, qui est létal au-delà d’un certain niveau de concentration. Il y a ensuite le travail posté, impliquant les horaires décalés. Parlons aussi de certaines plateformes situées à 60 mètres de hauteur, auxquelles vous accédez par des échelles. Accumulez tout ça, et vous comprendrez pourquoi la perspective de bosser deux ans de plus nous paraît impensable. »

Même constat pour David, 46 ans, qui travaille aux expéditions de carburant de la raffinerie. « Depuis vingt-trois ans que je suis ici, ça commence à chiffrer, sourit-il avec un brin de fatalisme. En principe, on dispose de masques individuels avec bouteilles d’air, pour éviter de respirer tous les gaz toxiques qui flottent dans l’air. Mais tu en inhales toujours un peu. On voit régulièrement des collègues mourir de cancer, deux ou trois ans après avoir pris leur retraite. »

« On travaille tout le temps en horaires décalés, poursuit-il. Les jours où tu bosses de nuit, tu dois te lever à 3 heures du matin. Quand tu subis ce régime-là cinq jours d’affilée, tu es tellement défoncé le vendredi qu’il te faut deux jours pour récupérer… » Aujourd’hui, explique-t-il, il peut espérer partir à 60 ans à la retraite, grâce à un dispositif pénibilité «maison», à condition d’avoir travaillé vingt-cinq ans en 3 x 8. « Mais 60 ans, pour nous, c’est déjà trop tard, prévient-il. Alors imaginez ce que ça voudrait dire de bosser deux ans supplémentaires, avec cette réforme… Cela nous semble simplement irréaliste. »

TRENTENAIRES
« J’adore mon métier, mais je ne tiendrai pas jusqu’à 64 ans. »

À 29 ans, Abdel se considère volontiers comme un salarié épanoui. Il est manager dans une société de conseil parisienne qui fournit des outils de stratégie organisationnelle à de grosses entreprises. Dans le fond, sa société occupe un peu le même créneau que le tant décrié cabinet McKinsey, à cela près que « nous, on ne vend pas des présentations à 1 million d’euros les trois slides ! », se marre-­ t-il. Il a calculé que, même sans la réforme, il devra travailler jusqu’à 67 ans au moins pour bénéficier d’une retraite à taux plein, au vu de son entrée tardive sur le marché du travail. Impensable, selon lui. « Je ne pourrai jamais tenir ce rythme jusqu’à cet âge-là, explique-t-il. C’est un métier très exigeant, qui comporte des astreintes, de grosses charges de travail. Il m’arrive souvent de faire des semaines à 70 heures, quand on déploie un nouvel outil informatique par exemple. Ce secteur est très touché par le burn-out: depuis que j’ai commencé, j’ai dû voir sept ou huit salariés craquer autour de moi. »

En septembre 2022, un sondage Ifop révélait que 73 % des 25-34 ans rejetaient un recul de l’âge légal à 64 ans. « Même si nous ne sommes pas directement concernés, nos parents le sont bien souvent, souligne Agathe Le Berder, 31 ans, qui anime le collectif des jeunes diplômés au sein de l’Ugict-CGT. Et on les voit tirer sur la corde: ma mère, assistante sociale, est actuellement en arrêt maladie. À mon âge, beaucoup doivent prendre conscience que leurs parents vont devoir subir, durant deux années supplémentaires, des conditions de travail qui les épuisent. Comment se projeter soi-même dans ces conditions? Pourquoi résisterais-je mieux que mes parents ? »

Par ailleurs, les jeunes ont toutes les raisons d’avoir une piètre image du marché du travail, auquel ils n’accèdent que par un long sas de précarité. « Le temps d’obtention d’un premier emploi en CDI, c’est deux ans et huit mois pour une jeune diplômée, rappelle Agathe. Lorsque nous finissons nos études, nous enchaînons bien souvent les CDD, qui n’ont pas forcément grand-chose à voir avec notre niveau de qualification. Sans compter les périodes de chômage, qui ne sont pas prises en compte pour le calcul des pensions… » Autant de facteurs qui rendent de plus en plus hasardeuse la perspective de pouvoir partir un jour à la retraite à taux plein.

CADRES
« Cette réforme va dégrader les conditions de travail de millions de salariés. »

Dociles, les cadres? L’adjectif fait bondir Alexis, 48 ans, ancien DRH pour une entreprise de taille intermédiaire, aujourd’hui en pleine reconversion. «Il y a une colère chez les cadres que mesure mal Emmanuel Macron, explique-t-il. Même si beaucoup d’entre eux ont voté pour lui, il y a des choses qui passent de moins en moins.» Les sondages en attestent. D’après l’Ifop (septembre 2022), 71 % de cette catégorie de population s’opposaient à l’allongement de la durée de cotisation: c’est bien l’accélération de la réforme Touraine (voir encadré) qui va les frapper de plein fouet, beaucoup plus que le recul de l’âge légal, au vu de leur entrée tardive sur le marché du travail.

Né en 1974, Alexis est directement concerné. Il a écouté attentivement les représentants du gouvernement dérouler leurs éléments de langage pour justifier la réforme, mais n’arrive pas à y adhérer : « On nous parle de réaliser des économies sur le dos de l’ensemble des salariés. L’État jette pourtant de l’argent par les fenêtres tous les ans, sans que Macron ne s’en émeuve! Au cours de ma carrière professionnelle, j’ai travaillé pour quatre sociétés différentes, j’ai vu les directions bidonner leurs chiffres en matière de dépenses de recherche pour toucher le crédit d’impôt recherche (CIR) plein pot. J’ai regardé les chiffres: cette niche fiscale nous coûte 7 milliards d’euros par an ! »

Comme de plus en plus de cadres, Alexis a décidé de jeter l’éponge, après plus de quinze années passées dans les ressources humaines. Alors même qu’il adorait le métier, au moins au début. « Je n’ai pas choisi cette carrière en étant contraint et forcé, raconte-t-il. C’était un choix qui correspondait à mes valeurs, à mon goût du contact humain. Mais les stratégies d’entreprise ont fini par m’écœurer: quand vous devez mettre en œuvre des plans de licenciement alors que la boîte pourrait très bien faire autrement, ce n’est pas tenable. »

Alexis admet volontiers que la pénibilité d’un métier de cadre n’a rien à voir avec celle d’un ouvrier à la chaîne, mais il évoque une «souffrance psychique» réelle, incompatible avec l’allongement des carrières imposé par l’exécutif. « Cette réforme n’a aucun sens, résume-t-il. Elle va dégrader les conditions de travail de millions de salariés, pour dégager quelques milliards d’euros d’économies qu’on pourrait très bien réaliser autrement. »

QUINQUAGÉNAIRES
À notre âge, les directions nous poussent vers la sortie. »

Après vingt-cinq ans de boîte, Marie considère que son métier est « devenu absurde » et, pourtant, sa direction déploie des trésors d’énergie pour lui prouver le contraire. « À Capgemini, nous avons droit à la totale, ironise-t-elle. Nous avons les “hapiness managers” (managers du bonheur), qui nous envoient des mails infantilisants ; nous avons les soirées bowling, pour resserrer les liens entre les équipes ; les photos rigolotes… Cela marche très bien chez les personnes les plus corporate, celles qui y croient encore. » Ce n’est pas le cas de Marie, technicienne informatique, qui estime que les petites attentions de la direction ne pèsent pas bien lourd face aux suppressions de postes, au collectif de travail parti en fumée, à l’enfer du lean management (chasse aux actions considérées comme sans valeur ajoutée).

À 59 ans, elle sait qu’elle va devoir patienter un peu pour pouvoir partir à la retraite : elle a commencé à travailler tôt, mais a connu une carrière en pointillé, avec une baisse d’activité de plus de dix ans pour pouvoir élever ses enfants. Le discours gouvernemental autour de la nécessité d’augmenter le taux d’emploi des seniors la laisse de marbre: « En pratique, les entreprises ne veulent plus de nous, passé un certain âge. Les directions considèrent que nous ne sommes plus assez efficaces, plus assez malléables. Cela se traduit par une mise au placard et, un jour, on nous pousse gentiment vers la sortie: “Tu sais, si tu veux partir, il va y avoir des ruptures conventionnelles. ” Les grands groupes comme le mien font des ruptures conventionnelles à tour de bras. »

Elle ne fait pas partie de ceux que l’inactivité professionnelle angoisse. Au contraire, elle voit la retraite comme un vaste territoire à explorer, où tout est possible: « Je n’aspire pas à être toujours en poste à 64 ans. J’ai hâte de profiter de la retraite pour faire tout ce que je n’ai pas le temps de faire aujourd’hui: découvrir les arts, dessiner, faire de la sculpture, etc. Et m’occuper de mes petits-enfants, profiter de ceux que j’aime. »

  publié le 18 janvier 2023

Retraites : « Tout le monde a le sentiment
de se faire avoir » 

Eva Leray sur www.humanite.fr

À Saint-Denis, ce mardi, devant le siège de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, la CGT incite les fonctionnaires et contractuels à se mobiliser, jeudi, pour défendre leurs droits, mais surtout ceux des femmes, nombreuses dans ce secteur.

Devant le siège de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, une fonctionnaire refuse poliment un tract distribué par la CGT. « Je suis gréviste, moi ! » lance-t-elle amusée. La réfractaire n’a pas besoin d’être convaincue. Elle sera dans la rue, jeudi, pour manifester contre la ­réforme des retraites. Pour les autres employés de l’ARS, ce n’est pas aussi évident. C’est pour cette raison que Gwendal Bars, délégué syndical CGT, et trois autres de ses collègues bravent le froid matinal de ce lundi d’hiver pour tracter auprès des fonctionnaires, contractuels et cadres de santé.

« Ce sont surtout les femmes qui en pâtiront »

À Saint-Denis, devant les locaux quasiment neufs du siège régional, ils interpellent chaque arrivant. Dans leurs mains, 500 tracts. Et à chaque rame de RER qui arrive, une vague d’employés débarquent sur le parvis et acceptent presque à tous les coups le document tendu. Certains fonctionnaires s’arrêtent même pour discuter avec eux, le temps de finir leur ­cigarette. L’un des syndicalistes s’étonne : « Traditionnellement, ça ne se passe pas comme ça. » Mais cette fois, les choses sont différentes. Si la réforme passe, « tout le monde y perd », fonctionnaires et cadres inclus, lance Gwendal Bars.

À ses côtés, Maya Mediouni, « fonctionnaire d’État », selon ses mots, tracte avec énergie. Si « tout le monde a le sentiment de se faire avoir, assure son collègue, ce sont surtout les femmes qui pâtiront de cette réforme, ainsi que les nombreux contractuels embauchés ». « Avec 80 % d’employées (à l’ARS – NDLR), l’arnaque, on va bien la sentir, lâche Maya Mediouni. La réforme pénalise les femmes, déjà touchées par de faibles ­rémunérations et des carrières hachées. » La salariée du public a déjà renoncé à partir à taux plein et ne se voit pas travailler au-delà de 62 ans. Mais avec la réforme, quitter le métier à cet âge entraînera une décote automatique du montant de sa pension. « Ils veulent encore me faire travailler, ça fait un moment que je fais ça, pourtant », soupire la fonctionnaire qui exerce dans le milieu de la santé depuis une vingtaine d’années.

De son côté, Gwendal Bars, amer, se moque de « la publicité interne » que le ministère du Travail leur a envoyée, la veille, par courriel. « À les écouter, il faudrait travailler jusqu’à 70 ans, c’est même encouragé ! » s’exclame-t-il, en référence à un exemple mis en évidence par le gouvernement dans sa communication. Une des pages du diaporama officiel explique: « La limite d’âge d’Éric, rédacteur territorial dans un service d’état civil d’une collectivité, est de 67 ans. Ne remplissant aucune des conditions dérogatoires requises, Éric devait cesser son activité le jour de ses 67 ans, alors qu’à titre personnel, il souhaitait rester en fonction. Avec la réforme, Éric pourra, avec l’accord de son employeur, poursuivre son activité jusqu’à l’âge de 70 ans. »

Mobilisés pour jeudi : « Les gens sont assez énervés »

L’exemple pourrait prêter à rire s’il n’était pas utilisé au premier degré. Il passe mal auprès des militants CGT. Alors, devant les locaux de l’ARS, Maya Mediouni se bat aux côtés de ses collègues syndicalistes, mais pas seulement. Les employés qui arrivent, en majorité des femmes, la saluent et échangent quelques mots. Les sourires sont nombreux sur les visages et donnent espoir pour la mobilisation de jeudi. « Les gens sont assez énervés », fait remarquer Gwendal Bars. Après les mobilisations de 2019-2020 contre le précédent projet de réforme des retraites, coupées dans leur élan par l’irruption de l’épidémie de Covid, et face au « choix de société » en jeu, le syndicaliste, optimiste, ironise : « En espérant que, cette fois, une pandémie mondiale ne viendra pas freiner la contestation. »

publié le 17 janvier 2023

Contre-réforme des retraites :
face à un projet massivement rejeté,
c’est l’heure de mobiliser

Léon Crémieux sur https://www.contretemps.eu

La question des retraites va devenir l’enjeu central d’une bataille sociale et politique dans les semaines à venir, alors que les classes populaires sont déjà lourdement touchées par les conséquences des années Covid, la crise du système de santé, une réforme des caisses chômage. À cela s’ajoute évidemment une attaque importante contre les salaires et revenus sociaux réels avec un haut niveau d’inflation .

Une régression sociale majeure

Emmanuel et Macron et sa première ministre Elisabeth Borne ont donc décidé une nouvelle attaque sociale contre les classes laborieuses en présentant le 10 janvier un plan de réforme des régimes de retraites qui prévoit d’allonger – globalement et rapidement – de deux ans l’âge légal de départ à la retraite qui passerait de 62 à 64 ans pour les salarié-es du public et du privé. Le projet doit être débattu et voté dans les deux mois qui viennent, en utilisant une procédure de débat accéléré (Art 47-1 de la Constitution, 20 jours seulement de débat à l’Assemblée à partir du 8 février, 50 jours au total pour l’adoption entre les deux chambres, Assemblée et Sénat).

Le projet du gouvernement vise aussi à supprimer toute une série de « régimes spéciaux » de retraite dans lesquels les conditions de départ sont plus favorables (EDF, RATP, etc.). Le but est également d’amener rapidement la durée nécessaire de cotisations à 43 annuités (années travaillées ou équivalent). La réforme antérieure, menée sous le gouvernement socialiste en 2013, prévoyait d’atteindre ce dernier objectif en 2035 (un trimestre d’allongement tous les trois ans). Avec le projet actuel l’objectif serait atteint huit ans plus tôt, en 2027 (un trimestre de plus chaque année).

Au total, c’est évidemment un projet global de régression sociale qui va encore aggraver les inégalités derrière un discours officiel de « justice sociale » et de « sauvetage du système français par répartition ». Dans la plupart des pays industrialisés, les régimes des retraites ont été l’objet de nombreuses attaques, notamment depuis le tournant libéral des années 1980.

La France n’a pas échappé à ce mouvement et, depuis 1993, les gouvernements successifs, dirigés par les socialistes et les gaullistes, ont mené quatre réformes contre le système des retraites. Il y a 30 ans, les salarié-es, fonctionnaires ou du secteur privé, avaient une retraite complète (taux plein) à 60 ans, en ayant versé 37,5 ans de cotisations. Si le projet passe, nous passerions très vite à 64 ans et 43 années de cotisations, 44 pour les carrières longues.

Cette contre-réforme frapperait notamment les salarié-es ayant eu des carrières entrecoupées de période de chômage ou de temps partiels, notamment les femmes et, en général, celles et ceux ayant commencé à travailler avant 20 ans, les salarié-es ayant peu de qualifications. Cela aurait comme double effet de les obliger à travailler au-delà de 64 ans et cela pour des pensions plus faibles.

Le plan d’ensemble de Macron

Ce projet de réforme s’intègre dans un plan d’ensemble de Macron visant à « travailler plus » selon un de ses thèmes de campagne de 2022, à augmenter – au moins sur le papier – le nombre d’actifs avec un recul de l’âge de départ à la retraite, à faire pression sur les chômeurs par la diminution des droits ainsi que sur les bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active-pour celles et ceux ayant épuisé leur droit au chômage, 1,88 millions de bénéficiaires en juin 2022), en conditionnant le RSA à une période de travail bénévole de 15h à 20h mensuels. Ces mesures exercent évidemment aussi une pression sur les salaires des actifs-ves, détériorant la qualité des emplois et augmentent les situations de chômage et de précarité pour les vieux travailleurs.

Concernant le passage de 62 à 64 ans de l’âge de départ, une note de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) estime, à partir du bilan de la contre-réforme des retraites de 2010, que le passage à la retraite à 64 ans diminuerait de 600000 le nombre de retraité-es en 2027, parmi ceux-ci 240000 seraient alors en emploi, 215000 au chômage et le reste dans un « sas de précarité » fait d’invalidité, de maladie ou d’inactivité. Donc, cela entraînerait 75% de chômage et de précarité ! Ne resteraient dans un emploi stable que les cadres et les salarié-es les plus qualifié-es, les catégories les moins soumises aux travaux pénibles et aux carrières hachées.

Il en est de même en ce qui concerne les attaques contre les allocataires du chômage. Nous sommes passés de juin 2008 à juin 2021 de 68% à 47,4% des chômeurs indemnisés (d’après la DARES). Pire, en septembre 2021, la durée de la période travaillée pour avoir droit à indemnisation est passée de 4 à 6 mois. Et la dernière réforme, qui entre en vigueur début 2023, réduit de 25% la durée durant laquelle un-e chômeur-se pourra être indemnisé-e. Désormais la durée maximale sera de 18 mois et, pour les salarié-es de plus de 55 ans, de 27 mois au lieu de 36 auparavant.

Toutes ces décisions vont dans le même sens, frappant toujours plus durement les catégories des classes laborieuses déjà le plus touchées par les crises actuelles. Plus que l’augmentation réelle du nombre de salarié-es, prétendument, ce que vise Macron c’est une nouvelle diminution du coût du travail pour les entreprises et la diminution des dépenses publiques dans le budget de l’État.

Le dogme européen de la baisse des dépenses publiques

L’autre raison essentielle pour laquelle le gouvernement a remis si rapidement en avant ce projet de réforme des retraites n’est pas à chercher dans les perspectives à 10 ou 20 ans du régime des retraites mais bien plutôt dans la réduction des déficits des finances publiques d’ici 2027. En mai 2022, la Commission européenne a rétabli les règles du pacte de stabilité, les règles de Maastricht, suspendues pendant la pandémie. Le Commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni a alors annoncé que, fin 2023, les États membres devront rentrer dans les règles des déficits publics et de la dette publique à un maximum respectivement de 3% et de 60% du PIB. La France, à cette occasion, a reçu le « conseil » de réduire sa dette et de réformer rapidement son système de retraite.

En juillet dernier, le gouvernement français a présenté, comme chaque année, à la Commission européenne son « programme de stabilité », perspectives économiques d’ici 2027. Là, Bruno Le Maire, ministre français de l’économie et des finances, s’est engagé à ce que le déficit public passe de 4,9% du PIB en 2022 à moins de 3% en 2027. La France s’est engagée à n’augmenter son budget que de 0,6% par an :

« La soutenabilité des finances publiques ne se fera pas par une hausse de prélèvements obligatoires…La maitrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment comme le Président de la République s’y est engagé au cours de la campagne électorale. »

La réforme des retraites est donc bien le pilier de la réduction des dépenses publiques pour se conformer aux règles européennes et maintenir un avis favorable des agences de notation. Bruno Le Maire espère dégager 17,7 milliards d’ici 2030, soit plus de 5% des dépenses de retraites. Car parallèlement, le gouvernement persiste dans ses allègements fiscaux auprès des entreprises. Ainsi la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) payée par les entreprises faisant plus de 500000 euros de CA, qui rapportait 18 Milliards en 2019 disparaitra totalement en 2024.

Si les instances européennes et les capitalistes européens insistent tant sur la réforme des retraites en France, c’est que celles-ci ont la particularité d’avoir plus résisté à la mise en pièce que dans d’autres pays européens. Certes, les attaques antérieures ont déjà eu et vont avoir encore davantage de conséquences en termes de baisse de pouvoir d’achat des retraités, d’un moindre nombre d’années de vie à la retraite. Il n’en reste pas moins que la France est un des pays où l’on peut partir le plus tôt à la retraite et, avec l’Italie, un des pays dans lequel on consacre le plus d’argent pour les retraites, autour de 13,5% du PIB, essentiellement des dépenses publiques, dans le cadre des régimes de retraites collectifs et obligatoires.

Beaucoup d’experts capitalistes insistent sur ce « niveau intolérable » qui imposerait de niveaux de prélèvements obligatoires trop élevés aux entreprises. Ce qui est moins souvent relevé est que cette part importante consacrée aux retraites permet aussi que la France soit dans l’Union européenne un des pays dans lequel le taux de pauvreté des plus de 65 ans est le plus bas : 10,9% contre 16,8 en moyenne et 19,4% en Allemagne. Aussi, ce système représente encore un point de résistance important, une question de choix de société vécu comme tel, dans un pays où plus de 60% des salarié-es actifs-ves souhaiteraient partir à la retraite à 60 ans ou avant.

Un projet rejeté par la population

Ce choix de société s’affirme avec d’autant plus de force que les arguments assénés par Macron et les « experts » qui se succèdent dans les médias n’arrivent pas à convaincre. Le Conseil d’Orientation des retraites (COR), organisme officiel de surveillance du système, a lui-même sorti un rapport l’été dernier avançant des projections sur les quarante années à venir montrant un système équilibré. Le constat « de bon sens » disant qu’il y aurait de plus en plus de retraité-es et de moins en moins d’actifs-ves (ce qui est vrai) n’entraînant en rien un accroissement incontrôlable des dépenses. Au contraire, celles-ci en pourcentage du PIB resterait très stable entre 13 et 14% d’ici 2070. Ce sont les recettes qui baisseraient à cause de versements insuffisants de l’État pour les agents publics.

Dans toutes les hypothèses, les comptes ne présenteraient qu’un faible déficit au regard du montant des recettes et des dépenses. Le système a été excédentaire les deux dernières années (4 milliards au total) et présentera un déficit maximum de 10,7 milliards en 2027, à mettre en regard des 350 milliards de dépenses. Tout cela est dans le rapport du COR qui dit explicitement que la situation n’a rien de catastrophique… contrairement à ce que dit le gouvernement. De plus, le gouvernement prétend qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre de salarié-es actifs-ves alors que de 50 à 65 ans le taux actuel d’emploi n’est que de 56%, du fait des plans de licenciements, des maladies, de l’impossibilité de retrouver un emploi.

Donc, d’ores et déjà, le gouvernement a perdu une bataille : celle de la justification d’une réforme pour préserver et « sauver » le système et il n’arrivera pas à convaincre dans les deux mois qui viennent. De même, il y a une profonde conviction que s’il fallait financer un déficit limité dans les années à venir, il n’y a aucune raison que cette charge pèse sur les salarié-es, et notamment sur les plus pauvres et celleux soumis-es aux conditions de travail les plus difficiles.

Pourtant, le gouvernement affiche régulièrement la volonté, pour « protéger la croissance », de ne pas augmenter les cotisations patronales aux Caisses de la Sécurité sociale (dont la Caisse vieillesse), de baisser les prélèvements obligatoires et de baisser tous les impôts pesant sur la production et les entreprises. Cela dans un contexte d’explosion des profits des grandes entreprises, de distribution massive de dividendes et d’enrichissement individuel de la catégorie la plus riche de la population. En 2022, les entreprises du CAC 40 ont engrangé 172 milliards de bénéfices (augmentation de 34% par rapport à 2021), et distribué 80 milliards à ses actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’action. C’est donc bien une réforme de classe…et cela se voit.

Fondamentalement, tous les sondages réalisées ces derniers mois, y compris depuis l’annonce de la réforme, montrent une hostilité très majoritaire à cette réforme, moindre seulement parmi les cadres… et les retraité-es. 90% des actifs-ves sont hostiles au report de l’âge de départ à 64 ans, 60% approuvent la mobilisation syndicale contre ce projet et 46% sont prêts à se mobiliser.

L’unité syndicale contre ce projet

L’ensemble des syndicats (CGT, CFDT, FO, FSU, Solidaires, UNSA, CFTC) ont refusé le cadre de la loi lors des entretiens avec le gouvernement, même ceux qui comme la CFDT, l’UNSA, la CGC ou la CFTC sont enclins à accepter les réformes libérales et le soutien aux politiques gouvernementales. Tous les syndicats appellent à une première journée de grèves et de manifestation le 19 janvier, autour d’un seul mot d’ordre, le retrait du projet gouvernemental.

Lors de son dernier congrès confédéral, la direction CFDT avait même reçu un mandat exprès de refus de tout allongement de l’âge de départ, quelles que soient les contreparties. Lors d’autres projets de réformes des retraites, notamment en 2003 et 2010, les gouvernements s’étaient heurtés à un front syndical équivalent à celui réalisé actuellement, avec l’ensemble des centrales syndicales opposées frontalement au projet.

Il faut néanmoins noter qu’en 1995, la CFDT n’était pas dans le mouvement contre le « plan Juppé » visant à aligner les salarié-es du public au niveau des reculs imposés aux salarié-es du privé en 1993. Juppé dut néanmoins retirer son plan face à la mobilisation générale et à une longue grève de la SNCF. 1995 entraîna une crise profonde dans la CFDT et le départ de plusieurs syndicats à Solidaires ou à la FSU.

De même en 2003, le mouvement syndical partit uni contre la réforme Fillon ayant le même objectif, mais il se scinda ensuite, la CGC et la CFDT se ralliant au projet durant sa discussion parlementaire qui dura 6 mois. En 2010, la mobilisation dura 9 mois, de mars à novembre, émietté en 14 journées de grève et de manifestations. En 2013, la CFDT accompagna aussi la réforme Touraine du gouvernement socialiste. Depuis 1995, le mouvement social n’a pas réussi à bloquer une réforme des retraites, sauf en 2020 où Macron dut remiser son projet de réforme face aux mobilisations et à l’arrivée de la pandémie de Covid.

Le combat ne se jouera pas à l’assemblée mais dans la rue

Cette année, le cadre du débat parlementaire va être réduit à 50 jours, avec, au-delà la possibilité pour le gouvernement de passer par décrets et ordonnances. De plus, le gouvernement peut aussi utiliser l’article 49-3 qui permet de clore les débats et d’imposer un vote de confiance.

Dans tous les cas, la configuration du débat parlementaire est assez claire. La minorité macroniste (170 députés plus 80 alliés) peut compter sur au moins l’essentiel des députés du groupe des Républicains (62 députés). La majorité est de 286 voix. Donc, pratiquement aucun risque de rejet du texte puisque la politique de la direction des Républicains est de s’approprier ce projet qui correspond à leur programme et qu’ils ont même fait modifier, en le rendant « moins brutal », faisant passer l’âge de départ de 65 à 64 ans. Les autres oppositions, que ce soit la NUPES ou le RN, sont opposés au projet mais ne pourront que mener un débat écourté.

Donc la question restante est la capacité du mouvement social, syndical et politique, d’organiser une réelle mobilisation populaire unitaire, par des manifestations de rue, et la construction d’un rapport de force traduisant l’hostilité des couches populaires, par un mouvement de grève prolongé dans plusieurs secteurs professionnels. Cela veut dire construire consciemment ce mouvement et ne pas proposer une suite de journées de grève disjointes.

D’ailleurs, le court délai du débat parlementaire impose la construction d’un mouvement unitaire et offensif. L’heure devrait être à des intersyndicales élargies localement organisant la convergence des secteurs en grève, des structures unitaires rassemblant syndicats, associations, partis.

Quelle stratégie ?

La NUPES et le NPA ont pris l’initiative de meetings unitaires dans les villes. Une manifestation nationale les rassemblant aura lieu le 21 janvier deux jours après la première journée de grève intersyndicale. Le climat quasi-général dans les directions syndicales est le refus d’une coordination syndicats-partis. Les comportements de puissance dominante de la France insoumise n’ont pas aidé, depuis l’été dernier, à changer ce climat. Il va pourtant falloir arriver à construire, notamment localement un front unitaire. Cela est d’autant plus important que la large étendue du front syndical ne s’appuie pas sur une réelle pratique commune ni sur un corps commun d’exigences face au projet gouvernemental.

La grève du 19 janvier s’annonce d’ores et déjà massive et, dans plusieurs secteurs professionnels, les syndicats annoncent un calendrier de grèves reconductibles ou de plusieurs journées rapprochées. C’est le cas, des syndicats de la branche CGT Pétrole (24h le 19, 48h le 26, 72h le 6 février), syndicats qui avaient déjà fait plusieurs semaines de grève pour les salaires cet automne. Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, a aussi avancé l’idée de plusieurs journées consécutives de grève générale interpro plutôt que d’un émiettement de journées saute-moutons.

Il est par ailleurs décisif que la mobilisation permette de rassembler sur les préoccupations immédiates que sont les salaires et le coût de la vie, les attaques contre les droits des chômeurs, liant la lutte contre le projet de loi aux revendications contre la vie chère, en ciblant les profits capitalistes.

Les dernières semaines de décembre, ont vu après un mouvement de grève des conducteurs RATP, un important mouvement catégoriel des contrôleurs SNCF, sur les salaires et les carrières. De nombreuses grèves pour les salaires ont eu lieu et vont se développer à nouveau avec un nouveau cycle de négociations annuelles obligatoires dans les entreprises. L’augmentation exponentielle des prix de l’énergie a vu aussi, ces derniers jours grandir le mécontentement avec même des mouvements venant des boulangers, des restaurateurs, d’autres petits commerçants et artisans dont beaucoup sont en faillite ou en cessation de paiement.

*

Le mouvement en construction doit pouvoir être le cadre d’expression du mécontentement grandissant des classes populaires tout en avançant des exigences anticapitalistes et en construisant un large mouvement de soutien dans la population. Le Rassemblement national voudrait polariser ce mécontentement tout en refusant évidemment ces exigences anticapitalistes et le développement des grèves ouvrières. Il y a donc là aussi un enjeu décisif pour diminuer son poids.

La construction de ce mouvement prolongé ne se fera pas sans que plusieurs secteurs professionnels construisent dans l’unité le rapport de force face au gouvernement alors qu’Olivier Véran, son porte-parole, se croit encore sûr de lui et « droit dans ses bottes ». Espérons que les jours qui viennent lui apportent un démenti.

  publié le 15 janvier 2023

Retraites. Les syndicats unis
contre une réforme injuste

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Pour la première fois en treize ans, les représentants des huit principales organisations appellent ensemble à la mobilisation et à la grève contre le projet du gouvernement. Un front commun qui ouvre la voie à une lutte d’ampleur.

C’est inédit depuis 2010. Si le projet de réforme des retraites du gouvernement d’Emmanuel Macron a un mérite, c’est bien celui d’avoir uni l’ensemble des syndicats contre lui. Dès la révélation des contours du projet par Élisabeth Borne et trois autres ministres, le 10 janvier, l’ensemble des représentants des huit syndicats nationaux ont rassemblé leurs forces pour s’opposer à ce projet antisocial. Symboliquement réunies à la Bourse du travail de Paris, les têtes des unions et confédérations se sont accordées sur une première date de grèves et de manifestations, jeudi 19 janvier, espérant ensemble qu’elle «donne le départ d’une puissante mobilisation sur les retraites dans la durée».

La dernière fois que les syndicats avaient conclu une telle alliance offensive, c’était en 2010. Éric Woerth, ministre du Travail de Nicolas Sarkozy, ambitionnait alors de passer de 60 à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite et de reculer de 65 ans à 67 ans l’âge d’annulation de la décote, permettant à tous de partir à la retraite avec une pension à taux plein. Le 12 octobre de cette année, plus d’un million de personnes, à l’appel unanime des organisations syndicales (y compris de la CFDT, pourtant peu habituée des démonstrations de force dans la rue), avaient battu le pavé.

Les Français ne sont pas dupes de l’immense recul social qui les menace

Cerné par cette menace d’une nouvelle mobilisation monstre et de nombreuses grèves dans des secteurs stratégiques (certaines sont déjà prévues dans les raffineries) et face au front syndical uni qui s’oppose à lui, le gouvernement n’a de cesse de répéter ses poncifs pour convaincre les Français du bien-fondé de sa réforme. «Laisser s’accumuler des déficits serait irresponsable», a ainsi martelé Élisabeth Borne lors de sa conférence de presse, affirmant qu’obliger les Français à travailler plus longtemps était nécessaire. Comprenant que cet argument financier – d’ailleurs contredit par les données du Conseil d’orientation des retraites – ne prend pas, la première ministre s’évertue depuis à persuader que la réforme, non seulement indispensable, est aussi bénéfique. «Je suis convaincue que le projet que j’ai présenté est un projet qui à la fois permet d’assurer l’avenir de notre système de retraites et que c’est un projet de justice et de progrès social», a-t-elle assuré, samedi, interrogée par France Inter.

Malgré cet infatigable effort de répétitions, les Français ne sont guère dupes de l’immense recul social qui les menace. Selon un sondage Ifop publié dans le JDD du 15 janvier, 68 % des citoyens sont défavorables au projet du gouvernement. Dans le détail, les diverses mesures louées par Élisabeth Borne ne remportent pas de faveurs. 62 % des Français sont également en désaccord avec la nécessité de travailler 43 annuités pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. 71 % sont contre le recul de l’âge légal du départ à la retraite à 64 ans.

Ces nombreuses colères et frustrations devraient sans aucun doute alimenter un large mouvement de contestation, jeudi, dans les rues à l’appel des centrales et confédérations réunies en intersyndicale. Selon l’Ifop, 51 % des Français soutiennent le mouvement et seraient ainsi prêts à porter leurs désaccords dans la rue. Plus de 150 rassemblements, partout sur le territoire, sont d’ores et déjà prévus, comme à Marseille (10 h 30, métro Réformés-Canebière), Strasbourg (14 heures, place de la Bourse), Rennes (11 heures, esplanade Charles-de-Gaulle) ou encore Paris (14 heures, place de la République).


 


 

Retraites. Un front uni des syndicats 

Pour la première fois depuis 2010, les représentants des huit principaux syndicats présentent un front uni contre la réforme des retraites. Ils expriment les raisons de leur désaccord avec le gouvernement. 


 

Retraites. Philippe Martinez, CGT : « L’unité syndicale, meilleur indicateur de la nocivité de la réforme »

Cette réforme est inégalitaire, injuste, et à contresens de l’Histoire: depuis des décennies, c’est la réduction de la durée du travail qui est à l’œuvre dans nos sociétés. La réforme des retraites de l’exécutif va à l’encontre du principe de solidarité sur lequel se fondent notre Sécurité sociale et notre système de retraites par répartition qui en découle: dans la société qu’Emmanuel Macron nous propose, chacun reçoit selon ses moyens et non selon ses besoins, comme le voulait Ambroise Croizat. Dans toutes leurs prises de parole, Élisabeth Borne et ses ministres insistent sur la justice sociale, mais c’est évidemment l’inverse qu’ils proposent.

Cette réforme ne vient rien régler aux inégalités femmes-hommes, pas plus qu’elle ne va remédier au problème des carrières hachées par le chômage, la précarité ou les accidents professionnels. Au contraire, elle va accentuer les fractures dans la société, creuser les inégalités entre les générations, car les jeunes vont être pénalisés davantage que ceux qui sont déjà à la retraite. Le capital est épargné et c’est à nouveau le monde du travail qui va payer, alors que nous avons battu un nouveau record de dividendes versés aux actionnaires.

D’une certaine façon, l’unité syndicale est le meilleur indicateur de la nocivité de la réforme! Je suis extrêmement confiant quant à la capacité du mouvement social de faire plier le gouvernement. Il n’y a qu’à voir la manière dont les gens s’emparent du sujet. Un exemple parmi d’autres: la pétition lancée par les organisations syndicales sur change.org pour s’opposer à la réforme a déjà dépassé les 300 000 signatures (dimanche à midi – NDLR).


 

Retraites. François Hommeril, CFE-CGC : «Deux ans de plus à travailler, cela pèse sur l’espérance de vie en bonne santé»

Le système de retraite par répartition n’est pas en danger et rien ne justifie une réforme aussi brutale qu’inacceptable. Le gouvernement veut effectuer un transfert du système de retraite du privé vers le budget de l’État, ce dernier diminuant ainsi son engagement à verser des pensions aux agents de la fonction publique. C’est une augmentation de l’impôt des salariés et un tour de passe-passe: en voulant les faire travailler plus longtemps, l’État va capter ces ressources pour financer des projets de politique publique qui ne sont pas du ressort du régime de retraite. Dans le même temps, l’exécutif va baisser de 8 milliards d’euros la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), sans débat ni discernement sur la conditionnalité et le ciblage du dispositif. Certaines de ces entreprises affichent des résultats records après deux années d’aides massives de l’État.

Plus largement, cette réforme va frapper de plein fouet l’ensemble des salariés. Ainsi des millions de femmes qui sont entrées sur le marché du travail à 22 ans, qui sont devenues mères de famille et qui, grâce à la majoration de huit trimestres de cotisation par enfant, avaient jusqu’à aujourd’hui la possibilité de partir en retraite à 62 ans en dépit des interruptions de carrière. Demain, elles ne le pourront plus. Tout le monde est impacté, et deux ans de plus à travailler, cela pèse énormément à l’aune des indicateurs d’espérance de vie en bonne santé. Avec cette réforme, le temps passé en retraite, qui diminue déjà, va continuer de baisser et encore plus vite.


 

Retraites. Murielle Guilbert et Simon Duteil, Solidaires : « Leur réforme, c’est mourir au travail ou la retraite à l’hôpital »

Pour Solidaires, cette réforme est à combattre parce qu’il s’agit d’une nouvelle régression sociale. Elle va diminuer drastiquement la possibilité de bénéficier de sa retraite en «bonne santé» et va aggraver la situation de millions de personnes qui n’ont pas un niveau de retraite suffisant pour vivre correctement.

Le gouvernement veut faire croire qu’il se préoccupe de l’intérêt de l’ensemble de la population en annonçant quelques mesures d’accompagnement, mais le saupoudrage est quelque peu voyant: le minimum de pension reste insuffisant pour vivre et n’est applicable qu’aux carrières complètes, donc ni aux femmes aux carrières incomplètes, ni aux plus précaires qui subissent chômage, temps partiel. On bricole sur la pénibilité tandis que la médecine du travail manque cruellement de moyens et que quatre critères de pénibilité ont été supprimés par ce même gouvernement.

La prise en compte du congé parental ne suffira pas à résorber l’écart de 40 % de retraite entre les femmes et les hommes, notamment parce que les inégalités salariales persistent. Pour Solidaires, la réforme s’inscrit dans l’idéologie capitaliste qui vise à nous faire travailler toujours plus pour enrichir les actionnaires et les plus riches! Leur réforme, c’est mourir au travail ou la retraite à l’hôpital. Il faut imposer un autre partage des richesses et du temps de travail.

Cela passera obligatoirement par un mouvement social massif. Il commence le 19 janvier à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales. En grève, dans la rue, mobilisé·es par millions, nous allons gagner!


 

Retraites. Philippe Louis, CFTC : « Nous n’avons pas d’autre choix que de frapper vite et fort »

Nous contestons les mesures, et particulièrement le report de l’âge légal à 64 ans, mais aussi l’argument qui consiste à affirmer que le régime est en danger. Sans se lancer dans une bataille de chiffres, en admettant que le régime sera déficitaire à partir de 2024, celui-ci ne le sera que très faiblement, à peine 3 % des pensions.

Nous avons mis d’autres propositions sur la table, comme revenir sur toutes les exonérations de cotisations qui n’ont aucune utilité au niveau de l’emploi, qui ne servent qu’à améliorer les profits, à verser des dividendes ou à acheter des actions de leur propre entreprise. Or, le recul de l’âge légal va particulièrement frapper les salariés les plus précaires, ceux des «deuxièmes lignes» que nous avons applaudis durant le Covid. Et les seniors, qui vont devoir travailler plus longtemps, alors que leur taux d’emploi est le plus mauvais de tous les pays européens.

À cela s’ajoute la réforme du chômage qu’ils prendront de plein fouet. C’est pour eux la triple peine. Face à la détermination du gouvernement, nous n’avons pas d’autre choix que de frapper vite et fort, en marquant un grand coup le 19 janvier. Pour réussir, nous pouvons nous appuyer sur notre unité syndicale. Cela n’était pas arrivé depuis douze ans. Si nous ne portons pas tous la même réforme, nous sommes tous contre le report de l’âge légal. Ensuite, nous avons des salariés qui sont très remontés.

À la CFTC, nous ne sommes pas habitués à descendre dans la rue tous les quatre matins. Et je sens chez mes adhérents une colère, une envie de mobilisation que je n’ai jamais ressentie. Même si le 19 ne sera pas la dernière date, car nous prévoyons de nous retrouver pour définir de prochains rendez-vous et des actions un peu tous les jours dans les entreprises, dans les branches, dans les filières, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un demi-succès. Cela nécessite la mobilisation de tous.


 

Retraites. Benoît Teste, FSU: « Les pensions des femmes sont de 40 % inférieures à celles des hommes »

Un élément de langage nous met particulièrement hors de nous et nous ferons tout pour le décrypter: le discours d’Élisabeth Borne sur les «femmes préservées» dans sa réforme, en s’appuyant notamment sur le fait que l’âge d’annulation de la décote est maintenu à 67 ans. Ainsi, ne pas dégrader encore davantage une situation déjà inégalitaire est présenté par le gouvernement comme un progrès. Curieuse argumentation!

Aujourd’hui, trois fois plus de femmes que d’hommes sont concernées par le fait d’avoir à attendre 67 ans pour annuler la décote, c’est bien le moins qui pouvait être fait de ne pas avoir reculé encore cette borne d’âge. En somme, le gouvernement dit: on aurait pu faire pire, estimez-vous heureux et heureuses qu’on maintienne l’existant, c’est-à-dire qu’on maintienne un système où les pensions des femmes sont de 40 % inférieures à celles des hommes, c’est scandaleux!

Autre élément emblématique de la réforme auquel nous allons nous opposer particulièrement: l’allongement des durées de cotisation, car, au fond, c’est une manière de dévaloriser le fait de faire des études et d’aller à rebours de l’intérêt général. Dans les métiers où le niveau de qualification nécessaire est élevé, comme les enseignantes et enseignants, on entre tard en emploi. Le fait d’exiger 43 annuités repousse d’autant la possibilité d’avoir une retraite correcte, pour beaucoup ce ne sera donc pas avant 67 ans, c’est une régression sans précédent!


 

Retraites. Frédéric Souillot, FO : «Il n’y a pas de problème de financement des retraites, mais un problème d’emploi»

FO est fermement opposée à la réforme des retraites qui repousse à nouveau l’âge légal de départ et accélère l’augmentation de la durée de cotisations. En 2030, ce sera 64 ans avec, au minimum, 43 années de cotisation pour une retraite complète. Pour FO, ce nouveau recul est inacceptable: 62 ans c’est déjà trop! Ce projet de réforme des retraites est particulièrement injuste.

Il va toucher en premier lieu celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, celles et ceux dont l’espérance de vie est inférieure au reste de la population, ou dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue. Il va aggraver les difficultés de celles et ceux qui ne sont déjà plus en emploi avant leur retraite et accentuer les inégalités femmes-hommes. 

Cette réforme est également infondée. À chaque fois qu’un gouvernement modifie les paramètres du système de retraites, il dramatise la situation financière pour présenter sa réforme comme inévitable. Or il n’y a pas de problème de financement des retraites, mais un problème d’emploi. Il est nécessaire de développer des emplois pérennes, de mieux gérer les fins de carrière, ou encore d’augmenter les salaires, pour accroître le volume des cotisations. 

Aujourd’hui 50 % des personnes qui liquident leur retraite ne sont déjà plus en emploi. Elles sont au chômage, en arrêt maladie ou en invalidité ou bénéficient de minima sociaux. Reculer l’horizon de la retraite, c’est accroître encore plus les difficultés de ces populations.


 

Retraites. Laurent Escure, Unsa: « Pas un jour, pas un mois, pas un an de plus »

C’est fait, le gouvernement est sorti du bois. Il s’agit bien d’une réforme punitive et injuste! Les arguments contre cette réforme sont largement présentés. Le système est en faillite? Avec un déficit possible de 3,5 % dans quelques années, il n’y a ni péril en la demeure ni urgence à agir. L’Unsa avait des propositions alternatives (augmentations des cotisations, en particulier patronales, augmentation du taux d’emploi des seniors, tri dans les différentes exonérations…). Elles ne furent pas examinées.

La pénibilité? Il y a quelques avancées mais il aurait fallu rétablir les critères de pénibilité supprimés en 2017. L’emploi des seniors? On se bornera à un instrument de mesure. L’égalité salariale entre les femmes et les hommes? Rien, quand il y a tant à faire.

Ne reste donc que l’allongement de deux ans de la durée d’activité et l’augmentation du nombre de trimestres pour une retraite entière. Seuls les salariés sont obligés de fournir des efforts en travaillant plus longtemps. Ils se voient ainsi privés de la liberté de choisir de poursuivre ou pas leur activité après 62 ans.

Le gouvernement nous dit qu’il y a du «sucré» dans son texte. Le reste est tellement corsé que c’est bien une bonne louchée de sel que les salariés devront avaler.

Les Français ne s’y trompent d’ailleurs pas et rejettent largement la réforme. Un tel projet doit être combattu et l’unité des forces syndicales doit être préservée. Unis, on peut gagner, désunis on est sûrs de perdre. Le gouvernement doit retirer son projet, seule la mobilisation de toutes et de tous, le 19 janvier, évidemment, mais tous les jours par des initiatives multiples et diverses, permettra de faire reculer le gouvernement. Jamais les arguments du gouvernement ne sont apparus aussi faibles. Alors, comme l’Unsa, mobilisons-nous!


 

Retraites. Laurent Berger, CFDT: « Un projet de réforme profondément injuste »

Le système de retraite par répartition est un bien précieux. Il est porteur de solidarité et de justice. La CFDT s’est toujours battue pour le préserver et l’améliorer. Le préserver parce que sa survie dépend de son équilibre. L’améliorer car de nombreuses inégalités minent ce pacte de solidarité.

Aujourd’hui, ce que propose le gouvernement ne répond sûrement pas aux enjeux de justice sociale que la CFDT appelle de ses vœux. En faisant supporter la totalité des efforts sur les seuls travailleurs via le report de l’âge de départ à 64 ans, ce projet est injuste car il va toucher durement les travailleurs qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont des métiers difficiles… En aucun cas, ce projet ne tient compte du travail réel de millions de travailleurs.

Injuste aussi car 40 % des travailleurs ne sont plus en emploi au moment de partir à la retraite et aucune réelle contribution n’est demandée aux employeurs pour assumer leurs responsabilités sur l’emploi des seniors.

La liste est longue des désaccords sur cette réforme, malgré quelques avancées que nous avons revendiquées, comme la prise en compte des périodes de contrat TUC. Ce dont il s’agit, ce n’est pas tant d’une réforme des retraites que d’une réforme des finances publiques supportée par les travailleurs.

Face à cette réforme, la CFDT se mobilise dans les actions intersyndicales. Il faut réussir les manifestations du 19 janvier prochain pour montrer la détermination à lutter contre le report de l’âge légal. Il faut faire signer massivement la pétition contre les 64 ans. Fidèle à son histoire, la CFDT se mobilise contre cette réforme car nous voulons un système de retraite par répartition juste et solidaire.

  publié le 13 janvier 2023

Montpellier : une unité syndicale retrouvée autant qu’espérée
dans la bataille
pour une retraite digne

sur https://lepoing.net/

A la tombée de la nuit de ce 12 janvier, ce sont 500 personnes qui se sont retrouvées devant la préfecture de Montpellier pour un rassemblement aux flambeaux à l’appel d’une intersyndicale complète et unie pour démarrer la bataille pour une retraite décente, et c’est que le début ! Les prises de paroles se sont enchaînées au titre des sections syndicales qui ont appelé à rejoindre le mouvement de grève qui démarre le 19 janvier sur tout le territoire.

Le Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (SCUM) a évoqué une « catastrophe sociale », une « attaque contre les précaires et les plus pauvres qui travailleront jusqu’à la mort, sans n’avoir jamais connu la retraite » et a rappelé que « c’est dans la rue que la bataille se mène ». Solidaires a dénoncé une réforme « injuste et brutale » et a rappelé ses revendications : « pas un jour de plus, pas un euro de moins, pas 43 années de cotisations » au profit « d’autres solutions », comme « taper dans les exonérations aux grandes entreprises, au CAC 40 ». La CFDT s’est réjouie d’un « front syndical uni », représentatif de « citoyens et citoyennes majoritairement contre cette réforme », alors que le « déficit du système des retraites n’est pas insurmontable ». L’UNSA a parlé d’une « régression sociale qui peut mettre le feu à la plaine, avec des retraitées pour qui le compte n’y est pas. » Pour FO non plus, « pas question de cotiser une année de plus ou de travailler deux ans de plus alors que les plus de 55 ans sont majoritairement sans emploi et que les excédents sur les caisses de retraite existent. »

La dernière intervention revenait à la CGT qui a remercié, lors d’un discours teinté d’une combativité exceptionnelle, « la présence nombreuse des participants contre cette réforme de régression sociale nous ramenant 40 ans en arrière sans rien retirer au monde de la finance ou au patronat. Ne boudons pas notre plaisir, l’unité syndicale est là pour démarrer une grève reconductible dès le 19 janvier, pour des retraites solidaires par répartition. »

Peut-on espérer que la bataille pour les retraites soit l’étincelle qui mettra « le feu à la plaine » ? Rendez-vous est pris le 19 janvier place Zeus à 11h à Montpellier, avec des manifestations également à Béziers, Sète et partout ailleurs, en sachant que les secteurs des transports et de l’énergie ont déjà annoncé des grèves paralysantes. En dehors de l’intersyndicale, des réseaux de gilets jaunes et citoyens en colère, déjà mobilisés le samedi 7 janvier, appellent à une nouvelle manifestation montpelliéraine ce samedi 14 janvier à 14h place de la Comédie.

Notons également qu’une assemblée pour s’organiser contre la hausse des prix et la réforme des retraites aura lieu le 20 janvier à 19h30 au Barricade (5 rue Bonnie), à l’appel du local associatif et du groupe “Montpellier contre la vie chère”. Suivi d’un décryptage de la réforme des retraite et d’une discussion sur les perspectives de luttes, samedi 21 janvier à 19h30, toujours au Barricade, avec le média Rapports de Force. (événement Facebook pour ce début de week-end d’organisation des luttes ici).


 


 

Retraites : la CGT énergie pose un plan de bataille pour préparer la grève reconductible

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Après la chimie, la fédération CGT de l’énergie propose elle aussi un plan de bataille. Avec un appel à la grève reconductible dès le 19 janvier. Une volonté de se positionner comme un secteur moteur dans le conflit à venir.

 Un « plan de bataille », voilà ce qui est proposé dans le communiqué de presse de la Fédération nationale des Mines et Énergie (FNME) de la CGT publié ce 13 janvier. Ce dernier se décline en plusieurs points… et le premier donne le ton : la grève reconductible dès le 19 janvier et jusqu’au retrait de la réforme des retraites.

« Dès le premier jour de grève interprofessionnelle, les salariés vont monter des piquets dans les entreprises de l’énergie et poser la question de la grève reconductible », détaille Fabrice Coudour, secrétaire fédéral de la FNME. Pour illustrer la fermeté de son appel, la puissante fédération CGT ajoute à son plan la rupture du dialogue avec l’employeur, le filtrage des piquets, la reprise en main de l’outil de travail ou encore la participation aux « actions citoyennes », qui pourraient avoir lieu dans la période.

Les longues grèves dans l’énergie qui ont eu en 2022 peuvent-elles nuire à la mobilisation ? « Quand on fait grève pendant longtemps et qu’on perd, oui, c’est difficile de repartir. Mais quand on gagne 200 € d’augmentation, comme ça a été le cas cette année, cela donne au contraire confiance », analyse Fabrice Coudour.

Les secteurs moteurs de la grève entrent en scène

Quelques jours plus tôt, les syndicats CGT du pétrole (dont ceux des raffineries) avaient déjà présenté leur plan de bataille, appelant à augmenter progressivement la durée de la grève avec 48 h de grève le 26 janvier et 72 h le 6 février, assortis d’une proposition d’entrée en grève reconductible. L’appel de la FNME est à replacer dans ce cadre. « Nous nous réunissons actuellement avec les fédérations CGT des Ports et docks, de la chimie à la RATP, avec les cheminots, pour voir quel plan de bataille nous pouvons mettre en place. Les dates proposées par les syndicats du pétrole pourraient être des dates fortes », explique Fabrice Coudour.

Une volonté de ces fédérations, considérées comme critiques de l’action de Philippe Martinez, de donner des premiers signaux de combativité à la confédération. Voire de damer le pion à la confédération à son secrétaire général avant le 53e congrès ? « Non, cet appel n’est absolument pas lié au congrès. Nous nous sommes réunis avec des fédérations fortes, qui ont un gros pouvoir de blocage, tout le monde va se jeter dans la bataille, mais l’intérêt de tout le monde c’est que la grève soit suivie partout », précise Fabrice Coudour. Une chose est sûre, la bataille contre la réforme des retraites est bien lancée à la CGT.

 


 


 

Retraites. Les organisations de salariés visent un conflit durable
à partir du 19 janvier

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Des cheminots aux raffineurs en passant par les énergéticiens, les appels à la grève se sont enchaînés ce jeudi, émanant de tous les syndicats unanimement opposés à la réforme des retraites.

C’est la première échéance de la lutte contre la réforme des retraites, proposée par l’intersyndicale au complet, mardi soir, immédiatement après la présentation du projet du gouvernement : la manifestation du 19 janvier, à Paris et dans des dizaines d’autres villes en France. D’un bout à l’autre du pays, ce sera aussi une journée de grève, notamment dans des secteurs stratégiques comme les transports. À la SNCF, théâtre en décembre d’une mobilisation des contrôleurs en marge des organisations syndicales, un préavis a été déposé mercredi par la CFDT, la CGT, SUD rail et l’Unsa contre un texte jugé « injuste et porteur de reculs sociaux ». Les quatre structures appellent à « une grève puissante » le 19 janvier.

Le mouvement pourrait également être suivi à la RATP, sur laquelle plane la menace de la suppression d’un régime spécial qui permet à 40 000 salariés de compenser la pénibilité de leurs tâches par un départ anticipé à la retraite. Les syndicats ont promis de mettre « tout en œuvre pour s’opposer » aux desseins de l’exécutif, joignant ainsi leurs forces à celles d’autres réseaux de transport urbain qui se préparent à la mobilisation. À Grenoble, par exemple, le préavis déposé par l’intersyndicale de la Tag court du 19 janvier au 30 juin.

Le gouvernement martèle sa volonté d’aller « jusqu’au bout »

Dans le port, les dockers se joignent au mouvement dès le 19, prenant acte du fait que la réforme va les contraindre à travailleur eux aussi deux années de plus alors que leur convention collective acte la pénibilité de leurs métiers en leur permettant de partir quatre ans avant l’âge légal.

Globalement, les travailleurs se préparent à un conflit durable, face à un gouvernement qui a martelé, par la voix de son porte-parole, Olivier Véran, sa volonté d’aller « jusqu’au bout ». Parmi les salariés de la branche des industries électriques et gazières, qui regroupe près de 150 entreprises (dont EDF, RTE, Engie ou Enedis) et redoute elle aussi la suppression de son régime spécial, la question de la grève reconductible sera donc « posée », tout comme l’hypothèse d’ « actions sur les outils de travail », selon Sébastien Menesplier. « La grève commence le 19 et s’arrêtera quand la réforme aura été retirée. (…) Il faut qu’elle soit massive et d’ampleur », a plaidé le secrétaire général de la fédération mines-énergie de la CGT, mercredi sur France Info.

Une mobilisation structurée et ambitieuse

De leur côté, les ouvriers des raffineries entendent se manifester en nombre, comme lors de la grève pour des augmentations de salaires qu’avait connue le pays pendant près de cinquante jours, cet automne. Mercredi, la fédération nationale des industries chimiques de la CGT a rendu public son plan de bataille : appel à la grève de 24 heures le 19 janvier, appel à la grève de 48 heures le 26 janvier, appel à la grève de 72 heures le 6 février avec possibilité de poursuivre ensuite sur un mouvement reconductible. Une mobilisation structurée et ambitieuse qui ne pourra aboutir que si « les salariés de tous les secteurs économiques, public et privé, s’engagent dans les grèves et les manifestations », souligne l’organisation. Comme si elle sentait venir l’orage, la première ministre, Élisabeth Borne, a appelé les syndicats à « ne pas pénaliser les Français », au détour d’un déplacement à Disneyland, ce jeudi. Sans se demander qui, du gouvernement avec sa réforme des retraites ou des organisations de défense des travailleurs, pénalise vraiment les habitants de ce pays.

  publié le 11 janvier 2023

Réforme des retraites :
le bras de fer commence

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Le gouvernement a présenté ce 10 janvier son projet de réforme des retraites en conférence de presse, qui prévoit d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une première journée de mobilisation est prévue le 19 janvier.

« 64 ou 65 ans ? » Après plusieurs semaines de semi-annonces, de pseudo concertations et d’atermoiements, la Première ministre, accompagnée de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, d’Olivier Dussopt, ministre du Travail, et Stanislas Guérini, ministre de la Fonction publique, a présenté son projet de réforme des retraites.

Et le secret de Polichinelle n’est plus : le gouvernement prévoit un report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. « C’est pour préserver notre système des retraites que nous devons le faire évoluer […], nous l’avions annoncé, ce n’est donc une surprise pour personne » a souligné la Première ministre, Élisabeth Borne, ce mardi 10 janvier devant la presse.

En plus de ce relèvement de l’âge légal de départ, la réforme Touraine sera largement accélérée. Ainsi, la montée progressive à 43 annuités pour bénéficier d’une retraite à taux plein s’achèvera en 2027 (contre 2035 jusqu’à présent).

Deux ans de plus pour tout le monde… ou presque

Lors de la conférence de presse, la Première Ministre a beaucoup appuyé sur la « concertation » qui a eu lieu durant l’automne avec les partenaires sociaux pour expliquer cette décision de fixer l’âge de départ à 64 ans et non 65.  « Ce dialogue a été nourri, utile », a-t-elle ainsi insisté, avant de présenter les autres mesures de cette réforme.

Car si le report de l’âge légal était annoncé depuis de longues semaines, de nombreuses zones d’ombres résidaient encore sur le projet de réforme, notamment autour des carrières longues et de la pénibilité. Élisabeth Borne les a levées, sans rassurer un poil les organisations syndicales.

Tout le monde se prend deux ans, tout le monde est concerné, c’est ça le scandale.

Ainsi les personnes qui remplissent les conditions actuelles du dispositif « carrière longue » continueront de pouvoir partir plus tôt à la retraite… mais en travaillant aussi deux ans de plus. « Tout le monde se prend deux ans, tout le monde est concerné, c’est ça le scandale » peste, peu après les annonces, Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force Ouvrière.

De la même manière, les principaux régimes spéciaux (RATP, industries électriques et gazières…) seront supprimés pour les nouveaux entrants.

Pénibilité, le compte n’y est pas…

Sur la pénibilité non plus, le gouvernement n’a pas rassuré les oppositions. Comme nous vous l’expliquions dans Politis, plusieurs facteurs de risques (postures pénibles, vibrations mécaniques, port de charges lourdes) avaient été supprimés des critères de pénibilité pris en compte dans le compte personnel de prévention (C2P) à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.

Dans le projet actuel du gouvernement, ces critères ne seront pas particulièrement mieux pris en compte. Un fond d’investissement d’un milliard d’euros sur le quinquennat sera débloqué pour faire de la prévention sur le sujet, mais aucune modalité de départ anticipé n’est prévue pour les salariés exposés à ces risques. Pour rappel, selon la DARES, l’institut statistique du ministère du Travail, 34 % des salariés sont exposés à des contraintes physiques au travail, 22 points de plus qu’il y a 50 ans…

Parmi ces nombreuses mesures vivement critiquées à gauche, quelques petits rayons de soleil peinent à éclaircir le tableau global. Le minimum de pension augmentera de 100 euros par mois. Et dans le dispositif carrière longue, les trimestres validés en raison de congé parental (très souvent féminin) pourront être pris en compte.  

Des économies sur le dos des cotisants

Malgré cela, le sentiment qui habite tous les représentants syndicaux à la sortie de la conférence de presse est celui de la colère. Pour eux, cette réforme affectera, notamment, les salariés les plus modestes.

« La réforme consistant à repousser l’âge légal à 64 ou 65 ans n’aura par définition aucun impact » sur les plus diplômés, explique l’économiste Thomas Piketty dans une chronique publiée par Le Monde. Il souligne ainsi que les économies réalisées par cette réforme, évaluées à plusieurs milliards d’euros par an, « seront prélevées intégralement sur le reste de la population, notamment sur les ouvriers et employés ».

Interrogée sur ce point, la Première ministre a répondu : « Il faut arrêter de caricaturer, nous proposons un système qui tient compte de chaque âge. C’est un projet qui répartit le plus équitablement possible la contribution demandée à chacun. »

Elle a toutefois réaffirmé que cette réforme n’augmentera pas « le coût du travail pour les employeurs ». Manière détournée d’assumer que les économies réalisées se feront uniquement sur le dos des cotisants.

Le seul totem qu’ils ont, au gouvernement, c’est la profitabilité des entreprises, ça, ils n’y touchent jamais.

« Le seul totem qu’ils ont, au gouvernement, c’est la profitabilité des entreprises, ça, ils n’y touchent jamais », souligne Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT qui rappelle que les seules entreprises du CAC 40 ont versé plus de 80 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires en 2022, un chiffre record.

19 janvier, première journée de mobilisation

Réunies à la bourse du Travail à Paris dans la foulée de la conférence de presse gouvernementale, les huit organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires et FSU) ont annoncé une première grande journée de grèves et de manifestations le jeudi 19 janvier. Elles « appellent les salarié.es à se mobiliser fortement » contre une réforme jugée « brutale » et « injustifiée ».

Cette large intersyndicale, qui inclut la CFDT, est inédite depuis 12 ans. C’est d’ailleurs ce que souligne les différents représentants syndicaux interrogés, balayant les nombreuses références du gouvernement sur la concertation les incluant.

« Si on avait été entendus, on ne serait pas tous là, unis et vent debout contre cette réforme », confie Philippe Martinez. « La seule vraie concertation qu’il y a eu, c’est entre nous, pour fixer la date de cette première journée de mobilisation » raille le secrétaire confédéral de Force Ouvrière.

Tous espèrent que cette première mobilisation marquera le début d’un mouvement social dur et d’ampleur. Dès ce mardi, une nouvelle intersyndicale a été fixée au soir du 19 janvier pour prévoir la suite du mouvement.

  publié le 7 janvier 2023

Philippe Martinez (CGT) sur les retraites : « Après le travail, ce sera le cimetière »

sur https://www.mediapart.fr

« À l’air libre » reçoit Philippe Martinez, alors que le gouvernement annoncera le 10 janvier sa réforme des retraites, dans un contexte d’inflation et de services publics en déshérence. « Une réforme pour faire peur » et « un démantèlement de l’esprit de solidarité », selon le secrétaire général de la CGT. 

La vidéo d’une cinquantaine de minutes est en libre accés et visible sur le site de mediapart

ou bien sur :  https://youtu.be/sP5UK9RWKNY

   publié le 5 janvier 2023

Grève illimitée des chauffeurs de bus Keolis dans l’Isère

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

« À l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, la pénurie de chauffeur de bus est une absurdité et un crime », dénonce-t-on, depuis le piquet de grève de Keolis. Or, pour recruter, il faut augmenter les salaires et les conditions de travail. C’est pour cette raison que les salariés de cette filiale de la SNCF se sont massivement mis en grève dans l’Isère depuis le 3 janvier.

 Depuis mardi 3 janvier, les salariés de l’entreprise de transport Keolis Porte des Alpes (KPA), sont entrés massivement en grève en Isère. « On a décidé d’une action au mois de décembre. On avait prévu de faire trois jours, mais face à l’ampleur de la mobilisation on est finalement entrés en grève illimitée », explique Pierre Fabre, délégué syndical CGT chez KPA. Résultat, avec 90 grévistes sur près de 180 salariés, le trafic est très fortement mis à mal. Les lignes départementales de bus ne sont assurées « que de manière symbolique », expliquent les grévistes dans un communiqué, et des cars scolaires manquent à l’appel.

L’objectif ? Mettre fin à des salaires plutôt bas (entre 1800€ et 2000€) en dépit des amplitudes horaires très larges pendant lesquels exercent les chauffeurs. Pour ce faire, les grévistes revendiquent notamment une hausse du taux horaire à l’embauche de 13€, au lieu de 11,84€, une prime Macron de 1000€, mais également l’augmentation de la part patronale de la mutuelle ou le versement de la prime de repas pour chaque jour travaillé. « Pour l’heure, la direction nous a seulement proposé 200€ de prime ainsi qu’une ouverture des Négociations annuelles obligatoires (NAO) dès janvier. Or nos NAO, si elles ne se tiennent pas forcément en janvier, ont toujours été rétroactives. Cette proposition n’en est donc pas une », continue Pierre Fabre. Alors le mouvement continue et les grévistes s’organisent en comité de grève. Tous les syndicats impliqués dans la lutte (SUD, FO, CGT, CFDT), mais aussi les salariés non syndiqués, peuvent y être représentés.

Pénurie de chauffeurs de bus « à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique »

C’est loin d’être la première grève chez Keolis, filiale de la SNCF. En octobre 2022, les salariés de l’Essonne avaient obtenu des augmentations de salaires après dix jours de grève. Malheureusement, comme la boîte est découpée en différentes filiales en fonction des zones géographiques, les grèves des uns ne profitent pas aux autres.

En revanche, les luttes dans les réseaux de bus sont toutes renforcées par un même paramètre : la pénurie de main d’œuvre. Partout en France, les entreprises de transport par bus peinent à recruter et fonctionnent souvent à flux tendu. Ainsi, la moindre absence peut perturber considérablement le trafic, ce qui rend les directions vulnérables face aux grèves. « À l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, cette pénurie est une absurdité et un crime. La satisfaction de nos revendications serait le strict minimum pour attirer dans nos métiers les conducteurs de bus dont on a besoin », font habilement valoir les grévistes de KPA.

 

publié le 2 janvier 2023

Face à l’inflation qui dure,
l’urgence salariale

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Les hausses de prix de janvier annoncent la couleur pour les mois à venir, rendant toujours plus nécessaire l’augmentation des salaires.

Cela fait partie des passages obligés, au même titre que la dinde aux marrons, le sapin de Noël ou la galette des rois : en cette période, les inventaires à la Prévert sur « ce qui change au 1er janvier » fleurissent invariablement dans la presse, brassant hausse du Smic et des produits de la vie quotidienne. Mais cette année, cet exercice prend un relief particulier, sur fond d’inflation galopante. En janvier, donc, les ménages savent déjà à quelle sauce ils vont être mangés. Ceux qui habitent en Île-de-France voient leur abonnement mensuel Navigo, nécessaire pour circuler dans les transports publics, grimper de 12 %, à 84,10 euros, tandis que le ticket à l’unité passe à 2,10 euros. Les conducteurs de tout le pays vont quant à eux devoir se passer de la ristourne générale sur les prix à la pompe décidée en 2022 par le gouvernement, remplacée par une indemnité de 100 euros réservée aux travailleurs les plus modestes (revenu fiscal annuel de référence inférieur à 14 700 euros par part) utilisant leur véhicule pour aller travailler. Les tarifs de l’énergie vont eux continuer à flamber (lire page 2).

Au-delà de cette liste, l’ensemble des prix devraient continuer de grimper en France dans les semaines à venir, si l’on en croit l’Insee : « L’évolution de l’inflation au cours des tout prochains mois dépend, entre autres, de celle des mesures de limitation des prix énergétiques et des fluctuations des cours du pétrole. La hausse programmée des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, ainsi que la fin de la remise à la pompe contribueraient à augmenter l’inflation d’ensemble, qui atteindrait 7 % sur un an en début d’année 2023. » L’institut anticipe un léger reflux à partir du printemps prochain, mais l’inflation arriverait malgré tout à 5,5 % en juin.

La théorie du gouvernement balayée par le FMI

Face à ces hausses, les smicards devront se contenter dans l’immédiat de 24 euros supplémentaires en début d’année, en vertu des mécanismes d’augmentation automatique, le gouvernement se refusant obstinément à revaloriser le salaire minimum. L’ensemble des salariés devraient voir leur fiche de paie augmenter en 2023, mais de manière insuffisante pour compenser l’inflation. Ainsi, l’Insee anticipe une baisse du pouvoir d’achat de 1,2 % au premier trimestre, puis 0,5 % au deuxième.

Néanmoins, l’exécutif continue de faire campagne contre une augmentation générale des salaires et leur indexation automatique sur les prix pour ne pas enclencher la fameuse spirale « prix-salaires ». Selon cette théorie, une hausse des rémunérations trop importante en période inflationniste entraîne mécaniquement une montée des prix qui incite les salariés à se battre pour de nouvelles augmentations qui alimentent à leur tour l’inflation, etc. Pourtant, cet effet boule de neige a été démenti de manière spectaculaire par le Fonds monétaire international (FMI), qu’on peut difficilement dépeindre en ramassis de gauchistes. En novembre, six économistes de l’institution ont publié une étude pour tester la véracité de cette hypothèse dans l’histoire récente. Verdict : après avoir étudié une quarantaine de pays depuis 1960, seuls 79 épisodes correspondent au scénario retenu. Par exemple, la fameuse spirale ne s’observe en France qu’à trois reprises (en 2001, 2008 et 2011), et encore, elle ne s’enclenche que durant quelques mois, sans être suivie d’une longue période inflationniste. Autant dire que le spectre de la « boucle » ne sert en réalité qu’à justifier des politiques de rigueur salariale et à inciter les patrons à rester inflexibles…

L’année 2022 a été marquée par de très nombreuses grèves pour un meilleur partage de la valeur ajoutée créée par les entreprises. Pour Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, il est à la fois probable et souhaitable que la situation se reproduise cette année. « Les augmentations de salaire (en 2022) n’ont pas été suffisantes, elles sont restées inférieures au taux d’inflation, rappelle-t-elle. En 2023, les effets de l’inflation risquent même d’atteindre les classes moyennes, donc je pense que cela va créer de gros mécontentements et que les mobilisations vont continuer. » Et la syndicaliste d’afficher la feuille de route pour les mois à venir : « Nous allons essayer – on n’a pas encore réussi – de créer des mobilisations massives pour obliger le gouvernement à prendre des mesures comme l’augmentation du Smic, des fonctionnaires et l’indexation de tous les salaires sur l’inflation. »

  publié le 1° janvier 2023

Faire vivre nos vœux en 2023

Les vœux de la CGT sur https://r.newsletter.cgt.f

J’ai bien l’impression que la magie de Noël restera au vestiaire encore cette année. Pourtant, on aurait bien besoin d’accrocher de nouvelles étoiles pas seulement dans le sapin ou sur un maillot.

Ni encouragement, ni consolation.

Macron et son gouvernement, avec l’aval de la droite et de l’extrême droite, précipite le pillage de la République sociale au profit du capital et de la finance.

Rêvons un peu, ça ne coûte rien !

Aussi, pour affronter l'année qui arrive, j'ai préféré faire ma liste au Père Noël plutôt qu'au père Cofidis.

Rêver, c’est imaginer le meilleur pour le monde d’après. C’est trouver de la force au milieu de toutes les raisons de désespérer. C’est rallumer la flamme pour dépasser nos colères. C’est forger le courage d'affronter l'adversité.

Partageons nos vœux et faisons-les vivre.

D’autant que nous sommes de plus en plus nombreux à nous battre pour un monde de paix, plus juste, plus solidaire, plus humain, plus fraternel.

Au cœur de ces combats, la CGT et ses militants s’engagent au quotidien à les renforcer et les élargir en partageant ses propositions pour rallumer les étoiles et organiser la mobilisation.

Car c’est en unissant nos vœux et nos forces que nous créerons le meilleur pour tous.

Bonne année de santé, de réussite et de bonheur à chacun·e d’entre vous.

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