PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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international & outre-mer  de juillet à décembre 2022

publié le 27 décembre 2022

Rue d’Enghien :
crime raciste ou
acte terroriste
anti-Kurdes ?

Pierre Barbancey et Gaël De Santis sur www.humanite.fr

L’attaque meurtrière de vendredi à Paris est-elle le fait d’un détraqué xénophobe ? Pour les Kurdes, cet attentat rappelle celui qui a tué trois militantes en 2013.

Des milliers de personnes ont manifesté samedi à Paris, Bordeaux, Strasbourg et Marseille pour rendre hommage aux six victimes, dont trois – une femme et deux hommes – abattues la veille devant le centre culturel kurde de la rue d’Enghien, dans le 10 e arrondissement de la capitale. Un hommage qui a malheureusement parfois dégénéré en incidents avec la police dans la capitale, expression aussi de la colère et de la douleur de la communauté kurde, de nouveau frappée.

L’auteur de la tuerie a été arrêté. Les autorités ont immédiatement voulu écarter toute autre thèse que des motivations racistes, alors que c’est bien le centre culturel kurde qui était visé. Depuis, le tueur a été placé en infirmerie psychiatrique.

Le tueur a-t-il visé les Kurdes ?

Alors que l’homme arrêté est présenté comme assoiffé du sang des étrangers en général, les trois personnes tuées sont des Kurdes. Elles n’ont pas été abattues dans une rue quelconque, mais devant le centre culturel kurde, là où se trouve le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F). Ce même quartier du 10 e arrondissement avait déjà été touché, dix ans auparavant : trois militantes avaient été assassinées. Autre élément troublant : au même moment, ce vendredi, devait se dérouler une réunion rassemblant plusieurs dizaines de militantes kurdes. Le massacre a été évité parce que cette réunion a été retardée de quelques heures. La première victime du tueur n’est autre qu’Emine Kara, une figure emblématique du Mouvement des femmes kurdes. En dépit de la proximité de commerces tenus par des ressortissants venus du continent africain, c’est dans un salon de coiffure kurde que l’homme s’est finalement engouffré, blessant trois clients avant d’être maîtrisé.

Pourtant, dès le départ, il est clairement apparu que les autorités, judiciaires et politiques ont tout fait pour écarter la thèse terroriste. Ainsi, le parquet national antiterroriste ne se sent pas concerné. On peut se demander pourquoi une telle célérité, qui procéderait du fait qu’à ses yeux les Kurdes n’étaient pas spécialement la cible du tueur. Étrange encore de voir avec quelle promptitude le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé – sans aucun élément d’enquête – que le suspect a « voulu s’en prendre à des étrangers ». Il ajoutait : « Il n’est pas sûr que le tueur qui a voulu assassiner ces personnes (…) l’ait fait spécifiquement pour les Kurdes ». Effectivement, « il n’est pas sûr ». Mais pour être sûr, encore faut-il ne négliger aucune piste. Celle-ci, visiblement ne l’intéresse pas.

Le tueur, qui a été interpellé et placé en garde à vue, a pourtant dit aux policiers qu’il voulait s’en prendre à la communauté kurde tout en évoquant sa «  haine des étrangers ». Raciste, il l’est très certainement. L’an dernier, il avait attaqué au sabre un camp de migrants, mais, assez paradoxalement, demeurait, selon le ministre de l’Intérieur, « inconnu des services de police ». Mais pourquoi les Kurdes ? La réponse à cette question est rendue d’autant plus difficile que sa garde à vue a été levée samedi et que l’homme a été placé en infirmerie psychiatrique. Selon la procureure, récemment sorti de prison pour avoir poignardé des cambrioleurs, il aurait d’abord voulu se rendre à Saint-Denis, mais, explique-t-elle, aurait finalement renoncé « à passer à l’acte, compte tenu du peu de monde présent et en raison de sa tenue vestimentaire l’empêchant de recharger son arme facilement ». D’après le ministère public, il aurait précisé « en vouloir aux Kurdes pour avoir constitué des prisonniers lors de leur combat contre Daech (l’“État islamique” – NDLR) au lieu de les tuer ». Ce qui, alors, ne constituerait plus un mobile raciste ordinaire.

Si, de l’infirmerie psychiatrique, il était finalement hospitalisé, il ne serait plus entendu et l’enquête se trouverait ralentie pour un temps indéterminé, alors que dans deux semaines les Kurdes et leurs amis entendent commémorer les 10 ans de l’assassinat de trois militantes kurdes en plein Paris.

Y a-t-il un lien avec les assassinats de 2013 ?

Dès la tuerie connue, vendredi, nombreux ont été ceux qui ont immédiatement pensé à ces trois meurtres. Fidan Dogan, Sakine Cansiz et Leyla Söylemez ont été elles aussi abattues d’une balle dans la tête. Il est trop tôt pour établir, ou non, un lien avec la nuit du 9 janvier 2013, mais les questions affluent, d’autant plus que ces meurtres n’ont jamais été totalement élucidés. L’assassin a bien été arrêté, mais il est mort de maladie en prison. Il avait des accointances avec les services de renseignements turcs, le MIT.

En revanche, les commanditaires ne sont toujours pas connus. Et pour cause : malgré les demandes de la juge d’instruction, dix ans après, la France refuse de lever le secret-défense qui permettrait d’avoir accès aux notes des services de renseignements français, dont les liens avec le MIT sont officiels. Une position politique qui n’incite pas à la confiance. Surtout, on peut se demander si une nouvelle attaque aurait eu lieu si les vrais responsables de ces meurtres avaient été démasqués. C’est pourquoi toutes les enquêtes devraient être menées sans négliger aucune piste.

Pourquoi la qualification terroriste n’a-t-elle pas été retenue ?

Le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) a appelé à ce que l’attaque de vendredi soit qualifiée par les enquêteurs de « terroriste ». Au sortir de son entrevue avec le préfet de Paris, Laurent Nuñez, Agit Polat, porte-parole du CDK-F (lire notre entretien en page 4), a déclaré : «  Le fait que nos associations soient prises pour cibles relève d’un caractère terroriste et politique. » Pour l’heure, le parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi de l’affaire. Le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, a dit tenir «  à rappeler la différence entre un crime raciste, qui est par nature odieux, et un acte terroriste. La différence, c’est l’adhésion ou pas à une idéologie politique revendiquée ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait lui déclaré que « le tueur a manifestement agi seul ».

Selon l’article 421-1 du Code pénal, certaines infractions et crimes (vol, homicide, séquestration, détention d’armes ou d’explosifs, etc.) sont qualifiés d’ « actes de terrorisme lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Au vu du moment de l’attaque, à l’heure où devait se tenir une réunion importante, il est surprenant que le but de « troubler l’ordre public par la terreur » ne soit pas retenu. En fait, le parquet prend également en compte d’autres faits : la personnalité du suspect, son idéologie. Le parquet de Paris a retenu la personnalité troublée du tireur, « dépressif, solitaire et taiseux », indique-t-il par communiqué, et établi qu’il voulait s’en prendre à des étrangers, d’où le caractère « raciste » retenu de son entreprise.

En écartant dès les premières heures la possibilité d’un acte terroriste ciblant les représentants kurdes, il semble évident que les autorités françaises cherchent à éviter de s’embourber sur une piste politique. Alors que trois militantes kurdes ont été abattues en plein Paris il y a dix ans, le refus de la France de lever le secret-défense concernant cette affaire empêche toujours de savoir qui sont les commanditaires.


 

 

 

Me Antoine Comte : « Quand on veut, on peut saisir le Parquet anti-terroriste »

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Pour Me Antoine Comte, l’avocat des familles des militantes kurdes tuées en 2013 à Paris, il est incompréhensible que le parquet antiterroriste ne soit pas déjà saisi dans l’affaire de la rue d’Enghien.


 

William M., l’homme de 69 ans, soupçonné d’avoir tué trois Kurdes et blessé trois autres personnes vendredi à Paris, a été mis en examen lundi pour “assassinat et tentative d’assassinat en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion, ainsi que pour acquisition et détention non autorisée d’arme”, et incarcéré. L’affaire a créé un émoi tout particulier dans la communauté kurde, qui s’appétait à célébrer le dixième anniversaire de l’assassinat de trois militantes kurdes, Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, le 9 janvier 2013, à Paris. L’avocat des familles de ces militantes, Me Antoine Comte, réagit à cette nouvelle attaque meurtrière contre les Kurdes, au cœur de Paris.

En apprenant ces assassinats du 23 décembre dernier, avez-vous tout de suite pensé à un mobile politique ?

Antoine Comte : On venait, trois jours plus tôt, le 20 décembre, d’avoir une réunion avec les juges d’instruction et les familles des trois femmes kurdes tuées en 2013. Nous avons eu, lors de cette réunion, des éléments nouveaux, attestant de la circulation d’escadrons de la mort turcs, en Autriche, en Allemagne, en Belgique… D’une manière générale, on sentait que le dixième anniversaire de ces assassinats avait créé une tension particulière. Pour la communauté kurde bien sûr, mais aussi dans d’autres sphères, disons… géopolitiques. En apprenant cette nouvelle attaque, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à celle de janvier 2013 et à l’idée d’une attaque ciblée.

Y a-t-il des éléments précis qui accréditent cette thèse de l’assassinat politique ?

Antoine Comte : Il faut être prudent, mais certains ont été évoqués, qui restent à vérifier : l’existence de cette réunion de militantes qui était prévue au moment de l’attaque et a été décalée, du fait des grèves dans les transports ; l’information selon laquelle l’assassin présumé a été déposé par une voiture… Il convient de recouper tout cela. Il y a dix ans, lors de l’assassinat des trois femmes kurdes, le procureur de Paris, François Molins, a immédiatement ouvert une information judiciaire du chef d’infraction terroriste. Je ne comprends pas que, dix ans après, sur des faits très similaires, on ne fasse pas la même chose et que le parquet national antiterroriste ne soit pas saisi. Quand on est au début d’une affaire pareille, qui par définition sème la terreur, on doit comme juriste utiliser les qualifications les plus larges, en l’occurrence celle pour « terrorisme », pour permettre les investigations les plus complètes. Ce n’est pas la décision qui a été prise, et c’est scandaleux. Car elle laisse entendre que pour des raisons politiques, on ne veut absolument pas mettre en cause, même de manière implicite, la politique turque.

Pour vous, c’est une décision politique, plus que juridique ?

Antoine Comte : On peut le penser oui, car la pression politique est très forte. Même s’il y a aussi, de mon point de vue, dans cette affaire, un dysfonctionnement judiciaire massif. Je ne comprends pas comment on a pu remettre en liberté cet individu, déjà plusieurs fois condamné, et qui n’était poursuivi que pour une qualification très légère, suite à son attaque d’un camp de migrants, l’an dernier (« violences avec ITT de moins ou plus de huit jours avec arme, avec préméditation et à caractère raciste et dégradations » - NDLR). On nous explique qu’il avait déjà fait un an de détention préventive, et qu’on ne pouvait pas faire autrement que le libérer. Mais on aurait tout à fait pu le poursuivre sur des bases plus lourdes, et le garder en détention plus longtemps. Par ailleurs, pourquoi n’a-t-il pas été inscrit dans des fichiers de radicalisation ?

Que vous évoque le profil de William M. ?

Antoine Comte : D’abord un racisme assassin, qui se répand malheureusement dans ce pays comme une traînée de poudre. Il y a dix ans, l’assassin des trois militantes kurdes n’avait même pas de passé judiciaire connu, et pourtant, les faits ont été d’emblée qualifiés de terroriste. Et par la suite, à l’issue de l’instruction, l’implication des services turcs a été prouvée. Là, alors que William M. a lui un lourd passé, le PNAT ne bouge pas. Pourtant, il pourrait chercher à savoir, par exemple, avec qui William M. a été détenu, pendant sa période de préventive. Cette pusillanimité du parquet est très troublante.

La procureure de Paris a justifié cette non-saisine par le fait qu’aucun élément ne liait le prévenu à “une idéologie extrémiste”. Vous le comprenez ?

Antoine Comte : Non. Quand on veut, on peut, en matière judiciaire. En 2013, M. Molins n’avait pas plus de preuves que la procureure aujourd’hui, et pourtant, il avait placé cette enquête sous la bannière de l’antiterrorisme. Je ne veux pas ouvrir toutes les portes pour le plaisir. Mais je ne voudrais pas que le parquet, lui, se ferme des portes. Par ailleurs, je trouve honteux, en tant que citoyen français, que mon pays ne soit pas capable de protéger des Kurdes qui se sont fait trouer la peau au nom de la coalition internationale, dans la lutte contre Daesh.


 


 

 

 

Un an avant la tuerie du centre culturel kurde, une attaque au sabre contre des exilés passée sous silence

Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Un an avant la tuerie rue d’Enghien visant la communauté kurde, l’assaillant s’en était pris à des exilés vivant sur un camp à Bercy, dans l’Est parisien. Au lieu d’être pris en charge et reconnus comme des victimes, ces derniers ont subi une garde à vue et la plupart d’entre eux sont restés livrés à eux-mêmes, malgré les traumatismes.

C’est une attaque raciste dont peu de gens ont entendu parler, malgré la gravité des faits. Il y a un peu plus d’un an, le 8 décembre 2021, un camp d’exilés situé à Bercy à Paris était attaqué au petit matin par un homme venu déverser sa haine des étrangers. Le même homme qui, vendredi 23 décembre 2022, tuait trois personnes kurdes et en blessait trois autres rue d’Enghien, dans le Xarrondissement, et qui admettait, après avoir été interpellé et placé en garde à vue, avoir agi ainsi parce qu’il était « raciste » et parce qu’il avait développé une « haine pathologique des étrangers ». Il a depuis été mis en examen et placé en détention provisoire.

L’an dernier pourtant, pas grand monde (hormis les associations d’aide aux migrants) ne s’était interrogé sur ses motivations alors qu’il avait attaqué, au sabre, des exilés qui survivaient sous des tentes, sur les hauteurs du parc de Bercy. « Il était 7 heures du matin quand cet homme a débarqué avec un sabre et a commencé à secouer les tentes dans lesquelles les exilés dormaient », raconte Paul Alauzy, chargé de projet à Médecins du Monde, qui faisait régulièrement des maraudes sur place et suivait ce camp, où étaient installées une soixantaine de personnes.

« Un Soudanais est sorti de sa tente et a aperçu le gars, qui ne l’attaque pas frontalement sur-le-champ mais fait semblant de faire du sport. » Selon Paul Alauzy, l’assaillant attaque ensuite l’exilé soudanais par-derrière, alors qu’il est en train d’uriner, avant d’être maîtrisé par trois personnes vivant sur le camp qui le « frappent avec une branche pour lui faire lâcher son arme ». « Après les faits, plusieurs des victimes ont confié l’avoir entendu tenir des propos racistes durant l’attaque, comme “marre des étrangers” ou “dehors les étrangers” », poursuit Paul Alauzy, se référant aux témoignages qu’il a recueillis après le drame. Il évoque un « traumatisme énorme » pour les rescapés, « qui ont vu le sang et ont entendu les cris ».

Sur des photos que Mediapart a pu se procurer, le sabre utilisé par l’agresseur, long d’un mètre environ, gît sur le sol ; tandis qu’à quelques mètres de là, toujours sur les lieux du drame, la dalle en béton a eu le temps d’absorber des taches de sang. Une vidéo tournée ce jour-là et que nous avons pu visionner montre plusieurs véhicules de police et un camion de pompiers s’affairer sur place, ainsi qu’une silhouette allongée dans l’herbe, enveloppée d’une couverture de survie dorée.

Quatre exilés placés en garde à vue, dont un menacé d’expulsion

« Beaucoup étaient venus se réfugier chez nous après le drame. Ils étaient tous en état de choc », se souvient Cloé Chastel, à l’époque cheffe de service de l’accueil de jour géré par l’association Aurore – un lieu, situé quai d’Austerlitz, où peuvent venir se reposer, en journée, les demandeurs d’asile et réfugiés dans le Sud-Est parisien. Mais quatre exilés ont été interpellés et placés en garde à vue, explique-t-elle, tandis que l’agresseur, William M., a été transféré à l’hôpital pour une blessure à la main.

Ils sont restés en garde à vue durant deux jours avant d’être déférés devant le juge pour « violences en bande organisée », confirme à Mediapart l’avocate qui a défendu deux des exilés concernés. Le juge les a finalement libérés et placés sous le statut de témoins assistés. Cloé Chastel, qui a suivi la situation dans les jours qui ont suivi l’attaque, dit ne pas comprendre. « Ils ont été gardés à vue sans explications alors qu’ils venaient d’être agressés. Ils nous ont dit que dans un premier temps, la police a considéré qu’ils étaient tous sans-papiers, alors qu’il y avait deux réfugiés et un demandeur d’asile dans le lot. »

Le quatrième homme, âgé de 31 ans au moment des faits et originaire du Maroc (le seul à être sans-papiers), s’est vu délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai à l’issue de sa garde à vue. Dans le document daté du 9 décembre 2021, la préfecture de police de Paris indique que « le comportement de l’intéressé a été signalé aux services de police le 8 décembre [soit le jour de l’attaque au sabre – ndlr] pour violences volontaires avec arme et en réunion » et que « ces faits constituent une menace pour l’ordre public ».

Pour contester cette décision dans les délais (sous 48 heures), l’avocat de permanence ce jour-là saisit le tribunal administratif et pointe une « erreur manifeste d’appréciation ». « Le préfet a retenu contre Monsieur […] que son comportement avait été signalé par les services de police pour violence avec arme et en réunion alors même qu’il est victime d’une tentative de meurtre avec arme dans ce dossier. Le juge d’instruction a confirmé qu’il avait placé Monsieur […] sous le statut de témoin assisté », souligne-t-il.

Et d’ajouter : « Non seulement il n’est pas mis en examen mais de plus, tout éloignement sans délai méconnaîtrait son droit au juge conventionnellement et constitutionnellement garanti. »

Un rassemblement de soutien réprimé

Après avoir été libérés, les exilés – comme les autres habitants du camp – se seraient de nouveau retrouvés à la rue selon Cloé Chastel, dont la structure a fait intervenir une cellule psychologique pour les victimes et témoins de la scène. « On les a raccompagnés sur le camp et on a demandé à ce qu’il y ait une présence policière, en vain. Ils avaient très peur de rester sur place. L’une des victimes, un réfugié soudanais, avait déjà des troubles psy que l’attaque est venue aggraver. Il s’est mis à dormir dans les bouches de métro tant il était terrorisé. »

Paul Alauzy, de Médecins du Monde, se souvient aussi d’un jeune homme tombé en pleurs dans les bras de sa collègue. « Ils n’ont pas fui des conflits en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan pour revivre ça ici », déplore celui dont l’organisation, avec d’autres associations d’aide aux exilés, a voulu se rassembler dans le parc de Bercy, au lendemain de l’attaque, pour « soutenir » et « rassurer » les exilés, mais aussi pour réclamer aux autorités une mise à l’abri de ces personnes, avec des solutions d’hébergement.

Mais à leur arrivée à Bercy en début de soirée, les travailleurs sociaux, bénévoles associatifs et traducteurs ont vite été nassés par les CRS et la Brav-M (voir ce tweet), qui ont considéré que le rassemblement n’était pas déclaré. « On a essayé de parlementer calmement avec eux, en expliquant qu’on venait en soutien après l’attaque raciste, mais ils nous ont contrôlés puis verbalisés », s’étonne encore Paul Alauzy. « On pensait qu’ils venaient là pour les protéger et ils voulaient juste nous verbaliser, alors qu’on était là dans le cadre de notre travail. C’est scandaleux et c’est d’une violence incroyable », complète un autre.

Au moins 19 personnes de différentes organisations (Aurore, Utopia 56, Médecins du Monde, Paris d’exil ou Solidarité Migrants Wilson) ont reçu une amende d’un montant de 135 euros ce jour-là, « pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique ».

« À la veille de Noël, envoyer des amendes aux associatifs venus aider les personnes exilées victimes d’une attaque raciste et contraintes de vivre dans des conditions indignes sous des températures négatives… Un vrai révélateur du cynisme avec lequel l’accueil est pensé », tweete alors Médecins du Monde.

La majorité des exilés sont restés à la rue, sans prise en charge

Selon plusieurs témoins, les exilés ont pu rester en dehors de la nasse. Mais Paul Alauzy et sa collègue Clothilde Collomb sont interpellés et placés en garde à vue : « On nous a emmenés au commissariat du XIIarrondissement, fouillés et intimidés. Un agent de police est même venu me voir en me demandant si je comptais faire venir tous les migrants en France, et si mon travail se résumait à ça », relate Paul Alauzy. Tous deux sont finalement relâchés au prétexte que l’officier de police judiciaire « ne peut les recevoir ».

Beaucoup des exilés vivant sur ce camp ont disparu dans la nature. Selon nos informations, certaines des victimes seraient toujours à la rue, d’autres vivraient en squat. Mais nos efforts n’ont pas permis de les retrouver. Seul un monsieur de nationalité soudanaise (celui qui a été le plus grièvement blessé au moment des faits), âgé d’une quarantaine d’années, a pu bénéficier du suivi social de la Ville de Paris, par l’intermédiaire de Ian Brossat, élu en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et la protection des réfugiés, et a obtenu un logement dans une résidence sociale à Paris. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite.

Deux autres hommes ont été orientés, grâce à l’intervention du centre d’accueil de jour Aurore une semaine après l’attaque, vers un hébergement d’urgence de type hôtel, à Paris, sans qu’on ne sache ce qu’ils sont devenus depuis.

Un an de détention provisoire

Après cette attaque, William M., qui est aussi l’auteur de la tuerie plus récente rue d’Enghien à Paris, a été mis en examen le 13 décembre 2021 pour « violences avec ITT de moins ou plus de huit jours avec arme, avec préméditation et à caractère raciste et dégradations » et placé en détention provisoire.

Il a été libéré le 12 décembre dernier, au bout d’un an, car l’infraction retenue contre William M. pour cette attaque était passible d’une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement et celui-ci ne pouvait ainsi pas être détenu provisoirement pendant plus d’un an. Si la justice avait par exemple retenu la qualification de « tentative de meurtre », l’auteur présumé serait peut-être toujours derrière les barreaux.

Placé sous contrôle judiciaire, William M. a été astreint, selon le parquet de Paris, à une interdiction de contact avec les victimes, une obligation de soins psychiatriques et une interdiction de détenir et porter une arme, ce qui ne l’a pas empêché d’en obtenir une pour attaquer la communauté kurde, seulement douze jours après sa libération.

« Ce qui est choquant dans tout ça, c’est le traitement raciste de cette histoire autour de l’attaque du camp à Bercy. Si l’agression avait été prise au sérieux à l’époque, on aurait peut-être évité la mort des personnes kurdes vendredi dernier », estime Cloé Chastel.

William Dufourcq, responsable associatif ayant suivi l’affaire à cette période, se dit choqué par l’attitude de la police, qui a, à ses yeux, « stigmatisé et persécuté les exilés alors qu’ils étaient victimes ». « À cause d’un filtre raciste, la police a mis au même niveau l’agresseur et les victimes. Le traitement aussi léger de cette attaque par les forces de l’ordre est clairement lié à la couleur de peau des personnes agressées », dénonce-t-il, estimant que si les victimes avaient été blanches, « il y aurait eu un vrai suivi psy de l’assaillant » et le « système judiciaire aurait traité les choses différemment ». « On n’aurait pas eu le drame rue d’Enghien. »

publié le 23 décembre 2022

Le tueur de la rue d’Enghien en mission contre les militants kurdes ?

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Selon les informations recueillies par l’Humanité, l’homme aurait été déposé par une voiture devant le siège du Conseil démocratique kurde de France (CDKF) alors que devait se tenir une réunion d’une soixantaine de femmes kurdes, finalement décalée d’une heure au dernier moment. Un massacre a été évité. Qui aurait renseigné le tueur ?

La tuerie qui s’est déroulée ce vendredi rue d’Enghien, dans le Xe arrondissement de la capitale serait-elle le fait d’un homme un peu détraqué, dont les motifs devraient être recherchés dans le racisme et la xénophobie ? L’homme arrêté, William M., 69 ans, ancien conducteur de train, est connu de la justice pour deux tentatives d’homicide commises en 2016 et décembre 2021.

Selon la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, l’homme serait connu pour «  des faits en Seine-Saint-Denis où il serait passé récemment en jugement, aurait été condamné, mais à la suite de la condamnation un appel aurait été interjeté par le parquet ». Il est aussi  « lié à des faits qui se sont passés du côté de Bercy à Paris », a poursuivi la magistrate. Les faits visés concerne l’attaque d’un camp de migrant le 8 décembre 2021 dans le parc de Bercy (XIIe arrondissement), qui avait bléssé deux personnes à l’arme blanche.

Il avait été mis en examen pour violences avec arme avec préméditation à caractère raciste ainsi que pour des dégradations. Il avait ensuite été placé en détention provisoire avant d’être remis en liberté le 12 décembre dernier.

Le tireur aurait été déposé en voiture devant le centre kurde

Selon Gérald Darmanin, l’homme serait en revanche inconnu des fichiers du renseignement territorial et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ni « fiché comme étant quelqu’un d’ultradroite » il a par ailleurs précisé que le suspect fréquentait un stand de tir et avait décalré de nombreuses armes en préfecture. Le parquet national antiterroriste et ses services sont venus sur place mais il n’y a  «aucun élément qui privilégierait la nécessité de leur saisine», a très vite conclu la procureure. Une enquête a été ouverte des chefs d’assassinat, tentative assassinat, violences volontaires avec armes et infraction à la législation sur les armes, a-t-elle précisé. 

Or, de nombreux éléments laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une attaque non pas dirigée contre de simples étrangers, mais au contraire d’un acte politique visant explicitement non seulement les Kurdes mais plus directement le Conseil démocratique kurde de France (CDKF). Selon les éléments que nous avons pu recueillir, une voiture aurait déposé William G. devant le siège du CDKF. Il est descendu d’un véhicule, son arme à la main, à l’heure même où devait se tenir une importante réunion de femmes kurdes pour préparer les manifestations du 4 et du 7 janvier, commémorant le 10e anniversaire de l’assassinat de trois militantes kurdes (Fidan Dogan, Sakile Cansiz et Leyla Soylemez) en plein Paris, le 9 janvier 2013, et dont les commanditaires ne sont toujours pas identifiés.

Une réunion d’une soixantaine de militantes kurdes était prévue

Difficile de croire au hasard. Une soixantaine de militantes kurdes devaient être là, sur ces mêmes marches, ce vendredi, lorsque l’assassin a fait feu sur les quelques personnes présentes. L’assassin connaissait-il la date et l’heure de la réunion ? Il ne savait pas que celle-ci avait été décalée dans la matinée à cause de problèmes de RER et ne devait démarrer qu’une heure plus tard. Un massacre a été évité, bien qu’il se soit ensuite tourné vers le restaurant kurde, situé de l’autre côté de la rue puis vers un salon de coiffure attenant.

Le centre kurde n’était pas protégé par la police

Berivan Firat, porte-parole des relations extérieures du CDKF ne retient pas sa colère ni sa tristesse. « Nous sommes à la veille du 9 janvier. Il y a dix ans trois femmes Kurdes étaient assassinées. C’est encore une attaque visant des femmes. Qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit seulement d’un acte raciste. Si les commanditaires des meurtres du 9 janvier 2013 avaient été démasqués (seul le tueur a été identifié mais aujourd’hui décédé, N.D.L.R.) , la tuerie d’aujourd’hui ne se serait pas produite. »

Malheureusement, malgré les demandes de la juge d’instruction chargée du dossier, le secret-défense n’a jamais été levé par la France. Or, les relations entre les services de renseignements turcs, le MIT, et français, la DGSI, sont au beau fixe. Comme le fait remarquer la porte-parole des relations extérieures du CDKF, « on criminalise les Kurdes au lieu de les protéger et on encourage Erdogan ». De fait, le centre du CDKF n’était pas sous surveillance policière malgré les menaces venant de toutes parts.

Le meurtrier de Fidan, Sakile et Leyla avait été fiché par la DGSI en janvier 2012 soit un an avant les assassinats sans que cela n’éveille la curiosité des autorités françaises. Celles-ci ont pourtant « le devoir moral de protéger les Kurdes qui ont versé leur sang pour battre l’État islamique à Kobané », souligne Berivan Firat.

Sur Twitter, le CDKF a publié un appel à manifester samedi à midi, place de la République à Paris.

  publié le 20 décembre 2022

Tunisie. Le peuple inflige
un camouflet
au président Kaïs Saïed

Nadjib Touaibia sur www.humanite.fr

L’opposition dénonce le « fiasco » des législatives, marquées par un taux d’abstention de plus de 92 %. La légitimité du chef de l’État, artisan d’un verrouillage institutionnel depuis son coup de force de juillet 2021, est un peu plus ébranlée.

Sans surprise, les Tuni­siens ont massivement boudé les urnes, samedi 17 décembre, lors du premier tour des élections législatives. L’abstention est historique, du jamais-vu depuis la révolution de 2011. Quelque 803 000 électeurs seulement sur 9 millions ont fait usage de leur bulletin de vote, soit une participation de 8,8 %. La nouvelle Assemblée de 161 députés doit remplacer celle que Kaïs Saïed avait gelée le 25 juillet 2021, après des mois de tension avec l’exécutif et le parti islamiste Ennahdha, qui dominait le Parlement.

Le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker, a justifié ce faible score par « l’absence totale d’achats de voix (…) avec des financements étrangers ». Le chef de l’État avait lancé un appel aux électeurs dès l’ouverture du scrutin. Il n’a pas été entendu. L’opposition dresse le constat d’un fiasco et estime qu’il n’est plus légitime. « Ce qui s’est passé aujourd’hui est un tremblement de terre », a déclaré Ahmed Nejib Chebbi, le leader du Front de salut national (FSN), une coalition de partis comprenant les islamistes d’Ennahdha. « À partir de ce moment, nous exigeons que Saïed démissionne », a-t-il ajouté. Les Tunisiens sont invités à des « manifestations et des sit-in massifs » pour exiger une nouvelle élection présidentielle.

Le pouvoir du Parlement très amoindri

Ces élections sont « inutiles », avait déclaré de son côté la puissante centrale syndicale UGTT, exprimant ainsi un sentiment général. L’organisation pointe précisément les conséquences de la réforme constitutionnelle approuvée par référendum le 25 juillet. Ces aménagements ont instauré un régime hyperprésidentiel et privent le Parlement de toutes ses prérogatives. « Nous estimons que ce texte constitue une profonde régression, voire un retour au Moyen Âge, (…) il ne garantit pas le rôle des partis politiques et leur liberté de débat autour des questions politiques, économiques, sociales, environnementales », avait déclaré à l’Humanité le secrétaire général de l’organisation, Noureddine Taboubi, à propos de la Constitution. La centrale, qui avait approuvé dans un premier temps le coup de force opéré par le président, avait fini par dénoncer « la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne et l’amendement des textes législatifs en s’appuyant sur des décisions unilatérales ». L’UGTT n’a pas officiellement appelé au boycott du scrutin, mais sa position n’a pas été sans effet sur l’électorat en raison de sa forte audience dans le monde du travail et dans la société civile.

La plupart des partis politiques, islamistes d’Ennahdha en tête, ont en revanche ouvertement boycotté l’élection d’un Parlement au pouvoir législatif considérablement amoindri. Les 1 055 candidats, dont très peu de femmes (moins de 12 %) et une forte proportion d’enseignants et de fonctionnaires, n’ont pas suscité d’intérêt.

La grave crise économique est l’autre facteur de la forte abstention. Les Tunisiens doivent affronter au quotidien des pénuries persistantes de produits de première nécessité. « S’appro­visionner est un parcours du combattant. Le lien de confiance a été rompu. La popularité de Kaïs Saïed est en train de s’effondrer », commente un militant associatif joint au téléphone. Selon lui, l’UGTT pourrait bien désormais durcir le ton à l’égard du chef de l’État. 


 


 


 

Après l’abstention massive
aux législatives, la Tunisie
dans une impasse politique

Lilia Blaise sur www.mediapart.fr

Le président Kaïs Saïed, qui monopolise les pouvoirs depuis un an, affronte une crise de légitimité après le taux d’abstention record (89 %) au scrutin qui lui aurait permis de poursuivre son projet politique. Selim Kharrat, politologue, explique les raisons de ce désaveu populaire.

Tunis (Tunisie).– La Tunisie connaît une nouvelle crise politique après l’abstention record, à près de 89 %, au premier tour des élections législatives du samedi 17 décembre – les premières depuis la prise de pouvoir de Kaïs Saïed le 25 juillet 2021. Le président a dissous le Parlement en mars 2022 et modifié la Constitution vers un régime plus présidentiel, plébiscité par référendum en juillet dernier. Depuis sa prise de pouvoir, fortement soutenue par une population lassée des crises politiques, l’opposition et la société civile alertent sur les risques d’une dérive autoritaire.

Aujourd’hui, avec la crise économique et une inflation galopante (9,8 %), le président est confronté à une crise de légitimité qui affecte aussi bien son projet politique que son soutien populaire. Avec seulement 11,22 % de taux de participation pour 9 millions d’électeurs et électrices inscrits, c’est une minorité qui s’est déplacée aux urnes samedi pour élire un Parlement censé mettre en œuvre les premières étapes du système de démocratie par le bas de Kaïs Saïed. Ce nouveau système, basé sur un pouvoir présidentiel fort et la présence de deux chambres, l’assemblée parlementaire et l’assemblée des régions et des districts (qui doit être élue via un scrutin indirect en 2023), est en rupture totale avec le régime semi-parlementaire qui a prévalu après la révolution de 2011.

Le futur Parlement, aux pouvoirs très restreints, est basé sur des représentations individuelles et non plus sur des candidats de listes de partis politiques. Un système qui peine à susciter l’adhésion. Ce désaveu populaire des Tunisien·nes pour les urnes plonge le pays dans une nouvelle crise : l’opposition réclame la démission du président et l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Une instabilité que peut difficilement se permettre la Tunisie, qui est aussi en train de négocier un prêt de 1,9 milliard de dollars auprès du Fonds monétaire international, pour résorber, en partie, un déficit budgétaire paralysant.

Selim Kharrat est politologue et président de l’ONG Al Bawsala, née après la révolution et qui a observé pendant toutes les mandatures le travail parlementaire. Elle avait annoncé avant le scrutin qu’elle boycotterait le travail du nouveau Parlement pour éviter de « conférer une légitimité à une organisation fictive qui sera instaurée uniquement dans le but de soutenir les orientations du président de la République ».

Mediapart : Quelles sont les raisons d’un taux de participation aussi faible à des élections démocratiques en Tunisie, douze ans après la révolution ?

Selim Kharrat : Plusieurs causes peuvent être citées : tout le processus qui a précédé ces législatives était peu inclusif, ce qui a poussé l’écrasante majorité des partis politiques à boycotter ces élections. Ensuite, le futur Parlement est vidé de ses pouvoirs, notamment celui de contrôle sur l’exécutif, ce qui enlève tout enjeu à ces élections. Enfin, le contexte économique, social et politique des plus tendus a beaucoup joué.

Nous nous sommes retrouvés avec très peu de candidats, 1 058 pour 161 circonscriptions, dont 12 % de femmes. Les programmes politiques étaient très centrés sur les affaires locales, à cause du nouveau découpage des circonscriptions, ce qui a rajouté à la confusion des électeurs, supposés élire des législateurs. Les médias ont été pour la majorité muselés à cause des règles de couverture médiatique drastiques. Autant de facteurs qui ont causé une très faible participation le jour du vote.

Mais surtout, et c’est la cause la plus importante, le message des Tunisiens est clair : en s’abstenant en masse, ils expriment un fort rejet du projet personnel du président et aussi du processus qui a été entamé par le président depuis le 25 juillet 2021. C’est révélateur de la crise de confiance qui s’accentue énormément en Tunisie. Les Tunisiens n’arrivent plus à voir un acteur politique capable d’apporter des réponses pertinentes à leurs préoccupations du quotidien.

Kaïs Saïed avait bénéficié d’un capital confiance lors de sa prise de pouvoir, il y a plus d’un an. Il aurait pu engager des réformes pressantes, comme dans le domaine de la corruption ou de la justice fiscale, il a préféré implémenter son projet personnel sans consulter personne.

Après deux jours de silence, Kaïs Saïed s’est brièvement exprimé dans un communiqué publié lundi soir sur la page Facebook de la présidence, et explique que le taux de participation ne doit pas se mesurer seulement sur le premier tour. Comment interprétez-vous sa réaction, alors que l’opposition appelle à sa démission ?

Selim Kharrat : Kaïs Saïed est complètement dans le déni, ce qui n’est pas rassurant pour la suite. Ses arguments – à savoir le fait de devoir attendre le second tour–  pour justifier le boycott des Tunisiens sont très faibles et ne peuvent être entendus. Cela risque de rendre la situation encore plus tendue car vraisemblablement, il ne veut pas renoncer à son projet malgré le rejet clair des électeurs.

Autre camouflet pour Kaïs Saïed : très peu de candidats qui le soutenaient explicitement sont passés dès le premier tour (comme Ahmed Chaftar, l’un des architectes de son projet politique et candidat dans la ville de Zarzis, au sud), ce qui confirme encore une fois le rejet de son projet de manière spécifique par les rares personnes qui se sont déplacées le jour du vote. Nous n’avons même pas assisté à une mobilisation de ceux qui l’ont soutenu puisque lors du référendum constitutionnel du 25 juillet dernier, il y avait eu 30,5 % de taux de participation.

Aujourd’hui, l’opposition appelle à la démission du président et à l’annulation du second tour. Quel poids a-t-elle dans le débat ?

Selim Kharrat : Les attaques de l’opposition ont été assez rapides et claires : remettre en question la légitimité de Kaïs Saïed, car la base légale et institutionnelle de sa légitimité était déjà fragile, puisqu’il a pris le pouvoir par un coup de force le 25 juillet 2021. Donc c’est exactement le message politique qu’il faut adresser dans de telles circonstances. Dans n’importe quel autre pays démocratique, le président aurait démissionné dès l’annonce des résultats préliminaires. Après, le poids de l’opposition n’est pas si fort car, jusqu’à maintenant, elle peine à se rassembler et même ses appels au boycott du scrutin ne sont pas la seule raison de la désaffection des électeurs le 17 décembre.

L’opposition multiplie les appels aux Tunisiens pour se mobiliser, sans réellement rien leur proposer de concret et de viable, ni un projet politique alternatif. Donc je ne suis pas sûr qu’elle ait un impact populaire et c’est là tout le blocage de la situation tunisienne. Nous avons d’un côté un dirigeant et un régime qui n’ont plus de légitimité, ni de crédibilité mais, de l’autre côté, un vide sidéral en termes de proposition politique.

Quels sont les scénarios possibles face à cette crise de légitimité que connaît Kaïs Saïed ?

Selim Kharrat : Étant donné que le président de la République a changé la Constitution et a verrouillé les modalités de destitution du président, très peu de choses sont possibles à l’heure actuelle sur le plan légal et constitutionnel. C’est pour cela que certains acteurs appellent à la mise en place d’une cour constitutionnelle, mais celle qui est prévue par la nouvelle Constitution ne présente pas de garanties d’indépendance, donc ce n’est pas forcément une solution. Nous sommes donc dans une impasse.

Au regard de sa réaction au taux de participation, Kaïs Saïed va continuer de s’entêter et ne voir que sa propre vérité, au risque de s’isoler davantage et de se couper complètement de la société tunisienne. Je pense que l’on s’apprête à vivre des mois assez tendus, à moins que Kaïs Saïed ne s’ouvre enfin au dialogue. Nous ne sommes pas encore complètement arrivés à un rejet du personnage de Kaïs Saïed au sein de la population, mais son bilan est clairement attaqué.

publié le 19 décembre 2022

Ukraine.
300 jours de guerre,
une paix toujours bloquée

Vadim Kamenka et Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Guerre en Ukraine Depuis que la Russie a envahi son voisin, il y a dix mois, les points de blocage demeurent extrêmement nombreux pour sortir du conflit. Les populations en payent le prix fort.

Lancée le 24 février, l’invasion de l’Ukraine dure depuis 300 jours. Lundi, une nouvelle attaque aérienne russe a visé des infrastructures de la capitale Kiev et une dizaine de régions. « Toute la nuit, des drones ennemis tentaient de frapper des sites énergétiques », entraînant « une situation difficile pour le système énergétique » et des « coupures d’électricité », a indiqué l’opérateur national Ukrenergo sur Telegram. De son côté, le ministère de la Défense russe assure que ces frappes visent les installations militaires et énergétiques afin de perturber « le transfert d’armes et de munitions de production étrangère ». Moscou a également dénoncé les frappes ukrainiennes qui ont touché la ville de Donetsk et un de ses hôpitaux, mais aussi la région russe de Belgorod.

Avec 200 000 pertes militaires et des dizaines de milliers de morts de civils, le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Dans le Donbass, où le conflit dure depuis 2014, survivre reste l’essentiel. L’hiver et le durcissement des affrontements rendent le quotidien des habitants insoutenable. Durant cette période, aucune trêve n’est en discussion (lire l’encadré). « Aucune proposition n’a été formulée par qui que ce soit, ce sujet n’est pas à l’ordre du jour », a encore répété le porte-parole du Kremlin, le 14 décembre. Faute de cessez-le-feu, quels sont les points de blocage pour amorcer un processus de paix ?

Les dix points ukrainiens

Depuis dix mois, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, affiche sa détermination à repousser la Russie et à la vaincre. Une nouvelle proposition a été évoquée par les autorités ukrainiennes à plusieurs reprises ces dernières semaines. Au G20, le chef de l’État a présenté ses dix points : intégrité territoriale de l’Ukraine, réparations, justice internationale, échanges de prisonniers et déportés, prévention militaire, sécurité nucléaire, alimentaire et énergétique, environnement…

Le premier point d’achoppement reste donc le retrait des troupes russes. Le président Volodymyr Zelensky revendique « le contrôle de l’Ukraine sur toutes nos frontières » et que « la Russie (réaffirme) l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans le cadre des résolutions de l’ONU », c’est-à-dire dans les frontières de 1991. Cette précision a été accueillie par les autorités russes comme une volonté de ne pas négocier. Pour Moscou, il apparaît impossible d’abandonner la Crimée et les deux Républiques autoproclamées du Donbass : Donetsk (DNR) et Lougansk (LNR). « Bien entendu, il y a les populations sur place, qui ont essuyé près de neuf années de conflit. Sans obtenir un statut particulier, cela risque de se prolonger. Moscou a aussi un intérêt stratégique comme le contrôle de la mer Noire et de la mer d’Azov », analyse un journaliste russe qui doute d’un tel compromis.

Moscou et des objectifs flous

« L’Ukraine, tant de facto que de jure, ne peut pas et ne veut pas négocier. Les objectifs de la Fédération de Russie seront réalisés par la poursuite d’une opération militaire spéciale », a réaffirmé, fin novembre, Dmitri Peskov, le porte-parole de la présidence russe. Une énième sortie qui interroge sur les buts de la guerre. « Dénazifier l’État ukrainien » et « protéger les personnes victimes de génocide de la part de Kiev » font partie des formulations initiales de Vladimir Poutine en février. Dernièrement, les référendums dans quatre régions (Lougansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson) pour le rattachement à la Russie, la menace de l’emploi de l’arme nucléaire ou les bombardements sur des infrastructures ukrainiennes interpellent. Ces attaques « pour une bonne partie d’entre elles, ce sont des crimes de guerre, elles (visent) des infrastructures civiles, des civils eux-mêmes (…) Ça n’est pas la nature de l’opération spéciale qu’il avait lancée », qui était une « conquête territoriale », a condamné Emmanuel Macron. Certains redoutent de nouvelles offensives, le pouvoir russe souhaitant éviter de subir une guerre désastreuse pour son opinion. « Nous sommes dans une phase préliminaire. Les Russes, pour des raisons évidentes, ont intérêt à la négociation. Ces pourparlers n’auront pas lieu avant un nouveau test du rapport des forces militaires où, si les Russes s’effondrent, les Ukrainiens seront tentés de pousser encore plus leur avantage », constate Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Des garanties de sécurité

Début décembre, Emmanuel Macron semble prononcer un « gros mot ». Il estime que le moment venu, il conviendra d’accorder « des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra autour de la table des négociations ». Des propos qui troublent Kiev, mais aussi les partenaires occidentaux. À l’heure où, au mépris du droit international, l’armée russe contrôle près de 17 % du territoire ukrainien, cette position est inaudible. Mais, au moment de la sortie de conflit, la question se posera inévitablement. Surtout s’il faut une monnaie d’échange pour que Moscou accepte de se retirer de territoires ukrainiens autrement que par la force.

En décembre 2021, Vladimir Poutine avait demandé le respect de la promesse faite par les Occidentaux lors de la dissolution de l’URSS. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ne devait pas s’élargir davantage à l’Est, prévenait-il. Par ailleurs, Moscou demandait aussi que des troupes de l’Alliance atlantique ne soient pas positionnées dans les anciens pays de l’Est. Organiser la paix en Europe passe par des assurances pour la Russie. « Ma sécurité n’est jamais garantie si la sécurité des autres n’est pas garantie », rappelait Reiner Braun, du Bureau international de la paix (IPB), lors du Forum de la gauche, à Athènes, en octobre.

L’Ukraine aussi a besoin de gages de sécurité de la part du Kremlin. L’invasion de son territoire piétine le mémorandum de Budapest, signé en 1994, par lequel Kiev renonce à l’arme nucléaire. En échange, la Russie le Royaume-Uni et les États-Unis s’engagent à garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. De même, les pays européens peuvent signifier leur mécontentement face à l’installation d’ogives nucléaires russes en Biélorussie, au moment du déclenchement du conflit.


 

Cessez-le-feu : pacifistes russes et ukrainiens appellent à une trêve de noël

Une trêve de Noël : voilà le souhait de Yurii Sheliazhenko, secrétaire exécutif du Mouvement pacifiste ukrainien, et d’Oleg Bodrov, membre russe du Bureau international de la paix. Les deux progressistes ont rédigé un appel à un cessez-le-feu en Ukraine du 25 décembre au 7 janvier, « en signe de notre humanité partagée, de réconciliation et de paix ». Il a été soutenu par de nombreuses organisations internationales dont le Mouvement de la paix. Cette revendication s’adresse aux « dirigeants des parties belligérantes : faites taire les armes. Donnez aux gens un moment de paix et, par ce geste, ouvrez la voie aux négociations ». Les deux auteurs rappellent que « la trêve de Noël de 1914, en pleine Première Guerre mondiale, a été un symbole d’espoir et de courage, lorsque les citoyens des pays en guerre ont organisé un armistice de leur propre autorité et se sont unis dans une réconciliation et une fraternisation spontanées ».

Un cessez-le-feu immédiat est prioritaire. Pourquoi ? « Car la trêve est le premier pas vers la paix, estiment les deux militants. Ensemble – nous en sommes convaincus – nous pouvons vaincre le cycle de la destruction, de la souffrance et de la mort. » Ils apostrophent « la communauté internationale à soutenir fermement et à favoriser un nouveau départ des négociations entre les deux parties ». Car « notre vision et notre objectif sont de créer une nouvelle architecture de paix pour l’Europe qui inclut la sécurité pour tous les pays européens en se fondant sur le principe de la sécurité commune ».

  publié le 18 décembre 2022

Israël a expulsé l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le juriste a été placé dans un avion en direction de Paris, dimanche, aux premières heures de la journée. La mère de Salah avait écrit à Emmanuel Macron pour qu’il intervienne et empêche cette expulsion, visiblement sans résultats. "J'ai changé d'endroit mais le combat continue" a-t-il déclaré à son arrivée à l'aéroport parisien de Roissy".  "Aujourd'hui, je sens que j'ai une responsabilité énorme pour ma cause et mon peuple. On ne lâche pas la Palestine. Notre droit c'est de résister", a-t-il ajouté. 

Le ministère israélien de l’Intérieur, vient d’annoncer l’expulsion de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, en détention administrative depuis le mois de mars - c’est-à-dire sans accusations formelles. Salah Hamouri «a été expulsé ce matin vers la France à la suite de la décision de la ministre de l’Intérieur Ayelet Shaked de lui retirer son statut de résident», a indiqué le ministère israélien de l’Intérieur dans un communiqué.

Né à Jérusalem, Salah Hamouri, doit pourtant, comme tous les Palestiniens de la partie occupée de la ville, posséder une autorisation de résidence. Celle-ci lui avait retiré. Une mesure contestée et suspendue, qui devait être examinée par la Cour suprême israélienne en février prochain. Mais en réalité, les autorités israéliennes entendaient expulser Salah Hamouri au plus vite. Salah Hamouri avait appris fin novembre qu’il allait être expulsé en décembre vers la France. Mais son expulsion avait été reportée à la suite d’audiences devant la justice militaire, ses avocats remettant en cause son ordre d’expulsion et aussi la révocation de son statut de résident de Jérusalem-est. Début décembre, ces mêmes autorités israéliennes confirmaient la révocation du statut de l’avocat franco-palestinien, ouvrant ainsi la voie à une expulsion imminente malgré une nouvelle audience prévue le 1er janvier.

Depuis vendredi soir, les indications d’une expulsion dimanche matin s’étaient multipliées, la députée communiste israélienne Aïda Touma-Slimane ayant d’ailleurs écrit samedi soir au ministre de la Défense Benny Gantz pour empêcher l’expulsion, toutefois décrétée par la ministre de l’Intérieur Ayelet Shaked. Cette dernière n’a pas caché sa joie. « C’est un formidable accomplissement d’avoir pu provoquer, juste avant la fin de mon mandat, son expulsion », a-t-elle commenté dimanche. Le nouveau gouvernement de Netanyahou devrait prendre ses fonctions dans les prochains jours.

«Cette expulsion est une manœuvre visant à entraver le travail de Salah Hamouri en faveur des droits humains, mais aussi l’expression de l’objectif politique à long terme des autorités israéliennes, qui est de diminuer l’importance de la population palestinienne à Jérusalem-est», estiment Amnesty International et la Plate-forme des ONG françaises pour la Palestine. Les autorités israéliennes ont expulsé Salah Hamouri de sa ville natale de Jérusalem à la France pour « défaut d’allégeance« à un pouvoir occupant », a indiqué sa campagne de soutiens.

»Nous ne pensions pas que c’était possible d’expulser une personne de sa terre natale. C’est un citoyen français il est davantage palestinien. Il est né à Jérusalem, a vécu et grandi ici (…) Ces racines sont ici«, expliquait récemment Denise Hamouri, la mère de Salah. Elle avait exhorté le président français, Emmanuel Macron de faire pression sur Israël pour surseoir son expulsion et permettre à Salah Hamouri de se déplacer librement. Car le harcèlement israélien a également touché sa famille. Son épouse, française, ne peut plus se rendre en Palestine.

Il y a quelques semaines, dans l’Humanité, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’Onu sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 faisait remarquer que « le cas de Salah Hamouri est exceptionnel parce qu’il est susceptible de créer un précédent juridique très dangereux par lequel la résidence d’un Palestinien de Jérusalem serait révoquée sur la base d’éléments à charge ou accusations secrètes. Le test (et le défi) est le suivant : si les autorités israéliennes venaient à agir impunément avec un individu de nationalité européenne, il n’y aurait plus rien qui pourrait les empêcher de continuer à dépeupler Jérusalem de sa population arabe. Et c’est sur cela, permettez-moi de le souligner, que le silence de la France est assourdissant. » De fait, malgré les questions régulières posées par la presse au ministère des Affaires étrangères, le cas de Salah Hamouri a rarement été évoqué publiquement, comme s’il ne fallait pas gêner Israël.

publié le 12 décembre 2022

De 1948 à aujourd’hui, l’État d’Israël
n’a jamais appliqué
les principes
du droit universel

Par le Bureau national de l’AFPS sur https://www.france-palestine.org

En décembre 1948 l’Assemblée Générale de l’ONU a produit deux textes déterminants, qui auraient dû changer le cours de l’histoire du peuple palestinien. Mais l’État d’Israël, admis à l’ONU en 1949, n’a jamais considéré qu’il devait se conformer aux principes et aux résolutions le concernant. Bien au contraire, et les soutiens au prochain gouvernement Netanyahu laissent craindre le pire, les justifications religieuses et suprémacistes prenant le pas sur la référence au droit séculier.

L’Assemblée Générale des Nations unies a proclamé le 10 décembre 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) comme « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »… mais pas les Palestiniens !

Le peuple palestinien le vit chaque jour : colonisation, entrave à la circulation, violence des colons et de l’armée israélienne, démolitions de maisons, blocus de Gaza depuis plus de 15 ans, politique d’arrestations et d’emprisonnements massifs, …

Salah Hamouri franco-palestinien de Jérusalem-Est est un exemple du non-respect systémique des droits humains. Sa femme et ses enfants ne peuvent venir le rejoindre depuis 6 ans. Emprisonné depuis 9 mois sous le régime de la détention administrative (sans charges ni procès), son permis de résidence à Jérusalem-Est (indispensable aux seuls Palestiniens) a été révoqué par les autorités israéliennes pour « défaut d’allégeance » à Israël. Il est sous le coup d’un ordre d’expulsion émis par les autorités israéliennes.

Les articles de la DUDH bafoués par Israël sont nombreux, mais il faut sans relâche rappeler ceux qui touchent les réfugiés de Palestine. Rappeler que la création de l’État d’Israël s’est accompagnée d’une politique délibérée d’expulsion de quelque 800 000 Palestiniens, dépossédés de leur terre et interdits d’y revenir et de retrouver leurs biens : c’était la Nakba (la catastrophe).

Les réfugiés palestiniens sont par la force privés de leurs droits individuels en violation de la DUDH qui garantit « …le droit de quitter tout pays, y compris le sien et d’y revenir. » (article 13). Le droit à la propriété, également garanti par l’article 17 : « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété » leur est toujours refusé.

Par ailleurs, les Palestiniens où qu’ils vivent, sont privés de leurs droits nationaux en violation de l’article 15 qui déclare : « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ».

La DUDH a un caractère universel, elle ne prévoit aucune exemption, aucune exception !

Le 11 décembre 1948, cette même Assemblée votait la Résolution 194 (III) sur la Palestine.

Par son article 11 l’AGNU : « Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables. ». Cette résolution, jamais appliquée par Israël, qui refuse de reconnaître ses responsabilités, constituera la base juridique du droit individuel au retour et du droit à réparation, aussi longtemps qu’Israël ne se soumettra pas à ses obligations. Les plus vieux réfugiés de 1948 disparaissent mais la quatrième génération est là, sans oublier les réfugiés de 1967. Soit près de 8 millions de personnes. Toutes et tous ont le droit de retourner dans leurs foyers !

La Résolution 194 (III) ne comporte aucune date de péremption !

Champion de la politique du fait accompli, Israël doit comprendre que tous les citoyens attachés au respect du droit ne renoncent pas à exiger ce qui est dû au peuple palestinien, ce qui est dû aux réfugiés de Palestine. Le temps qu’il le faudra l’AFPS sera leur porte-voix.

Le Bureau national de l’AFPS, le 10 décembre 2022

publié le 11 décembre 2022

Pérou. Les dessous
de la destitution de
Pedro Castillo

Lina Sankari sur www.humanite.fr

Le président de gauche est le sixième chef d’État du pays à être démis en six ans par le Parlement. Il vient d’être arrêté, dix-sept mois après son élection. Les rivalités dans son parti et dans son camp l’ont empêché de présenter un front uni face à la bourgeoisie.

Sans chars ni fusils, Pedro Castillo a été destitué. Ce 7 décembre, au terme d’une journée rocambolesque, le président de gauche péruvien a échoué en détention, pour une durée de quinze jours, dans une base des forces spéciales de la police de Lima. Elle abrite déjà un autre détenu, l’ancien dirigeant du pays, Alberto Fujimori (extrême droite). Selon la police, Pedro Castillo aurait tenté de trouver refuge à l’ambassade du Mexique pour y demander l’asile avant d’être appréhendé.

Jusqu’au dernier instant, le chef de l’État, minoritaire au Parlement, aura tout tenté pour échapper à la destitution. Dans un pays en crise politique permanente, il est le sixième président en six ans à être démis. Élu en juillet 2021, il affrontait sa troisième procédure de destitution. « C’est presque une surprise qu’il ait tenu aussi longtemps face au front permanent emmené à la fois par les médias et la bourgeoisie. Au Parlement, les conservateurs ont déployé pendant dix-sept mois tous les outils législatifs et administratifs, dont déjà deux autres tentatives de destitution, pour faire entrave et empêcher Pedro Castillo d’appliquer son programme », analyse Lissell Quiroz, professeure d’études latino-américaines à l’université de Cergy-Paris. À l’annonce du résultat du vote, les organisations syndicales se sont rassemblées devant le Parlement afin de protester contre cette décision. Mais elles ne sont parvenues à réunir que quelques centaines de participants.

Des perquisitions au palais présidentiel et une enquête pour « rébellion »

Peu avant la tombée du couperet, Pedro Castillo avait prononcé la dissolution du Parlement sans en avoir toutefois les moyens légaux et constitutionnels. Pour sortir de l’ornière, le président avait également annoncé un « gouvernement d’urgence exceptionnel » et fait part de sa volonté de convoquer « dans les plus brefs délais » une Assemblée constituante. Retransmise en direct à la télévision, sa destitution pour « incapacité morale » a été votée par 101 des 130 parlementaires, dont 80 de l’opposition. Dans la foulée, la vice-présidente Dina Boluarte, issue de Pérou libre, la formation politique d’inspiration marxiste dont Pedro Castillo avait été exclu en juillet, a été investie comme nouvelle cheffe de l’État, fonction qu’elle devrait assumer jusqu’en 2026. Quelques heures auparavant, elle dénonçait, dans un troublant concert avec la droite et l’Organisation des États américains, la « tentative de coup d’État promue par Pedro Castillo (c’est-à-dire de violation de l’article 117 de la Constitution qui garantit le fonctionnement du Parlement – NDLR) qui n’a trouvé aucun écho dans les institutions de la démocratie, ni dans la rue ». Les États-Unis se sont, de leur côté, empressés d’acter le changement de tête à la présidence.

Mercredi soir, le parquet a ordonné des perquisitions au palais présidentiel et une enquête pour « rébellion » a été ouverte contre Pedro Castillo, en plus des six autres déjà en cours pour corruption et trafic d’influence. Une « soi-disant » guerre hybride « est menée en Amérique ­latine (…) pour persécuter, accuser et évincer les dirigeants qui défendent le peuple et affrontent les politiques néolibérales (qui génèrent) la faim », a réagi l’ex-président bolivien Evo Morales, lui-même renversé en 2019. « Nous sommes dans un schéma qui, à bien des égards, a à voir avec la situation de Salvador Allende, dans les années 1970, afin d’entraver l’accès du peuple aux institutions », abonde Lissell Quiroz. Le président élu du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, a pour sa part trouvé « toujours regrettable qu’un président démocratiquement élu subisse un tel sort », tout en indiquant que le processus avait été « mené dans le cadre constitutionnel ».

Les élites n’ont jamais digéré l’élection de l’instituteur et syndicaliste Pedro Castillo

Dans un pays centralisé à l’extrême autour de la capitale, Lima, pur produit de la colonisation, les élites n’ont jamais digéré l’élection de l’instituteur et syndicaliste Pedro Castillo. Originaire des Andes, il avait été porté au pouvoir par les populations pauvres et délaissées. C’est dans cette région, où le mouvement social reste vivace, que Pedro Castillo a effectué plusieurs déplacements afin d’organiser un front qui lui permette de gouverner. Durant ces visites, qui l’ont tenu éloigné de Lima parfois pendant plusieurs jours du fait des difficultés d’accès, la droite avait les mains libres.

En moins d’un an et demi, Pedro Castillo a procédé à quatre remaniements ministériels, mais la gauche, défaite et affaiblie par le ­fujimorisme, souffre également de ses divisions. Si l’ex-président a pâtit des rivalités politiques internes à sa formation Pérou libre, dirigée par Vladimir Cerrón, il s’est également heurté à la difficulté de constituer une alliance avec la gauche réformiste de Veronica Mendoza, plus proche de Gabriel Boric au Chili, qui s’adresse surtout à la jeunesse urbaine issue des classes moyennes à travers des thèmes sociétaux. « Les alliances se font et se défont en fonction des intérêts », relève Lissell Quiroz. En plus des manifestations, où la bourgeoisie n’a pas hésité à rémunérer des casseurs pour amplifier le chaos, Pedro Castillo a fait face à la fronde des transporteurs privés et des agriculteurs contre l’augmentation des prix des carburants.

La droite, dans toutes ses composantes, a désormais une carte à jouer malgré ses divisions. De la démocratie chrétienne aux fujimoristes, les mois qui viennent risquent d’être marqués par d’âpres luttes de pouvoir. Keiko Fujimori, candidate à trois reprises à la présidence et contre laquelle le parquet requiert trente années de prison pour corruption, a déjà exhorté la nouvelle cheffe de l’État à constituer un gouvernement d’union nationale. « Dans un pays qui vit une crise politique permanente, elle insistera sur le chaos dans ­lequel la gauche a plongé (ce dernier) et endossera les habits du sauveur, de l’ordre et du progrès », pointe Lissell Quiroz. Dans un climat de dégagisme qui favorise l’extrême droite, la seule porte de sortie résiderait dans le lancement d’un processus de Constituante, comme l’avait proposé Pedro Castillo. Pas sûr que Dina Boluarte emprunte ce chemin.

publié le 10 décembre 2022

Macron-Biden :
le prix de la vassalisation

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

Donald Trump a théorisé l’« America First », Joe Biden le pratique. Les envolées lyriques du président américain en recevant au début du mois Emmanuel Macron – « La température est peut-être fraîche en cette matinée lumineuse de décembre, mais nos cœurs sont chauds d’accueillir des amis si proches à la Maison-Blanche »… – et les figures de style de son homologue français – « Nous allons synchroniser nos approches et nos agendas » – n’y ont rien changé : Emmanuel Macron est reparti bredouille, s’agissant de l’enjeu principal de sa « visite d’État », à savoir exempter l’UE des effets de l’Inflation Reduction Act. On le sait : une disposition de cette loi réserve aux seules productions made in USA quelque 400 milliards de dollars d’aides et de crédits d’impôts, en particulier dans le secteur des véhicules électriques et des industries liées à la défense du climat. Force est de constater que les récriminations du président français contre ces mesures « super-agressives » qui risquent de pousser à des délocalisations depuis l’Europe vers les États-Unis n’ont pas ému l’ami et l’allié américain : « Je ne m’excuse pas », a même sèchement rétorqué ce dernier. Aucune remise en cause de cette législation n’est donc à attendre. Mais qui pouvait en douter ?

Emmanuel Macron et, plus généralement, les Européens ont-ils espéré un retour d’ascenseur de Washington pour compenser leurs achats massifs de gaz liquéfié – qui plus est à un prix quatre fois plus élevé que ne le payent les industriels américains ! –, sans parler des importations inconsidérées d’avions de chasse F-35, de blindés, de missiles et de pièces d’artillerie, au nom de la solidarité transatlantique ? Le président français a même cru, dans l’espoir de faire fléchir le « boss » du monde occidental, devoir invoquer « l’avantage pour les États-Unis » que représenterait une Europe forte… « compte tenu des priorités qu’ils ont dans l’Indo-Pacifique ou à l’égard de la Chine » ! Une allusion directe à l’appel à « mobiliser les démocraties » derrière Washington dans sa croisade contre le grand rival asiatique, qu’avait lancé le président Biden en juin 2021 lors de sa toute première visite en Europe. Là encore, Emmanuel Macron a fait chou blanc. C’est que, pour la Maison-Blanche, dans le funeste contexte mondial que nous subissons aujourd’hui, la « solidarité » est plus que jamais à sens unique, les « alliés » sont nécessairement alignés, chaque capitulation accroît la vassalisation. Pour avoir rangé leurs velléités d’« autonomie stratégique » ou de « souveraineté européenne » au magasin des illusions perdues, les dirigeants européens payent désormais au prix fort leur choix de l’occidentalisme contre celui d’un multilatéralisme conséquent. Puissent leurs déboires actuels contribuer à leur ouvrir les yeux. Ou plutôt, puisse la douloureuse expérience du désordre mondial actuel casser dans les esprits le mythe de la puissance et de ses corollaires : la hiérarchie des États et les rapports de domination.

publié le 5 décembre 2022

Israël/Palestine : La France doit dénoncer l’expulsion de Salah Hamouri par Israël

Communiqué commun dont la Ligue des Droits de l’Homme est signataire sur www.ldh-france.org

Plusieurs ONG appellent Emmanuel Macron, le Président de la République français, à agir immédiatement contre l’expulsion de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri. Les autorités israéliennes ont décidé d’expulser M. Hamouri de sa ville natale, Jérusalem, en violation du droit international. Salah Hamouri vit dans Jérusalem Est occupée et a donc droit aux protections du droit international humanitaire, y compris l’interdiction fondamentale d’expulsion du territoire occupé.

Le 29 novembre, la Cour Suprême d’Israël a rejeté l’appel de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri contre la révocation de son droit de résidence à Jérusalem. Le même jour, les autorités israéliennes ont informé M. Hamouri qu’il sera expulsé vers la France dimanche 4 décembre.

Hamouri, détenu depuis des mois sous le régime de la détention administrative sans procès ni inculpation est né à Jérusalem et y vit depuis toujours. L’Acat-France, Amnesty International France, la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Human Rights Watch et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT) demandent à Emmanuel Macron d’appeler immédiatement les autorités israéliennes à libérer Salah Hamouri et affirmer son droit de résider à Jérusalem.

Le 5 octobre 2022, le ministère français des Affaires étrangères a encore indiqué que Salah Hamouri devait pouvoir être libéré et vivre libre à Jérusalem avec ses proches. Mais, à ce stade, seul un acte ferme d’Emmanuel Macron pourra changer la donne et permettre à M. Hamouri, sa femme, ses deux enfants et leur famille d’exercer leur droit de vivre dans sa ville natale de Jérusalem.

Le ministère israélien de l’Intérieur a notifié le 3 septembre 2020 à Salah Hamouri son intention de révoquer son statut de résident permanent en raison d’un « défaut d’allégeance » envers l’État d’Israël, confirmée le 29 juin 2021 par l’adoption de recommandations pour révoquer sa résidence permanente. L’audience pour contester cette révocation était prévue le 6 février 2023.

La révocation du droit de résidence de Salah Hamouri pour « défaut d’allégeance » est un dangereux précédent pour les défenseurs des droits des Palestiniens de Jérusalem, qui pourraient être systématiquement ciblés sur cette base. Au regard du droit international humanitaire, les populations occupées n’ont aucun devoir d’allégeance envers la puissance occupante.

Selon la loi israélienne, les résidents palestiniens de Jérusalem-Est ne sont ni des résidents de Cisjordanie, ni des citoyens israéliens, bien qu’ils puissent demander la citoyenneté. En revanche, ils ont un statut de résident permanent qui leur permet de résider dans la ville, d’y travailler et de bénéficier des avantages sociaux. Ce statut n’est pas permanent en réalité et peut être révoqué par les autorités israéliennes. Israël a promulgué une législation et plusieurs mesures qui permettent aux autorités israéliennes de priver les Palestiniens de leur droit et de leur capacité à vivre dans la ville, s’ils ne prêtent pas serment d’allégeance à l’Etat d’Israël. C’est sur cette base que les autorités israéliennes cherchent à expulser Salah Hamouri.

Le fait que les autorités israéliennes déplacent de force un Palestinien de Jérusalem-Est, en dehors du territoire occupé, constitue une déportation. Les Palestiniens de Jérusalem-Est sont protégés, en raison de l’occupation israélienne, par la Quatrième Convention de Genève. La convention prohibe de manière générale de telles déportations de personnes protégées. Les déportations de personnes protégées d’un territoire occupé peuvent constituer des crimes de guerre.

M. Hamouri est détenu depuis le 7 mars 2022 par les autorités israéliennes sous le régime de la détention administrative, sans charge ni jugement. À plusieurs reprises, des tribunaux militaires ont confirmé le renouvellement de sa détention, sans qu’aucune explication de fond ne soit fournie. Son droit à la liberté et à la sécurité de la personne, que garantit notamment l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a été violé. Ses avocats n’ont jamais eu accès à son dossier, qui reste secret.

Signataires : Acat-France, Amnesty International France, Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, Human Rights Watch, FIDH (Fédération Internationale pour les droits humains) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Paris-Genève, le 2 décembre 2022

 

 

 

 

Israël veut expulser Salah Hamouri : un véritable camouflet pour la France

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

L’avocat franco-palestinien, en détention administrative depuis le mois de mars, est victime du harcèlement israélien. Le PCF interpelle Emmanuel Macron pour qu’il intervienne.

La nouvelle est tombée mercredi, abrupte et sèche : Salah Hamouri doit être expulsé le dimanche 4 décembre. Une mesure signifiée d’abord oralement aux défenseurs de l’avocat franco-palestinien puis confirmée ce jeudi.

Emprisonné sans charge depuis le mois de mars dans le cadre d’une détention administrative renouvelée trois fois, Salah Hamouri s’était également vu retirer son permis de résidence à Jérusalem. Une mesure contestée et suspendue, qui devait être examinée par la Cour suprême israélienne en février prochain. D’ici là, ses avocats s’attendaient à ce que sa détention administrative, qui arrivait à échéance dimanche, soit renouvelée.

De nombreuses réactions

Cette décision a provoqué la réaction de nombreux élus, personnalités et organisations. « Le président Emmanuel Macron doit agir pour obtenir sa libération immédiate et que sa famille puisse le rejoindre et vivre en Palestine », a tweeté Fabien Gay, sénateur communiste et directeur de l’Humanité.

« Emmanuel Macron doit agir de toute urgence pour faire respecter les droits de notre compatriote », a également posté la députée communiste Elsa Faucillon, alors qu’un autre sénateur du groupe, Pierre Laurent, fait remarquer que, « tant que la France et l’UE ne décident pas de sanctions contre Israël, cette impunité durera ». Pour Jean-Claude Lefort, il s’agit d’un « crime de guerre contre Salah Hamouri », alors que la Plateforme Palestine s’interroge : « La France va-t-elle ignorer cette violation du droit international et cette atteinte arbitraire à la liberté d’un de ses citoyens ? »

Dans une adresse à Emmanuel Macron, le PCF souligne : « Il ne reste que quelques jours pour vous opposer à cette décision scandaleuse et exiger que Salah soit libre de ses mouvements et puisse vivre libre dans sa Jérusalem-Est natale avec son épouse et ses enfants. Il en est de l’honneur de la France. »

Déjà emprisonné en Israël entre 2005 et 2011

Comme l’Humanité s’en était inquiétée à plusieurs reprises, les autorités israéliennes cherchaient le meilleur moyen pour parvenir à leurs fins et tenter de faire taire Salah Hamouri, aujourd’hui âgé de 37 ans. Il avait été emprisonné en Israël entre 2005 et 2011 pour participation à la tentative d’assassinat d’Ovadia Yossef, ancien grand rabbin d’Israël et fondateur du parti ultra orthodoxe Shass, avant d’être libéré en 2011. Salah Hamouri a toujours nié toute tentative d’assassinat : soit il plaidait non coupable et avait alors à purger une peine de quinze ans, soit il se disait coupable et écopait de sept ans d’emprisonnement.

Devenu lui-même avocat, Salah Hamouri travaillait pour l’ONG Addameer, qui défend les prisonniers palestiniens. Mais cette ONG a été placée ces derniers mois, comme plusieurs autres, sur la liste israélienne des organisations terroristes. De même, Amnesty International avait conclu, après analyse du téléphone portable de Salah Hamouri, que celui-ci avait été piraté par le logiciel espion Pegasus de la société israélienne NSO. Il avait porté plainte, en France, contre cette société soupçonnée d’avoir contribué à infiltrer le smartphone d’Emmanuel Macron.

Ce harcèlement « sadique », selon les termes de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU, n’a eu de cesse depuis des années. Son épouse, Elsa Lefort, est interdite de séjour (enceinte, elle avait été placée en cellule de rétention à l’aéroport de Tel-Aviv, avant d’être expulsée) et ne peut vivre avec son mari et leurs enfants à Jérusalem. Ce harcèlement s’est encore aggravé ces dernières semaines. À l’occasion d’une grève de la faim menée par les prisonniers en détention administrative (ils sont 820) pour protester contre cet arbitraire, Salah Hamouri a été transféré dans une prison de haute sécurité et placé à l’isolement.

Permis de résidence

Preuve que les détentions administratives à l’égard de Salah Hamouri sont sans fondement, le ministère israélien de l’Intérieur s’est chargé de la procédure pour lui retirer son statut de résident de Jérusalem. Depuis l’annexion illégale de Jérusalem-Est par Israël en 1967, les Palestiniens qui y vivent sont considérés comme des « résidents permanents ». Contrairement aux Israéliens, qui sont citoyens, les Palestiniens de Jérusalem doivent posséder un permis de résidence pour y demeurer. Or Israël s’arroge le droit de révoquer ce permis de plusieurs manières. Plus de 14 500 Palestiniens ont perdu ce statut depuis cinquante ans.

La ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked, avec l’accord du ministre de la Justice, Gideon Saar, et sur recommandation du Service général de sécurité, a révoqué ce jeudi la résidence de Salah Hamouri. « Nous devons lutter contre le terrorisme avec tous les outils à notre disposition. Il est impossible pour des terroristes comme Hamouri d’obtenir un statut en Israël. Je salue la fin du processus, l’annulation de son statut et son expulsion du pays », s’est félicitée Ayelet Shaked, citée par Israel Hayom.

Le service minimum du gouvernement français

C’est un véritable camouflet pour la France, qui, c’est malheureusement vrai, s’est contentée du service minimum pour défendre les droits de Salah Hamouri, apportant certes une aide consulaire mais se contentant de simples déclarations.

Jeudi matin, encore, le ministère des Affaires étrangères, interrogé sur l’expulsion de Salah Hamouri, se refusait d’évoquer la question, se contentant de dire, comme depuis plusieurs mois : « M. Salah Hamouri doit pouvoir mener une vie normale à Jérusalem, où il est né et où il réside, et son épouse et ses enfants doivent pouvoir s’y rendre pour le retrouver », tout en mettant en avant le fait qu’Emmanuel Macron avait évoqué le dossier avec (l’ancien) premier ministre Yaïr Lapid.

Sans grand résultat, comme on le voit. Car en réalité aucune pression n’a été exercée sur Israël, aucune sanction n’est envisagée. Pis, l’accord d’association Israël-UE a repris de plus belle. Il est vrai que l’Union européenne a signé un accord de fourniture de gaz par Israël, en remplacement des contrats rompus avec la Russie.

La France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, va-t-elle accepter cette expulsion totalement illégale de Salah Hamouri ou, au contraire, lancer une action décisive pour mettre Israël au pas ? Car, au-delà de Salah Hamouri, c’est la présence palestinienne à Jérusalem-Est qui est tout simplement visée.

publié le 3 décembre 2022

La France doit restaurer l’aide humanitaire au Mali !

Francis Wurtz, sur www.humanite.fr

L’affaire remonte à plusieurs semaines : le gouvernement français a décidé en catimini, sans aucune communication officielle, de suspendre sine die l’essentiel de l’aide publique de la France au Mali, soit environ 100 millions d’euros par an. Ce sont les ONG françaises de solidarité agissant au plus près des populations maliennes qui, mises devant le fait accompli, ont sonné l’alarme en demandant au président de la République, mi-novembre, de revenir sur cette initiative aux conséquences potentiellement dramatiques. Rien n’y fit. Pierre Laurent, vice-président du Sénat, s’adressa dans la foulée à la ministre des Affaires étrangères pour soutenir la requête des ONG en soulignant que « 7,5 millions de personnes au Mali, soit plus de 35 % de la population, ont besoin d’aide humanitaire », dans un pays classé par l’ONU « en 184e position pour l’indice de développement humain » ! On attend toujours la réponse du Quai d’Orsay au parlementaire. Celui-ci prit en outre l’initiative d’un appel dans le même sens cosigné par des personnalités africaines et françaises (1). Chaque contribution à ces efforts est bienvenue : il faut réagir à cette mesure inacceptable jusqu’à l’obtention de son annulation !

Inacceptable, cette suspension de l’aide l’est d’abord pour une raison humanitaire : quelque 70 projets de développement en cours ou programmés par les ONG au Mali seraient compromis si cette « suspension » du versement des financements prévus n’était pas levée au plus vite. Pire : répliquant à la décision de Paris, la junte militaire au pouvoir à Bamako a interdit toute activité sur place des ONG liées à des financements français ! Faute d’une sortie rapide de cette crise des relations franco-maliennes, on s’acheminerait donc vers un retrait forcé des acteurs de la solidarité au Mali liés à la France, ce qui pénaliserait directement les populations concernées. Cette situation illustre l’autre dimension perverse de la décision française : il ne s’agit ni plus ni moins que de représailles au comportement hostile des autorités maliennes, quitte à faire payer les frais de la controverse entre les deux gouvernements à la population la plus fragilisée de ce pays, pauvre parmi les pauvres. Notons que cette mesure rejoint l’une de celles proposées par Marine Le Pen le 2 février dernier après le renvoi du Mali de l’ambassadeur français (2) !

La leçon de cette expérience révoltante est qu’il est décidément grand temps de réformer en profondeur l’aide publique au développement ! En particulier, ces financements – au demeurant très insuffisants – doivent être totalement dépolitisés et impliquer des acteurs locaux au plus près des populations. Dans l’immédiat, il faut d’urgence rétablir la totalité de l’aide publique française au peuple malien !

(1) Tribune « Pour le rétablissement de l’aide publique au développement en faveur du peuple malien », 24 novembre 2022, humanite.fr. (2) « Il faut bloquer l’aide au développement à destination du Mali », Marine Le Pen, « le Figaro », 3 février 2022.

 publié le 27 novembre 2022

Du sommet du G20 émerge
un espoir de paix en Ukraine

Bruno Odent sur www.himanite.fr

Réunie en Indonésie, la conférence multilatérale des chefs des 20 États les plus riches de la planète a condamné la guerre de Vladimir Poutine tout en réclamant l’instauration d’un processus de négociation entre Moscou et Kiev. L’objectif : une désescalade plus nécessaire que jamais dans un monde menacé d’une récession générale. 

Le G20, la rencontre des vingt États les plus puissants de la planète, les 15 et 16 novembre, à Bali, en Indonésie, a mis l’accent sur la nécessité d’une désescalade pour faire taire les armes en Ukraine. On assistait jusqu’alors à une fuite en avant belliciste autant de Moscou que de Washington et de ses alliés de l’Alliance atlantique, déterminés à intensifier et à alimenter le conflit en armes sous couvert que seule une victoire sans appel de Kiev pourrait y mettre fin. Un tournant ? Bali porte, quoi qu’il en soit, la marque d’une inflexion internationale d’ensemble en faveur d’une solution négociée.

La Russie de Vladimir Poutine, qui subissait à Kherson au même moment un très important revers militaire, est apparue isolée lors de ce sommet international, « la plupart » des États du G20 condamnant dans la déclaration finale la guerre engagée par le Kremlin. Pour autant, nombre de pays émergents n’ont pas bougé de leur approche refusant de couper les ponts avec Moscou pour promouvoir au contraire une solution permettant de rassembler les protagonistes autour d’une table de négociation. Et c’est cet argument qui a fait bouger les lignes.

Pour deux raisons essentielles : la montée en puissance d’une crise économique globale, aggravée par la guerre et les pénuries d’énergie, exacerbe les inquiétudes, renforcées encore par la stratégie de bloc du monde atlantiste et ses logiques de guerre froide. La montée au créneau de la Chine pour réduire les tensions qui menacent la paix mondiale comme les échanges commerciaux et la croissance a pu ainsi être placée au centre de toutes les attentions.

De retour sur la scène internationale, le président Xi Jinping est intervenu fortement pour promouvoir l’interdiction de « tout recours à l’arme nucléaire ». Soit une critique quasi ouverte aux menaces de guerre atomique proférées par le Kremlin à l’occasion de l’annexion des territoires de l’Est ukrainien occupés par l’armée russe. En même temps, le dirigeant chinois n’a pas manqué de dénoncer la guerre commerciale et technologique conduite par l’administration Biden contre son pays. « Une erreur lourde » avec des dommages collatéraux pour tous alors que le monde « fait face à un net ralentissement économique ».

Cette prise de distance avec Moscou et cette dénonciation du pilotage économique du monde par Washing- ton rencontrent d’évidence une oreille favorable dans nombre de pays émergents. Surtout lorsque le dirigeant chinois fustige la hausse des taux d’intérêt pratiquée par la Réserve fédérale états-unienne. De l’Argentine au Brésil en passant par l’Afrique du Sud ou la Turquie, celle-ci alimente depuis plusieurs mois une spirale récessive avec explosions de l’inflation et dévaluations spectaculaires des monnaies nationales.

Ces économies dites émergentes subissent un véritable transfert de la crise sur leurs épaules toujours fragiles. En raison de l’hégémonie de la devise états-unienne, leurs entreprises publiques ou privées se sont en effet massivement endettées en dollars durant la longue période où les taux d’intérêt de la Réserve fédérale étaient nuls. Quand ils grimpent à un rythme forcené comme aujourd’hui, elles sont prises en étau, souvent incapables de rembourser leurs traites. Des milliers d’entreprises font faillite. Le chômage et la mal-vie flambent à nouveau. Ce qui, au passage, souligne le besoin plus aigu que jamais d’en finir avec les privilèges du dollar pour mettre en place une véritable monnaie commune mondiale de coopération.

Macron et Scholz louent la Chine

Les préoccupations des puissances du Sud les plus développées, assaillies par le retour des grandes difficultés, et leurs aspirations à des réglementations alternatives transpiraient par tous les pores de la réunion de Bali. Jusqu’au slogan officiel du G20 : « Recover together, recover stronger » (se relever ensemble, se relever plus forts). Un appel au calme et à la paix autant qu’un appel au secours de pays qui voient leurs économies décrocher à grande vitesse.

Très bien reçus par les puissances du Sud, les arguments du dirigeant chinois en faveur d’une désescalade en Ukraine et de relations économiques plus équilibrées pour affronter le ralentissement mondial ont porté aussi au-delà. Même Emmanuel Macron a reconnu à Bali, après s’être entretenu en bilatéral avec Xi : « On sent qu’il y a une volonté des autorités chinoises d’être constructives et de trouver une solution pour la paix. » Une dizaine de jours auparavant, le chancelier allemand, Olaf Scholz, avait entrepris un voyage à Pékin où il a fait un constat analogue sur la force de « l’engagement de Pékin contre la guerre nucléaire ». En dépit des commentaires incendiaires d’un chœur atlantiste très mobilisé dans les médias outre-Rhin et en Europe, il a insisté sur la nécessité de maintenir « des échanges forts dans tous les domaines » avec un pays devenu, il est vrai, le premier partenaire de la première économie de l’Union européenne.

La désescalade en Ukraine pourra-t-elle être engagée ? Rien n’est vraiment assuré. Un missile tombé inopinément en territoire polonais a fourni au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, déterminé à élargir le conflit, l’occasion de réclamer aussitôt une frappe contre « l’État terroriste russe » quoi qu’il en coûte des risques de troisième guerre mondiale. Un sommet d’irresponsabilité pour un projectile qui venait en réalité de la défense antiaérienne ukrainienne. La paix reste un combat.


 


 

Ukraine :
une crise peut en cacher une autre !

Francis Wurtz sur www.himanite.fr

Le conflit russo-ukrainien est-il en train de s’emballer ? Les enseignements à tirer du dramatique incident du 15 novembre dernier en Pologne – la chute accidentelle d’un missile sur le territoire d’un pays membre de l’Otan – sont, à cet égard, d’une importance stratégique. Si l’un d’entre eux est plutôt rassurant, l’autre ne peut que susciter de vives préoccupations. Rassurant fut – une fois n’est pas coutume – l’esprit de responsabilité dont a fait preuve à cette occasion le président américain, soucieux, fort de sa longue expérience de la guerre froide, de tuer dans l’œuf toute tentative d’hystériser l’événement au risque de déclencher une réaction militaire inconsidérée visant la Russie au nom du fameux (et aventureux) article 5 de l’alliance militaire occidentale. Très préoccupante fut, à l’opposé, la réaction dangereuse et même, vu le contexte, irresponsable, du président ukrainien. Accusant sans preuve la Russie d’avoir, avec ce missile, « adressé un message au sommet du G20 » en « frappant la sécurité collective », il appela littéralement à une riposte des dirigeants occidentaux en dénonçant une « escalade majeure qui réclame une action »… Cette attitude pose un sérieux problème : si la volonté de l’Ukraine de repousser l’envahisseur est pleinement fondée, la tentation de son président d’impliquer directement l’Otan dans la guerre contre la Russie est, quant à elle, mortifère !

À cet égard, la crise du 15 novembre peut en cacher une autre, particulièrement pernicieuse : celle d’une tentative de reconquête de la Crimée par l’armée de Kiev et les armements de l’Occident. Hier impensable, cette hypothèse n’est aujourd’hui plus à exclure. Or, si ce projet galvanise l’Ukraine, il constitue une « ligne rouge » non pour le seul Poutine, mais vraisemblablement pour l’opinion russe dans sa grande majorité ! Des progressistes non suspects de sympathie pour le chef actuel du Kremlin, tels les proches de Mikhaïl Gorbatchev, nous mettent en garde : pour les Russes en général, le fait que Khrouchtchev fit « don par décret » de la Crimée à l’Ukraine comme « geste personnel envers sa République préférée » (1), ne fait pas d’une province russe depuis Catherine II un territoire ukrainien – ce que le penchant pro-russe de la plupart des habitants de la péninsule semble confirmer. Que le sort de la Crimée soit discuté lors des futures négociations de paix paraît inévitable ; qu’il fasse l’objet d’une tentative de récupération par la force est-il, en revanche, acceptable ? Que rapporterait aux victimes innocentes des cruautés infinies des occupants russes le basculement dans une escalade incontrôlable ? Face à un enjeu aussi critique pour la sécurité européenne, voire mondiale, serait-ce manquer au devoir de solidarité avec un pays agressé que de fixer des limites claires à ne pas franchir par les armes (qu’on lui a livrées) ? Telles sont les questions décisives auxquelles devront répondre sans détour les principaux dirigeants occidentaux.

(1) L’expression est de Nina Khrouchtcheva, arrière-petite-fille de l’ex-dirigeant soviétique (le Monde, 15 mars 2014).

publié le 27 novembre 2022

Mayotte. Nouvelle nuit de violences, Darmanin déploie le RAID

Benjamin König sur www.himanite.fr

Le gouvernement a annoncé lundi l’envoi d’une unité du RAID sur l’archipel, département français de l’océan Indien, après plusieurs nuits d’affrontements ente bandes de quartiers rivales.

Depuis plusieurs années, les appels à l’aide de la population et des élus le laissaient augurer : Mayotte connaît depuis le 12 novembre une nouvelle vague d’affrontements entre jeunes de quartiers rivaux, avec comme point de départ le meurtre à la machette d’un jeune homme de 20 ans. Secouée ponctuellement par des flambées de violence, l’île semble cette fois-ci avoir franchi un cap.

Plusieurs barrages et incendies ont secoué l’île principale, ainsi que des attaques de groupes de jeunes gens, dans des affrontements entre quartiers ou villages qui ont émaillé le week-end. Selon un policier cité par l’AFP, la nouveauté tient à ce que la plupart des jeunes appartenant à ces bandes sont désormais armés de machettes, et non plus de pierres.

Le RAID dépêché sur place

Une dizaine d’habitations et une cinquantaine de voitures ont été incendiées, notamment dans une casse automobile. Et les rackets et agressions d’automobilistes se multiplient. En réponse, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé l’envoi d’une unité du RAID, composée d’une dizaine de policiers. Très loin d’être suffisant, et surtout de répondre à une situation qui semble inextricable, tant elle résulte d’un abandon de l’État et d’une politique de fabrication d’immigration illégale.

Les réformes successives du droit du sol, dont Mayotte est le laboratoire, ont autorisé les expulsions des parents, mais les enfants sont restés sur place. « La politique migratoire menée à Mayotte produit de la frontière, de la clandestinité et de l’altérité », analyse ainsi le sociologue Nicolas Roinsard.

Une politique migratoire kafkaïenne

Une problématique que décrit également Pierrot Dupuy, fondateur du site Zinfos974 à La Réunion dans son éditorial : « Des mineurs qui soit ont débarqué seuls, soit étaient accompagnés mais dont les parents ont été expulsés et renvoyés dans leur île d’origine. La législation française est ainsi faite qu’on ne peut pas expulser des mineurs mais qu’on peut le faire pour leurs parents. Voilà comment on crée un problème qui tend chaque jour qui passe à devenir plus insoluble car si les mineurs deviennent un jour majeurs, après plusieurs années de méfaits, leurs bandes ont entre-temps été rejointes et gonflées de nouveaux très nombreux arrivants. »

Malgré les discours sécuritaires et les réformes successives du droit du sol, Mayotte reste minée par la pauvreté. Les bidonvilles y sont détruits par des bulldozers envoyés par la préfecture, souvent sans opération de relogement des habitants, repoussés dans d’autres bidonvilles, et parfois dans la forêt ou la mangrove. L’accès à l’eau reste très difficile : les coupures sont très régulières, et de nombreux quartiers restent totalement dépourvus de points d’eau potable.

 

 

La Nupes alerte sur la situation des outre-mer

Diego Chauvet sur www.himanite.fr

Les députés ultramarins dénoncent un gouvernement qui écoute mais n’agit pas, et dressent l’inventaire des causes structurelles qui génèrent la violence sur leurs territoires.

Les députés ultramarins de la Nupes alertent une fois de plus sur la situation des outre-mer, alors que l’examen du budget 2023 arrive en fin de parcours. Et au moment où Mayotte est en proie à de spectaculaires phénomènes d’insécurité et de violences (lire ci-contre), les élus font le lien avec l’état de leurs territoires où tous les « maux » sont décuplés en comparaison de l’Hexagone. Pour le député de Guadeloupe Elie Califer, ce sont les inégalités très fortes qui « produisent de la violence ». Et d’ajouter : « La loi Lopmi prévoit 15 milliards sur cinq ans, pour donner des moyens de protection aux Français. Mais sur nos territoires, nous avons besoin d’un renforcement de la présence des forces de l’ordre. » Elie Califer rappelle que, « à chaque petit pic de violence » dans les outre-mer, « il faut faire appel à des forces de l’ordre venues d’ailleurs ».

Une situation qui renvoie à des causes structurelles encore plus profondes. « Quel territoire tiendrait avec un tel taux de chômage ?  » interroge le député guadeloupéen. Son collègue Jean-Hugues Ratenon rappelait, quelques instants plus tôt, que ce taux était compris entre 11 et 30 % selon les territoires, bien au-delà de la moyenne dans l’Hexagone. « 18 % des Français qui sont dans une situation de grande pauvreté vivent dans les outre-mer, alors que nous ne représentons que 3 % de la population française », souligne le député réunionnais.

Ce dernier insiste aussi sur le coût de la vie : « Les prix des produits alimentaires ont augmenté de 40 %. » Les billets d’avion également. En Guyane, il faut désormais compter avec certains vols à 1 600 euros pour relier Cayenne à Fort-de-France, selon Jean-Victor Castor. « La Guyane est une terre d’absurdités, de non-sens économiques », résume le député GDR, pointant « la politique de l’État, qui consiste à nous déposséder de nos terres, et empêche ainsi tout développement économique. » Il cite en guise d’exemple le Parc national de Guyane, qui place le département « sous cloche », au sein duquel l’orpaillage légal permet l’évasion, chaque année, de l’équivalent du budget de ce territoire.

Pourtant, comme l’a rappelé le réunionnais Perceval Gaillard, du groupe FI, la France n’aurait pas un tel rayonnement international sans ses territoires d’outre-mer. Il dénonce le 49.3 qui ruine de possibles avancées. « C’était un budget historique. Pour la première fois, les députés l’avaient retourné », votant des amendements pour débloquer des moyens destinés à ces territoires. « C’est un impensé colonial : tout a été rayé d’un trait de plume par l’Élysée », constate Perceval Gaillard. André Chassaigne, le président du groupe GDR, qui compte le plus de députés ultramarins, les a assurés du soutien de tous les groupes de la Nupes. « Les outre-mer doivent être une question nationale, nous allons partager ces combats avec vous. »

publié le 26 nov 2022

Biden :
guerre froide de la puce

Par Robert Kissous, Militant associatif sur https://blogs.mediapart.fr/

Août 2022, le président Biden signe une loi importante intitulée « Chip and Science Act of 2022 » (les Puces et la Science). C’est la plus importante décision depuis des décennies en matière de politique industrielle du fait des moyens mis en œuvre pour contrôler complètement un domaine clé.

Elle a pour fonction de relancer l’industrie des semi-conducteurs – fabrication, innovation et recherche/développement - en relocalisant ces activités aux EU. En 1990 38% de la fabrication mondiale de puces était localisée aux EU contre 12% aujourd’hui, alors que la région Asie-Pacifique en fabrique 75%. Il s’agit de faire cesser le déclin dans ce secteur stratégique et de revenir sur la mondialisation et le libre-échange. Un déclin lié au désintérêt dans « l’économie réelle » c’est à dire dans l’industrie au profit de la financiarisation, de l’expansion du capitalisme financier caractéristique de l’impérialisme. Pour remplacer autant que possible le profit industriel par la rente financière, les usines étant considérées comme centre de coût à minimiser jusqu’à ne plus en avoir alors que la richesse serait produite exclusivement par la conception et le marketing. [1]

Un plan pour bloquer la Chine

Mais ça ne marche pas comme voulu, l’affirmation de concurrents souverains pose des problèmes. La mondialisation n’est plus à l’avantage des EU, les pays émergents et pays en développements, après de nombreuses difficultés, ont appris à en tirer avantages. Alors aujourd’hui les EU ont remisé le mythe de « la concurrence libre et non faussée » et le libre échange pour afficher clairement leur volonté de suprématie hégémonique.

Les Etats-Unis se donnent 5 ans pour réaliser, avec des moyens colossaux 280 Md$, ce pari très ambitieux : 52,7 milliards de dollars d’aide aux entreprises pour fabriquer des puces plus un crédit d’impôt total de 24 milliards de dollars (25% du montant des investissements). Au total près de 80 Mds d’aides directes aux entreprises et 170 milliards pour diverses institutions de recherche et ministères à investir dans la R&D de puces avancées. Au terme des 5 ans il est prévu que les EU aient près de 140 milliards de dollars de capacité de fabrication de puces avancées, Ce qui représenterait 30 à 40 % au niveau mondial.

Ces aides sont conditionnées : les investissements doivent se faire aux EU ; il est interdit aux entreprises aidées de construire de nouvelles capacités de production pour les semi-conducteurs avancés dans des pays tels que la Chine, au nom de la sécurité nationale.

S’y est ajouté début octobre 2022, toute une série de mesures contrôlant les exportations de haute technologie, l’interdiction d’expédier en Chine certaines puces à semi-conducteurs fabriquées dès lors qu’elles sont fabriquées avec des équipements étatsuniens.

La vassalisation « Chips 4 »

Les EU ont invité le Japon, la Corée du Sud et Taïwan à constituer une alliance dans le domaine des puces. L’objectif des EU est d’entraver le développement de la Chine, d’empêcher son accession aux technologies de pointe. Bloquer le développement de la Chine est l’objectif principal.

Les EU font pression pour que ces pays - et particulièrement Taïwan (qui possède TSMC la plus importante entreprise de production des puces les plus avancées avec le coréen Samsung Electronics) - transfère ces capacités de production de pointe aux EU, les soumettant ainsi à son contrôle. Plus de secrets commerciaux ni technologiques. Sans compter que la construction et les coûts d’exploitation d’une usine aux EU y sont bien plus élevés. Mais on aura compris que la démarche n’a pas un caractère économique mais vise principalement le maintien de l’hégémonie planétaire des EU. La Corée du Sud le constate déjà avec la politique de forte subvention pour l’achat de voitures construites exclusivement aux EU au détriment des voitures coréennes, japonaises etc. Une violation des règles de l’OMC qui a fait protester, une fois de plus, les gouvernements européens. Protestations verbales sans suite ne produisant aucun effet.

On l’avait déjà vu il y a quelques années dans le domaine du 5G où Huawei [2] et d’autres ont été ciblés, les équipements vendus et installés dans certains pays européens démantelés etc. Tout sauf la Chine. « Les pays émergents doivent rester à leur place et ne pas remettre en cause les règles instituées, l’ordre établi, par les EU et le bloc occidental », tel est le discours du « découplage » qui ne marche plus tellement bien. La fracturation du marché mondial va évidemment bien au-delà du secteur des puces puisqu’elle touche le blocus de Cuba, les sanctions contre l’Iran, la Russie, le Venezuela, le Nicaragua … et en fait tout le monde indirectement à travers la règle d’extraterritorialité qu’imposent les EU. C’est l’hégémonie planétaire ou rien !

Revenons aux puces.

Interdépendance et coopération

Bloquer les échanges avec la Chine n’est pas chose facile. Aucun pays ne dispose de la chaîne complète d’approvisionnement avec une offre totale permettant de répondre à l’ensemble de la demande. Les grands producteurs sont dépendants des grands marchés de consommation et notamment de la Chine du fait de son statut de première puissance manufacturière incorporant de plus en plus de puces dans ses productions.

Aucun pays, Chine incluse, ne peut construire une chaîne d’approvisionnement complète exclusive. La coopération et les échanges sont indispensables et profitables à tous.

Quelques chiffres :

60% des exportations de puces sud-coréennes vont en Chine ;

« les semi-conducteurs ne représentaient que 3,2 % des exportations totales de la Corée du Sud vers la Chine en 2000, mais ont été multipliées par 12,4 pour bondir à 39,7% en 2021 » [3] (soit près de 65 Mds$).

Les importations chinoises de semi-conducteurs s’élevaient à 300 Mds$ [4] en 2018 dont 25% par des entreprises des EU ;

Les compagnies étatsuniennes perdraient 37% de leur chiffre d’affaires si les ventes de semi-conducteurs à la Chine étaient totalement interdites ; [5]

Nul doute que les mesures prises par les EU auront des répercussions négatives sur l’économie chinoise. Mais en perturbant, déstabilisant, les chaînes d’approvisionnement elles ne porteront pas tort qu’à la Chine, l’interdépendance du monde est une réalité profonde même si cela ne convient pas à la puissance encore hégémonique. L’attitude des EU conduira la Chine à développer son industrie de semi-conducteurs pour échapper au blocage.

Rien n’empêche la France d’en faire autant, de fabriquer des puces, ce qu’elle faisait précédemment avant de l’abandonner volontairement. Et d’emprunter le chemin de la coopération avec les autres pays plutôt que celui du « découplage » idéologique voué à l’échec.

Les pays du sud aussi veulent se développer et non rentrer dans une politique de blocs, dans une guerre économique créant des divisions inutiles dans le monde, alimentant des tensions au plus grand profit de la puissance hégémonique venant proposer sa protection.


 

[1] L’Europe a suivi, sans surprise, le même chemin que les EU, le grand modèle, se concentrant sur la conception au détriment de la production. Alors qu’elle produisait dans les années 90 environ 40 % des semi-conducteurs elle a vu sa part descendre autour de 10%. Elle a pour objectif de la porter à 20% en mobilisant 43 milliards d’euros de fonds publics et privés d’ici 2030.

[2] https://blogs.mediapart.fr/rk34/blog/030122/guerre-economique-pour-l-hegemonie-us-et-risques-de-guerre

[3] https://fr.yna.co.kr/view/AFR20220821001300884

[4] https://www.globaltimes.cn/page/202209/1275515.shtml

[5] https://www.globaltimes.cn/page/202209/1275515.shtml

 publié le 24 nov 2022

Evo Morales : « Les nationalisations ont permis des progrès sociaux historiques »

Vincent Ortiz sur https://lvsl.fr

Président de Bolivie durant treize ans, Evo Morales est considéré comme une figure majeure du « virage à gauche » d’Amérique latine. Il a été renversé par un coup d’État pro-américain en novembre 2019, auquel Le Vent Se Lève a consacré de nombreux articles. Son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS), est à présent revenu au pouvoir suite à des élections remportées par son allié Luis Arce Catacora. Evo Morales continue d’occuper des fonctions politiques et diplomatiques essentielles. Il considère que l’élection de nombreux chefs d’État progressistes – Gabriel Boric au Chili, Gustavo Petro en Colombie et plus récemment Lula au Brésil – constituent une opportunité pour relancer l’intégration régionale d’une Amérique latine souveraine face aux États-Unis. Nous retrouvons Evo Morales deux ans après une première rencontre. Entretien réalisé par Vincent Ortiz, retranscription Marielisa Vargas.


 

LVSL – Quel regard portez-vous rétrospectivement sur la médiatisation du coup d’État que vous avez subi, et le rôle des chancelleries occidentales ?

Evo Morales – D’une manière générale, je dirais que les médias qui défendent les revendications des peuples ou des mouvements sociaux sont rarissimes. Les médias boliviens sont une arme de destruction massive. Ils sont la voix officielle de l’oligarchie et de la droite bolivienne. Ils ont pour fonction de contaminer idéologiquement les nouvelles générations, qui utilisent surtout les réseaux sociaux, et sur lesquels nous ne sommes pas encore assez performants. Ils propagent la désinformation, comme récemment, à propos de la marche pour la patrie : les médias boliviens ont prétendu que nous étions « quelques centaines de marxistes », alors que nous étions plus d’un million, ce qui constitue un événement historique en Bolivie [fin novembre 2021, le gouvernement bolivien organisait une marche pour la patrie à laquelle Evo Morales a participé NDLR].

Quant aux États occidentaux, nous savons aujourd’hui que l’Union européenne – la Commission, pas le Parlement – a pris part au coup d’État. Nous savons également que l’Angleterre a financé le coup d’État.

LVSL – Selon de nombreuses spéculations, l’accaparement du lithium était l’un des objectifs des auteurs du coup dÉtat. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

EM – La véritable cible du coup d’État, c’était notre modèle économique. Je rappelle que notre modèle économique a permis une croissance et une réduction de la pauvreté qui sont historiques. Il s’est fondé sur la nationalisation des ressources naturelles. Durant les treize années où j’ai gouverné, la Bolivie a pris la tête des États latino-américains en termes de croissance. La nationalisation nous a permis de progresser dans le processus d’industrialisation.

Revenons au coup d’État. Qu’a dit Elon Musk, le maître de Tesla, à propos du coup d’État ? « Nous renversons qui nous voulons. Faites-en ce que vous voulez ». Il y a deux semaines, on pouvait lire dans un média : « le commando Sud des États-Unis s’intéresse au lithium ». La dirigeante du commando Sud des États-Unis a qualifié l’Amérique latine de « quartier » des États-Unis.

Les sources faisant état d’un intérêt des États-Unis pour le lithium sont innombrables. Les États occidentaux ne souhaitent pas que l’Amérique latine s’industrialise. Ils veulent qu’elle continue à leur vendre des matières premières.

LVSL – Vous avez récemment participé au huitième sommet du Grupa de Puebla, forum politique qui a pour fonction de défendre l’intégration régionale sur des bases de progrès social et de souveraineté. Quelles sont les revendications que vous y avez porté ?

EM – Le Grupo de Puebla est une organisation qui rassemble divers ex-présidents, ex-ministres, responsables et partis politiques, et qui a émergé en réaction au Groupe de Lima [coalition politique qui est apparue en 2017, et qui a rassemblé jusqu’à 12 gouvernements conservateurs et pro-américains d’Amérique latine, avec pour fonction de trouver une « issue » à la crise vénézuélienne NDLR]. Il rassemble les acteurs qui, quelques années plus tôt, avaient été à l’origine de l’UNASUR et des diverses tentatives d’intégration régionale en faveur des peuples. Derrière les partis politiques, on trouve des mouvements sociaux qui défendent une perspective anti-impérialiste et anti-capitaliste.

Dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, nous souhaitons conserver notre autonomie et notre souveraineté.

Comment nous définissons-nous ? D’abord, par une perspective internationale en opposition à la doctrine Monroe, dont nous commémorons les 200 ans, qui proclamait « l’Amérique aux Américains ! » [Evo Morales fait référence à la doctrine géopolitique du président James Monroe. « L’Amérique aux Américains » était d’abord un slogan dirigé contre les menées colonialistes des Européens, mais il a rapidement justifié la mainmise de l’Amérique du Nord sur le sous-continent NDLR]. En opposition, nous proclamons : « L’Amérique plurinationale des peuples pour les peuples ». Pour nous, la plurinationalité est l’unité dans la pluralité pour affronter l’adversité.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons mener à bien un processus d’intégration régionale. Premier objectif : comment en finir avec l’OEA ? [Organisation des États américains, très controversée en raison de son exclusion de Cuba depuis 1962 NDLR]. Rappelons que cette organisation a exclu Cuba et a soutenu le coup d’État bolivien. L’OEA est une ennemie de l’intégration, et un instrument de l’interventionnisme. Ensuite, en renouant avec l’UNASUR et en institutionnalisant l’appartenance des États latino-américains à la CELAC [L’Union des nations sud-américaines et la Communauté des États latino-américains et caribéens concernent rétrospectivement l’Amérique du Sud et l’Amérique latine, à l’exclusion des États-Unis NDLR]. Nous souhaitons que la CELAC devienne une OEA sans les États-Unis d’Amérique. En cela, Lula renoue avec l’esprit des Chavez, Kirchner, Correa, Fidel…

D’un autre côté, nous souhaitons mener une campagne internationale contre l’OTAN. La désinformation est très forte à propos du conflit russo-ukrainien. On compte plus de de 200.000 victimes Russes et Ukrainiennes. Qui doit-on blâmer, l’Ukraine ou la Russie ? Qui a provoqué cette guerre, l’OTAN ou la Russie ? Dans ce conflit, nous souhaitons conserver notre autonomie et notre souveraineté.

publié le 20 octobre 2022

Israël / Territoires palestiniens occupés : traitements inhumains
contre Salah Hamouri

Communiqué commun sur https://www.ldh-france.org

L’avocat franco-palestinien et chercheur pour l’ONG Adameer, Salah Hamouri, placé en détention administrative, a été mis à l’isolement le mercredi 28 septembre 2022, après avoir démarré une grève de la faim. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (FIDH-OMCT) et la LDH (Ligue des droits de l’Homme) exhortent les autorités israéliennes à libérer sans condition M. Salah Hamouri.

Depuis le 10 mars 2022, Salah Hamouri est en détention administrative dans la prison de haute sécurité de Hadarim, en Israël. Il a été arrêté sans inculpations ni procès, sur la seule base d’un dossier déclaré secret que son avocat ne peut consulter, rendant ainsi sa détention illégale au regard du droit international.

Le dimanche 25 septembre 2022, 30 prisonniers, dont Salah Hamouri, ont entamé une grève de la faim pour protester contre la détention administrative qui leur est infligée ainsi qu’à 740 autres prisonnières et prisonniers palestinien.nes. En réponse à cette action, les autorités ont placé M. Hamouri à l’isolement le 28 septembre 2022. Les prisonniers doivent par ailleurs payer des amendes pour chaque jour de leur grève de la faim. Le 9 octobre 2022, 20 autres prisonniers ont rejoint la grève.

Ces mesures punitives constituent une violation de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En effet, M. Hamouri a été placé dans une cellule de 3m2 sans fenêtres ni aération. Il n’a pas de droit de visite, de cantine et ne peut changer de vêtements. Le 2 octobre 2022, un avocat a rendu visite à M. Hamouri et a pu rendre compte de ces conditions de détention inhumaines. Sa santé s’est détériorée et il a besoin de soins médicaux quotidiens mais refuse d’être examiné par les médecins des prisons israéliennes, celles-ci négligeant délibérément les détenu-e-s palestinien-ne-s. Il souffre de douleurs musculaires, de vertiges, de maux de tête, d’insomnies et a perdu environ 7kg. M. Hamouri est privé de temps en plein air et n’a pas vu la lumière du jour depuis sa mise à l’isolement. 

Voici maintenant plusieurs années que M. Hamouri fait l’objet d’une répression continue exercée par les forces d’occupation israéliennes, en raison de son rôle actif dans la défense des droits humains. Au total, Salah Hamouri a passé neuf ans dans les prisons israéliennes, réparties en six épisodes de détention. Accusé en octobre 2021 de déloyauté envers l’État d’Israël, sa carte d’identité jérusalémite lui a été retirée et des tentatives pour l’expulser vers la France sont encore en cours. Il est prévu que la Cour suprême israélienne statue sur le retrait de la carte d’identité de Salah Hamouri en février 2023.

Les organisations rappellent qu’à ce jour, le gouvernement français n’a pas demandé la libération de M. Hamouri, bien qu’il ait été placé à l’isolement il y a quelques mois suite à une lettre envoyée au président français, Emmanuel Macron, lui demandant d’exiger sa libération.

Nous alertons sur le caractère inhumain du traitement réservé à M. Salah Hamouri et condamnons fermement ces mesures abusives et arbitraires. Les persécutions à son encontre semblent avoir pour unique but de le punir en raison de ses activités légitimes de défense des droits humains, notamment en faveur des prisonnier-ères politiques palestinien.nes. 

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains et la LDH appellent les autorités israéliennes à libérer immédiatement Salah Hamouri et à mettre fin à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre. Les deux organisations appellent par ailleurs les autorités françaises à exiger la libération immédiate de M. Hamouri.

Paris–Genève, le 12 octobre 2022


 

publié le 14 octobre 2022

Macron a-t-il lancé les « Nations unies d’Europe » ?

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

« C’est une très vieille idée qui est peut-être en train de devenir réalité » s’est autocongratulé le président de la République, le 6 octobre dernier, à l’issue de la première réunion de la « Communauté politique européenne » (CPE) – lancée sur sa proposition – à Prague. Emmanuel Macron faisait allusion à l’initiative diplomatique majeure – malheureusement avortée – de François Mitterrand au lendemain de la chute du mur de Berlin : la tentative de création d’une « Confédération européenne » réunissant « tous les États de notre continent dans une organisation commune et permanente d’échanges, de paix et de sécurité », y compris, donc – « naturellement », précisait Mitterrand à l’époque –, l’Union soviétique.

Il s’agissait d’offrir, sans attendre, un cadre stable de coopération aux pays d’Europe centrale et orientale. Et, dans le même temps, l’objectif sous-jacent fut d’éviter l’extension du leadership américain à ce nouvel espace stratégique. Parfois très discutable par ailleurs, la politique étrangère du président socialiste était, sur ce point, empreinte de lucidité et de sagesse, ce dernier allant jusqu’à mettre sur la table « des questions nouvelles », telles que « l’avenir des alliances – l’Alliance atlantique et le pacte de Varsovie – » ou « à quel rythme poursuivre le désarmement »… Mikhaïl Gorbatchev, trop heureux de retrouver dans ce projet des traits de son idée de « maison commune européenne », lui apporta son soutien. À l’inverse, Washington, par l’intermédiaire de ses nouveaux alliés d’Europe de l’Est, fit capoter l’initiative française.

Pour toutes ces raisons, il est pour le moins outrancier de dresser un parallèle entre ce projet de Confédération européenne et la CPE imaginée par Emmanuel Macron ! Les 44 États invités à Prague ont, sauf exceptions, pour point commun quasi unique la condamnation de la stratégie désastreuse du Kremlin. C’est légitime mais cela ne suffit pas pour « structurer le continent européen », comme l’a pompeusement annoncé l’Élysée. La présidente du Kosovo a beau y voir un « grand voyage pour la grande Europe » et son homologue lituanien rien de moins que les « Nations unies d’Europe », cette CPE risque d’être d’une portée limitée. L’unité affichée est évidemment factice. La Grande-Bretagne, présente à Prague, a, comme chacun sait, une folle envie d’« écrire ensemble l’avenir » de l’Europe avec les « 27 » ! La Turquie est si désireuse d’une bonne entente avec les pays voisins qu’Erdogan a annexé la moitié de l’île de Chypre et invectivé son homologue grec durant la conférence. L’Azerbaïdjan siège aux côtés de l’Arménie à Prague mais l’agresse sauvagement sur le terrain, etc.

En vérité, ce dont aurait besoin notre continent depuis trente ans que s’y accumulent des plaies qui, faute d’être traitées, s’enveniment, c’est d’une négociation globale pour la sécurité de tous. Sans exception. Évidemment, il est difficile d’imaginer aujourd’hui – après la décision, aussi stupéfiante qu’irresponsable, de Vladimir Poutine de lancer cette guerre – associer la Russie à un tel chantier ! Il faudra pourtant, tôt ou tard, y arriver – après l’indispensable cessez-le-feu – pour tenter de jeter les bases d’une paix durable sur tout le continent.

 

publié le 13 octobre 2022

« En Iran, une division à l’intérieur des forces armées serait en cours »

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Protestations Porté par les femmes depuis septembre, un mouvement de contestation secoue le régime iranien. Le chercheur Stéphane Dudoignon en décrypte les caractéristiques et la diversité.

Stéphane Dudoignon Chercheur au CNRS. Fin connaisseur de l’Iran et des peuples qui le composent, Stéphane Dudoignon, qui a écrit sur l’un des piliers de la République islamique d’Iran, les gardiens de la révolution (1), analyse l’attitude de ce corps militaire face au mouvement de protestation et les antagonismes locaux et régionaux dans le pays.

Comment caractériser ce mouvement ?

Stéphane Dudoignon : C’est un mouvement qui rappelle les mouvements endémiques des dix dernières années. Dès le début de la présidence de Hassan Rohani, en 2013, on a assisté à une succession de grèves, de manifestations, d’occupations de lieux publics, avec une intensification particulière entre fin 2017 et fin 2019. Il y a eu de nombreux mouvements au quotidien sur une très très large échelle et avec une virulence particulière pendant l’hiver 2017-2018, puis à nouveau à l’automne 2019. Et, à chaque fois, de la part du régime, une approche répressive. Mais ce sont des mouvements qui, particulièrement en 2017-2018, avaient gagné quasiment l’ensemble du territoire et des groupes sociaux très différents, dans lesquels on retrouvait des gens de tous les âges. On voyait déjà beaucoup de femmes.

La nouveauté réside d’abord dans le tour féministe marqué qu’ont pris les manifestations de ces dernières semaines. Avec un rôle particulièrement important joué sur les réseaux sociaux souvent par de très jeunes femmes, adolescentes pour certaines, arrachant leur voile publiquement. Elles exigent un changement radical de l’ordre des choses. Il y a aussi un tournant intéressant qui a été pris dans la mesure où Mahsa Animi, qui a été assassinée, était kurde et sunnite. C’est donc que la protestation a pris une dimension particulière, d’abord au Kurdistan, dans sa ville de Saqqez, mais aussi dans d’autres régions où vivent des minorités, comme le Baloutchistan, qui, à la fin du mois de septembre, s’est trouvé en pointe dans les manifestations mais également dans leur répression après le viol d’une adolescente baloutche dans un commissariat de la ville portuaire de Chabahar : on a eu affaire à un massacre ethnique particulièrement fort.

Enfin, troisième élément de nouveauté, apparemment il y aurait un début de division à l’intérieur des forces de police et des forces armées avec certaines réticences expliquées par la troupe et par de jeunes officiers face au choix fait par les autorités du tout-répressif et du niveau extrêmement élevé de la violence appliquée aujourd’hui contre les manifestantes et les manifestants un peu partout en Iran. Mais cela ne se traduit pas, pour l’instant, par des divisions au sommet.

On avait dit que le shah était aussi tombé en 1979 lorsque les marchands du bazar et les ouvriers, notamment de la pétrochimie, étaient entrés dans le mouvement. L’absence de ces forces peut-elle être un frein, mêmesi cela commence à bouger à Bouchehr ?

Stéphane Dudoignon : C’est possible. Mais il existe un autre paramètre. En 1979, dans certaines villes, la police avait déserté les rues. Vous parlez des ouvriers. Il faut souligner que, en Iran, il existe un syndicalisme particulièrement actif – même s’il est quasiment interdit –, avec de très nombreuses grèves. Il y en a parfois 900 sur une année. L’autre élément de ­nouveauté, c’est l’extrême diversité locale et régionale des situations. Dans les face-à-face, on va avoir des manifestants qui pourront être des retraités mécontents de leur pension, des propriétaires exploitants agricoles privés d’eau par le rationnement, donc en colère contre le régime, des enseignants furieux de ne pas être payés depuis des mois. On va avoir un mouvement politique et social plus ou moins structuré qui va toucher des populations appartenant à des catégories socioprofessionnelles diverses.

La répression qui s’abat pourrait être encore pire vu les antécédents du régime iranien. Dans ce contexte, les gardiens de la révolution, les pasdarans, bras armé politique du pouvoir, apparaissent absents, sauf au Kurdistan. Comment l’expliquer ?

Stéphane Dudoignon : Il existe un certain nombre de localités où la troupe, lorsqu’elle est issue des gardiens de la révolution et plus particulièrement d’un de leurs corps, les bassidjis, en charge de l’encadrement et de la surveillance de la population, a des réticences à tirer sur la foule. Il faut savoir que, dans les régions centrales de l’Iran – les régions persanophones, chiites, qui ne posent pas de problème dans la diversité ethno-confessionnelle –, les garnisons sont constituées de gens habitant dans ces régions. Ils font leur carrière, bassidjis puis pasdarans, dans le chef-lieu de leur district. Le jour où il y a une manifestation, ils vont avoir face à eux leurs camarades d’école, leurs voisins ou leurs cousins. Forcément, ils vont avoir des difficultés à tirer dans les endroits où les gens se seront emparés du pouvoir.

C’est très différent de ce que l’on observe à la périphérie, où vivent des Kurdes, des Baloutches, des Turkmènes ou des Arabes. Cette situation explique en partie un nombre de morts parfois important. Car les garnisons, qui viennent d’ailleurs, ne vont pas appartenir au même groupe ethno-confessionnel que la population majoritaire de la région. Elles auront tendance à considérer la population face à elles comme étrangère, y compris parfois avec des relents racistes, ethniques et religieux. Si Mahsa Amini a pu faire l’objet d’une telle violence de la part de la police des mœurs dans un commissariat à Téhéran, c’est pour ces mêmes raisons. En tant que femme, kurde, sunnite, pour un milicien de base de la police des mœurs, elle a pu être considérée comme une sous-femme.

Les gardiens de la révolution représentent un pouvoir politique et économique très important. Ils ne voudront pas lâcher le pouvoir. Quelle alternative leur reste-t-il ?

Stéphane Dudoignon : Tout dépend de la façon dont les choses vont évoluer. Avec probablement une grande diversité d’antagonismes locaux et régionaux. Les possibilités de transition sont multiples. Un des axes des pasdarans depuis 1990 a été de préparer en quelque sorte une transition politique en s’emparant, un peu partout en Iran, du secteur dit des coopératives : ni publiques, ni privées. Dans ce secteur, les gardiens se sont arrangés pour mettre la main de manière durable sur un certain nombre de leviers économiques qui puissent perpétuer leur pouvoir, leur domination sur le système économique iranien, même en cas de changement de régime. Au point que les alternances à la tête de la République islamique entre conservateurs, centristes et réformistes n’ont, en aucune mesure, entamé cette domination. À l’intérieur du corps des gardiens, un des grands espoirs est que, quel que soit le régime, cette domination puisse être renégociée. Même si, de la part de la population mais aussi d’un certain nombre de chefs des forces armées, c’est une domination qui fait l’objet d’une contestation de plus en plus importante. Par ailleurs, on imagine difficilement les gardiens pouvoir se passer de leur allié, partenaire et axe de leur légitimité indispensable, le guide suprême.

(1) Les Gardiens de la révolution islamique d’Iran, de Stéphane A. Dudoignon, CNRS Éditions, 288 pages, 25 euros.

publié le 11 octobre 2022

Haïti : de désespoir et de rage - « (ré)affirmer que les Haïtiennes et Haïtiens ont raison de se révolter. »

Frédéric Thomas sur https://lundi.am

 

Depuis trois semaines, Haïti est en état d’insurrection. La hausse brutale du prix du carburant en est le déclencheur. Il faut non seulement rendre compte des raisons de la révolte, mais aussi et surtout, (ré)affirmer que les Haïtiennes et Haïtiens ont raison de se révolter.

Depuis l’annonce, le 11 septembre dernier, de l’augmentation du prix du carburant – il a doublé –, Haïti se trouve à nouveau en état d’insurrection. Les rues sont désertes, les quartiers barricadés et les villes vivent au rythme des manifestations, tournant ici ou là à l’émeute. Comme en 2018-2019, lors du soulèvement populaire contre la vie chère et la corruption, l’oligarchie et les inégalités, Haïti est en mode peyi lock.

Le pillage et l’incendie d’un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM), la plus grande institution onusienne, a suscité l’émoi de la communauté internationale. Les réactions semblent plus outrées qu’en juillet passé, face au massacre – plus de 300 personnes tuées – qui secouait un quartier populaire de la capitale, Port-au-Prince. Il est vrai qu’il ne s’agissait alors que d’une énième péripétie dans l’effondrement d’un pays ingouvernable, et que les gouvernements « amis » étaient occupés à un dossier autrement plus sérieux et urgent : le renouvellement de la mission onusienne sur place, dont l’échec, patent, est à la mesure de son discrédit.

Sur le ton de la réprimande adressée à des enfants gâtés qui auraient cassé leur jouet, le PAM a fermement condamné l’attaque et la destruction de son entrepôt, en affirmant que la nourriture pillée aurait dû servir à nourrir des dizaines de milliers de familles. De tels actes sont « inacceptables » a-t-il affirmé. Mais, l’instrumentalisation de la terreur et des bandes armées, la systématisation des viols, l’impunité et le soutien inconditionnel à un gouvernement illégitime qui accélère la gangstérisation de l’État ne le sont-ils pas tout autant, sinon plus ?

« L’inacceptable », les Haïtiens et plus encore les Haïtiennes, le subissent, au quotidien, depuis des mois. Est-il acceptable de passer sous silence les causes, de ne pas nommer les acteurs et les responsables, de ne rien dire de l’injustice, de ne pas déjouer l’imbrication du narratif et de la pratique humanitaires dans les dispositifs de contrôle et de subordination qui autorisent et entretiennent cet inacceptable ?

En réalité, avec les sacs alimentaires du PAM, brûlait aussi l’illusion dont se berce la communauté internationale que toute son aide la lave de ses fautes et responsabilités dans la situation actuelle, et la rachète aux yeux de la population haïtienne. On regrette dès lors amèrement que les Haïtiens – ces ingrats – ne fassent pas la distinction entre l’ONU, pourvoyeur d’aide humanitaire, d’un côté, caisse de résonnance de Washington et barrage à tout changement, de l’autre. De même s’étonne-t-on que la communauté internationale soit rejetée comme un bloc et que personne sur place ne veuille faire la distinction entre toutes les nuances de gris du néocolonialisme, de l’alignement sur la Maison Blanche et de l’aveuglement diplomatique.

Révoltes logiques

Est-il si surprenant que la population haïtienne, exaspérée et appauvrie, se soulève pour exprimer son ras-le-bol à l’annonce faite, par un Premier ministre sans mandat ni légitimité, du doublement du prix des carburants, dont dépend toute l’économie nationale ? Apparemment oui, pour les diplomates et les fonctionnaires des institutions internationales. Pris dans leur vision idéologique, obsédés par la stabilité macro-économique, ils sacrifient les faits et la colère populaire, préoccupés avant tout par la gouvernance et la reconduction d’un système qui, aussi pourri soit-il, est celui avec lequel ils s’accommodent le mieux.

Quand il n’y a pas d’insurrection, ils se persuadent que leur diplomatie fonctionne et que les choses s’améliorent. Quand la révolte éclate, ils l’attribuent à la manipulation de chefs de gangs, persuadés que cela va passer. Leur politique du déni est aussi un déni du politique, qui gomme les raisons et les revendications du soulèvement, et tente de fondre dans une panoplie de mesures humanitaires et sécuritaires – formation et équipement de la police haïtienne (nettement plus efficace contre les manifestants que face aux bandes armées) – la stratégie poursuivie.

Faute de reconnaître l’échec de cette diplomatie et la volonté de changement des Haïtiens et Haïtiennes, s’opère une fuite en avant dans le spectacle. Ainsi, le ministre haïtien des affaires étrangères annonce au Conseil de sécurité de l’ONU que « tout est sous contrôle » dans le pays, tandis que les divers représentants de la communauté internationale répètent pour la énième fois leur préoccupation, leur attachement aux droits humains et leur appel à une solution haïtienne à la crise.

Une solution haïtienne a pourtant été mise en avant depuis plus d’un an au sein de l’Accord Montana, qui regroupe une très large convergence d’acteurs et d’actrices de la société civile. Ils se sont accordés sur les conditions et les étapes d’un programme ; celui d’« une transition de rupture ». Malheureusement, aux yeux de Washington et de ses affidés, ce n’est pas la « bonne » solution ni le « bon » peuple haïtien. Il faut, au contraire, passer au plus vite par la case élections.

L’absurdité d’imposer – à l’encontre de la grande majorité – des élections, organisées par un gouvernement incapable et corrompu, lié aux bandes armées qui contrôlent désormais la majorité de Port-au-Prince, et d’en attendre une stabilisation du régime et une légitimation du pouvoir, ne s’explique que par le refus de toute alternative populaire qui, nécessairement, échapperait au contrôle de la Maison Blanche.

Dans les réactions internationales à la rébellion en Haïti se lit une triple épouvante : celle des Noirs, des populations du Sud et de la « plèbe ». Certes, il convient de se défier du romantisme insurrectionnel à 7.000 km de distance et le ventre plein, mais, il faut plus encore se défaire de tout discours paternaliste ou d’une fausse compassion qui voit dans la révolte un accident ou une erreur.

Le soulèvement actuel a clarifié les positions. En quittant la place qui leur était assignée – celle d’une population sous tutelle, administrée « par le haut », et condamnée à bénéficier d’une aide humanitaire sans issue –, les Haïtiens et Haïtiennes ont momentanément fait sauter le verrou du statu quo et de la domination. Ils ont, dans le même temps, mis à nus le cynisme et la duplicité internationales. Et ramené à sa plus simple expression les options auxquelles ils font face : subir isolément, au sein de chaque famille, la peur du rapt et du viol, la violence du mépris et de la domination, ou les affronter collectivement dans la rue. Au risque de s’exposer à un nouveau massacre, orchestré par les bandes armées, et téléguidé par le pouvoir.

Il faut le dire et le répéter : non seulement les Haïtiens et Haïtiennes ont raison de se révolter, mais seule la révolte ouvre la voie d’un changement, en permettant de se dégager de la double subordination à l’oligarchie et à la communauté internationale.

Frédéric Thomas, Docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental (www.cetri.be)

publié le 9 octobre 2022

Sortir de l’engrenage de la guerre : difficile mais vital !

Francis Wurtz sur www.humanite.fr

« Les habitants (des quatre territoires ukrainiens annexés) deviennent nos citoyens pour toujours ! » proclama Vladimir Poutine devant un public en extase, scandant « Russia ! Russia ! ». En franchissant ce nouveau seuil de l’inacceptable, le président russe vient de rendre encore plus difficile le chemin vers l’indispensable cessez-le-feu. Comme il fallait s’y attendre, Volodymyr Zelensky a aussitôt répliqué que « l’Ukraine ne négociera pas avec la Russie tant que Poutine en sera le président », ajoutant qu’il allait signer une « demande d’adhésion accélérée à l’Otan » – deux objectifs qui, à leur tour, compliquent sérieusement la donne.

L’Ukraine dans l’Otan ? Le seul fait d’en évoquer l’hypothèse apporte inutilement de l’eau au moulin du courant le plus belliciste en Russie. Quant à l’attente d’un autre président de la Russie pour entamer des négociations, elle laisse plus que sceptiques maints observateurs des relations internationales en général et de la Russie en particulier. Ainsi, un responsable politique peu susceptible de faiblesse vis-à-vis de Moscou rappelait-il récemment que, « à chaque fois que l’Occident a voulu changer les régimes en place, ce fut une catastrophe » (1). Cela vaut pour la Russie, où, dans le contexte actuel, un éventuel remplaçant de Poutine n’apporterait pas la solution, car ce sont les nostalgiques de l’Empire, bien plus que les partisans de la paix, qui ont malheureusement le vent en poupe.

Le président français a, quant à lui, choisi ce moment pour réaffirmer que « la France se tient aux côtés de l’Ukraine pour (…) recouvrer sa pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire ». Disant cela, Emmanuel Macron a fait écho à l’ambition affichée il y a peu par son homologue ukrainien : « reconquérir tous les territoires occupés par la Russie en Ukraine », y compris la Crimée. En droit, il n’y a rien de plus légitime. Dans les faits, faire de cet objectif le préalable à l’arrêt des combats et à l’ouverture de discussions revient à s’installer dans la perspective d’une guerre longue, extrêmement coûteuse en vies humaines, aux multiples ramifications mondiales et à l’épilogue incertain, le pire ne pouvant être exclu.

À l’opposé de cette stratégie, il apparaît plus responsable de reconnaître que nous avons à faire face au problème le plus inextricable, néanmoins vital, d’un conflit dont la portée dépasse désormais largement le cadre russo-ukrainien : sortir coûte que coûte de l’engrenage de la guerre avant que la situation ne devienne totalement immaîtrisable. Cette option maintiendrait intact l’objectif de la défense de la souveraineté de l’Ukraine, dans un cadre global prenant en considération la sécurité de tous les pays du continent, mais par la voie politique et non militaire. Les grands perdants de cette stratégie seraient les ultranationalistes de tous bords, qui se nourrissent de la guerre pour assouvir leurs fantasmes. À l’inverse, on peut raisonnablement penser que le retour du politique pourrait progressivement rouvrir un espace à des forces progressistes aujourd’hui réduites au silence, à Moscou et ailleurs. « La paix a ses victoires, non moins célèbres que la guerre (2). »

(1) Pierre Lelouche, ex-président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan (« le Figaro », 27 septembre 2022). (2) John Milton, poète anglais du XVIIe siècle.

publié le 7 octobre 2022

Sanctions et interdépendances

Casser la chaîne mondiale d’approvisionnement et de coopération entraîne inévitablement des conséquences. S’il s’agit d’une fracture importante, et c’est le cas avec les sanctions contre la Russie, alors les conséquences le sont tout autant y compris au niveau mondial.

Robert Kissous sur https://blogs.mediapart.fr/


 

Tout comme la guerre éclatait en 2014 dans le Donbass, les premières sanctions contre la Russie démarraient aussi à cette date après l’annexion de la Crimée.

Sur le plan économique les sanctions étaient relativement limitées touchant surtout les domaines du financement de certaines entreprises russe et de quelques banques. Puis sont touchées des entreprises dans le secteur de l’armement, de l’énergie et de la finance. Les avoirs de certaines entreprises ou personnes sont bloqués et les rapports commerciaux avec la Crimée fortement réduits.

On est loin de la guerre économique contre la Russie ardemment souhaitée par le ministre de l’Économie et déclenchée après l’entrée de l’armée russe en Ukraine le 24 février 2022. Inutile de faire ici la liste des plans successifs de sanctions décidées par l’UE et les Etats-Unis (EU). Nous en sommes, début octobre, au 8ème train de mesures.

Ces sanctions sont des décisions politiques, elles ne sont pas une conséquence automatique de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, elles ne découlent pas de la guerre. Rien n’oblige ni n’obligeait l’UE de décider telle ou telle mesure.

L’interdépendance incontournable

L’interdépendance entre les économies s’est considérablement développée avec la mondialisation malgré les fractures de l’économie mondiale  organisées par les EU : boycotts de pays (Cuba, Iran, Venezuela …), extraterritorialité du droit étatsunien et l’impossible découplage souhaité d’avec l’économie chinoise. Et maintenant les très lourdes sanctions du bloc occidental contre la Russie, un pays disposant de ressources minières colossales, indispensables, dans les énergies fossiles, métaux, céréales...

Casser cette chaîne mondiale d’approvisionnement et de coopération entraîne inévitablement des conséquences. S’il s’agit d’une fracture importante, et c’est le cas avec les sanctions contre la Russie, alors les conséquences le sont tout autant y compris au niveau mondial.

La prudence est de mise à cet égard. Comme le disait l'ambassadeur Jim O'Brien qui dirige le Bureau de coordination des sanctions du département d'État « Lorsqu'on impose des sanctions, il faut veiller à ne pas perturber le commerce mondial. Notre travail consiste donc à réfléchir aux sanctions qui ont le plus d'impact tout en permettant au commerce mondial de fonctionner ».

Les Etats-Unis prudents pour leur commerce

Le commerce des EU avec la Russie ne s’est jamais interrompu : « L'Associated Press a constaté que plus de 3 600 cargaisons de bois, de métaux, de caoutchouc et d'autres marchandises sont arrivées dans les ports américains en provenance de Russie depuis que celle-ci a commencé à lancer des missiles et des frappes aériennes sur son voisin en février. Il s'agit d'une baisse significative par rapport à la même période en 2021, où environ 6 000 cargaisons étaient arrivées, mais cela représente tout de même plus d'un milliard de dollars de commerce par mois. [1]».

Toute une série de produits ne sont pas visés par les sanctions.

L’UE ne sanctionne pas les engrais ni céréales évidemment bien que ce ne soit pas toujours clair.

Aluminium, nickel, palladium ou titane russes ne sont pas boycottés.

L’uranium non plus ni « le commerce lié à l’industrie nucléaire »[2] Parce que la Russie est le 3ème plus gros fournisseur de l’UE, et les EU en sont de gros importateurs[3].

La Russie est le second producteur et exportateur d’aluminium parce qu’elle dispose d’une énergie abondante et à bon marché. L’industrie automobile ne peut fonctionner sans aluminium ni nickel pour les batteries. Perturber les approvisionnements, créer une pénurie artificiellement, mettrait les usines à l’arrêt et rajouterait de l’inflation. Comme le rappelle un économiste « L'idée de base des sanctions est que vous essayez d'agir d'une manière qui cause plus de douleur à l'autre partie et moins de douleur à vous-même. »

Comment est créée la pénurie et renforcée l’inflation

S’ils ont observé cette sage précaution pour eux les EU l’ont omise pour leurs vassaux européens[4]. Ils ont mis une pression énorme – « l’homme aux écus » se posant comme champion de la démocratie et droits de l’homme en danger - afin que les pays européens se passent des matières premières fossiles russes. La Russie serait ainsi privée de recettes énormes. Certes elle peut trouver de nouveaux clients mais elle devrait offrir un rabais et les livraisons se feraient par des navires sans pouvoir utiliser l’infrastructure des pipelines européens.

Mais la Russie fournit plus de 25% du pétrole et 45% du gaz importés par l’UE. Leur remplacement ne peut se faire en quelques mois et encore moins du jour au lendemain. L’effet boomerang sur l’économie des pays européens se révèlerait forcément violent. Pas sur les EU qui ont du pétrole et du gaz. Mettre la pression pour le boycott de l’énergie fossile russe, surtout le gaz, présentait des avantages pour les EU.

L’Allemagne était particulièrement réticente, même opposée à cette décision, du fait du poids dans son économie d’énergies fossiles russes bon marché. Dans un communiqué début mars elle évoquait l’aide humanitaire sans parler de sanctions. Les importations de Russie sont « essentielles pour la vie quotidienne des citoyens » en Europe et un approvisionnement alternatif ne peut suffire aux besoins, affirmait le chancelier allemand Olaf Scholz.

Face aux pressions des EU, de la France et du Royaume-Uni, sans oublier la présidente on ne peut plus atlantiste de la Commission européenne, l’Allemagne cédait. Pris au piège de la surenchère sur « la guerre économique » et « la lutte pour nos valeurs », le seul grand pays industriel européen venait de sacrifier une bonne partie de son industrie et de son activité économique[5]. Et son peuple par la même occasion. Aujourd’hui en Allemagne se tiennent des manifestations de quelques milliers de personnes pour l’arrêt des sanctions, le rétablissement des importations de Russie en vue d’arrêter la guerre et ouvrir des négociations.

L’Europe dans la tourmente

Un suicide qui arrangeait bien les Etats-Unis à plusieurs titres :

- Leur gaz de schiste venait de trouver un client aux abois. Une mauvaise solution à plusieurs titres pour l’Allemagne : le gaz naturel des EU devait être livré par des navires spécialisés donc liquéfié puis à l’arrivée gazéifié. Mais pas assez de navires, pas assez d’installations de traitement et pas assez de gaz disponible aux EU. A l’arrivée, avec les spéculations diverses que l’on devine du fait de la pénurie ainsi volontairement créée, le gaz de schiste étatsunien a un prix 7 à 8 fois supérieur à celui du gaz russe.

- La puissance allemande avec ses excédents commerciaux considérables, que Trump dénonçait comme étant réalisés sur les dos des EU, c’était fini. L’Allemagne allait se mettre sous la coupe des EU y compris pour sa politique antichinoise. Le découplage précédemment refusé pourrait-il alors s’appliquer ?

L’Allemagne va aider les ménages et essayer de sauver son industrie au prix de 200 à 300 milliards d’euros de subventions réduisant le coût de l’énergie. Sans trop savoir ce qu’il faudra faire de plus en 2023. Puis après ? Elle critique publiquement le prix payé pour le GNL étatsunien avec le sentiment de se faire tondre.

Les dissensions au sein de l’UE s’accroissent. La Hongrie veut s’approvisionner librement en Russie et remet en cause les sanctions. La Pologne, le petit lieutenant des EU, joue à la surenchère antirusse. L’Allemagne va subventionner massivement l’énergie. La France qui n’a pas les moyens colossaux mis par l’Allemagne (8% de son PIB) critique son « cavalier seul » assurée de voir la concurrence faussée à son détriment. L’Italie élit droite avec extrême-droite à la tête du pays et demande à l’Autriche de laisser passer le gaz russe.

Et chaque pays garde pour lui les ressources énergétiques dont il dispose, plus question de partage malgré quelques vœux pieux déjà oubliés.  

Bref chacun pour soi avec une présidente de la Commission européenne qui n’hésite pas à menacer de couper les fonds à des pays qui ne jouent pas le jeu. La démocratie de la menace.

Où va l’Union européenne ?

Sanctions et boomerang imprévu !

Les sanctions ont pesé lourdement sur la Russie au début des sanctions énergétiques notamment avec l’effondrement du rouble. Puis la parade a été trouvée par la Russie avec l’obligation de payer en roubles - pour contourner les devises hostiles « saisissables » dollar et euro - malgré l’opposition acharnée de la Commission européenne. De nouveaux clients étaient trouvés en leur accordant un rabais significatif. Clients qui s’empressaient parfois de revendre aux pays de l’UE au prix fort. La hausse des prix a permis à la Russie d’engranger encore plus de recettes. Ne pas oublier que 160 pays ne s’engageaient pas dans le boycott de la Russie, certains tels la Chine et l’Inde devenant même d’importants clients de ses énergies fossiles.

Comment l’Europe peut espérer rester compétitive en boycottant un géant des matières premières alors qu’elle n’en a pour ainsi dire pas ?[6]

Compte tenu du poids de la Russie dans les échanges internationaux en matière d’énergie fossile, la fracture des chaînes d’approvisionnement entraînait une situation de pénurie. Alors qu’au total la production mondiale n’avait pas diminué.

C’est que les pipelines étaient en bonne part remplacés par des cargos pétroliers et des méthaniers pour le GNL, dont le nombre était notoirement insuffisants. De plus la modification des modes de transports, des produits livrés et de la pénurie ainsi artificiellement créée entraînait une hausse considérable des prix. Une destruction considérable de valeurs alors que la solution du problème était connue : ne pas boycotter l’énergie fossile russe ou tout au moins, si souhaité, organiser la rupture sur la durée.

Seuls les EU en sont sortis gagnants, alors que les pays européens se sont lourdement autosanctionnés. Même si les circuits d’échange se stabilisent dans quelques années, la compétitivité de l’économie européenne et singulièrement de son industrie est atteinte. A moins que, comme le souhaitent des dirigeants politiques, la coopération avec la Russie ne soit plus un tabou. Le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 montrent jusqu’où certaines forces sont prêtes à aller pour éviter ce retour. Ceci dit le sabotage a été « bâclé » : la Russie a annoncé que le Nord Stream 2 a une de ses deux lignes en état de fonctionnement.[7]

 Robert Kissous (Communiste - Militant associatif - Rencontres Marx)

 

[1] https://abcnews.go.com/US/wireStory/months-war-russian-goods-flowing-us-88827895

[2] https://www.greenpeace.fr/espace-presse/sanctions-de-lue-a-lencontre-de-la-russie-le-nucleaire-epargne-alors-quun-cargo-russe-est-au-port-de-dunkerque-pour-charger-des-dechets-nucleaires/

[3] https://www.xtb.com/fr/analyses-marches/les-etats-unis-vont-ils-bloquer-limportation-duranium-russe

[4] Le Japon refuse de boycotter les énergies fossiles russes et y a maintenu ses investissements https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220901-projet-sakhaline-2-le-japon-ne-veut-pas-renoncer-au-gaz-russe

[5] Plusieurs grandes entreprises ont annoncé leur installation aux EU où des conditions très favorables leur sont accordés et où l’énergie est moins chère qu’en Europe

[6] Cf le rapport du CREA pour des éléments chiffrés https://www.forbes.fr/business/guerre-en-ukraine-pourquoi-les-sanctions-sur-le-petrole-et-le-gaz-russes-ne-fonctionnent-pas/

[7] https://news.yahoo.com/russia-wants-send-gas-europe-103700718.html

publié le 29 septembre 2022

Pourquoi est-il si difficile de critiquer
la politique d’Israël ?

Latifa Madani sur www.humanite.fr

Géopolitique Les initiatives pour alerter sur la situation en Palestine et avancer vers un règlement du conflit ont du mal à se faire entendre. Comment sortir de cette impasse ?

Critiquer Israël et défendre les droits des Palestiniens deviennent de plus en plus périlleux, alors que la perspective d’une solution politique n’a jamais semblé aussi éloignée. Une proposition de résolution, déposée mi-juillet à l’initiative du député PCF Jean-Paul Lecoq, « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » a suscité une vive polémique.

Le terme apartheid est-il impropre pour qualifier la politique de colonisation israélienne et ses conséquences ?

Nitzan Perelman En Israël, nous utilisons le terme apartheid depuis le début des années 2000. Puis, il y a eu les rapports détaillés et argumentés d’ONG israéliennes comme B’Tselem et Yesh Din et ceux d’organisations internationales (ONU, Conseil de l’Europe) et non gouvernementales (Human Rights Watch et Amnesty International) qui ont démontré que les lois, politiques et pratiques mises en place par les autorités israéliennes ont progressivement créé un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien. L’ONG B’Tselem a observé et démontré que, sur la totalité du territoire, s’exercent des politiques qui favorisent clairement les juifs au détriment des Palestiniens, qui, eux, vivent sous le régime de l’armée israélienne d’occupation. Nous observons aussi un apartheid foncier à l’intérieur même d’Israël. Depuis 1948, pas un seul village, pas une seule ville arabe n’y ont été fondés. À peine 3 % des terres appartiennent aux citoyens arabes. Ils ne peuvent pas vivre ou acheter un terrain ou une maison là où ils voudraient. La loi fondamentale dite de l’État-­nation, votée en juillet 2018, énonce que « l’État considère le développement de la colonisation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement ». Cela ouvre le droit de confisquer des terres appartenant à des Palestiniens, qu’ils soient de Cisjordanie, de Jérusalem ou citoyens d’Israël. Et c’est ce qui se passe.

Jérôme Guedj Je crois que nous sommes tous sincèrement défenseurs d’une solution à deux États, d’une paix juste et durable, de la sécurité d’Israël et de la défense des droits des Palestiniens. Nous partageons ces objectifs mais pas forcément le chemin pour les atteindre. J’ai l’impression que le sentiment d’échec et d’impuissance à faire aboutir une solution donne lieu à une surenchère qui consiste, avec le terme d’apartheid, à vouloir donner un grand coup de pied, pensant que cela éveillera les consciences. Or, nous devons poser la question des raisons de cet échec, qui laisse l’extrême droite israélienne gagner en partie la bataille culturelle. Au lieu de cela, je trouve hasardeux le parallélisme avec l’Afrique du Sud. Je partage les objectifs, mais je conteste le moyen, pas seulement parce que je le trouve inefficace, mais parce que je le trouve contre-productif et même dangereux.

Pour quelles raisons ?

 Jérôme Guedj Une grille de lecture binaire et globalisante empêche de prendre en compte la complexité de la situation. Le danger le plus important à mes yeux est l’instrumentalisation du débat national par l’usage de ce terme. L’apartheid est défini par l’ONU comme « des actes inhumains commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial sur un autre groupe racial et de l’opprimer systématiquement ». On tombe dans le piège de la racialisation et de l’essentialisation d’un conflit qui est en réalité celui de deux nationalismes légitimes, israélien et palestinien, et non pas celui entre juifs et musulmans. En voulant introduire cette réponse nouvelle, on prend le double risque que le conflit change de nature et qu’on l’importe sur le territoire national. Je ne fais pas de procès d’intention aux militants sincères qui pensent que c’est la bonne manière de faire avancer les choses. Mais en tant que lanceur d’alerte, je mets en garde. Le recours au terme d’apartheid délégitime l’interlocuteur et donne du crédit à ceux qui continuent à poser la question de l’existence même d’Israël. Cette notion est un cheval de Troie. En Afrique du Sud, cela s’est traduit par un renversement du régime. Si vous dites qu’Israël est un régime d’apartheid, par quoi le remplacez-vous ?

Pierre Laurent La fin du régime d’apartheid d’Afrique du Sud n’a pas entraîné la fin de l’Afrique du Sud mais la mise en place d’un autre régime politique. Cela dit, l’usage du terme apartheid dans la résolution qui a provoqué ce débat ne relève d’aucune surenchère. Il s’agit au contraire de sortir du déni de réalité et d’en finir avec l’impunité. Ce mot est revenu récemment au premier plan à propos du conflit israélo-palestinien. J’ai été moi-même très attentif avant de l’utiliser. Ceux qui, comme moi, se sont rendus régulièrement, ces dix dernières années, dans les territoires occupés, à Jérusalem-Est et à Gaza (où j’ai pu entrer, exceptionnellement, avec une délégation parlementaire en juin dernier), ont pu observer une situation de fait d’institutionnalisation d’un apartheid. Nous sommes face à une entreprise de domination et d’oppression systématique, sans perspective de reconnaissance des droits des Palestiniens. La solution à deux États est de plus en plus sabotée par les gouvernements israéliens successifs, qui essaient d’organiser une situation d’irréversibilité pour la rendre impossible. Enfin, le changement de paradigme est le fait de la loi fondamentale dite de l’État-­nation adoptée en juillet 2018 par le Parlement israélien. Elle institue elle-même la discrimination. Intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif », elle stipule dans l’article 1 : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au peuple juif. »

Jérôme Guedj Que l’on soit d’accord ou pas, rappelons qu’Israël est le foyer national du peuple juif depuis sa création et sa construction. Notre modèle universaliste, je le regrette, ne s’y applique pas.

Nitzan Perelman Si, au niveau international, on évoque encore la solution à deux États, en Israël on ne parle plus de solution, ni même d’occupation. On ne parle même plus de paix, sauf pour dire bonjour (salam shalom). C’est maintenant qu’il faut réagir parce que la situation se dégrade très vite. Cela fait plus de dix ans que les voix critiques contre les gouvernements et contre l’occupation sont délégitimées en Israël même. Les opposants sont taxés de traîtres, d’ennemis intérieurs. Moi-même j’ai hésité pendant des années à utiliser le terme d’apartheid, mais quand on regarde la réalité, on ne trouve pas d’autre mot pour la décrire. Oui, il faut à tout prix éviter de donner une dimension religieuse au conflit. Ceux qui le font sont les dirigeants israéliens eux-mêmes, lorsqu’ils assimilent les Palestiniens aux Iraniens, aux islamistes djihadistes. Ce sont ces voix qui délégitiment ceux qui critiquent Israël en les accusant d’antisémitisme, et c’est cela qui est très inquiétant. Les Israéliens regardent les Palestiniens comme des musulmans (alors qu’il y a des Palestiniens chrétiens…) et non plus comme des citoyens qui revendiquent des droits et un État. Il faut le dire clairement pour que ceux qui sont à l’extérieur en aient conscience.

Pourquoi la Palestine semble-t-elle de plus en plus une cause perdue ?

Pierre Laurent Les Palestiniens sont abandonnés de toute la communauté internationale, des grandes nations, y compris la France qui ne prend plus aucune initiative pour relancer un processus. Avec le projet de résolution qui a soulevé la polémique mais qui demande de l’explication et du dialogue, nous voulons dire la vérité sur une situation extrêmement dangereuse pour les Palestiniens, mais aussi, à terme, pour Israël. Bien sûr, il ne s’agit sûrement pas de transformer le conflit en conflit religieux, mais d’attirer l’attention sur la négation de fait des droits de tous les Palestiniens. C’est extrêmement préoccupant et cela doit être dénoncé. Dans le cas contraire, nous ne rouvrirons pas la voie à une négociation pour une solution politique et pacifique. En juin dernier, avec la délégation sénatoriale, j’étais inquiet d’entendre des dirigeants israéliens de la Knesset dire que, pour eux, le problème palestinien n’est plus le problème essentiel.

Jérôme Guedj L’apartheid est une définition juridique qui fait mention de la domination d’un groupe racial sur un autre. Quel est le groupe racial qui domine un autre groupe racial ? Les Israéliens. Les Palestiniens sont-ils un groupe racial comme le furent, en Afrique du Sud, les Blancs (10 % de la population) et les Noirs (90 % de la population) ?

Nitzan Perelman Rappelons que l’article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination dit que race ou racial inclut la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique.

Pierre Laurent Ajoutons que, de plus en plus, les définitions internationales de l’apartheid vont bien au-delà de la question raciale, elles intègrent les dimensions de domination et d’oppression systématiques et institutionnelles d’un groupe ou d’une partie de la société sur une autre.

Jérôme Guedj Il y a des situations discriminatoires de droit ou de fait en Israël comme malheureusement dans beaucoup d’autres pays. Elles sont plus importantes en Israël. Mais les questions de l’occupation et de la colonisation ont disparu du débat. Elles sont considérées comme un fait acquis, surtout depuis que Donald Trump a validé la logique d’annexion. Faisons front commun pour remettre sur la table ce combat. Mais je persiste à mettre en garde contre les dangers de l’importation de ce conflit chez nous. J’ai le souvenir de la Deuxième Intifada et des cocktails Molotov contre la synagogue à Massy. Je ne veux pas revivre cela.

Pierre Laurent La politique d’Israël conduit à une impasse dramatique pour les Palestiniens et pour les Israéliens, et pour la région tout entière. Dénoncer cela n’est pas sombrer dans la mise en cause d’Israël, ni dans la désignation des juifs comme étant responsables de cette situation. Si nous ne faisons rien, ce sera à nouveau l’explosion car les Palestiniens sont là, ils ne partiront pas.

Comment ne pas abandonner le soutien à la cause palestinienne sans être accusé d’antisémitisme ? Surtout depuis que le Parlement européen ainsi que d’autres pays dont la France ont adopté des définitions qui tendent à assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme.

Jérôme Guedj Les causes internationales perdues et oubliées sont malheureusement nombreuses dans le monde ; les Arméniens du Haut Karabakh, les Ouïghours ou les Yéménites ne sont pas en haut de la pile des priorités internationales. Je ne veux rien exonérer, mais la question de la Palestine ne doit pas être le thermomètre, l’étalon de la qualité des relations internationales ou de la vitalité démocratique. C’est souvent vécu comme tel. On peut et on doit critiquer, mais n’ayons pas la naïveté de ne pas voir qu’il y a un renouveau de l’antisémitisme qui nourrit la détestation d’Israël. Je ne fais pas d’amalgame et j’ai horreur de ce terrorisme intellectuel qui, derrière l’accusation d’antisémitisme, consiste à fermer la porte au débat. Mais, dans le même temps, il y a des gens qui, délibérément, diront « sale sioniste » plutôt que « sale juif ». Il faut comprendre la sensibilité d’une grande partie de nos concitoyens. L’antisémitisme a tué dans notre pays des Français de confession juive. Je rêve qu’il y ait une remobilisation sur l’occupation, la colonisation, l’impunité de certains dirigeants israéliens. Mais ne créons pas de clivages supplémentaires. Je dis cela en défenseur sincère de la cause palestinienne. Parfois, le remède est pire que le mal que l’on veut soigner.

Nitzan Perelman Je suis complètement d’accord au sujet de l’antisémitisme. Surtout, mettons-nous d’accord sur sa définition. Il est alarmant que l’on mette sur le même plan un réel acte antisémite comme agresser un homme parce qu’il porte une kippa et le fait de dire qu’Israël commet des actes de guerre. C’est dangereux car cela vide de sens la notion d’antisémitisme qui renvoie, elle, à des événements très graves dans l’histoire. Par ailleurs, cette confusion paralyse complètement le combat politique contre la colonisation et l’occupation. Désormais, dans la société israélienne, on considère que ceux qui critiquent le gouvernement sont antisémites. C’est un vrai danger auquel il faut prêter attention.

Pierre Laurent La résurgence de l’antisémitisme est une réalité en France, en Europe, dans le monde, de même que la résurgence d’idéologies racistes nauséabondes. Attention à ne pas attribuer cette résurgence à ceux qui défendent la cause palestinienne. Les forces d’extrême droite, qui portent en elles l’antisémitisme historique et qui progressent dans nos sociétés, sont un grave danger. De même que les forces islamistes radicales qui ont perpétré d’horribles attentats sur le territoire français. Mais, parce que nous avons ces combats à mener, je pense que la confusion entretenue entre les défenseurs de la cause palestinienne et les autres alimente le discours en Israël des forces extrémistes de droite, qui utilisent elles-mêmes l’argument d’antisémitisme contre des forces de gauche israéliennes. À mal désigner les causes de la résurgence de l’antisémitisme, on peut non seulement ne pas le combattre, mais désarmer les consciences. Les communistes n’ont jamais failli contre l’antisémitisme, et ils resteront fermes aussi sur la défense des Palestiniens

publié le 27 septembre 2022

Italie : l’abstention
a fait le match

Romaric Godin et Donatien Huet sur www.mediapart.fr

La victoire de la droite et de l’extrême droite en Italie en sièges cache une stabilité de son électorat. L’Italie n’a pas tant viré à droite sur le plan électoral que dans une apathie et une dépolitisation dont le post-fascisme a su tirer profit.

À première vue, la victoire de la droite et de l’extrême droite en Italie ressemble à un raz-de-marée. La coalition de « centre-droit » regroupant principalement Forza Italia (FI) de Silvio Berlusconi, la Lega de Matteo Salvini et Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni obtient une confortable majorité en sièges dans les deux assemblées du Parlement italien, tant à la Chambre qu’au Sénat.

En termes de voix, le raz-de-marée apparaît du même ordre : la coalition cumule 43,84 % des suffrages exprimés au niveau national (hors Val d’Aoste et Italiens de l’étranger) à la Chambre et 44,10 % au Sénat. Un tel score renvoie le centre-gauche à plus de 18 points. Le scrutin uninominal qui permet d’élire les candidats arrivés en tête vient confirmer la vague : 49 sièges sénatoriaux sur 67 attribués au scrutin uninominal vont au « centre-droit », ainsi que 116 sur 146 à la Chambre (l’intégralité des sièges n’est pas encore attribuée au moment de la rédaction de cet article).

Quels mouvements dans l’électorat ?

Pourtant, les mouvements n’ont pas forcément eu lieu là où on le croit. Lorsque l’on compare en nombre de voix obtenues les scores des coalitions en lice, on constate effectivement un autre paysage. En 2018, la coalition de droite et d’extrême droite était arrivée en tête avec 37 % des voix à la Chambre et 12 152 345 voix. Quatre ans plus tard, ce score est extrêmement proche en nombre de voix : 12 289 518 voix. Le gain est donc très faible.

Ce fait vient mettre en doute l’image d’un net « virage à droite » de l’électorat italien. Il y a bien une croissance des voix en faveur du « centre-droit », mais la hausse reste réduite, et nullement en phase avec l’idée d’un raz-de-marée. D’autant que si ce score de 2018 était supérieur de près de 3 millions de voix à celui de 2013, il était encore très éloigné des scores du « centre-droit » de la grande époque de Silvio Berlusconi : 17,4 millions de voix en 2008, près de 19 millions en 2006 et 18,4 millions en 2001.

Autrement dit, historiquement, le score de la droite italienne ce 25 septembre n’a rien d’exceptionnel, loin de là. D’ailleurs, les trois oppositions cumulées (centre-gauche, Mouvement 5 Étoiles et « troisième pôle » centriste) à ce bloc sont presque majoritaires.

Ce qui est frappant, par ailleurs, c’est que cette relative stabilité en voix se retrouve aussi pour le centre-gauche. L’alliance autour du Parti démocrate avait, en 2018, obtenu 7 372 072 voix pour le scrutin de liste à la Chambre, ce qui représentait alors 22,45 % des suffrages exprimés. Il faut y ajouter la liste de gauche indépendante « Liberi e Uguali » (LeU) qui obtenait 1 114 799 voix (soit 3,99 % des exprimés) et qui était, cette fois, intégrée à l’alliance de centre-gauche sous l’étiquette Sinistra Italiana-Verdi (Gauche italienne et Verts). En tout, donc, 8,49 millions de voix.

En 2022, la coalition de centre-gauche peut revendiquer 26,12 % des suffrages exprimés, mais avec un nombre de voix très proche de celle de 2018 : 7 327 135. En ajoutant les centristes du Terzo Polo (TP), autour de Matteo Renzi et Carlo Calenda, qui étaient encore en 2018 dans le PD et qui ont obtenu 7,8 % des voix et 2,2 millions de voix cette année, on obtient 9,49 millions de voix, soit un million de plus qu’en 2018 ; cette hausse profite uniquement au Terzo Polo. L’alliance autour du PD perd en réalité près d’un million de voix.

La centralité de l’abstention

Le sentiment est donc bien qu’il n’y a pas eu de grands mouvements ni à droite ni à gauche. Les flux de voix ont profité principalement aux centristes, qui étaient absents en 2018, mais ces derniers réalisent cependant un score somme toute médiocre et bien inférieur à celui de la coalition autour de Mario Monti qui, en 2013, avait frôlé les 10 %.

Mais le fait majeur de cette élection, c’est que l’effondrement du vote Mouvement 5 Étoiles (M5S) est allé principalement alimenter l’abstention. Et c’est ce double fait qui a placé la droite en tête partout, sans qu’il y ait eu besoin d’un mouvement massif d’électeurs vers ses listes et ses candidats. La seule condition à cette traduction directe était l’absence d’unité en face. L’impossible entente entre le PD et le M5S et la décision du Terzo Polo de faire cavalier seul ont rendu impossible tout autre scénario que la victoire de la droite.

Le mouvement fondé par Beppe Grillo, désormais dirigé par l’ancien président du Conseil Giuseppe Conte, obtient ce 25 septembre 4 323 444 voix, soit 15,41 % des exprimés contre 10 732 066 voix (et 32,68 % des voix) voilà quatre ans. Ces 6 millions d’électeurs sont allés massivement grossir le rang des abstentionnistes. Ce scrutin du 25 novembre est en effet le plus délaissé de l’histoire de la République italienne avec une participation de 63,9 % des inscrits, contre 72,94 % en 2018, qui était déjà la plus faible de l’histoire.

Cette baisse de 9 points de la participation représente près de 5 millions de voix. Et l’on voit clairement une corrélation entre l’abstention et le fort vote M5S en 2018, puisque c’est dans les bastions du sud du pays que l’abstention baisse le plus : toutes les régions méridionales affichent des taux de participation inférieurs à 60 %. La hausse de l’abstention atteint 15 points en Campanie (région de Naples) et en Sicile, 14 points en Calabre (où la participation n’est que de 50,8 %), 12 points dans les Pouilles et en Sardaigne.

Dans ces conditions, le fait majeur a bien été le désintérêt pour cette élection. C’est ce désintérêt, qui s’est traduit en abstention, qui a permis la victoire du centre-droit. Et c’est un élément qui était palpable tout au long de cette campagne courte et qui a eu peu d’impact sur le terrain : une grande partie de la population italienne se sent envahie par un sentiment d’impuissance du politique et par un rejet de l’offre politique.

En cela, le chemin depuis le centre-gauche vers le M5S et l’abstention d’une partie de cette population semblent logiques. Désabusés par une gauche néolibérale incapable de proposer des alternatives, certains avaient pu voir dans le M5S une possibilité de faire de la politique autrement. Mais la participation de ce dernier au jeu gouvernemental, ses errances multiples (soutenant un temps le durcissement de la politique migratoire, puis défendant et lâchant Mario Draghi) et ses divisions depuis 2018 ont mené à ce sentiment d’impasse qui, pour beaucoup, se traduit par l’abstention.

Ce sentiment s’est renforcé avec la crise inflationniste, alors même que la rhétorique de défense des libertés et des droits, développée notamment par le chef du PD Enrico Letta, n’a pas réellement conduit à une mobilisation massive. C’est donc un phénomène complexe mêlant des causes conjoncturelles et structurelles qui a conduit à cette abstention et, partant, au triomphe de la droite et de l’extrême droite.

Le glissement à droite de la coalition de centre-droit

Pour autant, il s’est bien passé quelque chose de majeur ce dimanche en Italie. Non pas tant au niveau des blocs qu’au sein même des blocs. À droite, Fratelli d’Italia a englouti l’immense partie des électeurs de la droite italienne telle qu’elle s’était constituée depuis le milieu des années 1990. Fratelli d’Italia, sur le scrutin de liste de la Chambre, passe de 4,1 % en 2018 à 26,01 % ce dimanche. En nombre de voix, cela représente près de 6 millions d’électeurs.

Parallèlement, Forza Italia (FI) recule de 14,4 % à 8,1 % et perd près de 2 millions de voix. FI est un parti désormais lié à un homme âgé, Silvio Berlusconi, et, comme le programme économique de Giorgia Meloni était proche, la fuite des électeurs était inévitable. Mais le coup est surtout rude pour la Lega de Matteo Salvini. Premier parti de droite en 2018 avec 17,6 %, il perd cette fois près de la moitié de son électorat, pas loin de 3,2 millions de voix, en retombant à 8,8 % des voix.

C’est une véritable gifle pour l’ancien ministre de l’intérieur qui, en 2013, avait repris une Lega exsangue à 4,09 % des exprimés. Il en avait fait un parti non plus régional, mais national, jouant sur l’insécurité, l’identité italienne et la peur de l’immigration. En 2018, le succès était en apparence total. Au point que, dans les premiers temps de l’alliance avec le M5S, en 2018-2019, la Lega était donnée par les enquêtes d’opinion premier parti d’Italie à 30 %. Mais Matteo Salvini a ouvert une boîte de Pandore.

Giorgia Meloni a pu profiter d’un débat centré sur les obsessions de l’extrême droite, tout en affichant un profil plus cohérent de nationaliste italienne, et non pas d’ancienne régionaliste, et en jouant le contre-pied où elle le jugeait utile : sur la guerre en Ukraine, par exemple, elle a développé un profil très atlantiste permettant de mettre en exergue les soupçons de collusion de la Lega avec Moscou. Enfin et surtout, FdI a pleinement profité de son opposition au gouvernement Draghi que FI et la Lega ont soutenu. Elle a ainsi pu apparaître comme le principal véritable parti d'opposition. 

Le résultat est que Fratelli d’Italia est apparu comme plus cohérent et plus sérieux que ses partenaires. La Lega a alors commencé à reculer. Le score de dimanche est un désastre pour Matteo Salvini, qui se voyait il y a encore un an et demi au palais Chigi, le Matignon italien. Certes, Giorgia Meloni aura besoin de lui pour former un gouvernement, mais il sera un partenaire mineur, équivalant à Forza Italia.

Le parti est d’ailleurs fortement atteint dans ses bastions. En Lombardie, il tombe à 13,87 %, contre 28,05 % en 2018 et 27,6 % pour FdI. C’est presque autant qu’en 2013, année terrible pour la Lega. En Vénétie, il se limite à 14,6 % des exprimés au Sénat, loin des 31,8 % de 2018. De son côté, FdI s’impose dans cette région en passant de 4,2 % à 32,8 %. Certes, la Lega conserve des scores entre 5 et 10 % dans le reste de l’Italie, mais la question de l’identité politique du parti va nécessairement se poser. Et certains dans le parti, à commencer par le très populaire président de la région Vénétie, Luca Zaia, vont sans doute demander des comptes à Matteo Salvini.

La bascule en faveur de FdI se traduit donc par une emprise sur les voix de droite. Le parti est en tête de la droite partout dans le pays, sauf dans une circonscription de Calabre qui va à Forza Italia. Giorgia Meloni a su profiter des faiblesses de ses partenaires. Elle recueille là les fruits d’un travail engagé par ces deux alliés, par Berlusconi d’abord, qui a banalisé les post-fascistes avec Gianfranco Fini, dès les années 1990, et a joué pleinement la bataille culturelle contre la gauche, et par Matteo Salvini, qui a pensé pouvoir prendre la place du FN/RN en France, mais a déroulé le tapis rouge à FdI.

Le PD encore affaibli, le M5S rassuré

Du côté de la nouvelle opposition, le bilan est préoccupant. Le centre-gauche mené par le PD est affaibli. On a vu qu’il a perdu près de 1,5 million de voix en intégrant le score de 2018 de l’alliance sur sa gauche. Enrico Letta n’a jamais vraiment convaincu, en dépit d’une volonté de dramatiser l’enjeu de l’élection. Le PD, même allié à la gauche italienne, ne parvient pas à reprendre le terrain qu’il a perdu entre 2013 et 2018, avec les gouvernements Renzi et Letta.

Certes, il parvient à résister dans quelques bastions : en Émilie-Romagne, autour de Bologne et Reggio Emilia, ou en Toscane, autour de Florence.

Mais dans ces deux régions, la droite est en tête au niveau global et le nombre de voix de la coalition, lorsqu’on le compare au score centre-gauche et LeU en 2018 est en recul net : 200 000 voix en Émilie-Romagne et 100 000 voix en Toscane. Et au scrutin uninominal, la plupart des circonscriptions échappent au centre-gauche. Le PD et ses alliés semblent désormais des forces majeures surtout dans les centres urbains. Ce sont dans ces centres que les rares élus directs de la coalition ont été glanés. C’est le cas à Milan, à Turin, à Bologne, à Florence et à Rome.

Le fait majeur pour le PD et ses alliés est donc son incapacité à profiter de l’effondrement du M5S tout en perdant un peu de terrain au profit du « troisième pôle » centriste. La coalition ne parvient ainsi pas à reprendre deux anciens bastions de la gauche passés à droite en 2018 avec un M5S fort, comme l’Ombrie et les Marches.

Quant au Mouvement 5 Étoiles, on l’a dit, il s’effondre, passant au niveau national de 32,68 % à 15,42 %. Pourtant, le mouvement a quelques raisons de se réjouir. Compte tenu des scores qui lui étaient promis par les sondages, ce résultat est plutôt positif, quand bien même il est inférieur à celui de 2013 (25,56 %). L’épreuve du pouvoir a été rude pour le mouvement qui, néanmoins, y a gagné un nouveau chef, Giuseppe Conte.

Et celui-ci a fait une campagne très active ces dernières semaines, pour tenter de limiter les dégâts. Il a répondu notamment aux attaques d’Enrico Letta sur la chute de Mario Draghi qu’il a provoquée et a mis en avant un programme social en évitant la dramatisation d’un retour au fascisme. Cela lui a permis de tenir bon et de rester le troisième parti du pays, pas très loin d’ailleurs du PD (qui a obtenu 19 % au scrutin de liste national).

L’autre aspect positif pour le M5S, c’est qu’il confirme son ancrage dans le Mezzogiorno. Malgré l’importance de l’abstention et les pertes qu’elle suppose pour le M5S dans cette partie du pays, les ex-« grillistes » remportent 10 sièges directs à la chambre et 5 au Sénat, principalement dans l’agglomération napolitaine, dans les Pouilles et autour de Palerme en Sicile. Le M5S est d’ailleurs le premier parti de la région Campanie et il est second derrière le centre-droit partout ailleurs dans le sud et en Sicile.

Enfin, la scission du M5S menée par le ministre des affaires étrangères Luigi Di Maio, qui s’était allié sur une ligne centriste avec le PD, a échoué avec fracas. À Naples, ce dernier est battu sèchement par son ancien camarade de parti, Costa Sergio, par 39,7 % contre 24,4 %. Dans cette circonscription, le parti de Luigi Di Maio n’obtient que 2,38 % des voix. Et au niveau national, son score est de 0,6 %.

Cela signifie qu’il n’y a pas de flux du M5S vers le centre-gauche. Et si les électeurs qui ont abandonné le M5S se sont réfugiés dans l’abstention, c’est qu’ils ne souhaitent toujours pas voter pour le PD et ses alliés ou pour la droite. Autrement dit, ils constituent une réserve potentielle pour le M5S. Reste désormais à Giuseppe Conte de construire une nouvelle identité pour le mouvement, mais il est parvenu à sauvegarder une base de reconstruction.

À l’issue de ces élections, on ne constate donc pas une droitisation de l’électorat qui serait reflétée par la droitisation du Parlement. Le mode de scrutin et l’abstention ont permis à une droite radicalisée, mais globalement stable, de l’emporter largement en sièges. Mais dans les faits, l’Italie reste coupée en trois, comme depuis 2013. Avec une nuance, désormais plus claire : le PD et ses alliés dominent l’opposition à la droite au nord et au centre, le M5S dans le sud.

Reste maintenant à tirer les leçons de ce scrutin sur le plan politique. L’incapacité du PD à s’imposer comme une opposition crédible a déjà entraîné l’annonce du retrait d’Enrico Letta. Le débat à venir devra résoudre une équation difficile : parvenir à redonner au PD une dynamique qui parvienne à convaincre les électeurs du M5S et les abstentionnistes. C’est un débat fondamental et il n’est pas sûr que ce parti en soit capable.

À droite, la question va également se poser pour la Lega. Mais elle est encore plus difficile. Après le scrutin, Matteo Salvini a annoncé qu’il était « déçu » mais ne « démissionnait pas ». L’inévitable règlement de comptes dans ce parti devra être suivi de près, car il doit aussi déterminer l’orientation de la Lega et sa place dans le futur gouvernement Meloni.

Romaric Godin et Donatien Huet

Cet article a été réalisé avec les données du ministère de l’intérieur italien. Au moment de sa rédaction, 99,95 % des bureaux de vote avaient transmis leurs résultats, mais une répartition définitive des sièges n’était pas encore disponible. 

Sauf précision contraire, les pourcentages concernent le scrutin en Italie, hors du Val d’Aoste et des Italiens de l’étranger, qui ont un mode de scrutin particulier.

publié le 22 septembre 2022

Joseph Gerson : « Guerre en Ukraine : toujours une crise des missiles cubains au ralenti »

sur www.humanite.fr

Joseph Gerson est président de la Campagne pour la paix, le désarmement et la sécurité commune, vice-président du Bureau international pour la paix.

Au cours des premiers jours de la guerre en Ukraine, l’ancien sénateur Sam Nunn a averti que la guerre en Ukraine était une crise des missiles cubains au ralenti. Cet avertissement a récemment été réitéré par des analystes de haut niveau à Moscou dans des conversations officieuses. La guerre concerne l’Ukraine et bien plus encore : le pouvoir, les privilèges, le désordre sécuritaire en Europe ; l’avenir du règne de Poutine ; et lutte pour renforcer l’hégémonie américaine face aux pressions pour un ordre mondial bipolaire ou multipolaire.

Alors que le débat fait rage sur Internet, il est clair que l’invasion mal conçue, illégale et brutale l’Ukraine par Poutine a été déclenchée dans une combinaison d’ambitions impériales russes frustrées et de l’expansion arrogante de l’OTAN par Washington aux frontières de la Russie. Le tournant a eu lieu en 2008 quand, contre l’opposition des Français et des Allemands, W. Bush a pressé l’OTAN de s’étendre à l’Ukraine et à la Géorgie. Avec l’histoire des invasions de l’Occident via Napoléon, le Kaiser et Hitler, un puissant refoulement – bien qu’illégal – de Moscou était inévitable. Et maintenant, nous avons une guerre par procuration, avec les États-Unis et l’OTAN engagés à affaiblir la Russie et à renforcer l’hégémonie des États-Unis en Europe.

Malgré les déclarations contraires de Poutine, d’anciens hauts responsables russes admettent que les récentes pertes russes dans la région de Kharkiv lui ont créé des problèmes politiques. Ajoutez à cela la distanciation de Xi et Modi… Avant même que Poutine n’émette de nouvelles menaces et que le président Biden ne mette en garde contre l’escalade et l’utilisation possible d’armes de destruction massive, les conseillers russes et les anciens généraux ont prédit que l’escalade serait la réponse inévitable. Les Russes, ont-ils dit, « feront tout ce qui est nécessaire pour gagner. » Malgré le « Ne le faites pas » de Biden, le spectre d’une éventuelle attaque nucléaire, ou d’armes chimiques, projette son ombre sur la guerre et l’humanité.

Pourquoi ? Parce que la doctrine nucléaire russe appelle à l’utilisation d’armes nucléaires si et quand l’État russe est en danger, et Poutine est l’État russe. Si cela devenait une guerre prolongée qui saigne les ressources et la puissance russes ou si les forces russes devaient faire face à une éventuelle défaite militaire majeure, Poutine pourrait lancer des armes nucléaires tactiques pour terroriser Kiev. La doctrine américaine impose l’utilisation possible d’armes nucléaires lorsque ses intérêts vitaux et ceux de ses alliés et partenaires sont menacés. L’utilisation par la Russie d’armes nucléaires tactiques pourrait ainsi déclencher un échange nucléaire cataclysmique.

Dans les conversations avec les Russes de haut rang, nous entendons dire qu’accepter quoi que ce soit de moins que les exigences minimales de Poutine (assurer un contrôle sûr du Donbass et de la Crimée et créer l’Ukraine en tant qu’État neutre) saperait sa capacité de rester au pouvoir. Lors d’une réunion officieuse, l’un des plus hauts membres démocrates du Congrès a réitéré qu’il était prêt à risquer une guerre nucléaire pour s’assurer que Kiev reprenne le contrôle de sa côte de la mer Noire. Le président Zelensky, soutenu par le secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg, s’est engagé à lutter pour libérer toute l’Ukraine occupée par la Russie. Et à Washington, les démocrates du Congrès sont tous prêts pour la guerre, la grande majorité s’opposant même à demander à Biden de conditionner les milliards de transferts d’armes vers l’Ukraine par un appel à un cessez-le-feu et à des négociations.

Nous sommes donc confrontés à une longue guerre, avec le danger d’escalades en spirale qui nous amènent à devoir regarder droit dans les yeux la confrontation nucléaire.

Le poète et auteur-compositeur canadien Leonard Cohen a enseigné qu’« il y a une fissure dans tout/c’est ainsi que la lumière pénètre ». Notre responsabilité est de continuer à faire pression pour un cessez-le-feu et des négociations menant à la création d’une Ukraine sûre et neutre, à la création d’une nouvelle architecture de sécurité européenne juste et à la détente. Dans la nouvelle guerre froide américano-russe 2.0, avec suffisamment de pression, nous pouvons forcer les puissances en place à trouver les compromis parmi les fissures de leurs engagements qui assurent notre avenir.

publié le 17 juillet 2022

BRICS, le droit au développement

par Robert Kissous, sur https://www.pcf.fr

Au mois de mai 2022 s’est tenue une réunion importante des ministres des Affaires étrangères des BRICS, plateforme qui regroupe cinq pays : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. Sur le plan mondial ils représentent 40 % de la population, 25 % du PIB, 18 % du commerce, et 50 % de la croissance économique, le cœur du développement mondial.

Prenant acte des profonds changements intervenus au plan international - fracturation du marché mondial, entraves au développement et aux échanges internationaux – ils se fixaient des objectifs communs et notamment :

  • Accueillir de nouveau membres. Conformément au principe de non-ingérence dans la politique intérieure d’un État, l’élargissement n’est nullement fonction d’affinités politiques et encore moins idéologiques. Les BRICS veulent incorporer en premier les pays émergents les plus influents afin de mieux défendre les questions centrales des pays du Sud : développement, coopération et pour une gouvernance mondiale multipolaire. Contrairement aux États-Unis et le bloc occidental qui multiplient sanctions, directes et indirectes, et boycott pour imposer leur hégémonie quitte à déstabiliser l’économie mondiale pour former des blocs politico-militaires.

  • Réduire la dépendance au système financier dominé par les États-Unis (dollar, SWIFT), développer un système de règlements en monnaies nationales. En outre le dollar, monnaie internationale de réserve et de règlements est d’abord une monnaie nationale gérée en fonction des intérêts des États-Unis. Interdiction d’utiliser le dollar dans les transactions avec les entités sanctionnées. Les pays endettés du Sud sont en difficulté avec la hausse des taux de la Fed. La confiance dans le dollar, outil de domination et non de développement, est ébranlée. Détenir des actifs en dollars est risqué en cas d’opposition avec les États-Unis : 7 milliards volés à l’Afghanistan, gel d’actifs de 300 milliards de dollars de la Russie.

Le 23 juin 2022 s’ouvrait à Pékin le 14e sommet annuel des BRICS. Les travaux prolongent les objectifs abordés en mai. Le média chinois Global Times en présentait les enjeux ; « un système de gouvernance mondiale égalitaire au lieu de celui dominé par l'hégémonie des États-Unis, une nouvelle approche de la réforme financière visant à mettre la finance au service de l'entité économique au lieu de l'utiliser comme une arme, et la réparation de la chaîne d'approvisionnement mondiale mise à mal par les États-Unis qui ont vanté le découplage ».

Le lendemain une vingtaine de pays étaient invités à participer à un « dialogue de haut niveau sur le développement global » : Algérie, Argentine, Égypte, Indonésie, Kazakhstan, Nigeria, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Sénégal, Thaïlande, Iran, Ouzbékistan...

L’Iran et l’Argentine ont demandé à adhérer aux BRICS, d’autres pays suivront.

Assiste-t-on à travers cette mobilisation à l’émergence d’un nouveau pays hégémonique ?

D’abord il n’y a pas un leader incontesté chez les BRICS comme le sont les États-Unis. On voit mal l’Inde ou la Russie se soumettre au leadership chinois bien qu’il s’agisse de la seconde puissance économique mondiale et bientôt la première. Les circonstances historiques qui ont produit l’hégémonie US ne sont pas reproductibles. A la sortie de la deuxième guerre mondiale les États-Unis étaient la première puissance économique, financière, militaire, culturelle… Ils contrôlaient les institutions financières et internationales. Intervenant partout dans le monde ils « protégeaient » les régimes qui se soumettaient et s’attaquaient aux autres. Après l’effondrement de l’URSS l’hégémonie des États-Unis s’est renforcée. C’était disait-on la fin de l’Histoire. Mais les échecs militaires se succédèrent. Les sanctions directes ou secondaires, l’application de la réglementation extraterritoriale des États-Unis, ne purent faire plier ni Cuba, ni l’Iran, ni le Venezuela…

Le déclin relatif des États-Unis n’est pas le produit de la seule montée de la Chine. On voit bien l’échec de l’alliance contre la Russie sur les plans militaire, économique ou diplomatique.

En outre les BRICS ne constituent pas une alliance militaire et ne cherchent ni ne peuvent l’être.

En mars 2022, Joe Biden s’exprimait dans un discours devant un parterre d’oligarques étasuniens :

« Je pense que cela [la situation en Ukraine] nous offre des opportunités significatives pour apporter de vrais changements. …- il va y avoir un nouvel ordre mondial, et nous devons le diriger. Et nous devons unir le reste du monde libre pour le faire. »1

Ne sous-estimons pas le danger représenté par les États-Unis, rentiers et parasitaires, ni l’acharnement, voué à l’échec, à maintenir leur hégémonie.

Robert Kissous,

publié le 10 juillet 2022

Dans les outre-mer, les choix de Macron attisent la colère et l’inquiétude

Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

En plaçant les territoires ultramarins sous la tutelle du ministère de l’intérieur et en chargeant des personnalités clivantes de s’en occuper, le président de la République a consterné bon nombre d’élus et de hauts fonctionnaires. Des Antilles à la Nouvelle-Calédonie, la situation est aujourd’hui critique. Et la rupture bientôt consommée.

Quelques mots, une poignée de promesses et de grandes généralités. Le passage de la déclaration de politique générale d’Élisabeth Borne consacré aux outre-mer n’aura pas suffi à rassurer les ultramarins, dont le niveau de défiance à l’égard du pouvoir exécutif et de la politique d’Emmanuel Macron est désormais abyssal. « Pour le moment, on reste sur notre faim », résume auprès de Mediapart Justin Daniel, professeur de sciences politiques de l’université des Antilles (UA).

Dans son discours du mercredi 6 juillet, la cheffe du gouvernement a rappelé les « doutes », les « craintes » et les « colères » qui se sont exprimées ces derniers mois dans le bassin océanique, mais aussi à la Réunion et à Mayotte, où Marine Le Pen a tutoyé les nuages des suffrages exprimés au second tour de l’élection présidentielle. « Je demande à tout mon gouvernement la plus grande attention pour les territoires ultramarins », a insisté la première ministre devant la représentation nationale.

Cette déclaration d’intention n’a pas convaincu les député·es des territoires concernés, déjà refroidis par la nouvelle architecture gouvernementale proposée deux jours plus tôt. « C’était un discours assez écologique parce qu’à l’image des éoliennes, ça a brassé beaucoup d’air, a ironisé le député réunionnais de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) Frédéric Maillot, regrettant, à l’instar de plusieurs de ses collègues, « le manque de considération » de l’exécutif pour les outre-mer.

En rattachant ces derniers au ministère de l’intérieur, comme l’avaient fait Nicolas Sarkozy et d’autres avant lui, Emmanuel Macron a suscité de vive critiques parmi les élu·es ultramarin·es. « Retour en arrière historique pour les outre-mer : plus de ministère de plein exercice mais sous la houlette du ministre de l’intérieur… quel message envoie-t-on aux ultramarins ? Prière de ne pas déranger ? Le mépris continue… », a réagi Karine Lebon, elle aussi députée Nupes de la Réunion.

Le sénateur socialiste de Guadeloupe Victorin Lurel, ancien ministre des outre-mer (2012-2014) sous le quinquennat de François Hollande, a également dénoncé « un recul évident », qu’il apparente à « une punition électorale ». « Depuis Nicolas Sarkozy, on n’avait plus fait ça. Ainsi, on revient au statu quo ante, avec probablement une sorte de mépris affiché. Je le dis très clairement, c’est un mauvais signal qui nous est envoyé », a-t-il indiqué dans les colonnes de France Info.

Un attelage gouvernemental incohérent

Deux mois après avoir conforté un ministère de plein exercice – rapidement abandonné par Yaël Braun-Pivet pour le perchoir de l’Assemblée nationale –, le président de la République a donc choisi de revenir dix ans en arrière, en confiant ce portefeuille clé à Gérald Darmanin. Celui-ci est aujourd’hui épaulé par deux ministres délégués – Jean-François Carenco (outre-mer) et Caroline Cayeux (collectivités territoriales) – et une secrétaire d’État – Sonia Backès (citoyenneté).

Pour des raisons évidemment très différentes d’un territoire à l’autre, cet attelage gouvernemental a consterné bon nombre de personnes, y compris dans l’appareil d’État, où plusieurs interlocuteurs soulignent auprès de Mediapart l’« incohérence » de ces nominations. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, l’entrée au gouvernement de Sonia Backès, figure de la droite extrême et présidente – qui entend le rester – de la Province Sud de l’archipel, a soulevé de nombreuses questions.

« Participera-t-elle aux discussions locales sur le projet d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie, soumis éventuellement à une consultation locale, selon le processus initié par Sébastien Lecornu [ancien ministre des outre-mer – ndlr], en tant que présidente de la Province Sud, dans le camp “loyaliste” ou aux côtés du ministre délégué aux outre-mer comme représentante de l’État ? Les deux “en même temps”, ce ne sera pas possible », a noté sur sa page Facebook le haut fonctionnaire Alain Christnacht, l’un des artisans des accords de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998).

La nouvelle secrétaire d’État chargée de la citoyenneté avait refusé de choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017.

Après un premier déplacement à la Réunion vendredi 8 juillet, Gérald Darmanin a annoncé qu’il se rendrait en Nouvelle-Calédonie à la fin du mois, avec Jean-François Carenco. Dans l’archipel du Pacifique, la situation politique est à l’arrêt depuis la tenue, le 12 décembre 2021, du troisième référendum d’autodétermination, maintenu par Emmanuel Macron malgré le boycott des indépendantistes. « Il faut savoir ce qu’on en tire comme conclusion après ce troisième référendum », a souligné le ministre de l’intérieur et des outre-mer sur BFMTV.

Mais avant même qu’un semblant de discussion sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ne puisse reprendre, la nomination de la loyaliste Sonia Backès est venue ajouter du désordre à la confusion. « On finit par oublier que l’on doit être fier d’avoir une Calédonienne là-bas, mais parce que ça intervient à un moment de l’histoire où l’on a besoin de clarté et forcément, ça pose un problème », a affirmé Louis Mapou, premier indépendantiste kanak à avoir accédé, en 2021, au poste de président du gouvernement collégial de l’archipel.

Celle qui avait refusé de choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017 a construit sa vie politique en s’opposant à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. « Moi je n’ai colonisé personne, mes parents n’ont colonisé personne ! », s’était-elle emportée au début de sa carrière, au mépris de l’histoire de l’archipel. Depuis plusieurs mois, elle milite aussi pour « revenir sur le gel du corps électoral », maintenant que l’accord de Nouméa est arrivé à son terme.

Aussi technique qu’elle puisse paraître, cette question est fondamentale pour les indépendantistes. Elle constitue même la pierre angulaire du processus de décolonisation engagé il y a 30 ans sous l’égide de Michel Rocard. La remise en cause du corps électoral constitue, aux yeux du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), une dénaturation des accords qui ont permis de ramener la paix dans l’archipel, après des années de quasi-guerre civile. Or, à la place qui est désormais la sienne, nul ne sait si Sonia Backès aura la main sur cet épineux sujet.

Dans un tout autre registre, le nouveau ministre délégué des outre-mer, Jean-François Carenco, ancien secrétaire général du Haut-Commissariat de Nouvelle-Calédonie (1990-1991), est réputé pour avoir noué, à cette époque, des contacts cordiaux avec les indépendantistes, parfois rugueux avec les loyalistes. « Backès et Carenco incarnent deux idéologies antagonistes », souligne un connaisseur du dossier, qui voit une forme de « machiavélisme » derrière le choix de ce duo. « Il fallait avoir l’idée... »

Ancien préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon (1996-1997), puis de la Guadeloupe (1999-2002), Jean-François Carenco est très connu au sein de la haute fonction publique, où d’aucuns émettent de profondes réserves quant à sa personnalité. Sa nomination, annoncée quasiment à chaque remaniement, a toutefois été saluée par les élus antillais, la fédération guadeloupéenne du Parti socialiste (PS) évoquant même un « haut fonctionnaire de qualité, réputé bon connaisseur de nos territoires ».

La seule réponse de l’État, c’est la répression.

Élie Domota, porte-parole du LKP

Parmi les personnes interrogées par Mediapart, tout le monde n’a pas la même lecture de la mise sous tutelle du nouveau ministre délégué des outre-mer. Si certains, notamment dans l’appareil d’État, y voient une façon de « cadrer » l’ancien préfet, d’autres perçoivent un message beaucoup plus politique derrière le retour de Beauvau – et de son aspect sécuritaire – dans les affaires ultramarines. « Ça confirme que la Guadeloupe est une colonie », estime notamment Élie Domota.

Le porte-parole du LKP, Liyannaj Kont Pwofitasyon (« Collectif contre l’exploitation »), au cœur de la poussée contestataire qui a saisi les Antilles en 2021, rappelle que Gérald Darmanin est aussi celui qui avait annoncé, fin novembre de la même année, l’envoi dans l’île des forces d’élite du GIGN et du RAID. « Nous sommes mobilisés depuis le 17 juillet 2021, mais personne ne nous répond, personne ne nous reçoit, dit le syndicaliste à Mediapart. La seule réponse de l’État, c’est la répression. »

Pour Justin Daniel, « le profil du ministre de l’intérieur suscite en effet bien des inquiétudes ». « Il y a une émotion, compte tenu de la situation actuelle qui reste extrêmement tendue dans certains territoires, souligne le professeur de sciences politiques, également président du Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de Martinique (Césécem). Aux Antilles, on a eu l’impression de revivre le système de répression qu’on avait connu avant les années 1980. »

Le spectre de l’extrême droite

S’il comprend que cette mise sous tutelle des outre-mer « puisse passer, localement, comme une forme de recolonisation », Justin Daniel rappelle que le ministère de la rue Oudinot a connu « plusieurs statuts » sous la Ve République, qui n’ont jamais réellement changé la donne. « Tout ça n’a qu’une valeur symbolique. Ce qui compte, c’est le poids du ministère des outre-mer dans le concert gouvernemental. Or, il a toujours été assez faible… », dit-il, pointant l’indifférence de Bercy aux enjeux ultramarins.

« Ce qu’ont souhaité le président et la première ministre, c’est d’avoir un poids extrêmement fort face à Bercy, face aux difficultés interministérielles notamment », avait d’ailleurs glissé Gérald Darmanin, au moment de sa prise de fonctions. Avant d’ajouter, le lendemain, sur BFMTV : « Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas voir désormais le ministère de l’intérieur comme celui de la sécurité, c’est le ministère de la protection des Français au sens large. »

Mais au-delà de son poids au gouvernement, de sa proximité avec Emmanuel Macron et de son éventuelle faculté à peser sur les futurs arbitrages, rien, dans l’action de Gérald Darmanin, n’est de nature à rassurer les ultramarins. Ni sa vision de la gestion de l’ordre – le fiasco du Stade de France revient dans tous les échanges –, ni le pas de deux qu’il a entrepris, sous le précédent quinquennat, avec l’extrême droite, allant même jusqu’à juger Marine Le Pen « trop molle ».

Le sujet est de taille puisque derrière les différentes revendications sociales, économiques, institutionnelles ou encore écologiques qui traversent les outre-mer – chacun, bien sûr, avec ses spécificités –, perce un seul et même danger politique. Car si le succès qu’a enregistré dans ces territoires la candidate du Rassemblement national (RN) au second tour de la présidentielle est d’abord l’expression d’« un rejet massif du président de la République et de sa façon de gérer les enjeux locaux, il y a aussi une part d’adhésion », note Justin Daniel.

« En Martinique, je vois fleurir sur les murs des slogans extrêmement effrayants comme “Les Haïtiens dehors”, ajoute le professeur de sciences politiques. Il y a un risque d’enracinement dans les esprits si on ne réagit pas rapidement. » Pour lui, la situation dans les Antilles, où « l’État est perçu comme un corps étranger qui n’est pas planté dans le réel », en dit long sur le pouvoir macroniste au sens large. Un pouvoir qui conserve « une posture très verticale », tout en multipliant les signes de faiblesse.

 publié le 6 juillet 2022

L’Espagne consolide son économie en s’attaquant à la précarité

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Votée cet hiver, la réforme du marché du travail fait la promotion des contrats à durée indéterminée, tout en sanctionnant le recours accru aux contrats temporaires. Un prolongement des mesures lancées en 2018 qui porte ses premiers fruits.

Lutte contre la précarité, inversion de la hiérarchie des normes, revalorisation sans précédent du salaire minimum : les réformes mises en place depuis 2018 en Espagne par la coalition de gauche, fruit de l’union du Parti socialiste (PSOE) et d’Unidas Podemos mais aussi d’une négociation de plus d’un an entre syndicats et patronat, commencent à produire leurs effets. En mai, le pays comptait moins de 3 millions de chômeurs, ou plus exactement 2,92 millions, selon les chiffres du ministère du Travail. Du jamais-vu depuis la crise financière de 2008.

Sur un an, le nombre de privés d’emploi a même chuté de 22,7 % (– 858 259). Et ce du fait des créations de postes, particulièrement en contrat à durée indéterminée : + 730 427 CDI, soit le chiffre mensuel le plus élevé jamais enregistré. Car, rappelons-le, l’Espagne était en Europe un des pays où l’emploi était le plus précaire, avec des contrats à la tâche. En faisant le choix de promouvoir les CDI au détriment des contrats de courte durée, l’Espagne « change de paradigme », fait remarquer la ministre du Travail communiste, Yolanda Diaz. Désormais, sur les emplois créés, près d’un nouveau contrat sur deux est signé à durée indéterminée (44,5 %) au lieu d’un sur dix seulement avant la réforme (10,3 %). La vague d’embauches emporte tous les secteurs d’activité. Et, même chez les moins de 30 ans, le nombre de CDI a augmenté de plus de 20 % en comparaison avec 2019.

Une hausse significative des salaires

Des chiffres encourageants qui laissent apparaître les premiers effets d’une réforme du travail historique, votée en début d’année. Dans le détail, pour limiter la précarité, le CDD est désormais limité à 18 mois sur une période de 24 mois, lequel, à l’issue de la période, est transformé en CDI. Si le CDD dure moins d’un mois, l’employeur sera lourdement taxé.

« Même si on manque de recul, cette réforme semble modifier profondément les pratiques d’embauche sans toutefois se faire au détriment des créations d’emplois », pointe l’économiste de l’OFCE ­Christine Rifflart. Pour rappel, l’Espagne est l’un des pays européens où la précarité a été poussée au maximum. Cette réforme du travail issue d’un accord entre les syndicats et le patronat espagnols montre que la dérégulation des institutions du marché du travail n’apporte pas les effets voulus. Pour assurer une stabilité économique, Madrid s’est doté d’un cadre protecteur digne d’un pays qui « cherche à se développer », résume-t-elle.

À cela s’ajoute une hausse des salaires. L’économiste cite notamment la hausse du salaire minimum, qui a été augmenté quatre fois depuis 2019, de plus de 50 %. Avec 1 167 euros brut par mois, l’Espagne est désormais le septième pays de l’Union européenne où le salaire minimum est le plus élevé. Avant les interventions du gouvernement de Pedro Sanchez, celui-ci s’établissait à 735 euros, soit grosso modo le niveau du salaire minimum portugais, qui atteint les 705 euros. L’économiste voit s’esquisser « une certaine dynamique dans les négociations salariales en comparaison avec les douze dernières années ». D’autant que la réforme du travail prévoit la prévalence de l’accord de branche sur l’accord d’entreprise, sauf si ce dernier est plus favorable. Des accords qui devront s’appliquer aux sous-traitants. Ce qui devrait tirer l’ensemble des salaires vers le haut.

La reprise du secteur touristique

Ce modèle social n’a pas pénalisé les investissements des entreprises, qui demeurent « très dynamiques », note cette spécialiste de l’économie espagnole, stimulés en partie via les 140 milliards d’euros du plan de relance européen.

Reste que les mesures mises en place du fait de l’envolée des prix (+ 8,4 %), notamment de l’énergie, n’ont pas permis de redonner confiance aux ménages espagnols. Résultat : dans une économie où la consommation intérieure reste un des principaux moteurs, celle-ci est malheureusement totalement « atone », constate Christine Rifflart. « La consommation n’est pas revenue à son niveau d’avant la crise, elle est restée assez faible, plus faible qu’attendu malgré le rebond de croissance l’an dernier. » Selon une première estimation publiée par l’Institut national des statistiques (INE), le PIB espagnol a progressé de 0,3 % seulement sur les trois premiers mois de l’année. Pour cette année, le gouvernement a révisé à la baisse, à 4,3 %, sa prévision de croissance pour 2022, contre 5,1 % l’an dernier après une chute de 10,8 % en 2020.

L’économiste de l’OFCE espère que ces mesures sociales provoqueront un choc de demande, lequel, avec la reprise du secteur du tourisme, pourrait « consolider » une dynamique de croissance. Pour passer la vague inflationniste, le gouvernement a approuvé une batterie de mesures visant à freiner les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’économie du pays pour un montant de 16 milliards d’euros : 6 milliards d’aides directes et 10 milliards de crédits garantis par l’État.

140 milliards d’euros pour moderniser le tissu productif

C’est l’un des grands gagnants du plan de relance européen, doté d’un budget de 700 milliards d’euros. En empochant près de 70 milliards d’euros de subventions, auxquels s’ajoute un autre volet potentiel de 70 milliards sous forme de prêts, le pays se lance dans un vaste plan d’investissements privés comme publics pour assurer la transition énergétique et numérique. Objectif : transformer son économie afin qu’elle ne soit plus entièrement dépendante des secteurs des services, du tourisme. Pendant la pandémie, l’économie espagnole s’est effondrée et de nombreuses capacités de production ont été menacées. La transition écologique captera 39 % des investissements, le numérique 29 %, et les projets pour l’éducation et la formation 10,5 %.

 

 

 

Un chômage qui baisse, des CDI en hausse : quand une « loi Travail » de gauche commence à changer la vie

par Alban Elkaïm sur https://basta.media/

La réforme du droit du travail en Espagne, menée par une ministre de la gauche radicale, montre déjà des résultats dans la lutte contre la précarité qui mine le pays depuis la crise financière. Sans pour autant faire de miracles.

« Beaucoup de jeunes, ici, se sont brisé les reins à travailler pendant leurs études. Même comme ça, ils n’ont pu décrocher à la sortie que des contrats de dix heures par semaine pour 600 euros par mois. Mais aujourd’hui, dix ans après avoir commencé ma vie professionnelle, j’ai enfin un contrat fixe, à temps plein. C’est grâce à la politique menée depuis le Parlement ! » Neiva Sánchez est une jeune militante du parti de gauche radicale Podemos. Depuis la scène d’un meeting de fin de campagne pour les élections régionales d’Andalousie du 19 juin dernier, elle pointe le doigt vers la « guest-star » de l’événement.

Yolanda Díaz, ministre du Travail du gouvernement espagnol et accoucheuse de la toute dernière réforme du droit du travail, est discrètement assise au deuxième plan. Dans les gradins, les applaudissements fusent, sous la chaleur de plomb. Neiva Sánchez fait référence à la loi clé du gouvernement espagnol de coalition des gauche : une réforme du droit du travail entrée en application depuis trois mois et qui commence à montrer ses premiers effets.

Depuis des années, l’Espagne est malade de sa précarité. En 2018, plus d’un quart des salariés (26,8 %) travaillaient sous contrats précaires. Le taux le plus élevé de l’Union européenne à l’époque, selon un rapport du groupe bancaire espagnol BBVA. Le chômage vient à peine de repasser sous la barre de 15 %, après avoir atteint près de 27 % à l’issue du choc financier de 2008. Un tiers des moins de 25 ans étaient au chômage en 2018 ; dans les pires moments de la crise économique espagnole, un jeune sur deux était sans emploi. Au moindre vent contraire, les personnes en contrats précaires sont les premières à perdre leur poste.

« Cette situation provoque une incertitude qui entrave les perspectives d’avenir, surtout chez les jeunes. Étant en position de faiblesse sur le marché du travail, les précaires ne bénéficient pas des armes nécessaires pour négocier, explique Inmaculada Cebrián, économiste spécialiste du marché du travail et professeur à l’université d’Alcalá, près de Madrid. Les femmes sont particulièrement affaiblies, car elles occupent plus souvent des emplois précaires. Les personnes peu qualifiées aussi. » C’est le facteur principal qui explique que les Espagnols restent chez leurs parents jusqu’à près de 30 ans en moyenne (contre 23,6 ans en France en moyenne).

Premier CDI à 32 ans

La dernière réforme du droit du travail espagnole cherche à réduire la précarité, à redonner du pouvoir de négociation aux salariés et à mettre en place des instruments de « flexibilité interne », qui évitent que les entreprises ne licencient trop en cas de difficultés. Cette « loi travail » modifie les règles de l’embauche pour limiter le recours aux contrats courts. Elle redéfinit les modalités du dialogue social, qu’une réforme de 2012 avait rendues moins favorables aux salariés. Elle inscrit aussi dans le marbre des mécanismes, dont le chômage partiel permettant d’éviter les licenciements massifs en cas de choc économique.

L’objectif est avant tout de lutter contre les contrats précaires. « Je suis entrée dans mon entreprise avec un contrat fixe, en février. Cela n’avait plus de sens pour la direction de me proposer un contrat précaire qui ne serait plus légal passé le 30 mars », témoigne María, qui travaille aujourd’hui à Madrid au service ressources humaines d’une multinationale européenne. Entré en vigueur le dernier jour de 2021, le décret qui met en œuvre la réforme laissait trois à six mois aux employeurs pour se mettre en conformité.

À 32 ans, c’est la première fois que María décroche un emploi stable. Arrivée dans la capitale en 2018, elle a commencé par un stage d’un an dans la même entreprise. Puis elle a enchaîné en remplacement d’un congé maternité, dont la fin a coïncidé avec le début du confinement, en 2020. Elle a alors vécu neuf mois de recherche d’emploi, en pleine pandémie, dont seuls les six premiers mois étaient couverts par des indemnités chômage. « En janvier 2021, j’ai repris un job, mais très précaire. Chaque contrat durait un mois, à l’issue duquel ils me renouvelaient », rapporte la trentenaire. Elle a vite abandonné cet employeur quand un autre lui a proposé un contrat de six mois, que l’entreprise a renouvelé une fois. Puis, début 2022, María présente sa candidature à un poste de RH dans l’entreprise de ses débuts. « Quand j’ai postulé, l’offre indiquait que le contrat était à durée déterminée. » La bonne surprise tombe au moment de signer, une fois la réforme du droit du travail adoptée.

« La réforme du travail fonctionne. Elle est en train de changer le paradigme »

Près de 2,5 millions de contrats à durée indéterminée ont été signés durant les six premiers mois de 2022. Ce qui est plus du triple du nombre de CDI signés à la même période en 2021. « La réforme du travail fonctionne. Elle est en train de changer le paradigme. La précarité n’était pas une malédiction divine », exultait Yolanda Díaz, ministre du Travail et cheffe d’orchestre de ce virage législatif, lors d’une rencontre organisée par le média de gauche El Diario.es, en mai dernier. En juin, « les signatures de contrats à durée indéterminée atteignent leur maximum historique, avec un total de 783 595 », met en avant le ministère dont elle est à la tête dans son communiqué mensuel de juin. Le nombre de contrats précaires, lui, a diminué de 12 % entre janvier et mai 2022. Et ce alors que le chômage atteint son niveau le plus bas depuis 2008. L’inverse de la tendance des dernières décennies.

La « loi Travail » espagnole est l’aboutissement d’une des promesses phare du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), reprise par le reste de la gauche, qui dirige le pays depuis 2018 avec le socialiste Pedro Sánchez à sa tête. Dans leurs programmes respectifs pour les élections générales de 2019, le PSOE et la formation de gauche radicale Unidas Podemos appelaient à « abroger la réforme du travail de droite adoptée par le PP (Parti populaire) ». Approuvée en 2012 en pleine crise économique, cette dernière était accusée d’ « établir un modèle d’emploi précaire avec de bas salaires et un système de dialogue social sans équilibre de pouvoir entre travailleurs et entrepreneurs », critiquait le PSOE.

Pour la droite, cette réforme était une loi phare de son passage au pouvoir, entre 2012 et 2018. Elle devait sortir le pays de la tourmente économique. « Il y avait alors l’idée que si l’on n’obligeait pas les entreprises à employer moyennant des contrats trop contraignants, il y aurait plus d’embauche  », explique Jaime Ferri Durá, professeur de sciences politiques à l’université Complutense de Madrid.

Depuis la crise de 2008, la génération « perdue » de la jeunesse espagnole

En 2018, l’économie espagnole reprend des couleurs. Mais elle s’est reconstruite sur un modèle qui offre une grande flexibilité aux entreprises, moyennant une forte précarité pour les travailleuses et travailleurs. Particulièrement pour les jeunes, dont une partie accumule les diplômes mais peine à trouver sa place dans le monde du travail, enchaînant stages et contrats courts dans des domaines parfois très éloignés de leur formation initiale. Comme María, titulaire d’une licence de psychologie, d’un master de psychothérapie relationnelle et d’un master de business management. Durant la crise, on les appelait la « génération perdue ».

Dans ce contexte, la promesse de la gauche prend le contrepied de l’action du Parti populaire durant ses six années de règne. Dans l’accord qui scelle la coalition entre le Parti socialiste et la formation de gauche radicale Unidas Podemos, signé fin 2019, le virage proposé sur le droit du travail couvre en réalité un champ bien plus large. « Abroger la réforme » n’est qu’un des 16 engagements en la matière.

« Comme toujours dans les coalitions, il y a aussi une compétition entre les partenaires de l’alliance gouvernementale, rappelle le professeur de sciences politiques. Les uns prétendent être plus à gauche, les autres plus modérés. » La ministre du Travail Yolanda Díaz représente Unidas Podemos, formation qui agglutine les forces politiques à la gauche du PSOE autour du jeune parti Podemos. « Cette réforme était sa mission au sein du gouvernement. Et ça lui a réussi. Díaz en tire un capital qui renforce sa position, et sur lequel elle s’appuie », poursuit Jaime Ferri Durá. Responsable politique la plus appréciée du pays, la ministre du Travail cherche aujourd’hui à reconstruire un mouvement autour d’elle en vue des élections générales de l’année prochaine. Une gageure, car les effets de cette loi Travail « progressiste » ne sont, pour l’instant, pas traduit politiquement : la gauche a perdu les élections régionales d’Andalousie du 19 juin, face à la droite du Parti populaire.

« La précarité reste élevée en Espagne »

Au-delà des effets d’annonces, que vaut cette réforme ? « Un contrat sur neuf était un CDI avant la réforme. C’est plus de 40 % aujourd’hui », répond Mari Cruz Vicente, secrétaire générale à la Confédération ouvrière espagnole (CCOO). Le chiffre est même monté à plus de 44 % en juin. « Sans aucun doute possible, la réforme a fait augmenter l’emploi à durée indéterminée , assure l’économiste Inmaculada Cebrían. Mais la précarité reste élevée en Espagne, quel que soit le type de contrat signé. Même les postes à durée indéterminée ont tendance à durer moins qu’on ne pourrait l’espérer. Et par le passé, les modifications du droit du travail ont souvent provoqué des effets indésirables », ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, ce sont les contrats « fixes discontinus » qui focalisent l’attention. Ces CDI organisent une relation durable entre un travailleur et son employeur pour des activités saisonnières par nature, comme les récoltes. « La dernière réforme modifie la “saisonnalité“ des emplois, qui empêchait par exemple d’employer des professeurs avec ces contrats fixes discontinus pour ne pas avoir à les rémunérer durant les vacances », explique Inmaculada Cebrían. Cette pratique est aujourd’hui devenue possible. Le recours à cet instrument des « contrats fixes discontinus », qui sont inclus dans le décompte des emplois en CDI , a explosé. « Le temps partiel augmente fortement aussi. Particulièrement chez les femmes », souligne encore l’économiste.

Les organisations patronales « pas disposées à aller plus loin »

« La loi a été un peu moins loin que ce que le ministère du Travail aurait voulu, ajoute le politologue Jaime Ferri Durá. Le gouvernement promettait un texte forgé par le dialogue social, incluant syndicats et organisations patronales. Ça a été un succès de réussir à garder les organisations patronales à la table des négociations jusqu’au bout. Mais elles n’étaient pas disposées à aller plus loin dans la loi. »

« On doit toujours laisser certaines questions de côté parce qu’elles génèrent trop de conflits, dit aussi Mari Cruz Vicente, de la Confédération ouvrière espagnole, qui a participé aux négociations du début à la fin.  Il fallait concrétiser. Sinon, on serait arrivé à la fin de la législature sans rien de concret. » Ce qui a été possible avec un « gouvernement progressiste » ne l’aurait pas forcément été avec un exécutif de droite, insiste la syndicaliste.

Derrière les chiffres, ce sont des vies qui changent. « Cela m’a apporté la stabilité, professionnelle, mentale, de vie », énumère María en parlant de son premier CDI obtenu à 32 ans. À la fin de sa période d’essai, elle et son mari comptent concrétiser un projet qu’ils caressent depuis un moment déjà. Devenir parents.

 publié le 5 juillet 2022

Avortement :
aux États-Unis,
un mouvement social
vent debout,
mais déboussolé

Anaïs Sidhoum sur https://rapportsdeforce.fr/

La décision de la Cour Suprême vendredi dernier a déclenché une véritable mobilisation générale en faveur de l’avortement à travers tout le pays. En témoignent les très nombreuses manifestations qui s’enchaînent depuis une semaine, dans les grandes villes où les manifestants se comptent par milliers jusque dans des communes plus modestes au coeur des états les plus conservateurs. Mais si l’énergie est là, le mouvement social se questionne sur ses stratégies et tactiques, encore sonné par le choc et confronté à l’urgence de venir en aide aux millions de femmes qui vivent d’ores et déjà dans un état où l’avortement est illégal.

 En plus de descendre dans la rue, l’une des premières réactions des Américains indignés par la décision de la Cour a été de contribuer massivement aux fonds qui permettent aux militantes de terrain d’aider les femmes à payer l’intervention médicale et les frais de déplacement vers les états aux dispositions légales protectrices, où de nombreuses personnes se sont préparées à accueillir ces réfugiées médicales. Et de se porter bénévole auprès des nombreuses organisations de terrain qui offrent soutien accompagnement et protection aux personnes désireuses d’avorter. Il existe en effet un mouvement pro-choix organisé depuis longtemps aux États-Unis, qui lutte contre le durcissement des législations et essaye de fournir un accès concret aux soins reproductifs, en particulier aux Américaines les plus pauvres, marginalisées ou isolées.

La décision des juges constitutionnels de revenir sur la jurisprudence de 1973 n’était en effet pas une surprise, puisqu’elle avait fuité dans la presse il y a un mois. Mais l’administration Biden ne s’est pas saisie de cet avertissement pour prendre les devants. L’administration présidentielle reste en effet concentré sur l’enjeu de « mid-terms », ces élections de mi-mandat qui renouvellent les deux chambres en novembre et dont il espère obtenir une majorité au sénat. Un enjeu d’autant plus important qu’à l’occasion de ces élections fédérales, ont lieu de nombreuses élections locales, à divers échelons.

 L’échec de la stratégie électorale

Et c’est bien au niveau local que vont se jouer de nombreuses batailles autour de l’avortement. Si c’est les états qui sont désormais maîtres du jeu en matière d’interdiction, les villes et les comtés peuvent imposer d’autres restrictions et l’élection de procureurs et de shérif pourra avoir un impact concret sur l’application des mesures répressives sur l’avortement.

Pourtant, malgré les réticences du Président à intervenir, l’état central n’est pas dépourvu de leviers d’action, aucune loi n’interdisant l’IVG à un niveau fédéral. Ainsi sans même attendre d’instructions de l’administration, l’agence américaine du médicament (FDA) a rappelé dans un communiqué que le mifepristone, principe actif de la pilule abortive, restait une substance autorisée par la loi fédérale, et ne pouvait donc pas être interdite par les états. Trente trois sénateurs Démocrates, une majorité, ont même adressé une lettre à Joe Biden, l’exhortant à mener une véritable campagne d’accès à l’avortement en mobilisant tous les moyens à sa disposition. Et de plus en plus de voix critiques s’élèvent parmi l’électorat démocrate, qui a pu vivre comme un chantage les nombreux appels aux dons qui ont émané de leurs représentants en réaction à l’annonce de la Cour Suprême.

D’autant que dans la composante la plus institutionnelle du mouvement pro-choix, les grandes associations nationales comme NARAL/Pro-Choice America ou le Planned Parenthood doivent faire face à un constat amer. Elle qui ont toujours basé leur stratégie sur la voie judiciaire et le soutien à l’élection de candidats favorables à l’avortement. Mais après 40 ans, plusieurs présidences Démocrates et des centaines de millions de dollars collectés et reversés aux campagnes électorales (190 millions en 2020), l’échec est cuisant. La jurisprudence constitutionnelle a été renversée, aucune loi fédérale n’a jamais été promulguée pour protéger ce droit, et les échelons locaux n’ont jamais été investis. Ces associations restent cependant déterminées à mener la bataille des mid-terms, n’infléchissant pour l’instant leur stratégie que pour investir plus largement les élections locales.

En parallèle, elles ont réussi à faire suspendre des lois d’interdiction – entrées en vigueur dans la semaine – de trois États, grâce à des procédures interrogeant leur conformité à leurs constitutions respectives.

« Les droits reproductifs sont des droits sociaux »

Côté syndical, plusieurs fédérations et représentants ont condamné la décision de la Cour et ses conséquences, comme la présidente de l’AFL-CIO, la plus grande fédération syndicale du pays. Mais d’autres, comme les Teamsters, se montrent plus réticents à prendre position sur un sujet « politique » qui ne touche pas directement à la vie au travail. C’est alors des syndicats locaux qui prennent la parole pour exprimer leur opposition, faisant anticiper à certains commentateurs des tensions entre bases et directions sur le sujet.

Mais de l’avis de la plupart du mouvement social, l’accès aux droits reproductifs est un véritable enjeu pour les travailleuses. Particulièrement, dans un pays qui ne prévoit ni congé parental ni congé maternité, et où l’accès aux services de santé dépend pour beaucoup de la situation d’emploi. Pour autant, la grève générale féministe n’est pas pour demain. S’il existe une vraie dynamique depuis quelques années dans le pays, le paysage syndical reste exsangue, et l’heure est à la reconstruction et à la consolidation. D’autant plus que comme l’observe une chercheuse, les états les plus restrictifs sont tendanciellement les moins syndiqués et vis-versa.

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