PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

services publics - sÉcu - santÉ depuis juillet 2022

publié le 31 décembre 2022

Pendant les fêtes
de fin d’année,

ils sont sur le pont

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Témoignages À l’occasion de la Saint-Sylvestre, aides-soignants, éboueurs, pompiers… savent qu’ils ne chômeront pas. Parfois oubliés, ces secteurs d’activité sont pourtant indispensables au bon fonctionnement de la société.

Alors que les fêtes de fin d’année sont synonymes de retrouvailles familiales et de célébrations pour bon nombre de Français, tous ne participent pas entièrement à ces festivités. « Que ça soit la santé, le territorial, le social, la justice… beaucoup de services continuent à fonctionner, rappelle Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Ces professions répondent à des besoins vitaux de la population. » Pourtant, ces différents secteurs d’activité ont souvent été les acteurs de mobilisations en France cette année, preuve qu’ils sont maltraités.

En mai dernier, les conducteurs de bus de la RATP se réunissaient devant le ministère de la Transition écologique pour manifester contre l’ouverture de leurs lignes à la concurrence. Dans l’Isère, le Vaucluse ou le Territoire de Belfort, des pompiers se sont mis en grève tout au long de l’année pour dénoncer un manque de personnel. De Paris à Marseille et de Brest à Nancy, des centaines d’éboueurs ont bataillé pour obtenir une augmentation des embauches et des salaires. Les raisons de ces mouvements de lutte sont peut-être diverses, mais elles se rejoignent toutes sur un manque de reconnaissance alors que «ce sont les mêmes agents qui ont été particulièrement sollicités pendant la crise sanitaire», affirme Céline Verzeletti.

« Emmanuel Macron avait reconnu l’importance des première et deuxième lignes et leurs bas salaires, mais la parole ne s’est jamais traduite en actes. Aujourd’hui, la plupart de ces professionnels ne sont pas mieux rémunérés et n’ont pas constaté d’améliorations dans leurs conditions de travail», souligne la syndicaliste. Pourtant, derrière ces « premiers de corvée » se cachent des hommes et des femmes exerçant simplement des métiers ô combien essentiels, jour de fête ou non. Et ils les réalisent afin de « porter secours », comme l’explique Thierry Granger, pompier dans l’Isère, et pour que « les gens passent de bonnes fêtes ». L’Humanité a décidé de donner la parole à ces travailleurs indispensables mais trop souvent oubliés.

« Personne ne peut imaginer ce qu’il se passerait sans nous »

Mickaël Pero, agent de collecte de la communauté de l’Auxerrois, rappelle que son métier est « essentiel à l’hygiène dans les rues ».

Mickaël n’a pas choisi de devenir éboueur. « Mon père est décédé lorsque j’avais 19 ans et il a fallu que je me trouve un emploi très rapidement », explique aujourd’hui cet Auxerrois de 39 ans. Il ne savait pas à quoi s’attendre avec cet emploi. S’astreindre à une routine ingrate ? Peut-être bien oui. Pendant près de sept heures par jour – de 5 h 30 à 13 heures – ce représentant syndical des salariés parcourt en camion les rues d’Auxerre afin de collecter les ordures ménagères. Pourtant il ne le vit pas comme un fardeau. Au contraire. « C’est un travail qui m’a très vite plu. Je rends service à des personnes en enlevant leurs déchets », raconte-t-il. Et le « plaisir » de discuter avec les gens qu’il rencontre n’a pas de prix. « C’est un métier très social », commente-t-il. Il faut croire que cet homme à la voix rocailleuse est un sacré boute-en-train. Par exemple, rien que pour la semaine précédant le 25 décembre, il était « le seul du service à se déguiser en père Noël ». Une façon de « s’amuser au travail ». Et les usagers lui rendent bien sa gaieté. « Certains particuliers m’offrent un café et me remercient de prendre leurs déchets. Mais c’est normal, je ne fais que mon métier », reconnaît-il.

« Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, nous collectons les ordures »

La reconnaissance que ces gens apportent aux agents de collecte d’ordures est d’autant plus forte que, même lors de ces périodes de fête, ils sont sur le pont. « Festivités ou pas. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, nous collectons les ordures. C’est notre métier. Nous l’exerçons parce qu’on l’apprécie, ce n’est pas une faveur », admet Mickaël. Après « une coupure à Noël » pour profiter de ses « cinq enfants », il revêt sa casquette de ripeur pour le jour de l’An. Le trentenaire – bientôt proche de la quarantaine – juge son métier « essentiel pour l’hygiène dans les rues ». En revanche, il regrette que cette importance ne se reflète pas de la même façon auprès de son employeur – la municipalité. Du 7 juillet au 9 septembre 2022, les agents de collecte de la communauté d’agglomération de l’Auxerrois se sont mis en grève pour dénoncer leurs conditions de travail.

« Ça faisait trois ans qu’on en pouvait plus. Il y a eu énormément d’abus pendant la période du Covid, à Auxerre notamment. On tourne à trois par camion – un chauffeur et deux ripeurs – mais, depuis le Covid, nous sommes restreints à deux personnes par camion, sans aménager les tournées. Donc on doit effectuer le travail de trois personnes à deux seulement. Je vois des collègues complètement fatigués autour de moi. C’est ce qui nous a poussés au ras-le-bol car nous voulions une reconnaissance du travail fourni », regrette-t-il.

Plus de trois mois après la fin du conflit, son constat se fait encore amer : « Nous n’avons rien obtenu, ni de revalorisation salariale ni les primes demandées… La direction nous a promis quatre embauches. C’est tout. Mais nous arrivons en fin d’année et je n’ai toujours pas vu de nouvelles titularisations », déplore l’Auxerrois, qui gagne « 1 600 euros net » après vingt ans d’ancienneté. Mais alors pourquoi continuer ? Non seulement parce que son emploi lui a « tout apporté » mais aussi car « c’est un métier essentiel, rappelle-t-il. Personne ne peut imaginer ce qu’il se passerait sans nous ».

Tel quel. « J’aide les gens à réaliser les gestes du quotidien »

Serge Cafiero, aide-soignant en Ehpad à Mornant (Rhône). En cette veille de réveillon, il explique la nécessité d’être disponible pour les personnes en difficulté.

C’est sûr que nous, aides-soignants, préférerions être avec notre entourage pendant les fêtes, mais il faut bien être présent pour les résidents. C’est notre travail, nous l’avons voulu. J’ai perdu ma mère quand j’avais 11 ans. Ça a été le déclic pour moi. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de m’occuper des autres. Dès lors, j’ai commencé à travailler à l’âge de 17 ans et demi dans l’Ehpad de Mornant (Rhône). Je fais ce métier avant tout parce que j’aime soutenir les personnes en difficulté. Parfois les gens sont dans la souffrance et pouvoir leur rendre service ou être proche d’eux est significatif.

Mon travail est essentiel. J’aide les gens à réaliser des gestes du quotidien, que ce soit pour manger ou pour aller aux toilettes par exemple. Je suis constamment avec eux, parfois plus qu’avec ma propre famille. Bien entendu, c’est un métier assez ingrat d’être aide-soignant. Nous nous occupons quand même des petits besoins de chacun des résidents. Parfois les familles s’attendent à ce que nous fassions tout, ce n’est jamais assez pour elles.

Elles mettent quelquefois la pression et nous sommes encore plus scrutés depuis la crise sanitaire. Et puis l’agence régionale de la santé (ARS) ne comprend pas qu’il nous faut du monde en plus. Il y a 90 membres du personnel avec les remplaçants mais, à mon service, le soir, nous ne sommes que 3 à veiller sur 125 personnes. Pourtant, même dans ces conditions, nous travaillons. Notre rôle est indispensable, c’est pour ça que nous faisons ce métier.

Être au « service de la population »

Nadia Belhoum, conductrice de bus RATP, sera de service ce samedi 31 décembre.

Même pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, Nadia Belhoum enfile sa tenue de machiniste. À 48 ans, cette conductrice de bus déléguée CGT garde en tête la mission qu’elle s’est donnée en rentrant à la RATP. Celle d’assurer le « service public », inhérente à son métier. Et les fêtes n’y échappent pas. « Dans ces moments-là, on sent bien que notre poste est indispensable parce qu’en l’absence de transports les gens qui n’ont pas de véhicule seraient en difficulté », affirme-­ t-elle. Après quinze années passées à la RATP, Nadia s’est habituée à cette période. « Chanceuse », elle finit le travail à 18 h 45 ce samedi­ 31 décembre alors que « l’an passé, j’avais bossé jusqu’à 2 heures du matin », précise la quadragénaire. Conductrice sur la ligne 150, elle dessert tous les jours les arrêts situés entre porte de la Villette et la gare de Pierrefitte-Stains. Un trajet « rendu difficile à cause des toxicomanes qui fument à l’intérieur » du véhicule.

Le débit rapide, cette habitante d’Épinay-sur-Seine tire à boulets rouges sur la régie. « Alors que c’était déjà difficile de travailler pendant le confinement, on subit désormais les effets de la privatisation des lignes de bus qui se met progressivement en place : beaucoup moins de véhicules, du matériel non renouvelé, de nombreuses démissions… C’est le chaos à la RATP aujourd’hui », déplore-t-elle. Si son amertume est palpable au bout du fil, c’est parce que la période des fêtes la « stresse particulièrement cette année ». Une appréhension qui s’explique par l’absence de machinistes dans les effectifs. « À cause du manque de conducteurs, les bus ont parfois du retard. Les arrêts sont pleins dès le début de la journée », confie-t-elle. Et cela contribue à créer une escalade des tensions qu’elle regrette : « Les conducteurs deviennent les premières cibles des voyageurs en colère », témoigne-t-elle. Pourtant, elle sera au rendez-vous à l’occasion de ce 31 décembre car, malgré ces conditions de travail, Nadia entend être au « service de la population ».

Il faut être « prêt à partir » à tout moment

Thierry Granger, sapeur-pompier en Isère, regrette les « revirements » du gouvernement.

«Je fais ce métier pour porter secours aux gens », annonce Thierry Granger. Sapeur-pompier depuis 1990, il travaille chaque année pendant les périodes de fêtes de fin d’année. Pourtant, à l’écouter, ça ne l’importune pas : « C’est tellement satisfaisant de pouvoir aider, réplique-t-il. Je savais déjà à quoi m’attendre en m’orientant vers ce métier. » Et ça fait longtemps qu’il y est. Le quinquagénaire s’est entiché des soldats du feu à l’âge de 18 ans, c’est d’ailleurs à ce moment qu’il débute chez « les pompiers de Paris ».

Aujourd’hui adjudant-chef, il officie au centre de secours de l’Isère. Pour Thierry, les sapeurs-pompiers sont une « deuxième famille ». La plupart mangent et vivent ensemble à la caserne de Grenoble. Lui aussi y a été logé pendant un temps, avant de se trouver un appartement en banlieue proche. Mais son départ ne l’empêche pas d’être réactif pour autant. Pour faire son métier, il faut être « prêt à partir » à tout moment en intervention. Les pompiers sont généralement de garde de « 7 heures du matin à 19 heures », parfois durant « 24 heures » pour certains.

À la question de savoir si son métier est essentiel, il répond « oui » sans hésiter, d’une voix bien assurée. « La détresse se fait aujourd’hui ressentir de plus en plus. Il y a une paupérisation de la population. Les gens nous appellent au secours pour des choses relativement anodines et nous voient ensuite comme des sauveurs », explique-t-il.

Un métier essentiel à la sécurité de tous

Le pompier ne doute pas de la « reconnaissance de la population » envers son corps de métier, mais plutôt de celle de l’État. « Depuis la première vague de Covid, j’ai entendu beaucoup d’annonces mais je n’ai vu que peu d’actes de la part du gouvernement », peste-t-il. Ce délégué syndical des Sdis de France regrette notamment « le revirement de Mme Borne » sur le doublement de la rémunération des agents publics le 1er Mai. « Voilà la reconnaissance que l’on a du gouvernement par exemple », cingle-t-il. Alors que son métier est essentiel à la sécurité de tous, Thierry, irrité, déplore les sous-effectifs. Le 12 octobre dernier, plusieurs syndicats des pompiers de l’Isère avaient notamment déposé un préavis de grève pour les mêmes raisons. Mais, en attendant que les renforts arrivent, les collègues de Thierry seront dehors ce 31 décembre, parce que, « jours de fête ou non », ils demeurent sollicités.

« Je ne changerais de métier pour rien au monde »

Christine Vial, aide à domicile à Perpignan (Pyrénées-Orientales), a été sollicitée pour travailler le 1er janvier. Elle vante les mérites d’un emploi « humain », « social » et « indispensable ».

«Il faut être généreux pour faire ce travail. Si je ne bosse pas le 1er janvier, ce sont des hommes et des femmes qui ne vont pas manger. Et ça, ce n’est pas possible », explique Christine Vial. Aide à domicile à Perpignan, elle ne s’imagine pas célébrer la Saint-Sylvestre avec son entourage alors qu’elle peut aider autour d’elle. C’est au sein de l’association l’Assad Roussillon qu’elle est employée, du lundi au vendredi et deux week-ends par mois. « À l’origine, je travaillais dans la restauration et, quand j’ai eu mon premier enfant, j’ai dû changer de métier en fonction des horaires. J’ai donc essayé de devenir aide à domicile, ça m’a plu et j’y suis restée », résume la Perpignanaise.

Aujourd’hui, cette mère de deux enfants semble passionnée par son emploi. Pour « rien au monde » elle ne changerait de métier bien que ce soit « moralement difficile de voir des personnes atteintes de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer ». Sa cadence de travail est très élevée. Un rythme de marathonien : en trente minutes, elle doit préparer le petit déjeuner et assurer le ménage pour les bénéficiaires dont elle s’occupe. Puis réitérer cette boucle à l’heure du déjeuner et du souper.

Mais avec dix personnes à charge pour le 1er janvier, la journée risque d’être longue, d’autant qu’elle commence dans les environs de 8 heures et finit à 20 heures. « C’est assez épuisant et surtout stressant », souligne la quinquagénaire. S’ajoutent à cela les frais kilométriques dont elle doit s’acquitter afin de parcourir les distances entre chaque logement.

Beaucoup d’efforts mais Christine ne rechigne pas pour autant, valorisant les bienfaits d’un métier « humain », « social » et « indispensable ». Grâce à lui, la quinquagénaire se sent « utile ». Et surtout, elle considère que ces personnes âgées et handicapées pourront « au moins fêter le Nouvel An avec quelqu’un ». Une satisfaction d’autant que, depuis les confinements de 2020, son métier a gagné en « reconnaissance car les gens ont pris conscience qu’ils ont besoin de nous ».

Mais elle attend encore des changements de mentalité alors que « certains nous voient encore comme des bonniches », déplore-t-elle. Cette réflexion devrait aussi s’installer sur la question du salaire. Alors que l’aide à domicile réalise des tâches parfois inconfortables, elle ne se sent pas reconnue à sa juste valeur : « Physiquement c’est très épuisant. On doit lever la personne, lui faire mettre les pantoufles, l’aider à se déshabiller. »

Et ce ne sont pas les « 1 200 euros net en 125 heures par mois avec vingt-six ans d’ancienneté » qui vont la contredire. « Par rapport à tout ce que nous faisons, nous sommes très mal payées. Quand les jeunes commencent et constatent qu’elles gagnent 900 euros net par mois, elles se rendent compte que ce n’est pas acceptable. Il faut donc que le département cherche à valoriser le travail », rappelle l’aide à domicile.

« J’aime soutenir les patients au mieux dans leurs difficultés »

Emma Azam, infirmière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, considère que les jours de fête importent peu quand il faut « combattre la maladie ».

Rien n’a plus de valeur à ses yeux que la vie humaine. « Peu importe l’origine, le sexe, le métier ou encore les antécédents judiciaires. Quand une personne arrive à l’hôpital, elle doit être soignée », lance Emma Azam. Du haut de ses 23 ans, cette infirmière à l’hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, entame en janvier son cinquième mois dans le milieu hospitalier. Fraîchement diplômée, elle a été affectée à « un service général où l’on peut trouver tout type de pathologies, mais surtout des maladies auto-immunes », précise-t-elle.

Dans cet établissement public réputé pour la qualité de ses soins, elle accompagne les patients dans les gestes de la vie quotidienne : manger, se déplacer. Elle leur administre aussi des soins médicaux tout en les informant sur leurs maladies. Et quand on lui demande comment se déroulent ses journées, Emma confie, l’air grave, que « ce n’est pas toujours une partie de plaisir », surtout pour « les patients qui viennent à l’hôpital ». Assise sur son canapé, dans un appartement au cœur de Paris, la jeune femme dresse la liste des raisons qui l’ont poussée à embrasser ce métier : « J’aime aider les gens et les soutenir du mieux possible dans leurs difficultés ». Ce 31 décembre ne fait donc pas exception. La Toulousaine d’origine célébrera la nouvelle année loin des siens. « C’est un peu triste mais, en arrivant à l’hôpital, je savais à quoi m’attendre », assure-t-elle, le sourire suspendu aux lèvres.

Recrutée en juillet 2022, Emma a immédiatement été confrontée aux problèmes du manque d’effectifs. Entre « cinq et sept patients » lui sont attribués le matin. Et le nombre monte à « onze » pour chaque infirmier l’après-midi. Une « énorme charge de travail », la contraignant à réaliser, cahin-caha, toutes ses tâches. Épuisée, la jeune femme se demande même parfois si elle va aller au bout de son contrat de travail. Des formations supprimées par manque de temps, du matériel parfois inopérant, et des cas souvent lourds à traiter… le quotidien est ardu. Le tout, pour un salaire « entre 1 900 et 2 100 euros net par mois » qui « demeure insuffisant vu toute la charge et les heures de travail que je réalise », mesure la Toulousaine.

Avec des journées de sept heures, agrémentées d’heures supplémentaires non payées, une à deux par jour, Emma chancelle parfois. « C’est vraiment difficile parce qu’on est face à des situations très délicates avec des patients qui souffrent. Et toute cette accumulation peut faire craquer. Ça m’est déjà arrivé de me cacher pour pleurer », confie-t-elle derrière ses grandes lunettes. Mais la barque a beau tanguer de tous les côtés, elle ne coule pas. « Le métier d’infirmier est essentiel, rappelle la jeune femme. Tout le monde est touché par des problèmes de santé mineurs ou non. La maladie ne se contrôle pas. » Ce qui explique pourquoi la fête, elle, peut attendre.

  publié le 30 décembre 2022

Le nombre de radiations à Pôle emploi bat des records en novembre

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Plus de 58 000 personnes ont été radiées de la liste des inscrits à Pôle emploi en novembre 2022. Un chiffre jamais atteint depuis que les statistiques du chômage existent. Sur un mois, la hausse est de 19 %. Pôle emploi dit n’avoir « aucune explication particulière » à fournir à cette augmentation.

VoilàVoilà bien un chiffre rarement commenté. Celui des radiations administratives de Pôle emploi. Pourtant, la sanction  – car c’en est une – est tout sauf légère. Radier une personne, c’est lui couper les vivres durant un temps déterminé. La priver d’allocations chômage et la rayer de la liste des demandeurs d’emploi parce qu’elle n’a pas respecté une obligation.

En novembre 2022, 58 100 personnes ont ainsi été radiées. Un record depuis 1996, date de début des statistiques du chômage. Sur un mois, la hausse atteint 19 %, soit 9 400 radié·es supplémentaires par rapport à octobre, selon les chiffres mensuels communiqués mardi 27 décembre par la Dares, l’institut statistique du ministère du travail.

Interrogé par Mediapart sur cette forte augmentation, Pôle emploi répond n’avoir « pas d’explication particulière à l’évolution du nombre de radiations ce mois-ci ». Et ajoute : « Il faut savoir, comme le souligne la Dares sur son site, que les données mensuelles sont très volatiles et parfois difficiles à interpréter. C’est particulièrement le cas des données sur les flux d’entrées et de sorties des listes par motif. Des fluctuations peuvent être importantes d’un mois à l’autre sans caractériser une tendance. » Selon Pôle emploi, « les données trimestrielles doivent être privilégiées ».

Les données mensuelles « volatiles » n’ont pourtant pas empêché le ministre du travail de se féliciter, sur le réseau social Twitter, des chiffres du chômage de novembre, en soulignant la baisse du nombre d’inscrit·es en catégorie A, soit 65 800 chômeuses et chômeurs en moins sans aucune activité.

Ne nous y trompons pas : le volume des radiations n’explique pas, à lui seul, cette baisse dans la catégorie A. Chaque mois, des demandeuses et demandeurs d’emploi basculent en effet dans les catégories B et C, regroupant les personnes dites « en activité réduite » et donc en emploi précaire. Un effet de vases communicants classique, qui s’observe d’ailleurs encore en novembre puisque le nombre d’inscrit·es en activité réduite est en hausse.

Hausse des sanctions pour insuffisance de recherche d’emploi

Quant aux radiations, les observer sur le long terme permet de tirer de premières conclusions. L’année 2022 marque une hausse incontestable. En moyenne, 50 500 personnes ont été radiées chaque mois [sur onze mois, car les chiffres de décembre ne sont pas connus – ndlr], contre 44 000 en 2019. C’est l’année de comparaison la plus pertinente, les radiations ayant été, en 2020 et 2021, suspendues puis assouplies en raison des conditions sanitaires et des confinements.

Autre indice de cette augmentation, les signalements d’agressions liées à des radiations ont augmenté de plus de 63 % au 1er semestre 2022 par rapport au 1er semestre 2019, si l’on en croit le syndicat Force ouvrière.

Selon des chiffres « bruts » [et donc provisoires, car non corrigés selon les variations saisonnières – ndlr] que Mediapart a pu consulter, la majorité (68 %) des radiations de 2022 ont été prononcées en raison d’une absence à une convocation. Manquer un seul rendez-vous à Pôle emploi conduit à une privation d’un mois d’allocation. Ce motif de radiation a toujours été le premier de la liste.

Fait nouveau, en revanche : les sanctions pour «  insuffisance de recherche d’emploi », soit un mois de radiation, représentent désormais 10 % du total des radiations, contre 5 % les années précédentes. C’est sans doute la conséquence de la nouvelle stratégie de contrôle de la recherche d’emploi, en vigueur depuis début 2022.

500 000 contrôles en 2023

L’objectif était clair : Pôle emploi devait mener 500 000 contrôles cette année, contre 420 000 en 2019. La directive avait été donnée par Emmanuel Macron :  « Les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues », avait-il averti, en novembre 2021. Dont acte. Pôle emploi a mis sur pied une nouvelle politique de contrôle, pour en mener davantage, à effectif constant, grâce à des procédures accélérées. 

Pour l’année prochaine, les objectifs restent les mêmes : « Pôle emploi s’engage à réaliser 500 000 contrôles en 2023 », indique la « feuille de route » de l’opérateur pour le premier semestre 2023, que Mediapart s’est procurée.

Selon ce document, « Pôle emploi poursuivra le contrôle […] en privilégiant particulièrement les demandeurs d’emploi inscrits sur des métiers en tension. Une proportion de 50 à 60 % des contrôles réalisés priorisera ces derniers et ceux sortant d’une formation, en plus des contrôles aléatoires (entre 20 et 30 %) et des signalements ».

Et pour mieux repérer les profils en capacité d’exercer ces « métiers en tension », Pôle emploi a constitué, dès la rentrée de septembre 2022, des « viviers de demandeurs d’emploi immédiatement employables » afin de « renforcer la satisfaction des besoins en recrutement sur les secteurs les plus touchés », indiquait une note interne, dévoilée à l’époque par Mediapart.

Chaque agence doit désormais disposer d’un « vivier » contenant « entre 150 et 200 demandeurs d’emploi », censés fournir de la main-d’œuvre à trois secteurs en tension : santé et action sociale, hébergement et restauration, transports de voyageurs et de marchandises.

La pénurie de main-d’œuvre : l’obsession de l’exécutif

Les personnes identifiées sont convoquées pour faire le point sur leur situation en matière de disponibilité, de compétences et de motivation. « Si l’entretien fait apparaître des doutes sur l’effectivité de [la] recherche [d’emploi] », elles sont dirigées « vers l’équipe contrôle de la recherche d’emploi », précisait encore la note interne. Avec, à la clef, une possible radiation.

Les difficultés de recrutement dans les métiers dits « en tension » sont devenues une véritable obsession pour l’exécutif. Plutôt que de se pencher sur les bas salaires et les mauvaises conditions de travail pouvant expliquer la pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement préfère brandir des mesures coercitives. Outre les contrôles renforcés et ces « viviers » créés par Pôle emploi, la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui entrera en vigueur en février 2023, poursuit clairement cet objectif.

« Lorsque tant de secteurs connaissent des difficultés de recrutement, personne ne peut comprendre que nous ayons encore trop de personnes au chômage », se lamentait ainsi Élisabeth Borne, à la rentrée du Medef, en août 2022, avant de présenter longuement la réforme.

Les chômeuses et chômeurs verront donc leur durée d’indemnisation réduite d’un quart, voire de 40 % si le taux de chômage passe sous les 6 %, au motif que la conjoncture économique est bonne et que des emplois sont à pourvoir.

Et la pression n’est pas prête de se relâcher.

« Les tensions de recrutement perdureront et demeureront une priorité de Pôle emploi en 2023 », annonce l’opérateur dans sa feuille de route, envisageant déjà « d’étendre […] ce plan d’urgence à d’autres métiers et secteurs en tension, notamment l'industrie ».

La privation de ressources est une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages.

Dernier indice, permettant de mesurer la hausse des radiations : les demandes de médiation liées à ces sanctions ont augmenté dès l’année 2021, en doublant par rapport à 2019 pour atteindre 11 % des saisines.

« Plutôt que leur fréquence, c’est [...] leur inadéquation qui les fait remarquer », écrivait à ce sujet Jean-Louis Walter, le médiateur national de Pôle emploi dans son dernier rapport. « Certaines de ces sanctions semblent véritablement disproportionnées, tant dans leur gravité que dans leurs conséquences », fustigeait-il.

Depuis des années, le médiateur plaide sans relâche pour « une gradation des sanctions » et l’instauration d’un « sursis », au premier manquement aux obligations, plutôt qu’une confiscation immédiate des revenus. Dans son rapport 2021, il revient d’ailleurs à la charge et s’en prend au décret de décembre 2018 qui a produit l’effet contraire en durcissant les sanctions, au lieu de les faire évoluer, par paliers.

« Dans les faits, plutôt que d’assouplir, [la loi] a rigidifié les pratiques, en les enfermant dans un barème plus sévère encore et en fournissant une légitimité nouvelle aux postures excessives », déplore Jean-Louis Walter.

« Radier est une décision grave », écrivait-il dès 2013. Insistant sur la privation d’indemnités, il évoquait « une épreuve que même un salarié socialement inséré ne saurait surmonter sans dommages ».


 


 

Radiations record
à Pôle emploi

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Privés d’emploi 58 000 demandeurs ont été exclus en novembre. Une hausse de 19 % qui interroge à la veille de l’application de la réforme de l’assurance-chômage.

En cette fin d’année, il n’y a pas que la fortune de Bernard Arnault qui bat des records ! Alors que le risque de récession pour 2023 reste une hypothèse crédible, 58 000 demandeurs ont été radiés des listes de Pôle emploi en novembre. Une hausse inédite de 19 % par rapport à octobre correspondant à 9 400 radiés, selon les chiffres communiqués par la Dares. « Des personnes que l’on prive de revenus, allocations chômage ou solidarité », insiste Sylvie Espagnolle, déléguée syndicale centrale CGT Pôle emploi. Ce alors que, selon l’Insee, entre 3,2 et 3,5 millions de personnes ont reçu, en 2021, des aides alimentaires par le biais du réseau associatif. Cette hausse manifeste pour novembre symbolise une tendance de fond : entre 2017 et 2022, la proportion des chômeurs indemnisés par l’Unedic est passée de 41 % à 36 %, selon la Dares. Surtout, sur l’année qui s’écoule, la hausse des radiations à Pôle emploi est « en hausse de 10 % », selon la syndicaliste.

Joint par Mediapart, Pôle emploi assure ne pas avoir « d’explication particulière à l’évolution du nombre de radiations ce mois-ci ». Néanmoins, plusieurs pistes peuvent être avancées impliquant les choix gouvernementaux en matière de retour à l’emploi. D’abord par la hausse des contrôles sur les recherches d’emploi. Dès novembre 2021, Emmanuel Macron avait averti que « les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues ». Bilan, les contrôles se sont accrus au nombre de 500 000, contre 420 000 en 2019. « Mécaniquement, il y a une hausse des radiations sanctions, explique Sylvie Espagnolle. Le phénomène est similaire avec le non-respect des convocations. » Cette seconde explication peut être que, depuis 2018, le non-respect d’une convocation à Pôle emploi est un motif de radiation. Cette « intensification peut tout à fait expliquer la diminution du nombre de chômeurs », affirmait, dès 2021, Pierre Garnodier, secrétaire général du comité national CGT des travailleurs privés d’emploi et précaires.

D’ailleurs, les chiffres du chômage pour novembre soulignent un recul du nombre de chômeurs, en baisse de 2,1 %, chez les demandeurs sans activité professionnelle (catégorie A). Un reflux en trompe-l’œil car, en ajoutant les catégories B et C, la diminution n’est que de 0,4 %, établissant à 5,394 millions le nombre de chômeurs, selon la Dares. Enfin, la création, depuis septembre, dans chacune des agences d’un vivier de demandeurs en capacité d’exercer dans les filières dites en « tension » est une piste pour expliquer la hausse des radiations. « Toute personne ayant une expérience ou une formation dans ces secteurs est convoquée et incitée à aller sur ces offres, relate Sylvie Espagnolle. Qu’importent les conditions de travail ou la durée des contrats. Idem pour les personnes ne sachant pas vers quelle filière rechercher un emploi. » Selon la CGT, 40 % des contrôles sur les recherches d’emploi se concentrent sur les domaines de la santé et de l’action sociale, l’hébergement et la restauration, ainsi que les transports de voyageurs et de marchandises.

publié le 27 décembre 2022

SOS Médecine !

Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

Les années passent et notre système de santé continue de s’effondrer. Alors que nous traversons une triple menace, celles d’une diffusion à haut niveau du coro­navirus, d’une épidémie de bronchiolite aiguë et de grippe, plusieurs collectifs appellent donc à la grève les médecins libéraux jusqu’au 2 janvier, dans le but, notamment, d’obtenir une revalorisation des tarifs de leurs consultations de 25 à 50 euros. On pensera ce qu’on voudra de ces motivations, mais ces fermetures de cabinets, en pleines fêtes, augmentent évidemment la pression sur les centres hospitaliers, déjà exsangues, et aggravent une situation proche de l’apoplexie. D’ores et déjà, les passages aux urgences sont en forte hausse, de 20 à 30 % par rapport à la normale.

Tel un cruel révélateur, l’inquiétude des autorités face à cette nouvelle épreuve sanitaire en dit long sur l’ampleur du moment. Tandis que le ministre de la Santé, François Braun, parle d’ « un cap difficile à passer », l’urgentiste Patrick Pelloux évoque pour sa part une situation « jamais vue », même au plus fort de la crise du Covid. Et il avertit : « Nous ne sommes pas au bord de la saturation, nous sommes totalement saturés. » En vérité, partout sur le territoire, les conditions d’accès aux soins ne sont plus tenables et deviennent dangereuses pour les patients, plus ou moins mis en danger selon les circonstances.

On ne dira jamais assez la respon­sabilité des gouvernements successifs et le manque d’anticipation de l’actuel exécutif. Depuis mars 2020, date du premier confinement, non seulement rien n’a changé, mais tout paraît plus encore sombre et en voie de démembrement accéléré. Une affligeante constatation s’impose : pour les soignants, le « nouveau monde » ressemble furieusement à celui d’avant… en pire ! Soyons sérieux. Le problème vient-il de l’afflux de patients dans les services, ou du manque de places dans les hôpitaux ? N’oublions pas que 100 000 lits ont été supprimés en vingt-cinq ans et que, aujourd’hui en Île-de-France, environ 30 % des lits restent désespérément fermés par manque de personnel. L’idée d’un pays « déclassé » ne vient pas de nulle part, quand bien même la protection de la santé figure dans notre Constitution. En sommes-nous toujours dignes ? 


 


 

Les patients sont-ils
la priorité ?

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Alors que l’accès aux soins devient de plus en plus difficile, nous assistons à des négociations complètement hallucinantes entre l’assurance-maladie et les représentants des médecins. La baisse du nombre de généralistes a été sciemment organisée et se poursuit. La médecine générale n’est pas la plus prisée en raison des conditions de travail et du différentiel de rémunération avec d’autres spécialités. Par ailleurs, le maintien de la rémunération à l’acte sclérose le système. Aujourd’hui, plus de 60 % des dépenses de la Sécurité sociale concernent des patients de plus de 50 ans, atteints de maladies chroniques qui se soignent mais ne se guérissent pas. Leur prise en charge nécessite une équipe de professionnels de santé qui collaborent étroitement et interviennent de manière régulière. Empiler des soins sans véritable coordination aboutit à un résultat médiocre, tout en multipliant des actes techniques coûteux.

La situation actuelle n’est plus acceptable, avec 6,5 millions de personnes sans médecin traitant dont plus de 600 000 atteintes d’affections de longue durée. L’accès aux spécialistes est de plus en plus difficile, la généralisation des dépassements d’honoraires entraînant renoncement aux soins, prise en charge retardée et, au final, une dégradation de l’état de santé des patients. La réponse actuelle est un palliatif de mauvaise qualité, avec des centres de soins non programmés et des téléconsultations qui amènent une sorte d’ubérisation de la médecine : seul un médecin traitant attitré et disponible est capable d’assurer un suivi régulier.

Dans ce contexte, focaliser les négociations sur la seule augmentation du montant de la consultation à 50 euros est une grave erreur. Au regard des expériences menées et des expressions des jeunes médecins, il est indispensable de réfléchir à modifier les modes d’exercice et de rémunération des médecins. L’exercice dans des structures collectives pluriprofessionnelles montre son efficacité, avec une grande satisfaction des professionnels. Par ailleurs, le salariat attire de plus en plus. Il a comme avantage de débarrasser les praticiens des tâches de gestion et d’organisation qu’impose l’exercice libéral. Le salariat n’a rien de dégradant et n’implique pas une perte de liberté des professionnels. Les statuts de salariés peuvent être variés, depuis celui de fonctionnaire jusqu’à celui de salarié d’une structure coopérative. Face à la gravité de la crise actuelle, une politique de rupture est nécessaire autour de deux axes : la réponse aux besoins des patients, qui doit être la priorité, et une amélioration des conditions de travail et de rémunération des professionnels de santé.


 


 

Importation de médecins

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Alors que notre système de santé est en train de s’effondrer, le gouvernement propose d’importer des médecins dans le cadre d’un dispositif d’immigration choisie. De prime abord cela apparaît comme de bon sens mais, en fait, il s’agit une nouvelle fois d’instrumentaliser le débat pour ne pas aborder les vrais problèmes. Près de 25 000 médecins exercent déjà en France avec un diplôme étranger, soit 10 % de l’ensemble de la profession en activité. Par ailleurs, près de 14 % des nouveaux inscrits chaque année sont dans le même cas. Or, si des arrivées importantes ont été constatées lors de l’entrée des anciens pays d’Europe de l’Est dans l’Union européenne, cette source a tendance à se tarir car ceux qui voulaient vraiment quitter leur pays l’ont déjà fait. Par ailleurs, ils travaillent, pour 60 % d’entre eux, comme salariés dans les hôpitaux et peu s’installent en libéral. Enfin, de nombreux pays ayant mené la même politique que la France, des tensions démographiques sont présentes dans plusieurs États européens.

Il reste alors les pays d’Afrique francophone et du Moyen-Orient, mais un grand nombre de médecins formés dans ces zones exercent déjà en France dans les hôpitaux sous des statuts qui confinent à de l’esclavagisme moderne. Vouloir en attirer encore plus en France, c’est piller ces pays qui les ont formés et qui ont peu de chances de les voir revenir. De plus, cette mesure s’insère dans un projet de loi aux mesures très restrictives en termes de durée de séjour sur le territoire français. En effet, il est prévu une procédure complexe d’aptitude à exercer uniquement dans les hôpitaux pour une durée de un à quatre ans. Ce dispositif, s’il se voulait attractif, devrait offrir des rémunérations et des conditions d’accueil pour les praticiens et leur famille à hauteur de ce que sont en droit d’attendre des expatriés qui n’ont pas vocation à rester définitivement dans le pays. Manifestement, cet aspect n’a pas été pris en compte.

Plus important, le problème de la démographie médicale touche bien entendu l’hôpital mais, surtout, la médecine générale en ville. Il s’agit donc encore d’un leurre pour éviter le vrai débat, qui est celui de la mise en place d’un véritable service public de santé associant la médecine de ville et l’hôpital, dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire assurant une égalité de traitement de tous les citoyens quel que soit leur lieu de résidence. Visiblement, l’objectif du gouvernement est de laisser se dégrader encore plus la situation pour ouvrir la porte à un système privé pour ceux qui pourront se le payer. Car la nature a horreur du vide et il sera facile aux assureurs de proposer des contrats permettant un accès privilégié et sans délai à des médecins agréés qu’ils auront recrutés.

publié le 23 décembre 2022

C’est officiel, la réforme de l’assurance-chômage a fait beaucoup de perdants

Dan Israel sur www.mediapart.fr

Selon le bilan de l’Unédic, enfin rendu public, les coupes dans les droits des demandeurs d’emploi ont abouti à une baisse moyenne de 16 % des allocations versées, et à un recul jamais atteint du nombre de chômeurs indemnisés. Et la prochaine réforme aggravera la situation.

LesLes chiffres ont mis des mois à être rendus publics, et ils sont aussi sombres qu’anticipé. C’est une poignée de jours avant Noël que l’Unédic – l’organisme, géré par les syndicats et le patronat, chargé du régime d’assurance-chômage – s’est résolu à communiquer aux partenaires sociaux son bilan de la réforme de l’assurance-chômage, qui est entrée entièrement en vigueur en octobre 2021.

Jusque-là, et en violation flagrante avec les promesses initiales du macronisme, aucune donnée précise n’était disponible pour comprendre les effets de la réforme, dont tout laissait penser qu’elle était désastreuse pour les plus précaires des demandeurs d’emploi.

« Une évaluation sera faite. Il faut se laisser plus de temps pour que ces analyses soient fiables », expliquait encore en juin 2022 Patricia Ferrand, la présidente de l’Unédic. Au printemps 2020, l’organisme avait pourtant été en mesure de publier un bilan précis et détaillé des premières mesures entrées en vigueur six mois plus tôt (et finalement suspendues en juillet 2020, pour cause de crise sanitaire).

Pour obtenir enfin les informations précises concernant la réforme, il aura donc fallu patienter le temps que le gouvernement fasse voter une deuxième réforme, qui réduira d’un quart la durée d’indemnisation des chômeurs, à partir du 1er février.

Sans surprise, les chiffres de l’Unédic sont désastreux pour les demandeuses et demandeurs d’emploi. Jamais la part des inscrit·es à Pôle emploi touchant une indemnisation n’a été aussi faible : seulement 36,6 % de l’ensemble des inscrit·es en juin 2022, contre 40,4 % en décembre 2021.

Et pour qui réussit à les percevoir, les allocations revues et corrigées par les nouvelles méthodes de calcul ont baissé en moyenne de 16 % – un chiffre conforme aux anticipations de l’Unédic, qui prévoyait en avril 2021 une baisse moyenne des droits de 17 %.

Les économies d’ores et déjà réalisées sont substantielles : plus de 2 milliards d’euros par an, avant une réduction supplémentaire des dépenses qui devrait dépasser les 4 milliards annuels lorsque la deuxième réforme sera en régime de croisière.

Dans un communiqué, la CGT a dénoncé « un saccage » : « La réforme de 2021 a non seulement exclu un très grand nombre de travailleurs privés d’emploi de l’indemnisation mais elle a particulièrement touché les jeunes ainsi que les travailleurs ayant perdu un CDD ou un contrat d’intérim. »

Baisse des droits 

La réforme de 2021 a joué sur trois paramètres : un nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), à partir duquel est calculée l’allocation-chômage ; la nécessité de travailler au moins six mois, et non plus quatre, pour y avoir droit ; et un recul de 30 % du montant versé au bout de 6 mois pour les salarié·es qui touchaient les plus hauts salaires (plus de 4 500 euros brut).

Le premier effet de ces mesures a été de faire reculer le nombre d’ouvertures de droit au chômage, ou de rechargement de ces droits. L’Unédic en compte 39 000 de moins en juin 2022 qu’en juin 2019, soit une baisse de 20 %.

Un peu plus de 50 % des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations à cause de la réforme. 15 % des demandeuses et demandeurs d’emploi ont même vu leurs droits fondre de 20 % à 50 %.

On ne peut lier toute cette baisse à la réforme, parce que la conjoncture économique a été bonne en 2022, et que le nombre d’inscrits à Pôle emploi était orienté à la baisse. Mais il faut noter que la baisse est plus marquée chez les allocataires les plus fragiles, qui sont précisément celles et ceux qui sont visé·es par la réforme : moins de 25 ans (– 26 % d’ouvertures de droits), allocataires ayant perdu un CDD (– 30 %) ou un contrat d’intérim (– 37 %).

Un peu plus de 50 % des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations à cause de la réforme, qui cible principalement celles et ceux qui alternent période d’emploi et d’inactivité. 15 % des demandeuses et demandeurs d’emploi ont même vu leurs droits fondre de 20 % à 50 %, par rapport à ce qu’ils auraient pu attendre avant 2021.

Autre effet, collatéral cette fois, de la réforme : le cumul entre chômage et petits boulots peut se révéler moins rémunérateur qu’auparavant. Alors même qu’un allocataire sur deux travaille, « une proportion moindre est indemnisée » pour ce cumul, note l’Unédic. Et ce sont les profils moins qualifiés qui en bénéficient moins.

Quant à la réduction de 30 % du montant de l’allocation-chômage au bout de six mois pour les cadres, cette règle touchait déjà 31 000 personnes en juin dernier, « et 52 000 autres pourraient voir leur allocation baisser les mois à venir », a calculé l’Unédic.

L’objectif n’est pas atteint

Ces coupes radicales dans les droits des allocataires sont-elles au moins utiles pour remplir les objectifs officiels du gouvernement, à savoir réduire drastiquement l’utilisation des emplois courts par les entreprises et leur personnel ? Pas du tout, si l’on en croit la synthèse, également présentée aux partenaires sociaux, de quarante entretiens menés par l’Unédic avec des demandeurs d’emploi impactés par la réforme.

Ainsi, l’enjeu « de limitation des contrats courts n’est qu’assez partiellement perçu par les allocataires », indique pudiquement le gestionnaire de l’assurance-chômage, qui signale que « très peu [des personnes interrogées] évoquent des choix personnels les amenant à privilégier des contrats courts ».

Les allocataires expliquent simplement que dans leur secteur professionnel ou à leur niveau de qualification, on ne propose simplement pas de contrats pérennes. Et d’ailleurs, même après la réforme, leur recherche d’emploi reste « majoritairement dans la continuité de leur parcours professionnel récent, donc souvent en CDD ou intérim », note l’Unédic. La durée des contrats de travail proposés ne fait pas plus « partie de leur considération pour reprendre un emploi ».

Je ne peux pas aller en formation parce que je ne pourrai pas travailler pendant ce temps et l’indemnité qui me serait payée ne me permet pas de vivre.

Les allocataires ne perçoivent pas non plus de changement « dans les comportements et pratiques de recrutement des employeurs en lien avec la réforme ». Et les rares personnes estimant disposer d’un pouvoir de négociation avec un futur employeur l’utilisent pour demander un plus haut salaire, pas un CDI.

« On est en position de force car il y a une pénurie de main-d’œuvre », indique ainsi un professionnel de la restauration, qui travaille pour des traiteurs. Mais ces derniers « ne sont pas en mesure d’embaucher sur des contrats stables car leur activité en dent de scie, ils n’ont pas [d’autre] choix que d’avoir des contrats d’usage », précise-t-il aussitôt.

D’autres allocataires soulignent par ailleurs que le faible niveau d’indemnisation les empêche de se déplacer pour trouver du travail plus loin de leur domicile, ou même d’entamer une formation : « Actuellement, je ne peux pas aller en formation parce que je ne pourrai pas travailler pendant ce temps et l’indemnité qui me serait payée ne me permet pas de vivre », dit l’un de ceux qui cumulent chômage et petits boulots.

La deuxième réforme ne sera pas plus positive 

Ces constats moroses ne seront pas égayés par la première évaluation, à gros traits, menée par l’Unédic sur les effets de la future réforme qui entrera en vigueur en février. Si, comme cela est prévu par le gouvernement, la durée d’indemnisation maximale baisse d’un quart (sans pouvoir passer sous les 6 mois), « en moyenne, le nombre d’allocataires indemnisés diminuerait de 12 % en année de croisière, soit environ 300 000 personnes pour 2,5 millions d’indemnisés ».

Et si le gouvernement assure que ce rabotage de 25 % des droits ne s’appliquera qu’en cas de conjoncture favorable, et disparaîtra si le chômage remonte, les anticipations de l’Unédic se chargent de balayer ce discours : il faudrait que le taux de chômage dépasse 9 %, alors qu’il est de 7,3 % aujourd’hui, ou qu’il augmente de plus de 0,8 point sur un trimestre. Or, « une augmentation de 0,8 point du taux de chômage ne s’est produite que deux fois dans le passé relativement récent » : en 2009 après la crise des subprimes, et en 2020, avec le confinement lié à la pandémie de Covid.

Là encore, l’efficacité de la mesure voulue par l’exécutif est remise en question : même s’il est établi que réduire la durée d’indemnisation pousse les demandeurs d’emploi à retrouver plus vite un travail, cela « n’implique pas forcément une augmentation du volume d’emplois créés par les entreprises », avertit l’Unédic.

« Y a-t-il plus d’emplois créés ou une rotation différente dans les offres d’emploi pourvues (emplois pris par des chômeurs indemnisés au lieu de chômeurs non indemnisés, inactifs, etc.) ? », interroge l’organisme, qui insiste sur le fait que « ces effets dits de “bouclage macroéconomique” n’ont pas été étudiés à ce jour ».

Les effets positifs de la future réduction de la durée d’indemnisation sont donc loin d’être établis. Mais d’autres conséquences négatives sont en revanche très probables : parce qu’ils seront couverts moins longtemps par l’assurance-chômage, « les allocataires impactés par la réforme acquerront moins longtemps des droits à la retraite et moins de points de retraite complémentaire ». Et une hausse du nombre de bénéficiaires du RSA « devrait s’observer consécutivement à la réduction de la durée des droits ».

  publié le 22 décembre 2022

« Soit on regarde les enfants mourir,
soit on agit  » : l’expertise citoyenne
contre l’inaction publique

par Sophie Chapelle sur https://basta.media

Face à un nombre anormal de cancers d’enfants et un défaut d’explications officielles, des habitants sur le secteur de Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique ont décidé de mener leurs propres recherches.

« Soit on regarde les enfants mourir, soit on agit. » Marie Thibaud a choisi l’action. Thérapeute libérale et formatrice en école de travail social, âgée de 42 ans, elle vit près de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique. Dans cette commune de 7000 habitants et dans quelques villages voisins, vingt-cinq enfants – dont le fils de Marie, Alban – ont développé un cancer sur une période de sept ans. Un taux étrangement élevé en regard de la population.

Marie souhaite comprendre ce qui se passe et, en 2019, elle fonde avec d’autres parents le collectif « Stop aux cancers de nos enfants ». Très déterminés, ils obtiennent le lancement d’études sur divers polluants par l’Agence régionale de santé, et d’une enquête épidémiologique par Santé publique France. En septembre 2020, c’est la sidération : cette dernière institution annonce qu’il n’y a pas de « risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département ».

L’enquête n’a pas tenu compte de tous les enfants malades : ceux de plus de 15 ans en ont été exclus, par exemple. « En plus d’oublier certains malades, ils ont lissé leur nombre sur treize années, de 2005 à 2018, tempête Marie Thibaud. Ils les ont répartis sur trois cantons qui n’existent même plus, plutôt que de les répartir par commune. Pourquoi ? On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster. » Les études officielles pour identifier les causes des cancers des enfants prennent alors fin. Du point de vue du ministère de la Santé, il ne se passe rien de particulier à Sainte-Pazanne.

« Nous cherchons dans l’environnement des enfants ce qui a pu les rendre malade »

Le collectif ne renonce pas, lui, à tenter de trouver le ou les facteurs à l’origine des maladies. « Notre démarche est différente : nous partons du cluster, de nos enfants malades, et nous cherchons dans leur environnement, que nous connaissons bien, ce qui a pu les rendre malades. » Marie égrène les études menées sur l’eau du robinet, les eaux des puits ou les sols des jardins. « À chaque fois qu’une analyse sort, nous trouvons des éléments inquiétants. » De multiples substances cancérogènes, pesticides, plastifiants et autres perturbateurs endocriniens sont même détectés dans l’air du domicile des enfants malades. « Les effets cocktail [1] sont au cœur de ce que nous sommes progressivement en mesure de démontrer, avance Marie Thibaud. Or, les autorités sanitaires ne les prennent pas en compte, ni la toxicité chronique [2]. »

Pour pallier cette lacune institutionnelle, le collectif a décidé de créer son propre organisme : l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale. « Il regroupera des scientifiques et les citoyens experts que nous sommes devenus. Cet institut va lancer de nouvelles recherches, afin d’agir et de participer à la mise en place d’actions correctives ou de prévention. Les cancers pédiatriques sont les sentinelles de la santé environnementale : quand il y en a, cela veut dire qu’il y a bien d’autres choses. » Les collectivités territoriales sont également sollicitées « pour que tout le monde ait les informations en même temps ». Le département (PS) et la région (LR) ont annoncé qu’ils apporteront leur soutien à l’initiative. L’institut devrait voir le jour en 2023.

Dans cet inlassable combat mené par Marie depuis trois ans, une belle nouvelle est arrivée : son fils Alban a été déclaré guéri. « Il est toujours suivi, mais les chances de rechute sont extrêmement faibles. » La famille a décidé de continuer à vivre ici. « Est-ce que j’allais me retrouver lanceuse d’alerte ailleurs ? sourit-elle. Nous avons fait le choix de rester sur un territoire qui va se porter de mieux en mieux. Car nous allons faire ce qu’il faut pour cela. »

Notes

[1] Action cumulée de plusieurs substances qui peuvent rester chacune en dessous des seuils de toxicité, mais avoir ensemble des effets délétères.

[2] Effets néfastes de l’exposition à un contaminant, à de faibles doses mais sur une longue période.


 

Cet article est extrait du hors-série sur les lanceurs d’alerte co-publié par basta! et Politis disponible en kiosque ou à commander en ligne au prix de 6 €.

publié le 16 décembre 2022

Retraites : ce que l’on sait déjà et ce que l’on ne sait pas encore
de la réforme à venir

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Au lieu d’annoncer ses arbitrages sur le contenu de la réforme des retraites le 15 décembre, le gouvernement a reculé l’échéance au 10 janvier. Pour autant, l’exécutif a largement dévoilé ses intentions et les grandes lignes de son projet dans la presse, plus d’ailleurs que dans les concertations avec les syndicats et le patronat. Avant la trêve des confiseurs, Rapports de force passe en revue pour vous ce que l’on sait et ce qui reste incertain sur la réforme.

 Depuis l’été dernier, la réforme des retraites ressemble finalement à une drôle de guerre. Un peu comme lorsqu’en septembre 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne, mais qu’il ne se passe rien sur le front pendant des mois. Et ce, jusqu’à l’invasion express en moins de 50 jours des Pays-Bas, de la Belgique et de la France à partir du 10 mai 1940.

Dans le dossier de la réforme des retraites, les intentions d’une déclaration de guerre au monde du travail, avec un passage à 65 ans de l’âge légal de départ, sont affichées depuis juillet, si ce n’est depuis mars 2022. La mobilisation générale, côté gouvernemental, a connu une accélération fin septembre avec la menace de passer en force à l’automne au moment du vote du budget. Et elle a eu sa symétrie : les responsables des confédérations syndicales s’étant réunis en urgence en visioconférence pour préparer une réaction immédiate.

Puis le gouvernement a changé de pied en lançant des concertations, pour la forme, sur deux mois, à compter du 8 octobre. Chacun s’est retranché derrière sa ligne Maginot en quelque sorte, attendant une inéluctable confrontation renvoyée à plus tard. Un faux rythme qui aurait dû prendre fin aujourd’hui le 15 décembre, date retenue initialement pour le début de l’offensive gouvernementale avec l’énumération par Élisabeth Borne des arbitrages concluant les concertations sur les retraites. Et l’annonce le soir même, par huit syndicats, d’une date de première journée de grève en janvier. Mais le faux rythme va se poursuivre jusqu’au 10 janvier, date à laquelle l’exécutif devrait se dévoiler. Avant d’accélérer franchement avec un ou deux projets de loi présentés en Conseil des ministres, possiblement le 23 janvier. Voire même avec une tentative de guerre éclair, et passage aux 65 ans, via un budget rectificatif du projet de loi de finances de la Sécurité sociale, assorti d’un énième 49-3 budgétaire.

Une certitude, ils veulent nous faire travailler plus longtemps

Emmanuel Macron et ses ministres ont assez répété sur tous les tons « il faut travailler plus longtemps », pour que l’on soit certain que le futur projet de réforme des retraites impliquera de partir plus tard. Le report de l’âge légal comme mécanisme d’un allongement de la durée de travail, aujourd’hui fixé à 62 ans, est lui aussi quasi certain, car trop souvent martelé par l’exécutif, pour ne pas apparaître comme un recul dans la capacité du chef de l’État à réformer s’il y renonçait. Ce sera 65 ans, donc trois années de travail supplémentaire, si la volonté du chef de l’État l’emporte. Ou 64 ans, deux ans de plus, éventuellement assortis d’une augmentation rapide du nombre d’années de cotisation nécessaires pour une retraite à taux plein, si d’autres voix issues de la majorité s’imposent. Tout sauf un cadeau si cette option était retenue, même si le gouvernement tentera de présenter cela comme une concession ou un signe d’ouverture.

L’allongement qui sera retenu s’appliquera à l’ensemble du monde du travail : salariés du privé comme fonctionnaires. Selon les vœux d’Emmanuel Macron, la réforme prendra effet dès l’été 2023. Elle concernera tous les salariés à partir de la génération 1961, selon les déclarations d’Élisabeth Borne de début décembre. L’allongement devrait être progressif jusqu’à 2031, probablement à raison de quatre mois supplémentaires par an. Ainsi, si vous avez 60 ans aujourd’hui et que vous pensiez partir à la retraite au dernier trimestre 2024, vous devriez patienter jusqu’en 2025. Pire, si vous avez eu 57 ans en 2022, selon votre mois de naissance, votre date de départ à la retraite pourrait passer de 2027 à 2029. Et dès la génération 1969 ou 1970, ce sera trois années de plus. Plein pot.

La fin programmée de certains régimes spéciaux

Là aussi l’exécutif a affirmé qu’il mettrait fin à un certain nombre de régimes spéciaux. Combien ? Lesquels ? Pour le moment, Élisabeth Borne a pointé celui des agents de la RATP, celui des industries électriques et gazières et celui de la Banque de France. À l’inverse, ceux des marins et des danseurs de l’Opéra de Paris seraient épargnés et celui des parlementaires n’a pas été réellement évoqué. Pour les autres, ce sera la surprise le 10 janvier.

En tous les cas, afin de ne pas jeter des professions entières dans la rue, le gouvernement ne les supprimera pas tous. Et il prévoit d’ores et déjà une « clause du grand-père » pour les faire disparaître. À savoir, réserver leur fin aux salariés qui entreront dans ces métiers ou entreprises après la réforme. Pour autant, cela ne veut pas dire que ceux déjà en exercice ne seront absolument pas concernés par un allongement de l’âge de départ à la retraite. En effet, lors du passage, lui aussi progressif, de 60 à 62 ans entre 2010 et 2015, les régimes spéciaux avaient fini par voir leur âge de départ décalé également de deux années à partir de 2016. Sur ce point, c’est encore l’inconnue. Le gouvernement a été très peu loquace, mais on peut aisément imaginer qu’en 2031, date d’atterrissage aux 65 ans, une harmonisation soit envisagée.

Pénibilité : de très très maigres compensations

C’est un des points particulièrement incertains, dans la mesure où le mois supplémentaire donné aux concertations jusqu’au 10 janvier pourrait être utilisé par la Première ministre pour donner quelques gages à la CFDT, qui fait de la pénibilité un de ses chevaux de bataille. Et ainsi, sans lui faire soutenir la réforme des retraites, tenter de l’éloigner des cortèges et des grèves de début 2023. Pour autant, la partie ne va pas être facile, le patronat pesant de tout son poids pour qu’aucune contrainte ne pèse sur les entreprises en la matière.

Mais quelles sont les propositions sur l’usure professionnelle, terme préféré à celui de pénibilité par Emmanuel Macron qui déclarait en 2019 ne pas l’adorer « parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible » ? Rien d’exceptionnel en réalité. Pas question pour l’heure d’intégrer dans le compte professionnel de prévention (C2P) les critères de pénibilité évincés en 2017. À savoir : le port de charges lourdes, les postures pénibles ou l’exposition aux vibrations mécaniques et celle à des agents chimiques dangereux. Le patronat y étant fermement opposé, le gouvernement privilégie l’idée de renvoyer le bébé vers des discussions dans les branches professionnelles.

Pour autant, comme il faut bien afficher au moins une mesure, le ministre du Travail a proposé de déplafonner le nombre de points (100 maximums aujourd’hui) permettant d’obtenir des trimestres ouvrant droit à départ anticipé à la retraite (deux ans maximum aujourd’hui). Mais le flou gouvernemental ne permet pas à ce jour de savoir à combien d’années de départ anticipé pourront prétendre ces salariés. Pour qu’ils puissent partir dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, il faudrait potentiellement que le C2P permette un départ anticipé de cinq années. On peut réellement en douter. Cependant, le gouvernement pourrait aller plus loin d’ici le 10 janvier pour satisfaire la CFDT et semer la division dans l’unanimité syndicale contre le projet de réforme.

Carrières longues et catégories actives

Quand on dit te faire une fleur, mais qu’en réalité on t’arnaque. C’est clairement l’objet de la transformation du dispositif « carrière longue » en dispositif « carrière très longue » qu’a présenté Olivier Dussopt à la presse le week-end dernier. C’est même un tour de bonneteau. Aujourd’hui, le dispositif permet de partir deux ans avant l’âge légal, quand on a quatre à cinq trimestres travaillés avant l’âge de 20 ans. Donc potentiellement à 60 ans. Demain, à moins que la proposition soit encore modifiée d’ici le 10 janvier, il faudrait rajouter trois années de travail si l’âge de départ retenu est 65 ans. Du coup, le ministre avance que le dispositif « carrière très longue » permettra de partir quatre ans avant. Soit 61 ans. Donc vous partirez à la retraite un an plus tard qu’aujourd’hui. Et au passage, les conditions pour en bénéficier deviendraient plus draconiennes. Là où il fallait 4 à 5 trimestres avant 20 ans, il en faudrait autant, mais avant 18 ans.

Du côté des catégories actives, des professions présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles justifiant un départ anticipé à la retraite, il n’y a pas vraiment de cadeau non plus. Les pompiers, policiers, égoutiers, aides-soignantes, etc. devront aussi partir plus tard à la retraite. De façon symétrique, avait déclaré Stanislas Guérini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique. Mais avec peut-être quelques aménagements selon les professions.

Un peu mieux pour les petites pensions, mais pas pour tout le monde

C’est le volet présenté par le gouvernement comme celui de la « justice sociale » de la réforme des retraites : le passage à 1200 € de pension minimale pour les personnes ayant une carrière complète. Le mécanisme qui sera mobilisé par le gouvernent pour atteindre un niveau de pension équivalent à 85 % du SMIC sera l’augmentation du minimum contributif. Mais on ne sait pas vraiment comment techniquement. Ici, le risque d’usine à gaz est majeur.

Mais outre que de nombreux salariés n’ont pas de carrière complète au moment de faire valoir leurs droits à la retraite, la mesure ne concernerait que les nouveaux entrants, croit savoir le journal Les Échos, selon plusieurs de ses sources. Soit un peu plus de 600 000 personnes par an, au lieu des plus de 5 millions de retraités sur près de 16 millions, dont la pension est inférieure aujourd’hui à 1000 €. Et pour un coût assez limité. Quelques centaines de millions d’euros s’il s’agit des nouveaux retraités ou autour de trois milliards si les retraités actuels sont concernés. Une goutte d’eau : soit environ +0,1 %, soit à peu près +1 % d’augmentation des dépenses de retraites, qui s’élèvent approximativement à 350 milliards par an.

Le refus de contraindre les entreprises sur l’emploi des seniors

Là aussi, malgré le manque à gagner en milliards d’euros chaque année pour les caisses de retraite que représente le fait que seulement 56 % des plus de 55 ans sont en activité, le gouvernement bricole des propositions sans envergure. Première d’entre elles : la création d’un index permettant de connaître les pratiques des entreprises sur l’emploi des seniors. Mais sans rien de contraignant a rappelé Élisabeth Borne le 1er décembre, malgré qu’un pic de rupture de contrat de travail soit constaté à l’âge de 59 ans. Un dispositif équivalent, l’index égalité professionnelle, avait été mis en place au sujet des inégalités entre les hommes et les femmes pendant le premier mandat d’Emmanuel Macron. Sans grands changements depuis.

Autre mesure envisagée : promouvoir la retraite progressive, un dispositif déjà existant et peu mobilisé. Et à côté, un catalogue de mesurettes, passant de l’accès à un bilan de compétence au cumul emploi-retraite. Voire même par de possible exonération de cotisations sociales pour les employeurs pour qu’ils se séparent moins de leurs salariés les plus âgés. Plus inquiétant encore, Olivier Dussopt avait évoqué au mois d’octobre la création d’un dispositif appelé « assurance-salaire ». En gros : la possibilité pour un senior au chômage de conserver une partie de ses indemnités s’il accepte un emploi à un salaire inférieur à son précédent travail.

La pilule de la réforme des retraites est difficile à avaler

En résumé, des mesures assassines. À savoir deux à trois années de travail supplémentaires pour pouvoir partir à la retraite et la fin de plusieurs régimes spéciaux. Des aménagements pour certaines catégories de salariés qui impliquent quand même de travailler plus longtemps malgré la pénibilité, les carrières longues ou les services actifs. Et en face, quelques mesures dites de « justice sociale » au rabais sur les petites pensions, l’emploi des seniors, et quasiment aucune mesure sur l’égalité femmes hommes, alors que les retraitées ont des pensions inférieures de près d’un quart à celles des hommes.

Avec un tel projet de réforme des retraites, largement impopulaire, il faut bien des manœuvres pour arriver à l’imposer. D’où le faux rythme déployé depuis des mois, les tentatives de fracturer le front syndical et les tractations avec les parlementaires Les Républicains.

publié le 13 décembre 2022

Réforme des retraites :
les arguments fallacieux d’Emmanuel Macron

par Bernard Marx sur www.regards.fr

Jour après jour, pied à pied, notre chroniqueur Bernard Marx ne laisse rien passer à Emmanuel Macron. Non, la réforme des retraites n’aura rien d’une réforme de justice et d’équité !

Les mauvais coups gouvernementaux sont souvent annoncés au cœur des vacances d’été. Pour la nouvelle réforme des retraites, le gouvernement a choisi les fêtes de fin d’année ou, plus précisément, au lendemain de celles-ci, le 10 janvier. Mais l’effet recherché est le même.

Sans attendre, Élisabeth Borne, ses ministres Dussopt et Guérini et Emmanuel Macron, lui-même, commencent à se répandre en petites phrases et en interviews. Ils confirment ce qu’on savait déjà : la réforme Macron consistera pour l’essentiel à passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 – ou plus vraisemblablement 65 ans – en le repoussant de quatre mois par an à partir de 2023. Les régimes spéciaux (industries électriques et gazières, RATP, SNCF, Banque de France, Opéra de Paris, parlementaires) seront progressivement éteints. Les nouveaux recrutés seront affiliés au régime général du privé. La réforme s’appliquera aux salariés de la fonction publique dont le régime spécifique sera maintenu.

Dans l’immédiat, les petites phrases du Président et de ses ministres visent à justifier une réforme massivement rejetée par la population. La survie d’un système de retraite par répartition auxquels les Français sont très légitimement attachés est l’argument numéro 1. Sur TF1, samedi 3 décembre, Emmanuel Macron a ainsi affirmé : « Oui, nous devons faire cette réforme […] Si on ne la fait pas, on laisse le système de retraites par répartition en danger. Les besoins de financements sont massifs, ils vont continuer de s’accroître dans les prochaines années. Le seul levier que nous avons, c’est de travailler un peu plus longtemps ».

Grâce à cet argent économisé et au travail supplémentaire de celles et ceux dont la retraite sera retardée, nous pourrons réaliser nos objectifs de protection contre l’inflation, de réindustrialisation, de transition écologique, de développement des services publics tout en baissant les impôts et sans augmenter la dette. C’est l’argument numéro 2. C’est ce qu’a affirmé Emmanuel le 4 décembre dans Le Parisien [1] : « Nous dépensons de l’argent pour protéger le pouvoir d’achat des Français contre l’inflation. Nous dépensons de l’argent pour transformer et investir dans la France de 2030, par une réindustrialisation et tenir nos engagements climatiques. Nous dépensons de l’argent pour développer nos grands services publics, Intérieur, justice, école, santé... Et tout cela, j’ai pris l’engagement de ne pas le financer par des impôts, que je veux au contraire baisser. Tout comme je ne le financerai pas davantage par de la dette, on est déjà l’un des pays qui a la plus élevée. Donc il faut le financer par plus de création de richesse et la richesse est créée par le travail. C’est tout le sens de la priorité accordée au travail que ce soit à travers la réforme des retraites, de l’assurance chômage, des lycées professionnels, du service public de l’emploi… Nous avons un potentiel considérable de richesse par notre travail ».

On fera ça dans « la justice et l’équité ». C’est l’argument numéro 3. Dans la même interview, Emmanuel Macron explique : « Personne ne se réjouit de travailler un peu plus longtemps mais pour ne pas baisser les retraites et reporter de nouvelles charges sur nos enfants, il faudra faire un effort, progressivement et en tenant compte des parcours de chacun : carrières longues, pénibilité des métiers. Il est hors de question par ailleurs de baisser le niveau des pensions. Je veux au contraire augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites. La réforme des retraites est donc aussi une réforme de justice et d’équité ».

Ces arguments sont fallacieux. Leur réfutation n’est pas inutile à l’heure où démarre cette nouvelle bataille des retraites [2].

Une réforme pour sauver le système par répartition ?

Le système de retraite français n’est pas en danger. Il est financièrement équilibré en 2021. Il sera excédentaire en 2022. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), organisme indépendant d’expertise et de prévision, placé auprès de la Première ministre, prévoit d’ici à 2032 un déficit entre 0,5 et 0,8 point de PIB soit de l’ordre de 10 milliards d’euros par an. Sur la période 2021 à 2027 la part des dépenses de retraite dans le PIB serait stable et légèrement inférieure à 14%. Elle pourrait augmenter à 14,2 voire 14,7% entre 2028 et 2032. Par la suite et jusqu’en 2070, cette part serait stable ou en baisse malgré le vieillissement de la population. La conclusion du COR est sans appel : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite » [3].

Le déficit prévu pour les années 2022 à 2032 est dû à la politique économique du gouvernement. Ce ne sont pas les dépenses qui augmentent trop vite mais les recettes qui sont pénalisées. Par les économies sur les emplois et la masse salariale dans la fonction publique, et par la politique salariale qui cherche à limiter au maximum la hausse des salaires avec les boucliers tarifaires et les primes non soumises à cotisation retraite.

Les prévisions économiques sont fragiles. Le gouvernement a accru cette fragilité en imposant un cadrage irréaliste avec un taux de chômage qui, grâce à sa politique baisserait à 5% d’ici à 2027. Ce qui est si peu fiable que le COR refait passer ce taux à 7% par la suite. L’incertitude est grande sur les hypothèses économiques des prochaines années. Une récession en 2023 est probable. Sa durée et son ampleur dépendront fortement des politiques économiques et monétaires. Repousser l’âge de la retraite dans une telle situation conduirait sans doute à aggraver le chômage, la pression à la baisse du pouvoir d’achat et in fine la spirale récessive [4].

Le seul levier possible pour équilibrer le système ?

D’autres solutions que l’âge de départ peuvent permettre d’équilibrer le système de retraite. L’économiste Michaël Zemmour en évoque cinq : revenir sur les exonérations de cotisations les plus inutiles ; soumettre l’épargne salariale à cotisations retraite ; ralentir le remboursement de la dette sociale ; revenir sur la baisse de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette seule mesure rapporterait 8 milliards par an dès 2024 ; et même augmenter les cotisations de 0,8 point d’ici à 2027. Ce qui rapporterait 12 milliards d’euros. Et l’économiste Gilles Raveaud souligne de son côté l’importance des fonds de réserve des retraites et des retraites complémentaires (150 milliards).

Économiser sur les retraites pour baisser les impôts et financer les dépenses publiques pour la réindustrialisation, les engagements climatiques, restaurer l’école, la santé, la justice… ?

Les dépenses de retraites sont officiellement classées dans les dépenses publiques. Le gouvernement veut imposer une politique d’austérité budgétaire pour toute la période 2022 à 2027. C’est selon lui le moyen de revenir à l’équilibre budgétaire. Et tout cela en baissant les impôts sur les revenus des entreprises et sur les catégories sociales les plus favorisées. Cela commence avec le budget 2023 qui sera le 2ème budget le plus austéritaire des 20 dernières années. Il a programmé sur la période 2022-2027 une croissance annuelle moyenne des dépenses publiques de 0,6% en volume, inférieure à la croissance prévue du PIB. Les économies réalisées sur le recul progressif de l’âge de la retraite durant cette période ne feront pas sortir de la pénurie et de l’insuffisance les dépenses publiques qui seraient nécessaires pour tenir les engagements climatiques, restaurer la qualité des services publics pour tous, réaliser une véritable réindustrialisation.

L’économiste Patrick Artus, lui-même, souligne qu’au niveau de la zone euro « pour assurer la transition énergétique (l’équivalent d’au moins 4% du PIB, dont seulement la moitié est actuellement financée), pour rattraper son retard de recherche-développement (plus d’un point de PIB pour atteindre le niveau des États-Unis), pour investir dans la santé et l’éducation. On peut estimer qu’il manque environ quatre points de PIB de dépenses publiques pour honorer ces dépenses nécessaires au-delà de ce qui est déjà engagé ». Cela vaut sans doute aussi pour la France. Ce n’est pas la réforme des retraites qui permettra de le réaliser. Ni non plus la baisse des impôts. Au contraire. Si l’on ne veut pas renoncer à des investissements nécessaires, notamment dans la transition énergétique, il n’y a pas explique-t-il d’autre véritable option que financer « des dépenses publiques élevées soit par une taxe inflationniste, soit par de vrais impôts ».

Repousser l’âge de la retraite va permettre d’augmenter le travail des seniors et donc de produire plus de richesses ?

Il faut reconnaître aux arguments d’Emmanuel Macron le mérite de la franchise et de la clarté. La retraite à 65 ans, cela va avec la réforme du chômage et la réforme des lycées professionnels. Le but est le même : obtenir plus de travail en le payant moins. Et pour cela augmenter la pression de la précarité et de la concurrence sur le marché de l’emploi. En prime, nous avons même la reconnaissance, si non l’aveu, que c’est le travail qui créée les richesses. En même temps on est toujours dans le ruissellement mais à partir du bas : le travail créateur de richesses oui, mais à condition qu’il soit rentable.

Le recul de l’âge légal de la retraite participe de la même politique de l’offre et de la compétitivité par la baisse des salaires réels. C’est une politique d’ancien régime. Elle ne répond ni aux enjeux immédiats de la conjoncture économique, ni aux enjeux de la transformation du système de production et de consommation.

Le recul de l’âge de la retraite permettra-t-il d’améliorer l’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans qui est particulièrement bas en France [5] ? Les mesures spécifiques d’accompagnement envisagées par le gouvernement [6] sont faibles ou nocives comme la baisse de la durée maximale d’indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans. La question de l’emploi des seniors doit être traitée à la racine par l’amélioration des conditions d’emploi, de travail et de formation durant toute la vie professionnelle. Et si elle était obtenue au détriment de l’emploi des autres, l’amélioration d’ensemble serait très limitée, au plan économique comme au plan social.

Une réforme juste et équitable qui tiendra compte des carrières longues et de la pénibilité des métiers ?

Yvan Ricordeau, le Monsieur Retraites de la CDFT, n’y croit pas lui-même. Le dispositif actuel carrière longue, explique Henri Sterdyniak, permet aux personnes qui ont travaillé au moins un an avant 20 ans et qui ont cotisé 42 années, de partir à la retraite à 60 ans. La réforme retarderait de deux ou trois ans leur âge de départ. Le dispositif actuel de prise en compte de la pénibilité, le compte personnel de prévention ne concerne que 12.000 bénéficiaires depuis sa création. Le gouvernement ne propose que de le modifier à la marge.

Augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites ?

La principale mesure envisagée par le gouvernement consisterait à appliquer enfin une loi adoptée en 2003 selon laquelle la retraite minimum serait de 85% du SMIC… La mesure pourrait être appliquée à l’ensemble des retraités. Mais avec un retard équivalent au recul de l’âge de la retraite pour les nouveaux. Et cela ne concerne que les salariés ayant une carrière complète.

Les inégalités de retraites entre les femmes et les hommes restent considérables. Selon le COR, les pensions de droit direct sont en moyenne inférieures de 37%. La principale mesure de « justice et d’équité » du gouvernement en la matière serait de ne pas retarder à plus de 67 ans le droit à une pension à taux plein, qui concerne principalement les femmes.

Il est hors de question de baisser le niveau des pensions ?

Le Président joue sur les mots. Comme le souligne Henri Sterdyniak, « l’objectif d’un système de retraite doit être d’assurer que les actifs bénéficient d’un niveau de vie à la retraite équivalent à celui des personnes en activité, cela à partir d’un âge de départ à la retraite socialement déterminé, permettant de jouir d’une période en bonne santé ».

Le système des retraites français est l’un des plus généreux au monde, avec en règle générale un départ à 62 ans, une parité de niveau de vie entre actifs et retraités, un taux de pauvreté des retraités faible et une redistribution entre les hauts et les bas salaires.

Mais les différentes réformes menées sous les différents gouvernements conduisent à une dégradation progressive pour les retraités actuels et pour les retraités futurs. La diminution du pouvoir d’achat des pensions nettes pendant la retraite est sensible. Elle s’est accentuée sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron du fait de la sous indexation des pensions et de la hausse de la CSG. Et pour l’avenir, dans le cadre actuel, selon les différents scénarios du COR, la pension moyenne augmenterait certes plus que les prix, mais le niveau de vie relatif des retraités régresserait progressivement au niveau de celui des années 1980. Encore ne s’agit-il que d’une moyenne. Pour toute une partie de la population, le système de retraite ne réaliserait plus sa promesse. C’est cela qui devrait être mis en débat. Mais Emmanuel Macron qui veut imposer une nouvelle et grave régression, fera tout pour l’enterrer.

 Notes

[1] Deux jours avant, c’est Élisabeth Borne qui était longuement interviewée par le même journal.

[2] Ces explications doivent beaucoup à des notes et analyses de Henri Sterdyniak, Michaël Zemmour et Eric Berr. À lire également le petit livre que François Ruffin vient de publier aux éditions Les Liens qui Libèrent : Le temps d’apprendre à vivre. La bataille des retraites.

[3] COR, rapport annuel, septembre 2022, page 9

[4] Voir l’analyse de Romaric Godin et Dan Israël.

[5] Dominique Seux, sur France Inter le 6 décembre, a prétendu débusquer la fake news selon laquelle « on entend souvent que la plupart des nouveaux retraités, ceux qui arrivent à la retraite, seraient en fait au chômage ». Triste méthode que de répandre, soi-même, une fake news pour mieux la combattre. Car personne ou presque ne prétend que la plupart des nouveaux retraités sont des chômeurs. L’éditorialiste donne lui-même le chiffre de 63% de nouveaux retraités qui étaient en situation d’emploi au moment de partir en retraite. Cela veut dire que 37% ne l’étaient pas. Et c’est cela qui est considérable et qui ne va pas. Qui plus est, la proportion varie, évidemment, en fonction de la catégorie sociale, au détriment des ouvriers et des employés et au détriment des femmes. « Les faits, rien que les faits », conclut-il ce jour-là. Chiche !

[6] Cf Henri Sterdyniak : « Refuser la dégradation des retraites, maintenir et développer un système satisfaisant », page 16.

publié le 9 décembre 2022

EDF face aux coupures d’électricité : 
la débâcle énergétique

Martine Orange sur www.mediaprt.fr

Jamais EDF ne s’était trouvée en situation de ne pas pouvoir fournir de l’électricité sur le territoire. Les « éventuels délestages » confirmés par le gouvernement attestent la casse de ce service public essentiel. Pour répondre à l’urgence, le pouvoir choisit la même méthode qu’au moment du Covid : verticale, autoritaire et bureaucratique.

La colère est là, l’accablement aussi. Depuis l’annonce de l’arrêt d’un certain nombre de centrales nucléaires à la suite de constats de corrosion sous contrainte puis celle d’éventuels délestages dans les prochaines semaines, les salariés d’EDF assistent, inquiets, au délitement de leur entreprise. La catastrophe qu’ils redoutaient, qu’ils dénonçaient depuis des années, sans que les pouvoirs aient jamais voulu les entendre, est là.

Comme l’ont déjà vécu avant les personnels de la Poste, de France Telecom, de GDF, de la SNCF, des hôpitaux, ils ont le sentiment d’être dépouillés du sens même de leur travail. « Pour les électriciens, la continuité du service est au cœur de leur mission. Cette fiabilité sans faille depuis des années, c’était notre fierté. Et là on nous demande de travailler sur des scénarios organisant des coupures et des délestages dans tout le pays. C’est un échec total », raconte Élise*, salariée du groupe. « Des coupures d’électricité, il y en a. Mais là ce n’est pas lié à des problèmes de réseaux. Mais c’est un problème de production, ce qu’EDF n’avait jamais connu », poursuit de son côté Julien Lambert, secrétaire fédéral de la FNME-CGT chargé de la politique énergétique. Des problèmes qui illustrent, selon lui, la faillite de l’État. Ils sont nés pour l’essentiel des choix incohérents, inconséquents des directions du groupe et des politiques girouettes des gouvernements successifs.

Le risque de voir une partie de la France plongée dans le noir pendant deux heures pendant les périodes de pointe de consommation au cœur de l’hiver est en train de provoquer un électrochoc bien au-delà du groupe public. Alors que les gouvernement successifs se rengorgeaient « de l’excellence du modèle français », l’opinion publique découvre qu’EDF est placée dans l’incapacité de remplir sa mission première : fournir de l’électricité à tout le monde, à tout moment. Après l’écroulement de l’hôpital public et de la santé au moment de la crise du Covid, cette nouvelle faillite nourrit le sentiment de décrochage du pays.

La condamnation de cet échec est unanime dans la classe politique. « Non, ce n’est pas normal que la France en soit là », a réagi Olivier Marleix, qui a fait de l’industrie et de l’énergie son cheval de bataille depuis plusieurs années. Le chef de file de Les Républicains (LR) à l’Assemblée nationale pointe la responsabilité particulière d’Emmanuel Macron dans cette faillite.

« On avait un service public qui était une référence mondiale, qui assurait à tous une électricité pas chère, qui en exportait dans toute l’Europe. On se retrouve à devoir importer notre électricité, à être exposés à des prix astronomiques et à faire face à des risques de délestage. On passe d’un pays industriel à un pays en développement. C’est le très gros échec lié à la libéralisation du marché de l’énergie, à l’affaiblissement organisé par l’État d’EDF », accuse de son côté le sénateur communiste Fabien Gay, qui lui aussi travaille sur le dossier de l’énergie depuis des années.

Philippe Brun, député (PS) de la Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) et membre de la commission des finances, emploie à peu près les mêmes termes. « C’est le stade final de la décomposition du service public. On a détruit une entreprise d’excellence en quinze ans. Aujourd’hui, on vit notre 1940 énergétique », dit-il. Se référant à L’Étrange Défaite de Marc Bloch, il pointe en particulier la responsabilité de la haute administration, baignant dans la même idéologie libérale depuis trente ans. « Je les connais bien, j’ai fait l’ENA [École nationale d’administration] comme eux, avec eux », dit le député de l’Eure.

Une analyse que partage le physicien Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique. Lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté et l’indépendance énergétique de la France, le 29 novembre, il a dénoncé avec un franc-parler rare l’inculture scientifique et technique crasse de la classe politique et de la haute fonction publique. « C’est dans les structures des cabinets et de la haute administration qui sont censés analyser les dossiers pour instruire la décision politique qu’il faut chercher les rouages de la machine infernale qui détruit mécaniquement notre souveraineté industrielle et énergétique », a-t-il insisté.

Affolement au sommet de l’État

Alors que le sujet des délestages s’installe sur toutes les chaînes d’information en continu, la panique gagne les cabinets ministériels. Alors que les boucliers tarifaires énergétiques doivent s’arrêter le 31 décembre, que l’inflation, notamment sur les produits alimentaires, continue de galoper, que les tensions s’accumulent sur fond de réforme des retraites, les « coupures tournantes » pourraient être l’étincelle qui embrase l’opinion publique.

Après avoir sonné l’alarme en novembre, Emmanuel Macron tente d’endiguer la menace. « Les scénarios de la peur, pas pour moi ! », a-t-il tonné depuis Tirana (Albanie), où il était en déplacement, assurant que les délestages n’étaient qu’un « scénario fictif ». En juillet, le président assurait, tout comme le ministère de la transition écologique, qu’il « n’y aurait pas de coupures d’électricité », alors que déjà les alertes sonnaient de toutes parts.

Le gouvernement a-t-il tardé à anticiper la situation ? Dès le printemps, les gouvernements allemand et italien avaient commencé à bâtir des scénarios d’urgence énergétique, indiquant les priorités, les secteurs touchés par les effacements de consommation, selon le niveau de tension sur les réseaux. Ces plans ont été connus et rendus publics largement à l’avance, permettant à chacun de se préparer.

En France, rien de tel. « En juillet, des dirigeants des entreprises de ma circonscription se sont tournés vers la préfecture pour avoir des informations, savoir comment se préparer, la préfecture a été incapable de leur donner la moindre information », raconte Philippe Brun.

La gestion du dossier EDF par le pouvoir donne le sentiment que celui-ci, durant l’été, a été plus préoccupé par le retrait de la cote de l’entreprise publique et des jeux capitalistiques à venir que de veiller à l’approvisionnement de l’électricité dans le pays. Alors que le groupe public traverse une crise sans précédent requérant la mobilisation de toute l’entreprise, c’est le moment que le gouvernement a choisi pour provoquer un changement accéléré de pouvoir à la tête de l’entreprise. Non pas à titre de sanction pour gestion défaillante mais pour préparer l’avenir de la future EDF ! Bercy et l’Élysée ont donc exigé la démission anticipée – son mandat se terminait normalement en février 2023 – du président d’EDF, Jean-Bernard Lévy, en juillet. Mais ils ont mis des semaines à s’entendre sur le nom de son successeur, plongeant le groupe dans une période de flou et d’incertitudes inutiles. Luc Rémont a finalement été nommé le 23 novembre.

Mais, entre-temps, la situation s’est considérablement dégradée. « Si l’affolement a gagné le pouvoir, c’est parce que les réacteurs nucléaires qui devaient redémarrer ne sont pas repartis. Et on ne sait pas quand ils pourront redémarrer », explique un connaisseur du dossier. « Le calendrier était trop serré. Mais, comme d’habitude, la parole technique n’a pas été entendue », dit Élise. Le pouvoir a découvert que le temps de la technique n’est pas compressible, même face aux imprécations politiques. Surtout dans l’électricité. C’est une industrie lourde, très lourde. Il ne suffit pas de claquer des doigts ou de donner des ordres pour que tout fonctionne. Ce que beaucoup, dans les allées du pouvoir, semblaient ignorer.

De son côté, EDF a mesuré une fois de plus la perte de ses compétences techniques, de ses savoir-faire, dissipés, dispersés dans les réorganisations multiples, les politiques d’économie, les suppressions d’emplois exigées au nom d’une stratégie financière et actionnariale. Le constat avait déjà été fait ces dernières années après le fiasco du chantier de l’EPR de Flamanville. Mais peu de choses ont changé depuis. Aujourd’hui, le groupe public cherche des soudeurs.

Mesurant finalement les dangers de la situation, le gouvernement a finalement présenté son plan d’action le 2 décembre. Dos au mur, il retrouve les mêmes méthodes et les mêmes réflexes que pendant la gestion de la pandémie. Tout est vertical, autoritaire et bureaucratique, porteur en germe des mêmes risques de dérives d’arbitraire, d’absurdité et de chaos.

publié le 5décembre 2022

Réforme des retraites :
la gauche prépare
sa riposte

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Les contours de la future réforme des retraites, présentés par la première ministre dans le Parisien, vendredi, sont sévèrement critiqués par les parlementaires de la Nupes qui préparent déjà les mobilisations à venir.

Report de l’âge légal à 65 ans, fin des régimes spéciaux, flou sur la pénibilité… La Première ministre, Élisabeth Borne, a dévoilé vendredi dans un entretien au Parisien les contours de l’épineuse réforme des retraites, qui doit être présentée le 15 décembre.

La gauche, unanimement et farouchement opposée à cette réforme n’a pas tardé à réagir à ce plan, qui est le fruit, selon Élisabeth Borne, des concertations avec les syndicats et les présidents de chacun des groupes parlementaires. Pour celui du groupe socialiste, Boris Vallaud, il s’agit là d’une « provocation ». Il poursuit : « Le point d’arrivée de la concertation est identique au point de départ. Le gouvernement a fixé le cap il y a longtemps et a prévu de s’obstiner dans une réforme injuste, brutale et largement rejetée par les Français ».

Le communiste Pierre Dharréville dénonce lui aussi des concertations aux allures de mascarade : « La première ministre n’annonce rien de nouveau. Le gouvernement continue de réaffirmer son objectif de casse social tout en organisant des négociations avec les syndicats dont on se demande si elles sont le lieu d’une véritable discussion ou pour simplement décorer. » « Syndicats méprisés, parlement piétiné, démocratie abîmée ! », a scandé son collègue Nicolas Sansu (PCF) sur Twitter.

79% des Français opposés à la réforme

Plus que d’apporter des informations réellement nouvell4es sur la future réforme, Élisabeth Borne peaufine surtout le plan de communication pour faire avaler la pilule à des Français opposés à 79 % au recul de l’âge de départ, selon une étude Elabe du 22 septembre dernier. Tout au long de l’entretien, elle s’évertue à faire passer ses mesures comme absolument indispensable. « Je suis frappée de voir que la nécessité de faire cette réforme n’est pas vraiment dans tous les esprits », a-t-elle notamment déclaré. Ou encore : « On a un déficit qui dépassera les 12 milliards d’euros en 2027 et continuera à se creuser si l’on ne fait rien. »

Pour la présidente du groupe France insoumise à l’Assemblée Mathilde Panot, ces déclarations soulignent que « la macronie souffre d’autoritarisme et de mensonge compulsifs ». « D’abord, la situation n’est pas la catastrophe qu’ils décrivent mais dès qu’on parle de chiffres des projections du Conseil d’orientation des retraites, on ne nous écoute pas, détaille Pierre Dharréville. Et de l’autre côté, d’autres solutions existent pour dégager des financements, comme toucher aux cotisations mais elle l’a exclu d’entrée. Elle ferme toutes les portes et dit ’’la seule solution c’est la mienne’’. C’est consubstantiel à ce pouvoir technocratique mais ils se font rattraper par le réel, comme pour la crise de l’hôpital public. »

Élisabeth Borne affiche par ailleurs un objectif de revalorisation des pensions et la possible prise en compte de la pénibilité, qui reste très floue. « Il pourra y avoir des choses souhaitables mais ce sera là pour faire passer la pilule », anticipe le député communiste des Bouches-du-Rhône. La Première ministre a en revanche réaffirmé la volonté du gouvernement d’en finir avec les régimes spéciaux, qui seraient selon elle « vécus comme une grande injustice pour une partie des Français ». « L’injustice, elle est pour tous ceux qui subiront cette réforme de casse sociale », a réagi Pierre Dharréville.

Un texte prévu pour janvier à l’Assemblée

En détail, le contenu de cette réforme doit être présenté le 15 décembre. Un calendrier vu comme une manœuvre politicienne par l’écologiste Sandrine Rousseau : « Le 15 décembre, juste avant la trêve des confiseurs, en pleines 4fêtes de fin d’année. Dans le seul moment de respiration depuis des mois. On n’oubliera pas vos méthodes », a-t-elle alerté sur Twitter.

Puis, le texte devrait arriver dès janvier au Parlement. Alors, la bataille sociale devra se mener « dans l’hémicycle et dans la rue », a prévenu Mathilde Panot sur RTL, vendredi. La Nupes en profitera pour opposer sa proposition, détaillée et chiffrée de retraite à 60 ans tandis que les premières manifestations ne devraient pas tarder à s’organiser. « On va se coordonner avec les différentes organisations, j’ai vu qu’il y avait un appel des organisations de jeunesse pour le 21 janvier, la France insoumise y sera », a déjà annoncé Mathilde Panot. Les syndicats, comme le PCF, n’ont pas encore fixé de date, mais la riposte sociale s’annonce longue et brûlante.


 

         65 ans : Elisabeth Borne persiste et signe

En pleines concertations avec les « partenaires sociaux », la Première ministre martèle sa volonté de reculer l’âge légal, quoi qu’il en coûte. Un signal très clair envoyé aux syndicats et aux électeurs en général.

Si certains espéraient encore que les concertations menées depuis octobre avec les syndicats et le patronat finiraient par infléchir la politique de l’exécutif, ils en seront pour leurs frais. Dans un entretien publié ce vendredi dans « Le Parisien », Elisabeth Borne réaffirme sa volonté de mettre en musique la « promesse » d’Emmanuel Macron d’un recul de l’âge légal, en le justifiant, encore et toujours, par un prétendu péril financier. « Le report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 65 ans d’ici 2031, c’est ce qui permet de ramener le système à l’équilibre dans les dix ans », affirme-t-elle. Avant d’ajouter : « Mais s’il y a un autre chemin proposé par les organisations syndicales et patronales qui permette d’atteindre le même résultat, on l’étudiera. On peut discuter. Ce qu’on exclut, en revanche, c’est de baisser le montant des retraites ou d’alourdir le coût du travail par des cotisations supplémentaires. »

Le message adressé aux organisations syndicales est très clair : s’il y a discussions, elles ne peuvent s’inscrire que dans un cadre contraint, fixé par l’exécutif lui-même. Au passage, la ministre feint de croire que la piste d’une réduction des pensions serait défendue par les syndicats, tout en fermant la porte à toute option dégageant des ressources supplémentaires. « La stratégie de l’exécutif est vraiment incompréhensible, estime Céline Verzeletti, secrétaire confédérale CGT. A quoi bon ouvrir un cycle de discussions avec nous sur le financement du régime, si c’est pour réduire le débat à un choix aussi binaire ? A la CGT, nous pensons qu’il n’y a aucun péril financier en la demeure ; cela dit, il faudra trouver de nouvelles ressources pour améliorer les pensions et revenir aux 60 ans, et nous en avons : arrêt de la politique d’exonérations de cotisations sociales, égalité professionnelle femmes-hommes, etc. »

Au-delà des organisations syndicales, le message de l’exécutif s’adresse aux électeurs, du moins à la minorité (de droite pour l’essentiel) qui soutient encore le recul de l’âge légal. Dans un sondage réalisé par Ifop fin septembre, seuls 22% des Français se disaient favorables aux 65 ans, dont 44% des électeurs macronistes et 35% des électeurs LR. « En réalité, ils savent qu’ils ont perdu la bataille idéologique, résume Céline Verzeletti. Ils ont face à eux la majorité de l’opinion publique, leur seule option est donc de s’adresser à l’électorat de droite et aux parlementaires LR. »

Pour faire passer la pilule, l’exécutif continue néanmoins de brandir quelques concessions plus ou moins formelles : le maintien de l’âge de départ sans décote à 67 ans, un minimum retraite à 1 200 euros pour tous les retraités qui peuvent justifier d’une carrière complète, etc. Pas sûr que cela suffise à convaincre l’opinion…   

 


 


 

Retraites.
la gauche et Macron :
projet contre projet

Julia Hamlaoui et Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Réforme Ils partagent l’idée qu’une refonte est nécessaire et c’est à peu près tout. À l’heure où les parlementaires sont reçus à Matignon, l’Humanité décrypte les mesures que veut imposer le gouvernement et les contre-propositions de la Nupes.

Aller vite, tout en évitant la colère sociale. C’est avec ce double objectif que le gouvernement manœuvre depuis la rentrée pour tenter de trouver la meilleure façon d’imposer sa réforme des retraites, dont une large majorité de Français ne veulent pas. Après avoir un temps envisagé de recourir à un amendement au budget de la Sécurité sociale, l’exécutif mise désormais sur un texte qu’il veut voir adopté « avant la fin de l’hiver » (sans toutefois renoncer totalement à sa première hypothèse, ni exclure un 49-3). Ce jeudi marque une nouvelle étape : après le tour de table avec les syndicats mené la semaine dernière par le ministre du Travail, Olivier Dussopt, c’est au tour de la première ministre Élisabeth Borne de lancer la « concertation », cette fois avec les parlementaires. C’est LR, favorable au report de l’âge de départ à 65 ans, qui ouvrira le bal. Les présidents des groupes de gauche de l’Assemblée et du Sénat seront, eux, reçus entre jeudi et lundi. Mais, sur ces bancs, on attend peu de la rencontre alors que le chef de l’État brandit à tout-va son ambition de faire « travailler plus » les salariés, quitte à trouver un nouveau prétexte d’une semaine sur l’autre (garantir l’équilibre du système, financer de nouvelles priorités…). Un objectif sur lequel il n’est pas question de revenir, même si le ministre du Travail affiche volontiers la liste des thèmes soumis à la « discussion » : « prévention de l’usure professionnelle », « emploi des seniors », « amélioration des dispositifs de solidarité », « équilibre du système » « On est habitués à ce que le gouvernement fasse semblant de discuter ! » fustige le député PCF Pierre Dharréville, qui estime que celui-ci « cherche simplement à donner le change pour mettre en œuvre quoi qu’il en soit son mauvais projet ». La tonalité­ est la même du côté de la Nupes. « On est toujours pour le dialogue social. Le problème, c’est lorsqu’il se résume à l’alternative : vous êtes d’accord avec moi ou tant pis », tacle le socialiste Arthur Delaporte. Or, entre le « travailler plus » macroniste et le « travailler tous, mieux et moins » que ­défendra la Nupes lors de la marche du 16 octobre à Paris, ce sont bien deux projets de société qui s’opposent.

Âge légal : travailler plus ou travailler tous

Le projet du gouvernement

L’exécutif ne veut rien céder sur le fond : sa réforme des retraites impo­sera aux salariés de travailler plus longtemps, probablement jusqu’à 65 ans - contre 62 ans aujourd’hui. La première ministre, Élisabeth Borne, a évoqué « un report progressif de l’âge de départ de quatre mois par an, aboutissant à 65 ans en 2031 ». La gauche, l’ensemble des syndicats et une majorité écrasante du pays y sont toujours opposés : un sondage réalisé par Elabe, fin septembre, révélait que seuls 21 % des Français interrogés souhaitaient le relèvement de l’âge légal, contre 46 % qui préféraient le maintenir à 62 ans et 33 % qui voulaient même l’abaisser. Édouard Philippe, ancien premier ­ministre et représentant de l’aile droite de la majorité présidentielle, n’a pas hésité à jouer la carte de la surenchère : « J’ai toujours dit que je considérais qu’il fallait bouger sur les retraites, bouger beaucoup », lance-t-il, rappelant qu’il plaidait pour «  un report de l’âge légal à 65, 66 ou 67 ans ». L’argument de la hausse de l’espérance de vie, agité par le gouvernement, ne dit rien des formidables inégalités qu’il masque. Selon l’Insee, les 5 % les plus riches vivent bien plus longtemps que les 5 % les plus pauvres (treize ans de plus pour les hommes et huit ans chez les femmes). Le meilleur pourfendeur du report de l’âge légal est en réalité un certain… Emmanuel Macron, qui déclarait, en  2019 : « Fran-­ chement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand on est peu qualifié, qu’on vit dans une région en difficulté industrielle, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour aller à 62 ans ! C’est ça la réalité de notre pays. » On ne saurait mieux dire.

 

Le projet de la Nupes

Au report de l’âge légal de départ à la retraite, les parlementaires de la Nupes entendent opposer le retour à un départ à 60 ans, avec 40 annuités de cotisations (contre 43). Si tous les candidats de gauche n’étaient pas sur ce créneau lors de la présidentielle, la mesure figure au programme de la coalition formée pour les législatives. « On veut une retraite en bonne santé, on ne veut pas la retraite pour les morts ou des travailleurs trop fatigués pour en profiter », plaide le député­ PCF Pierre Dharréville, tandis que sa collègue de Génération.s Sophie Taillé-Polian estime qu’une telle disposition doit intervenir en priorité pour « celles et ceux qui ont commencé tôt ou sont abîmés par le travail ». Pour les députés de gauche, il s’agit d’un « choix de société », voire de « civili­sation ». « L’allongement permanent de l’âge légal de départ, c’est une atteinte fondamentale aux droits : on a le droit à un moment de sa vie d’être libéré du travail prescrit, au profit d’une forme de travail choisi au bénéfice de la société, de ses proches… », assure ainsi Pierre Dharréville, dont le parti souhaite aussi « revoir la notion de carrière complète pour y intégrer certains temps de la vie, comme lorsque l’on est étudiant ou proche aidant ». C’est aussi une question d’efficacité économique et sociale, avance l’insoumis David Guiraud : « Le taux d’emploi des seniors est très faible en France (35,5 % pour les 60-64 ans selon la Dares – NDLR). Donc si on ­repousse l’âge de départ, ce qu’on ne paie pas en retraite, on va le payer en assurance-chômage », ­argumente-t-il. Sans compter tous les jeunes qui resteront sur le carreau faute de postes libérés.

Qui doit payer la note : le travail ou le capital ?

Le projet du gouvernement

Le raisonnement de l’exécutif tient en deux phrases : 1) le déficit du régime de retraites menace à terme sa pérennité ; 2) la seule façon d’y remédier est de retarder l’âge de départ. Ce qui revient à demander aux travailleurs de financer le « sauvetage » du système… Le problème, c’est que la dramatisation du déficit ne résiste pas à la réalité des chiffres. Dans son dernier rapport, le Conseil d’orientation des retraites (COR) rappelle que ses résultats « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ». Après avoir été excédentaire en 2021 et 2022, le régime resterait déficitaire jusqu’en 2032, mais dans des proportions parfaitement contrôlables (entre - 0,5 point et - 0,8 point de PIB). Pas de péril en la demeure, donc… En revanche, souligne le Conseil, le rythme de l’évolution des dépenses de retraite « ne semble pas compatible avec les objectifs du gouvernement inscrits dans le programme de stabilité de juillet 2022. Pour tenir ces objectifs, la croissance des dépenses publiques devrait être limitée à 0,6 % en volume entre 2022 et 2027. Or les dépenses de retraites, qui représentent le quart de ces dépenses publiques, progresseraient sur la période de 1,8 % en termes réels ». C’est bien pour respecter un dogme austéritaire que l’exécutif s’acharne. En ­revanche, s’il est un point systématiquement passé sous silence, c’est la conséquence sur le niveau de vie de nos aînés (par rapport aux actifs) : le COR rappelle que, sous l’effet des réformes passées, celui-ci va baisser dans les années à venir. Il faudrait dégager de nouvelles ressources pour y remédier… ce que l’exécutif se ­refuse  à envisager.

Le projet de la Nupes

« La réforme du gouvernement n’est pas budgétairement nécessaire, rien ne l’impose. Le régime est équilibré à moyen terme », tranche d’emblée le député PS Arthur Delaporte. Une donnée manque d’ailleurs à l’équation de l’exécutif selon laquelle « on vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps», souligne Pierre Dharréville (PCF) : « Les gains de productivité sont considérables depuis la création du régime. Pourquoi ce serait le capital qui en profiterait ? Le sujet des retraites pose une question de classe. » À cet égard, la Nupes propose de soumettre « à cotisation patronale les dividendes, participation, épargne salariale, rachats d’actions, heures supplémentaires, en augmentant de 0,25 point par an le taux de cotisation vieillesse et en créant une surcotisation sur les hauts salaires ». Car, qui dit nouveaux droits, dit nouveaux moyens. Et la gauche, dont la plupart des formations dénoncent la fiscalisation de la protection sociale, ne manque pas de solutions. À commencer par revenir sur les exonérations massives de cotisations (Cice, allégements Fillon…). « À force de diminuer les recettes, on se met évidemment en situation difficile quelles que soient les dépenses que l’on juge utiles », justifie Sophie Taillé-Polian (Génération.s). « C’est un choix qu’on peut proposer aux gens : vous préférez travailler deux ans de plus ou mettre deux euros de plus dans la caisse ? » ajoute l’insoumis David Guiraud. Pour la Nupes, alimenter les caisses de la Sécu passe aussi par l’augmentation du Smic et des salaires (+ 6,5 milliards d’euros pour une hausse de 3,5 % des salaires, selon les calculs de la CGT), l’égalité salariale femmes-hommes (+ 5,5 milliards), ou encore la création d’emplois (+ 10 milliards pour une réduction du chômage à 4,5 %).

Régimes spéciaux : démantèlement ou renforcement

Le projet du gouvernement

C’est un sujet à hauts risques. Le gouvernement sait qu’en ciblant les régimes spéciaux, il braquerait des professions susceptibles de se mettre en grève et de bloquer une partie du pays (agents de la RATP, salariés des industries électriques et gazières, etc.). Le candidat Macron en avait pourtant fait un de ses chevaux de bataille lors de la dernière campagne présidentielle, probablement pour séduire l’électorat de droite. Pour tenter d’éviter de mettre le feu à la plaine, l’exécutif promet d’employer la manière douce : « Nous aborderons les régimes spéciaux en privilégiant une méthode progressive vers la normali­sation comme nous l’avons fait pour la SNCF : la réforme ne concernera que les nouveaux salariés », affirme le ministre du Travail, Olivier Dussopt, dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le 8 octobre. C’est en fait le grand retour de la « clause du grand-père », déjà utilisée lors du dynamitage du statut de cheminot en 2018, selon laquelle les agents déjà en place pouvaient conserver leur statut, mais pas les nouveaux embauchés à partir du 1er janvier 2020. Pas sûr du tout que la méthode porte ses fruits dans la période actuelle, d’autant que les professions concernées ne manqueront pas d’arguments à faire valoir. « À l’heure où l’on manque de chauffeurs de bus en Île-de-France, on va dire à ceux qui occupent un poste, on vous change votre statut ? » fait mine de s’interroger Laurent Berger, dirigeant de la CFDT. De même, il pourrait être périlleux pour l’exécutif de déclarer la guerre aux agents d’EDF en plein hiver, dans une période de crise énergétique…

Le projet de la Nupes

La question des régimes spéciaux ? Un faux débat ou plutôt un débat complètement biaisé, s’insurge-t-on dans les rangs de la gauche. «  Le gouvernement cherche des milliards et des milliards d’euros sur le dos des salariés, la question ce n’est pas celle des régimes spéciaux mais : qui paie les baisses d’impôts des plus riches ? Ce sont aux véritables inégalités qu’il faut s’attacher à répondre. Là, c’est une stratégie de diversion », fustige Sophie Taillé-Polian (Génération.s). Une diversion où les fonctionnaires (à l’instar des grévistes des raffineries ces derniers jours) revêtent les habits de boucs émissaires. « Quand des égoutiers expliquent qu’ils meurent dix-sept ans avant un cadre parce qu’ils inhalent des substances toxiques, alors qu’ils pataugent tous les jours pour assurer un service essentiel, j’estime qu’ils doivent être défendus. Au fil des réformes qui ont revu les critères de pénibilité, ils ont perdu des droits, il faut revenir sur ces mesures », détaille l’insoumis David Guiraud. Travail de nuit, en découché, horaires décalés, gardes et astreintes, tâches répétitives ou dangereuses… c’est le quotidien de ces agents qui ont conquis des droits spécifiques. Et s’y attaquer, c’est, de la part de l’exécutif, une façon d’ouvrir la voie à de nouvelles régressions pour tous, mettent en garde les parlementaires de gauche. « Le gouvernement veut tout niveler par le bas, tandis que nous estimons nécessaire d’augmenter le niveau des droits », résume Pierre Dharréville (PCF), qui, sans être opposé « à terme à une articulation entre les différents régimes », plaide pour une « harmonisation par le haut ». Il faudrait d’ailleurs, selon Sophie Taillé-Polian, que le départ anticipé dont bénéficient les catégories actives de la fonction publique soit étendu aux métiers pénibles du privé.

Pension, pénibilité, carrière longue... la retraite à quelles conditions ?

Le projet du gouvernement

Pour tenter d’arracher la signature des syndicats dits réformistes (dont la CFDT), l’exécutif veut mettre sur la table des contreparties. Outre la promesse d’une pension minimale à 1 100 euros, il mise notamment sur la question de la pénibilité. Le problème, c’est que le quinquennat précédent n’incite pas à l’optimisme. Plusieurs dispositifs très contraignants permettent aujourd’hui à certains travailleurs de partir plus tôt à la retraite. Le système « carrières longues » autorise les salariés à partir à 60 ans, voire à 58 ans, à condition qu’ils aient commencé à travailler avant 20 ans et qu’ils puissent justifier d’une durée de cotisation suffisante. Par exemple, pour un actif né en 1964 qui souhaite partir avant 60 ans, il lui faudra avoir cumulé 177 trimestres (soit 44 ans et 3 mois), dont 5 à la fin de l’année de ses 16 ans. Le gouvernement a laissé entendre qu’il pourrait « moderniser » le dispositif dans le cadre de la réforme, mais sans être plus explicite. Autre outil phare pour tenir compte des conditions de travail difficiles, le compte pénibilité (ou « compte professionnel de prévention »), qui permet aux salariés exposés à certains risques professionnels (travail de nuit, températures extrêmes, bruit, travail en 5x8 ou 3x8…) de partir plus tôt à la retraite. L’exécutif jure que ce compte pourrait être étoffé en cas de réforme des retraites, mais Emmanuel Macron n’est pas le mieux placé pour prendre la défense des travaux pénibles vu que son précédent quinquennat a acté la disparition de 4 facteurs de risque (postures pénibles, port de charges…). La CFDT a d’ailleurs sommé le gouvernement de reprendre sous une forme ou une autre lesdits critères tombés aux oubliettes.

Le projet de la Nupes

Dans une période où le niveau de vie des retraités est percuté de plein fouet par l’inflation, le gouvernement fait miroiter, pour vendre sa réforme, une pension minimale à 1 100 euros. « Le niveau de revenus doit impérativement être réévalué à la fois pour la pension de base des carrières complètes et pour le minimum vieillesse », accorde le socialiste Arthur Delaporte. Mais attention au stratagème du gouvernement, prévient le député France insoumise David Guiraud : « Ses membres oublient de mentionner l’astérisque qui précise que leurs 1 100 euros ne concernent que les carrières complètes. » Du côté de la Nupes, « on a un mot d’ordre simple : personne en dessous du seuil de pauvreté », résume l’insoumis. La coalition propose ainsi de « porter a minima au niveau du Smic revalorisé à 1 500 euros toutes les pensions pour une carrière complète et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté », mais aussi « d’indexer le montant des retraites sur les salaires ». Dans une proposition de loi déposée lors de la précédente tentative de réforme d’Emmanuel Macron en 2019 et toujours d’actualité, les députés communistes défendent, en outre, l’idée de « garantir le taux de remplacement (entre le salaire et la pension – NDLR) à 75 % ». Ils y proposent aussi de mettre en place un « dispositif carrière longue – pour ceux qui ont commencé avant 20 ans – qui permet de partir à 58 ans à taux plein ». Et un autre prévoyant un départ à 55 ans pour les métiers pénibles. Au sein de l’alliance de gauche, tous s’accordent d’ailleurs pour rétablir les facteurs de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron lors du précédent quinquennat.

publié le 2 décembre 2022

Que reste-t-il
des services publics ?

éditorial sur http://cqfd-journal.org/

Depuis des décennies, les syndicalistes alertent : à force de « modernisations » néolibérales et de sous-financement, le service public va craquer. En 2022, on dirait bien qu’on y est. L’hôpital trie ses patients, les pompiers ne maîtrisent plus les feux de forêt, l’Éducation nationale manque d’enseignants… À qui la faute ? Et comment reprendre le contrôle ?

Depuis le service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Trousseau, à Paris, la docteure Julie Starck a une vue dégagée sur l’effondrement du système public de soins. Le 10 novembre dernier, sur RTL, elle a appelé un chat un chat : « On est obligés de trier des enfants. » Indignation du ministre de la Santé : « Je suis choqué par cette formule, c’est inadmissible », déclare François Braun dans Le Parisien 1. Non content de se voiler la face, le ministre va jusqu’à menacer : « Je ne m’interdis d’ailleurs pas une enquête. Et si jamais de telles pratiques déviantes étaient avérées, des conclusions en seraient tirées. »

Le constat est sans appel : la France de 2022 est un pays en voie de sous-développement.

Problème : un peu partout dans les médias, des pédiatres confirment les dires de Julie Starck, racontant comment l’actuelle épidémie de bronchiolite met leurs services en difficulté. Ainsi du docteur Laurent Dupic, de l’hôpital Necker, à Paris : « Depuis trois semaines, on voit le système se déstructurer, tous les jours, heure par heure : des enfants dans un état grave sont maintenus dans des endroits inadaptés. Des bébés sous masque à oxygène, qui devraient être en réanimation, restent en pédiatrie générale, aux urgences, parce qu’il n’y a plus de places2. »

Manque de matériel, pénurie de soignants. Retards de prise en charge, complications. Décès évitables non évités. Si l’on en juge par l’état de son hôpital public, le constat est sans appel : la France de 2022 est un pays en voie de sous-développement. Et il n’y a pas que l’hôpital…

Ces dernières décennies, à chaque attaque néolibérale contre les services publics, des fonctionnaires et des syndicalistes préviennent : « Ça va s’effondrer. » Eh bien, à bien des aspects, on y est. Cet été, des dizaines de services d’urgence ont fermé. Dans l’Éducation nationale, on recrute des enseignants en quelques minutes de job-dating pour cause de démissions en série et de pénurie de candidats [lire p. 16]. Au 1er janvier prochain, La Poste ne livrera plus le courrier à « J+1 », c’est-à-dire le lendemain de son expédition, mais à « J+3 » au mieux [p. 14]. Cet été, les pompiers ont été complètement dépassés par les feux de forêt. À l’Inspection du travail, le sous-effectif est tel que les agents sont de moins en moins en mesure de protéger les salariés de patrons voyous. Etc., etc. De l’Office national des forêts à Pôle emploi, partout il y a manque de moyens et perte de sens [lire les témoignages d’agents pp. 12 & 13].

Usagers abandonnés, agents malmenés : les sempiternelles « modernisations » néolibérales sont un carnage humain.

On ne dira jamais assez les torts de l’idéologie managériale qui pressurise les agents, les met en concurrence, les soumet à des impératifs chiffrés pour mieux les empêcher de faire leur métier. On n’écrira jamais assez la bêtise coupable de l’obsession gestionnaire qui met le fonctionnement des services publics sous surveillance comptable, oubliant que c’est aussi la capacité à travailler à perte, mais pour l’intérêt général, qui fait la beauté et l’intérêt du service public. En vérité, les « économies » préconisées aujourd’hui par les chantres de la rigueur budgétaire ne sont rien d’autre que les coûts sociaux de demain…

Usagers abandonnés, agents malmenés : les sempiternelles « modernisations » néolibérales sont un carnage humain. Qui en est responsable ? Pour les auteurs de La Valeur du service public [lire l’interview pp. 10 & 11], un groupe social est particulièrement coupable : la « noblesse managériale publique-privée ». Formé de très hauts fonctionnaires et de consultants multipliant les allers-retours entre la haute administration et les grandes entreprises privées, ce gang est à la manœuvre des réformes du service public, le dépeçant tout en le poussant à ressembler de plus en plus au privé.

« Combien de temps encore laisserons-nous l’État dynamiter notre bien commun ? » se demande un pompier volontaire qui témoigne dans ce dossier. Essentielle, l’interrogation pourrait se reformuler ainsi : jusqu’à quand allons-nous laisser la gestion des services publics à cette « noblesse managériale publique-privée » qui ne pense qu’à son intérêt propre ? Dans son récent livre La Bataille de la Sécu (La Fabrique, 2022), l’économiste Nicolas Da Silva rappelle que, de 1946 à 1967, le régime général de la Sécurité sociale était majoritairement géré par les assurés eux-mêmes, appelés à élire les gestionnaires des caisses.

L’histoire le montre donc : en lieu et place d’une gestion étatique au pur service du capital, d’autres modes d’organisation sont possibles. Et si on reprenait le contrôle des services publics ?

1 « Bronchiolite : “On ne trie pas les enfants à l’hôpital”, assure François Braun » (11/11/2022).

2 « Bronchiolites, diabète, greffes : en pédiatrie, le tri affolant des petits malades », Mediapart (12/11/2022).

publié le 1° décembre 2022

Retraites :
tromperie sur le marchandage

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Réforme - Alors que les négociations avec les syndicats et le patronat entrent dans leur dernière ligne droite, l’exécutif brandit des contreparties pour faire accepter le recul de l’âge légal de départ. Des avancées qui n’en sont pas.

La pilule sera-t-elle moins dure à avaler si on l’enrobe de sucre glace ? Dès l’annonce d’un éventuel recul de l’âge de départ à 64 ou 65 ans (contre 62 aujourd’hui), Emmanuel Macron a promis des contreparties en matière de pénibilité et d’emploi des seniors. Cette vieille méthode de la carotte et du bâton est régulièrement appliquée par les gouvernements à l’approche d’une ­réforme douloureuse : une avancée sociale digne de ce nom ne saurait être actée sans une régression au moins équivalente. En 2016, la loi El Khomri prévoyait une flexibilisation sans précédent du marché du travail, mais l’assortissait de nouveaux droits en matière de formation et de déconnexion. En 2010, le passage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans s’accompagnait d’une prise en compte de la pénibilité, permettant aux salariés suffisamment démolis par le travail de continuer de partir à 60 ans (à condition de justifier d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 20 %).

Ce type de marchandage vise à redorer le blason de réformes majoritairement rejetées par l’opinion, tout en lézardant le front syndical. Pas sûr que l’opération fonctionne avec l’actuel projet gouvernemental, qui pourrait, selon des rumeurs persistantes, être saucissonné en deux : le recul de l’âge légal serait intégré à un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale en janvier ; les mesures « positives » étant inscrites dans un projet de loi classique à la même période. Penchons-nous sur ces dernières.

Pension minimale : un progrès en trompe-l’œil

Grand prince, le ministre du Travail a déclaré qu’il souhaitait améliorer sa proposition précédente qui prévoyait que tous les nouveaux retraités toucheraient une pension minimale de 1 100 euros pour une carrière complète. Le diable se niche dans les détails. Tout d’abord, cette augmentation n’a rien d’une avancée considérable : le gouvernement précise depuis le début vouloir garantir un minimum équivalant à 85 % du Smic, une mesure déjà inscrite d’ailleurs dans la loi dès 2003, mais jamais appliquée. Le Smic ayant été récemment revalorisé en raison de l’inflation, il est logique que le minimum promis aux retraités suive le mouvement… À l’heure actuelle, si on tenait compte de cette revalorisation, il devrait être fixé à 1 130 euros environ.

Par ailleurs, une spécificité de la proposition en diminue considérablement la portée : seuls les retraités pouvant justifier d’une carrière complète y auront droit. Sur les 5,7 millions de personnes vivant avec des petites retraites (moins de 1 000 euros de pension), soit le cœur de cible de la mesure gouvernementale, cela ne concerne que 32 % de l’ensemble. Près de 70 % des retraités pauvres seraient donc abandonnés à leur sort : ce sont les travailleurs aux carrières hachées (pour cause de chômage, d’interruption de carrière pour garde d’enfants, maladie, etc.) qui perçoivent les pensions les plus faibles. Pour sa part, la CGT dénonce un chantage implicite : « Depuis le départ, l’augmentation du minimum est conditionnée à la réalisation de la réforme, rappelle Régis Mezzasalma, conseiller confédéral. Pire, il est prévu que ce mécanisme n’entre pleinement en activité qu’au bout de cinq ans, c’est-à-dire lorsque l’âge de départ aura atteint 64 ans : c’est une façon d’obliger les salariés à bosser plus longtemps. »

Pénibilité : le compte n’y est pas

À chaque réforme des retraites, son lot de mesures en direction des salariés amochés par le travail. Pourtant, si l’exécutif voulait vraiment adoucir la situation des travailleurs exposés à des métiers difficiles, il pourrait simplement commencer par renoncer aux 65 ans. « S’en prendre à l’âge légal plutôt qu’à la durée de cotisation est bien plus brutal, car cela concerne le bas de la hiérarchie sociale, souligne Serge Volkoff, statisticien et ergonome, spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé. Les premiers lésés seraient les salariés qui ont commencé leur vie professionnelle tôt, qui occupent des postes peu qualifiés et qui sont plus susceptibles d’être exposés à de la pénibilité. »

L’exécutif assure néanmoins vouloir alléger la facture pour les métiers difficiles, en musclant le compte professionnel de prévention (C2P), aussi appelé « compte pénibilité ». Le C2P ouvre la possibilité à des salariés de partir plus tôt à la retraite, à condition qu’ils aient accumulé suffisamment de points, attribués en fonction de leur exposition à différents facteurs de pénibilité (travail de nuit, répétitif, températures extrêmes, etc.). Entré en application en 2014, ce dispositif a été torpillé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a supprimé quatre critères sur les dix prévus (agents chimiques dangereux, manutention de charge, postures pénibles et vibrations).

Dans un mea culpa qui ne dit pas son nom, le gouvernement promet de réintroduire trois des quatre critères disparus, mais en laissant le soin aux branches professionnelles de les appliquer à certaines professions. « Pour être honnête, je ne comprends pas du tout comment cela pourrait fonctionner, avoue un bon connaisseur du dossier. Cela voudrait dire que les employeurs définiraient des métiers pénibles en soi, ce qu’ils ont toujours ­refusé de faire. D’ailleurs, le patron du Medef a récemment redit son opposition, au prétexte que cela recréerait des régimes spéciaux ! »

L’exécutif promet également de déplafonner l’acquisition de points et de permettre à ceux qui sont exposés à plusieurs risques simultanés d’en obtenir davantage. Mais il laisse dans l’ombre l’une des principales failles du compte pénibilité, c’est-à-dire la hauteur des seuils à atteindre pour en bénéficier. Par exemple, il faut être exposé au moins 900 heures par an (environ 4 heures tous les jours) à des températures extrêmes (inférieures ou égales à 5 degrés ou supérieures ou égales à 30 degrés) pour y avoir droit. « À ma connaissance, il n’est pas question d’abaisser les seuils, ce qui est pourtant primordial, insiste Serge Volkoff. Aujourd’hui, 1,6 million de personnes se sont constitué un compte pénibilité, ce qui signifie que de très nombreux salariés occupant des postes dangereux à terme pour leur santé en sont exclus. Le gouvernement peut toujours supprimer le plafond de points, cela ne changera rien pour ceux qui seront sous les seuils. »

Emploi des seniors : la stratégie des tout petits pas

Le meilleur pourfendeur du recul de l’âge légal est encore… Emmanuel Macron. Du moins, le Macron de 2019, celui qui lâchait alors ces quelques vérités difficilement contestables : « Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand, aujourd’hui, on est peu qualifié (…), qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ! » Du courage, il en faut effectivement : selon l’OCDE, le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) en France n’atteint que 56,8 %, contre 62,6 % pour la zone euro. Surtout, selon un rapport parlementaire de septembre 2019, les seniors en emploi sont cantonnés à des postes précaires : 88 % des 55-59 ans et 90 % des 60-64 ans sont embauchés en CDD. Par ailleurs, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans, rejetées du marché de l’emploi et pas encore à la retraite, survivent avec les minima sociaux.

Pour y remédier, l’exécutif propose deux grands dispositifs : un « index emploi des seniors » et la possibilité donnée à un senior acceptant un travail moins bien payé de conserver une partie de son indemnité de chômage. Cette dernière proposition a suscité une levée de boucliers quasi unanime : elle reviendrait à garantir aux entreprises l’embauche, à moindre coût, de travailleurs expérimentés. Un responsable patronal interloqué a reconnu que « même nous, nous n’aurions pas osé avancer une telle mesure » (le Parisien du 11 octobre), soulignant en creux la violence de la proposition…

Quant à l’index emploi des seniors, il fonctionnerait un peu sur le même principe que l’index égalité hommes-femmes : les entreprises devraient renseigner plusieurs indicateurs dans un registre public (taux de recrutement des plus de 55 ans, dispositifs de formation, etc.). Mais le Medef a déjà refusé toute forme de sanction en cas de mauvaise pratique : si le gouvernement s’aligne sur ces desiderata – ce qui n’aurait rien de surprenant –, il videra­ du même coup le dispositif de sa substance.


 


 

« Ces concertations sont
un simulacre de discussions »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Entamé début octobre, le dialogue entre l’exécutif et les syndicats doit entrer prochainement dans la dernière phase. Spécialiste des retraites pour la CGT, Régis Mezzasalma en tire un bilan plus que mitigé.


 

Quel regard portez-vous sur les deux premiers cycles de discussions qui ont abordé notamment la question de la pénibilité ou des régimes spéciaux ?

Régis Mezzasalma : Pour être honnêtes, nous n’en attendions pas grand-chose de toute façon : le gouvernement a rappelé dès le départ qu’il ne reviendrait pas sur la mesure d’âge, ce qui est une façon de verrouiller le débat. Les concertations relèvent donc surtout d’un simulacre de discussions, où on nous propose de négocier des mesures d’aménagement destinées à rendre acceptable le passage à 64 ou 65 ans. Par ailleurs, dans ces rencontres, nous n’avons pas affaire aux décideurs directement mais à des hauts fonctionnaires. Pour ce qui est du fond, nous avons abordé des questions importantes – écarts de pension femmes-hommes, petites pensions, avenir des régimes spéciaux –, mais le dialogue tourne court à chaque fois en raison de visions du monde antagonistes.

Quelles sont les divergences de fond ?

Régis Mezzasalma : Pour nous, le financement des régimes doit être la première question à poser. On ne raisonne pas de la même manière selon qu’on veut rester à périmètre constant, réduire la voilure ou élargir les recettes. En pratique, accorder de nouveaux droits sans revoir le volume de ressources global revient à enlever à certains pour donner à d’autres. Et si l’idée est de baisser les dépenses publiques, comme le martèle le gouvernement, alors cela signifie que ceux qui bénéficieront de ces nouveaux droits gagneront très peu.

Le prochain cycle de discussions portera précisément sur le financement des régimes : quelles idées allez-vous défendre ?

Régis Mezzasalma : Évitons, pour commencer, de dramatiser la situation : les projections du Conseil d’orientation des retraites indiquent que, dans l’hypothèse de croissance faible ou nulle, la part du PIB consacrée aux retraites dans les années à venir demeurerait aux alentours de 14 %. Le vrai problème, en réalité, est la future baisse du niveau des pensions, inéluctable si l’on reste sur les mêmes tendances. Pour notre part, nous plaidons pour améliorer le niveau des pensions, tout en revenant à la retraite à 60 ans, d’où la nécessité de dégager des recettes supplémentaires. Les leviers ne manquent pas : nous avions calculé, il y a quelques années, qu’une hausse modeste des cotisations retraite  (+0,2 point par an) suffisait à maintenir le niveau actuel des pensions. Par ailleurs, nous souhaitons mettre à contribution les revenus du capital, notamment les dividendes, à travers un nouveau prélèvement. Enfin, il est indispensable de soumettre l’intéressement et la participation à cotisations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : à l’heure actuelle, ces dispositifs ne permettent pas aux salariés de cotiser pour leur retraite, tout en asséchant le financement de la Sécurité sociale. Les entreprises doivent verser des augmentations de salaires plutôt que des primes. Si toutes ces mesures étaient appliquées (hausses de salaires, taxation des dividendes), cela permettrait de modifier le partage de la valeur entre travail et capital.


 

publié le 30 novembre 2022

Morts aux urgences, pédiatrie sous l’eau, grève des libéraux : la santé au stade critique

Caroline Coq-Chodorge sr www.mediapart.fr

Covid, grippe, bronchiolite : l’hôpital public vacillant affronte trois épidémies. En pédiatrie, dix mille soignants interpellent le président de la République. Côté adultes, les urgentistes ont décidé de compter leurs morts sur les brancards. Et au même moment, les médecins libéraux lancent une grève et promettent 80 % de cabinets fermés

DeDe haut en bas, les coutures du système de santé craquent de toutes parts. Et la situation ne peut que se dégrader encore, alors que se conjuguent trois vagues épidémiques en pleine ascension.

La bronchiolite ne donne aucun signe d’infléchissement : la semaine dernière, trois mille enfants en bas âge ont été hospitalisés, un chiffre jamais atteint ces cinq dernières années. Déferle aussi la huitième vague de Covid, avec près de cinq mille hospitalisations sur les sept derniers jours. Si cette vague paraît pour l’instant modeste, c’est peut-être parce que la grippe est en train d’occuper le terrain : 1 742 personnes ont consulté pour des symptômes grippaux la semaine dernière, ce qui reste modeste, mais en très forte hausse (+ 50 % en une semaine).

Le ministre de la santé ne cesse, lui, de relativiser la situation de l’hôpital public, qui prend en charge la très grande majorité de ces malades qui débordent des services d’urgence. À notre micro vendredi, vendredi 18 novembre, interrogé sur la crise de la pédiatrie, François Braun préférait rappeler « ce qui va bien », ainsi que « l’excellence du modèle français ».

L’ex-urgentiste devenu ministre a longtemps présidé le syndicat Samu-Urgences de France, le plus représentatif dans la profession. Ses anciens confrères viennent de le rappeler à la dramatique réalité. François Braun, syndicaliste, avait imaginé en 2018 le « No Bed Challenge » : le décompte dans les services d’urgence des patients restés la nuit sur des brancards, faute de lits d’hospitalisation dans l’hôpital. L’indicateur a fait long feu : « On ne peut même plus le remplir. La situation est tellement grave, sur un temps si long, c’est du jamais-vu. Hier, on avait 40 malades sur des brancards aux urgences de Rennes, aujourd’hui 30, raconte le chef de service, le professeur Louis Soulat, par ailleurs vice-président du syndicat. Hier matin, il y avait 80 patients aux urgences, on ne savait plus où les mettre. »

Le nouveau président du syndicat, Marc Noizet, chef de service des urgences de Mulhouse, explique « avoir décidé de franchir une ligne rouge ». À partir du 1er décembre, tous les adhérents du syndicat sont invités à signaler à ce dernier tous les « morts inattendus » survenus aux urgences. « No Dead », c’est le nom de ce nouveau recensement. « Parce que nous ne voulons plus de ces morts, poursuit le docteur Noizet. Ce sont des personnes qui n’ont pas été identifiées comme étant en urgence vitale, qui sont souvent sur des brancards, dans des couloirs, depuis des heures, et qui décèdent de manière inattendue, explique le docteur Noizet. Ou encore tous ceux qui n’ont pas pu être sauvés parce que le Smur [le véhicule d’urgence des urgentistes – ndlr] n’est pas arrivé assez vite. Ces morts inattendues, il y en a toujours eu. Mais là, il y en beaucoup trop. Depuis trois ans, on nous dit qu’on est résilients. En réalité, on finit par accepter ce qui n’est pas acceptable. »

Des morts aux urgences à Saint-Malo, Grenoble, Rennes, Paris

Les services d’urgence bruissent de ces récits terrifiants de morts solitaires et indignes de personnes souvent très âgées. Il y a une semaine, un homme a été retrouvé mort aux urgences de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). À Grenoble est morte une femme qui attendait depuis trois jours, aux urgences, une hospitalisation en psychiatrie. Il y a deux semaines, aux urgences de Rennes, « un mort a été retrouvé sur un brancard, dans le couloir », s’étrangle le professeur Soulat.

« Ce n’est pas facile de communiquer sur ces morts, insiste le docteur Noizet. Parce qu’il va y avoir une enquête administrative derrière, qui pointe des responsables sans traiter les causes : le manque de personnels aux urgences et de lits dans l’hôpital. Tous les jours, les urgentistes sont confrontés à des choix insupportables : j’ai un seul lit, je mets qui dedans ? On est seuls pour faire ces choix. »

La situation est au moins aussi critique dans les services de pédiatrie, dont les soignants dénoncent depuis le 21 octobre des enfants « quotidiennement en danger », faute de soignants et de lits en nombre suffisant, jusque dans les services de soins critiques. Une première tribune adressée au président de la République a été signée par 4 000 soignants. Ils sont désormais 10 000 à signer une nouvelle adresse à Emmanuel Macron, mercredi 30 novembre dans Le Monde : « Nous pensions que transférer des enfants à 300 kilomètres de chez eux était une dégradation majeure des soins, nous constatons désormais qu’il pouvait y avoir pire : ne plus pouvoir transférer car l’épidémie a déferlé partout, saturant l’ensemble des services de pédiatrie français. Nous culpabilisions d’envoyer des adolescents au sein de services adultes, ce sont désormais des enfants âgés de 3 ans que nous envoyons. »

La première signataire de la tribune est la professeure Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie, qui va coprésider, aux côtés d’Adrien Taquet, le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, des assises de la pédiatrie lancées le 7 décembre prochain.

C’est ce moment de crise hospitalière aiguë qu’ont choisi les principaux syndicats de médecins libéraux pour entrer dans un mouvement de grève des cabinets. En tête, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) promet la fermeture de 60 % à 80 % des cabinets médicaux les jeudi 1er et vendredi 2 décembre. Ils veulent ainsi peser sur les négociations conventionnelles qui viennent de s’ouvrir avec l’assurance-maladie, au cours desquelles doivent être discutés à nouveau le montant de leurs consultations et les conditions de leur installation.

Leur principale revendication : une consultation au tarif de référence de 50 euros, le double de la consultation actuelle à 25 euros. Ils dénoncent aussi par avance toute velléité des pouvoirs publics de réguler l’installation des médecins pour lutter contre les déserts médicaux. Ils se plaignent encore du « poids de leurs charges administratives » et de leurs « conditions de travail ».

Aux urgences de Rennes, le professeur Soulat est d’avance effrayé des conséquences de cette grève : « Si les internes suivent, ce serait terrible. On ne sait pas comment on va s’en sortir. » Il raconte les échanges tendus entre des membres de son service et la direction : « Certains parlent de faire valoir leur droit de retrait. La direction menace de les attaquer pour non-assistance à personne en danger. Mais nos patients sont déjà en danger... »


 

Tribune. Dire la souffrance des travailleurs du soin
pour reconstruire l’hôpital

Par Philippe Bizouarn, médecin, service d’anesthésie-réanimation, Hôpital Laennec, CHU de Nantes et philosophe, membre du Collectif Inter-Hôpitaux.

sur www.humanite.fr

Ne pas donner les moyens aux professionnels de santé de bien faire leur « boulot » est ressenti comme une injure à la profession. Engager, dès maintenant, une véritable politique de santé publique exige des conditions de délibération démocratiques, au sein de chaque établissement d’un côté, de chaque instance décisionnaire de l’autre, avec tous les acteurs du soin, ou leurs représentants reconnus.

Vendredi 18 novembre, une semaine avant le « Black Friday » de la consommation débridée, des soignants du CHU de Nantes ont à nouveau manifesté leur colère dans les rues de la ville. Les jours noirs s’accumulent à l’hôpital, en pédiatrie, psychiatrie, gériatrie, urgences et ailleurs. Rien de nouveau en ce vendredi dans les paroles parfois chantées des personnels hospitaliers : conditions de travail dégradées, impossibilité de bien soigner les patients par manque de temps et de moyens, non aux fermetures de lits, embauche urgente d’infirmières et d’infirmiers, non à la privatisation de l’hôpital, augmentation des budgets. Plus rien n’est à dire, tant les constats paraissent évidents.

Faut-il encore d’autres mots, d’autres maux, d’autres départs, d’autres cri Engager, dès maintenant, une véritable politique de santé publique exige des conditions de délibération démocratiques, au sein de chaque établissement d’un côté, de chaque instance décisionnaire de l’autre, avec tous les acteurs du soin, ou leurs représentants reconnus ses virales ou bactériennes, d’autres morts aux urgences et attentes inhumaines sur ses brancards, d’autres enfants réanimés dans les couloirs, pour enfin réveiller les dirigeants, gouvernants et administratifs, leur faire admettre que le diagnostic étiologique est mauvais ? Non, ce n’est pas l’organisation des hôpitaux qui défaille, c’est la manière de les financer qui déraille : un objectif budgétaire contraint, déconnecté des besoins en santé de la population, un paiement à l’acte de tout soin calculable, une recherche obsessionnelle de la rentabilité financière, dans un marché de la santé où chaque entreprise travaille contre l’autre, parts de marché contre parts de marchés.

Les équipes de soin souffrent, rien de nouveau en ce vendredi. Elles disent leur éclatement, quand il faut trouver à la dernière minute un collègue pour remplacer celui absent, au risque de fermer un lit : fermeture administrative, tel est le nouveau mot pour pointer du doigt le récalcitrant, absent quand il y a tant de travail à abattre ! En effet, le travail ne manque pas, en ces services au service des plus vulnérables, parfois très dépendants, exigeant justement une charge de travail si lourde que d’autres absents ne permettront plus de faire face. Le travail des cadres de santé, pièce maitresse du dispositif, prend l’allure d’une course quotidienne à la recherche de l’agent perdu.

Les équipes souffrent, quand le collectif structuré autour du soin, après de longues années d’un lien entre les soignants et les patients, n’est plus : changements d’horaires, retour sur les congés, heures supplémentaires, ne peuvent que désagréger ce qu’on croyait solide, ces liens justement fondant le travail interindividuel d’un service au service des patients.

Certes, le rapport au travail change, les soignants d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, le bien-être au travail est devenu une exigence, parce qu’il s’inscrit dans un bien-être-à-vivre dans et en dehors de l’hôpital. De fait, ce qui, peut-être, pouvait être admis autrefois – le travail comme ultime horizon de nos vies et le sacrifice de nos vies au nom du travail – ne peut l’être aujourd’hui, si, en plus, le travail ne peut se faire sans sacrifier nos valeurs soignantes.

Cette nouvelle forme d’aliénation au travail, ayant perdu tout sens car perçu comme mal fait faute de moyens pour le réaliser sereinement et pleinement, ne peut entraîner que souffrance, désengagement et fuite. Ne pas donner les moyens aux professionnels de santé de bien faire leur « boulot » est ressenti comme une injure à la profession. Plus le temps, trop de patientes, trop de patients, courir, cavaler, entre les lits physiques où ce patient repose, entre les lignes numériques d’un support informatique qui ne porte plus son nom. Rien de nouveau. Tout est su. Beaucoup, responsables de service ou cadres de santé, essaient encore d’améliorer la situation, en vain souvent.

Il faut continuer de témoigner de cette souffrance, permettre aux lanceurs d’alerte de s’exprimer, et au public – via les médias – d’en rendre compte, afin de dire et redire que l’hôpital va mal, mais qu’il n’est pas encore tombé. Les réponses évidentes à cette crise hospitalière sont connues : embauche massive de travailleurs du soin, augmentation des salaires, et arrêt des fermetures de lits. L’intendance suivra…

L’hôpital, au sein de la cité et des territoires, doit rester une Zone à Défendre, où chaque acteur – soignant et soigné – doit pouvoir dire et agir, pour le bien de la communauté, et non une forteresse où le secret des affaires règne – autre nom de ce fameux devoir de réserve qui empêche tout agent public, soignants et administratifs, de « dire » simplement ce qui se passe. Engager, dès maintenant, une véritable politique de santé publique exige des conditions de délibération démocratiques, au sein de chaque établissement d’un côté, de chaque instance décisionnaire de l’autre, avec tous les acteurs du soin, ou leurs représentants reconnus.

Dire la souffrance des travailleurs du soin est la première étape de la reconstruction. Et non, comme certains dirigeants veulent nous faire croire, la dernière étape de l’effondrement.

publié le 22 novembre 2022

Comment le gouvernement a fait de l'assurance-chômage une bombe sociale

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Dès février 2023, la durée d’indemnisation des privés d’emploi diminuera d’un quart. Une réforme unanimement décriée par les syndicats. Voici pourquoi.

Dans la salle de presse, rue de Grenelle, le ministre du Travail a enfin mis un terme au suspense, ce lundi. Après un mois de concertation bridée avec les organisations syndicales et patronales, Olivier Dussopt a dévoilé les contours de sa très décriée réforme de l’assurance-chômage, à l’issue d’une réunion conclusive. Les syndicats restent unanimement opposés à cette nouvelle pierre à l’édifice répressif du gouvernement contre les chômeurs. Le ministre, lui, a de nouveau insisté sur la nécessité de mettre en place des mesures contracycliques – plus strictes quand la conjoncture est au beau fixe et plus protectrices en cas de marasme économique – pour atteindre le plein-emploi et endiguer les difficultés de recrutement.

Pour parachever ces objectifs, Olivier Dussopt a dévoilé la mise en place, dès février 2023, d’un coefficient réducteur appliqué à la durée de l’indemnisation. Lorsque l’économie sera favorable (et elle l’est aujourd’hui, a assuré le ministre), la durée de perception de l’allocation chômage sera amputée de 25 % par rapport à son niveau actuel. Au lieu de disposer d’un mois d’indemnisation pour un mois de travail réalisé, un nouveau privé d’emploi ne disposera que de 0,75 mois d’indemnisation. Une personne ayant travaillé 24 mois ne sera plus indemnisée que 18 mois. Les seniors, qui disposent de droits plus protecteurs que le reste des actifs, seront également affectés : leur période maximale d’indemnisation passera de 36 à 27 mois.

« Puisque le gouvernement veut allonger les droits des chômeurs quand l’économie va mal, c’est une évidence qu’il fallait commencer par les diminuer », constate, amer, Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi. « On a toujours dit que ce n’était pas en baissant les droits des chômeurs qu’on aurait un retour à l’emploi plus rapide », déplore la négociatrice de la CFDT, Marylise Léon, qui regrette qu’« aucune mesure d’impact financier » des nouvelles dispositions n’ait été conduite par le ministère.

Fin du « un mois travaillé = un mois indemnisé »

Tentant de donner le change, Olivier Dussopt a estimé que le système d’indemnisation restera parmi les « plus généreux d’Europe », citant, par exemple, le cas de l’Espagne, où le coefficient de définition de la durée d’indemnisation par rapport à la durée de travail n’est que de 0,4. Il assure aussi que les chômeurs qui perdent leur emploi lorsque la conjoncture est favorable, mais dont les droits se terminent dans une économie dégradée, pourront bénéficier d’un complément de fin de droits. Autre précision du ministre : seront exemptés de ces nouvelles règles les départements d’outre-mer, les personnes en contrat de sécurisation professionnelle (post plan social, donc) et certaines professions déjà préservées de la réforme de 2019, comme les dockers, marins et intermittents du spectacle. Selon le ministre, la mesure devrait permettre à l’Unédic, organisme paritaire de gestion de l’assurance-chômage, de réaliser 4 milliards d’euros d’économies. « Ce n’est pas la priorité de la réforme », a-t-il aussitôt tempéré.

Clair depuis le début sur les visées austéritaires de la réforme, le gouvernement a levé le voile sur le fonctionnement de ce nouveau système et sur l’ampleur des reculs sociaux à l’encontre des chômeurs indemnisés. Si le choix d’un coefficient ne faisait plus aucun doute, les spéculations allaient bon train jusqu’à ce lundi sur le chiffre arrêté. Olivier Dussopt a entériné un dispositif unanimement jugé trop sévère par les syndicats, qui dénoncent d’une même voix la fin du principe « un mois travaillé = un mois indemnisé ».

« Cette idée du coefficient, c’est une idée du Medef que le gouvernement a suivie pour rendre service au patronat. Ça va leur permettre de recruter sans augmenter les salaires ni améliorer leurs conditions de travail », affirme Denis Gravouil, négociateur pour la CGT. Pour le représentant de la confédération, la réforme va pousser les chômeurs à accepter un emploi dégradé qu’ils n’auraient pas choisi auparavant et va booster l’emploi précarisé. « Je ne pense pas que cette inquiétude soit fondée », s’est défendu le ministre du Travail.

Les syndicats craignent une « usine à gaz »

Selon les déclarations du ministère, la conjoncture économique sera jugée défavorable lorsque le taux de chômage dépassera 9 % ou quand celui-ci augmentera de 0,8 point en un trimestre. Dans ce cas, les conditions d’indemnisation seront les mêmes qu’aujourd’hui. Soit des conditions déjà dégradées par la précédente réforme régressive portée par Élisabeth Borne, qui avait restreint l’accès à l’indemnisation et diminué le montant moyen des allocations. Pour que la conjoncture soit jugée favorable, le taux de chômage devra être inférieur à 9 % et diminuer de 0,8 point trois trimestres de suite. Avec ces nouvelles règles, qui devront faire l’objet d’une vigilance continue pour appliquer les bonnes conditions d’indemnisation, les syndicats craignent une « usine à gaz ». Les centrales dénoncent aussi la malhonnêteté du gouvernement : « En 2019, le gouvernement assurait que sa réforme n’était pas si terrible car il touchait au capital, au montant des indemnisations, mais pas à leur durée. Or là, on touche précisément à cette durée », fustige Marylise Léon, de la CFDT.

En matière de répression des droits des chômeurs, Olivier Dussopt et le gouvernement auront également trouvé des alliés parmi les groupes « Les Républicains » et Renaissance au Parlement, qui ont, en plus de ce mécanisme de diminution des droits, voté comme un seul homme pour priver d’indemnités les personnes licenciées à la suite d’un abandon de poste, présumées désormais comme démissionnaires. Les personnes en CDD ou en intérim refusant à deux reprises un CDI en un an ne pourront pas non plus bénéficier d’allocations chômage, pour lesquelles elles ont pourtant cotisé. « Ce sont des débats complètement lunaires, à la hauteur d’un café du commerce. On parle de phénomène dont personne ne sait qui il concerne », assène Marylise Léon, de la CFDT.

Un décret d’application, pris avant la fin de l’année par le gouvernement, devrait coucher sur papier les différentes dispositions actés par le ministre du Travail. Les organisations syndicales pensent, d’ores et déjà, saisir le Conseil d’État pour annuler cette réforme répressive.


 

 

Chômage : le gouvernement a menti, passe en force et punit les chômeurs

Stéphane Ortega sur ttps://rapportsdeforce.fr/

Un mois et demi de concertation pour passer en force. Malgré l’opposition de l’ensemble des syndicats de salariés à la modulation des allocations chômage, le gouvernement n’a rien écouté et présente un projet de réforme plus dur qu’annoncé initialement et particulièrement punitif pour les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans.

 « Quand ça va mieux, on durcit les règles, quand ça va moins bien sur le front de l’emploi, on protège davantage », répétait encore Bruno Le Maire ce matin sur France Info. Une façon de présenter la réforme de l’assurance chômage qui n’a pas varié depuis des mois, que ce soit dans la bouche du ministre du Travail Olivier Dussopt, de la Première ministre Élisabeth Borne ou d’Emmanuel Macron. Avec à chaque fois comme justification : des difficultés de recrutement dans certains secteurs économiques.

 Assurance chômage : un mensonge éhonté

 Mais à l’arrivée, il n’y a aucune protection supplémentaire. Il ne reste que des droits réduits. Ce lundi matin Olivier Dussopt a présenté aux syndicats et au patronat le projet du gouvernement qui s’appliquera dès le 1er février 2023 aux salariés arrivant en fin de contrat de travail après cette date qui s’inscriront à Pôle emploi. Pour elles et eux, la durée d’indemnisation sera raccourcie de 25 % dès lors qu’elle excède 6 mois. Ainsi, la durée maximale pour recevoir ses allocations se verra appliquer un coefficient de 0,75 par rapport à aujourd’hui. Elle passera de 24 mois à 18 mois. C’est ce que le gouvernement appelle la période verte, celle d’une conjoncture « favorable » du marché du travail. À l’inverse, la période rouge sera caractérisée par un taux de chômage passant la barre des 9 % au sens du Bureau international du travail. Comme ce taux est aujourd’hui de 7,3 %, l’exécutif considère que nous sommes en période verte. Et publiera un décret d’ici trois mois, que lui permet l’adoption la semaine dernière de la loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ».

« Pour pouvoir revenir dans la période de droits communs, il faut revenir à 9 % ou qu’il y ait une augmentation rapide du chômage de +0,8 % sur un trimestre », détaille Denis Gravouil. « Il faudrait qu’il y ait un krach boursier pour que l’on retourne à 9 % d’ici février », ce qui fait dire au négociateur CGT pour l’assurance chômage que dès le mois de février prochain, il y aura bien une baisse effective de 25 % de la durée d’indemnisation. Mais si d’aventure dans l’année qui vient ou les suivantes, le taux de chômage connaissait une nette augmentation, les demandeurs d’emploi n’auraient aucune protection supplémentaire par rapport aux droits actuels. Au mieux, ils retrouveraient les droits existants avant le 1er février 2023. Fini le « protéger davantage ».

Une régression particulièrement dure pour les seniors

Si la punition est sévère pour les demandeurs d’emploi, elle l’est encore davantage pour les plus âgés. En effet, les demandeurs d’emploi ayant 53 ou 54 ans verront leurs allocations limitées à 22,5 mois au lieu de 30 mois aujourd’hui. Et les plus de 55 ans passeront à compter du 1er février à une durée d’indemnisation chômage de 27 mois au lieu de 36 mois. « Dans les effets ce n’est pas la même chose. Perdre 6 mois, c’est déjà grave, mais perdre 9 mois quand on a 55 ans, c’est d’autant plus douloureux qu’on a du mal à retrouver du travail à plus de 55 ans » se scandalise Denis Gravouil.

Pourtant, selon lui, l’argument n’a pas fait dévier le gouvernement de sa trajectoire. Pour seule réponse à cette objection, l’exécutif imagine que cela incitera les employeurs à moins se séparer de leurs salariés les plus âgés. Un argument déjà servi pendant le premier cycle de concertation sur la réforme des retraites portant sur l’emploi des seniors. Sans que le ministère du Travail ne donne aucun élément concret ou chiffré qui corrobore cette intuition gouvernementale.

Des justifications bidon

Le seul argument que le gouvernement a présenté pour justifier sa réforme est qu’elle inciterait les demandeurs d’emploi à reprendre plus rapidement un travail. Pourtant, selon les chiffres de l’Unédic, 45 % des chômeurs reprennent une activité dans les trois premiers mois après l’ouverture de leurs droits. De plus, seulement 250 000 à 390 000 offres d’emploi à Pôle emploi (180 000 à 273 000 postes à équivalent temps plein) n’ont pas trouvé preneur en 2021, selon une étude de l’organisme public datant de février dernier. Et ce, sur 9 millions d’offres cette année-là. Une goutte d’eau qui de toute façon ne permettrait pas aux 3,16 millions d’inscrits en catégorie A de retrouver le chemin de l’emploi. Et encore moins aux 5,43 millions d’inscrits à Pôle emploi, toutes catégories confondues.

Mais à la place des chiffres, le gouvernement a préféré répéter à l’infini qu’il était scandaleux que les employeurs ne trouvent personne pour travailler. S’il n’a jamais quantifié réellement ce phénomène, il a tout bonnement éludé les causes des difficultés de recrutement dans certains secteurs. « Les difficultés de recrutement viennent d’abord d’un déficit de compétences liées aux besoins des entreprises, mais aussi des conditions de travail proposées », proteste la CFDT aujourd’hui dans un communiqué de presse. Une explication conforme aux analyses de la Dares, l’organisme d’études et statistiques du ministère du Travail, que le ministre du Travail semble ne pas avoir lu.

Ignorer la réalité semble être une boussole pour le gouvernement sur le dossier du chômage. Pour exemple : l’aberration qui consiste à ne pas prendre en considération les variations locales ou sectorielles des besoins de recrutement ou du niveau de chômage. En effet, le taux de chômage varie du simple au double entre les départements de la Loire-Atlantique (5,8 %) et des Pyrénées-Orientales (11,6 %). À moins de considérer, par exemple, qu’un chômeur de 55 ans ayant exercé son activité dans les travaux publics et vivant à Perpignan candidate à un poste de chauffeur de bus à Nantes. Mais finalement, l’objectif est peut-être tout simplement ailleurs. « Ce sont près de 3 à 4 milliards d’euros d’économies qui seront réalisées sans qu’aucun effort ne soit attendu des employeurs », affirme la CFDT à propos de cette réforme.

publié le 8 octobre 2022

Assurance-chômage :
« Rien ne démontre que durcir les règles soit efficace »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

L’Assemblée nationale a adopté l’article de loi permettant au gouvernement de décider des nouvelles règles d’indemnisation chômage et d’instaurer une modulation des allocations selon la conjoncture économique. Sur le fond comme dans la méthode, Bruno Coquet, expert des politiques publiques, décrit une « impression bizarre d’improvisation ».

La nouvelle réforme de l’assurance-chômage est sur les rails. Le projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi » a été débattu du 3 au 5 octobre à l’Assemblée nationale. Les cinq articles du texte ont été adoptés.

Le premier article a fait l’objet d’intenses débats. Il permet au gouvernement de décider des futures règles d’indemnisation, par décret. Et ouvre donc la voie au projet affiché depuis des mois par Emmanuel Macron : la modulation des allocations-chômage, en fonction de la conjoncture économique.

« Quand ça va bien, on durcit les règles, et quand ça va mal, on les assouplit », a encore répété mi-juillet le président.

L’examen du texte a aussi permis de durcir, encore, les règles de l’indemnisation via l’adoption d’un amendement sur les abandons de poste. Présenté par Les Républicains, il instaure une « présomption de démission », et entend donc priver d’allocation-chômage les salarié·es qui abandonnent leur poste.

Le vote solennel du texte est prévu la semaine prochaine, le mardi 11 octobre. L’ exposé des motifs indique qu’il permettra « d’éviter toute rupture très fortement préjudiciable dans l’indemnisation des chômeurs », car « il est nécessaire d’assurer rapidement la continuité du régime actuel ».

Le décret encadrant les actuelles règles s’éteint en effet le 1er novembre 2022, d’où « l’urgence » de légiférer pour le gouvernement, qui pourra désormais décider seul des nouvelles règles. Une concertation, semble-t-il de pure forme, est prévue avec les partenaires sociaux. Qui attendent toujours la date et la lettre de concertation. 

Entretien avec Bruno Coquet, docteur en économie, expert des politiques publiques.

Mediapart : Comment en est-on arrivé à cette « obligation » de faire voter une loi, en toute hâte et perçue comme un passage en force ?

Bruno Coquet : Si on en est là, c’est parce que le gouvernement n’a pas respecté les étapes qu’il a lui-même définies. Le décret fixant les règles de l’assurance-chômage arrive effectivement à échéance début novembre 2022 et l’État aurait dû, dès le mois de juillet, envoyer un document de cadrage, même restreint, aux partenaires sociaux, pour lancer la négociation. Or rien de tout cela ne s’est passé. Le gouvernement n’a pas non plus publié de rapport annuel sur la gestion de l’assurance-chômage. C’est pourtant une obligation légale.

Sur toutes les étapes de la gouvernance, l’État a donc été absent et a fait preuve de carence. Cette loi sert ainsi à résorber un problème créé par l’État lui-même. Il n’a pas « repris la main », comme on peut le lire et l’entendre. En réalité, il avait la main mais n’a pas respecté les étapes.

Mediapart : Cette loi va en tout cas donner au gouvernement la possibilité de décider, par décret, des futures règles et entend moduler la durée d’indemnisation ou les seuils d’ouverture des droits selon la conjoncture économique. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ?

Bruno Coquet : Ce n’est pas forcément une mauvaise idée, on ne peut pas être contre, par principe. Mais cette mesure n’est intéressante qu’à une condition : celle d’avoir des règles « propres » déjà en vigueur. C’est un peu comme une voiture : avant d’ajouter des options, il faut d’abord s’assurer qu’elle roule bien.

Or, aujourd’hui, la base pose problème, car on ne comprend rien aux règles de l’assurance-chômage. Et surtout, sous le capot, il y a une règle qui n’est « pas propre », c’est celle instaurée par la première réforme de l’assurance-chômage et qui modifie le calcul de l’allocation [voir notre article].

Mediapart : C’est-à-dire ?

Bruno Coquet : Cette règle a rendu incertains le montant et la durée de l’indemnisation des « permittents » [personnes alternants des contrats courts et des périodes de chômage –ndlr]. Face à cette incertitude, on vient maintenant vous dire que votre éligibilité au chômage et la durée de vos droits vont dépendre, en plus, du taux de chômage ? Par ailleurs, ce qui me frappe, c’est que le gouvernement n’a pas préparé à l’avance cette idée de contracyclicité. On devrait avoir quelque chose de très carré et difficile à contester mais on ne l’a pas. Ça donne une impression bizarre d’improvisation.

Mediapart : Le texte présenté à l’Assemblée nationale a été durci par un amendement qui prévoit de créer une « présomption de démission » en cas d’abandon de poste et, donc, d’empêcher d’ouvrir des droits au chômage. « L’abandon de poste est utilisé pour dévoyer la démission et percevoir l’assurance-chômage », a ainsi déclaré le député (Horizons) de Maine-et-Loire. Votre avis sur cette mesure ?

Bruno Coquet : Je ne doute pas une seconde que les élus, dans leur circonscription, entendent les administrés se plaindre des difficultés de recrutement et des abandons de poste. Depuis vingt ans que je m’intéresse à ces sujets, j’entends les ministres et les députés en parler, quelle que soit la conjoncture.

ait pas du tout les quantifier. Et quand bien même on saurait le faire, il faudrait être sûr que le problème vient de l’indemnisation du chômage. Et ça, c’est loin d’être démontré.

Dans le secteur de l’hôtellerie-restauration par exemple, les gens qui s’en vont en faisant un abandon de poste, on n’est pas certain qu’ils s’inscrivent à Pôle emploi pour percevoir le chômage. La plupart du temps, c’est plutôt pour passer dans le restaurant d’en face et bénéficier d’un meilleur salaire. Cette mesure pourrait donc défavoriser les employeurs mieux-disants par rapport aux moins-disants, ce serait aberrant.

Tout cela nécessiterait d’être regardé de plus près. On ne peut pas réduire l’accès aux indemnités chômage sans savoir s’il y a réellement un problème. Pôle emploi pourrait le documenter mais évidemment, ça demande du temps.

Mediapart : Le but affiché du projet de loi est de parvenir au  plein emploi. Est-ce un bon levier de réduire les droits à l’assurance-chômage pour y parvenir ?

Bruno Coquet : Selon moi, cela reste à démontrer. Dans l’exposé des motifs, le projet de loi avance que le frein au plein emploi, ce sont les difficultés de recrutement. Pourtant, par définition, les difficultés de recrutement sont un symptôme… du plein emploi ! Déjà, cela affaiblit un peu l’argument.

Ensuite, il faut rappeler qu’une majorité de chômeurs ne sont pas indemnisés par l’assurance-chômage. Et la première question à se poser c’est : pourquoi ces gens ne reprennent-ils pas d’emploi, alors qu’ils sont les plus nombreux et les plus pauvres ? Il faudrait déjà s’inquiéter de ça. Et on le sait, ça tient aux offres qui sont faites en termes de qualité d’emploi, de salaires, d’horaires, de mobilité…

Bien sûr il est tout à fait possible que des personnes indemnisées refusent un emploi parce qu’elles préfèrent percevoir leur allocation. Mais durcir les règles au motif que des gens profitent indûment du système, ça ne fonctionne pas, car on sait que ces comportements sont marginaux.

Les règles d’une assurance se basent sur des comportements moyens, pas sur des comportements marginaux. Imaginez une assurance automobile qui vous demande de payer davantage parce que trois personnes, l’année dernière, ont sciemment rayé leur voiture, pour avoir une nouvelle peinture ! Ça ne doit pas fonctionner comme ça. Et rien ne démontre que durcir les règles soit efficace.

Une économie se porte toujours mieux avec une assurance-chômage, que sans. Il est bon d’avoir des chômeurs indemnisés, mais ni trop, ni trop peu.

Mediapart : Le rapporteur de la loi, le député (Renaissance) Marc Ferracci ne partage pas votre point de vue. Il l’a redit lors des débats : « des dizaines d’études » prouvent, selon lui, que les règles d’assurance-chômage, notamment celles sur la durée et les seuils d’éligibilité, ont un effet sur le niveau de l’emploi. Que répondez-vous ?

Bruno Coquet : C’est un argument d’autorité et abusif. Je vois assez bien les études auxquelles il fait référence et elles ne racontent pas que réduire les droits à l’assurance-chômage augmente le niveau de l’emploi. C’est un peu plus compliqué et subtil que ça. Et aucune étude, à ma connaissance, ne dit que cela va résoudre les difficultés de recrutement.

Par ailleurs, pourquoi toutes ces études ne figurent pas dans l’étude d’impact de la loi ? Cela aurait aussi pu figurer dans le rapport annuel sur la gestion de l’assurance-chômage, dont je vous parlais tout à l’heure, et qui n’a jamais été publié.

D’ailleurs, en France, il n’existe pas d’enceinte où l’on pourrait discuter de tout ça, à l’image du conseil d’orientation des retraites. Cela fait dix ans que je plaide pour la création d’une telle instance pour l’assurance-chômage.

Mediapart : Quel serait son rôle ?

Bruno Coquet : Tout simplement de partager les informations ! Sur l’assurance-chômage, on ne sait rien, ou très peu de chose. On n’a aucune donnée détaillée pour suivre les bénéficiaires et leurs trajectoires précises. On n’a aucune donnée de comptabilité analytique. Et quand on ne peut rien dire sur un sujet, le problème… c’est qu’on peut tout dire ! Tout se vaut. D’ailleurs, on raconte souvent n’importe quoi sur l’assurance-chômage.

Il faut que tout le monde ait le même niveau d’information. Un haut conseil servirait à cela. Ce serait une base commune mais ça n’empêche pas le débat et les avis divergents. On le voit bien avec le conseil d’orientation des retraites : partager des faits ne met pas nécessairement tout le monde d’accord. Ça ne favorise pas la pensée unique.

publié le 4 octobre 2022

Quand le mythe du
« chômeur profiteur »
se heurte à la réalité

par Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr

Une étude réalisée par l’institut statistique du ministère du Travail évalue « entre 25 et 42 % » la part des chômeurs indemnisables qui n’ont pas recours à l’assurance-chômage. Un résultat explosif tant celui-ci contredit des années de discours stigmatisants.

C’était un point mort de l’analyse des politiques publiques. Le voilà enfin dévoilé. Entre 390 000 et 690 000 personnes par an n’ont pas recours à l’assurance-chômage alors qu’elles y auraient droit. Ce qui représente entre 25 et 42 % des salariés éligibles à cette allocation à la fin de leur contrat.

Ces chiffres ont été révélés dans un rapport remis par le gouvernement au Parlement et dont Les Echos a dévoilé les principaux résultats. Celui-ci s’appuie sur une étude quantitative de la Dares, l’institut statistique du ministère du travail, et des chercheurs et chercheuses de l’École d’économie de Paris. Elle est réalisée sur la base de données récoltées entre novembre 2018 et octobre 2019. Soit avant l’entrée en vigueur de la dernière réforme de l’assurance-chômage datant de la fin 2021.

Des précaires qui « recourent significativement moins à l’assurance-chômage »

L’étude se penche notamment sur le profil de ces personnes ne recourant pas à une allocation dont ils ont pourtant le droit. « Les salariés en contrats temporaires (intérim et CDD) recourent significativement moins à l’assurance-chômage que les salariés en fin de CDI », écrit Médiapart citant le rapport.

« Les non-recourant ont travaillé moins longtemps que les recourants, leurs droits potentiels sont donc plus faibles : ainsi, plus de la moitié (55 %) des éligibles ayant travaillé entre 4 et 6 mois ne recourent pas à l’assurance-chômage, contre 19 % pour ceux ayant travaillé plus de deux ans. »

Aussi, le rapport indique que « près d’un quart [des non-recourants] retrouvent un emploi dans le mois suivant la fin de contrat, contre 15 % des recourants ». Des résultats qui interpellent, notamment lorsqu’on sait que la précédente réforme de l’assurance-chômage s’attaquait tout particulièrement aux travailleurs précaires en baissant drastiquement le salaire journalier de référence (SJR) pour celles et ceux enchaînant contrats courts et périodes de trou.

Une étude qui aurait dû être livrée... deux ans plus tôt

À la veille d’une future réforme de l’assurance-chômage qui promet un nouveau tour de vis pour les chômeurs, cette étude bat en brèche un argumentaire libéral pourtant bien rodé. Si le chômage persiste dans une période de « tensions de recrutement », c’est qu’il y aurait un nombre important de chômeurs préférant vivre des allocations plutôt que de travailler.

Cette étude confirme que cette idée du chômeur-profiteur est largement marginale. Plutôt qu’optimiser leurs allocations, les demandeurs d’emploi ont plus tendance à ne pas y recourir…

Un argumentaire vivement critiquable comme nous vous l’expliquions la semaine dernière dans Politis. Cette étude confirme que cette idée du chômeur-profiteur est largement marginale. Plutôt qu’optimiser leurs allocations, les demandeurs d’emploi ont plus tendance à ne pas y recourir… Selon ce rapport, les deux raisons avancées pour expliquer ce non-recours sont un « défaut d’information » sur la possibilité d’avoir accès à une indemnisation ou un « défaut de sollicitation ».

Surtout, les résultats de cette étude auraient dû être connus bien plus tôt. En effet, une disposition avait été prise dans la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Elle obligeait, à partir de sa promulgation en 2018, le gouvernement à livrer au Parlement les résultats de cette étude sous deux ans, donc en 2020, avant l’entrée en vigueur de la précédente réforme.

Ce n’est que 2 ans plus tard qu’ils ont été livrés, documentant enfin factuellement un phénomène jusque-là peu étudié. Reste à voir s’ils feront infléchir le gouvernement sur son nouveau projet de loi

publié le 29 septembre 2022

Réforme des retraites : démontez les arguments du gouvernement en 5 minutes

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

La réforme des retraites est déjà impopulaire, puisque 70 % des Français sont opposés à un recul de l’âge légal de départ (sondage Elabe du 22/09) et 19 % seraient prêts à aller manifester (sondage Odoxa du 21/09). Mais pour convaincre vos collègues de travail ou leur donner des arguments face à ceux du gouvernement, Rapports de force revient point par point sur les discours de justification de la majorité.

 Ça y est, la bataille des retraites commence. Ce jeudi 29 septembre, le gouvernement a finalement annoncé qu’il présenterait en janvier un projet de loi pour reculer à 65 ans l’âge de départ à la retraite. D’ici là, il ouvrira des concertations à la marge avec les organisations de salariés et le patronat. Mais dès à présent, attaquons-nous aux arguments tronqués du gouvernement pour tenter de convaincre l’opinion du bien-fondé de sa réforme.

 Argument n°1 : Macron a été élu pour faire la réforme des retraites

 Avant de s’attaquer au fond, commençons par la forme. Lundi 26 septembre, à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres, Bruno Le Maire a affirmé à propos des retraites : « il est tout à fait possible de mener une réforme juste et efficace dans un délai raisonnable. Et d’autant plus que le président de la République a reçu un mandat du peuple français pour faire cette réforme ». Et bien… en fait… heu… non !

S’il a bien reçu un mandat, parce qu’il a été élu président de la République au printemps, il n’a pas réellement été mandaté pour réformer les retraites. Revenons cinq mois en arrière. Emmanuel Macron l’emporte face à Marine Le Pen avec 58 % des suffrages exprimés. Outre que l’abstention, les votes nuls et blancs représentent plus 34 % des inscrits, une estimation de l’institut Ipsos-Sopra Steria sortie des urnes souligne que 42 % des électeurs d’Emmanuel Macron au second tour ont voté pour lui pour faire barrage à Marine Le Pen. Au final, il reste moins de 11 millions de votes d’adhésion sur plus de 48 millions d’inscrits. Soit 22,3 % du corps électoral. Et encore, il n’est pas sûr que tous ceux qui ont choisi Emmanuel Macron au premier tour souhaitaient une réforme des retraites.

Le locataire de l’Élysée avait même convenu le soir de sa victoire : « Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Ce vote m’oblige pour les années à venir. » Sans grande surprise, cette promesse a été bien vite oubliée.

 Argument n° 2 : les déficits rendent nécessaire la réforme des retraites

Passons de la forme au fond. À l’occasion de la remise du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), les membres du gouvernement ont insisté sur la nécessité financière de la réforme. « Ce rapport dit que le système de retraites connaît un très léger excédent en 2021-2022, mais que dès 2023 ce sont presque deux milliards d’euros de déficit, en 2027 plus de 12 milliards de déficits, et en 2030 une vingtaine de milliards de déficits. Ces chiffres nous montrent qu’il faut agir pour améliorer le système de retraites et le préserver dans le temps », expliquait Olivier Dussopt, le ministre du Travail, le 20 septembre sur RTL.

Pourtant, ce ne sont pas vraiment les conclusions du COR. À l’inverse, celui-ci affirme que « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique incontrôlée des dépenses de retraite ». En clair, il y a des déficits, mais dans des proportions maîtrisées. À la place du solde des régimes en milliards d’euros, le COR compte en pourcentage des richesses produites (PIB), « un indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du régime de retraite ». Et là, les variations ne sont pas alarmantes : globalement stable entre 2021 et 2027 (13,8 % à 13,9 % du PIB), la part des dépenses augmenterait entre 2027 et 2032 (14,2 à 14,7 % du PIB) pour se stabiliser ou diminuer à partir de 2032 jusqu’à se situer en 2070 dans une fourchette comprise entre 12,1 % et 14,7 % du PIB. Et encore, l’augmentation de la période 2027-2032 est en partie liée à l’écart entre le taux de chômage prévu par le gouvernement de 5 % et celui projeté du COR à 7 %. Ces deux points de différence induisant en effet un autre niveau de cotisations.

Il reste cependant à déterminer quoi faire avec les déficits annoncés. Ils pourraient être transformés en dette comme bien d’autres dépenses gouvernementales, en considérant qu’assurer des retraites aux travailleuses et travailleurs dans les conditions d’aujourd’hui est une volonté politique. Qu’elle a un coût. Et que celui-ci n’est pas exorbitant. Il serait également possible de jouer sur d’autres paramètres, les dépenses ou les recettes, puisqu’un déficit n’est qu’un déséquilibre entre les deux. Mais nous allons revenir sur ce point essentiel.

 Argument n°3 : pour ne pas baisser les pensions ou augmenter les cotisations, il faut travailler plus longtemps

 Certes, présenté ainsi, aucun retraité ne trouverait grâce à une baisse de sa pension, surtout dans un contexte de forte inflation. Pas plus qu’un salarié ne voudrait voir son taux de cotisation augmenter, ce qui ferait baisser son salaire net. Mais d’autres variables sont envisageables.

C’est un peu enfoncer des portes ouvertes, mais pour réduire un déficit, il faut soit réduire les dépenses, soit augmenter les recettes. Emmanuel Macron en bon libéral a fait son choix : baisser les dépenses publiques en repoussant l’âge de départ à la retraite. Mais la question des recettes du système de retraite reste posée. À ce titre les dizaines de mesures d’exonération de cotisations sociales prises par tous les gouvernements ces dernières décennies ont un coût pour les finances publiques, caisses de retraite incluses, puisque ces exonérations ne sont pas toutes compensées par l’État. En 2019, année avant la crise sanitaire, celles-ci étaient estimées à 66 milliards d’euros par la Cour des comptes, dont 52 milliards de cotisations patronales. La part manquante au financement des régimes de retraite s’élevait à 9,75 milliards. De quoi relativiser la charge pour les dépenses publiques des déficits envisagés par le COR pour les régimes de retraite.

Autre élément sur les recettes, le niveau des cotisations. Aujourd’hui, elles représentent 79 % du financement des retraites (rapport du COR). Sur les 21 % restant, 12 % proviennent de la CSG. Les recettes dépendent donc très fortement du niveau d’emploi, c’est-à-dire du nombre de personnes en activité à partir desquelles salariés et employeurs payent des cotisations. Mais elles dépendent également du niveau des salaires, puisqu’il s’agit d’un pourcentage de celui-ci. De ce point de vue, les excédents des régimes de retraite en 2021 et 2022 présentés dans le rapport du COR sont révélateurs. Le fort rebond de l’activité économique a eu pour effet de repasser dans le vert les comptes en augmentant le nombre de cotisations versées. Même constat pour les comptes de la Sécurité sociale dont le déficit a nettement baissé cette année. Une amélioration en partie due à l’inflation et l’augmentation du SMIC qui a mécaniquement fait grimper le niveau des cotisations salariés et employeurs.

Voilà clairement un paramètre majeur. Et un choix politique. Celui du gouvernement de préférer des primes défiscalisées et désocialisées à une pression sur le patronat pour augmenter les salaires prive toute la protection sociale, retraites incluses, de recettes importantes. La qualité des emplois, trop souvent au ras du SMIC, pèse sur le système de retraite en limitant le niveau des cotisations sociales. Un autre partage de la valeur, en clair de la rémunération de travail et de celle du capital, générerait des recettes qui pourraient faire revenir les comptes au vert.

 Argument n° 4 : il faut travailler plus longtemps pour financer l’école, l’hôpital, etc.

 C’est probablement l’argument le plus fou de la majorité. Et peut-être aussi le plus flou. Pour les uns la réforme des retraites servira à financer l’éducation et l’hôpital. Pour Bruno Le Maire, elle permettra de financer des cadeaux aux entreprises sous forme de fin des impôts de production. Pour d’autres, elle financera le chantier de la dépendance ou la transition climatique. Bref, un peu tout. Mais ici, c’est clairement un mensonge. À ce jour, aux dires de l’exécutif, l’allongement de l’âge de départ à la retraite concernerait les salariés nés en 1966 et après. En clair, des salariés qui liquideraient leurs droits à la retraite, si rien n’était modifié, que dans sept à huit ans. Soit vers 2029 ou 2030. Les économies envisagées étant pour plus tard, comment la réforme des retraites pourrait-elle financer aujourd’hui des réformes à l’hôpital ou dans l’éducation ? En fait, elles ne le pourraient pas.

Mais au-delà de cet élément tronqué, c’est une rupture inédite du pacte social. Jamais à ce jour un gouvernement n’avait proposé de réorienter les dépenses de retraites issues des cotisations sociales vers d’autres types de dépenses de l’État. Et là encore, si l’argent manque pour engager certains chantiers, il faut chercher du côté des choix politiques libéraux du gouvernement qui assèchent les recettes du budget de l’État au profit des plus aisées. Et la liste est longue des manques à gagner en dizaine de milliards annuels : de la suppression de l’ISF à la flat tax qui a baissé les prélèvements sur les entreprises en passant par le CICE qui était censé créer des emplois et a coûté une centaine de milliards. Tout n’est donc que question de choix politique, voire idéologique.

publié le 20 septembre 2022

Énergie : l’irresponsable procrastination du gouvernement

Martine Orange sur wwwmediapart.fr

Le déni et la procrastination sont parmi les marques de fabrique des gouvernements d’Emmanuel Macron, lorsqu’il est confronté à quelque difficulté. La crise énergétique sans précédent que traversent la France et l’Europe ne fait pas exception à cette règle.

En dépit des menaces qu’elle fait peser sur tous, le gouvernement élude la question, tergiverse, entretenant l’illusion d’un retour à la normale, dans un futur plus ou moins proche. Le bouclier tarifaire s’inscrit dans cette perception : il se veut une mesure exceptionnelle pour une période de gros temps, appelée à disparaître dès que possible.

Balayant les critiques d’immobilisme, le gouvernement met en avant sa réaction rapide « bien avant tous les autres pays européens », comme il ne manque pas de le rappeler, quand il a pris la décision en janvier d’instaurer le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité pour les ménages. « Une mesure qui a permis de protéger le pouvoir d’achat des ménages », souligne-t-il à l’envi. Et aussi de limiter une inflation qui aurait pu mettre à mal la politique de l’offre du gouvernement.

C’est à nouveau sous l’angle budgétaire que la première ministre Élisabeth Borne continue d’aborder la crise énergétique européenne et française. Elle a annoncé le 14 septembre la reconduction du bouclier tarifaire l’an prochain, limitant à 15 % les hausses des prix de l’électricité et du gaz pour les ménages et les petites collectivités locales.

Alors que tout le monde s’affole face à l’explosion des prix de l’énergie, un dispositif financier pour contrecarrer les effets dévastateurs de ces hausses est certes indispensable, sous peine d’étrangler progressivement les ménages, comme en Grande-Bretagne et même en Belgique. Les chèques de 100 ou 200 euros versés aux foyers les plus précaires risquent toutefois de ne pas suffire à les préserver de la précarité énergétique et du surendettement.

Cette réponse financière, dans tous les cas, ne saurait suffire pour faire face à une crise énergétique multidimensionnelle portant à la fois sur l’offre et la demande, nos schémas industriels de production, nos modes de consommation, l’organisation de nos marchés, notre goût pour les énergies fossiles, jamais vraiment combattu en dépit de grandes déclarations.

Au-delà de la spéculation qui s’est abattue sur tous les marchés de l’énergie et qui a porté ces derniers temps les cours à des niveaux insensés, l’envolée des prix dès l’été 2021 est la résultante de ces dysfonctionnements et erreurs passés.

Des mesures à très court, à moyen et à long terme s’imposent pour remédier à ces tensions, bâtir un nouveau système permettant d’assurer à la fois la sécurité et le respect des objectifs climat. Cela suppose aussi une sensibilisation, voire une mobilisation générale, pour faire accepter les changements, tant les bouleversements et les ruptures que porte cette crise à très brève échéance et sur des années vont bousculer nos habitudes et nos modes de vie.

La question de l’énergie éludée

Mais de tout cela, le gouvernement ne parle jamais. Le sujet de la crise énergétique n’a pas été une seule fois sérieusement abordé pendant les campagnes présidentielle et législatives, la foire d’empoigne autour du nombre d’EPR à construire étant censée résumer tous les enjeux.

La question n’a pas plus été évoquée lors de la session parlementaire extraordinaire de l’été. Et malgré l’intensité du choc, toute délibération parlementaire sur le sujet est repoussée après le 3 octobre, puisque le gouvernement a estimé qu’il n’y avait aucune urgence à convoquer l’Assemblée plutôt.

Nous en sommes donc réduits, comme au temps du Covid, à attendre un énième Conseil de défense, les décisions impériales d’Emmanuel Macron et les résultats des réunions organisées par le ministère de la transition écologique, qui au mieux aboutiront à la mi-octobre.

Quels moyens convient-il de mettre en œuvre pour réduire de 15 % notre consommation de gaz, de 10 % notre consommation électrique, et même de 5 % aux heures de pointe, comme la Commission européenne le préconise ? La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a évoqué la possibilité de prendre des mesures contraignantes et obligatoires, dans son discours sur l’état de l’Union le 14 septembre. Comment se répartira la charge de ces efforts entre les ménages, les entreprises ? Qui arbitrera ? Selon quels critères ? Nous n’en savons toujours rien.

Des plans d’économie dans toute l’Europe, sauf en France

Dès le mois d’avril, le gouvernement italien a adopté une série de mesures contraignantes portant notamment sur la limitation de la température dans les bâtiments publics, l’éclairage nocturne, l’interdiction des publicités lumineuses.

Le gouvernement espagnol a entrepris une démarche comparable, limitant la consommation d’énergie dans les bâtiments publics, l’éclairage urbain et la publicité lumineuse. Après avoir obtenu de ne plus être dans le marché électrique européen – d’un coup, le prix du MWh est descendu autour de 100 euros, contre plus de 500 pour les autres –, Madrid n’a pas relâché ses efforts, et continue de travailler et d’inciter la population à faire autant d’économies d’énergie que possible.

Au printemps, le gouvernement allemand a établi, en concertation avec le Bundestag et les Länder, un plan détaillé, en fonction du degré de tension, sur les mesures à prendre et qui serait concerné. Chacun, grands groupes comme ménages, connaît sa feuille de route.

Dans le même temps, une grande campagne de sensibilisation a été lancée auprès de toute la population, pour engager des économies d’énergie, allant jusqu’à demander à raccourcir le temps des douches et de les prendre à l’eau froide. « Tous les gestes, même les plus petits, comptent », insistent les responsables allemands.

En France, il a fallu attendre la rentrée pour que le mot « sobriété » fasse son apparition dans le vocabulaire gouvernemental, ce dernier jugeant sans doute que les termes « économies d’énergie » ont une connotation trop « amish ». Pour le reste, rien de précis, de vagues incitations, tout étant laissé à l’appréciation des ménages, des collectivités locales, des entreprises, abandonnés dans le flou.

Lors de la conférence de presse sur la situation énergétique, le 14 septembre, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a malgré tout révélé qu’elle disposait d’une arme de dissuasion massive : « Dans les moments de tension électrique, j’ai la possibilité de commander l’extinction de tous les écrans publicitaires », a-t-elle insisté. C’est toujours mieux que rien !

Novembre et décembre pourraient être aussi risqués que janvier.

Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE

L’urgence du moment, pourtant, ne permet plus cette procrastination, comme l’ont rappelé avec insistance les responsables du gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, lors de leur conférence du 14 septembre. La situation est même si tendue que ce dernier a décidé d’avancer la période d’hiver dès octobre. « Novembre et décembre pourraient être aussi risqués que janvier », a mis en garde Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.

Les incertitudes pesant sur le système électrique français sont partout. Personne ne peut dire à cette heure si EDF a la capacité ou non de remettre en route une partie de son parc nucléaire – 30 réacteurs sur 56 sont aujourd’hui à l’arrêt. Des doutes pèsent sur les autres moyens de production disponibles. Et les conditions météorologiques sont totalement inconnues. « Le scénario du pire [conduisant à des mesures de délestage auprès des particuliers – ndlr] est assez improbable », dit Xavier Piechaczyk.

Le gestionnaire de réseau fait en tout cas tout pour l’éviter, en insistant sur la nécessité de lancer des économies d’énergie immédiatement. Il a établi des mesures claires, compréhensibles par tout le monde, pour faire face aux tensions immédiates.

Baisser le chauffage de quelques degrés pour le ramener à 19 °C permet d’économiser l’équivalent de la production de deux centrales nucléaires. Changer les vieilles ampoules par des LED et fermer la lumière dans les pièces inoccupées, c’est plus d’un gigawatt d’économisé. Ne pas faire fonctionner les appareils électroménagers, et notamment le four, pendant les périodes de pointe (entre 8 heures et 13 heures, puis à nouveau entre 18 heures et 20 heures), c’est autant d’électricité économisée qui permet de réduire les tensions et les risques sur le système électrique.

En complément, il a renforcé son dispositif d’alerte Écowatt, comparable à celui de Météo-France avec ses vigilances orange et rouge, afin de pouvoir alerter dans les trois jours précédant les périodes difficiles la population et l’inciter à d’autres mesures d’économie.

En prenant ces initiatives, RTE assume totalement son rôle de gestionnaire de réseau. Mais il est bien le seul à se montrer responsable dans ce moment. Sa parole dessine en creux l’inexistence du gouvernement sur ces sujets. Il est plus que temps de parler à tous les niveaux politiques d’économies d’énergie et d’ouvrir le débat public.

publié le 17 juillet 2022

Actualités de la semaine
par Patrick Le Hyaric

Bonjour à chacune et chacun,

Je suis revenu cette semaine sur ce qui se cache derrière le projet d'étatisation d’EDF. Certains s’en sont réjouis en y voyant une nationalisation. En fait, c’est une opération pour mieux démanteler et privatiser des segments entiers de notre entreprise publique alors que les enjeux énergétiques et climatiques exigent de renforcer et de démocratiser notre fleuron national.

Avant d’y venir, je veux m’arrêter sur l’actualité du Président de la République.

Nous allons y arriver ! Mais à quoi ?

Les idéologues et forces dominantes adeptes du co-voiturage idéologique font désormais du 14 juillet étalage de nos forces militaires et entretien présidentiel avec deux dames en longue robe sur fond du château de l’Élysée. Le 14 juillet 1789 n’a pas existé pour ce plateau balayé par le vent d’été. Y aurait-il des comtesses interrogeant le roi qui promet la taille et la gabelle pour les travailleurs et des droits nouveaux pour la grande fortune ? Le bon roi au service de la bourgeoisie et des aristocrates a demandé aux dames de ne plus l’appeler « Jupiter » puis il a répété comme un mantra, « Nous allons y arriver » arriver à quoi ? Et où ? À rassurer les marchés financiers avec un coup de barre dans la régression sociale ? À rassurer la droite à qui il promet de faire sa politique ? À augmenter le budget militaire pour se préparer à une guerre de « haute intensité » ? Les trois à la fois.

Il faut mesurer la charge antisociale que comporte cet entretien au cours de laquelle il a montré qu’il ne tiendra aucun compte de l’expression des suffrages des électrices et des électeurs. Il veut une nouvelle « réforme du travail » visant à obliger celles et ceux qui aujourd’hui sont au RSA à accepter n’importe quel poste de travail, à n’importe quel prix. Il veut même conditionner le RSA à un travail obligatoire.

Ceux qui croient qu’il y a ici une mesure de justice ou d’égalité doivent bien se rendre compte qu’ils sont eux-mêmes visés. En effet, faire accepter un travail à n’importe quel prix revient à continuer à faire pression sur l’ensemble des salaires au moment où la vie chère étrangle les foyers populaires. Une nouvelle fois, le refrain de l’assainissement des finances publiques est revenu. Au nom de cela, il faudra reculer l’âge de départ en retraite. À aucun moment n’est envisagé de faire cotiser les revenus du capital au même niveau que ceux du travail. Forcément M. Macron est le mandataire des puissances d’argent.

Leur credo : pression sur les salaires, profits sur le dos des consommateurs qui payent toujours plus cher ce dont ils ont besoin pour manger, recul de l’âge de la retraite, ubérisation du travail, contre-réforme de l’assurance chômage…

Et, au nom des économies d’énergie, il a demandé comme l’ont fait Giscard et Barre en 1975 de « la sobriété ».

Autre terme pour dire qu’il faudra se serrer la ceinture. S’il avait le souci du climat, il ne se précipiterait pas, comme il le fait, pour faire consommer du gaz naturel liquéfié et du pétrole de schiste nord-américains. De même, il n’aurait pas amplifié des choix politiques mettant EDF à sac.

Et encore une fois, il a insisté sur « la dette à résorber ». Ce refrain sert à préparer de nouveaux coups contre les salariés et les familles populaires mis à la diète au nom de la dette, pendant que les grands groupes industriels et financiers engrangent des superprofits. Sur ce sujet le Président est… muet. Face à un tel mur, les forces syndicales et politiques progressistes ne resteront pas l’arme au pied.

La CGT a déjà annoncé des journées d’action en septembre. Les forces coalisées dans la NUPES discutent de la possibilité d’une grande marche contre la vie chère également à l’automne. Il faudra se défendre et peut-être préparer de nouvelles consultations électorales. Il convient d’être très attentif. Conformément aux décisions du sommet de l’OTAN à Madrid le 28 juin dernier, le Président annonce d’ores et déjà l’augmentation des dépenses d’armement pour se préparer à une guerre de « haute intensité » ; Il n’y aurait pas d’argent pour l’hôpital et les écoles, mais on en trouvera beaucoup pour les engins de mort. Les groupes industriels de l’armement sont aux anges. Dans un tel contexte, il convient de préparer une Fête de l’Humanité, fête de la justice et la paix, fête des travailleuses et travailleurs, fête des créateurs et des militants syndicaux et associatifs les 10, 11 et 12 septembre. Elle peut constituer un point de ralliement de tous les progressistes, sans exception, pour débattre, élaborer ensemble des propositions et penser de manière unitaire les actions nécessaires.

Uber et l’argent d’Uber

Ces combats sont d’autant plus indispensables, que le pouvoir refuse d’entendre ce qu’ont exprimé les électrices et les électeurs à l’occasion des récentes consultations électorales. S’il en est ainsi, c’est parce que ce pouvoir de classe est au seul service de la classe dominante.

Les révélatons du consortium international des journalistes d’investigation le démontrent amplement à propos du groupe Uber. On y voit à quel point les connivences, la consanguinité entre le Président et le grand capital international sont profondes. Dix-sept rendez-vous cachés entre M. Macron et le patron fondateur d’Uber. Cinquante échanges pour faire sauter les obstacles réglementaires, bloquer les investigations judiciaires et les enquêtes fiscales. Ces gens parlent de République pour mieux la salir, la dévoyer, la trahir. Cela commence à faire beaucoup. La curieuse vente de la production de turbines Alsthom à General Electric, l'introduction des cabinets de conseils McKinsey et autres au cœur de l’État pour mieux le démolir, etc.

Et, comme par hasard, on retrouve les lobbyistes ou anciens lobbyistes de ces entreprises américaines dans la campagne électorale de M. Macron en 2017. McKinsey s’était même mis à la disposition du candidat pour l’aider à construire son programme électoral. Il pourra parler tant qu’il veut de souveraineté, le fait est qu’il vend la France aux géants du numérique nord-américains. On parle d’Uber, mais il a servi tout autant Amazon et Google.

Il défait les lois républicaines pour leur permettre de venir ici surexploiter de jeunes travailleurs à qui on barre la route du salariat pour retourner à une forme de servage. Que le Président dit de « la République » puisse dire qu’il en est très fier dit tout de lui et des intérêts qu’il sert. L’intérêt général l’a quitté, pour peu qu’il l’ait habité un jour.


 

Le rideau de fumée de l’étatisation pour cacher la privatisation

Contrairement aux apparences, l’étatisation de l’entreprise publique Électricité de France n’est pas une bonne nouvelle. De considérables enjeux rôdent autour de cette annonce, alors que la crise énergétique prend chaque jour un peu plus d’ampleur. La peur d’une grande panne cet hiver se répand dans les entreprises. Des rationnements sont même envisagés pour les particuliers. EDF est au bord de l’effondrement financier. Sa notation par les agences liées aux marchés financiers et aux bourses a frôlé la chute libre.

En cause ? Les abyssales pertes de l’entreprise qui pourraient avoisiner des sommes astronomiques, entre 10 à 15 milliards d’euros. L’endettement du groupe fait un bond saisissant en passant de 40 milliards d’euros en 2021 à 70 milliards cette fin d’année. Pourquoi ces chiffres sont-ils cachés, y compris dans le discours de politique générale de la Première ministre ?

Cette situation préoccupante ne tombe pas du ciel. Il faut en rechercher les causes dans les décisions dogmatiques de la Commission européenne et des gouvernements successifs qui les ont appuyées en déréglementant le « marché de l’énergie » au bénéfice de fournisseurs « alternatifs » qui ne produisent pas le début d’un kilowatt d’électricité.

Au nom d’un bouclier énergétique, le gouvernement a en effet imposé à EDF d’augmenter ses volumes d’électricité nucléaire vendue à ses concurrents en l’obligeant à acheter sur « le marché » au prix cher les quantités d’électricité qu’elle est incapable de produire. Elle achète donc de l’énergie chère, aux alentours de 300 € le MWH, pour les revendre 30 € le MWH à des entreprises qui ne font que commercialiser cette même électricité. Cette opération suicidaire va coûter, au bas mot, 8 milliards d’euros à la société publique. Elle est ainsi volontairement mise à sac, alors qu’elle doit supporter les coûts de production et l’entretien des centrales dont une importante partie est actuellement en maintenance.

Le gouvernement aurait dû prendre la même décision que le gouvernement espagnol en sortant « du marché européen » de l’électricité. S’il avait diminué la TVA à 5,5%, s’il ne s’était pas lancé, sur injonction de M. Macron, dans les aventures de l’EPR Hinkley Point au Royaume-Uni, ou dans les tribulations de la construction de celui de Flamanville, nous n’en serions pas là.

À ces difficultés financières, il faudra ajouter 12,5 milliards d’euros pour le remboursement des actionnaires minoritaires. Il est sidérant que le Président de la République n’ait dit mot de cette funeste opération durant sa campagne électorale.

Mieux, le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, a annoncé qu’il n’y aurait pas de débat au parlement sur ces lourds problèmes. L’opacité reste donc de rigueur.

La vérité est que ce projet « d’étatisation » vise deux objectifs : nationaliser les pertes, tandis que les profits seront privatisés. Et, derrière cette opération, se cache le projet destructeur de démembrement de l’entreprise en privatisant certaines entités d’EDF soumises aux imbéciles règles de la « concurrence » des traités européens et des « directives énergie ».

Le pouvoir sait que ce sera la demande des eurocrates bruxellois, gardiens des Tables de la loi des requins de la finance, qui voit l’énergie - dans le contexte géopolitique actuel ! - non pas comme un bien commun, mais comme une formidable source de profit.

Déjà, une guerre économique est engagée entre Américains, Français et Russes pour le marché de l’électricité en Ukraine et pour vendre électricité et armements nucléaires à des pays du golfe.

Ceux et celles qui pourraient douter de notre bonne foi peuvent se référer utilement aux manigances du président de la République, qui un jour vend une partie d’Alsthom aux Américains, puis un autre jour la rachète à General Electric quand il ne crée pas les conditions pour faciliter le développement du groupe Uber sur le territoire national, avec sa terrible surexploitation du travail.

EDF n’est pas une entreprise d’État. C’est un service public pour fournir, dans des conditions abordables, un bien de première nécessité aux populations et à la nation.

Le pouvoir doit s’expliquer et rendre des comptes. S’agissant de tels enjeux, le Parlement doit être saisi, une commission d’enquête parlementaire doit pouvoir faire la clarté sur la situation d’EDF. Un débat public associant salariés de l’entreprise, usagers, élus, entreprises, collectivités territoriales doit avoir lieu. Il est grand temps que les salariés puissent être parties prenantes des choix d’EDF. Le pouvoir doit cesser de chercher des boucs émissaires et de culpabiliser les salariés et les cadres de l’entreprise. Il doit répondre de ses actes et enfin travailler à l’élaboration, avec les salariés et les citoyens, d’un projet neuf de sécurité et de souveraineté énergétiques respectueuses, des normes environnementales et de protection du climat.

 publié le 14 juillet 2022

Le rideau de fumée de l’étatisation pour cacher la privatisation

Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr

Contrairement aux apparences, l’étatisation de l’entreprise publique Électricité de France n’est pas une bonne nouvelle. De considérables enjeux rôdent autour de cette annonce, alors que la crise énergétique prend chaque jour un peu plus d’ampleur. La peur d’une grande panne cet hiver se répand dans les entreprises. Des rationnements sont même envisagés pour les particuliers. EDF est au bord de l’effondrement financier. Sa notation par les agences liées aux marchés financiers et aux bourses a frôlé la chute libre.

En cause ? Les abyssales pertes de l’entreprise pourraient avoisiner des sommes astronomiques, entre 10 à 15 milliards d’euros. L’endettement du groupe fait un bond saisissant en passant de 40 milliards d’euros en 2021 à 70 milliards cette fin d’année. Pourquoi ces chiffres sont-ils cachés, y compris dans le discours de politique générale de la première ministre ?

Cette situation préoccupante ne tombe pas du ciel.

Il faut en rechercher les causes dans les décisions dogmatiques de la Commission européenne et des gouvernements successifs qui les ont appuyé en déréglementant le « marché de l’énergie » au bénéfice de fournisseurs « alternatifs » qui ne produisent pas le début d’un kilowatt d’électricité.

Au nom d’un bouclier énergétique, le gouvernement a en effet imposé à EDF d’augmenter ses volumes d’électricité nucléaire vendue à ses concurrents en l’obligeant à acheter sur « le marché » au prix cher les quantités d’électricité qu’elle est incapable de produire. Elle achète donc de l’énergie chère, aux alentours de 300 € le MWH, pour les revendre 30 € le MWH à des entreprises qui ne font que commercialiser cette même électricité. Cette opération suicidaire va coûter, au bas mot, 8 milliards d’euros à la société publique. Elle est ainsi volontairement mise à sac, alors qu’elle doit supporter les coûts de production et l’entretien des centrales dont une importante partie est actuellement en maintenance.

Le gouvernement aurait dû prendre la même décision que le gouvernement espagnol en sortant « du marché européen » de l’électricité. S’il avait diminué la TVA à 5,5%, s’il ne s’était pas lancé, sur injonction de M. Macron, dans les aventures de l’EPR Hinkley Point au Royaume Uni, ou dans les tribulations de la construction de celui de Flamanville, nous n’en serions pas là.

À ces difficultés financières, il faudra ajouter 12,5 milliards d’euros pour le remboursement des actionnaires minoritaires. Il est sidérant que le président de la République n’ai dit mot de cette funeste opération durant sa campagne électorale.

Mieux, le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, a annoncé qu’il n’y aurait pas de débat au parlement sur ces lourds problèmes. L’opacité reste donc de rigueur.

La vérité est que ce projet « d’étatisation » vise deux objectifs : nationaliser les pertes, tandis que les profits seront privatisés. Et, derrière cette opération, se cache le  projet destructeur de démembrement de l’entreprise en privatisant certaines entités d’EDF soumises aux imbéciles règles de la « concurrence » des traités européens et des « directives énergie ».

Le pouvoir sait que ce sera la demande des eurocrates bruxellois, gardiens des tables de la loi des requins de la finance, qui voit l’énergie - dans le contexte géopolitique actuel ! - non pas comme un bien commun mais comme une formidable source de profit.

Déjà, une guerre économique est engagée entre américains, français et russes pour le marché de l’électricité en Ukraine et pour vendre électricité et armements nucléaires à des pays du golfe.

Ceux et celles qui pourraient douter de notre bonne foi  peuvent se référer utilement aux manigances du président de la République, qui un jour vend une partie d’Alsthom aux américains, puis un autre jour la rachète à Général Electric quand il ne crée pas les conditions pour faciliter le développement du groupe Uber sur le territoire national, avec sa terrible surexploitation du travail.

EDF, n’est pas une entreprise d’État. C’est un service public pour fournir, dans des conditions abordables, un bien de première nécessité aux populations et à la nation.

Le pouvoir doit s’expliquer et rendre des comptes. S’agissant de tels enjeux, le Parlement doit être saisi, une commission d’enquête parlementaire doit pouvoir faire la clarté sur la situation d’EDF. Un débat public associant salariés de l’entreprise, usagers, élus, entreprises, collectivités territoriales doit avoir lieu. Il est grand temps que les salariés puissent être parties prenantes des choix d’EDF. Le pouvoir doit cesser de chercher des boucs émissaires et de culpabiliser les salariés et les cadres de l’entreprise. Il doit répondre de ses actes et enfin travailler à l’élaboration, avec les salariés et les citoyens, d’un projet neuf de sécurité et de souveraineté énergétiques respectueuse, des normes environnementales et de protection du climat.


 


 

EDF : ce que pourrait être une « nationalisation » version Macron

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Économie n’a pas écarté l’option, mardi 15 février. Derrière le mot, c’est le retour du démantèlement du groupe public qui se joue. Explications

Non, Bruno Le Maire n’a pas lancé un simple ballon d’essai. En refusant d’écarter, ce mardi, l’option d’une nationali­sation d’EDF, le ministre de l’Économie a défloré un véritable projet politique : remettre sans en avoir l’air le projet Hercule – tenu en échec grâce à la mobilisation sociale – sur la table.

Un plan en deux actes, résume Jacky Chorin, délégué fédéral FO, membre du Conseil supérieur de l’énergie :

  • « Acte I : mettre EDF en grande difficulté. » C’est chose faite depuis que l’État, pour contrecarrer l’explosion des factures sur fond d’augmentation incontrôlée des prix du marché de gros, a exigé de l’opérateur public qu’il augmente de 20 % le volume d’électricité nucléaire vendu à perte à ses concurrents privés (Arenh). Le trou dans la caisse de l’entreprise publique est chiffré à 8 milliards d’euros.

  • « Acte II, poursuit le syndicaliste, réparer cette prédation en augmentant le capital d’EDF. » Et c’est là le détail dans lequel le diable se niche. Car tout dépend de la stratégie que le gouver­nement décidera in fine d’adopter pour renflouer les caisses de l’énergéticien, qu’il a donc lui-même contribué à affaiblir.

Deux scénarios de recapitalisation

« Si cette recapitalisation intervient dans le cadre d’une nationalisation (moyennant 5 milliards d’euros pour racheter toutes les actions – NDLR), c’est-à-dire uniquement avec des deniers publics, la Commission européenne sera saisie. Elle devra donner son avis et exigera de l’État français des contreparties », explique Jacky Chorin.

En revanche, si l’opération, comme ce fut le cas en 2016, se fait avec l’apport de capitaux privés, mêmes très minoritaires, Bruxelles n’aura pas son mot à dire. Les organisations syndicales sont formelles : c’est bien le premier scénario qui aurait la préférence de Bercy. « Cela va parfaitement dans le sens de ce que ce gouvernement envisage pour l’avenir d’EDF, relève Jacky Chorin, le démanteler pour en faire un acteur public du nucléaire. Et c’est tout. »

Les contreparties que pourrait exiger la Commission européenne

Au chapitre des contreparties qui seraient le cas échéant exigées par la Commission européenne, Sébastien Menesplier, secrétaire général de la FNME-CGT, n’a guère de doutes : « Elles ne peuvent pas être autre chose que la vente des activités de réseau et de commercialisation. »

Et les « bruits de couloir » sont plus précis encore. Enedis (réseau) sortirait du giron d’EDF pour être récupéré par la Caisse des dépôts, quand les énergies renouvelables, elles, seraient mises entre les mains du groupe TotalEnergies, avancent des sources proches du dossier.

Un « Hercule 2 » qui porterait le nom d’Ulysse

De quoi déclencher l’ire des syndicats, alors même que la filiale énergie du géant pétrolier est la première bénéficiaire des nouvelles largesses de l’Arenh. S’il ne rentre pas dans le détail, Sébastien Menesplier confirme bien qu’un « nouveau lot de réformes visant à la privatisation du groupe serait sur la table à l’Élysée, à Matignon et au siège d’EDF ». Un « Hercule 2 » qui porterait le nom d’Ulysse.

Dans ce contexte, l’utilisation par Bruno Le Maire du terme de « nationalisation » n’est pas neutre et « on ne se laissera pas leurrer », affirme le syndicaliste CGT. D’ailleurs, enchaîne son homologue de FO Jacky Chorin, « si cette opération devait être le cache-sexe d’un démantèlement d’EDF, aucun syndicat ne l’acceptera ».

Un système inique autant que climaticide

D’autant que, quelle que soit l’option choisie, « on conservera un problème fondamental, affirme Sébastien Menesplier. Car faire ce type de manipulation sans sortir l’énergie du marché n’a aucun sens ». Aujourd’hui, dans le cadre du marché unique européen, « le prix de l’électricité est calé sur le dernier moyen de production mis en service et si c’est une centrale à charbon en Pologne, les tarifs explosent », rappelait il y a quelques jours Fabrice Coudour, de la FNME-CGT.

Un système inique autant que climaticide « qui a débouché, en 2021, sur un prix du mégawatt à 600 euros quand la France, grâce à son parc nucléaire, le produit en dessous de 50 euros », poursuit le cégétiste. Bruno Le Maire, s’il ne conteste pas le diagnostic, refuse bien entendu d’entendre parler du remède porté par les syndicats.

Sébastien Menesplier décrypte : « Ils veulent éclater le secteur de l’énergie, faire d’EDF ce qu’ils ont fait de la SNCF. » Contre la privatisation qui menace à nouveau, les tombeurs du projet Hercule sont prêts à retourner au combat.

 publié le 11 juillet 2022

Pour la justice, « pas de recettes miracles,
mais un chemin »

Alexandre Fache sur www.humanite.fr

Le comité des États généraux de la justice a remis, vendredi 8 juillet, son rapport au chef de l’État. Il réclame des milliers de recrutements de personnels, mais aussi une « réforme systémique de l’institution ».

C’est un épais rapport de 250 pages, annexes comprises, que le comité des Etats généraux de la justice a remis, vendredi 8 juillet, à Emmanuel Macron, en présence de la Première ministre Élisabeth Borne et du garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti. Une somme qui propose, non «  pas des recettes miracles », mais de « tracer un chemin » pour sortir l’institution de la « double crise » dans laquelle elle est plongée depuis de longues années : « crise de l’autorité judiciaire, qui touche l’ensemble des Etats de droit », et « crise, plus française, du service public de la justice, avec une explosion des ‘stocks’ et des délais pour rendre les décisions », a détaillé Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État et pilote de ces travaux menés depuis octobre 2021, par un groupe de douze personnalités. Réclamés en juin 2021 par les deux plus hauts magistrats de France, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, procureur général près la Cour de cassation, face aux accusations de lenteur et de laxisme qui visaient alors la justice, ces « états généraux » sont aussi devenus une réponse au mal-être général des magistrats et des greffiers, exprimé dans une retentissante tribune, publiée dans Le Monde, en novembre 2021.

« Oui, nous faisons écho à cette tribune. Nous avons gardé en mémoire ce que nous ont dit ses rédacteurs, quand nous les avons rencontrés, en décembre 2021. Leur honte, leur culpabilité de ne pouvoir assumer leurs missions, c’était un choc », se souvient Jean-Marc Sauvé. « Mais sur le diagnostic comme sur les propositions, on va au-delà de cette tribune », assure celui qui avait mené les travaux de la Ciase sur la pédocriminalité dans l’Église. Le comité ne met pas de côté la question des moyens, en préconisant « le recrutement a minima de 1 500 magistrats, de 2000 juristes assistants, de 2 500 à 3 000 greffiers, et de 2000 agents administratifs et techniques ». « Ces chiffres sont le résultat d’un compromis entre le souhaitable et le possible », assure Jean-Marc Sauvé. Qui prévient toutefois que ces recrutements ne suffiront pas, s’ils ne sont pas accompagnés « d’une amélioration dans la gestion et la répartition de ces ressources », gravement déficiente jusqu’ici. « Ces dernières années, on a eu beaucoup de moyens supplémentaires, et pourtant, les délais ont continué d’augmenter. C’est sans doute qu’ils n’étaient pas utilisés aux bons endroits », a relevé aussi François Molins.

La première instance ne doit pas être «un galop d’essai»

Sur le fond, le comité appelle de ses vœux une « réforme systémique de l’institution judiciaire », qui suppose de « clarifier les missions du juge », parfois sollicité de manière excessive, notamment « en matière de protection de l’enfance ». Il plaide aussi pour un « renforcement de la première instance », aujourd’hui « trop souvent perçue comme un galop d’essai », ce qui conduit à des jugements de plus en plus contestés, des procédures allongées, et des cours d’appel saturées. « À rebours de cette tendance », il réclame que l’essentiel des moyens soient dirigés vers ce premier niveau, pour y restaurer notamment « la collégialité, gage d’une justice de qualité ». L’appel ne serait plus là pour rejuger la totalité du litige, mais seulement le « réformer » en partie. Une logique valable notamment pour « la justice civile, trop souvent oubliée, alors qu’elle représente 60 % des contentieux », a insisté Chantal Arens.

Ni suppression du juge d’instruction, ni grande réforme de la carte judiciaire… Les douze « sages » du comité n’ont pas voulu se lancer dans une « révolution » judiciaire. Ils réclament en revanche une « réécriture totale du code de procédure pénale », devenu « excessivement complexe » et « illisible ». « En quelques années, il est passé de 1 700 à 2 400 pages. Il faut tout reprendre, plaide François Molins. Mais ce sera un travail de longue haleine. » Le comité appelle aussi à une « réflexion » sur la responsabilité pénale des décideurs publics. Dans ce cadre, il suggère de supprimer la Cour de Justice de la République, pour « aligner sur le droit commun les règles applicables aux membres du gouvernement ». Mais aussi, après les « 20 000 plaintes déposées » contre des ministres dans la foulée de la crise du Covid, de limiter ces poursuites aux « manquements graves et manifestes à une obligation de prudence » ou aux « violations d’une obligation de sécurité ».

Les syndicats de magistrats s’interrogent sur la suite

Sur la prison, le comité prend clairement le contrepied de la politique menée jusqu’ici par Emmanuel Macron. « Une réponse fondée uniquement sur la détention par l’enchaînement de programmes de construction d’établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate », affirme le rapport, qui veut stopper tout « nouveau programme ». Le comité rappelle aussi que la peine ne peut « se limiter à une sanction », mais doit aussi « favoriser la réinsertion de l’auteur (du crime ou délit) et réduire les risques de récidive ». Dans ce but, il propose de « limiter le recours aux courtes peines » et de « renforcer les moyens en milieu ouvert ».

A la sortie de l’Élysée, Jean-Marc Sauvé, a dit avoir eu « l’impression que le président et le gouvernement (faisaient) bon accueil à ce rapport ». Mais du « bon accueil » à la prise en compte effective, il y a un pas, voire un gouffre, parfois. « Maintenant que les constats sont partagés, il est urgent d’agir et de proposer une vraie réforme systémique de la justice. La justice doit devenir un chantier prioritaire ! » a réagi l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). Plus sévère et circonspect, le Syndicat de la Magistrature (SM) s’interroge : « Que retiendra de ce rapport un gouvernement qui n’a jusqu’à présent pas pris la mesure de la situation ? Comprendra-t-il qu’il est temps, après des décennies de négligence politique (…) de considérer la justice comme une institution indispensable à l’État de droit et un service public accessible ? » Une institution qui aura attendu trois mois supplémentaires, élections obligent, un rapport pourtant achevé dès avril dernier…

Vendredi, Emmanuel Macron a demandé au garde des Sceaux d’engager « dès le 18 juillet prochain une concertation avec l’ensemble des acteurs du monde judiciaire sur la base des conclusions du rapport », a indiqué l’Élysée. Jean-Marc Sauvé, lui, veut y croire : « La question des moyens n’avait jamais été mise ainsi sur le dessus de la pile. Certes, ça ne sera pas le dernier rapport sur la justice. Mais il peut aider. »


 


 

Les Etats généraux
de la Justice,
des conclusions inattendues

Communiqué LDH sur https://www.ldh-france.org

La LDH (Ligue des droits de l’Homme), dans sa contribution aux Etats généraux de la justice, avait exprimé ses doutes quant à la méthode employée par le Garde des Sceaux pour réformer la justice : décision verticale de la chancellerie, qui n’avait été précédée d’aucune véritable concertation des professionnels de terrain, et qui était accompagnée de questionnaires très orientés par le ministère sur le site « Parlons justice » préemptant les futures conclusions des Etats généraux, qui faisait aussi l’impasse sur une des causes d’engorgement des juridictions, liée à la tendance lourde autant inefficace qu’injuste de multiplication des délits, d’alourdissement des peines par la création de circonstances aggravantes et de judiciarisation de la vie sociale.

Ainsi se profilait une justice à l’américaine, dans laquelle le juge n’intervenait que dans très peu d’affaires, faisant la part belle aux médiations entre parties et au « plaider coupable ».

Les conclusions des Etats généraux s’opposent à ces orientations mortifères pour le service public de la justice.

Alors que le monde judiciaire souffre de désespérance collective, les mobilisations des magistrats, des greffiers et des avocats en novembre 2021 ont transformé l’exercice convenu des Etats généraux en une réflexion obligée sur les difficultés insolubles des justiciables et des professionnels de la justice.

Ce rapport conclusif des Etats généraux a au moins intégré leur message :

« Nous ne voulons pas d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout », titre d’une tribune écrite après le suicide d’une magistrate de 29 ans.

Il souligne notamment le danger des évolutions sécuritaires de ces vingt dernières années, du pouvoir excessif du parquet (et donc la mainmise de l’exécutif sur la justice), de la disparition de la collégialité des juges, de la déjudiciarisation et de la défaillance de l’aide sociale à l’enfance dans l’assistance des mineurs en danger.

Il propose de « créer un volant global d’au moins 1 500 postes de magistrats du siège et du parquet dans les cinq années à venir » et 3000 postes de greffiers, ce qui est certes loin du compte (il faudrait doubler le nombre de magistrats et de greffiers pour atteindre le niveau de l’Allemagne), mais permettrait déjà de rendre une justice plus rapide et plus respectueuse des citoyennes et des citoyens.

Le rapport final des Etats généraux de la justice prône aussi la suppression de la cour de justice de la République afin que les ministres ne soient plus jugés par leurs pairs, avec la complaisance qu’on connaît, et que l’égalité de toutes et tous devant la justice soit rétablie.

La LDH regrette cependant la proposition de suppression de certains conseils de Prud’hommes et le quasi-remplacement des magistrats par les greffiers, ainsi que la tendance à la barémisation des contentieux, au détriment d’une évaluation individualisée par le juge. La réduction de la voie d’appel est également inquiétante, car le volume d’affaires en appel, que cette préconisation veut diminuer, tient aussi à la qualité moindre des jugements, en lien avec le manque de juges.

La LDH regrette aussi que ce rapport ne réaffirme pas un principe cardinal : la justice n’est pas « le problème de la police », comme le clament certains syndicats de policiers, elle en est la principale autorité de contrôle puisqu’elle garantit les libertés individuelles des citoyennes et citoyens.

Elle réaffirme la nécessité de disposer d’un parquet dont la nomination ne dépende plus de l’exécutif, mais du Conseil supérieur de la magistrature, comme le réclament les syndicats de magistrats, afin de briser la chaîne hiérarchique entre les procureurs et le Garde des Sceaux.

La LDH demande que cesse la surpopulation carcérale, dénoncée par toutes les institutions de défense des droits, et que des alternatives efficaces à la prison soient enfin encouragées par le renforcement significatif des moyens des services pénitentiaires de milieu ouvert.

La LDH attend du Garde des Sceaux qu’il mette en pratique la plupart des conclusions des Etats généraux de la justice, certes insuffisantes, mais qui rompent nettement avec les orientations sécuritaires et de destruction du service public de la justice à l’œuvre depuis 5 ans.

Paris, le 8 juillet 2022

 publié le 4 juillet 2022

Covid : face à la septième vague, les 7 questions qui fâchent

Rozenn Le Saint sur www.mediapart.fr

Risques de réinfections, protections, efficacité des vaccins actuels et attendus, avenir de la pandémie… Nos réponses pour s’y retrouver face à cette nouvelle vague de Covid-19

Les fêtes estivales éloignent de nos esprits la pandémie, qui les a déjà monopolisés depuis près de deux ans et demi. Les masques tolérés depuis des mois semblent devenus insupportables. La première ministre, Élisabeth Borne, les a simplement « recommandés [...] dans les lieux de promiscuité » et « espaces clos », en particulier « les transports en commun », mardi 28 juin.

Pourtant, ce même jour, la France a enregistré près de 150 000 cas positifs au Sars-CoV-2, selon Santé publique France. La barre symbolique des 100 000 tests positifs quotidiens n’avait pas été dépassée depuis plus de deux mois. Elle avait été franchie pour la toute première fois en décembre 2021.

Après avoir créé la panique générale, Omicron a changé la face de l’épidémie. Davantage contagieux mais moins grave, il a eu tendance à rassurer. Sauf que le virus continue de muter. Le sous-lignage d’Omicron BA.1 porte la responsabilité de la vague de l’hiver dernier. Son cousin BA.5, celle de l’actuelle : pas assez différent pour être qualifié de nouveau variant, l’est-il suffisamment pour changer la donne ? Nos réponses aux questions que l’on aurait vraiment voulu ne plus se poser. 

Faut-il remettre le masque ?

La meilleure façon de se protéger d’une infection dans les espaces fermés demeure le bon vieux masque. « Avec le sous-lignage BA.5 dOmicron, les personnes infectées voient apparaître des symptômes dans les deux, trois jours maximum. Cela signifie que le virus se développe très vite dans le nez et est très transmissible avant que les symptômes napparaissent. Cest un des facteurs de diffusion très fort de l’épidémie. Doù limportance de porter les masques dans les lieux clos bondés comme les transports et daérer », recommande Bruno Canard, virologue et directeur de recherche CNRS (Aix-Marseille).

Pourquoi une contamination récente ne protège-t-elle pas d’une nouvelle ? 

Les récidivistes du Sars-CoV-2 sont-ils des exceptions ou la nouvelle règle avec Omicron ? « Nous pensions quavec la grosse vague Omicron, version BA.1, limmunité offerte par linfection couplée à celle donnée par la vaccination seraient suffisantes pour contrer les vagues à venir. La mauvaise surprise dOmicron est que limmunité conférée par linfection est faible et ne permet pas de contrecarrer ses autres sous-lignages », explique le spécialiste des coronavirus. Le réflexe des personnes détectées positives de se dire « au moins, c’est fait » n’a plus lieu d’être.

Pour simplifier le message face à la complexité des schémas vaccinaux et détailler la validité du passe vaccinal, en février 2022, l’ancien ministre de la santé, Olivier Véran, avait tendance à dire qu’une infection égalait une injection. Il faut oublier ce mantra. « Les anticorps donnés par une infection naturelle noffrent pas une protection aussi efficace quun rappel », estime Bruno Canard.

À quoi bon une dose de rappel de vaccin ?

Les vaccins créés à partir de la souche originelle sont-ils toujours efficaces en 2022 ? Très peu face à la transmission. « Avec un schéma vaccinal complet, l’efficacité du blocage de la transmission face à Omicron est de l’ordre de 30 % alors qu’il tournait autour de 75 % auparavant », explique Brigitte Autran, membre du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale.

D’autant plus que, « avec le temps, l’immunité baisse. Des gens qui ont contracté Omicron en début d’année peuvent être de nouveau infectés. Mais même si le rappel protège peu contre l’infection, il prémunit des formes sévères », assure Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat à Paris.

Le rappel empêche-t-il de tomber gravement malade ?

Le nombre de morts du Covid-19 dans le monde aurait été réduit de plus de 60 % en 2021 grâce à la vaccination, selon une étude de l’Imperial College London, publiée dans The Lancet Infectious Diseases. Et malgré un nombre d’infections considérable aujourd’hui, celui des hospitalisations liées au Covid-19 demeure largement moindre qu’à l’arrivée d’Omicron.

« À l’hôpital, cela n’a rien à voir avec les vagues précédentes, même celle que l’on a connue en début d’année. Les patients sont toujours des personnes âgées et immunodéprimées, qui perdent leur immunité plus rapidement, rapporte Yazdan Yazdanpanah. Il y en aurait encore moins si davantage de plus de 60 ans recevaient leur deuxième dose de rappel. »

Moins de 30 % de cette classe d’âge, éligible à une deuxième piqûre de rappel, l’a effectuée. Pourtant, « le rappel protège de façon très prolongée des cas graves, d’au moins 18 mois, le recul dont nous disposons », affirme Brigitte Autran, professeure d’immunologie à la faculté de médecine de Sorbonne Université.

Pourquoi ne dispose-t-on pas déjà de vaccins adaptés à Omicron ?

Les patrons des deux principaux producteurs de vaccins à ARN messager, Moderna et Pfizer-BioNTech, avaient annoncé plancher sur de nouveaux produits spécialement adaptés à Omicron dès le début d’année, et être capables d’en fabriquer en un temps record. D’abord attendus au printemps, puis à l’été, les vaccins nouvelle génération devraient arriver sur le marché à l’automne.

« Les industriels se sont visiblement rendu compte que sils produisaient rapidement des vaccins uniquement adaptés à Omicron comme ils l’envisageaient initialement, et donc sur la base de BA.1, ils pourraient n’être que peu efficaces puisque les sous-lignages qui apparaissent les déjoueraient. Cela a considérablement ralenti la mise à disposition d’un vaccin contre Omicron », décrypte Bruno Canard. 

Qu’attendre des vaccins prévus pour l’automne ?

Inévitablement, les fabricants ont toujours un train de retard par rapport aux variants en circulation. Brigitte Autran a participé aux réunions de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour réfléchir à la combinaison la plus efficace. « Nous ne savons pas quel variant va surgir à lautomne et Omicron est très éloigné des souches précédentes. Lavantage d’un vaccin bivalent est de couvrir la totalité des variants que lon connaît », explique-t-elle.

Des vaccins à deux cibles produits à partir de la souche originelle de Wuhan et d’Omicron sortiront des chaînes de Pfizer-BioNTech et de Moderna. « Nous disposerons dun vaccin qui nous protégera de façon raisonnable contre tous les variants que lon avait avant Omicron et également contre Omicron, version BA.1, mais cela sera suffisant pour prévenir les formes graves », argue Brigitte Autran.

Les données de Moderna publiées le 25 juin, mais pas encore revues par des pairs, montrent que son futur vaccin bivalent créé à partir de la souche de Wuhan et d’Omicron version BA.1 est efficace, même s’il l’est un peu moins sur BA.5. Pour pallier l’imperfection des futurs vaccins, « il faudra probablement compter sur des traitements antiviraux en complément de la vaccination, comme le Paxlovid de Pfizer et dautres en cours de développement », considère le virologue Bruno Canard. 

Faut-il s’inquiéter des futurs variants ?

On ne le sait pas. « Nous ne sommes pas à labri de voir apparaître un variant qui provoquerait des formes plus sévères », estime Bruno Canard. « Il est probable que l’on se dirige vers une atténuation du Covid-19 avec une forme de gravité qui demeurera pour les personnes fragiles. L’histoire suggère que les variants deviennent davantage contagieux mais moins graves. Néanmoins, on ne peut présumer de rien », rappelle prudemment Brigitte Autran.

En tout cas, des variants préoccupants peuvent émerger depuis toutes les parties du monde où le virus circule beaucoup. Et ce, qu’il s’agisse de pays très vaccinés ou non, puisque les piqûres actuelles sont peu efficaces face à la transmission du variant dominant.

publié le 1° juillet 2022

Hôpitaux : Elisabeth Borne officialise des urgences
en mode dégradé

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

La cheffe du gouvernement a repris ce vendredi à son compte toutes les mesures préconisées dans un rapport qui prône pourtant toute une organisation afin de bloquer l'accès direct des usagers aux soins d'urgence.

Voilà qui augure mal de la suite de son mandat. Pour l'une de ses premières décisions prises de Matignon, Elisabeth Borne a annoncé ce vendredi qu'elle retenait "bien toutes les propositions" de la mission flash conduite par le Dr François Braun. Le président de Samu-Urgences de France avait été mandaté par Emmanuel Macron il y a un mois pour trouver des solutions en vue d'éviter l’effondrement des services d’urgences cet été. Or, le document de 60 pages rendu jeudi présente une "boîte à outils" qui  s’apparente plutôt à une boîte de pansements à disposer sur les plaies béantes de services d’urgence.

Les préconisations relèvent toutes du court terme et visent à « réguler les admissions », en coupant le flux des malades en amont via « un triage paramédical » à l’entrée des urgences, ou par une « régulation médicale préalable systématique », via le standard téléphonique du Samu. Pour ce faire, les effectifs d’assistants de régulation médicale (ARM) seraient « remis à niveau » afin d’absorber la hausse à prévoir des appels au 15.

Dans ce système, seules les « urgences vitales » auraient accès à des services, qui pourraient même organiser la pénurie en suspendant partiellement leurs activités la nuit en mutualisant « les moyens de plusieurs services sur un seul site ». Cette réduction drastique de l’accès des usagers à ces soins de base s’accompagnerait d’une grande campagne d’information dont le slogan pourrait être « avant de vous déplacer, appelez ».

Aucune obligation pour les médecins libéraux

Les personnels participant à cette attrition des moyens se verraient récompensés financièrement. Petitement pour les personnels hospitaliers, avec une revalorisation du travail de nuit et des ponts du 14 juillet et du 15 août, ainsi qu’une prime pour les équipes des urgences psychiatriques, pédiatriques et gynécologiques. Un peu plus pour les médecins libéraux participant à la régulation (à hauteur de 100 euros brut de l’heure «défiscalisés») et en consultation (avec une majoration de 15 euros par acte demandé par le Samu), la médecine de ville ne se voyant pas soumise à une obligation de garde individuelle.

La mission flash répond ainsi a minima aux demandes de « régulation territoriale » et d’information et de sensibilisation de « la population sur le bon usage des services d’urgences hospitaliers et sur le recours aux soins non programmé » que revendiquaient il y a une semaine une vingtaine de syndicats de médecins signataires d’une tribune ( https://www.ufml-syndicat.org/les-medecins-tous-unis-pour-repondre-au-defi-de-la-crise-du-systeme-de-sante-communique-commun-des-syndicats-27-juin-2022/). Mais même l’un de ses initiateurs, le président du syndicat UFML n’y trouve que moyennement son compte. Jérôme Marty, note « des propositions qui vont dans le bon sens », mais regrette aussi « des vœux pieux en l’absence d’effecteurs », soit de nouvelles capacités d’accueil pour répondre aux besoins des malades.

« Remise en cause du libre accès aux soins »

Atterrée par les 41 préconisations, la CGT Santé dénonce ce rapport qui « propose d’officialiser tous les fonctionnements en mode dégradé qui se sont multipliés ces dernières semaines aux urgences : fermetures totales ou partielles, filtrage, consignes aux patients de ne pas venir. Pour la première fois, dans un document officiel, le tri des patients est ouvertement préconisé (…). La fermeture de service est présentée comme un nouveau mode de fonctionnement usuel des établissements. (…). La généralisation de fonctionnement en mode dégradé, sans médecin est aussi préconisée. Il s’agit par exemple de remplacer les médecins urgentistes SMUR par un binôme infirmier ambulancier. » Le syndicat est d’autant plus en colère que « ces mesures mettent en danger la population, les personnels et aboutissent à la remise en cause du libre accès aux soins et à de nouvelles réductions des capacités à soigner la population ».

Pour l’Association des médecins urgentistes de France, ce rapport ne poursuit qu’un objectif : « Cacher le vrai problème qui n’est pas un «afflux» de patients aux urgences mais bien le manque de lits pour les 20 % de patients qu’il faut hospitaliser. Les difficultés et la charge de travail dans les services ne sont pas liées aux patients qui viennent sur leurs deux jambes et qui repartent sur leurs deux jambes, mais bien aux plus graves qui attendent des heures, parfois des jours, sur des brancards qu’un lit se libère. Nous payons là la politique de fermeture massive de lits qui s’est traduite par la suppression de 100 000 lits en 25 ans. (https://www.humanite.fr/societe/hopital/en-france-99-des-hopitaux-public...)  »

Pour l’AMUF, « le plus grave est l’abandon de la population à qui personne n’a demandé son avis. Or celle-ci est légitimement en colère. Non seulement elle a des difficultés pour trouver un médecin traitant, mais l’accès aux spécialistes est de plus en plus difficile et est de généralement conditionnée au paiement d’importants dépassements d’honoraires et maintenant on ferme les derniers services ouverts 24 heures sur 24 qui permettaient encore de pouvoir se faire soigner. Pour être clair, ce qui est scandaleux est que la recherche de soi-disant «solutions» a été confiée à des médecins et des organisations très proches du gouvernement qui ne sont là que pour valider une dégradation du service public sous couvert d’un « consensus professionnel ».

Version imprimable | Plan du site
© pcf cellule st Georges d'Orques