PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

Économie – capitalisme de janvier à sept. 2021

 

publié le 29 septembre 2021

Mal-être et agents désenchantés :

crise de sens dans le service public 

Par Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Des milliers de fonctionnaires et contractuels ont répondu à une enquête révélant une perte de sens de leur travail et de leurs missions. Plus de de 3 000 d’entre eux ont rédigé un témoignage. Des récits éclairants sur l’état, mal en point, des troupes du service public.

Parfois, un seul mot suffit pour résumer son état d’esprit. « Désabusée », lâche ainsi une enseignante, pour décrire la perte de sens de son travail. « Lassitude », synthétise un soignant. D’autres sont plus prolixes, comme ce cadre du ministère du travail, qui rêve d’efficience : « C’est quand même souvent le foutoir et les sujets [d’organisation] sont souvent vus comme secondaires […]. L’action de l’État serait plus efficace si on réfléchissait un peu avant d’agir ! »

Ces témoignages ont été déposés dans le cadre d’une enquête du collectif Nos services publics. Fonctionnaires et contractuels ont été interrogés, entre avril et août 2021, « sur le sens et la perte de sens de leur travail ». 4 555 agents ont répondu. Plus de 3 000 ont rédigé un témoignage et accepté, dans leur majorité, que ces récits soient rendus publics et compilés dans un fichier.

Parcourir ce document provoque un léger vertige. On y lit l’absurdité de certaines tâches ou injonctions du quotidien, la lourdeur de la hiérarchie, la détresse, la souffrance et, parfois, la violence du management. « J’ai subi une mise au placard durant trois ans. Je ne savais plus pourquoi je me levais », raconte un anonyme. Un autre dépeint « la face cachée et sordide » de la direction générale d’une collectivité territoriale et développe : « Une fois entré dans ce cercle très fermé, j’ai réalisé combien le pouvoir était concentré dans une poignée d’individus dont l’ambition n’avait rien à voir avec l’intérêt général. J’ai pu appréhender leur soif de carriérisme, le déni de leur désintérêt pour le bien commun […]. »

Les résultats de cette enquête révèlent « un mal-être profond », souligne le collectif. 80 % des répondants déclarent être confrontés « régulièrement ou très fréquemment à un sentiment d’absurdité dans l’exercice de leur travail ». Ils déplorent une perte de sens qui égratigne leur engagement. Plus de deux tiers des sondés (68 %) déclarent en effet avoir rejoint le service public « pour servir l’intérêt général ». Aujourd’hui, ils en sont déçus.

En toute transparence, les auteurs de l’enquête concèdent quelques biais. Et en premier lieu, un panel non représentatif de l’ensemble des agents français. Ceux de catégorie A sont ainsi surreprésentés (60 %) dans le sondage par rapport aux catégories B et C. Les contractuels, eux, représentent 12 % de l’échantillon. Le collectif estime toutefois que le volume de réponses et la concordance des témoignages demeurent significatifs. Et que le mal-être fait peu de doutes.

Les difficultés citées battent en brèche certains préjugés. La carrière et la rémunération arrivent loin derrière le manque de moyens, premier motif de désenchantement. Selon le collectif, ce motif est particulièrement marqué dans les secteurs de la justice, de l’Éducation nationale et de la santé. « L’hôpital public est devenu un endroit où l’on ne soigne plus les gens, raconte un infirmier en psychiatrie. Les patients sont des chiffres qu’il faut vite faire sortir [pour que] d’autres prennent leur place pour faire plus de chiffre. Moi, je suis là pour faire du soin, faire du bien aux malades, pas pour les réexpédier chez eux, presque aussi mal qu’à leur arrivée. »

Parmi les problèmes rencontrés, les répondants citent en tout premier lieu ceux qui limitent l’accomplissement de leur mission.

Stéphanie, professeure des écoles, résume sa vision, côté Éducation nationale : « faire toujours plus avec de moins en moins de moyens », tandis qu’un autre enseignant déplore de devoir « être rentable ». Les réformes successives au sein de l’Éducation nationale sont maintes fois citées comme un motif de perte de sens... et de boussole. « Faire et défaire selon les orientations du ministre en poste », cingle une prof. Jean-Michel Blanquer est d’ailleurs nommé près de trente fois comme étant la source du problème.

Un de mes supérieurs m’a dit : “J’assume la baisse de qualité du service”.

Manque de moyens, manque de temps et parfois... manque d’humanité. L’expression revient à maintes reprises, dans les milliers de témoignages. « Je n’ai plus le temps d’être à l’écoute des personnes, alors qu’il s’agit du cœur de mon métier », déplore une assistante sociale qui s’indigne de devoir « mettre des familles dans des cases » par souci de « rentabilité ». Une conseillère emploi-formation, elle, dénonce « une instruction des demandes de RSA dématérialisée et sans prise en compte de l’individu et de ses besoins spécifiques ».

D’autres motifs de désillusion « s’entrecroisent régulièrement », selon le collectif à l’origine de l’enquête. Parmi eux, les lourdes et interminables procédures, « ces formulaires administratifs sans fin et qui ne seront jamais lus » ou les petites – mais agaçantes et répétées – absurdités : « Des palettes livrées au rez-de-chaussée alors qu’elles sont stockées au sous-sol. »

Les témoignages révèlent aussi l’impression « de servir un intérêt particulier plus que l’intérêt général », allant de pair avec une hiérarchie régulièrement jugée hors sol. « Ce qui importe pour mes supérieurs, c’est le paraître, la communication et leur carrière », raconte un bibliothécaire, qui décrit le moment précis où sa mission a perdu tout son sens : « Un de mes supérieurs m’a dit : “J’assume la baisse de qualité du service.” »

Quant à ceux qui se décrivent comme « la base », ils regrettent de n’avoir que rarement leur mot à dire : « Tout descend d’en haut, on n’écoute plus les gens de terrain », pointe Olivier, adjoint gestionnaire dans l’Éducation nationale.

Le « sentiment d’absurdité » dépeint par 80 % des répondants « croît légèrement avec l’âge des enquêtés », soulignent les auteurs du sondage. En clair : plus ils sont âgés – et expérimentés –, plus les agents sont désappointés. Un inspecteur des affaires sociales dépeint ainsi « une lente impression [d’être] transformé au fil des années en simple contrôleur de gestion, dont l’unique objectif serait de faire remonter des chiffres sur des réformes prioritaires conduites en nombre ». Il déplore que « la tutelle/le cabinet ne s’engage [jamais] en retour à tenir des discussions sur des problématiques de long terme et sur les moyens pour y faire face ».

Seule petite lueur d’espoir dans cet océan de désillusions et de paperasse, le service de l’intérêt général et l’intérêt pour la mission restent, selon le sondage, les premiers motifs évoqués par les agents pour rester en poste. « Je rêve de construire un service public à partir [des habitants] et avec les habitants », témoigne ainsi Vanessa, employée de mairie. Malgré ses critiques sur « la recherche de l’optimisation », elle confie un autre sentiment, celui « de ne pas servir à rien, pour [s]on territoire ».


 

 

 

publié le 28 septembre 2021

« Du côté des politiques, plus grand-monde n’ose aborder la question du logement, pourtant fondamentale »

par Maïa Courtoissur www.bastamag.net

Encadrement des loyers, logement social, rénovation... Alors que les confinements ont mis en exergue les inégalités de logement, Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, convoque ces enjeux historiques à l’approche des présidentielles.

Basta ! : Les expulsions locatives ont repris cet été. Près de 30 000 ménages sont menacés. Quelles conséquences de la crise sanitaire observez-vous sur la difficulté de se maintenir dans le logement ?

Manuel Domergue [1] : Les conséquences sociales sont encore à déterminer, dans la mesure où la crise sanitaire n’est pas finie. Pour l’instant, les victimes sociales de cette crise sont essentiellement les personnes déjà fragilisées, qui avaient du mal à payer leur loyer. La crise leur a maintenu la tête sous l’eau : elles ont eu plus de mal à trouver des arrangements avec leurs bailleurs, à commencer à régler leurs dettes, et à sortir des procédures d’expulsion par le haut. Dans les mois qui viennent, peut-être y aura-t-il davantage de nouveaux pauvres : certaines entreprises qui se maintiennent encore grâce aux aides publiques pourraient couler... Dans toutes les crises, les conséquences sociales s’observent sur le long terme ; et il faut parfois des années avant que cela se transforme en expulsions locatives. Entre la perte d’emploi, puis la fin de droits, et enfin le moment où les ménages n’arrivent plus à payer leurs loyers, il s’écoule toujours des mois, voire des années. Ceci étant, au vu des files d’attente pour les distributions alimentaires, il y a déjà de la casse sociale.

Le gouvernement a annoncé le maintien de 43 000 places d’hébergement d’urgence, même hors période hivernale, et ce jusqu’en mars 2022. La ministre du logement Emmanuelle Wargon vient d’annoncer, le 6 septembre, un travail autour d’une loi de programmation pluriannuelle des places d’hébergement. Assiste-t-on à une rupture avec la traditionnelle gestion au thermomètre ?

Chaque année, jusqu’à la fin de la période hivernale, on ne sait pas si les places d’hébergement seront pérennisées : cela créé de l’incertitude pour les personnes. Cette annonce ministérielle, en visant à pérenniser des places, relève d’une bonne orientation. Mais elle n’engage pas à grand-chose. D’abord, ce n’est que l’acceptation de travailler ensemble sur le sujet. Ensuite, elle arrive en fin de mandat [2], alors que tout l’intérêt d’une loi de programmation pluriannuelle est d’être établie en début de quinquennat. Par ailleurs, il y a une limite au maintien des places : il n’équivaut pas au maintien des personnes. Il peut y avoir du turn-over, des remises à la rue pour faire entrer d’autres personnes : nous n’avons pas de garantie que la continuité de l’hébergement soit respectée. Par-dessus tout, l’objectif n’est pas de laisser les personnes pendant des mois dans de l’hébergement précaire, des hôtels parfois surpeuplés, où enfants et parents dorment dans le même lit, en périphérie des villes... On peut se féliciter que les personnes ne soient pas à la rue, mais on ne peut pas s’en contenter. Cela ne respecte pas l’ambition affichée par la politique du Logement d’Abord [le programme social lancé par Emmanuel Macron après son élection, qui vise à reloger les personnes sans domicile, ndlr]. Dans l’idéal, il faudrait une loi qui planifie les dépenses de l’État sur le logement social et le Logement d’Abord.

Justement, à moins d’un an de la fin du quinquennat, quel bilan faites-vous du plan Logement d’Abord ? Lancé par ce gouvernement, il visait précisément à mettre fin aux parcours sinueux dans l’hébergement pour favoriser l’accès direct au logement.

Le bilan est assez critique. Sur le papier, c’était à saluer : beaucoup de mesures reprenaient les préconisations des associations, deux appels à manifestation d’intérêt en 2018 et 2020 ont permis à 46 collectivités de s’approprier cette politique. Un consensus s’est créé. Chaque année, ​​davantage de ménages sortent de leur situation de sans-domicile pour aller vers un logement pérenne. Mais il y a des signaux contradictoires. Dans la plupart des collectivités engagées, on a augmenté un peu les objectifs de logements très sociaux, créé une ou deux pensions de famille... On reste dans une dimension expérimentale, marginale. Quant au gouvernement, il n’a pas du tout mis les moyens à la hauteur de son plan. Ceux-ci ont été cannibalisés par l’hébergement d’urgence, à l’opposé des objectifs du Logement d’Abord. Surtout, ce gouvernement a coupé dans les politiques traditionnelles servant à faire du Logement d’Abord – même lorsque cela ne s’appelait pas encore ainsi. C’est très paradoxal de demander aux bailleurs sociaux d’accueillir les ménages qui viennent de la rue, d’éviter les expulsions, tout en leur coupant les vivres. Cela a été le cas avec la réforme des APL, ou encore avec le dispositif de réduction du loyer de solidarité – une ponction de 1,3 milliard par an. Alors que les bailleurs sociaux devraient être les acteurs principaux du Logement d’Abord…

Aujourd’hui, comment décririez-vous la santé financière des bailleurs sociaux ?

Avant le début du quinquennat, ils étaient plutôt en bonne santé financière. Et heureusement, car on en a besoin ! Cette bonne santé financière ne se traduit pas par des dividendes ou des stock-options, puisque ce sont des acteurs à but non lucratif, ou à la lucrativité très encadrée. Depuis quinze ans, celle-ci leur a permis de faire de la rénovation urbaine, de doubler la production HLM, d’accueillir des ménages de plus en plus pauvres, dans un contexte où les aides à la pierre avaient quasiment disparu. Aujourd’hui, ils sont en moins bonne santé financière, avec un endettement accru auprès de la Caisse des dépôts. Cela se traduit par une baisse de la production neuve, ou par des loyers de sortie trop élevés, que les pouvoirs publics acceptent pour pouvoir boucler les opérations. Ces logements neufs ne sont dès lors pas destinés aux plus pauvres. Ceux qui paient vraiment les ponctions de l’État, ce ne sont donc pas tant les bailleurs sociaux et leurs salariés ; mais bien les gens qui ne pourront pas accéder au parc social ou qui y paient des loyers trop élevés. Autre conséquence : la baisse des dépenses d’entretien – ascenseurs, isolation… – pour rééquilibrer les comptes. Le parc va se dégrader au fil des années... À un moment, il faudra faire des rénovations à grands frais.

Dans le parc privé, comment percevez-vous la progression de l’idée d’encadrement des loyers ?

Au début du quinquennat, nous étions très inquiets. Votée dans la loi ALUR en 2014, cette mesure avait été détricotée par le gouvernement Valls. Seules Paris et Lille l’avaient mise en place, avant que cela ne soit cassé par les tribunaux. Puis, nous avons eu de bonnes surprises : d’abord, la juridiction administrative a acté la légalité de l’encadrement à Paris. La loi ELAN a clarifié ce point de droit, en affirmant qu’une collectivité pouvait mettre en place l’encadrement sur une seule partie de l’agglomération. Une sorte de compromis, reflétant l’avis mitigé de la majorité et d’Emmanuel Macron. Après les élections municipales de 2020, beaucoup de collectivités se sont lancées. On compte aujourd’hui Paris et Lille, Grenoble, Lyon, Villeurbanne, Montpellier, Bordeaux, Plaine Commune depuis le 1er juin et bientôt Est Ensemble en Île-de-France... Le projet de loi 4D va aussi prolonger l’expérimentation de 2023 à 2026. Les premiers retours à Paris sont assez positifs. Il n’y a pas de baisse massive des loyers, mais un écrêtement des loyers les plus abusifs. C’est un acquis important, qui n’était pas du tout gagné. Nous espérons que les villes et les habitants se l’approprieront de plus en plus, que les propriétaires bafouant la loi seront davantage sanctionnés… Pour que l’on puisse envisager, dans un second temps, un encadrement plus strict dans les villes très chères. Aujourd’hui, on prend le loyer médian du marché, on rajoute 20 %, et il est interdit d’aller au-delà ; on pourrait passer à 10 %, ou 0 %...

Quelle place peut-on espérer pour le logement dans le débat politique de ces présidentielles ?

C’est un sujet que nous avons beaucoup de mal à politiser, ces dernières années. Au début du quinquennat Hollande, ce chantier était très investi politiquement, avec des mesures identifiées à gauche sur la production HLM ou l’encadrement des loyers. Puis il y a eu un retour en arrière avec le gouvernement Valls. Cette partie de la gauche a mis en sourdine ses revendications, parce qu’elle a fait tout et son contraire. Emmanuel Macron, lui, est arrivé avec une idéologie de la dérégulation, du choc de l’offre. Il s’est aperçu que cela ne marchait pas et, face à cet échec, a également mis en sourdine ses ambitions. En somme, plus grand-monde n’ose aborder cette question. Idem chez les écologistes, pris dans une tension entre la volonté de ne pas artificialiser davantage, de ne pas faire trop de densité, et en même temps la nécessité de faire du logement.

Les confinements ont montré que le logement était fondamental pour vivre, travailler, se protéger. Il faut arriver à transformer cette prise de conscience en une politique publique offensive. Notre crainte, c’est que cela ne se traduise que par des réactions individuelles : des cadres s’achetant des résidences secondaires, ou télétravaillant depuis une banlieue lointaine et verdoyante… Et des gens vivant dans des taudis ou des logements surpeuplés qui y restent. Pendant cette campagne, nous misons beaucoup sur le thème de la rénovation énergétique. Pour les politiques de tous bords, c’est un boulevard : il s’agit de relance économique, de diminution de l’empreinte carbone, de pouvoir d’achat des ménages, de santé des occupants… Même si, dans le fond, le sujet n’est pas si consensuel, car il pose la question des aides publiques pour les ménages les plus modestes, de l’obligation, de la planification.

Vous évoquez la difficulté de politiser le thème du logement. Du côté de la société civile, il semble également compliqué de mobiliser. En dehors des actions associatives, il n’existe pas de mouvement citoyen d’ampleur...

C’est en effet un gros écueil. Et c’est notre difficulté depuis toujours – sauf exceptions, comme l’appel de l’Abbé Pierre en 1954 ou les Enfants de Don Quichotte en 2006. Les gens sont sensibilisés à des sujets comme l’encadrement des loyers, les impacts d’Airbnb... Mais les mobilisations demeurent ponctuelles, éphémères. À Lyon, le collectif Jamais sans Toit est porté par des parents d’élèves qui occupent des écoles pour loger des élèves sans domicile : c’est très intéressant, mais cela reste local. En ce moment, les mobilisations citoyennes ne sont pas florissantes. Et puis le sujet est perçu comme très technique. Les personnalités politiques en campagne, tout comme nous, dirigeants associatifs, avons la responsabilité de montrer qu’il y a des solutions, nécessitant un peu de courage politique… Mais aussi des choix à faire entre groupes sociaux. C’est cela qui n’est pas simple à expliquer. Si vous faites du Logement d’Abord, cela implique d’attribuer des logements sociaux à des sans-domicile plutôt qu’à d’autres ménages. Si vous faites de l’encadrement des loyers, vous privilégiez les locataires du parc privé par rapport à leurs bailleurs. Ces arbitrages financiers font des gagnants et des perdants... Il y a donc du conflit. Du conflit de classe. Mais c’est cela, politiser un sujet.

Notes

[1] Directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.

[2] Selon le ministère, les rendus des groupes de travail auront lieu au premier trimestre 2022.

 

 

 

publié le 27 septembre 2021

Pouvoir d’achat : 

le contre-exemple espagnol

Par Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr

 

Alors que la facture d’électricité des Espagnols a explosé cet été, le gouvernement de Pedro Sánchez veut récupérer une partie des bénéfices des électriciens. Le dossier pourrait s’inviter à l’agenda du prochain sommet européen.

Après des mois d’escalade de la facture d’électricité pour les ménages espagnols, mais aussi de vives tensions avec son partenaire de coalition Unidas Podemos, le socialiste Pedro Sánchez a fini par passer à l’action. La mesure la plus spectaculaire annoncée le 14 septembre consiste à limiter l’ampleur des bénéfices engrangés par les groupes énergétiques comme Iberdrola ou Endesa, qui n’utilisent pas de gaz eux-mêmes, mais qui profitent, par ricochet, de l’actuelle flambée des cours de gaz sur les marchés internationaux. 

Des bénéfices « tombés du ciel », qui pourraient représenter, selon les calculs du gouvernement, un pactole de 2,6 milliards d’euros. Cette taxe exceptionnelle resterait en vigueur au moins jusqu’en mars 2022. L’exécutif s’engage à utiliser cet argent pour payer l’entretien des infrastructures du secteur qui, autrement, alourdirait encore la facture des ménages. « Nous allons rediriger ces bénéfices vers les consommateurs. Ces bénéfices exceptionnels ne sont pas raisonnables. Nous devons nous montrer solidaires », a déclaré Pedro Sánchez dans un entretien à la télévision publique.

« Pour la première fois, un gouvernement défend les gens face aux électriciens qui empochent des bénéfices à sept chiffres en piétinant un droit élémentaire » à l’énergie, s’est félicitée, de son côté, Ione Bellara, l’une des ministres Unidas Podemos du gouvernement. En juin, l’exécutif avait déjà dévoilé un mécanisme similaire, censé rapporter quelque 650 millions d’euros, consistant à récupérer une partie des bénéfices des groupes énergétiques qui profitaient de la poussée des cours des quotas de CO2, sur fond d’intense spéculation sur ces marchés. Certains groupes énergétiques, furieux, ont menacé de mettre à l’arrêt les centrales nucléaires du pays (20 % de la production d’électricité). 

À cet arsenal s’ajoute une mesure déjà prise par décret fin juillet : la réduction de la TVA sur l’électricité, de 21 à 10 %, en priorité pour les ménages les plus modestes, au moins jusqu’au 31 décembre. Parallèlement, l’exécutif a suspendu une taxe sur les électriciens au troisième trimestre de l’année, impôt que les groupes se contentaient jusqu’alors de répercuter sur la facture des ménages. 

Tout cela sera-t-il suffisant pour que Sánchez tienne sa promesse ? Dans un entretien à El País début septembre, il s’est engagé à ce que les ménages paient des factures d’électricité équivalentes à celles de 2018, inflation mise à part. À ce stade, on en est loin. Les prix de l’électricité ont grimpé de 35 % sur les trois mois de l’été, par rapport à la même période de 2020. Le prix du mégawattheure s’établissait encore à des niveaux historiques mercredi, autour de 175 euros (contre 50 euros en 2020, soit +247 %). Des médias avancent le chiffre de 1,3 million de foyers – six millions de personnes – en situation de pauvreté énergétique dans le pays.

Au menu du prochain Conseil européen

L’Espagne n’est pas un cas particulier : la hausse des prix de l’énergie (pétrole, gaz, électricité) est globale, portée notamment par une stratégie de rationnement des producteurs (lire l’analyse de Martine Orange). Le ministre italien de l’environnement a évoqué début septembre des hausses allant jusqu’à 40 % de la facture d’électricité, au cours du prochain trimestre. Athènes a débloqué un fonds de 150 millions d’euros censé amortir la flambée des prix pour les ménages grecs. Au Portugal, des députés du Bloco de Esquerda (gauche) mettent en garde l’exécutif social-démocrate contre la « bombe à retardement » que représente la hausse des prix de l’énergie. Des hausses sévères se profilent au Royaume-Uni.

« En Espagne, les gens sont directement touchés au portefeuille. Mais ce n’est pas un problème espagnol, c’est un problème européen, voire mondial, commente Angel Talavera, de la société Oxford Economics, interrogé par le Financial Times. C’est lié aux spécificités du marché espagnol, mais, même si l’essentiel du monde ne l’a pas encore remarqué, cette tendance se reproduira tôt ou tard dans d’autres pays. »

À Bruxelles, les Espagnols s’activent pour inscrire le sujet des prix de l’énergie à l’agenda du prochain sommet des dirigeants européens fin octobre, avec le soutien de l’Italie, de Malte ou encore du Portugal. « Les États membres ne devraient pas avoir à improviser des mesures ad hoc à chaque fois que les marchés dysfonctionnent, et ensuite espérer que la Commission ne formule pas d’objections, lit-on dans un document préparatoire mis en circulation par Madrid, et révélé par EUobserver. Nous avons besoin, de toute urgence, d’une batterie de mesures disponibles pour pouvoir réagir immédiatement en cas de flambée des prix ».

Le gouvernement espagnol propose d’interdire certains acteurs présents uniquement pour spéculer sur le marché des quotas de CO2, ou encore de constituer une plateforme de stockage des réserves stratégiques de gaz naturel au niveau européen. Le pays a beaucoup développé la production d’énergies renouvelables ces dernières années (44 % de la production totale), mais reste dépendant aux gazoducs algériens, surtout lors des pics de consommation.

La flambée des prix a nourri une crise politique tout au long de l’été à Madrid, et fragilisé les bases de la coalition au pouvoir. « Tout cela est le résultat d’un processus de privatisations du secteur électrique, qui nous avait été vendu comme une étape de la modernisation du pays [...] et qui a fini en oligopole avec des prix multipliés chaque année », avait déclaré, dans un entretien à Ctxt en août, la ministre du travail Yolanda Díaz.

Cette communiste, annoncée comme la successeure de Pablo Iglesias pour représenter la gauche critique aux prochaines élections, se félicitait que les socialistes aient enfin accepté, selon elle sous la pression de Unidas Podemos, d’agir sur les bénéfices des grands électriciens (lire le récit d’InfoLibre sur les coulisses de la négociation). Mais elle plaidait pour davantage : « C’est le moment de se montrer courageux. [...] Il faut intervenir sur le prix de l’énergie, et se diriger vers des prix régulés. »

Le débat sur la renationalisation des électriciens a été relancé. En théorie retiré de la vie politique, Pablo Iglesias, cofondateur de Podemos, s’est fendu d’un message sur Twitter, mi-septembre, rappelant le contenu d’un article de la Constitution (le 128), qui ouvrirait, selon certains experts, la possibilité d’une renationalisation de poids lourds comme Endesa. Le scénario reste, à ce stade, totalement écarté par le PSOE, qui s’abrite derrière les règles de l’UE et la libération du secteur de l’énergie, pour justifier son refus.

 

 

 

publié le 26 septembre 2021

Gaz et électricité : face à l’inflation, l’option d’un blocage des prix

Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr

Le débat enfle dans l’opposition, alors que le chèque énergie d'Emmanuel Macron s’annonce insuffisant pour compenser l’explosion des factures.

L’État doit-il prendre ses responsabilités et siffler la fin de l’emballement des prix de l’énergie ? C’est en tout cas le sens de l’appel de Fabien Roussel, jeudi 23 septembre. « Je demande au président de la République de bloquer les prix : à partir du 1er octobre, qu’il n’y ait plus une seule hausse des prix de l’électricité et du gaz », a interpellé le secrétaire national du Parti communiste français et candidat à la présidentielle sur Public Sénat.

Une hausse de 150 euros

La facture s’annonce en effet salée pour les foyers français cet hiver, avec des conséquences dramatiques pour les ménages les plus fragiles. Les tarifs du gaz explosent partout en Europe depuis la fin de l’été dans un contexte de forte demande due à la reprise post-Covid, alors que les stocks sont faibles. Pour ne rien arranger, la Russie a réduit ses flux d’exportations gaziers, officiellement suite à plusieurs incidents sur ses infrastructures et gazoducs. Résultat, le prix du gaz a subi une série de hausses : 10 % en juillet, 5 % en août et 8,7 % en septembre. Et pour l’électricité, dépendante des cours du pétrole, ce n’est guère mieux. Selon UFC-Que choisir, la facture passera en 2022 à 1 700 euros par an, contre1 550 euros en moyenne début 2021.

Cela représente une hausse de 150 euros qui excède les 100 euros supplémentaires de chèque énergie promis en catastrophe par le gouvernement (d’autant que la mesure, chiffrée à 600 millions d’euros, ne concerne que 20 % de ménages éligibles). Sans compter les répercussions de la hausse de l’énergie sur le niveau général des prix, plus difficile à quantifier. Pour le gouvernement, une telle situation pourrait être socialement explosive. Or l’Élysée, qui cauchemarde encore des gilets jaunes la nuit, a tout intérêt à s’éviter un nouveau mouvement social contre la vie chère à quelques mois des élections.

La renationalisation d’EDF également évoquée

Face à l’explosion des prix, l’option d’une intervention de l’État afin de plafonner les tarifs énergétiques fait son chemin dans l’opposition. Jean-Luc Mélenchon a lui aussi appelé à un blocage des prix des produits de première nécessité, parmi lesquels l’essence, le gaz et l’électricité, auxquels le candidat de la France insoumise ajoute l’alimentaire. Cette proposition s’inscrirait dans un projet de loi d’urgence sociale qui inclurait une augmentation du Smic à 1 400 euros net. Même si elle ne manquerait pas de faire grincer des dents les producteurs et distributeurs, l’option d’un blocage n’a rien d’infaisable, surtout temporairement. En juillet 2011, le gouvernement Fillon avait annulé la hausse attendue des prix du gaz, qui devait excéder les 10 %, puis avait fait en sorte de la limiter en dessous de 5 %.

Fabien Roussel, qui propose également d’augmenter le Smic à 1 800 euros brut, s’est saisi de la question pour élargir le débat à la question de la renationalisation de la production et de la « souveraineté en matière de choix énergétiques ». « Moi je propose de diviser par deux la facture d’électricité et de gaz. On renationalise EDF pour retrouver la maîtrise de ce merveilleux outil de production et distribution d’électricité, et on fixe les tarifs », a déclaré le député PCF du Nord. Se faisant, il deviendrait possible de supprimer les taxes que prélève actuellement l’État, « ce qui ferait gagner 40 % sur le coût de la facture ».

 

 

 

publié le 26 septembre 2021

Précarité. Le cri des jeunes :

« À 20 ans, on veut vivre, pas survivre »

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

La crise sanitaire, qui a exacerbé une précarité déjà criante, les a heurtés de plein fouet. La réponse de Macron ? Une mesurette, le « REJ » (revenu d'engagement pour les jeunes), quand il faudrait à la jeunesse un plan à la hauteur de ses aspirations. La grande enquête de l’Ifop auprès des 18-30 ans le dit : le niveau de bonheur des jeunes s’écroule. Pourtant, ils estiment que la vie a beaucoup à leur offrir...

Morgan a 21 ans. L’âge de tous les possibles, normalement. Sauf que l’horizon du jeune homme est aujourd’hui bouché. Sans boulot, sans revenu, il en est réduit à vivre au jour le jour. « Je travaillais dans la restauration. Je ne roulais pas sur l’or, mais je pouvais payer mon loyer, manger, sortir. Avec le Covid, tout s’est arrêté. J’ai perdu mon emploi. J’ai tenu quelques mois sur mes maigres économies, car je n’ai pas droit à des aides. J’ai fini par rendre mon studio, car je ne pouvais plus payer les charges. Depuis, je suis hébergé à droite, à gauche. J’ai quand même passé quelques nuits dans ma voiture. » Comme beaucoup, ce jeune Normand venu à Paris en espérant trouver un emploi survit grâce aux associations et à leurs distributions alimentaires. « À 20 ans, on veut vivre, pas survivre », lâche-t-il, amer.

L’Observatoire des inégalités indique que, en 2002, 8,2 % des 18-29 ans sont pauvres, contre 12,5 % en 2018, soit une progression de plus de 50 % !

Si la crise sanitaire a principalement frappé les plus âgés, la crise économique et sociale qui la suit affecte en premier lieu les jeunes. En réalité, elle a révélé la grande précarité des moins de 25 ans. Dans son dernier rapport, paru en septembre, l’Observatoire des inégalités indique que, en 2002, 8,2 % des 18-29 ans sont pauvres, contre 12,5 % en 2018, soit une progression de plus de 50 % ! « Les jeunes adultes constituent la tranche d’âge où le risque d’être pauvre est le plus grand et pour qui la situation s’est la plus dégradée en quinze ans », note l’Observatoire.

Obligés de sauter des repas

Épiceries solidaires, maraudes, distribution de colis alimentaires sont autant d’illustrations de la précarité des jeunes, qui s’est accentuée en nombre et en intensité depuis la crise sanitaire. « À Lyon, pendant le confinement, 4 000 étudiants ont fréquenté les épiceries sociales et solidaires, et 95 % d’entre eux étaient inconnus de ce réseau », notait ainsi Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et rapporteur de plusieurs avis sur l’insertion et les droits des jeunes, dans le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le logement.

   Un quart des 24-35 ans déclarent vivre dans l’insécurité des découverts bancaires, soit   10 points de plus que l’ensemble des Français.

Samia, 23 ans, en est la parfaite illustration. Étudiante à Marseille, elle a perdu son job dans une enseigne de prêt-à-porter en mars 2020. « Les quelques heures que je faisais me permettaient d’aider ma mère, chez qui je vis avec ma petite sœur. Ma mère s’est retrouvée au chômage partiel; du coup, c’était difficile », résume-t-elle de façon pudique. Elle avoue avoir eu « parfois un peu faim ». « Heureusement, une association étudiante livrait sur le campus des colis chaque semaine. J’en bénéficie encore une fois par semaine », confie-t-elle.

Selon le dernier baromètre de la pauvreté du Secours populaire français, 34 % des moins de 35 ans sautent des repas. Autre enseignement de cette étude : « Affectés par les cours à distance, la fin des jobs étudiants ou celle des missions d’intérim », un quart des 24-35 ans déclarent vivre dans l’insécurité des découverts bancaires, soit 10 points de plus que l’ensemble des Français.

Une solidarité familiale mise à mal

« Comme d’habitude, ce sont les plus vulnérables qui ont été les plus exposés », rappelle la sociologue Patricia Loncle, coauteure de l’ouvrage « Une jeunesse sacrifiée ? », pointant notamment les « inégalités entre générations ». « Au sein d’une même génération, les inégalités sociales demeurent très fortes. Avec la crise, par le biais de l’enseignement à distance, de l’accès à Internet, du fait de bénéficier d’une chambre à soi, etc., ces inégalités se sont renforcées. » Depuis l’après-guerre, la protection sociale repose en effet sur la solidarité de la famille. Sauf qu’avec la crise sanitaire, elle n’a pas pu fonctionner partout. Les familles modestes n’ont pu répondre et de nombreux jeunes se sont retrouvés démunis.

D’après les données récentes de la Fondation Abbé-Pierre, 25 % des moins de 25 ans n’ont pas d’emploi.

« Les politiques sociales ont pourtant un rôle primordial à jouer en matière de lutte contre les inégalités, poursuit Patricia Loncle. Mais du fait de la suspicion d’un “assistanat” potentiel des jeunes, l’accès aux droits sociaux leur est refusé pour valoriser leur insertion professionnelle, alors même que le marché du travail est dégradé. » Sachant que même le diplôme ne garantit plus l’accès à un emploi, notamment de qualité. Aujourd’hui, un jeune trouve son premier emploi en moyenne à 27-28 ans. Dans les années 1990, c’était aux environs de 22 ans. D’après les données récentes de la Fondation Abbé-Pierre, 25 % des moins de 25 ans n’ont pas d’emploi.

Une situation aggravée par la ­pandémie, comme le montre une étude de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), parue le 16 septembre dernier, et intitulée « Comment la situation des jeunes sur le marché du travail a-t-elle évolué en 2020 ? » : au plus fort du premier confinement, au mois d’avril, parmi les moins de 30 ans, les embauches ont chuté de 77 % sur un an et le nombre d’inscrits à Pôle emploi a augmenté de 36 %. Entre fin 2019 et fin 2020, le nombre de jeunes inactifs a crû de 2,4 % : la durée en études s’est allongée (+ 0,2 année en moyenne) et le nombre de jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation parmi les 16-29 ans s’est accrû de 4,6 %.

Une exception française

Mais alors que les chiffres prouvent l’ampleur de la précarité de cette catégorie de la population, le gouvernement continue à suivre la même logique, en refusant notamment l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans. Une spécificité française : dans la quasi-totalité des pays européens, les jeunes peuvent bénéficier d’un revenu minimum dès 18 ans. « Les dispositifs qui existent proposent des petits fonds. Ce sont des aides fragmentées, sans compter qu’elles dépendent en grande partie des départements. Et là aussi, il y a de fortes disparités territoriales », précise la sociologue.

C’est d’une véritable stratégie de lutte contre la pauvreté dont les jeunes ont besoin, qui leur garantisse « l’accès aux droits fondamentaux que sont un revenu suffisant et un logement pérenne ».

Le gouvernement s’est gargarisé d’avoir versé en décembre 2020 une prime de 150 euros à 1,3 million de jeunes en situation précaire. Mais rien pour les moins de 25 ans, qui ne bénéficient d’aucun dispositif, d’aucune aide. « Et quand bien même, combien de temps vit-on avec 150 euros ? » interroge Samia. La garantie jeunes ? Si elle assure une formation et une allocation aux 16-25 ans pendant un an, elle laisse encore trop de jeunes sur le bord de la route du fait de sa limitation dans le temps et elle ne garantit pas l’accès à d’autres droits.

Comme le rappellent toutes les associations de solidarité, c’est d’une véritable stratégie de lutte contre la pauvreté dont les jeunes ont besoin, qui leur garantisse « l’accès aux droits fondamentaux que sont un revenu suffisant et un logement pérenne », ainsi que le martèle la Fondation Abbé-Pierre. Pour rappel, en 2020, note la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 74 % des adultes vivant chez leurs parents n’avaient pas les moyens financiers de vivre dans un logement indépendant et subissaient majoritairement la situation. Parmi eux, 42 % étaient étudiants, 30 % occupaient un emploi et 19 % étaient au chômage.


 

Ulysse Guttmann-Faure, CO'P1 : « Notre association comble un trou de la solidarité 

Nous avons lancé notre association à la rentrée 2020 en réaction à la crise sanitaire. Quand vous avez une amie qui vous dit qu’elle ne s’est pas lavée depuis trois jours parce qu’elle n’a pas de quoi s’acheter un gel douche, cela pousse à agir. En un an, nous sommes passés de 6 étudiants de l’université Paris-I à près de 600 bénévoles agissant sur 30 sites d’enseignement supérieur à Paris. Nous distribuons des denrées alimentaires et des produits hygiéniques, mais nous mettons aussi en relation des étudiants avec les entreprises afin de trouver des stages. Nous comblons un trou dans la raquette de la solidarité en aidant des étudiants. Assez rapidement, des associations comme le Secours populaire français nous ont aidés. La Ville de Paris a même mis à notre disposition des moyens financiers mais aussi un local et une voiture. Et, pour rassurer les étudiants qui n’osent pas venir demander de l’aide, nous levons des barrières avec une organisation horizontale où chacun intervient comme il le souhaite. D’ailleurs, un tiers de nos bénéficiaires sont eux aussi des bénévoles. »


 


 

Les propositions des organisations de jeunesse :


 

« Créer une allocation d’autonomie pour les étudiants »

Mélanie Luce Union nationale des étudiants de France (Unef)

La crise du Covid a mis en avant la faillite de notre système social. Pour subvenir à leurs besoins, les étudiants sont obligés de dépendre de leurs parents ou de se salarier. Ces deux béquilles – elles-mêmes handicapantes, puisqu’elles empêchent l’autonomie des étudiants et favorisent l’échec scolaire – ont toutes les deux été affectées par la crise. Notre société a su reconnaître un âge de la vie quand nous avons mis en place les minima sociaux pour les plus âgés. Il est temps de faire de même pour la jeunesse. C’est pour cela que nous plaidons pour une allocation d’autonomie pour les étudiants, une aide universelle calculée en fonction de la situation de l’étudiant, mais au-dessus du seuil de pauvreté. Et, pour les jeunes en insertion, nous appelons à l’ouverture du RSA. Même s’il ne va pas suffire pour vivre, c’est une mesure de justice sociale qui s’impose. Il est aberrant d’être exclu de la solidarité nationale quand on a moins de 25 ans sous prétexte qu’il serait possible de se reposer sur nos parents. »


 

« Garantir un emploi à chaque jeune pour vivre dignement »

Léon Deffontaines Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF)

Dans notre société, il y a un paradoxe injustifiable. D’un côté nous avons des besoins de main-d’œuvre et de l’autre 1,5 million de jeunes se retrouvent sans emploi ni formation. Il y a urgence à dépasser cette contradiction, en mettant en place un plan pour garantir un emploi à chaque jeune afin que tous puissent vivre dignement. Concrètement, cela consiste en des prérecrutements dans le service public, mais aussi à agir dans le secteur privé en réindustrialisant le pays et en interdisant les délocalisations.

Nous souhaitons également conditionner les aides publiques à l’embauche en CDI et à la formation professionnelle des jeunes. Outre un véritable service public de l’orientation, pour éviter que des jeunes ne disparaissent des radars, nous ambitionnons de créer un nouveau service public de l’emploi. Tout en travaillant avec Pôle emploi, il s’agira d’une évolution des missions locales, avec les moyens nécessaires pour accompagner les jeunes, identifier leurs besoins et leurs aspirations, tout en les mettant en lien avec les acteurs économiques. »


 

« Une obligation d'embauche pour les apprentis »

Manon Schricke Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC)

Aujourd’hui, les entreprises préfèrent prendre un jeune en apprentissage plutôt qu’en CDD. D’ailleurs, l’apprentissage a été facilité avec les aides débloquées pour faire face à la crise, sans que cela ne contraigne pour autant à une véritable embauche ensuite. De plus, dans de nombreux cas, les apprentis se retrouvent sans réel tuteur dédié, altérant ainsi la qualité de leur formation. Le tout avec un chantage exercé sur l’apprenti pour qu’il travaille plus d’heures contre la promesse d’une embauche. Il est temps de revenir à la base de l’apprentissage : un lieu de formation pour le jeune, avec un encadrement par des tuteurs qualifiés et un droit de regard des écoles sur ce qui se passe dans l’entreprise. Nous souhaitons aussi l’instauration d’une grille minimale de rémunérations et appelons à rendre obligatoire pour les entreprises la transformation des contrats d’apprentissage en emploi. Quand un jeune passe deux ans à se former, à adopter un rythme de vie et à nouer des liens avec ses collègues, il est cruel de se retrouver sans rien à la clef et parfois même de voir un autre apprenti prendre la suite. »

« Réformer le système des bourses »

Paul Mayaux Fédération des assemblées générales étudiantes (Fage)

Le système de bourse à critères sociaux actuel est profondément injuste. Toute une partie des étudiants issus des catégories socioprofessionnelles moyennes basses en sont exclus d’emblée parce que l’on considère que leurs parents gagnent trop. C’est donc une double peine, dans la mesure où les parents ne peuvent souvent pas accompagner leurs enfants, sans pour autant que ces derniers puissent bénéficier d’une bourse. Il faut ajouter à cela une crise sanitaire qui a provoqué une dégradation de la situation sociale des parents et des étudiants sans que pour autant les critères sociaux et d’attribution des bourses ne bougent.

Il est donc urgent d’engager une réforme. À la Fage nous voulons linéariser le système pour que les bourses ne soient plus calculées par échelons mais au pourcentage des ressources perçues. De manière concrète, nous ne voulons plus que deux étudiants, dont l’un a des parents qui gagnent 24 000 euros et l’autre 34 000 euros, perçoivent une même aide de 100 euros. »

 

 

 

 

publié le 24 septembre 2021

AZF   20 ans après,
les risques industriels majeurs perdurent !

Sur le site : https://altermidi.org/

"Le ministère de l’Environnement vient d’assouplir la réglementation sur l’implantation des sites dangereux et celui du Travail entend faire de même avec la réglementation sur le risque chimique et cancérogène."

Dans un communiqué publié le 20 septembre, la CGT fait le constat que l’explosion de l’usine AZF de Toulouse n’a pas permis de mettre en place les mesures de protection qui s’imposent. Pour prévenir les risques et protéger les personnels, la centrale syndicale ouvrière préconise un droit d’intervention et de contrôle des salarié.es ainsi que la remise en place des CHSCT (Comité d’Hygiène de Sécurité et de Conditions de Travail).

  

Communiqué de la CGT :

AZF 20 ans après, les risques industriels majeurs perdurent !

 Le 21 septembre 2001, à 10h17, une énorme explosion pulvérisait l’usine AZF (groupe Total) de Toulouse. L’agglomération entière est sinistrée avec un bilan matériel et humain lourd : 31 morts, 20 000 blessés, 89 établissements scolaires touchés par la déflagration. Nombreuses sont les victimes qui subissent encore aujourd’hui les séquelles de ce désastre.

Les responsables ont, aujourd’hui, été définitivement condamnés après une longue procédure judiciaire qui s’est achevée fin 2019. Ce sont bien les exploitants industriels d’AZF qui sont responsables. Leur stratégie de morcellement du travail, de recours à la sous-traitance et de réduction des coûts ne permettait plus la mise en place d’organisation de travail sécurisée.

Les mesures de protection, les principes de prévention, la formation et, surtout, le partage d’expérience entre les travailleuses et travailleurs doivent redevenir une véritable priorité sur tous les lieux de travail.

AZF n’a pas servi de leçon. L’incendie de l’Usine Lubrizol à Rouen, le 26 septembre 2019, en est la démonstration. Et, malheureusement, les exemples sont nombreux. Les logiques de profit au détriment de la sécurité des salarié.es et de la population doivent cesser.

Le gouvernement, en la matière, ne prend pas la bonne mesure de la situation : le ministère de l’Environnement vient d’assouplir la réglementation sur l’implantation des sites dangereux — via la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) — et celui du Travail entend faire de même avec la réglementation sur le risque chimique et cancérogène.

La CGT exige, pour chaque lieu d’exploitation, un véritable droit d’intervention des salarié.es et un contrôle des services et organismes compétents :

  • un droit d’intervention et de contrôle des salarié.es avec la remise en place des CHSCT (Comité d’Hygiène de Sécurité et de Conditions de Travail) couvrant tous.tes les salarié.es, y compris ceux des TPE et PME, et que leur champ d’actions soit élargi aux questions environnementales. Les travailleuses et travailleurs et leurs représentant.es doivent pouvoir intervenir sur l’organisation de travail. Les lanceurs d’alerte doivent être écoutés et non réprimés ;

  • un contrôle des services et organismes compétents, avec un renforcement des moyens humains et juridiques des inspecteurs du travail, des inspecteurs de l’environnement ou encore des contrôleurs et préventeurs des Carsat (Caisse d’Assurance Retraite et de Santé au travail), branche de la Sécurité sociale. Ces agents et ingénieurs doivent être acteurs d’un système qui impose à tous les exploitants la priorité de la préservation de la vie avant la course aux profits.

La CGT revendique un renforcement de la réglementation, afin que les industriels arrêtent de jouer avec la vie des salarié.es, des riverain.es et de la planète.

Gagner le droit à la sécurité au travail passera par la mobilisation des salarié.es.

Pour l’ensemble de ces revendications, pour l’augmentation des salaires, l’emploi, l’amélioration des conditions de travail, la CGT appelle l’ensemble des salariés, des agents, des retraités, des privés d’emplois, à se mobiliser et à agir, par la grève, le 5 octobre prochain.

 

 

 

publié le 22 septembre 2021

En quête d’un emploi : « Traverser la rue ne suffit plus. Il faut traverser le désert »

Par Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Face à la petite musique qui monte sur les patrons peinant à recruter, Mediapart fait entendre la voix de celles et ceux qui cherchent, font des concessions, mais ne trouvent pas de travail. Même dans des secteurs dits « en tension ». Témoignages.

Postuler, attendre, espérer, déchanter. C’est le quotidien, pesant, décrit par bon nombre de demandeurs d’emploi. À la suite de notre appel à témoignage, nous avons recueilli la parole de femmes et d’hommes aux parcours professionnels, âges et niveaux d’études différents. Tous, sans exception, déplorent de n’avoir presque jamais de réponse à leurs candidatures. Et ne supportent plus de passer pour des « fainéants » et des « profiteurs ».

Jean-Michel, 60 ans. « Pour les uns, je n’ai pas assez de compétences. Pour les autres, j’en ai trop »

Journaliste, Jean-Michel est sans emploi depuis un an et demi. Le quotidien local qui l’employait n’a pas renouvelé son contrat, faute de moyens. Il avait trouvé dans la foulée une nouvelle – et enthousiasmante – collaboration mais elle a été tuée dans l’œuf par la pandémie, en mars 2020.

Dans son secteur , il n’y a aucune offre. Jean-Michel, qui survit avec 900 euros mensuels d’allocation-chômage, postule désormais « pour des emplois peu qualifiés » d’employé de drive ou d’ouvrier de production en usine. « Je n’ai jamais de réponse aux candidatures par courrier ou sur le Net. Alors je me déplace directement sur le site qui embauche. »

Et souvent, c’est une épreuve. « Quand les patrons voient mon CV, ça les fait rire. Je suis journaliste, j’ai 60 ans mais aucune expérience dans leur domaine d’activité. Un jour, on m’a demandé : “Mais pourquoi vous êtes là ?” Parce que j’ai faim, ai-je répondu. Heureusement, tous ne rient pas. Certains ont de la compassion mais mon âge et mon manque d’expérience sont des freins. On me le dit clairement. »

Récemment, Jean-Michel a postulé à un emploi dans le domaine de la communication. « Il était pour moi, ce travail ! Tout me correspondait, j’y ai vraiment cru. Mais cette fois, on m’a répondu que j’étais “surdimensionné pour le poste”. Pour les uns, je n’ai pas assez de compétences, pour les autres, j’en ai trop. Je ne sais plus comment manœuvrer. Que dois-je faire ? Mentir sur mon parcours ? Mentir pour être employé de drive, non merci... »

Jean-Michel tente de tenir bon. Mais son moral s’érode. « J’oscille entre désespoir et, parfois, lueur d’espoir quand il y a une offre. Et puis, les journées sont extraordinairement longues. J’ai l’impression d’être inutile. Financièrement, c’est très dur. Je n’ai plus de voiture, j’ai vendu mes guitares, je ne peux plus répondre à chaque petit – ou gros –accident de la vie, comme un reliquat des impôts, qu’on me réclame actuellement. Je ne demande pas grand-chose. Juste un peu de lumière. »

Valérie, 52 ans : « Ce qui me frappe, ce sont les offres pour des petits contrats, de quelques heures ou quelques jours »

Depuis fin août, c’est le retour à la case chômage pour Valérie, après une brève éclaircie. Elle vient de terminer un CDD de six mois durant lequel elle a fait du « contact-tracing » pour l’assurance-maladie. Grâce à ce contrat, Valérie peut de nouveau prétendre à des allocations-chômage. Avant cela, elle percevait 500 euros par mois d’ASS (allocation de solidarité spécifique).

La quinquagénaire, qui vit chez sa mère, est en quête d’un emploi de secrétaire ou d’assistante de direction. Elle connaît et subit depuis de longues années le chômage. Ce contrat de six mois lui a permis de souffler un peu. « On revit, quand on travaille ! Le jour de ma première paye, j’ai eu l’impression d’avoir gagné au Loto ! Personne ne se complaît dans la précarité. Personne n’est heureux de vivre avec quelques centaines d’euros par mois. Ceux qui font la leçon sur les chômeurs n’ont jamais connu cette situation. Qu’ils essaient de prendre ma place pendant trois mois. Je leur laisse tout : mes petits revenus, mon logement, mes soucis. Tout. Et on en reparle. »

Ceux qui cherchent un emploi se confrontent à de nombreuses difficultés, bien loin du simple “traversez la rue” prôné par Emmanuel Macron. © Photo Guillaume Nédellec / Hans Lucas via AFP

Valérie passe beaucoup de temps à regarder les offres d’emploi. Elle a d’ailleurs continué à chercher un travail pendant son CDD. « Je postule mais je n’ai jamais de réponse. Pourtant, je vois l’offre tourner quelque temps, disparaître et puis revenir. C’est désespérant. Ce qui me frappe également, ce sont les offres pour des tout petits contrats de quelques heures ou quelques jours, note-t-elle. On entend qu’il y a un million d’offres sur le site de Pôle emploi mais il faut voir ce qui se cache derrière ! Aller distribuer des flyers devant une gare pendant sept jours et à mi-temps, c’est pas un boulot, ça ! Le CDI, pour moi, ce n’est pas le Graal. Mais la société fait que vous ne pouvez rien faire sans un CDI. Vous loger, faire un prêt, acheter une voiture… »

Mickaël, 34 ans. « Prêt à accepter un salaire en deçà de mes allocations-chômage »

Des candidatures, par dizaines, dans un secteur qui recrute. Des concessions, de taille, sur le salaire. Mais rien n’y fait. Mickaël*, au chômage depuis près de dix mois, commence à désespérer. « Ça m’inquiète, car plus on s’éloigne de l’emploi, plus c’est difficile d’y retourner. À l'évidence, traverser la rue ne suffit plus. Il faut désormais traverser le désert ! »

Ex-cadre commercial dans une compagnie aérienne, il a été licencié fin décembre 2020. Rapidement, le trentenaire a construit un projet de reclassement dans le management hôtelier. « On parlait déjà à l’époque d’un secteur qui allait manquer de main-d’œuvre, se souvient-il. Je me disais aussi que ma connaissance du monde du tourisme, du marketing et de l’encadrement d’équipe allait jouer en ma faveur. »

Pour consolider son projet, Mickaël se forme et consulte à tout-va : « J’ai suivi les conseils fournis par Pôle emploi et un cabinet de reclassement. Je me suis formé en ligne via des supports gratuits, pour approfondir mes connaissances en management et gestion d’outils informatiques. J’ai réalisé des enquêtes-métiers auprès de professionnels du secteur… »

Mais depuis, « les échecs se suivent et se ressemblent, souffle Mickaël. La plupart des candidatures reviennent avec une réponse négative, dans le meilleur des cas. Pour les grands discours sur les besoins non pourvus dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, on est clairement dans de la communication absolue : oui, les besoins existent, preuve en est des offres d’emploi régulières. Mais l’ouverture à des profils hors secteur n’est pas encore à l’ordre du jour. Ou alors uniquement les offres concernant les métiers dits opérationnels comme réceptionniste, plongeur ou barman, qui ne sont pas en lien avec mon statut de cadre ».

Mickaël est toutefois prêt à revoir sérieusement ses prétentions salariales à la baisse, quitte à gagner « 10 000 à 15 000 euros par an de moins qu’avant ». Quitte, même, à accepter un salaire en deçà de ses allocations-chômage, auxquelles il a droit pendant encore plus d’un an. « Comme quoi, ça prouve que les gens n’ont pas envie de rester chez eux car c’est plus confortable », lâche-t-il, agacé par les idées reçues régulièrement véhiculées sur les chômeurs.

« D’ailleurs, avec Pôle emploi, j’ai l’impression d’être en permanence dans la justification de mes recherches plutôt que dans un vrai accompagnement, regrette-t-il. Si ça n’aboutit pas, c’est forcément que je n’ai pas su bien me vendre auprès de l’employeur. C’est culpabilisant. »

Ghislaine, 58 ans. « Vous voyez des gens jeunes qui ont bac+5 et qui vont se contenter d’un Smic. On ne peut pas lutter »

Sans emploi depuis six ans, Ghislaine n’a aucun revenu. « Ni allocation-chômage, ni RSA. Mon mari apporte l’unique salaire du foyer. »

Son CV affiche 20 ans d’expérience dans le secrétariat et la comptabilité. Elle a même repris ses études pour « se remettre à jour » et obtenir un titre professionnel de niveau bac, qu’elle n’avait pas jusqu’alors.

Mais depuis trois ans, Ghislaine ne prospecte plus. « J’ai baissé les bras, murmure-t-elle. J’ai longtemps cherché activement. J’avais un moral d’acier, j’étais à fond. Certains mois, j’envoyais au moins 200 CV. Mais jamais, jamais je n’étais retenue. Je pense que le problème principal, c’était mon âge. Déjà, à 40 ans, on me disait que j’étais trop vieille ! »

Ghislaine a en tête une collection de motifs de refus. « J’ai entendu dix mille excuses des recruteurs, je ne les compte même plus. On m’a même dit un jour que je n’étais pas retenue parce que j’avais “une voix trop bizarre”. J’ai une maladie aux poumons qui m’empêche de bien reprendre mon souffle. Ça me donne un débit de voix un peu saccadé. C’est désagréable de ne pas être retenue à cause de ça, mais je préfère quand on me dit la vérité, finalement. »

Ce qu’elle décrit comme « un parcours du combattant » a fini par l’épuiser et la faire sombrer. « Je pleurais tout le temps. Je m’étais beaucoup battue mais je ne pouvais plus. L’exigence des employeurs était trop forte. Et la concurrence, aussi. Dans la salle d’attente pour les entretiens, vous voyez des gens jeunes, qui ont bac+5 et qui vont se contenter d’un Smic. On ne peut pas lutter. Pourtant, moi aussi je demande le Smic, alors qu’on ne me dise pas que je coûte trop cher. »

Isabelle, 30 ans : « Ne pas avoir de réponse des recruteurs, ça vous pourrit la vie »

Un doctorat de biochimie en poche, Isabelle* cherche, depuis six mois, un emploi de chef de projet ou de conceptrice-rédactrice médicale. Elle n’a pas droit aux allocations-chômage et se dit chanceuse d’avoir un compagnon qui travaille.

Isabelle scrute les offres sur les réseaux sociaux professionnels ou des sites d’emploi spécialisés dans son domaine. « Le monde de la recherche est compliqué. On est trop nombreux dans ce domaine pour peu d’emplois », constate-t-elle.

Elle consigne toutes ses candidatures dans un dossier. « À chaque fois, jenvoie un CV et une lettre de motivation personnalisés. J’y passe du temps, je fais des recherches sur l’entreprise. Mais les trois quarts du temps, je n’ai aucune réponse », se désole-t-elle. Tenace, Isabelle insiste. « Au bout d’un certain temps sans nouvelles, jécris toujours une autre lettre pour essayer de comprendre pourquoi ma candidature n’a pas été retenue. Je veux m’améliorer et avancer. Mais là non plus, je n’ai jamais de réponse. Ça fait mal. Il y a des jours, c’est horrible, ça vous pourrit la vie. »

Il y a quelques semaines, la jeune femme a réussi à décrocher deux entretiens. D’abord au téléphone puis au sein de l’entreprise. « Le premier contact téléphonique était encourageant. Mon CV a été applaudi, j’étais pleine d’espoir. Mais le deuxième entretien, c’était une catastrophe. La personne en face de moi faisait la gueule, il n’y a pas d’autre expression pour décrire son attitude ! Je n’ai pas compris... »

Là encore, l’expérience s’est soldée par une immense déception et un silence, « humiliant », du recruteur. « Ils m’ont dit de surveiller ma boîte mail... mais rien. Pas même un courriel de refus. J’ai fini par en déduire que je n’étais pas prise. Ce n’est pas correct. »

Isabelle réalise, ponctuellement, quelques missions de rédaction grâce à son réseau personnel. « Ça me permet de ne pas devenir folle », soupire-t-elle. L’inactivité pèse sur son moral. Et les discours sur les chômeurs la minent. « On nous considère comme des fainéants qui ne profiteraient pas d’une multitude d’offres d’emploi à notre disposition ! Ça aussi, ça fait mal. Moi, je sais ce que je fais et je vois la réalité autour de moi. On est plein, on est juste plein dans ce cas. »

 

 

 

 

 

publié le 21 septembre 2021

Droit du travail :

Uber condamné mais pas inquiété

Sur www.politis.fr

 

En France, une énième condamnation est tombée le 10 septembre contre le géant californien.

Uber essuie les foudres des tribunaux du monde entier. En France, une énième condamnation est tombée de la justice civile, le 10 septembre. Le géant californien devra s’acquitter d’un total de 180 000 euros de dommages et intérêts à partager entre 900 chauffeurs de taxi, pour « concurrence déloyale ». Il avait eu recours entre 2014 et 2015 à de simples particuliers, sans licence de taxi ni de chauffeur VTC, avec son application Uber Pop, désactivée depuis. Les faits sont anciens et isolés, a réagi en substance la direction d’Uber, comme à chacune de ses nombreuses condamnations.

Des juges californiens à la Cour suprême britannique en passant par la Cour de cassation française et, ce lundi 13 septembre encore, un tribunal néerlandais, Uber est sommé par tous de requalifier le statut d’indépendant de -nombreux chauffeurs en contrat salarié. Pourtant, la plateforme refuse encore et toujours de changer de modèle, grâce à de précieux appuis du côté des législateurs, qui préfèrent bricoler des conventions collectives, comme au Danemark ou en Suède, ou faire embaucher les chauffeurs par des entreprises tierces, pour décharger Uber de ses responsabilités sociales, comme cela existe en Allemagne ou au Portugal. En France, où les salariés ubérisés représentent environ 4 % de la population active, l’heure est à la recherche acharnée de solutions indolores pour Uber. Le salariat, de l’aveu d’une commission mise en place sur le sujet, qui a livré son rapport au Premier ministre en décembre 2020, n’est clairement pas une « hypothèse de travail ». Uber n’a donc pas trop à craindre les « coups de tonnerre » de la justice.

 

 

 

 

publié le 21 septembre 2021

 

Sans papiers mais pas sans droits : deux ans de

 

prison ferme pour le patron de MT-BAT-Immeubles

 

sur le site www.cgt.fr

Nouvelle victoire pour les travailleurs sans papiers de l'avenue de Breteuil à Paris : le patron qui les exploitait hors de tout cadre légal vient d'être sanctionné par la justice.

Le gérant de fait de l'entreprise MT-BAT-Immeubles vient d'être condamné pour travail dissimulé, emploi d'étranger sans titre et conditions de travail indignes. Il écope de deux ans de prison ferme, 40 000 euros d'amende et une interdiction de gérer de quinze ans avec mandat d'arrêt.

Petit rappel des faits : en septembre 2016, 25 travailleurs sans papiers sortent de l'ombre suite à l'accident de travail de l'un des leurs.

Travaillant depuis plusieurs semaines au 46, avenue de Breteuil, dans le très huppé 7e arrondissement de Paris, ils ne sont pas déclarés. Ils se mettent en grève, accompagnés par l'union départementale de Paris, l'union locale du 7e arrondissement, le collectif confédéral Migrants, mais aussi la Fédération construction, bois et ameublement et la Fédération banques et assurances (le propriétaire des lieux ou maître d'ouvrage est Covéa, qui possède notamment GMF, MMA et la MAAF).

L'implication de toutes ces structures permet de faire pression sur le maître d'ouvrage et sur le donneur d'ordre et d'obtenir « un protocole atypique traité avec l'ensemble des acteurs », salue Marilyne Poulain, secrétaire de l'UD de Paris, membre de la direction confédérale et responsable du collectif Migrants.

À l'issue du conflit, les travailleurs sans papiers obtiennent leur régularisation sur la base de la reconnaissance de leur travail.

Alors qu'ils travaillaient pour la petite entreprise sous-traitante MT-BAT-Immeubles, ils sont embauchés par le donneur d'ordre, Capron.

C'est ensuite le Défenseur des droits et le conseil des prud'hommes de Paris qui pointent pour la première fois la « discrimination systémique » : si tous les travailleurs du chantier sont des Maliens sans titres de séjour, ce n'est pas un hasard, il s'agit bien d'une organisation réfléchie.

La condamnation du gérant de l'entreprise MT-BAT-Immeubles constitue une nouvelle étape dans la lutte des travailleurs sans papiers. « Les coiffeuses sans papiers qui travaillaient au noir boulevard de Strabourg avaient obtenu leur régularisation sur la base de la reconnaissance de la traite des êtres humains. Cette fois, les ouvriers de Breteuil ont été régularisés sur la base de leur travail. Le travail indigne a été reconnu. On avance… » commente Marilyne Poulain.

La CGT défend l'égalité de traitement et l'application du droit du travail français pour tous les salariés qui travaillent en France.

Elle prône la reconnaissance du travail et la régularisation administrative des travailleurs sans papiers surexploités parce que sans droits. Qu'ils aient ou non une autorisation de séjour et de travail, ce qui importe, c'est qu'ils travaillent et vivent ici.

 

 

 

 

 

publié le 18 septembre 2021

Écrans plats ou impayés de cantine : le fantasme des pauvres irresponsables

Par Faïza Zerouala sur le site www.mediapart.fr

Ces derniers jours, plusieurs histoires ont enflammé les médias, stigmatisant à chaque fois des personnes pauvres accusées de mal gérer leur argent ou de frauder. Pour les sociologues Vincent Dubois et Denis Colombi, ces affirmations reposent sur des fantasmes mais sont ressuscitées à intervalles réguliers pour des raisons politiques.
 

Le problème avec les polémiques, c’est qu’elles ne sont pas infinies. Alors rien ne vaut le recyclage de vieilles antiennes. Et cela vaut aussi lorsqu’il s’agit de brocarder les plus pauvres.

Ces derniers jours, plusieurs histoires ont illustré cette tendance. Elles n’ont d'autre lien entre elles que de concerner des familles en difficulté et de montrer à quel point l’appel à se responsabiliser ne vise que les plus modestes. Surtout dans ce moment particulier où la pauvreté s’accroît, et que 45 % des Français interrogés ont indiqué avoir perdu des revenus, comme l’a démontré la dernière enquête du Secours populaire, publiée le 10 septembre.

Premier exemple : un enfant de 7 ans, scolarisé à Saint-Médard-de-Guizières (Gironde), a été exclu de la cantine scolaire le 10 septembre, pour cause d’impayés. Il a été escorté chez lui par un policier municipal à l’heure du déjeuner. Ce qui n’a pas manqué de susciter un émoi généralisé.

La maire de la commune, Mireille Conte-Jaubert, a affirmé deux jours plus tard dans un entretien à Sud Ouest qu’elle sollicitait la mère de l’enfant « depuis 2019 » pour régler cette dette qui s’élève selon l’élue à 800 euros, soit « 350, voire 400 repas 15 septembre 2021». « Je n’ai pas eu d’autres choix pour récupérer l’enfant. Soit j’appelais la police, soit j’appelais les services sociaux », a expliqué à France info la maire du village, assurant avoir fait au mieux.

Invitée sur le plateau de Cyril Hanouna sur C8 le 13 septembre, Chirley, la mère de l’enfant, livre une autre version des faits. Elle commence par raconter que son fils s’est senti humilié par cet incident et a dû subir les moqueries du type « tu vas aller en prison » par ses camarades de classe. Sans emploi, elle a reconnu avoir cumulé 870 euros de dettes de cantine depuis janvier 2020 pour ses deux fils, l’aîné vient d’aller au collège. Elle a expliqué avoir déjà lancé des démarches pour se remettre en règle mais, n’étant pas véhiculée, elle peine à se rendre au Trésor public, dans la ville voisine.

Après avoir été questionnée pendant près de vingt minutes dans tous les sens par les chroniqueurs et accusée de laxisme par certains d’entre eux, la mère de famille a promis qu’elle allait régulariser sa situation au plus vite, avec l’aide financière de sa mère, a-t-elle été obligée de préciser, un peu gênée. Avec une mise en scène propre à ce genre d’émission, Chirley s’est vu proposer par l’animateur d’éponger cette dette en la prenant en charge « avec la production ».

Autre exemple, désormais récurrent. Lors de la rentrée, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a fustigé, sur France 3 le 29 août, le fait que l’allocation de rentrée scolaire soit détournée par les familles à d’autres fins que l’achat des fournitures scolaires. Selon le locataire de la Rue de Grenelle, elle serait utilisée par certaines familles pauvres pour s’offrir des écrans plats, ressuscitant ainsi une vieille accusation lancée notamment par la droite dès 2008.

Le député Édouard Courtial, alors à l’UMP, expliquait dans un entretien au Parisien que l’allocation de rentrée scolaire ne devait pas servir à acheter un écran plat. Mot pour mot les termes et arguments employés par Jean-Michel Blanquer.

Et même s’il y a quelque chose d’absurde à vérifier si les ventes de téléviseurs à écran plat (les tubes cathodiques n’existent plus, donc tous les écrans sont plats par définition) sont en hausse au mois d’août (le mois de versement de l’allocation) et septembre, Libération, entre autres, s’y est attelé dans sa rubrique de fact-checking.

Résultat, le ministre a tout faux. Deux études de 2002 et 2013, réalisées par la Caisse d’allocation familiales (CAF), démontrent que les récipiendaires de l’allocation de rentrée scolaire l’utilisent pour acheter des fournitures scolaires, des équipements de sport ou payer la cantine scolaire. Et que les mois de septembre et août sont les pires mois de l’année en matière de vente de télévisions en France.

Enfin, dernière histoire. À Nice, une habitante du quartier des Chênes a vu son bail résilié par l’office HLM Côte d’Azur Habitat parce que son fils de 19 ans a été condamné à 20 mois de prison pour trafic de stupéfiants et serait coupable d’incivilités. Le bail de l’appartement est au nom de cette mère de famille. Là encore, l’affaire a créé de l’émoi et soulevé des interrogations. 

Dans Libération, Anthony Borré, président de Côte d’Azur Habitat, le plus grand bailleur social du département, et premier adjoint (LR) au maire de Nice, justifie cette future expulsion : « L’urgence sociale ne suffit pas pour prioriser les dossiers. Je prends en compte la méritocratie. Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne sont pas les meilleurs candidats, expose-t-il. On est responsable des actes de ses enfants et des personnes que l’on héberge sous son toit. Je veux faire savoir à ceux qui trafiquent que je serai intraitable : qu’ils quittent ces quartiers. »

Le 7 septembre, Christian Estrosi, le maire de Nice, a indiqué sur France 2 que d’autres procédures seront lancées concernant des familles dans la même situation que celle expulsée dans le quartier des Chênes. 70 autres familles sont concernées, a avancé Côte d’Azur Habitat.

Ce nouveau règlement à l’œuvre, voté fin mars en conseil municipal, a été dénoncé notamment par la Fondation Abbé-Pierre. Son directeur régional, Florent Houdmon, questionnait déjà auprès de l’AFP l’efficacité de la méthode en avril, la comparant à une punition collective.

« Est-ce que la punition collective est la bonne réponse ? C’est injuste et assez aberrant pour les autres occupants », non condamnés mais visés par l’expulsion, voire « irresponsable » selon lui. « Je ne nie pas le droit à la sécurité. Il y a des familles qui subissent le manque de présence policière et d’actions de prévention, mais quand ce ménage aura quitté son HLM, on va le retrouver ailleurs dans des copropriétés dégradées du parc privé. La réponse est dans la répression et la prévention. »

L’affaire de l’enfant privé de cantine a créé la polémique. Face à cela, la Défenseuse des droits, Claire Hédon, s’est « saisie d’office » afin d’enquêter sur la situation de cet enfant et de sa famille. « Les enfants doivent être laissés à l’écart des conflits entre leurs parents et l’administration », a-t-elle rappelé dans un communiqué le 14 septembre.

Dans un rapport publié en juin 2019, le Défenseur des droits avait déjà appelé à ce que le règlement des factures impayées fasse uniquement l’objet de procédures entre les collectivités et les parents, sans impact sur les enfants. L'institution appelle à bannir la pratique du « déjeuner humiliant » visant à servir aux enfants des menus différenciés afin de faire pression sur les parents et ne pas recourir aux exclusions.

De son côté, la FCPE, principale fédération de parents d’élèves, a salué l’initiative de la Défenseuse des droits dans un communiqué et rappelle que la restauration scolaire est « un temps éducatif et de socialisation et peut-être, pour certains enfants, le seul repas équilibré de la journée. Il est crucial d’accompagner les familles et non de les mettre à l’index ». La FCPE a rappelé qu’elle défend depuis toujours la gratuité de la restauration, avec une prise en charge par l’État, à l’image de la Suède et de la Finlande. Ce qui éviterait ce genre d’incidents.

Toutes ces histoires démontrent bien comment les personnes pauvres sont accusées avec facilité d’être irresponsables et sont infantilisées. Il faudrait les punir en cas de manquement et les surveiller davantage que toute autre frange de la population.

L’enseignant et sociologue Denis Colombi s’est précisément penché en 2019 sur ce sujet dans son ouvrage Où va l’argent des pauvres ? (Payot). Il est formel à propos du mauvais usage de l’allocation de rentrée scolaire : « Aucun rapport, aucune enquête n’est venue la placer sur l’agenda médiatique et politique pour signaler l’existence d’un problème qui demanderait une intervention urgente. Mais en la matière, l’anecdote et la suspicion sont amplement suffisantes et il n’en faut pas plus pour attirer le feu des projecteurs et les commentaires les plus assurés. »

Mais le fantasme perdure. Denis Colombi rappelle aussi qu’en 2015 le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a décidé, au lieu d’un virement, de verser la prime de Noël des allocataires du RSA sous forme de bons d’achat de jouets de 50 euros, un par enfant de moins de 12 ans, pour éviter que l’argent échoie à une autre dépense.

La même année, aux États-Unis, le Missouri a décidé d’interdire l’achat de certains aliments comme les cookies, les chips ou les steaks avec les food stamps, les bons alimentaires, parce que trop associés à l’idée de plaisir. Les personnes pauvres sont censées avoir une relation utilitaire à la nourriture et ne savent pas résister à la tentation.

Ce présupposé que les bénéficiaires des allocations et personnes modestes fraudent et ne sont pas responsables, le sociologue Vincent Dubois, auteur de Contrôler les assistés (éditions Raisons d’agir), l’a rencontré maintes fois lors de ses travaux de recherche.

Interrogé par Mediapart, il confirme que « cette polémique autour de l’allocation de rentrée scolaire ne repose sur rien d’objectivé, et on fait pourtant des tendances générales. Il n’est pas exclu que quelques familles ne l’utilisent pas pour des fournitures scolaires mais il n’y a aucun moyen de le vérifier. À part si on supervisait les comptes des bénéficiaires par des assistantes sociales et conseillères en économie sociale et familiale. Mais cela supposerait un degré très fort de supervision et d’immixtion dans le quotidien des familles pauvres, ce qui deviendrait légitime pour eux mais serait insupportable pour des familles ne serait-ce que de classe moyenne ».

À chaque fois, explique Denis Colombi dans son ouvrage, des considérations morales sous-tendent ces décisions. Les pauvres ne sauraient pas gérer leur argent : « On reproche implicitement de ne pas être capable de se contrôler, de se retenir ou de faire les bons choix. » D’où l’idée récurrente de contrôler les dépenses des personnes pauvres. « Donnez-leur de l’argent, disent ainsi les critiques des revenus d’assistance, et vous les enfermerez dans l’oisiveté, les découragerez de faire des efforts et, finalement, les maintiendriez dans la pauvreté », écrit encore Denis Colombi.

Le sociologue Vincent Dubois relève pour sa part dans ces déclarations une opportunité politique de la part du ministre de l’éducation nationale qui flatte ainsi à peu de frais l’électorat de droite, et « droitise » un peu plus le camp macroniste.

Au-delà de l’aspect opportuniste, Vincent Dubois voit dans ces différentes histoires une réactivation d’un « schème très ancien de mise en cause des comportements des personnes pauvres. Ils sont considérés par une partie de la société comme responsables de leur propre situation, comme n’étant pas courageux ou encore comme ne cherchant pas de travail ».

Ce qui appelle au contrôle des comportements des personnes qui bénéficient des aides publiques, car elles pourraient se rendre coupables d’abus ou de mauvais usage du soutien financier apporté. Certains aimeraient aussi réclamer des contreparties aux plus pauvres, là où ce serait « une hérésie » quand il s’agit d’entreprises, indique Vincent Dubois.

L’affaire de la cantine scolaire est relativement proche, selon lui, et convoque les mêmes mécanismes d’accusation d’incurie, de malhonnêteté ou de combinaison des deux. « Plus il y a de pauvres, plus on met en cause les individus dans la responsabilité de leur situation. C’est comme pour le chômage, plus il est élevé et se stabilise à un haut niveau, plus on accuse les chômeurs, sauf en période de forte crise où on admet un effet conjoncturel. »

L’expulsion locative pour cause de condamnation pénale obéit à la même logique de la responsabilité individuelle et de mise en cause des individus qui subissent ainsi une double peine. Et sans garantie que la sanction soit efficace. De la même manière que le retrait des allocations familiales aux parents d’enfants pour cause d’absentéisme n’a jamais été efficace. Vincent Dubois juge que « c’est un remède pire que le mal ».

 

 

 

 

publié le 17 septembre 2021

EDF accusée en justice d’abus de sous-traitance

Par Dan Israel sur www.mediapart.fr


 

Une vingtaine d’assistantes administratives sont employées par un sous-traitant, parfois depuis 35 ans. L’inspection du travail estime qu’EDF est leur « véritable employeur ». Elles demandent au tribunal de reconnaître l’injustice qu’elles subissent.

Elles ne sont qu’une poignée contre un mastodonte, mais leurs arguments sont solides, et elles espèrent se voir donner raison. Ce vendredi 17 septembre, 23 assistantes de direction travaillant pour une filiale d’EDF en Seine-et-Marne attaquent le fournisseur d’électricité devant le tribunal judiciaire de Meaux.

Elles veulent faire reconnaître le caractère artificiel, et désavantageux pour elles, de leur statut : elles ne sont pas salariées, mais ont été employées par une kyrielle de sous-traitants au fil des ans, aujourd’hui Canon France Business Services (CFBS).

Précision de taille : la plus ancienne de ces salariées d’un genre particulier travaille sur place depuis… 1986, et elles sont onze à être en poste depuis plus de vingt ans. L’audience devant le tribunal est l’aboutissement d’une démarche lancée par les principales concernées courant 2017, avec l’appui de la CGT de leur entreprise.

« Jusqu’à la fin 2017, nous travaillions toutes dans différents services, au milieu des agents EDF. Nous faisions vraiment de l’assistanat, témoigne l’une des salariées. C’est EDF qui nous fournissait le travail, le matériel, les badges, nous travaillions comme les autres agents. Certains ne savaient même pas que nous étions des prestataires. »

Cette confusion est un problème, car pour la loi, une entreprise n’a pas le droit d’employer des sous-traitants pour effectuer exactement les mêmes tâches que ses salariés. La Poste a par exemple fait récemment les frais de cette règle : le 30 septembre 2020, l’entreprise publique a été condamnée en appel pour prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage.

Ces deux termes juridiques désignent la situation où une entreprise emploie un sous-traitant là où un salarié classique, en CDI, CDD ou même en intérim, aurait tout aussi bien pu être embauché, et où les sous-traitants subissent un préjudice en raison de cette situation. Par exemple lorsqu’ils ne peuvent pas bénéficier des conditions offertes par l’entreprise (salaire, formation, etc.) à ses salariés officiels.

Une sous-traitante perdrait jusqu’à 15 000 euros par an

Selon l’analyse des salariées, de la CGT Seine-et-Marne et de leur avocat, la situation est exactement la même chez EDF UTO, une unité de la branche nucléaire de l’entreprise qui compte environ 900 salariés. EDF UTO est chargée d’alimenter les 19 centrales nucléaires en pièces de rechange et de permettre la maintenance opérationnelle du parc. Son budget annuel est gigantesque : 700 millions d’euros.

Selon les calculs de la CGT, une sous-traitante non salariée directement par EDF perdrait jusqu’à 15 000 euros par an, en salaire, avancement, primes et avantages divers, comme le 13mois, les activités sociales du comité social et économique ou le « tarif agent » qui assure une ristourne de 90 % sur le prix de l’électricité. Sollicitée par Mediapart, EDF n’a pas donné suite à nos demandes d’explication ou de commentaire.

« Avant d’aller au tribunal, nous avons tenté de négocier avec l’entreprise, mais ils jouent la montre, regrette un représentant du personnel. C’est comme au Loto, ils estiment qu’ils ont une chance de gagner, alors ils jouent. Et ils n’en ont rien à faire de la grande détresse des salariées en question depuis quatre ans. Certaines sont en dépression, le malaise est important. »

Les salariées peuvent s’appuyer sur un document qui fait méticuleusement le tour de leur situation : un procès-verbal de 60 pages signé par l’inspection du travail le 17 avril 2019, par lequel l’organe de contrôle et sa hiérarchie ont attesté qu’EDF a commis des infractions, et les ont signalées au parquet.

L’avocat des assistantes sous-traitées, Jérôme Borzakian, salue « une enquête assez extraordinaire menée par l’inspection du travail » : « Ce PV est un brûlot, tout a été étudié. Les contrats et les prestations ont été épluchés au peigne fin », salue celui qui s’est largement appuyé sur ce document pour rédiger son assignation devant le tribunal.

D’octobre 2017 à octobre 2018, l’inspectrice du travail chargée du dossier a en effet amassé un maximum de documents, de témoignages et d’information. Pour aboutir à un constat simple : « EDF est le véritable employeur des salariés » prétendument prestataires de service.

À l’époque de l’enquête, l’employeur des assistantes administratives (et de quelques autres collègues) était la société Segula. Pour l’inspectrice du travail, l’ensemble des éléments recueillis « démontre, en raison de son caractère extrêmement fort, le transfert du lien de subordination de Segula vers le donneur d’ordre EDF ».

« Un travail que le donneur d’ordre sait faire mais qu’il ne veut plus faire »

Les salariés concernés étaient en théorie placés sous l’autorité d’une représentante du sous-traitant, présente dans les locaux. Mais du fait de leur « proximité physique immédiate » avec les agents EDF, ils se situaient en fait « sous l’autorité fonctionnelle d’agents UTO appartenant au service auxquels ils sont affectés ». Agents « qui leur donnent des instructions de façon quotidienne […] et surtout à qui les salariés Segula sont, pour certains d’entre eux, susceptibles de rendre compte de l’activité réalisée au quotidien ».

« L’existence d’un lien de subordination est étayée par le fait qu’UTO impose les horaires, le lieu de travail, les locaux, le matériel et les logiciels informatiques à son sous-traitant », souligne encore le rapport de l’inspection du travail.

La loi prévoit bien que la sous-traitance est possible pour des activités qu’une entreprise ne sait pas réaliser. Or, les missions confiées au sous-traitant se cantonnent à « un travail que le donneur d’ordre sait faire mais qu’il ne veut plus faire », tranche le document.

Plusieurs comptes rendus de réunions du comité d’entreprise l’attestent en effet. Le 5 février 2015, la direction de l’entreprise a expliqué aux élus du personnel que les fonctions d’assistant étaient historiquement assurées par des assistantes recrutées en interne, mais que leurs postes ont été externalisés.

Classement sans suite

Déjà en 2013 et en 2014, il avait été question d’« externalisation », mais aussi de « ré-internaliser » certains postes d’assistantes de direction. Et en effet, trois employées du sous-traitant ont été réintégrées directement au sein d’EDF en 2015. Sans changement particulier de leurs missions, selon leurs propres dires.

D’ailleurs, fin 2016, un annuaire interne intitulé « Qui fait quoi » recensait les salariées du sous-traitant comme des agents de secrétariat, sans plus de précisions. Problématique, puisque la charte éthique rappelle que les salariés ne doivent pas « faire appel à un tiers pour effectuer une tâche qu[’ils peuvent] effectuer [eux]-mêmes ».

Malgré ces éléments, le parquet de Meaux avait décidé en avril 2020 du classement sans suite de la plainte de la CGT. Ce qui a obligé le syndicat à saisir le tribunal dans le cadre de la procédure directe, où aucune enquête n’est réalisée en amont de l’audience.

« Ce classement sans suite est curieux », euphémise MJérôme Borzakian. Le parquet a en effet considéré que les missions de secrétariat confiées aux sous-traitants étaient en fait particulièrement techniques, et qu’elles étaient donc autorisées par la loi.

Ainsi, écrit le parquet, il ne s’agit pas d’une « simple assistance à direction mais d’une expertise mobilisée en permanence ». La suite n’est pas des plus limpide : « Même si elle n’est pas directement l’expression de la sécurité nucléaire, elle demeure essentielle et stratégique tant pour l’indépendance énergétique que pour la sécurité nationale. »

De même, assure le parquet, « il semble logique que les salariés de Segula soient directement sous l’autorité fonctionnelle d’EDF UTO puisque la réactivité devant être optimum, l’information doit être partagée et les procédures connues ». Avant d’évacuer : « Le caractère lucratif de la prestation n’est pas suffisamment documenté. »

Du jour au lendemain, il a fallu vouvoyer des agents EDF alors que certaines d’entre nous les connaissions depuis 30 ans

Pourtant, l’inspection du travail a établi que Segula dépensait environ 73 000 euros bruts par mois en salaire pour ses employés placés chez EDF, pour une facture mensuelle de 169 000 euros.

Depuis l’enquête de l’inspection du travail, EDF UTO applique mieux les règles. D’autres entreprises prestataires ont été invitées à travailler dans d’autres locaux. Et les assistantes ayant lancé la procédure ne sont plus mélangées aux autres agents depuis décembre 2017.

D’autres précautions ont été prises par EDF : « Du jour au lendemain, il a fallu vouvoyer des agents EDF alors que certaines d’entre nous les connaissions depuis 30 ans », s’émeut l’une des assistantes.

Les femmes qui sont montées au créneau jouent gros. Le contrat du prestataire actuel prend fin en décembre. Il est déjà prévu que les assistantes encore en poste sortent des locaux, voire quittent la Seine-et-Marne. Elles craignent aussi de subir une rétrogradation dans les qualifications de leur poste et voient poindre de nettes baisses de salaire. À moins que la justice ne les entende, et ordonne à EDF de les intégrer enfin dans ses rangs.


 

 

 

 

publié le 16 juillet 2021

 

Une intervention présidentielle « hors sol »

et pleine de contradictions

sur le site www.cgt.fr

Lors de son intervention télévisée du 12 juillet, le président de la République a fait la démonstration de son décalage avec la réalité sociale du pays et a multiplié les contradictions. Un discours où la démagogie n’a d’égale que la visée populiste du propos.

Alors que « la terre brule » – littéralement en Amérique du Nord en ce moment – pas un mot sur le climat et les enjeux environnementaux !

Alors que les violences faites aux femmes s’accroissent, pas un mot sur la situation, pas une mesure de protection, pas un projet, rien…

Alors que de nombreux travailleur·se·s ne bouclent pas les fins de mois et que l’économie ne pourra véritablement repartir que grâce à la consommation des ménages, pas un mot sur les salaires, pas de propositions pour augmenter significativement le Smic, les minima sociaux, les pensions…

Alors que la jeunesse paie un lourd tribut en termes d’emploi, d’accroissement sans précédent de la précarité, d’isolement, de renoncement aux études, de non accès à l’alternance, à l’emploi, etc., pas un mot pour viser un retour au « plein emploi »…

Toutes les réalités sociales du quotidien ont été éludées par un président bien plus préoccupé par sa réélection que par une réponse véritable aux préoccupations du monde du travail.

Des contradictions qui confinent à l’absurde.
Il porte l’idée d’une politique industrielle en France. Pourtant, ces dernières années, les exemples ne manquent pas de fermeture de sites, de délocalisation et, à chaque fois, le même discours : « Nous n’y pouvons rien… »

Sans attendre, pourquoi alors le gouvernement n’intervient-il pas en imposant un moratoire sur les fermetures de sites industriels ? Pourquoi n’intervient-il pas, par exemple, pour maintenir l’entreprise Luxfer qui fabrique du matériel médical ? Les exemples similaires sont nombreux.

Il valorise le CDI alors même que le gouvernement n’a de cesse de le remettre en cause et de vouloir lui substituer des formes de contrat toujours plus précaires, afin de répondre aux attentes d’un patronat qui voit dans la stabilité du contrat de travail des freins à l’embauche…

Il promeut notre système de protection sociale qui nous a permis d’amortir les grandes crises (financière de 2008 et sanitaire depuis 2020), alors même que sa politique n’a de cesse de casser la Sécurité sociale, de fragiliser son financement, qu’il tente d’imposer une nouvelle réforme de l’assurance chômage, qu’il vise un nouveau recul de l’âge de départ en retraite…

Il encourage le « dialogue social », alors même qu’il tente d’imposer, au 1er octobre, une réforme de l’assurance chômage combattue par l’ensemble des organisations syndicales françaises et par le Conseil d’État lui-même…

Il présente son projet de réforme des retraites comme « particulièrement juste et nécessaire ». Pourtant, il le temporise en le reportant post Covid, autant dire dans la perspective d’un nouveau mandat…

Il encense les personnels soignants, alors même qu’il les stigmatise en les faisant passer pour des rétifs à la vaccination, de dangereux inconscients face à la situation sanitaire qu’il faut contraindre à se faire vacciner. Pourtant, les soignants sont vaccinés à ce jour à 91 %, soit deux fois plus que la moyenne de la population française…

Face à cette politique gouvernementale qui ne vise que la remise en cause des acquis sociaux, la CGT appelle l’ensemble du monde du travail à se réunir et à se mobiliser pour que la rentrée sociale soit synonyme de luttes gagnantes pour le progrès social !

Pour voir les propositions de la CGT sur l’emploi, vous pouvez consulter : https://www.cgt.fr/contact-emploi?utm_source=email&utm_campaign=Newsletter_n186_du_16_juillet_2021_nouvelle_version&utm_medium=email


 

Notre protection sociale, « joyau de notre modèle social »… que Macron voudrait pourtant détruire !

Sur le site www.cgt.fr

Le président de la République, lors de son allocution télévisée du 12 juillet, a notamment annoncé la poursuite de sa politique libérale et de casse des conquis sociaux, en voulant imposer une réforme de l’assurance chômage au 1er octobre 2021, sans tenir compte de l’opposition de l’ensemble des confédérations syndicales à ce projet.

Que faut-il de plus qu’une position unanime des organisations syndicales contre la réforme de l’assurance chômage et une censure du Conseil d’État pour que le président de la République prenne en compte la dimension profondément injuste, inégalitaire et antisociale de sa réforme ?

Cette posture politique ne sert qu’à envoyer des messages à sa droite, dans la perspective des prochaines élections présidentielles et à donner encore plus de gages au patronat qui ne cesse de recevoir des cadeaux sans conditionnalité ni efficacité : plan de relance, baisse des impôts de production et société !

Malgré les puissantes mobilisations qui se sont déroulées entre décembre 2019 et mars 2020, Emmanuel Macron a aussi annoncé une réforme des retraites visant à travailler plus longtemps et à partir à la retraite plus tard. Allonger les carrières alors qu’aujourd’hui un.e salarié.e sur deux n’est pas en activité est une aberration. Cela va mécaniquement abaisser le niveau des pensions, accroitre les inégalités et appauvrir des centaines de milliers de retraité.e.s… Qui peut décemment affirmer qu’une pseudo-garantie de retraite à 1 000 euros est suffisante pour vivre dignement ?

L’annonce de la suppression des régimes spéciaux est également de retour. Le Président, dans une visée populiste et électoraliste, loin de tenter de rassembler, joue de nouveau la carte de la division, de la fracture et de l’opposition entre travailleurs et travailleuses.

Pour lutter contre le fléau du chômage, il faut permettre à toutes et tous de trouver un emploi et ce n’est pas en forçant les plus âgé.e.s à rester plus longtemps au travail que cela sera possible.

Avec la CGT, pour gagner le retour au « plein emploi », cela passe par un âge de départ en retraite à taux plein à 60 ans, des dispositifs de départs anticipés pour les métiers pénibles et par l’instauration des 32 heures, pour travailler moins, mieux et travailler toutes et tous !

La CGT appelle les salarié.e.s, les privé.e.s d’emploi, les retraité.e.s et la jeunesse à se mobiliser contre ces projets de réformes et à gagner le progrès social !

Montreuil, le 13 juillet 2021

 

 

 

 

publié le 15 juillet 2021

Aides publiques. Carton rouge sur le contrôle de la fraude

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Un rapport publié lundi par la Cour des comptes confirme notamment les lacunes dans la politique de contrôle du chômage partiel, qui a coûté plus de 26 milliards d’euros en 2020.

C’est une validation partielle et émaillée de critiques de la politique de soutien à l’emploi du gouvernement que la Cour des comptes vient de rendre lundi. Dans un rapport de 193 pages, la juridiction financière estime notamment qu’en ce qui concerne l’activité partielle « la France a retenu les enseignements de la crise financière de 2008 en la mettant immédiatement au cœur de sa réponse en faveur de l’emploi, avec des moyens financiers considérables (33,8 milliards prévus en 2020, dont 22,6 milliards ouverts sur le budget de l’État et 11,2 milliards à la charge de l’Unédic) ». « De premiers indices suggèrent que l’activité partielle a bien évité, ou à tout le moins différé, une partie de l’impact négatif de la crise sur l’emploi », poursuit le document.

Mais, sur d’autres volets, la Cour se montre beaucoup plus critique, notamment en ce qui concerne les aides à la formation. « Le bilan s’avère médiocre », selon les auteurs du rapport, qui regrettent le financement « des formations courtes et non qualifiantes au profit de publics variés, sans considération de leur fragilité ni de l’intérêt réel des projets de formation pour les entreprises ou la sécurisation du parcours professionnel des intéressés ». La Cour reconnaît que « la prolongation des droits des chômeurs pendant la période de confinement était une mesure d’équité incontestable », mais juge que les 950 millions d’euros de dépenses liées à la mise en place d’une année blanche pour les intermittents représentent un coût excessif.

Un nombre de contrôle largement surestimé par le ministère

Mais c’est surtout sur l’insuffisance des contrôles destinés à dissuader la fraude au chômage partiel que le rapport se montre le plus tranchant. Alors que le ministère du Travail communique depuis plusieurs mois sur le chiffre de 50 000 contrôles réalisés auprès des employeurs a posteriori, la Cour affirme que ce chiffre est largement surestimé : « Il s’agit en réalité du nombre de contrôles ouverts à cette date, et non de contrôles réalisés. Au 31 août 2020, seuls 37 % des contrôles avaient été clôturés, ce qui est peu compatible avec la communication ministérielle sur le sujet », n’hésitent pas à tacler les auteurs du rapport. Confirmant par ailleurs les alertes des agents de l’inspection du travail dans nos colonnes  en septembre 2020, la juridiction financière constate plusieurs lacunes dans la politique de contrôle des entreprises. « Le plan de contrôle a été conçu dans une logique quantitative et une volonté de démontrer une rapidité de riposte face à la fraude, au détriment de la qualité de celle-ci », dénonce le document.

Un montant de 225 millions d’euros de fraude

Notant la difficulté qu’ont eue les agents à avoir accès à certaines bases de données pour vérifier la régularité des demandes, la Cour déplore que les services du ministère du Travail et de l’Agence de services et de paiement aient été mal armés face à la diversité des schémas d’escroquerie possibles. Le document pointe notamment la création de fausses identités d’entreprises, voire l’usurpation d’identité d’autres entreprises bien réelles comme faisant partie des arnaques récurrentes. Contrairement à ce qu’affirme le ministère du Travail, qui communique sur un montant de 225 millions d’euros de fraude, la Cour des comptes estime, elle, impossible d’évaluer l’ampleur du phénomène.

Si la CGT du ministère d’Élisabeth Borne se félicite que le rapport de la Cour des comptes « rejoigne » les alertes que le syndicat avaient portées dès l’automne dernier, celui-ci constate que le document fait des impasses sur d’autres aspects liés au contrôle. « Pourquoi est-ce qu’on ne demande pas aux employeurs de donner plus de justifications à l’appui de leurs demandes ? » s’interroge Simon Picou, secrétaire national de la CGT-TEFP, qui souligne par ailleurs que la question des effectifs reste déterminante. « Dans certains départements, un tiers des postes sont vacants », souligne le responsable syndical.

 

 

 

 

publié le 14 juillet 2021

La fortune des milliardaires français a bondi depuis un an

Sur le site www.huffingtonpost.fr

Selon le magazine "Challenges", le nombre de milliardaires français a par ailleurs plus que doublé en 10 ans, passant de 51 en 2011 à 109 en 2021.

ÉCONOMIE - Le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes de France a augmenté de 30% en un an, selon le classement à paraître jeudi 8 juillet du magazine Challenges, qui a dénombré 109 milliardaires français cette année contre 95 l’an dernier.

Le classement est dominé pour la cinquième année consécutive par Bernard Arnault, le patron de LVMH, première capitalisation boursière d’Europe. La forte reprise du luxe au second semestre 2020, porté par l’Asie, a fait s’envoler les cours de bourse des géants du secteur dont LVMH (Vuitton, Dior...) et Kering (Gucci, Saint Laurent...), et donc le patrimoine de leurs dirigeants actionnaires.

1.000 milliards d’euros détenus par les 500 familles les plus riches

Selon le magazine, qui a effectué son calcul en fonction des actifs professionnels des personnalités entre juin 2020 et juin 2021, le montant de la fortune des 500 plus riches du pays “tutoie désormais les 1.000 milliards d’euros”. “Ce sont les plus fortes progressions annuelles jamais enregistrées par notre palmarès, mis en place en 1996”, a indiqué Challenges. Le nombre de milliardaires français était de 51 en 2011, selon le média.

Comme chaque année depuis 2017, quand il a dépassé l’héritière de L’Oréal Liliane Bettencourt, Bernard Arnault et sa famille sont en tête, avec une fortune estimée à plus de 157 milliards d’euros. Une progression de 57% par rapport à juin 2020. Le PDG de LVMH a même été quelques heures en mai l’homme le plus riche du monde, devant l’Américain Jeff Bezos (Amazon), au gré de l’évolution des cours qui font varier leur fortune en temps réel.

Les crises nous rendent plus forts”, avait déclaré fin avril Bernard Arnault en commentant les bons résultats financiers de LVMH, numéro un mondial du luxe. Suivent la famille Hermès (81,5 milliards d’euros), celle des Bettencourt (L’Oréal - 71,4 milliards), et en quatrième et cinquième positions celles d’Alain et Gérard Wertheimer, héritiers de Chanel, et de François Pinault, fondateur de Kering, aujourd’hui dirigé par son fils François-Henri.

Le fondateur d’eBay Pierre Omidyar, huitième, double sa fortune estimée entre 2020 et 2021, alors que les confinements ont dopé le commerce en ligne des articles d’occasion.

Les dix premiers, ceux dont la fortune dépasse les 13 milliards d’euros, ont vu leur patrimoine bondir de 37%. Les 490 autres ont vu le leur n’augmenter ‘que’ de 25 %”, note Challenges. Avec la crise du Covid, le débat autour de la taxation des plus riches se renforce en France et ailleurs.

Samedi, l’association altermondialiste Attac a d’ailleurs visé directement Bernard Arnault en peignant en noir des vitrines de la Samaritaine, grand magasin de LVMH à peine rouvert à Paris, pour dénoncer “l’enrichissement indécent des milliardaires pendant la crise sanitaire”.

 

 

 

 

publié le 14 juillet 2021

 

 Inégalités. Ces familles

qui valent 1000 milliards

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

La mouture 2021 du classement des plus grandes fortunes de France a été publiée jeudi par Challenges. Leur enrichissement, en temps de crise sanitaire et économique, dépasse le stade de l’indécence.

C’est la première fois que le magazine Challenges semble embarrassé par son propre classement des 500 plus grandes fortunes de France. Les ultrariches ont tellement profité de la crise que ça en devient flagrant. Leur patrimoine cumulé a ainsi augmenté de 30 % en un an, pour frôler les 1 000 milliards d’euros.

Sur dix ans, la fortune des milliardaires français a gonflé de 439 %.

Il y a désormais 109 milliardaires, contre 95 l’an dernier. Rappelons qu’il y a dix ans, en 2011, ils étaient 51 à dépasser le milliard d’euros. « Ce sont les plus fortes progressions annuelles jamais enregistrées par notre palmarès, mis en place en 1996 », a indiqué Challenges. Sur dix ans, la fortune des milliardaires français a gonflé de 439 %.

Tout en haut de la pyramide

Comme chaque année depuis 2017, Bernard Arnault et sa famille sont en tête, avec une fortune estimée à plus de 157 milliards d’euros. Une progression de 57 % par rapport à juin 2020. « Les crises nous rendent plus forts », avait déclaré fin avril le PDG de LVMH en commentant les résultats financiers de son groupe. Suivent la famille Hermès (81,5 milliards d’euros), celle des Bettencourt (71,4 milliards) et en quatrième et cinquième positions celles d’Alain et Gérard Wertheimer, héritiers de Chanel, et de François Pinault, fondateur de Kering.

« L’enrichissement est particulièrement fort en haut de la pyramide. La fortune des 10 Français les plus riches est désormais supérieure de presque 100 milliards à celle des 490 autres grandes fortunes françaises, explique Quentin Parrinello, le porte-parole d’Oxfam. Un constat similaire à celui que nous dressions un an après la pandémie : entre mars 2020 et mars 2021, les milliardaires français ont gagné 170 milliards d’euros – soit deux fois le budget de l’hôpital public ! »

Profiteurs de crise

Ces grandes fortunes ont profité des plans de secours à l’économie : des milliers de milliards d’euros ont été injectés par les banques centrales et une bonne partie a fini sur les marchés financiers pour venir gonfler la capitalisation des groupes du luxe, des technologies et de l’industrie pharmaceutique. Le patrimoine des principaux actionnaires a grossi d’autant. En outre, malgré la crise, ils ne se sont pas privés de dividendes. La famille Arnault a touché la moitié de ceux versés par LVMH, soit près de 1,5 milliard d’euros ; 750 millions pour les Bettencourt ; 415 millions pour Pinault.

Des cascades d'argent public

Les croissances de patrimoine financier les plus importantes se retrouvent dans les entreprises technologiques, les licornes françaises, qui ont opéré des levées de fonds énormes, soutenues par une cascade d’argent public en soutien. Les dirigeants de Snowflake, société d’hébergement de données, ont vu leur fortune exploser de 400 % en un an. Le fondateur de Snapchat, jeune trentenaire naturalisé français par Emmanuel Macron, dépasse désormais les 10 milliards d’euros (+ 115 %). Côté Big Pharma, le PDG français de Moderna a vu son patrimoine tripler, les fondateurs du laboratoire Ethyfarm se contenteront d’une hausse de 114 % de leur fortune.

Même pour un média comme Challenges que la richesse fascine, ces résultats paraissent indécents alors que la crise a fait un million de nouveaux pauvres en France et 150 millions dans le monde. « Pourquoi le capitalisme accroît les inégalités », titre en page intérieure l’hebdomadaire. Un éditorial demande même à taxer les plus riches. Un sondage vient enfoncer le clou : les deux tiers des Français demandent au gouvernement de taxer les grandes fortunes.

 

 

 

 

publié le 12 juillet 2021

Délinquance financière : quand l’État laisse filer l’argent

Par Loïc Le Clerc | sur le site www.regards.fr

Le constat est « accablant » : chaque année, ce sont plusieurs dizaines, voire des centaines de milliards d’euros qui échappent totalement à l’État. Et l’État, justement, semble s’en moquer.

Ce mardi 6 juillet, Ugo Bernalicis, député La France insoumise, faisait à l’Assemblée nationale la présentation de son rapport de suivi de l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière – un travail de deux ans mené avec son collègue LREM Jacques Maire.

 Ainsi avance Ugo Bernalicis : « L’efficacité de l’action publique contre la délinquance économique et financière reste très insuffisante [...] Les retards pris sont la démonstration que le gouvernement n’a pas de volonté réelle d’une part de lutter contre cette délinquance qui touche de plus en plus de nos concitoyens et d’autre part de récupérer l’argent qui manque cruellement à nos services publics ».

Ce rapport de suivi fait suite à un premier rapport, publié en 2019. L’idée était de suivre l’action gouvernementale en matière de lutte contre la délinquance financière, qu’il s’agisse de fraude fiscale, fraude à la TVA ou encore de grand banditisme. Deux ans plus tard, « la France est à la ramasse », quasiment rien n’a bougé, si ce n’est une vingtaine d’enquêteurs en plus – sachant que, dans le même temps, le nombre de dossiers par enquêteurs a augmenté car, oui, « c’est la délinquance la plus dynamique, mais ce n’est pas celle qui occupe les plateaux télé », déplore le député insoumis.

Manque de moyens

Le premier problème de la France, c’est – une fois n’est pas coutume – le manque de moyens, humains surtout. Si on prend le total des effectifs spécialisés dans ces affaires (police, douane, magistrats), on arrive difficilement à 700 personnes chargées de poursuivre ces 80-100 milliards de fraude fiscale, mais aussi ces quelques autres milliards de blanchiment, trafic, etc. Car la tendance des effectifs est à la baisse depuis des décennies. Le pire, c’est que l’Intérieur n’est même pas en mesure de dire le nombre d’effectifs précis dans cette lutte contre la délinquance financière, assure Ugo Bernalicis.

Tout ça n’a qu’une raison : le manque de volonté politique. La décision politique la plus éclatante, c’est la création de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Concrètement, avant, il y avait 20 magistrats au parquet de Paris, et désormais ils sont 13 à la Junalco et 7 sont restés au parquet. Magie administrative…

Manque de transparence

Après les gilets jaunes et leur revendication d’une plus grande justice fiscale, l’exécutif avait lancé un processus d’évaluation, finalement confié à la Cour des comptes. Et là, patatras, les barrières sont restées closes. La Cour n’aura pas accès à l’intégralité des données des ministères concernés – Bercy, Beauvau et la Chancellerie – et ne pourra que pondre un rapport sur la fraude à la TVA. C’est déjà ça, direz-vous. Résultats : 15 milliards d’euros annuels qui échappent à l’État.

Au-delà du fait que les ministères ne donnent pas les moyens d’avoir accès aux informations, ni aux députés, ni à la Cour des comptes, Ugo Bernalicis rappelle les exercices de com’ de Gérald Darmanin, quand il fut aux Finances : si l’État récupère plus de la fraude fiscale, cocorico, s’il récupère moins, c’est qu’il y a moins de fraudeurs...

L’argent déconfiné

Autre sujet soulevé par le rapport des deux parlementaires : l’explosion des arnaques pendant le confinement. Et là encore, l’État est aux abonnés absents. Car les arnaques en ligne – concrètement, vous achetez quelque chose sur Internet et le site disparaît l’instant d’après – sont en dessous de tous les radars. Les services de l’État n’ont rien d’exhaustif à présenter à ce propos, alors que le nombre de plaintes pour escroquerie a explosé en 2020 : 362.000 victimes, soit 1,2 million de foyers touchés. Pour autant, le taux de plainte reste très faible pour des vols de 50 ou 100 euros. Et quand plainte il y a, on est autour des 90% de classement sans suite. Pourquoi ? Parce que dans ce cas-là, les autorités compétentes pensent le préjudice au cas par cas. Et c’est là que tout s’écroule : trop de moyens pour des trop petites arnaques. Alors qu’au total, le préjudice est énorme. Mis bout à bout, on est sur de « l’escroquerie de masse », lance Ugo Bernalicis.

La première des réponses à apporter à la lutte contre la délinquance financière, nous dit Ugo Bernalicis, c’est de doubler, voire tripler tous les effectifs. Oui, mais ça va coûter un pognon de dingue ! Sauf que, pour le coup, voilà une politique publique qui, au-delà de son aspect juste et de la responsabilité de l’État vis-à-vis du consentement à l’impôt, est difficile de ne pas qualifier de rentable.

 

 

 

 

publié le 7 juillet 2021

La sacralisation de Bernard Arnault ou la démocratie malade

Par Romaric Godin sur le site www.mediapart.fr

L’action d’Attac consistant à peindre en noir la Samaritaine a provoqué l’indignation d’une grande partie de la classe politique, des Républicains au Parti socialiste. Mais en héroïsant Bernard Arnault, ces politiques acceptent son pouvoir et sortent l’économie du champ politique.

L’émoi a été immense. Le griffonnage en noir de la vitrine du nouveau magasin phare de LVMH, la Samaritaine, samedi 3 juillet au matin par l’association Attac a provoqué une levée de bouclier de politiques allant du Parti socialiste à la droite la plus dure.

L’action a été condamnée officiellement par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui parle de « vandalisme », et par la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, ainsi que par plusieurs ténors du parti présidentiel. Chacun y allait de son indignation et on a pu se demander, à un moment, si toutes ces belles âmes n’allaient pas proposer de faire prendre en charge par la collectivité la cicatrisation de cette plaie béante sur le nouveau temple du shopping de luxe.

Comme le faisait remarquer l’économiste Stefano Palombarini sur le réseau social Twitter, on assistait à la reconstitution d’un « arc républicain » autour de la défense du malheureux Bernard Arnault, homme le plus riche de France touché au cœur par un gribouillage visant à rappeler que ce dernier avait vu son patrimoine s’alourdir de plus de 60 milliards d’euros en pleine crise sanitaire.

Avec cette affaire, le président de LVMH a pu s’assurer qu’il était devenu un nouveau totem pour cette pauvre République qui, décidément, en compte pléthore (la quantité compense peut-être la qualité). D’ailleurs, on n’oubliera pas que le 21 juin, c’est le président de la République lui-même qui est venu inaugurer, avec un discours des plus laudateur pour le milliardaire, la même Samaritaine.

Empressement des soutiens politiques

L’argument, à l’Hôtel de Ville comme à la Région était le même : il est indigne de s’en prendre à Bernard Arnault qui est si brave homme qu’il crée tout seul, par la seule force de sa volonté d’entrepreneur, beaucoup d’emplois. « La rénovation de la Samaritaine, c’est de l’emploi, de l’activité, de l’attractivité et du rayonnement pour Paris », a proclamé Anne Hidalgo.

Quant à Valérie Pécresse, elle dénonce une « attaque contre les créateurs d’emplois et moteur de l’attractivité ». Si on commence à s’en prendre au patron de LVMH, on pourrait le fâcher et le décider à ne pas créer lesdits emplois. Ce discours est fort intéressant par ce qu’il dit du débat politique, mais aussi du rapport de force au sein même de la République entre pouvoir politique et économique.

Protéger un milliardaire, ce serait « sauver » ou « créer » des emplois. Tous ceux qui s’en prennent donc même symboliquement à la figure de Bernard Arnault sont des ennemis de l’emploi. Et donc, partant, de la République.

Quoi qu’on pense de l’action d’Attac, elle n’était guère violente, elle se voulait symbolique. LVMH a évidemment les moyens financiers et humains d’effacer la peinture illico presto, ce qui, au reste, fut fait. Dès samedi après-midi, les visiteurs de la Samaritaine purent à nouveau admirer les montres à 150 000 euros qui leur étaient proposées à l’intérieur sans crainte d’un assombrissement désavantageux. La bénignité de l’attaque tranche donc fortement avec l’empressement des soutiens politiques.

Ce contraste signale que la figure du milliardaire est désormais sacrée au pays de la laïcité. Et s’il est sacré, c’est parce qu’il peut, selon son bon vouloir, décider du graal de la politique moderne, celui que tous les programmes promettent en vain depuis quarante ans : l’emploi. Ce que ce soutien signifie, c’est que cet « arc républicain » a décidé ouvertement de sanctifier la théorie du ruissellement et sa manifestation concrète : le chantage à l’emploi.

Protéger un milliardaire, ce serait « sauver » ou « créer » des emplois. Tous ceux qui s’en prennent donc même symboliquement à la figure de Bernard Arnault sont des ennemis de l’emploi. Et donc, partant, de la République. Le débat économique est donc entièrement neutralisé.

Bernard Arnault n’a pas fait œuvre sociale

Pourtant, cette vision n’a pas réellement de sens. C’est d’ailleurs pourquoi la théorie du ruissellement n’en est pas réellement une. Bernard Arnault a créé des emplois non pas selon son bon vouloir ou son génie propre, mais plutôt selon l’évolution de la demande de ses clients et celle de la rentabilité de sa firme. Or ces éléments dépendent d’éléments plus vastes que la volonté d’un homme. Ils dépendent des politiques économiques, des réglementations et des évolutions globales.

Bernard Arnault n’a pas fait œuvre sociale en créant des emplois. Il a renforcé sa rentabilité propre et sa position concurrentielle. S’il ne l’avait pas fait, d’autres auraient sans doute créé ces mêmes emplois pour répondre à la demande.

Et si les conditions générales n’avaient pas permis de créer des emplois sur ce marché, une autre configuration aurait peut-être permis d’en créer ailleurs. Enfin – et le patron de LVMH ne s’en est pas privé –, lorsque la rentabilité d’une entreprise l’exige, elle licencie. Elle peut bien le faire au nom du « sauvetage » des emplois, il n’en reste pas moins qu’elle détruit. Parfois irrémédiablement. Les salariés des sites de production de textile liquidés, comme ceux de Boussac Saint-Frères, peuvent venir dire à Valérie Pécresse et Anne Hidalgo ce que leur héros moderne a fait de leur savoir-faire.

Bref, le mythe de l’entrepreneur qui répand sur le pays ses bienfaits généreux est peut-être séduisant pour justifier certaines décisions, mais il ne résiste pas longtemps à l’examen. Et c’est d’ailleurs bien pourquoi les grandes firmes modernes – et là encore LVMH n’est pas la dernière – entretiennent des relations étroites avec le monde politique : c’est que leur existence même dépend des politiques publiques. Autrement dit, le soutien à Bernard Arnault n’a guère de sens. Le bon niveau pour discuter d’emplois, c’est celui des politiques économiques. C’est ce débat qu’Attac voulait ouvrir et c’est celui-là que notre nouvel « arc républicain » s’est empressé de refermer à coups de tweets indignés.

Or, si l’on ne peut plus discuter d’économie autrement que pour savoir comment protéger au mieux la fortune de Bernard Arnault, il est certain que le débat politique viendra se focaliser sur d’autres sujets, notamment sur les questions identitaires. Le climat délétère dans lequel la France s’enfonce peu à peu n’a sans doute pas une seule raison, mais cette neutralisation du débat politique est sans doute l’une de ces raisons.

Davantage un requin

Mais allons plus loin encore. Que défend-on lorsque l’on défend Bernard Arnault ? Le patron de LVMH soigne son style de grand patron français philanthrope qui a sauvé le luxe français. C’est de bonne guerre. Mais Bernard Arnault, c’est l’inverse absolu de l’entrepreneur qui s’est fait tout seul. C’est un héritier qui a utilisé tous les moyens pour devenir un géant de l’industrie du luxe.

On peut admirer son parcours si l’on veut. Mais on ne peut pas oublier qu’en 1988, il avait pris le contrôle de LVMH à la hussarde, et que ce rachat qui ne devait rien qu’à une forme de génie qui, dans le monde réel est fort peu apprécié, a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. C’est aussi celui qui a délocalisé une partie du luxe français dans les pays à bas coût, détruisant une partie du savoir-faire industriel ancestral national.

C’est enfin l’un des pionniers en France de la financiarisation de l’économie. C’est, au reste, son plus grand génie. Celui d’avoir su manier les représentations boursières des entreprises à grand renfort d’OPA hostiles ou de manœuvres discutables. C’est, du reste, de ce point de vue, davantage un requin qu’un bienfaiteur. En rachetant et en « rationnalisant » des dizaines de sociétés familiales, l’homme a sans doute – dans le meilleur des cas – autant détruit qu’il a construit. Sinon, pourquoi la famille Hermès a-t-elle tout fait pour éviter de tomber dans l’escarcelle d’un tel bienfaiteur qui intriguait sur les marchés pour ravir l’entreprise ?

L’expression d’un pouvoir sur les citoyens et les politiques

Grand optimisateur fiscal, comme tous les milliardaires de notre époque, Bernard Arnault a logiquement un patrimoine qui gonfle avec la bulle des marchés financiers davantage qu’avec ses activités réelles. Certes, chacun sait que ce patrimoine n’est pas de l’argent disponible pour le patron de LVMH, c’est une valorisation de marché qui, sans doute, disparaîtrait s’il décidait de la liquider d’un coup.

Mais on sait aussi que les revenus de ce milliardaire dépendent étroitement de ce patrimoine, ce sont des revenus du capital, car c’est de cela que vivent les riches aujourd’hui. Ce sont ces mêmes revenus qui ont été massivement défiscalisés par la réforme fiscale d’Emmanuel Macron en 2018. Et, partant, l’action d’Attac posait là une bonne question : il y a bien eu, pendant la crise, un enrichissement de ce personnage qui, déjà, ne sait que faire de sa fortune.

Bulles spéculatives

Et cet enrichissement, c’est le politique, autrement dit, en démocratie, la volonté générale qui y a participé : par le soutien aux marchés financiers des banques centrales et par les aides massives accordées à certains agents économiques. Dès lors, il y a bien là un sujet politique qui mérite décidément de se poser.

Ne pas se le poser revient en réalité à protéger un certain mode de fonctionnement de l’économie. Celui qui permet à un homme – au mieux à une famille – de s’enrichir au-delà même du raisonnable pendant que certains font la file devant les soupes populaires. Ces gens seraient-ils plus riches si Bernard Arnault l’était moins ? Assurément, et pour deux raisons.

D’abord, parce que l’on pourrait financer par un impôt sur la fortune le renforcement des politiques d’aides sociales. Ensuite parce que cet argent accumulé par le milliardaire ne sert pas qu’à « créer des emplois », loin de là. Si c’était le cas, cette France, que l’on dit si peu aimante des riches et qui compte tant d’ultrariches, serait aussi riche en emplois que l’Allemagne. Selon le dernier classement de Forbes, la richesse cumulée des 42 milliardaires français est de 512 milliards de dollars cumulés, soit presque autant que les 136 milliardaires allemands qui totalisent 623 milliards de dollars de fortune. Mais le lien entre fortune des milliardaires et emplois n’est rien d’autre qu’un mythe bon pour les politiciens paresseux.

Autrement dit : la fortune de Bernard Arnault sert à autre chose qu’aux emplois. Elle va principalement se loger sur les marchés financiers, où elle se multiplie encore avec la bénédiction des banques centrales (rappelons que la BCE a racheté beaucoup d’actions LVMH). Avec Bernard Arnault et ses pairs se réalise la prophétie de Marx selon laquelle la production n’est plus qu’un mal nécessaire au profit. Bernard Arnault est donc la figure incarnée de l’accumulation du capital qui est devenue sa propre fin.

En réalité, même un défenseur authentique du capitalisme devrait s’effrayer de la puissance d’un Bernard Arnault qui, outre sa tentation du monopole, se fait soutenir par l’action monétaire et budgétaire publique pour renforcer des bulles spéculatives. C’est pourquoi en faire un héros de l’emploi est risible, y compris d’un point de vue libéral.

Merci Bernard...

Si Schumpeter réapparaissait, il verrait plutôt dans le patron de LVMH, comme il le dit dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, « l’exemple de cette unité industrielle géante parfaitement bureaucratisée » qui « élimine non seulement les firmes de taille petite ou moyenne » mais aussi « exproprie la bourgeoisie en tant que classe ». Il est donc bien désolant de voir la classe politique française avoir perdu tant de conscience idéologique qu’elle croit défendre le capitalisme en héroïsant son fossoyeur, si l’on en croit un auteur aussi libéral que le doctrinaire autrichien.

Mais c’est que cette classe politique a abdiqué sa propre prétention à diriger le pays. Incapable de s’interroger sur de vraies politiques d’emploi, sur la qualité et la fonction sociale de ces emplois, ces dirigeants en sont réduits à dire « merci » à quiconque propose un emploi, fût-ce pour vendre des montres indécemment onéreuses à des ultrariches qui viennent aggraver leur bilan carbone.

À cette abdication correspond la formidable volonté de puissance du milliardaire. Et c’est aussi pour cette raison que l’action d’Attac visait juste. Car la Samaritaine et ses fameux « 3 000 emplois », c’est avant tout un formidable lieu de pouvoir. Flâner dans les rayons de ce qui fut jadis un grand magasin populaire lève, de ce point de vue, tout doute. On est au-delà même du Bon Marché, autre magasin du groupe, dont les prix très élevés peuvent s’adresser à une clientèle parisienne aisée. Ici, on est au-delà du cher.

En réalité, une infime minorité de personnes peuvent acheter dans ce magasin qui ne saurait donc avoir une fonction principalement économique. La fonction est donc d’abord politique. Bernard Arnault étale ici son pouvoir et celui de ses pairs qui sont ses seuls potentiels clients au cœur de Paris, devant la statue de Henri IV et entre les deux palais des rois de France, entre la Cité et le Louvre. Pour lui qui a déjà placé ses pions au quatre coins du Paris du pouvoir, c’est une forme de couronnement.

Étalage de richesse

La Samaritaine n’est donc pas un simple magasin, c’est aussi un musée et un palais. Un musée parce que les badauds qui font longuement la queue depuis deux week-ends pour y entrer n’ont guère eu la possibilité pour l’immense majorité d’y acheter le moindre produit. Leur seule possibilité a été d’admirer ce que les ultrariches pouvaient s’offrir. Et c’est un palais parce que, précisément, en excluant la masse de l’usage commercial du lieu, mais en maintenant cet aspect commercial, Bernard Arnault fait sentir le pouvoir de l’argent aux péquenots ébahis.

Son projet est ici plus politique encore que celui du musée de son ennemi François Pinault à la Bourse de Commerce. Car, là-bas, rien n’est directement à vendre. Tous les spectateurs sont égaux devant l’étalage de la richesse de François Pinault. Pas à la Samaritaine où Bernard Arnault fait sentir aux passants le poids de son pouvoir sous forme d’un prix exorbitant. Ce grand magasin est devenu un instrument du pouvoir de ces princes modernes que sont les milliardaires financiarisés. En cela, la Samaritaine fait penser à ce palais de mille pièces que s’est fait construire Recep Tayyip Erdogan en 2014, à Ankara. C’est inutile et coûteux, mais c’est fait pour écraser le quidam, c’est-à-dire le citoyen.

Bernard Arnault, qui est aussi patron de presse, propriétaire des Échos et du Parisien, entre autres, n’est pas un bienfaiteur. C’est avant tout un homme de pouvoir qui en impose aux politiques. Voilà pourquoi l’anecdote de l’action d’Attac en dit long sur notre époque. À un an de l’élection présidentielle, des prétendants au trône et l’actuel président font quasi officiellement hommage, au sens féodal du terme, à un milliardaire.

En sacralisant sa fonction de créateur d’emplois, ils abdiquent de leur responsabilité et se reconnaissent officiellement redevables envers lui. Derrière les beaux discours sur l’emploi se cache donc une triste réalité, celle de ce qu’il faut bien appeler l’oligarchie.

 

 

 

 

publié le 7 juillet

« Anne Hidalgo s’indigne davantage du litre de peinture versée sur une vitrine que des injustices »

Sur le site www.regards.fr

Après l’action symbolique d’Attac à la Samaritaine, l’organisation altermondialiste fait l’objet de nombreuses critiques à droite, LREM et d’Anne Hidalgo. A gauche, on fait bloc derrière Attac pour dénoncer l’enrichissement des milliardaires pendant la crise sanitaire. Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, est l’invité de #LaMidinale.

Quelques phrases  extraites de la vidéo :


 

Sur Anne Hidalgo à propos de l’action d’Attac sur la Samaritaine

« Anne Hidalgo était présente avec Emmanuel Macron pour inaugurer la Samaritaine. »

« Les médias ont dit que notre action avait créé beaucoup de polémiques à droite comme à gauche. Je n’ai pas l’impression que l’on puisse dire ça puisqu’à gauche, on a reçu énormément de soutiens de la part du NPA, de LFI, du PCF, d’EELV, de Génération.s, d’organisations, d’associations et de syndicats. »

« Anne Hidalgo a eu des positions assez similaires à celles exprimées par LREM, LR ou même Alexandre Bennalla qui nous a tapé dessus : sous nos yeux s’est constitué ce qu’on appelle un bloc bourgeois. Pour ces personnes, dont Hidalgo qui se dit de gauche, s’indigne davantage du litre de peinture noire versée sur une vitrine que des inégalités et des injustices et de l’enrichissement des milliardaires. »

« Le fait que Bernard Arnault soit propriétaire du Parisien joue dans la réaction aussi vive d’Anne Hidalgo. »

Sur l’action de la Samaritaine

« Notre mode d’action était symbolique. On l’avait déjà fait sur Apple, la Société générale ou Total, mais avec la Samaritaine on s’est rendu compte qu’on avait touché un totem : il ne faut pas, en France, s’attaquer à Bernard Arnault, première fortune de France. »

« On a parlé de vandalisme, de saccage : les gens pensent qu’on a tout cassé alors qu’il suffit de passer devant la Samaritaine et voir qu’il n’y aucune trace de notre action. »

« Toute l’année, on fait des rapports, des pétitions, des actions symboliques et personne n’en parle. Là on s’indigne d’un pot de peinture sans arrêter à ce que l’on dénonce. »

« On veut nier l’action politique de notre action. »

« LVMH a versé 3 milliards d’euros de dividendes en 2021 ce qui veut dire 1,5 milliards d’euros pour Bernard Arnault puisqu’il détient la moitié des actions et en même temps, LVMH a supprimé des emplois : c’est 888 emplois en France. »

« L’action a été menée avant l’ouverture de la Samaritaine et n’a pas empêché les salariés de travailler. »

Sur le rapport de la crise sanitaire et l’enrichissement

« On a voulu pointer l’enrichissement indécent des milliardaires. »

« Le gouvernement veut faire des économies sur les plus précaires : en rognant sur les APL, les allocations chômage. Il refuse d’aller prendre l’argent où il est. »

« Pendant la crise il y a eu enrichissement par les aides publiques d’Etat, par le chômage partiel - qui était une bonne chose - mais ça s’est aussi traduit par des aides sans aucune conditionnalité. La BCE a aussi racheté massivement des actions ce qui a dopé le cours des actions. »

« La suppression de l’ISF et de la flat tax a contribué à favoriser le versement de dividendes. Il y a cette logique de toujours plus de revenus financiers et des revenus financiers qui sont toujours moins taxés. »

Sur la croissance

« Il est certain qu’il va falloir faire décroitre un certain nombre de production et de consommation qui n’apportent rien et dégradent l’environnement. On pourrait s’interroger sur l’utilité du luxe. »

« Les plus riches sont ceux qui dégradent le plus la planète. »

« Il faut se passer des énergies fossiles. »

« Il y a des besoins qui vont croître : on parle beaucoup de la dépendance donc il faut créer un service public pour les personnes dépendantes. »

« Le mot décroissance est un mot obstacle. »

« Il faut concilier les objectifs climatiques et les objectifs sociaux. »

« Pour arriver à financer les besoins sociaux et les besoins écologiques, il y a besoin de recettes publiques et donc que chacun paie sa juste part d’impôts. »

Sur les actions de désobéissance civile

« Ca fait 20 ans qu’ATTAC existe, 20 ans que j’y suis, 20 ans que l’on demande la fermeture des paradis fiscaux… et qu’est-ce qui a été fait ? Rien. Donc à un moment donné, il est assez légitime d’utiliser d’autres modes d’action. »

« Bien sûr que c’est illégal d’aller piquer des chaises à la BNP ou de recouvrir de peinture la Samaritaine. Mais cela permet de poser des questions et de faire avancer la loi. »

« On est prêt à prendre un certain nombre de risques pour une cause qui nous semble juste. Mais elle ne nous semble pas juste qu’à nous : qui peut trouver normal de demander aux plus précaires de faire des efforts et ne rien faire pour que les plus riches paient leur juste part d’impôts ? »

« Si ATTAC ne faisait que balancer de la peinture sur des vitrines toutes les semaines, ça serait certainement contre-productif mais là par exemple, on peut parler de la note qu’on avait publiée avec Oxfam sur l’enrichissement des milliardaires, du rapport de l’Observatoire des multinationales qui montre que les entreprises du CAC40 se sont gavées d’aides publiques tout en licenciant et en versant des dividendes. »

« Quand on a à ce point-là des médias et des responsables politiques qui nous traitent de vandales, ça peut brouiller le message. »

 Nous, on a assumé le clivage. »

« La sympathie pour ATTAC a fortement augmenté depuis samedi. »

« Si on dit à Bernard Arnault de payer ses impôts ou à Emmanuel Macron de mener une politique de justice fiscale, on ne va pas réussir à les convaincre, même avec les meilleurs arguments du monde. »

Sur les risques de plainte voire de dissolution

« J’ai envie de dire à LVMH et à Bernard Arnault : allez-y, portez plainte. Ils ont dit à l’AFP qu’ils envisageaient de le faire mais ils ne le feront pas parce qu’ils savent très bien que s’il y avait un procès, ce serait une nouvelle tribune et ce serait un procès pour LVMH et Bernard Arnault. »

« Je pense qu’il ne faut pas prendre la menace de dissolution à la légère. »

« On est dans un contexte où le gouvernement sait qu’il mène une politique injuste et n’offre à la colère sociale que la répression policière et des tentatives d’intimidation. »

« On ne va pas se laisser intimider et on va mener, dès la rentrée prochaine, une grande opération de désobéissance civile où l’on va prélever à la source des multinationales qui ne paient pas leur juste part d’impôt. »

 

 

 

 

publié le 2 juillet 2021

Revenus, patrimoine, accès aux études, travail… Les inégalités s’accentuent en France

par la rédaction du site www.bastamag.net

L’Observatoire des inégalités publie son nouveau rapport sur les inégalités en France. L’organisation a scruté le logement, le niveau de vie, la pénibilité au travail, l’accès des jeunes à l’emploi... La situation a encore empiré avec la pandémie.

Dès le début de la crise du Covid-19, il a été clair que la pandémie et ses conséquences ne toucheraient pas toute la population de manière égale. Les plus riches ont pu vivre le confinement en se retranchant dans leurs maisons de campagnes pour y télétravailler ou profiter de leurs rentes, tandis que les travailleurs pauvres s’exposaient au virus tout en étant confinés dans des logements bien trop petits. « Nous sommes loin de subir à égalité la pénibilité du travail, le chômage et les confinements que nous impose la pandémie », constate l’Observatoire des inégalités, qui a décidé de dresser, après un an de pandémie, un état des lieux des inégalités en France. Salaires, patrimoine, espérance de vie, conditions de travail, taille du logement, accès aux études… son dernier Rapport des inégalités en France dresse un bilan complet. En voici quelques points clé.

Revenus : les inégalités se sont accrues en dix ans

L’Observatoire des inégalités situe le niveau de vie médian en France à 1771 euros mensuels pour une personne seule, après impôts et prestations sociales (selon les données de 2018). Un revenu médian signifie qu’il partage la population en deux : la moitié touche moins, la moitié davantage.

En bas de l’échelle des revenus, 5,3 millions de personnes vivent en France avec moins de 885 euros par mois. En moyenne, les 10 % les plus pauvres ont un niveau de vie de 715 euros par mois. Alors que le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches est de 5090 euros mensuels.

L’écart entre le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres est au même niveau en 2018 qu’en 2008, dix ans plus tôt. Le taux de pauvreté a quant à lui augmenté, de 7,7 % en 2009 à 8,2 % en 2019. Pour les 18-29 ans, le taux de pauvreté est même passé de 8,2 % en 2002 à 12,5 % en 2018. « Les jeunes adultes constituent la tranche d’âge où le risque d’être pauvre est le plus grand, et pour qui la situation s’est le plus dégradée en quinze ans », pointe le rapport. Les jeunes adultes sont aussi plus touchés par la précarité du travail : « 52,7 % des jeunes de 15 à 24 ans qui travaillent ont un contrat précaire en 2019, soit 5,7 points de plus qu’en 2009. »

La pauvreté touche également plus particulièrement les personnes en situation de handicap : « Un quart des adultes de moins de 60 ans en situation de handicap vivent avec moins de 1000 euros par mois », rappelle l’Observatoire des inégalités.

Loin de se réduire, ces inégalités de revenus se sont accrues en dix ans : « Tous les indicateurs d’inégalités de revenus sont plus élevés que dix ans plus tôt. La tendance repart à la hausse sous l’effet, d’une part, de mesures fiscales qui ont favorisé les plus aisés et, d’autre part, de mesures sociales qui ont appauvri les plus démunis. » Ces chiffres, poursuit l’Observatoire, « sont d’autant plus inquiétants que la crise économique, liée à la crise sanitaire de 2020, risque de frapper durement les plus modestes. » Les riches retraités et les cadres du privé ou du public n’ont pas vu leurs revenus vraiment affectés par les confinements. La réforme de l’assurance-chômage qui entre en vigueur ce 1er juillet aggravera très probablement ces inégalités persistantes.

Tout en haut de l’échelle des salaires, il y a les grands patrons : « Les cinq patrons les mieux payés en France parmi les 120 plus grandes entreprises cotées en bourse touchent entre 680 et 1700 années de Smic par an », rappelle le rapport. Eux non plus n’ont pas souffert de la crise sanitaire, comme l’Observatoire des multinationales le rappelle dans son décryptage Allô Becry ? Pas d’aides publiques aux grandes entreprises sans conditions.

Patrimoine : pendant la crise sanitaire, le patrimoine des plus riches a encore gonflé

En France, les 10 % les plus fortunés possèdent près de la moitié de l’ensemble du patrimoine des ménages. « Le patrimoine médian des ouvriers non qualifiés est de 12 300 euros, endettement déduit. Chez les cadres supérieurs retraités, il est de 397 000 euros, soit 32 fois plus », souligne l’Observatoire des inégalités. Des fortunes immenses s’accumulent au sein d’une poignée de familles. Et pendant la crise sanitaire, le patrimoine des plus riches a encore gonflé : « Entre février et décembre 2020, le seuil des 10 % des patrimoines financiers les plus hauts (environ 116 000 euros) a grimpé de 8 400 euros et celui des 30 % les plus élevés a progressé de 4 300 euros. En dix mois, les plus fortunés ont mis de côté au minimum ce qu’un smicard touche en sept mois de travail. » Quand certains médias et journaux télévisés évoquent « l’épargne des Français » s’élevant désormais à 142 milliards d’euros, il s’agit principalement de l’épargne des plus riches.

Accès aux études supérieures : zéro enfant d’ouvrier à Polytechnique

La moitié des étudiants d’école de commerce sont des enfants de cadres supérieurs. Seulement 9 % des enfants d’employés, et 4,5 % des enfants d’ouvrières et d’ouvriers accèdent à ces formations. Ce sont es étudiants d’écoles de commerce qui sont les futurs managers et cadres des grandes entreprises. Dans les écoles d’ingénieurs, 54 % des étudiants sont enfants de cadres sup, 51 % dans les classes préparatoires aux grandes écoles. À l’université, la part des fils de cadres sup tombe à un tiers, 15 % en BTS. Les enfants d’ouvrières et d’ouvriers sont en revanche plus présents à l’université, où elles et ils représentent 14 % des étudiants, plus de 15 % en BTS. Mais même à l’université, « les étudiants originaires de milieux populaires sont sous-représentés », pointe le rapport.

Et plus le niveau d’étude augmente, moins il reste d’enfants d’ouvriers : « Les enfants d’ouvriers ne représentent que 8,5 % des étudiants en master et 5,9 % en doctorat. À ce niveau d’études, l’université opère pratiquement le même tri social que les grandes écoles. Le système des grandes écoles est, quant à lui, élitiste dès l’entrée en classe préparatoire : seuls 7 % des élèves de prépa ont des parents ouvriers. Après le concours d’entrée, leur part passe à 5 % dans les écoles d’ingénieurs, 4 % à l’ENA et elle est même nulle à Polytechnique. » Là encore, les inégalités restent les mêmes depuis des décennies. « Il y a 40 ans, les enfants de cadres supérieurs représentaient 42 % des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles, contre 52 % aujourd’hui. La part des enfants d’ouvriers y a, elle, baissé de 9 % à 7 %. »

Pénibilité du travail : la moitié des ouvriers au contact de produits dangereux

Même si les burnouts touchent les cadres, le travail reste physiquement plus pénible pour les ouvriers : « Plus de 60 % des ouvriers ont un travail pénible physiquement, dix fois plus que les cadres supérieurs. Plus de 65 % des ouvriers respirent des fumées ou des poussières (contre moins de 10 % des cadres), et plus d’un sur deux travaille au contact de produits dangereux, informe l’observatoire des inégalités. Un ouvrier sur six est victime d’au moins un accident du travail chaque année, un risque quatre fois plus élevé que chez les cadres supérieurs. » La moitié des ouvriers sont au contact de produits dangereux au travail, contre 13,3 % des cadres. Les personnes connaissant ces conditions de travail pénibles sont doublement pénalisés : cette pénibilité est très peu prise en compte par la réforme des retraites, pour l’instant suspendue.

Logement : deux millions de personnes dans un logement inconfortable

La Fondation Abbé-Pierre le rappelle chaque année : le mal-logement est un mal endémique en France. « Deux millions de personnes vivent dans un logement inconfortable et 900 000 dans une surface trop petite, souligne également l’Observatoire des inégalités. Plus grave encore, près de 300 000 personnes n’ont d’autre logement qu’une place, parfois à la nuit, dans une structure d’accueil pour les sans domicile ou les demandeurs d’asile. Les conditions de logement sont très inégales selon les niveaux de revenus. 29% des couples et familles parmi les 10 % les plus pauvres ont un logement trop petit. Cette part est inférieure à 5 % chez les 10 % les plus riches. »

Espérance de vie : six années en moins

On vit en France en 2021 en moyenne six année de moins selon que l’on soit ouvrier ou cadre : « À 35 ans, un ouvrier peut espérer vivre jusqu’à 77,6 ans. Soit six années de moins qu’un cadre supérieur (84 ans). »

Racisme : plus d’un demi-million de personnes subissent au moins une injure raciste chaque année

L’expérience du racisme est peu évaluée par les pouvoirs publics en France. Elle est pourtant bien réelle, quotidienne, et discriminatoire, rappelle le rapport : « Des discriminations, à la fois illégales et particulièrement violentes par leur injustice, affectent la vie quotidienne des immigrés et des personnes non blanches. Plus de 500 000 personnes subissent au moins une injure raciste chaque année. Même les services de l’État, censés être exemplaires, sont concernés par les pratiques discriminatoires. 22 % des hommes qui se disent perçus comme Arabes déclarent avoir été contrôlés par la police plus de cinq fois au cours des cinq dernières années, selon une étude du Défenseur des droits menée en 2016, soit dix fois plus que les hommes blancs. De leur côté, les hommes noirs sont 13 % à indiquer avoir été contrôlés plus de cinq fois également. »

L’intégralité du Rapport sur les inégalités en France, édition 2021, est à retrouver sur le site de l’Observatoire des inégalités.

 


 

 

 

 

 

publié le 26 juin 2021

Démantèlement d’EDF : au bon plaisir d’Emmanuel Macron

Par Martine Orange sur le site www.mediapart.fr

L’Élysée va-t-il décider seul, en toute opacité, de réformer EDF, clef de voûte du système électrique, du service public énergétique, de la transition écologique ? Les syndicats du groupe redoutent un projet de loi en catimini à l’été.  

Jusqu’à quand l’exécutif va-t-il continuer à amuser la galerie sur EDF ? Pendant combien de temps va-t-il tenir à l’écart les salariés, les élus, les citoyens, du débat sur le sort qu’il entend réserver à l’électricien public ? Car réformer EDF, ce n’est pas seulement toucher à une entreprise publique, changer une organisation actionnariale, ou redresser un bilan, comme veut le faire croire le gouvernement.

C’est aussi et surtout prendre le risque de déséquilibrer l’ensemble du système électrique français dont EDF est la clef de voûte. C’est poser des problèmes aussi fondamentaux que la transition énergétique, la sécurité, l’approvisionnement, la compétitivité, l’aménagement du territoire, l’accès à l’énergie pour tous. Des sujets qui concernent tout le monde et pour des années.

Pourtant, deux ans et demi après le début des premières fuites sur le projet de réorganisation d’EDF (lire ici, ici ou là), l’exécutif continue d’avancer en toute opacité. Se cachant derrière des négociations avec la Commission européenne, sur lesquelles le gouvernement se refuse à donner la moindre indication, il joue cartes sous table.

D’abord, il y a eu le projet Hercule, puis Hercule plus. Constatant l’hostilité grandissante, le gouvernement a changé de nom et parle désormais du « grand EDF ». « Quel que soit le nom, il s’agit toujours du même projet », a dénoncé l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC ) d’EDF vent debout depuis des mois face à ces plans de réorganisation. De fait, il s’agit toujours d’éclater façon puzzle l’organisation intégrée d’EDF en un EDF bleu (censé regrouper les activités nucléaires), un EDF bleu Azur (reprenant les activités hydroélectriques) et un EDF vert (reprenant Enedis qui détient le monopole de la distribution, les énergies renouvelables, les services, les activités de commercialisation) – appelé à être privatisé.

Pourquoi une telle séparation industrielle qui porte en elle le risque de désoptimiser gravement l’ensemble du réseau électrique, de casser toutes les logiques industrielles et de surenchérir les coûts de l’électricité ? En dehors de quelques arguments de banquiers d’affaires qui sont désormais la marque de fabrique de l’Agence des participations (APE) de l’État, le gouvernement est incapable d’articuler la moindre explication cohérente, de tracer un début de stratégie qui justifierait le grand chamboule-tout qu’il ambitionne de mener dans le secteur énergétique. 

Le gouvernement va-t-il quand même aller jusqu’au bout de ce projet ? La question hantait les manifestations de la fédération CGT énergie Mines qui avait appelé mardi 22 juin à une nouvelle journée en défense du groupe, du service public et contre le projet Hercule. Tous les syndicats d’EDF redoutent un coup fourré de dernière minute : selon des rumeurs récurrentes, un projet de loi portant sur la réorganisation d’EDF pourrait être présenté dès juillet en conseil des ministres, et discuté – une formalité – en octobre à l’Assemblée nationale.

Chargé de déminer le dossier depuis plusieurs mois, le ministre des finances entretient lui-même le flou. Alors que les discussions avec la Commission européenne sur le sort réservé à EDF dans le cadre d’une réforme sont toujours en suspens – Bruxelles exigeant son quasi-démantèlement en contrepartie d’une hausse du tarif de l’électricité nucléaire –, Bruno Le Maire a indiqué aux syndicats lors de réunions bilatérales qu’il avait transmis trois scénarios à l’Élysée. Soit l’abandon de la réforme parce que les contreparties exigées par la Commission sont jugées trop élevées, soit le lancement de la réforme en dépit des demandes européennes, soit un projet de loi tout de suite entérinant la renationalisation complète d’EDF et le passage de la branche hydraulique (barrages) en quasi-régie. Ces mesures-là sont censées faire consensus chez EDF, toutes les questions difficiles (augmentation des tarifs, séparation des différentes activités, privatisation de la branche distribution Enedis…) seraient renvoyées à plus tard.

Sortir EDF de la Bourse impliquerait le démantèlement du groupe

« Ce sera Emmanuel Macron qui tranchera », ont expliqué plusieurs responsables aux syndicats d’EDF. Selon quelques critères ? À la lumière de quels travaux ou études ? Mystère.

Au-delà de la convention citoyenne qui a fait des recommandations, superbement ignorées par le gouvernement, toutes les instances qui auraient pu être associées à la très complexe question de l’évolution du système électrique français, et donc de l’avenir d’EDF, ont été écartées de la réflexion.

Le nouveau Commissariat au plan, qui aurait pu, voire aurait dû, être associé de près à ces travaux, ne l’a été que de façon marginale et furtive. François Bayrou , le haut commissaire, s’est prudemment tenu à distance du dossier. Sa seule intervention a été pour prendre la défense du nucléaire, et de prôner la construction de nouveaux réacteurs, seul moyen, selon sa note publiée en mars, de promouvoir une énergie décarbonée et de soutenir le système. Pur hasard : cette recommandation est parfaitement en ligne avec les options gouvernementales.

De même, l’exécutif a décidé d’arbitrer le dossier EDF sans attendre les conclusions des travaux essentiels menés par RTE, le gestionnaire des réseaux de transports électriques en France. La publication récente de ses premières études donne un premier aperçu des défis auxquels va être confronté le système électrique, appelé à être de plus en plus sollicité en raison de la montée des usages de l’électricité face à l’effacement des énergies fossiles, courant le risque de perturbations fortes en raison de l’intermittence des énergies renouvelables, et aussi des changements climatiques. Tout cela requiert de repenser l’ensemble de l’architecture et de l’organisation du système électrique, de définir la place et le rôle d’EDF dans cet ensemble.

Mais Emmanuel Macron a décidé de se dispenser d’attendre les conclusions de tels travaux. De toute façon, comme pour la crise du Covid, comme pour les autres sujets, il a réponse à tout. Il sait déjà et depuis longtemps ce qu’il convient de faire pour EDF. Dès 2016, alors qu’il était ministre de l’économie, il l’a expliqué longuement devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale : « La solution d’une sortie d’EDF de la Bourse n’est pas privilégiée aujourd’hui. Je suis prêt à en examiner le principe, mais j’appelle votre attention sur le fait qu’elle n’aurait de sens que pour la partie “nucléaire France”, et pas pour le reste d’EDF : elle impliquerait donc un démantèlement du groupe. » 

Détruire tout le programme du CNR

Depuis, en dépit de nombreux bouleversements intervenus dans le secteur de l’énergie, Emmanuel Macron n’a pas varié sur le sujet. Parce que sa position est d’abord idéologique. Tout en usurpant l’appellation des « jours heureux », son projet se résume à celui établi par Denis Kessler en 2007 : « Détruire tout le programme du CNR [Conseil national de la Résistance – ndlr]. » Après avoir mis en pièces la SNCF, mis à genoux la Sécurité sociale, commencer à mettre à bas les retraites et l’assurance-chômage, en finir avec EDF serait le point d’orgue de son quinquennat. Il serait l’homme politique qui a osé « faire les réformes », la contre-révolution du capital que tous les autres n’ont pas osé mener à bien à ce point.

Ce démantèlement serait enfin le moyen de permettre au privé de mettre la main sur le nucléaire sans avoir à en assumer le coût ni les risques. La faillite d’Areva, l’écroulement de la filière nucléaire, le poids insupportable pour EDF n’ont donné aucun coup d’arrêt à cette vision. Même la donne économique et financière est ignorée : alors que les coûts des renouvelables ne cessent de baisser, le choix d’une énergie nucléaire de plus en plus chère et longue à amortir va devenir difficile à justifier. Mais Emmanuel Macron a décidé de balayer tous ces arguments. Parce qu’en matière d’énergie, il n’y en a qu’une seule qui compte vraiment à ses yeux : le nucléaire, l’énergie jupitérienne par définition.

Dans cette fuite en avant dans le nucléaire pour justifier le saccage d’EDF, une question cependant risque de ne pas pouvoir être éludée longtemps. Avec quel réacteur, le président, lui qui a réponse à tout, compte-t-il poursuivre cette aventure nucléaire ? Le fiasco de l’EPR , qui enchaîne retards, surcoûts, accidents depuis des années, rend impossible d’envisager de continuer avec lui.

Sans le dire publiquement, la filière nucléaire française comptait beaucoup sur la coopération avec les Chinois pour développer une nouvelle technologie. Et cela devait commencer par les sites britanniques d’Hinkley Point et de Bradwell. Ce qui s’est passé la semaine dernière à Taishan risque de compromettre cette ambition : les autorités chinoises ont très mal pris les révélations américaines, après le signalement d’incident de Framatome aux autorités américaines, sur les fuites radioactives du premier EPR chinois. La coopération, vieille de plus de cinquante ans, entre EDF et la Chine a du plomb dans l’aile, alors que les tensions géopolitiques entre Pékin et l’Occident s’accentuent.

Mais rien ne va arrêter Emmanuel Macron, pensent certains observateurs. Pour montrer qu’il reste le maître des horloges, pour prouver qu’il continue à réformer quoi qu’il en coûte, ceux-ci parient qu’il va engager un projet de loi sur EDF à l’été. Selon son bon plaisir. Pour prouver qu’il reste le grand réformateur, adepte de la destruction créatrice.

En tant que secrétaire général adjoint de l’Elysée, puis ministre de l’économie et désormais président de la République, cela fait près de douze ans désormais qu’Emmanuel Macron préside au destin de dossiers industriels. D’Alstom à Technip, des autoroutes aux aéroports, il a su démontrer sa capacité de destruction, jamais de création. Il a tout à craindre qu’il en soit de même pour EDF.

 

 

 

 

publié le 17 juin 2021

Pourquoi Pfizer refuse de livrer ses vaccins à l'Argentine

 

Rosa Moussaoui sur le site www.humanite.fr


 

Le géant pharmaceutique refuse de livrer à Buenos Aires les doses de vaccin dont le pays a besoin. En cause : le refus du gouvernement de changer sa loi pour se plier aux exigences juridiques de Pfizer. Explications.

 

Plus de 15 000 volontaires s’étaient manifestés, voilà un an, pour participer à la phase 3 des tests du vaccin contre le Covid-19 mis au point par le géant pharmaceutique américain Pfizer, en coopération avec son partenaire allemand BioNTech.

 

Confrontée à la première vague de la pandémie, l’Argentine devenait, alors, le premier pays à accueillir ces essais cliniques à grande échelle. Le bon niveau scientifique de ses chercheurs, sa position dans l’hémisphère Sud avec des saisons inversées et, plus prosaïquement, le coût des opérations, bien moins élevé qu’en Europe ou aux États-Unis, désignaient le pays comme un théâtre privilégié de ces expérimentations, dans la course de vitesse contre le nouveau coronavirus.

 

« Le choix d’un centre en Argentine pour mener à bien ces essais est basé sur plusieurs facteurs, dont l’expérience scientifique (…), les capacités opérationnelles, ainsi que l’expérience passée de l’Argentine pour réaliser des essais cliniques », expliquait à l’époque la firme.

 

S’assurer une solide immunité juridique en cas d’effets nocifs

Le président argentin Alberto Fernandez espérait, avec cette implication de son pays, simplifier les négociations contractuelles en vue d’obtenir des doses du futur vaccin, et des pourparlers s’étaient aussitôt ouverts pour l’achat de 13,2 millions de doses, dont 1 million avant la fin de l’année 2020. Dès le 25 juillet, une première proposition, assortie d’un calendrier, était sur la table. Une seconde offre, portant sur un contrat préliminaire, avait été ratifiée entre les deux parties en octobre.

Pourtant, le marché n’a jamais été conclu. En cause : les conditions posées par Pfizer, qui exigeait que la loi argentine soit amendée pour s’assurer une solide immunité juridique en cas d’effets nocifs du vaccin et même en cas de négligence, de fraude ou de malveillance. En clair, le laboratoire exigeait l’inscription dans la législation de clauses l’exonérant de toute responsabilité juridique ou financière, au cas où ses produits présenteraient, à long terme, des effets encore non identifiés à ce jour.

 

Dans un premier temps, le gouvernement argentin a bien consenti à quelques concessions ; une loi entérinant certaines conditions réglementaires requises par Pfizer et par d’autres fournisseurs pour faciliter le processus a même été adoptée. Parmi elles, le renvoi vers des tribunaux arbitraux ou judiciaires basés à l’étranger, au détriment de la justice argentine, d’éventuels litiges portant sur l’exécution des contrats et sur le processus d’achat des vaccins. Mais ce n’était pas encore assez. Le laboratoire pharmaceutique « s’est très mal comporté » avec l’Argentine en posant des « conditions inacceptables », résume le ministre de la Santé de l’époque, Ginés González García.

 

La multinationale confirme les raisons de l’échec de ces négociations. « Aujourd’hui, le cadre juridique n’est compatible avec aucun des aspects contractuels que Pfizer propose », lesquels « incluent des clauses d’immunité et d’autres protections dans tous leurs contrats qui sont cohérentes à travers le monde », a expliqué le directeur général de Pfizer en Argentine, Nicolás Vaquer, le 8 juin dernier, lors d’une audition à la Chambre des députés. Interrogé plus en détail par le député Pablo Yedlin (Frente de todos), président de la commission de la Santé, sur les supposés « obstacles » législatifs à la conclusion du contrat, Vaquer a encore cité, sans plus de précision, la question des « indemnisations ».

 

«Intimidation » et « harcèlement de haut niveau »

En fait, la loi argentine prévoit jusqu’ici que l’industriel, et non l’État, indemnise en cas d’incident ou d’accident ceux qui participent à la recherche, au développement et à la fabrication de traitements et de vaccins. Or le géant pharmaceutique veut desserrer cette contrainte : en 2009, il avait dû débourser 75 millions de dollars d’indemnités pour avoir testé, au Nigeria, un médicament contre la méningite ayant causé la mort de 11 enfants, et des dommages graves à 189 autres…

 

Par la voix de son représentant en Argentine, Pfizer a démenti, en revanche, avoir demandé à l’État de mettre en gage des biens publics. « Pfizer n’a aucun intérêt à intervenir sur les actifs de l’État, cela inclut les actifs naturels, les réserves de la Banque centrale, les actifs culturels », a-t-il insisté devant les parlementaires. Au mois de février, le Bureau of investigative Journalism, une ONG basée à Londres, dédiée à la production d’articles d’investigation, accusait au contraire le laboratoire d’avoir manié « l’intimidation » et le « harcèlement de haut niveau » dans ses négociations avec des gouvernements latino-américains « pris en otage ». Si on en croit cette enquête, Pfizer aurait exigé des gouvernements argentin et brésilien, en contrepartie de la livraison de vaccins, qu’ils mettent en gage des actifs souverains, y compris des bases militaires et des réserves de leurs banques centrales, en garantie de potentiels frais juridiques futurs.

 

Face à ce chantage, Buenos Aires s’est approvisionné en vaccins russes et chinois, mais aussi en Astrazeneca. Sans parvenir à endiguer la seconde vague meurtrière qui affecte aujourd’hui le pays. Des négociations sont en cours avec Johnson & Johnson. Les exigences juridiques de Pfizer valent aussi pour ses doses distribuées à travers le mécanisme Covax que coordonne l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : Buenos Aires en est donc privé. « Nous sommes prêts à discuter. Mais nous n’allons pas changer la loi à chaque fois qu’un laboratoire refuse de signer  ! » tranche Pablo Yedlin. Pendant que Big Pharma maquignonne, le virus sème la mort. En Argentine, depuis le début de la pandémie, le Covid-19 est responsable, selon les chiffres officiels, de 87 000 décès.

 

 

 

 

publié le 15 juin 2021

Fiscalité. L’impôt sur les multinationales a du plomb dans l’aile

Pierric Marissal sur le site www.humanite.fr
 

À peine annoncée, l’inoffensive taxe mondiale sur les profits des très grandes entreprises est attaquée de toutes parts. Des paradis fiscaux européens, Irlande en tête, s’y opposent, tandis que les Britanniques veulent épargner la City.

 

À ce train-là, la taxe minimale sur les profits des multinationales se résumera à un éphémère coup de communication. Seulement quelques jours après son annonce en grande pompe par les ministres des Finances des pays du G7, son avenir est plus qu’incertain. Déjà, parce qu’elle est censée reposer sur un consensus afin de faire l’objet d’un accord international et que, en Europe, l’Irlande organise la fronde. Son ministre des Finances, Paschal Donohoe, a déjà prévenu qu’il allait défendre « la compétition fiscale légitime ».

 

Ce pays au taux d’imposition symbolique sur les bénéfices des entreprises de 12,5 % – le plus souvent, dans les faits, inférieur à 1 % pour les multinationales, on se souvient du 0,005 % d’Apple – ne veut pas renoncer à son modèle pour attirer les sièges des entreprises, au détriment de tous ses voisins européens. Si l’Irlande est un paradis fiscal si accueillant malgré ce taux vitrine de 12,5 %, c’est qu’elle permettait, jusqu’à fin 2020, de créer des structures hybrides, un pied à Dublin, l’autre aux Bermudes ou aux Caïmans, pour échapper à tout impôt.

 

C’est ainsi que les trésors de guerre des Gafam ou des Big Pharma se sont accumulés dans ces petites îles des Caraïbes, après être passés par l’Irlande où transitent les profits mondiaux. L’île offre aussi désormais une exemption de taxe sur les revenus liés à la propriété intellectuelle, permettant de nouveaux montages fiscaux toujours plus ingénieux. La filiale de Microsoft à Dublin a ainsi déclaré plus de 260 milliards d’euros (315 milliards de dollars) de profits en 2020, transférés sans payer le moindre impôt aux Bermudes, selon le Guardian.

La Chine refuse qu’on mette le nez dans sa politique fiscale

Dans sa croisade contre cette taxation mondiale, l’Irlande peut compter sur les plus modestes paradis fiscaux d’Europe de l’Est qui ont suivi sa voie, comme la Hongrie de Viktor Orban ou la Pologne, qui cherchent à attirer les groupes allemands en baissant leur taxation sur les entreprises. Plus étonnant, un pays du G7 vient aussi d’enfoncer un clou dans le cercueil de cet impôt qu’il a lui-même négocié. Le ministre britannique des Finances, Rishi Sunak, fait d’ores et déjà pression pour que la City de Londres en soit exemptée, cédant au lobbying des grandes banques, HSBC en tête. D’autres éminents paradis comme Singapour ont fait part de leur désaccord. La Chine, de son côté, refuse qu’on mette le nez dans sa politique fiscale. Enfin, les pays africains, qui ne profiteraient en rien de cette taxe et sont globalement exclus des négociations, sont légitimement frileux.

 

À l’inverse, les Pays-Bas, spécialisés dans l’exemption fiscale des revenus sur la propriété intellectuelle, certainement rassurés par la portée purement symbolique dès l’origine de cet impôt, ne s’opposent pas aux négociations. Il faut rappeler que les bases posées pour cette taxation sont tellement bancales qu’une centaine de multinationales seulement pourraient être concernées, selon les premières estimations. Ainsi, seules les entreprises dont les marges sont supérieures à 10 % seraient ciblées, et seulement 20 % des bénéfices supérieurs à cette marge seraient taxés à 15 %. Un véritable permis de continuer à frauder les administrations fiscales des différents pays, puisque l’impôt moyen sur les bénéfices tourne autour de 23 % dans le monde – il était de 40 % en 1980.

 

Preuve de l’inefficacité de cette taxation telle qu’elle est pour l’heure définie : de nombreux géants du numérique en seraient exemptés, alors qu’ils étaient pourtant les premiers ciblés. Tesla, Twitter ou Uber, par exemple, ne rentrent pas dans les cases, tout comme Amazon. Le géant du e-commerce a beau réaliser près de 50 milliards d’euros de profits par an rien qu’en Europe, sa marge bénéficiaire tourne autour de 6 % du fait de sa politique tarifaire agressive et des frais de logistique. Ses milliards resteront donc à l’abri au Luxembourg.

 

Les pays riches, dans le cadre de l’OCDE – donc en excluant encore les pays en voie de développement –, se réuniront à nouveau les 9 et 10 juillet à Venise pour avancer sur les négociations. Ils devront se mettre d’accord sur les deux piliers : la base taxable et le taux, ainsi que sur les exemptions. Et l’optimisme n’est guère de mise. La Sérénissime a toutes les chances d’être le théâtre d’un nouveau drame et que cet impôt soit retrouvé mort à Venise.


 

 

 

 

 

publié le 6 juin 2021

 

Entreprises du CAC 40 :
                        que font-elles de notre argent ?

 

Sur le site www.cgt.fr

 

100 % des entreprises du CAC 40 touchent des aides publiques liées à la crise sanitaire. La grande majorité de ces aides ont été accordées sans que l'Etat exige de contrepartie sociale, fiscale ou environnementale.

Seulement six groupes sur 40 qui ont enregistré des pertes en 2020

« Allô Bercy ? Pas d'aides publiques aux grandes entreprises sans conditions » est le titre du rapport très instructif et documenté que publie l'Observatoire des multinationales.

Se basant sur les chiffres de documents officiels émis par les entreprises du CAC 40, le rapport dresse un état des lieux des sommes considérables versées par l'Etat à tous ces grands groupes, sans que la plupart de ceux-ci n'aient cessé de verser des dividendes à leurs actionnaires et de licencier.

Si le chiffre d'affaires cumulé des entreprises du CAC 40 a chuté de 12 % en 2020 par rapport à l'année précédente, le CAC 40 dans son ensemble reste largement bénéficiaire : ce sont seulement six groupes sur 40 qui ont enregistré des pertes en 2020.

Dix autres groupes présentent des profits de plus de 2 milliards. Parmi eux, certains ont été largement aidés par l'Etat. Selon la Commission européenne, la France est le pays européen qui a versé le plus d'argent (155 milliards d'euros) pour venir en aide aux entreprises.

L'Observatoire des multinationales nous apprend que « malgré les nombreux appels à suspendre le versement des dividendes, seule une minorité d'entreprises qui y étaient plus ou moins obligées les ont supprimés ».

En 2020, 51 milliards ont été versés par les entreprises du CAC40 à leurs actionnaires.

Un chiffre en hausse de 22 %, qui représente 140 % des profits réalisés par ces groupes en 2020. Afin de rendre ces chiffres exorbitants plus concrets, les auteurs du rapport les accompagnent de comparaisons.

Ces 51 milliards représentent « l'équivalent de la construction de 100 hôpitaux publics ou 1300 lycées, ou encore 36000 km de ligne ferrée TER, ou encore la rémunération des 960000 personnels soignants et non-soignants des hôpitaux publics. »

Ces aides publiques n'ont pas servi à sauver des emplois

Les géants du CAC 40 ont même annoncé plus de 60 000 suppressions de postes, dont la moitié en France. Le rapport cite les exemples de Renault, Airbus ou Safran parmi les entreprises qui ont été les plus soutenues tout en supprimant le plus d'emplois.

Même Sanofi, qui a enregistré des bénéfices records, a annoncé des suppressions d'emplois peu après s'être vu attribuer une aide publique de plusieurs centaines de millions d'euros.

Le gouvernement refuse d'imposer des conditions sociales, fiscales mais aussi écologiques aux entreprises qu'il aide.

L'Observatoire montre qu'au moins la moitié du CAC 40 continue d'augmenter ses émissions de CO2. Ces aides ne sont pas non plus soumises à une quelconque condition relative à l'égalité hommes-femmes, alors même que les femmes sont les premières victimes de la pandémie.

La CGT n'accepte pas que l'argent public, c'est-à-dire notre argent à tous, soit versé sans condition. Ce rapport apporte une nouvelle fois la preuve que, sans exigence du gouvernement, les entreprises n'utilisent pas les aides publiques pour investir et créer de l'emploi.

La CGT demande que les sommes versées par l'Etat servent directement les salariés et la transition écologique.

 

 

 

 

publié le 1° juin 2021

Impôts. Petit guide de combat
contre les intox libérales

Pierric Marissal sur le site www.humanite.fr

 

« Les riches croulent sous les impôts », « les pauvres n’en paient pas », « les paradis fiscaux, c’est fini ! »... Pas moins de 17 contrevérités sur la fiscalité, répétées tels des mantras par les libéraux, sont décortiquées et battues en brèche par Attac dans un ouvrage collectif qui vient de paraître. Un outil de salubrité démocratique.


 

Les impôts, tout le monde s’en préoccupe, mais personne ne veut vraiment en parler. Cela en fait un terrain privilégié pour les croyances et les prédicateurs qui viennent d’un même aplomb assurer qu’existe un enfer peuplé de créatures cornues, ou que les paradis fiscaux ne sont qu’une vue de l’esprit. Attac s’est attelée à remettre de la rationalité dans la question fiscale, avec beaucoup de pédagogie, des données sourcées et un soupçon d’humour. L’association vient de publier un ouvrage collectif, un véritable manuel de désintox à destination de tous : « Impôts : idées fausses et vraies injustices », aux Éditions Les Liens qui libèrent, rassemblant des économistes, militants, spécialistes de Solidaires Finances publiques et un dessinateur très inspiré – Fred Sochard – pour illustrer le tout.

La genèse du projet vient du mouvement des gilets jaunes, et de ce « ras-le-bol fiscal » mis en exergue par les libéraux au pouvoir, qui était plutôt une colère contre l’injustice fiscale, en témoigne le mot d’ordre : « Rendez l’ISF d’abord ». « C’est pourtant ce ras-le-bol fiscal que le gouvernement nous ressort pour justifier son tournant austéritaire et refuser toute hausse d’impôt sur ceux qui ont profité de la crise, déplore Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac et coauteur de l’ouvrage. Et à force de les rabâcher sur les grands médias, propriétés de milliardaires, de nombreuses idées fausses deviennent des évidences : l’argent des riches ruisselle et crée de l’emploi, trop d’impôts font fuir les investisseurs, la France est la championne des prélèvements obligatoires, les pauvres ne paient pas d’impôts… » Même lorsque les évaluations commandées par le gouvernement lui-même montrent que la fin de l’ISF et la création de la taxe forfaitaire sur les revenus du capital n’ont eu comme seul effet que d’augmenter les dividendes et que l’argent n’a en rien ruisselé, le discours perdure à la radio, sur les plateaux de télévision.

En partant de 17 citations publiques d’éditorialistes ou d’élus politiques libéraux, autant d’idées fausses sur la fiscalité sont ainsi savamment battues en brèche dans l’ouvrage. « Nous pensons que le débat fiscal sera central lors des prochaines élections, notamment lorsqu’il faudra débattre des conséquences de la pandémie : faut-il baisser les dépenses et réduire la protection sociale, ou avons-nous besoin de plus de services publics de qualité, dans la santé comme dans l’école, et donc de les financer ? » interroge Raphaël Pradeau. Et comme il n’y a pas de débat démocratique fondé sur des idées fausses, ce livre est bien une œuvre de salubrité publique. 

« Impôts : idées fausses et vraies injustices », Éditions Les Liens qui libèrent, 144 pages, 10 euros

 


Morceaux choisis Idées fausses, vraies injustices, la preuve par quatre

 

Idée fausse 5 : les riches sont écrasés par les impôts !

« D’aucuns prétendent qu’il faudrait éradiquer les paradis fiscaux. Ne faudrait-il pas plutôt réformer les enfers fiscaux tels que la France ? » Virginie Pradel, sur le site de l’Iref, think tank libéral, en 2017.

« En réalité, le système fiscal français est peu progressif et les plus riches ne paient pas tant d’impôts qu’on veut bien le faire croire en proportion de leurs revenus. La première raison réside dans le poids de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), un impôt indirect payé par toutes et tous, qui est de loin l’impôt le plus rentable pour l’État. (…)

L’impôt sur le revenu est quant à lui beaucoup moins progressif aujourd’hui que dans les années d’après-guerre. Et son poids dans les prélèvements fiscaux est désormais moindre en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Cela s’explique notamment par l’existence de multiples niches fiscales, ces mesures dérogatoires pouvant prendre la forme de crédits d’impôt, de réduction de l’assiette fiscale ou de régimes particuliers, qui profitent surtout aux riches. La moitié de ces niches (parfois aussi appelées “dépenses fiscales”) concernent l’impôt sur le revenu. (…)

Le Laboratoire sur les inégalités mondiales nous apprend ainsi que, en France, tous impôts confondus, le taux global d’imposition augmente progressivement au fur et à mesure que le revenu augmente, mais diminue quand on atteint les 5 % les plus riches. Les 0,1 % les plus riches ont même un taux d’imposition global comparable aux 20 % les plus pauvres, cette tendance s’aggravant depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017. (…)

L’enquête dite “OpenLux” a par exemple mis en évidence que 37 des 50 familles françaises les plus fortunées possèdent une ou plusieurs sociétés offshore au Luxembourg. » (…)

 

Idée fausse 8 : les pauvres ne paient pas d’impôts

« Chacun pourrait contribuer à la hauteur de ses moyens, y compris les plus modestes, même de manière très symbolique, (…) il faut redonner à chacun le sens de l’impôt, qui est un acte citoyen. » Jacqueline Gourault, alors ministre de la Cohésion des territoires, au « JDD » en 2019.

« Les pauvres paient des impôts et souvent proportionnellement plus que les plus riches ! Comme tout le monde, ils et elles paient en effet des impôts sur la consommation, notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Ils et elles contribuent aux ressources sociales par les cotisations sociales ou encore, pour beaucoup, à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). (…)

Le taux d’effort des ménages (la proportion du revenu destinée à payer la TVA) s’élève à 12,5 % pour les 10 % des ménages les plus pauvres et seulement à 4,7 % pour les 10 % des ménages les plus riches. La TVA est donc l’inverse d’un impôt progressif : c’est un impôt régressif. Plus on gagne et moins on paie proportionnellement au revenu. (…)

Les libéraux ont beau crier l’inverse sur tous les toits, les faits sont têtus : les prélèvements et impôts que les “pauvres” paient représentent une part majoritaire. Ils “paient” également la rigueur budgétaire via la hausse de certains prélèvements, mais aussi l’impact des coupes budgétaires, soit la baisse de certaines prestations et la dégradation des services publics. (…) »

 

 

IDÉE FAUSSE 13 : LES PARADIS FISCAUX,C'EST DU PASSÉ

 

« Miracle, en six mois, on a obtenu la fin des paradis fiscaux ! Extraordinaire ! » Nicolas Sarkozy, alors président de la République, dans un discours en 2009.

« Ces territoires existent de très longue date, mais ils ont vu leur rôle s’accroître avec la mondialisation financière. Ils présentent des traits communs en matière de coopération internationale faible, voire inexistante, et de taux d’imposition faibles, voire nuls. Il existe aussi des spécificités : certains offrent la possibilité de créer aisément des sociétés écrans, d’autres sont adeptes des “rescrits” avantageux, d’autres encore facilitent le transit de bénéfices vers d’autres territoires, etc. Ces caractéristiques favorisent non seulement l’évitement de l’impôt, mais également les activités illégales et criminelles en permettant aux revenus tirés de ces activités de transiter par eux pour en ressortir blanchis. (…)


 

C’est la réaction des populations qui a incité les gouvernements à prendre des mesures. Par exemple, au plan international, on a vu la mise en œuvre d’un système d’échange automatique d’informations bancaires et la création de registres publics des sociétés dans l’Union européenne. Il y a cependant un écart entre l’affichage et la réalité. (…)

En avril 2009, Nicolas Sarkozy déclarait, péremptoire : “Les paradis fiscaux, c’est fini !” On en est encore loin : les paradis fiscaux sont toujours présents et actifs. Les montants qui échappent aux finances publiques ont de quoi donner le vertige. Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales estimait à 36 milliards d’euros de profits des multinationales non déclarés en France en 2015, soit “1,6 % du PIB, un montant 30 fois supérieur à ce qu’il était au début des années 2000”. (…) »


 

Idée fausse 16 : l’essentiel des niches fiscales contribue efficacement à la transition écologique !

« Pour moi, ce qu’on doit assurer, dans une loi de finances, c’est une stabilité fiscale et réglementaire pour nos entreprises. (…) Je porte la parole de nos industries et des emplois qu’il faut défendre. » Mohamed Laqhila, député Modem, dans une interview à Franceinfo, après avoir tenté de retarder l’effacement de l’huile de palme de la liste des biocarburants concernés par une niche fiscale en 2019.

« En matière de protection de l’environnement, la politique fiscale combine l’utilisation de deux outils : la taxation visant (en théorie) à pénaliser les comportements ayant un impact négatif sur l’environnement et les niches fiscales (crédits d’impôt, exonérations…) censées favoriser des comportements plus respectueux de l’environnement. (…)

Parmi les 475 dépenses fiscales qui parsèment le système fiscal en 2021, le gouvernement en identifie 107 ayant un impact sur l’environnement pour un coût de 11 milliards d’euros. Or, leur utilité écologique pose question : le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO, rattaché à la Cour des comptes) précise que, parmi ces dispositifs qui concernent notamment la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), “la majorité de ces dépenses fiscales sont défavorables à l’environnement et peuvent être considérées comme des soutiens à la consommation d’énergies fossiles”. Il en va de même de celles qui encouragent l’usage des véhicules diesel ou qui soutiennent des secteurs d’activité polluants (transports de sociétés, filière automobile, agriculture…).

Ces mesures pèsent par ailleurs sur les budgets publics. Le CPO précise que les dépenses fiscales défavorables à l’environnement sont deux fois plus coûteuses pour le budget de l’État que celles favorables à l’environnement (7,5 milliards d’euros, contre 3,1 milliards en 2017). »

 

 

 


 

 

publié le 30 mai 2021

La CNL : « Je rêve d’un pays
avec une sécurité sociale du logement »

sur le site www.humanite.fr

 

La Confédération nationale du logement a manifesté devant le ministère chargé des expulsions pour protester contre la fin de la trêve hivernale.

 

Sur le boulevard Saint-Germain, à Paris, ce 28 mai, les terrasses des cafés commencent à se remplir. Le clocher de l’église du quartier annonce 10 heures. Au numéro 244, une vingtaine de personnes se regroupent devant le ministère du Logement et de la Transition écologique. Une grande banderole blanche et rouge est déployée avec pour inscription « Le ministère des Expulsions reprend du service ». Quelques jours plus tôt, la Confédération nationale du logement (CNL) avait appelé au rassemblement afin de protester contre la fin de la trêve hivernale. Au vu de la crise sanitaire et de l’appauvrissement des ménages qui l’accompagne, la ministre déléguée au logement, Emmanuelle Wargon, a décidé de prolonger cette période mais seulement jusqu’au 1er juin. « Le gouvernement va jeter des milliers de familles dans la rue. Il faut prolonger la trêve hivernale jusqu’au 31 octobre. Non aux expulsions ! » clame Eddie Jacquemart, président national de la CNL, dans son mégaphone. Le slogan est repris en chœur par la foule.

 

Trente mille expulsions pourraient avoir lieu à partir du 1er juin, le double d’une année normale en raison de l’accumulation des signalements. Les manifestants discutent en petits groupes des décisions prises par le gouvernement. L’inquiétude se lit sur leurs visages.

 

« La crise a précipité des gens dans la pauvreté, il faut protéger les plus fragiles », explique David Belliard, président du bailleur social parisien RIVP. D’après une enquête flash de la Fondation Abbé-Pierre, à la suite de la crise, 14 % des Français ont eu des difficultés liées au logement. Intermittents du spectacle, artisans, autoentrepreneurs, restaurateurs, ils affrontent pour beaucoup leurs premiers impayés de loyer et sont assignés en justice.

 

Claude, membre de la CNL depuis quarante ans, tient une pétition à la main. « Il faut qu’on la fasse circuler pour protester contre les expulsions », indique la syndiquée. Plusieurs élus en écharpe sont présents. Elsa Faucillon, députée PCF des Hauts-de-Seine, prend la parole. « C’est un ministère du Logement de la honte, dénonce-t-elle. Les différents ministres qui nous ont répondu ont eu l’audace de dire qu’il n’y aura pas d’année blanche sur les expulsions. Mais dans quel monde vivent-ils ? »

Les immeubles se dégradent et les loyers augmentent

« Nous ne devons jamais nous résigner au fait qu’il y ait des gens qui dorment dans la rue dans notre pays, déclare à son tour Mathilde Panot, vice-présidente du groupe FI à l’Assemblée nationale. Ce gouvernement a décidé que jusqu’au bout il ne servirait que les riches. » Les manifestants applaudissent chaudement ses interventions. « Ces procédures sont extrêmement violentes, c’est un traumatisme pour les personnes qui les subissent, explique le président de la CNL. Les huissiers arrivent, les serruriers changent les serrures et les déménageurs mettent toutes vos affaires dans des cartons. Ils repartent en ne vous laissant qu’une carte avec un numéro d’hébergement d’urgence, pour la plupart saturés. » Des vies balayées avec la crainte de finir à la rue.

Les difficultés de logement sont majoritairement liées au niveau des revenus et concernent 14 % des locataires de HLM. En plus de la fin de la trêve hivernale, plusieurs manifestants dénoncent la négligence et les taxations « massives » des bailleurs sociaux. « Pour compenser les impayés, on reporte ça sur les locataires qui ont plus de moyens », notifie Dominique. « On laisse nos immeubles se dégrader et on augmente nos loyers », ajoute Claude. Ce laxisme dans la prise en charge des réparations, Anita en a fait l’expérience « Pendant le premier confinement je n’étais pas chez moi. Je venais dans la semaine récupérer des affaires. Un jour, j’ai remarqué qu’un de mes carreaux était cassé. Après plus de neuf mois de relance et quatre courriers recommandés, mon bailleur a enfin daigné prendre en charge les frais engagés. »

 

Après plus d’une heure d’échanges, la manifestation se termine. La banderole est rangée. Et Eddie Jacquemart de conclure : « Je rêve d’un pays sans expulsions et avec une sécurité sociale du logement. 

 

 

 

 

<publié le 30 mai 2021

En France, deux millions de personnes

vivent dans la grande pauvreté

Par Faïza Zerouala sur le site www.mediapart.fr

 

L’Insee dénombre environ deux millions de personnes vivant dans la grande pauvreté en France en 2018. La majorité vivent dans un logement ordinaire, ont de très faibles revenus et se privent de tout. L’institut souligne la répartition territoriale inégalitaire de la pauvreté et les difficultés à en sortir.


 

L’épidémie de Covid-19 a ramené la question de la pauvreté dans le débat public. La crise sociale, et ses conséquences sur ceux qui la subissent, commence à être documentée. Les récits sur l’aggravation de la pauvreté se multiplient dans la presse et dans divers rapports, comme celui livré récemment par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté.

Les alertes des associations caritatives ont elles aussi attiré la lumière sur la situation de plus en plus critique pour certaines franges de la population comme les étudiants ou les familles monoparentales, déjà éprouvées par les difficultés avant l’apparition du virus.

 

En revanche, les données statistiques précises manquent pour qualifier la pauvreté et établir un portrait net des réalités qu’elle recouvre.

L’Insee s’est attelé à la tâche et s’est penché sur la grande pauvreté dans sa dernière étude annuelle rendue publique ce jour.

 

Les chiffres mis en avant datent de 2018 mais quelques données de 2020 ont été introduites dans l’analyse, comme la hausse du nombre de bénéficiaires du RSA (+ 165 000 personnes en comparant les chiffres de septembre 2019 à ceux de septembre 2020).

 

Pour la première fois, l’institut propose une définition statistique de la grande pauvreté et établit un distinguo entre pauvreté monétaire et pauvreté matérielle, tout en les croisant. Les définitions utilisées à l’échelle européenne, explique l’Insee, se fondent soit sur la faiblesse des revenus, soit sur l’existence de nombreuses privations matérielles ou sociales dans la vie quotidienne. « Il n’existe en revanche pas de définition partagée de la grande pauvreté, et ce en dépit de son importance dans le débat social. »

 

Or les données sont importantes pour objectiver les situations vécues. Déjà en 1987, dans son rapport fondateur « Grande pauvreté et précarité économique et sociale » présenté au Conseil économique et social, Joseph Wresinski, d’ATD Quart monde, parle de grande pauvreté « quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances […] de reconquérir ses droits par soimême, dans un avenir prévisible ».

C’est pour aboutir à une mesure plus fine que l’Insee a choisi de prendre en compte le cumul des deux facteurs, la pauvreté monétaire et les privations induites par celle-ci. Il distingue aussi le fait d’habiter un logement ordinaire ou de bénéficier d’un autre type d’hébergement. 

 

En France en 2018, 1,9 million de personnes sont en situation de grande pauvreté et 170 000 sont susceptibles de l’être. Parmi ces 1,9 million de personnes, 1,8 million vivent en logement ordinaire, 153 000 sont sans domicile ou résident en habitation mobile et 165 000 vivent en communauté susceptible d’être en situation de grande pauvreté.

En 2018, en France métropolitaine, sur le champ des personnes en logement ordinaire, la moitié de la population a un niveau de vie inférieur à 1 771 euros par mois. Le seuil de pauvreté est de 1 063 euros par mois. 14,8 % de la population de France métropolitaine vit en dessous de ce seuil.

« Sur le champ de la France entière, et en comptabilisant à la fois les personnes en logement ordinaire mais aussi, pour la première fois, celles vivant hors logement ordinaire, on estime à environ 10 millions le nombre de personnes pauvres en 2018. Sur ce champ, le seuil de pauvreté est un peu plus bas que le seuil sur la France métropolitaine (1 031 €) », écrit encore l’Insee.

Ainsi, selon cette définition, 2,4 % de la population vivant en France hors Mayotte en logement ordinaire est en situation de grande pauvreté.

 

À cela s’ajoute le fait que les personnes pauvres accumulent les privations dans leur vie quotidienne. Elles ne peuvent pas, par exemple, maintenir leur logement à bonne température, s’offrir des vêtements, des sorties ou ne consomment pas de repas comprenant des protéines au moins une fois tous les deux jours. « 81 % des personnes en grande pauvreté déclarent ne pas pouvoir s’acheter de vêtements neufs, contre seulement 6 % des nonpauvres. De même, 53 % des personnes en grande pauvreté ne peuvent s’acheter deux paires de bonnes chaussures, contre moins de 4 % des nonpauvres. »

 

La pauvreté s’insinue dans tous les pans de la vie de ceux qui la subissent. L’Insee souligne qu’au-delà des privations matérielles de base, le chauffage ou les repas, ces personnes pauvres ne peuvent s’offrir une semaine de vacances ou de loisirs pour agrémenter leur quotidien. Boire un verre ou aller au restaurant pour retrouver des amis ou de la famille est hors de portée pour sept personnes sur dix. Ce manque de moyens aggrave l’isolement des plus précaires.

 

Outre la faiblesse de revenus et les privations matérielles et sociales, les adultes pauvres sont en moins bonne santé au regard du reste de la population. Ils sont deux fois plus nombreux que les autres à se considérer en mauvaise santé. Un tiers d’entre eux expliquent être limités dans leur quotidien à cause de ces soucis.

 

35 % des adultes en situation de grande pauvreté sont en recherche d’emploi. Mais avoir un travail ne prémunit pas contre la grande pauvreté car un tiers des adultes pauvres ont eu un emploi dans l’année. Les prestations sociales représentent plus de la moitié du revenu des personnes en grande pauvreté.

« 21 % des revenus en grande pauvreté proviennent de minima sociaux  (revenu de solidarité active (RSA),  allocation aux adultes handicapés ou minimum vieillesse). » Ces personnes ont des difficultés à faire face aux imprévus et coups du sort. 90 % des personnes en grande pauvreté n’ont pas d’épargne ou seulement un livret d’épargne exonéré (type livret A). Plus de 40 % des adultes en situation de grande pauvreté ne peuvent demander une aide financière ou matérielle à un proche.

 

Dans son étude, l’Insee met en exergue le cas de Mayotte. L’institut de statistiques explique que faute de données équivalentes disponibles, il est difficile d’y comparer la pauvreté là-bas avec celle de France métropolitaine. La pauvreté y est prégnante. 194 000 personnes y vivent avec un niveau de vie inférieur à 50 % de la médiane nationale, soit 74 % de la population mahoraise.

Par exemple, en 2017, 164 000 Mahorais vivaient dans un logement ne disposant pas d’accès à un point d’eau à l’intérieur, de toilettes, d’une baignoire ou d’une douche. En outre, 4 logements sur 10 sont en tôle, et non en dur.

Ces éléments permettent ainsi à l’Insee de conclure que ces presque 200 000 personnes habitant à Mayotte sont dans une situation de grande pauvreté.

Plus largement, 24 % des personnes en grande pauvreté en logement ordinaire vivent dans les DOM (départements d'outre-mer), dont 10 % à Mayotte et 14 % dans les quatre autres DOM (Martinique, Guadeloupe, Guyane ou La Réunion).

 

De manière générale, les inégalités territoriales sont fortes. En métropole, les poches de pauvreté sont concentrées en Île-de-France dans les centres urbains, dans le pourtour méditerranéen, le Nord et le Pas-de-Calais et les DOM. La Bretagne et les Pays de la Loire sont plus épargnés.

 

L’Insee souligne aussi que les enfants sont surreprésentés dans la grande pauvreté : 35 % des personnes en grande pauvreté vivant en logement ordinaire ont moins de 18 ans, alors qu’elles représentent 20 % de la population.

Les personnes en grande pauvreté ont moins souvent 65 ans ou plus : c’est le cas de 7 % d’entre elles en logement ordinaire, alors qu’elles représentent 20 % de la population totale.

 

Dans la population vivant en logement ordinaire, hors Mayotte, les femmes sont plus nombreuses : 590 000 femmes de 18 ans ou plus sont en grande pauvreté, pour 460 000 hommes du même âge. 35 % des personnes en situation de grande pauvreté sont issues de familles monoparentales. 

 

Enfin, l’Insee souligne qu’il est difficile de sortir de la pauvreté, malgré les efforts des associations et services sociaux. Seules 13 % des personnes en situation de grande pauvreté ne sont plus en situation de pauvreté, ni monétaire, ni matérielle et sociale trois ans plus tard.


 

 

 

 

 

publié le 28 mai 2021

Superyachts : objets favoris des super-riches, des évadés fiscaux et des fraudeurs de l’impôt

 

par Grégory Salle  sur le site www.bastamag.net


 

Dans son livre Superyachts - Luxe, calme et écocide, publié aux éditions Amsterdam, le chercheur Grégory Salle étudie cet objet apprécié des milliardaires et miroir grossissant des inégalités du capitalisme contemporain. Nous en publions ici un extrait.

Si la plaisance de luxe a suscité quelque attention médiatique dans la période récente, c’est à la faveur d’une « réforme » – il faudrait multiplier les guillemets, les épaissir, les faire clignoter – fiscale. Au 1er janvier 2018, exit ISF (impôt de solidarité sur la fortune), welcome IFI (impôt sur la fortune immobilière) et son acolyte PFU (prélèvement forfaitaire unique). Comme son nom l’indique, le nouvel impôt en vigueur exclut de son calcul les biens meubles, qu’ils soient terrestres, comme les voitures de luxe, ou maritimes. Les superyachts se trouvent en première ligne de l’abandon manifeste de solidarité. La catégorie des valeurs mobilières excède en fait largement ces seules matérialisations de la richesse : elle inclut les produits financiers, et c’est peut-être là que se joue l’essentiel. Reste que les superyachts objectivent l’injustice d’une décision qui, en excluant de tels supports et symboles mobiles de l’opulence, écarte de son champ d’application une part que des estimations évaluaient à environ trois quarts de l’assiette de l’ISF. Ceci dans un contexte où, on l’a dit, les inégalités de fortune se jouent dans le patrimoine plus encore que dans les revenus.

Le cadeau est si gros, si visible, si clairement inique qu’il passe mal même au sein d’une partie de la majorité parlementaire. Il faut dire que, pour faire accroire qu’Emmanuel Macron n’est pas le fondé de pouvoir du capital, ça n’aide pas vraiment. Membre du Parti radical de gauche adoubé par le parti présidentiel, le rapporteur général de la commission des finances trouve même que ça fait mauvais genre. « M’as-tu vu », le superyacht, « pas productif ». Il faut rattraper le coup. On négocie. En acceptant de transiger, Bercy tient bon sur l’essentiel : va pour des mesures d’accompagnement. Non pas un rétablissement de l’impôt, donc, mais une taxe additionnelle sur les biens de luxe. En l’espèce, un droit annuel de francisation et de navigation dont doit, en principe, s’acquitter tout propriétaire français (ou un droit de passeport, dans le cas d’une provenance étrangère) d’un yacht de plus de 30 mètres de long (c’est donc le critère supérieur, non celui des 24 mètres, qui est retenu, diminuant d’autant le champ d’intervention) et/ou excédant une certaine puissance. Compenser, corriger à la marge, histoire de sauver l’honneur. Ou pas.

 

Figurez-vous que l’échec est cuisant. On est même si loin du compte que la presse proche des milieux d’affaires, qu’on a connue moins moqueuse, s’amuse du flop. À l’été 2018, puis 2019, soit respectivement six mois puis dix-huit mois environ après la mise en place d’une mesure votée en 2017, les calculs font apparaître que la hausse des taxes rapporte autour de 85 000 euros deux années consécutives, alors que l’estimation budgétaire qui circulait était de dix millions d’euros – cent fois plus (de quoi s’acheter un superyacht, s’amuse un journaliste au courant des tarifs). La provenance de ce dernier chiffre n’est pas très claire. D’abord attribuée aux services de Bercy, qui ont démenti, elle viendrait du président du groupe parlementaire majoritaire. Quoi qu’il en soit, ça fait une petite différence. À la rentrée 2019, la somme a certes triplé, atteignant 288 000 euros, mais elle demeure très en deçà des effets d’annonce. Du reste, les deux organisations pressenties pour en toucher les fruits – Société nationale de sauvetage en mer, puis Conservatoire du littoral – déclarent n’avoir pas vu la couleur de l’argent.

 

Aucun contrôle douanier n’a été effectué dans la presqu’île de Saint-Tropez, lieu difficilement contournable en la matière

 

Vous vous dites sans doute qu’il faudrait être naïf pour être surpris, mais le rapporteur général de la commission des finances, lui, en est tombé de l’armoire. Il peine à comprendre les sommes, non seulement quantitativement, tant leur montant est faible, mais aussi qualitativement, tant sont curieux les arbitrages dont elles procèdent. Il s’étonne de ce que les douanes semblent aux abonnés absents sur le sujet, comme il a pu le constater en leur rendant une petite visite, apprenant à cette occasion que, d’une part, le logiciel n’était pas vraiment utilisé ni actualisé et, d’autre part, qu’aucun contrôle douanier n’avait été effectué dans la presqu’île de Saint-Tropez, lieu difficilement contournable en la matière. Il semble si sincèrement surpris qu’on aurait presque envie d’applaudir la performance. Car le fiasco n’en est évidemment pas un, au sens où il n’est pas accidentel, mais l’expression d’une politique.

 

Le rapporteur du budget n’a visiblement pas bien compris de quoi il retourne. C’est pourtant simple. Aux termes d’une analyse du premier exercice budgétaire, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) concluait à un impact redistributif largement au bénéfice des 2 % de ménages du haut de la distribution des revenus, soit ceux qui détiennent l’essentiel du capital mobilier ; à l’opposé, les ménages les plus modestes sont fortement affectés, à leur détriment bien sûr, par les hausses de la fiscalité indirecte. Trois exercices du même genre et le constat ne varie guère : entre 2018 et 2020, les plus riches sortent grands gagnants, les plus pauvres grands perdants. Le niveau de vie des 5 % de Français les plus modestes recule, celui des 5 % les plus aisés augmente. En octobre 2019, le premier rapport du comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital n’a pas vraiment produit d’évaluation proprement dite (il a même botté en touche), mais la « seule conclusion solide » qu’on peut en tirer, comme l’écrit le journaliste Romaric Godin, c’est « comme prévu » l’enrichissement des 5 % les plus riches. Même Le Monde, pas franchement en pointe dans la lutte contre le néolibéralisme et renâclant à la tâche en (dis)qualifiant à tort l’OFCE comme un « cercle de réflexion marqué à gauche », est bien obligé de le concéder : ce sont les plus riches qui tirent profit des « réformes » . Selon les calculs de l’Institut des politiques publiques sur la base des années 2018-2019, ce sont les 1 %, et, encore mieux, les 0,1 % les plus riches qui tirent leur épingle du jeu. Une chose est sûre par-delà ces variations : les plus modestes payent la facture.

 

« Jamais un gouvernement de la Ve République n’avait osé jusqu’ici décider d’une politique fiscale aussi clairement en faveur des riches et de la finance »

 

Rien de plus normal : c’est toute la politique économique et pas seulement fiscale du mandat qui, au-delà de la conversion ISF/IFI, est favorable au capital. On peut même parler d’un transfert de ressources vers les plus riches, à raison de la perte budgétaire pour l’État. Une politique antiredistributive ou, mieux, contre-redistributive, c’est-à-dire qui redistribue à l’envers, façon Robin des bois mis cul par-dessus tête. Observant la situation française comme mondiale, Attac et la Fondation Copernic constatent bien un mouvement, mais du bas vers le haut. « C’est même plus qu’un ruissellement, c’est un torrent qui porte tout vers les plus riches. » Comme ce n’est pas le genre de lecture qu’un rapporteur du budget est susceptible de goûter, on lui en redonne un extrait : « Jamais un gouvernement de la Ve République n’avait osé jusqu’ici décider d’une politique fiscale aussi clairement en faveur des riches et de la finance. » C’est plus clair, là, non ? Aux dernières nouvelles, notre rapporteur n’a pas claqué la porte. L’enrichissement des plus riches, en revanche, a reçu confirmation sur confirmation, depuis l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) jusqu’au très officiel organisme France Stratégie, placé auprès du Premier ministre.

 

Nul besoin d’ailleurs d’attendre la substitution de l’IFI à l’ISF, ou dispositions étrangères équivalentes, pour pouvoir contourner la contrainte fiscale. À l’évidence, qui dit fiscalité dit fraude fiscale – « optimisation », quand on a un peu de savoir-vivre et le sens du légalisme. Par définition, les bateaux profitent aisément de leur mobilité pour fuir les situations compromettantes. Poussant la logique jusqu’au bout, certains flottent toute l’année : pas d’enregistrement, pas d’impôts. Non seulement les superyachts sont immatriculés dans des places offshore et y font volontiers escale, mais ils sont eux-mêmes des paradis fiscaux flottants. (On ne dira jamais assez quel coup de maître symbolique est le triomphe du mot trompeur de « paradis » : pour la collectivité, c’est plutôt d’un enfer qu’il faudrait parler.) Leurs possesseurs n’ignorent pas que la délinquance d’affaires en général et la délinquance fiscale en particulier sont tout sauf une priorité politique. Ils ne lisent pas de sciences sociales mais ils ont le sens pratique de l’impunité fiscale. Certains sont même des artistes. Ainsi Bernard Tapie, qui louait son superyacht Reborn (alias Bodicea), battant pavillon de l’île de Man, autour de 600 000 euros la semaine, un bateau acquis avec une partie du pactole du procès Adidas à l’issue hautement controversée, de l’argent public, donc, plus de 400 millions d’euros généreusement financés par les contribuables. Quant au magnat des télécommunications Xavier Niel, acquéreur d’un autre bateau ayant appartenu au même Bernard Tapie, le Phocéa, manifestement, il déteste naviguer : c’est dire si son achat était mû par l’amour de la mer.

 

Pour rendre la TVA moins douloureuse, on peut ainsi, moyennant un montage bien rodé, se louer son yacht soi-même

 

L’amour des archipels, en revanche… L’engin est enregistré à Malte, lieu clé au sein de l’Union européenne, concurrent direct du réseau britannique. Pour qui l’ignorait, sincèrement ou non, les Malta files et autres Paradise papers ont levé un coin du voile sur les stratagèmes mis en place pour éviter ou diminuer le prélèvement fiscal, quel qu’il soit, de l’impôt sur la fortune à la taxe sur le carburant ou sur la valeur ajoutée. Pour rendre la TVA moins douloureuse, on peut ainsi, moyennant un montage bien rodé, se louer son yacht soi-même ou bien le faire passer pour un paquebot de croisière ou un navire commercial. En outre, la « souplesse » du droit du travail, comme on dit quand on travaille à le démanteler, et la faiblesse des cotisations sociales à Malte – avec droits au chômage et à la retraite au rabais – font la renommée du « contrat maltais », y compris pour l’embauche de personnels partant de France ou d’Italie. On a franchi depuis longtemps le cap du chantage à la délocalisation.

 

Un superyacht est décidément polyvalent. Rente ambulante par le truchement de la location, il peut servir de cachette (un collectionneur l’assure : c’est le superyacht Serene qui escamote l’introuvable tableau Salvator Mundi, attribué à Léonard de Vinci et réputé l’œuvre d’art la plus chère du monde), le cas échéant pour des biens précieux de provenance douteuse ou pour des pratiques louches, comme une forme plus ou moins déguisée de proxénétisme rarement désignée comme telle, ou faire office lui-même de machine à blanchir. Rien ne l’illustre mieux que l’affaire dite « 1MDB », du nom d’un fonds d’investissement malaisien ayant donné lieu à un scandale financier international au milieu duquel on trouvait le bien nommé Equanimity, tout en marbre et dorures, battant pavillon aux îles Caïman. D’une valeur estimée à 250 millions de dollars, il fut saisi en 2018 par le gouvernement malaisien, à la demande des autorités états-uniennes, dans une gigantesque affaire de blanchiment impliquant plusieurs pays (comptes bancaires à Singapour, aux États-Unis, en Suisse). Une affaire rocambolesque aux ramifications multiples, révélatrice de l’entrelacement entre la légalité et l’illégalité, loin d’une opposition bien commode. L’affaire tassée, Equanimity a été rebaptisé sans rire Tranquility. Nul doute que les citoyens contribuables passés à la caisse ont apprécié ce changement de nom rappelant le trop fameux adage selon lequel plus c’est gros, mieux ça passe.

 

Grégory Salle, chercheur en sciences sociales au CNRS.


 


 


 


 

 

publié le 28 mai 2021

Impôts: en finir avec les idées fausses et poser les termes d’un débat rigoureux

par ATTAC FRANCE sur le site de Médiapart

 

L’association ATTAC publie un livre qui déconstruit 17 des principales idées fausses sur la fiscalité. Illustré par Fred Sochard, et édité par Les Liens qui libèrent, il livre également des propositions de justice fiscale dans un contexte qui pourrait voir quelques « lignes » bouger. En effet, en déclarant « le ruissellement, ça n’a jamais fonctionné », Joe Biden a récemment balayé l’une des idées fausses les plus marquantes et emblématiques du néolibéralisme : celle selon laquelle baisser l’impôt des plus riches et des grandes entreprises relancerait l’investissement, la croissance et l’emploi. Le Fonds monétaire international (FMI) s’est déclaré partisan d’une contribution, certes temporaire, des plus riches. Enfin, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prône un renforcement de la fiscalité des donations et des successions.

Le nombre d’idées fausses auxquelles il faut tordre le cou reste cependant toutefois important en matière de fiscalité. En finir avec elles est nécessaire pour améliorer l’information citoyenne et montrer qu’une autre politique fiscale est souhaitable et possible. Son orientation se résume ainsi : la justice fiscale est indissociable du progrès social et écologique, sans être pour autant l’ennemie de l’activité économique.

 

Les idées fausses au service d’une idéologie à déconstruire

N’avez-vous jamais entendu que la France était la championne du monde des prélèvements obligatoires et qu’il fallait les réduire pour être compétitifs ? Qu’augmenter l’impôt des plus riches les incitait à s’exiler ? Que le système fiscal et social encourageait l’assistanat ? La liste est hélas longue…

Ces assertions, martelées de longue date, sont parfois considérées comme des évidences. Elles font florès mais elles biaisent l’information des citoyens et dégradent le débat démocratique. Car en réalité, elles servent une idéologie qui martèle le « moins d’impôt, moins de dépense publique » et promeut l’extension du secteur marchand à des pans relevant aujourd’hui du service public et de la protection sociale. Tout cela, sans faire cas des injustices et des inégalités. Or, celles-ci sont bien réelles, elles suscitent d’ailleurs de nombreux mécontentements et nourrissent la crise démocratique.

Il est donc indispensable de déconstruire ce discours en rétablissant des vérités fiscales dont la liste est aussi longue que celle des idées fausses !

Ainsi, comparer les niveaux de prélèvements obligatoires des pays n’enseigne par grand chose si l’on tient pas compte des services publics et des systèmes de protection sociale qu’ils financent. Car, là où les prélèvements obligatoires sont plus faibles qu’en France, les ménages doivent payer des assurances santé, des fonds de pension ou l’éducation de leurs enfants sur leurs deniers propres.

De même, prétendre que l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a fait fuir les riches est pour le moins excessif : entre 0,2 et 0,5 % des redevables de l’ISF seulement quittaient la France, et certains y revenaient même après quelques années passées à l’étranger. Contrairement à ce qui était invoqué en 2017, la suppression de l’ISF et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus financiers n’ont pas favorisé l’investissement, mais la distribution de dividendes…

Par ailleurs, affirmer que les pauvres ne paient pas d’impôt et reçoivent des transferts sociaux qui favorisent l’assistanat est mensonger : les pauvres paient en effet la TVA (43 % des recettes de l’État) et, pour la plupart, la contribution sociale généralisée (50 milliards d’euros de plus que l’impôt sur le revenu) et la contribution au remboursement de la dette sociale. Par ailleurs, 75 % des prestations sociales bénéficient à tous, riches, classes moyennes et pauvres...

Les grandes entreprises restent favorisées par rapport aux PME puisque leur taux réel d’imposition est inférieur et qu’elles se livrent plus massivement à l’évasion fiscale.

Enfin, la fiscalité écologique n’est pas à la hauteur : elle frappe peu les activités polluantes, et les « niches fiscales écologiques » sont inefficaces et surtout utilisées par les plus aisés.


 

Des propositions pour une vraie justice fiscale

Déconstruire les idées fausses implique de porter des propositions de justice fiscale, sociale et écologique. C’est une demande forte d’une large partie de la population qui a pris conscience des injustices fiscales et sociales et de l’urgence d’engager une bifurcation écologique.

Au plan national, cela passe par : une véritable progressivité du système fiscal, notamment de l’imposition des revenus ; la mise en place d’un impôt sur la fortune rénové et mieux construit que l’ancien impôt de solidarité sur la fortune ; une revue des niches fiscales ou encore une fiscalité écologique qui tiendrait compte des inégalités (de revenus et territoriales). Au plan international, cela passerait notamment par l’instauration d’une taxation unitaire sur les multinationales (qui appréhenderait également les enjeux liés à la numérisation de l’économie), une harmonisation fiscale européenne et une véritable taxe sur les transactions financières. Tout cela devant s’accompagner d’une lutte résolue contre l’évasion fiscale.

La justice fiscale n’est plus une option, c’est désormais une nécessité sociale, écologique, économique et démocratique.


L'ouvrage est disponible dès aujourd'hui en librairie, et à la commande en ligne, sur le site d'Attac. (10€, 144 pages)


 

 

 

 

 

<publié le 27 mai 2021

 

Avec près de 1,7 milliard d’euros, BlackRock est le premier bénéficiaire des dividendes du CAC40


 

sur le site www.bastamag.net


 

Qui sont les premiers profiteurs des 51 milliards d’euros de dividendes versés cette année par les sociétés du CAC40 malgré la crise ? Le gestionnaire d’actifs BlackRock mais aussi Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou l’État.

 

À qui vont bénéficier les 51 milliards que les groupes du CAC40 vont verser malgré une épidémie qui se prolonge et les nombreuses aides publiques dont ils bénéficient ?

 

Sans surprise, le principal bénéficiaire de la cuvée 2021 des dividendes du CAC40 est… BlackRock. Le gestionnaire d’actifs est présent au capital de la quasi-totalité des grandes entreprises françaises, et notamment de celles qui versent le plus de dividendes comme Total et Sanofi. Il touchera à ce titre près de 1,7 milliard d’euros de la part des grands groupes français, selon les informations publiquement disponibles.

 

La somme touchée par BlackRock représente l’équivalent de la rémunération de près de 35 000 personnels hospitaliers (soignants et non soignants) sur une année, ou de quoi payer l’hospitalisation en réanimation d’environ 33 000 personnes infectées par le Covid-19 et souffrant de symptômes graves. Cela correspond aussi à l’équivalent de la construction de 42 lycées ou 1200 kilomètres de lignes TER, ou à la mise en place d’une aide sociale de 1000 € par étudiant.e. Le puissant gestionnaire d’actifs est également connu pour influencer des politiques publiques, comme la récente réforme des retraites.

 

Le second grand bénéficiaire des dividendes du CAC40 est l’État lui-même, à travers ses différents bras armés financiers (Agence des participations de l’État, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignations), alors que le gouvernement avait demandé aux entreprises dont il est actionnaire (Orange, ST MicroElectronics, Thales, Veolia, Vivendi) de ne pas verser de dividendes en temps de pandémie.

 

On trouve ensuite le groupe de Bernard Arnault, à un niveau presque équivalent aux deux premiers grâce à ses participations dans Carrefour et surtout LVMH, puis les grandes familles du CAC40 : Bolloré (Vivendi), Bettencourt (L’Oréal), Hermès (groupe éponyme), Pinault (Kering), del Vecchio (EssilorLuxottica), ainsi que deux multinationales (Nestlé, actionnaire de L’Oréal, et L’Oréal, actionnaire de Sanofi). Ils sont suivis par un autre gestionnaire d’actifs, MFS (Massachusetts Financial Services).


 

Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

publié le 23 mai 2021

 

Mettons fin au
système de brevets privés !

sur le site du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes)

 

Pour une industrie pharmaceutique sous contrôle social et un système de vaccination public, universel et gratuit.

 

À l’initiative du CADTM International, deux cents organisations sociales, syndicats, ONG et autres mouvements actifs dans les cinq continents ont signé un appel international.

Grâce à un énorme effort scientifique basé sur une collaboration internationale et des sommes historiques d’argent public, l’humanité a pu développer plusieurs vaccins efficaces contre la Covid-19 en moins d’un an.

Toutefois, cette grande réussite pourrait être totalement éclipsée par la cupidité de l’industrie pharmaceutique qui met les gouvernements et l’OMC sous pression pour éviter la suspension des brevets. Dans une situation aussi critique que celle que nous vivons, le caractère exceptionnel des mesures exigées de la majorité de la population doit également s’appliquer à l’industrie pharmaceutique privée et à sa soif permanente de profit. La suspension des brevets liés au Covid-19 doit être une priorité et une première étape.

Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. Des initiatives telles que COVAX ou C-TAP ont échoué lamentablement, non seulement en raison de leur inadéquation, mais surtout parce qu’elles répondent à l’échec du système actuel de gouvernance mondiale par des initiatives où les pays riches et les multinationales, souvent sous la forme de fondations, cherchent à remodeler l’ordre mondial à leur guise. La philanthropie et les initiatives public-privé en plein essor ne sont pas la solution. Elles le sont encore moins face aux défis planétaires actuels dans un monde dominé par des États et des industries guidées par la seule loi du marché et du profit maximum.

La crise sanitaire est loin d’être résolue. Le système capitaliste et les politiques néolibérales ont joué un rôle fondamental à toutes les étapes. À l’origine de ce virus, il y a la transformation effrénée de la relation entre l’espèce humaine et la nature. La crise écologique et la crise sanitaire sont intimement liées. Et la même logique néolibérale prédatrice a exacerbé les conséquences des deux en appliquant une gestion privée et concurrentielle de la crise. Le résultat est plus d’inégalités, plus de souffrance et plus de morts au nom des intérêts d’une minorité privilégiée.

La pandémie a accéléré et approfondi des tendances dangereuses, des écarts sociaux et des phénomènes multidimensionnels que nous observons depuis des décennies et dont souffrent principalement les classes populaires, en particulier les femmes et les personnes racisées. Les femmes sont majoritaires parmi les personnels de santé qui ont été en première ligne dans la lutte contre la pandémie, mais aussi dans le maintien de la vie face aux réductions des services publics et des droits sociaux dont elles sont les premières victimes.

La santé et l’accès à la santé et à la vaccination sont un droit humain universel. Par conséquent, les vaccins doivent être considérés comme un bien commun mondial. Et pour assurer leur accessibilité universelle, la suspension nécessaire et urgente des brevets doit s’accompagner de mécanismes de nationalisation des industries pharmaceutiques privées et d’un fort investissement dans le développement d’industries pharmaceutiques publiques dans tous les pays. Il faut une action décisive qui permette une planification publique de la production et de la distribution des vaccins, en développant les capacités de production locales lorsque cela est possible et en les complétant par une solidarité internationale contraignante dans les autres cas.

Si les virus n’ont pas de frontières, la lutte contre ces derniers ne doit pas en avoir. Le chauvinisme sanitaire est un autre visage de la dérive réactionnaire d’exclusion qui balaie le monde. Les peuples du Sud doivent avoir accès aux vaccins sur un pied d’égalité avec le reste des habitant·es de la planète. Nous saluons les efforts de Cuba pour développer des vaccins et des traitements pour affronter la pandémie et pour mettre à la disposition de l’humanité les résultats de ceux-ci. Les défis planétaires tels qu’une pandémie nécessitent des réponses mondiales qui soient appropriées.

L’économie privée, la foi aveugle dans le marché et la recherche du profit se sont révélées incompatibles avec la vie. La santé ne peut être une marchandise. La réactivation de l’activité économique ne peut se faire au détriment de la santé ou des droits de la majorité. Il faut choisir : le capital ou la vie. Nous devons agir rapidement et avec force, en pensant à une stratégie globale d’égalité d’accès et de garantie universelle du droit à la santé.
Pour toutes ces raisons, nous demandons :

  • La suspension des brevets privés sur toutes les technologies, connaissances, traitements et vaccins liés à la Covid-19.

  • L’élimination des secrets commerciaux et la publication d’informations sur les coûts de production et les investissements publics utilisés, de manière claire et accessible à l’ensemble de la population.

  • La transparence et le contrôle public à tous les stades du développement du vaccin.

  • L’accès universel, libre et gratuit à la vaccination et au traitement.

  • L’expropriation et la socialisation sous contrôle social de l’industrie pharmaceutique privée comme base d’un système public et universel de santé qui favorise la production de traitements et de médicaments génériques.

  • L’augmentation des investissements et des budgets publics alloués aux politiques publiques de santé et de soins de proximité, incluant une augmentation de l’embauche, des salaires et une amélioration des conditions de travail du personnel de ces secteurs.

  • L’introduction de taxes sur la richesse (patrimoine et revenus du 1 % les plus riches) pour financer la lutte contre la pandémie et assurer une sortie socialement juste et écologiquement pérenne des différentes crises du capitalisme mondial.

  • La suspension du paiement des dettes pendant la durée de la pandémie et l’annulation des dettes illégitimes et de celles contractées pour financer la lutte contre le virus.

Liste des signataires de ce manifeste

Ce manifeste est signé par des dizaines d’associations et syndicats partout dans le monde. Parmi les signataires en France : ATTAC, Cedetim, Cerises la coopérative, CGT Sanofi, Fondation Copernic, Association INDECOSA-CGT, Syndicat de la médecine générale, Union syndicale Solidaires. Voir la liste complète sur http://www.cadtm.org/Mettons-fin-au-systeme-de-brevets-prives


 

 

 

 

 

publié le 17 mai 2021

Le CAC40 s’apprête à verser 51 milliards d’euros à ses actionnaires malgré la poursuite de la pandémie

par Maxime Combes, Olivier Petitjean sur le site www.bastamag.net

Gros actionnaires et fonds d’investissement vont bénéficier d’un dividende record, en pleine pandémie. L’Observatoire des multinationales lance la campagne “Allô Bercy ?” pour que les aides publiques aux entreprises soient enfin soumises à condition.

 

« Vous avez besoin d’argent, je vous en donne »

Prêts garantis, chômage partiel, fonds de soutien, aide au financement sur les marchés, reports de charge, apports en capital, plan de relance… Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les aides publiques ruissellent sans limite sur le secteur privé ! « C’est dans ces moments de crise qu’il faut profiter de l’argent de l’État, croyez moi ce n’est pas tous les jours que vous verrez un ministre des Finances vous dire : vous avez besoin d’argent, je vous en donne ! » s’enflammait Bruno Le Maire devant un parterre d’entrepreneurs en octobre 2020.


 

Les étudiant.e.s font la queue devant les banques alimentaires, les soignant.e.s sont épuisé.e.s par un système hospitalier asphyxié, les caissières et toutes les autres premières de corvée attendent toujours d’être revalorisées, les services publics s’étiolent par manque de moyens, le monde de la culture dépérit, les petites entreprises et le secteur non lucratif souffrent, tout comme l’essentiel des salariés, tandis que les pauvres s’appauvrissent et les précaires se précarisent. Le CAC40, lui, bat des records de valorisation boursière, va une nouvelle fois verser des dividendes massifs malgré la poursuite de la pandémie, et profite toujours d’un soutien inconditionnel des pouvoirs publics.

Nous l’avions montré dans notre rapport AlloBercy ? Aides publiques : les corona-profiteurs du CAC40 publié en octobre dernier : en 2020, 100 % des multinationales du CAC40 ont touché des aides publiques liées au Covid-19. Y compris les 26 d’entre elles qui ont versé un généreux dividende en 2020. Parmi elles, Carrefour, LVMH, Veolia ou Vinci, ont profité du chômage partiel, payé sur fonds publics, pour rémunérer leurs salariés. En ce printemps 2021, les aides publiques aux entreprises continuent, et les dividendes repartent de plus belle : dans une nouvelle note publiée ce mardi 27 avril, l’Observatoire des multinationales montre que le CAC40 s’apprête à approuver le versement de 51 milliards d’euros à ses actionnaires. Une hausse de 22 % par rapport à l’année dernière, enterrant toutes les promesses de « modération des dividendes » pendant la pandémie de Covid-19.

51 milliards, c’est l’équivalent de l’ensemble des dépenses de personnel annuelles des hôpitaux publics (soit les rémunérations de 960 000 personnes, soignantes et non soignantes) ! 51 milliards, cela équivaut également à construire près de 1300 lycées d’un millier de place. Cela représente aussi un millier de fois le montant du plan d’aide au secteur culturel !

 

La spirale des aides publiques aux entreprises : 65 milliards en 2007, 155 milliards en 2020

Cette inflation galopante d’aides publiques aux entreprises privées n’est pas nouvelle. Elle s’accroît massivement et rapidement. Presque 7 % de croissance par an en moyenne depuis plus de quinze ans, bien plus que la croissance du produit intérieur brut (PIB), des aides sociales ou des salaires. Depuis le début de la crise sanitaire, elle atteint de nouveaux sommets.

Avant la crise de 2008-2009, ces aides ne représentaient « que » 65 milliards d’euros par an [1] puis 110 milliards d’euros par an en 2012 [2]. François Hollande et Emmanuel Macron les ont fait grimper jusqu’à 150 milliards d’euros par an avec le pacte de responsabilité et le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Soit un bond de 230 % en moins de quinze ans : l’équivalent désormais de deux fois le budget de l’Éducation nationale. Et près de cinq fois le montant de l’impôt sur les sociétés (31,5 milliards € en 2019).

Selon la Commission européenne, entre mars et décembre 2020, la France a encore versé plus de 155 milliards d’euros supplémentaires aux entreprises sous prétexte de lutter contre le Covid-19. Ce qui place notre pays au premier rang en Europe.

Suivre à la trace ces milliards d’euros d’argent public est un travail fastidieux et délicat tant la confidentialité des affaires et le secret fiscal sont brandis pour écarter toute transparence : il n’existe aucun suivi précis et public des bénéficiaires, des montants et de ce qui les justifient. Sans transparence et contrôle possible, comment avoir un débat de qualité sur les conditions d’attribution des aides publiques aux grandes entreprises ?

 

Carte blanche pour licencier, polluer et dépouiller le Trésor public ?

Abreuvé d’argent public, le CAC40 est en effet dispensé de rendre des comptes et d’œuvrer en faveur de l’intérêt général. Les suppressions d’emplois s’accumulent dans les secteurs mêmes qui ont été maintenus à flot par les pouvoirs publics. Dans le même temps, ces multinationales restent fortement présentes dans les paradis fiscaux et s’activent pour saper toute velléité, comme celle de la Convention citoyenne pour le climat, de leur imposer une véritable réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Ce constat n’est pas uniquement le nôtre. Un rapport d’information parlementaire sur la conditionnalité de ces aides vient de statuer que « les aides publiques ne sont ni conditionnées à l’interdiction de licencier, ni à l’obligation de rembourser des aides en cas de licenciement », jugeant « immoral que l’usine de Bridgestone à Béthune ait fermé après avoir reçu 1,8 million euros du CICE et 620 000 euros d’aides régionales », et déplorant qu’ « aucune législation ne lui impose de rembourser ces aides ».

Non conditionnées, peu contrôlées, octroyées sans transparence, ces aides publiques au secteur privé – près de 2000 dispositifs différents existent ! – transforment la nature de l’action publique. Derrière ces milliards d’euros d’argent public, parfois présentés comme le « retour de l’État », se pérennise en fait le détournement sans condition des ressources publiques au profit des intérêts privés. L’État-providence a été construit pour prendre en charge collectivement les besoins sociaux et financer les services publics. Il est aujourd’hui détourné de sa fonction pour garantir et sécuriser les intérêts des grands groupes et de leurs actionnaires.

Est-il juste que les gagnants d’une année de pandémie soient le CAC40, et ses actionnaires que sont les grandes familles du capitalisme français – Bettencourt, Arnault, Pinault... – ainsi que les gros fonds d’investissement – Blackrock, Vanguard, et autres Amundi ? Pendant que les uns – le plus grand nombre – assurent le bon fonctionnement de la société, tentent de pallier aux pénuries de moyens, au risque de s’épuiser, une infime minorité s’engraisse, quoi qu’il en coûte. Au dévouement et à l’esprit de sacrifice des soignant.e.s et premières de cordée répondent les appétits grossiers des multinationales et de leurs actionnaires : nul ne devrait pourtant être autorisé à édifier sa fortune et son pouvoir sur le cataclysme de la pandémie.

 

Une campagne de financement participatif pour faire la transparence sur les aides publiques et ouvrir le débat de leurs contreparties

Alors que les gouvernements successifs ne cessent de mettre en exergue les devoirs du chômeur, du bénéficiaire des minimas sociaux ou des aides de la CAF, pour quels motifs sérieux les multinationales seraient-elles dispensées de devoir satisfaire des conditions d’intérêt général dans l’usage des aides publiques qui leur sont octroyées ? Pourquoi ne devraient-elles pas rendre des comptes en matière d’emploi et de conditions de travail ? Pourquoi n’ont-elles pas obligation d’investir dans la décarbonation de leurs processus de production ? Pourquoi ne devraient-elles pas quitter les paradis fiscaux pour avoir accès aux aides publiques ? Ces propositions ont été systématiquement rejetées par le gouvernement et sa majorité parlementaire. Le nécessaire débat sur la conditionnalité des aides publiques doit pourtant se tenir. Il en va de notre capacité collective à décider de notre avenir commun sans se le laisser dicter par les acteurs privés.

Depuis le printemps 2020, l’Observatoire des multinationales est mobilisé pour traquer les profiteurs de la crise sanitaire et informer sur les pratiques du CAC40. Le rapport Allô Bercy ?, publié en octobre 2020, dressait un bilan sans appel de cette première année sous le signe du Covid-19. Nous nous proposons aujourd’hui de poursuivre ce travail et de le porter à une nouvelle échelle : compléter notre travail d’enquête d’une campagne citoyenne, en lien avec nos partenaires associatifs et syndicaux, visant à forcer le pouvoir exécutif et les entreprises à rendre des comptes.

À cette fin, l’Observatoire des multinationales lance une campagne de financement participatif sur la plateforme Kisskissbankbank. Avec votre aide, nous pourrons : 
 Traquer les corona-profiteurs qui bénéficient d’aides publiques sans rien changer à leurs pratiques abusives.
 Nous battre pour la transparence de toutes les aides publiques et pour de vraies contreparties.
 Mettre en lumière les stratégies de lobbying des grands groupes pour s’accaparer le soutien inconditionnel des pouvoirs publics, au détriment de ceux qui méritent vraiment d’être soutenus.
 Publier une première série d’enquêtes fin mai 2021.

Si nous atteignons nos objectifs les plus ambitieux, nous pourrons mener ce travail de fond jusqu’aux élections de 2022, en élaborant et en portant auprès des candidats des propositions concrètes pour mettre fin à cette spirale infernale.


 

 

 

 

 

publié le 17 mai 2021

 

 

Tribune -

 

« La réforme de l’assurance-chomage

 

est injuste, absurde et indécente »

 

 

Des responsables associatifs et syndicaux, dont Philippe Martinez pour la CGT ont publié une tribune au « Monde » le 12 mai 2021 pour dénoncer la relance par gouvernemental du projet de réforme de l’assurance-chômage

 

Nous, associations et organisations syndicales de salariés, avions vigoureusement réagi contre la réforme de l’assurance-chômage, lorsqu’elle avait été annoncée en juin 2019 par le gouvernement. Du fait de la crise sanitaire, certains points de cette réforme avaient été opportunément mis en sommeil et les plus optimistes d’entre nous pouvaient les croire abandonnés. Le gouvernement vient pourtant d’annoncer sa mise en œuvre au 1er juillet 2021.

Cette entrée en vigueur, alors même que la crise sanitaire est loin d’être terminée et que ses conséquences sociales, déjà lourdes, ne vont aller qu’en s’accentuant, est à la fois injuste, absurde et indécente.

Injuste, parce qu’elle va frapper des personnes déjà fragilisées, qui comptent parmi celles qui ont été les plus touchées par la crise sanitaire et sociale. Selon les chiffres de l’Unédic, dès le 1er juillet 2021, 1,15 million de personnes vont voir leurs droits baisser drastiquement, en moyenne de 17 %, et jusqu’à 40 % pour les 400 000 les plus précaires. Les plus touchés seront justement celles et ceux qui ont des contrats courts ou espacés.

A une date encore non précisée, d’autres mesures devraient durcir l’accès aux droits, notamment par un relèvement du seuil d’accès à l’indemnisation, en exigeant une période de six mois travaillés, contre quatre aujourd’hui. Là encore, les plus touchés seront les travailleurs précaires, en particulier les jeunes de moins de 26 ans.

Absurde, notamment parce qu’elle intervient au pire moment. Les analyses du conseil scientifique du Conseil national de lutte contre l’exclusion sont éloquentes : elles montrent, d’une part, que les personnes les plus pauvres − notamment les personnes au chômage − ont été les plus durement touchées par les conséquences sociales de la crise sanitaire ; d’autre part, que de multiples couches de la société ont basculé ou vont basculer dans la pauvreté, la crise agissant comme un « descenseur social » ; enfin, que la force de notre système de protection sociale a évité une catastrophe pire encore.

Et c’est à ce moment, alors que nous sommes encore au cœur de la troisième vague de l’épidémie, que le gouvernement va, par son action même, accentuer les effets de la crise et faire plonger dans la pauvreté des personnes qui auraient pu rester la tête hors de l’eau si l’on avait maintenu le dispositif d’assurance-chômage.

Processus de stigmatisation

Indécente, enfin. Avant même la crise sanitaire, le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres avait déjà diminué, du fait notamment du gel des allocations-logement, des prestations familiales et du RSA ; les inégalités sociales s’étaient sensiblement creusées. La crise a accentué ce phénomène, les ménages les plus aisés pouvant épargner, quand les 10 % les plus pauvres ont dû le plus souvent s’endetter.

Si le gouvernement ne renonce pas à mettre en œuvre sa réforme de l’assurance-chômage, l’une des dernières réformes du quinquennat s’attaquera donc aux travailleurs précaires, en réduisant leurs droits et en fragilisant leur situation sociale. Alors qu’en parallèle, le pouvoir d’achat des plus riches n’aura cessé d’augmenter, du fait notamment des politiques fiscales ou sociales du gouvernement. Nous sommes loin de la justice sociale la plus élémentaire.

Cette réforme s’inscrit enfin dans un processus de stigmatisation des chômeurs, qui ne correspond à aucune réalité. Quiconque a vécu des périodes de chômage a senti son stress monter devant l’absence de réponse aux multiples candidatures, les entretiens décourageants, les sanctions injustifiées pour ne pas avoir pu prouver ces recherches infructueuses. Quiconque a vécu des périodes de chômage a vu arriver avec angoisse la fin de droits, avec le sentiment que la société vous considère comme inutile et qu’une partie de l’opinion vous soupçonne de tricher… au moment même où vous perdez vos dernières ressources.

Loin de l’intérêt des populations, le gouvernement peut-il s’obstiner à poursuivre une telle réforme, motivée essentiellement par des considérations financières et qui rencontre une opposition unanime des organisations syndicales comme du monde associatif, une réforme qui n’avait déjà aucun sens avant la crise sanitaire et qui, dans le contexte actuel, en devient encore plus injuste et absurde ?

 

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT ; Annick Berthier, présidente d’Emmaüs France ; Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité ; Christophe Devys, président du collectif Alerte ; Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) ; Véronique Fayet, présidente du Secours catholique ; Marie- Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde ; Paul Israël, président du CCSC-Vaincre le chômage ; Gilles de Labarre, président de Solidarités nouvelles face au chômage ; Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ; Laurent Pinet, président du Coorace (fédération nationale de l’économie sociale et solidaire) ; Pascale Ribes, présidente d’APF France handicap ; Martine Vignau, secrétaire nationale de l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes).



 

 

 

 

 

 

Publié le 07/05/2021

 

 

UN quart du budget de l’Etat s'évapore en sous-traitance

 

Par Erwan Manac'h sur www.politis.fr

 

 

 

Une centaine d’agents et cadres de la fonction publique publient une étude sur l’externalisation de l’action publique à des entreprises privées.

Le coût de celle-ci est évalué à 160 milliards d’euros par an.

 

 

 

C’est la partie immergée d’un iceberg qu’on savait gigantesque, évaluée pour la première fois, et malgré le peu de données disponibles, par un collectif naissant de hauts fonctionnaires et d’agents publics : en additionnant les différentes formes de sous-traitance (1), à tous les échelons de l’État et des collectivités locales, le phénomène d’externalisation de l’action publique représente 160 milliards d’euros par an. C’est 7 % du PIB et l’équivalent du quart du budget de l’État.

 

Cette estimation est le fruit d’un travail de recoupement révélé ce vendredi par le collectif « Nos services publics », qui regroupe une centaine d’agents et cadres de la fonction publique, pour la plupart anonymes mais résolus à « alerter » de l’intérieur sur les dysfonctionnements de la puissance publique.

 

 

Une accélération considérable du phénomène

 

 

La note de 13 pages retrace l’histoire du phénomène, de sa première éclosion dès le XVIIe siècle à l’accélération considérable observée à partir du milieu des années 1990. Une série de « réformes de l’État » dessine alors un arsenal de normes budgétaires et juridiques qui rendent progressivement l’externalisation incontournable. À tel point qu’aujourd’hui les lois « limitent la capacité des pouvoirs publics à confier des missions à leurs propres opérateurs publics » afin de favoriser la mise en concurrence, souligne le collectif.

 

Cette note pointe également l’impact de la forte réduction du nombre d’emplois publics, à tous les échelons de l’administration. Avec une décentralisation opérée avec des dotations en baisse ou insuffisantes, ce rétrécissement de l’État et des collectivités locales les contraint in fine à déléguer au privé des fractions de plus en plus diverses de leurs missions.

 

Sous différentes formes juridiques (2), l’externalisation concerne aujourd’hui tous les pans de l'action publique, du nettoyage des locaux à l’élaboration des politiques, constate le collectif. Y compris des missions à caractère stratégique comme la sécurité informatique.

 

Sous François Hollande, le plan de « modernisation de l’action publique » a ainsi offert la délivrance de titres officiels aux entreprises privées (visas, cartes grises). Tandis que le projet Action publique 2022 d’Emmanuel Macron élargit la sous-traitance à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, au contrôle réglementaire, à la protection du consommateur et à la répression des fraudes.

 

 

Un modèle coûteux et désarmant pour l'Etat

 

 

Ce phénomène a plusieurs effets pervers, selon l’analyse du groupe de fonctionnaires : une perte de compétences et même de « souveraineté », sur des actions que la puissance publique a pourtant elle-même décidées ; un risque de dévoiement de l’intérêt général et de dégradation du service public ; un nivellement par le bas des conditions de travail...

 

Elle représente également un surcoût financier souvent important sur le temps long. Car les entreprises privées sont redevables de la TVA et doivent rémunérer leurs banques ou leurs actionnaires, ce qui n’est pas le cas pour des prestations réalisées en interne, souligne la note. Une externalisation induit également des « coûts de transferts » au moment de sa mise en place et annule toute possibilité de mutualiser les compétences entre territoires. Un paradoxe, pour une politique dictée officiellement par une volonté de « maîtrise de la dépense publique ». Avec ce résultat que déplore Nos services publics : Plutôt que de diminuer le coût pour du service tout en maintenant sa qualité, on en réduit la qualité tout en dégradant les finances publiques.

 

Ce constat conduit le collectif à formuler une série de conditions, qui devraient selon lui présider au choix d’externaliser ou non une action publique. Le recours au privé devrait toujours être choisi et réversible, ne pas hypothéquer la capacité d’action future de l’acteur public et constituer un gain sur le temps long en tenant compte de toutes les facettes du problème.

 

 

L’urgence de reprendre la parole

 

 

Cette première note doit en appeler d’autres, sur les sujets ayant trait aux « dysfonctionnements institutionnalisés de l’appareil d’État ou des collectivités publiques », promet le collectif. Il a également lancé une enquête auprès des fonctionnaires sur « la perte de sens dans les services publics » et prépare différentes formes d’interpellations, pour tenter de briser le mur de silence qui occulte l’expression des fonctionnaires.

 

Par cet acte de naissance, il lance également un appel aux agents pour venir – anonymement – garnir ses rangs. « Nous voulons travailler à construire une pensée alternative sur les services publics et nous donner collectivement du courage pour progressivement reprendre la parole, parce qu’il est urgent de faire vivre le débat public sur ce sujet. Nous voulons également travailler à l’évolution de nos pratiques [en tant que fonctionnaires], résume l’un des porte-paroles du collectif, Arnaud Bontemps, magistrat de la Cour des comptes aujourd’hui en disponibilité. C’est un travail sur le temps long, qui dépasse l’horizon de l’agenda politique et nous ne sommes affiliés à aucun syndicat ni parti politique. » C’est aussi une démarche qui expose ses acteurs à des risques de répression, tant la parole des fonctionnaires est aujourd’hui muselée.

 

 

 

(1) Les délégations de service public représentent 120 Md€ selon un dossier de presse de 2019 du ministère de l’Industrie et les prestations de service sont évaluées à 40 Md€ dans le recensement économique de la commande publique.

 

(2) Délégation de service public depuis 1993, partenariat public-privé à partir de 2004, prestation de service.


 

 

 

 

 

Publié le 27/04/2021

 

 

Vaccins : « La transparence sur les prix est un minimum »

 

 

Par Diego Chauvet sur www.humanite.fr

 

 

Le secrétaire national du PCF a interpellé le président de la République pour que la France soit à la tête d’une campagne internationale pour la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid. Entretien.

 

 

Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, Fabien Roussel propose de créer les conditions « pour que tout le pays, dans l’union la plus large », mène un combat à l’échelle internationale pour obtenir la levée des brevets. Cette initiative fait suite aux révélations dans la presse, dont l’Humanité, de l’augmentation des prix des vaccins par le laboratoire Pfizer.

 

 

Vous avez alerté Emmanuel Macron. Qu’en attendez-vous ?

 

Fabien Roussel La transparence sur le prix des vaccins est tout de même le minimum que l’on puisse attendre en tant que citoyens. La ministre Agnès Pannier-Runacher, à la suite de ces révélations, admet que les négociations avec les laboratoires sont une indication qu’il va y avoir une augmentation des prix des vaccins. Il est donc légitime de demander combien ça va coûter et la raison de cette augmentation. Cette exigence est capitale. En France, c’est la Sécurité sociale qui paye, avec nos cotisations. J’entends déjà le discours d’un gouvernement qui nous dirait demain qu’il faut rembourser le trou de la Sécurité sociale… C’est la raison pour laquelle nous devons rester vigilants. Si le prix des vaccins augmente, c’est qu’il y a une pénurie, et celle-ci est organisée alors que l’on pourrait la combattre en obtenant la levée des brevets.

 

 

Vous menez une bataille pour cela. Où en est-elle ?

 

Fabien Roussel La campagne est menée à l’échelle de l’Union européenne, avec une pétition d’initiative citoyenne qui a l’objectif de rassembler un million de signatures. Nous multiplions donc les initiatives comme celle que je viens de prendre en direction du président de la République. C’est une affaire qui doit tous nous mobiliser. Pfizer a répondu à mon interpellation, et ils ont reconnu que les tarifs allaient augmenter. La question de la levée des brevets va donc devenir de plus en plus forte. Aujourd’hui, on nous annonce qu’il faudra une troisième dose, puis se vacciner tous les ans. On ne pourra donc pas organiser la vaccination de tous les habitants de la planète avec des vaccins qui vont coûter 150 dollars. La levée des brevets va se poser immanquablement. Le plus tôt sera le mieux.

 

 

Malgré la campagne et les révélations de la presse sur les intentions des laboratoires, l’Union européenne continue à négocier sur la base de leurs prix…

 

Fabien Roussel Nous devons crier plus fort. Révéler ce que Pfizer ou AstraZeneca sont en train de faire concernant les prix. Pourquoi cette opacité sur les tarifs ? Il faut interroger les gouvernements. Pourquoi ne répondent-ils pas à cette exigence de transparence ? Ce sont eux qui bloquent, ils doivent rendre des comptes, s’expliquer. Pfizer a répondu à notre interpellation. La ministre confirme l’augmentation des prix des vaccins. Les bouches s’ouvrent. C’est intéressant, mais il va falloir pousser, continuer à les interpeller et exiger la vérité sur les prix.

 

 

La question va se poser. Mais comment les laboratoires pourraient-ils accepter de lâcher leurs brevets ?

 

Fabien Roussel Parce que ce n’est pas tenable aux yeux de l’opinion publique internationale. Il n’est pas tenable que les vaccins atteignent des tarifs insupportables pour les économies. Avec l’Inde, l’Afrique du Sud et une centaine de pays, une mobilisation internationale est en train de monter. 175 anciens chefs d’État et prix Nobel de la paix le demandent aussi. À un moment, ils seront obligés de répondre à cette demande. De la même manière, Nelson Mandela avait obtenu la levée des brevets pour la production de médicaments contre le sida.

 

 

Au moment où cette épidémie a émergé, il y avait déjà tous les arguments pour refuser le brevetage des vaccins…

 

Fabien Roussel Les actionnaires de l’industrie pharmaceutique sont les banques, c’est Morgan Stanley, Goldman Sachs… Des fonds d’investissement comme BlackRock sont actionnaires de Pfizer, Sanofi, Moderna ; ils sont présents dans toutes les sociétés. Ce sont les intérêts de ces banques, de ces fonds de pension, de ces assurances qui sont d’abord pris en compte. La caste des financiers a préservé ses intérêts avec la complicité des chefs d’État de l’Union européenne, des États-Unis, des Britanniques… Ce sont eux qui bloquent aujourd’hui la levée des brevets au sein de l’OMC.

 

 

Le gouvernement américain ne constitue-t-il pas un verrou ?

 

Fabien Roussel Oui. Mais imaginons que ce soient les États-Unis qui le lèvent. Tous les Américains seront vaccinés, et la France sera bien à la traîne et à leur remorque. Celui qui obtiendra la levée des brevets sera celui qui aux yeux de tous les peuples, de tous les pays, aura permis une grande avancée dans la protection contre le virus. C’est aussi un enjeu collectif très important d’être à la pointe de ce combat. Pourquoi la France attendrait-elle que les Américains prennent l’initiative ? Pourquoi ne pas le faire dès maintenant et être le pays qui défend les intérêts des peuples d’Afrique, d’Amérique latine, de l’Inde… de tous ceux qui attendent cette levée des brevets ?

 

 

 


 

 

Publié le 13/04/2021

 

 

Cinq ans après « Panama Papers », notre système facilite toujours fraude et évasion fiscale

 

 

Propos recueillis par Hélène Sergent et publiés sur www.20minutes.fr

 
 

Cinq années se sont écoulées depuis la publication des « Panama Papers ». Révélé en France par le journal Le Monde en partenariat avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ce scandale fiscal a eu de multiples répercussions.

 

Manifestations, réformes législatives et enquêtes judiciaires se sont multipliées depuis le 6 avril 2016. En France, 26 dossiers visant des particuliers ou des sociétés ont été ouverts par le parquet national financier (PNF). Et, selon le quotidien du soir, l’administration fiscale a pu récupérer l’équivalent de 372 millions d’euros en impôts et pénalités en trois ans.

 

Pour le porte-parole de l’ONG Oxfam France, Quentin Parrinello, si les « Panama Papers » ont servi d'« électrochoc » salutaire, le manque de volonté politique en matière de lutte contre l’évasion fiscale subsiste.

 

 

« Offshore Leaks », « LuxLeaks », « SwissLeaks », « Panama Papers » n’ont pas été le premier scandale fiscal révélé par la presse. Pourtant, le retentis-sement de cette enquête a été très important. Comment l’expliquez-vous ?

 

Cette affaire a été l’une des plus importantes parce qu’elle visait des personnalités de très haut niveau, issues des milieux politiques, économiques ou sportifs. Le retentissement médiatique provoqué par ces révélations a entraîné une véritable prise de conscience sur notre système fiscal international actuel, qui facilite l’évasion fiscale des plus riches et des grandes entreprises et qui permet légalement à ces plus riches de ne pas payer leur juste part d’impôt.

 

 

Cinq ans après la publication des « Panama Papers », qu’est-ce qui a changé en France en matière de lutte contre l’évasion fiscale ?

 

En France, il y a eu un changement majeur qui s’est concentré sur la lutte contre la fraude fiscale avec l’assouplissement de ce qu’on appelle « le verrou de Bercy ». Avant, l’administration fiscale décidait seule de l’opportunité de poursuivre ou pas une personne pour fraude fiscale. Ce dispositif a été rendu tristement célèbre pendant l’affaire Cahuzac puisque la personne qui devait décider ou non de poursuivre Jérôme Cahuzac… était Jérôme Cahuzac. Cela posait un gros problème en matière de conflit d’intérêts.

 

Désormais, les cas de fraudes fiscales sont automatiquement transmis à la justice au-delà d’un certain seuil. Mais cela ne concerne que la fraude fiscale, et pas l’évasion fiscale, qui représente pourtant le plus gros problème.

 

Dans le même temps, le gouvernement a voté une loi permettant aux entreprises de bénéficier d’une justice transactionnelle, c’est-à-dire de négocier leur peine avec la justice. L’entreprise ne négocie plus avec Bercy mais avec les autorités judiciaires pour payer une amende sans être reconnue coupable. Ça s’appelle la « convention judiciaire d’intérêt public ». De nombreuses ONG, dont Oxfam, étaient vent debout contre cette réforme parce qu’elle introduit un « deux poids, deux mesures » par rapport à n’importe quel autre justiciable.

 

 

Le discours politique a-t-il évolué à ce sujet ?

 

Les « Panama Papers » ont fait office d’électrochoc. On le voit dans le discours politique, l’évasion fiscale n’est plus acceptable. Il y a eu beaucoup de déclarations d’intention pour en « finir avec les paradis fiscaux » et l’évasion. Mais on est toujours face à un système économique qui facilite la fraude et l’évasion des grandes multinationales et des personnes les plus riches.

 

Il ne faut pas oublier que ce sont des recettes en moins pour financer l’éducation ou la santé. Et, dans une période aussi cruciale que celle que nous vivons actuellement, c’est de l’argent en moins pour lutter contre la pandémie. Pour rappel, en France, l’évasion fiscale c’est entre 80 et 100 milliards d’euros par an qui ne rentrent pas dans les caisses de l’Etat. C’est plus que le budget de l’éducation nationale, qui est l’un des postes de dépenses les plus importants de notre pays.

 

 

Quelles ont été les conséquences de cette affaire au niveau européen ?

 

Deux processus politiques intéressants ont été relancés après la publication de cette enquête. Le premier porte sur la transparence fiscale qui consiste à demander aux grandes entreprises de divulguer les pays dans lesquels elles font des bénéfices et où elles payent des impôts. Cela permettrait de vérifier si les montants payés correspondent à leur activité économique réelle. Cette question a été relancée par la Commission européenne qui a proposé une directive, soutenue par le Parlement européen en 2017. Mais elle a été bloquée par plusieurs paradis fiscaux européens.

 

Hasard du calendrier, les négociations viennent d’être relancées il y a moins d’un mois sur ce sujet, et c’est une très bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que, pour relancer les négociations, le Conseil européen a finalement abaissé l’ambition de ce texte, et c’est une transparence partielle qui est envisagée. Les paradis fiscaux ont torpillé le contenu de cette mesure et les pays qui sont censés la soutenir, notamment la France, l’ont fait du bout des lèvres, sans s’engager véritablement politiquement.

 

 

QuiD du second processus ?

 

L’autre conséquence directe de ces révélations, c’est la mise en place d’une liste noire européenne de paradis fiscaux. C’est une bonne chose, parce que les paradis fiscaux sont le premier maillon de la chaîne de l’évasion fiscale. Mais on note plusieurs problèmes. Cette liste ne compte pas les performances des paradis fiscaux européens et les critères retenus pour inscrire tel ou tel pays dans cette liste noire sont extrêmement restrictifs, ce qui fait que la plupart des gros paradis fiscaux ne sont pas dans cette liste. Selon nous, cinq pays européens devraient l’intégrer et ne le sont toujours pas. Il s’agit de l’Irlande, des Pays-Bas, du Luxembourg, de Malte et de Chypre.

 

 

Quels freins subsistent, selon vous ?

 

L’enjeu, c’est de passer du discours aux actes. Une réforme, pilotée à l’OCDE, lancée fin 2017, est toujours en négociation entre 137 pays. Quand elle a été annoncée, elle était très ambitieuse et proposait de mettre en place un taux d’impôt minimum effectif mondial. Les règles internationales actuelles favorisent la concurrence fiscale déloyale. Un paradis fiscal va dire : « Moi je ne taxe pas les entreprises », et des pays comme la France, qui ne sont pas des paradis fiscaux, se disent : « Il faut qu’on reste compétitifs, donc on va baisser nos impôts pour les entreprises ».

 

Tant qu’on ne s’attaque pas à cette logique, tant qu’on laisse les multinationales choisir le pays où elles souhaitent enregistrer leurs bénéfices et donc privilégier les paradis fiscaux, on peut faire autant de listes noires que l’on veut, ça ne suffira pas.

 

 

Y a-t-il pour autant des signaux positifs ?

 

Joe Biden a fait une annonce importante mercredi dernier en proposant un nouveau taux d’impôt minimum aux Etats-Unis à 21 %, ce qui est largement au-dessus de ce qui se pratique actuellement. Par ailleurs, il souhaite augmenter l’impôt sur les sociétés de 21 à 28 % alors que la France, elle, fait le choix elle de l’abaisser. C’est un signal envoyé à la communauté internationale : quand il y a une volonté politique, les changements sont possibles. Si on modifie ces règles internationales, les paradis fiscaux n’auront plus de raison d’exister.


 

 

 

 

 

Publié le 06/04/2021

 

 

Les Restaurants du Coeur témoignent et alertent...

 

 

 

Faire face à la détresse

de la jeunesse

 

 

 

Près d’une personne sur deux qui vient aux Restos a moins de 26 ans. Près de 40% des étudiantes et étudiants qui poussent la porte des Restos sont isolés. 53% vivent dans des familles qui rencontrent des situations difficiles. 85% des centres des Restos accueillent des étudiantes et des étudiants.

 

Notre jeunesse est fragilisée !

 

Depuis le début de la crise sanitaire et sociale, nous n’avons eu de cesse de nous adapter pour mieux accompagner les jeunes, avec notamment l’ouverture de centres sur de nouveaux créneaux horaires et jours adaptés pour leur permettre de s’y rendre en parallèle de leurs cours ou encore avec l’ouverture de lieux de distribution supplémentaires pour permettre d’accueillir plus de monde.


La mise en place d’un partenariat national avec la Fédération des Associations Générales Etudiantes (FAGE) est aussi venu consolider l’aide apportée aux jeunes les plus démunis.

 

Des distributions dans des cités universitaires, des facs, des IUT ou en partenariat avec les CROUS ont également été mises en place, notamment à Paris, La Rochelle, Toulouse, Cherbourg, Valenciennes, Lyon, La Roche-sur-Yon et plus récemment à Montpellier.

 

Les initiatives locales se multiplient, propres aux Restos mais aussi en collaboration avec d’autres associations et institutions. Toutes n’ont qu’un but : donner ce coup de pouce vital pour celles et ceux qui poursuivent des études, mais aussi plus généralement pour se préoccuper d’une jeunesse précaire fragilisée et durement touchée.


A côté de l’aide alimentaire indispensable, un lien social se recrée parfois et de nombreux étudiants et étudiantes qui bénéficient de l’aide des Restos sont à leur tour également bénévoles dans les centres d’activités et de distribution.


Nous alertons depuis des mois et nous faisons tous face à l’urgence pour répondre à la détresse des étudiants et aussi des jeunes travailleurs précaires, migrants, mineurs isolés… qui vivent dans des situations de précarité inacceptables.


 

 

 

 

 

Publié le 12/03/2021

 

 

Sanofi coupable, le gouvernement responsable !

 

 

Par les correspondants NPA 34 sur npaherault.blogspot.com

 

 

Le jeudi 4 mars, à Montpellier comme dans tous les autres sites Sanofi, était une nouvelle journée de mobilisation, avec un appel commun SUD-CGT contre les suppressions de postes (1700 au total) et les menaces de démantèlement de secteurs d’activités. Une colère et une détermination légitime, car les actionnaires vont toucher 4 milliards d’euros… en dormant.

 

Le groupe pharmaceutique soigne d’abord ses actionnaires avant de soigner la population. Il produit des profits et non plus des médicaments ; il distribue des dividendes et non des vaccins.

 

Les délégués des deux syndicats sont passés dans les bâtiments pour discuter avec les hésitants, organisant un défilé à travers les labos et les bureaux, entraînant une partie du personnel. Pas suffisamment pour faire reculer la direction, mais le combat est loin d’être perdu, bien au contraire. Car l’affaire Sanofi est devenue un scandale national. L’attitude de la direction et du gouvernement est criminelle dans le vrai sens du terme. Car comme le soulignent des chercheurs des labos de Sanofi-Montpellier : « Plus ça traîne pour le vaccin, plus le virus mute ».

 

Une lutte qui mobilise aussi l’ensemble de la société, pour exiger la réquisition de Sanofi pour fabriquer - enfin - des vaccins.

 

Agnès Panier-Runacher, la secrétaire d’Etat en charge du dossier, en lien avec Bercy, se démène pour travestir la réalité et dédouaner la direction de Sanofi. Une vraie Dir Com (directrice de la communication) de Sanofi, une posture ridicule et scandaleuse qui frise le conflit d’intérêt. Mais elle aura du mal à réconforter Olivier Bogillot, le patron de Sanofi France, qui se plaint à travers les médias du ‘'Sanofi bashing". Alors, les Sanofi de tous les sites continueront à se battre.

 

 

 

 

Publié le 12/03/2021

 

 

PSA : ce que cachent les 2,2 milliards de bénéfices

 

 

Par Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

 

 

Malgré le Covid, PSA a dégagé un bénéfice net de 2,2 milliards d’euros. Selon Jean-Pierre Mercier, délégué CGT, cela s’explique par la stratégie de dumping social interne. Le versement de 3 000 euros d’intéressement n’est qu’une faible contrepartie.

Entretien avec Jean-Pierre Mercier, délégué central CGT chez PSA.

 

 

Insolente, malgré le Covid. Telle est la santé financière qu’affiche PSA pour 2020. Malgré un chiffre d’affaires en recul de 18,7 % par rapport à 2019, le groupe français, qui communiquait ses derniers chiffres avant sa fusion effective avec Fiat Chrysler dans Stellantis, affiche une rentabilité de + 7,1 %, et surtout un bénéfice net de 2,2 milliards d’euros. Avant d’annoncer la distribution de 2,5 milliards d’euros aux actionnaires du nouveau mastodonte de l’automobile, le PDG Carlos Tavares s’est enorgueilli du versement de 3 000 euros d’intéressement aux salariés de France. Il n’a pas parlé de la pauvre augmentation de salaire collective de 1,2 %.

 

 

Comment expliquez-vous ces résultats financiers impressionnants ?

 

Jean-Pierre Mercier : Ils sont le résultat d’une politique d’économies tous azimuts mise en place depuis des années, à base de coupes dans les emplois, de blocages des salaires et d’explosion des contrats précaires. PSA va toujours vers le moins-disant social. À Kénitra, au Maroc, les ouvriers sont payés 240 euros par mois pour produire les 208, vendues en France aux alentours de 20 000 euros. On comprend comment le groupe dégage ces 2 milliards d’euros.

 

 

3 000 euros d’intéressement sont-ils la juste rétribution des efforts des salariés ?

 

Jean-Pierre Mercier : Notons d’abord que l’écrasante majorité des salariés ne touchera pas ces 3 000 euros, puisque leur versement est conditionné au fait d’avoir travaillé à temps plein toute l’année. On ne crache pas sur cette prime, mais elle constitue un écran de fumée qui tente de cacher la honteuse augmentation salariale collective de 1,2 % pour 2021. Cela fera 12 euros mensuels pour ceux qui touchent 1 500 euros par mois ! La politique de rémunération de PSA remplace le salaire par l’intéressement. Mais ce n’est pas cette prime qui remplit les chariots de course chaque mois. Ce n’est pas elle non plus qui entre en compte dans le calcul des retraites. Avec nos salaires planchers, nous allons avoir des pensions de misère.

 

 

Quel bilan social tirez-vous de l’année 2020 ?

 

Jean-Pierre Mercier : Tous les contrats précaires ont été mis à la porte avec le Covid. Les diminutions de postes se sont poursuivies à coups de mises en retraite de moins en moins volontaires. Les sous-effectifs sont si patents que les cadres viennent renforcer la production. Et le mariage avec Fiat sonne comme une intensification de la mise en concurrence des sites et des travailleurs les uns contre les autres. En Italie, Carlos Tavares vient d’accuser les ouvriers d’une usine Fiat d’être moins rentables que leurs collègues français. Mais il nous explique aussi que nous sommes moins performants que nos homologues de Hongrie, qui le sont eux-mêmes moins que les ouvriers marocains. La création de Stellantis lui permet de décupler cette stratégie de dumping social débutée avec la fusion avec Opel. Il va même plus loin. En faisant venir des ouvriers polonais l’été dernier à PSA Hordain, Carlos Tavares instille dans les têtes des salariés qu’ils sont des travailleurs nomades. En plus de flexibiliser les salaires, il flexibilise les emplois.

 

 

Quel avenir voyez-vous pour les usines françaises du groupe ?

 

Jean-Pierre Mercier : L’intéressement sert aussi à cacher la fermeture programmée de l’usine de Douvrin, avec ses 1 500 salariés. La semaine dernière, PSA a fait le choix de confier le futur moteur essence hybride de troisième génération au site Opel de Szentgotthard. Les coûts de production sont forcément plus favorables en Hongrie depuis que le président Orban a fait adopter cette loi qui permet aux employeurs de ne payer les heures supplémentaires que trois ans plus tard.

 

 

De quelles marges de manœuvre disposent les salariés et leurs syndicats ?

 

Jean-Pierre Mercier : La mise en concurrence des salariés entre eux est un piège mortel qui ne doit pas nous faire basculer dans le nationalisme. Les travailleurs ont des intérêts communs à défendre, par-delà les frontières, des valeurs de solidarité internationale. Nous prenons donc contact avec nos collègues dans les autres pays. Nous l’avons fait avec ceux de Kénitra, récemment en grève, malgré l’interdiction des syndicats au Maroc. On fait circuler les informations. Qu’il soit en Angleterre, où Tavares menace de fermer une usine Vauxhall avec l’alibi du Brexit, en France ou ailleurs, un salarié de PSA n’est jamais assuré de l’avenir de son usine, même si elle affiche les plus hauts rendements.


 

 

 

 

 

Publié le 26/02/2021

 

 

L’impasse de la libéralisation du marché de l’électricité et du projet Hercule

 

 

Résumé vu sur www.atterres.org le lundi 22 février 2021

 

 

Les gouvernements français ont mené depuis 20 ans une politique d’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie, obéissant aux injonctions de la Commission européenne. Le démantèlement d‘EDF et la privatisation d’une partie de ses activités, prévus dans le cadre du projet Hercule, constitueraient le point d’orgue de cette politique néolibérale dans le secteur de l’électricité, si ce projet est adopté par le Parlement.

 

Or, l’électricité est un secteur appelé à jouer un rôle stratégique pour la transition énergétique, qui ne peut être gouverné par les lois du marché et de la rentabilité financière.

 

Cette note montre que le bilan de deux décennies de libéralisation du marché de l’électricité est négatif, en France comme à l’étranger, car cette politique a conduit à un alourdissement de la facture des usagers et à un déficit d’investissement, au moment où des investissements massifs sont requis pour décarboner notre économie.

 

Les auteurs de la note plaident pour la reconstruction d’un service public de l’énergie, piloté par l’Etat et des collectivités locales, sous contrôle des citoyens et des citoyennes. Les choix sur les systèmes énergétiques du futur et leur régulation, ne doivent plus être le résultat de négociations obscures entre Paris et Bruxelles. Ils doivent faire l’objet d’un débat démocratique.

 

 

Pour lire l'intégralité de la note rédigée par Anne Debrégeas (ingénieure de recherche à EDF) et Dominique Plihon (membre des Economistes atterrés), le PDF est en ligne


 

 

 

 

 

Publié le 20/02/2021

 

 

Qui doit payer la dette Covid ?

 

 

Les riches et les multinationales sont les profiteurs de la crise : à eux de payer la dette Covid ! Dans une note récente, Attac livre une approche nouvelle de la dette et propose l’instauration d’une Contribution au remboursement de la dette Covid (CRDC) pour une justice fiscale et sociale.

 

 

Le gouvernement a nommé une commission sur « l’avenir des finances publiques », présidée par Jean Arthuis, ancien ministre des finances de Jacques Chirac. Son mandat est de faire des propositions sur la façon de rembourser la dette Covid, sans augmenter les impôts, grâce à « une gestion plus rigoureuse des dépenses publiques » et des « réformes structurelles ». Pour Attac, le mandat donné à cette commission indique clairement une volonté d’en rester aux politiques néolibérales, fondées sur l’austérité budgétaire, dont les effets dévastateurs sur le système de santé et sur les inégalités sont apparus clairement à l’occasion de la crise sanitaire et sociale causée par la pandémie.

 

Pour Attac, il existe des politiques alternatives face à la dette Covid, utilisant de manière complémentaire les leviers monétaire et fiscal pour développer les politiques publiques nécessaires à notre avenir.

 

La baisse des taux d’intérêt orchestrée par la Banque centrale européenne (BCE) a permis de rendre soutenable à court terme la dette publique. Mais pour Attac, l’objectif doit être de réduire l’emprise des marchés financiers sur les politiques publiques, et en second lieu de proposer de mobiliser la politique fiscale en instaurant une « contribution pour le remboursement de la dette Covid » (CRDC). Cette dette est estimée à 234,8 milliards d’euros sur l’année 2020.

 

Dans cette note, Attac livre une approche nouvelle de la dette et propose l’instauration d’une Contribution au remboursement de la dette Covid (CRDC) pour une justice fiscale et sociale.

 

Pour Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac  : « La dette-Covid ne doit pas être instrumentalisée pour renouer avec les politiques néolibérales et l’austérité budgétaire dont la crise sanitaire a démontré les effets tragiques sur les inégalités, sur l’hôpital public et notre système de santé. Il existe des politiques alternatives face à la dette-Covid, utilisant les leviers monétaire et fiscal, pour développer les politiques publiques nécessaires à notre avenir ».

 

Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, s’indigne : « Tandis qu’un million de français sous tombés sous le seuil de pauvreté depuis le début de la crise du Covid, les milliardaires français ont déjà retrouvé leur niveau de fortune d’avant la crise. Il serait inacceptable que ce soient aux "Premiers de corvée" de rembourser la dette Covid, alors que celle-ci a été creusée par des aides massives accordées aux grandes entreprises multinationales sans contrepartie sociale, fiscale et écologique. Cela a favorisé une explosion des inégalités en faveur des actionnaires. C’est aux profiteurs de la crise de payer la dette Covid ! ».

 

Selon Dominique Plihon, co-rédacteur de la note : «  Actuellement le coût de la dette publique diminue, même si la dette augmente, car l’État s’endette à des taux d’intérêt négatifs à la suite de la politique monétaire menée par la banque centrale. Pour Attac, l’objectif est de réduire l’emprise des marchés financiers sur les politiques publiques »

 

Reprendre le contrôle de la dette publique passe par (i) un audit citoyen sur la dette, (ii) une restructuration et une annulation partielle de la dette détenue par la BCE en fonction d’objectifs écologiques, (iii) le financement monétaire des dépenses publiques prioritaires, et (iv) la réduction de la dette détenue par les créanciers étrangers.

 

Pour Vincent Drezet, co-rédacteur de la note : « Il est également urgent de mobiliser la politique fiscale face à la crise. Nous proposons que soit instaurée une « contribution pour le remboursement de la dette-Covid » (CRDC), qui répond à l’objectif prioritaire de justice fiscale, et sera payée par les grandes entreprises et les ménages les plus riches. »

 

Contrairement à l’injuste CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale) que le gouvernement souhaite prolonger, la CRDC aurait une double caractéristique : (i) elle sera acquittée par les ménages et les entreprises ; (ii) elle exemptera les pauvres, les classes moyennes et les PME qui ont payé un lourd tribut aux politiques de rigueur budgétaire et salariale depuis la crise de 2007-2008.

 

Au-delà de la CRDC, dont l’objet est spécifique (payer la dette Covid), une réforme globale de notre système fiscal s’impose pour restaurer la justice fiscale et financer les politiques publiques dont la crise sanitaire a montré le rôle stratégique.

 

 

Pour accéder à la note : https://france.attac.org/IMG/pdf/note-dette-covid-v3-pajapaj.pdf


 

 

Publié le 16/02/2021

 

 

Comment qualifier la politique économique d’Emmanuel Macron ?

 

 

Par Pierre Jacquemain sur www.regards.fr

 

 

Avec le plan de relance et les milliers d’euros injectés dans l’économie française à coup de « quoi qu’il en coûte », Emmanuel Macron aurait-il changé de doctrine économique ?

 

 

« Les électeurs de gauche ont encore plus de raisons de se retrouver aujourd’hui dans l’action d’Emmanuel Macron qu’en 2017 », a plaidé Gabriel Attal dans Le Monde. Ainsi donc le porte-parole du gouvernement s’efforce de vanter la politique sociale, juste et redistributrice du gouvernement, en prenant le soin, toujours, d’insister sur la question sanitaire : « Le Ségur de la santé, représente un investissement historique de 15 milliards d’euros, avec une revalorisation de 200 euros par mois pour tous les soignants ». À ces arguments, il ajoute les milliards d’euros investis dans notre économie, « pour sauver les entreprises et les emplois ». Pour le ministre, on est loin des politiques de rigueur budgétaire, des verrous de Berçy et de la sacro-sainte règle d’or des 3% fixée par les traités européens. La majorité présidentielle le martèle. Les médias aussi. Jamais un pays n’a autant fait pour sauver son économie – même si l’Allemagne et le Royaume-Uni ont fait beaucoup plus pour aider les ménages et les entreprises, selon Alternative économiques.

 

 

Force est de constater que le gouvernement a retrouvé les marges de manœuvre qui lui manquaient il y a de ça quelques mois encore : « Il n’y a pas d’argent magique », avait répondu Emmanuel Macron à une infirmière en avril 2018, alors que les soignants tiraient la sonnette d’alarme sur la situation des hôpitaux. Aujourd’hui, on dépense sans compter à coup de « quoi qu’il en coûte » et on se demande à quelle doctrine économique cette formule se réfère. Emmanuel Macron se serait-il découvert des sensibilités keynésiennes au cours de la crise sanitaire ? Peut-on parler d’une politique de la relance ? Pour comprendre, il faut d’abord s’intéresser à la manière dont se réparti l’argent public. Depuis le début du quinquennat, Emmanuel Macron a mené une politique en faveur des entreprises et des actifs privés. Selon l’économiste Gilles Raveaud, « la politique d’Emmanuel Macron est une politique pro-business, c’est-à-dire une politique de l’offre et la crise sanitaire n’y a rien changé. Il poursuit même intensément dans cette voix ».

 

 

Peut-on pour autant qualifier la politique d’Emmanuel Macron et de son gouvernement de libérale, comme l’en accuse la gauche ? Pour l’économiste, c’est un piège : « À gauche, il faut arrêter d’utiliser ce mot : libéral. La droite et avec elle Macron ne sont pas dans le camp de la liberté. La liberté appartient à la gauche. La liberté, c’est nos services publics. Macron et ses amis de droite veulent tout privatiser. En privatisant notre santé et nos services publics, ils nous privent de nos libertés ». Alors quand il s’agit de qualifier la politique économique du gouvernement, Gilles Raveaud le reconnait volontiers : « Nous avons un problème de vocabulaire. Macron fait de notre État, un État prédateur. En ce sens il mène une politique néolibérale qui utilise la puissance de l’État au service d’intérêts privés. Et c’est d’ailleurs de cette manière que le plan de relance, qui aurait pu être une opportunité pour augmenter les minimas sociaux et créer un RSA jeune, va être utilisé : pour les intérêts de quelques-uns. »

 

 

Etat prédateur

 

 

Même constat du côté de l’eurodéputée et économiste Aurore Lalucq qui évoque très spontanément un « État prédateur » sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle argumente : « Ceux qui nous gouvernent nous ont fait croire qu’ils étaient des libéraux alors qu’en réalité on n’a pas eu de réductions de l’intervention de l’État. On a même un État qui s’est endetté. Ça veut dire qu’on utilisait des éléments de langage de type libéral – il faut être plus compétitif ou encore il faut moins d’État, etc. – et en même temps ceux qui utilisaient ces éléments de langage demandaient des interventions de l’État pour soutenir les entreprises. C’est ce que l’on fait aujourd’hui. Nous avons un État qui, en plus, vient aider massivement les entreprises, sans contraintes - là où on en met aux plus fragiles, comme les chômeurs. Nous ne sommes pas dans une perspective libérale mais nous avons un État qui se met au service des plus puissants ».

 

 

Pourtant, la France a comme la plupart des pays du monde, fait le choix de confiner ses populations en mettant à l’arrêt l’appareil productif et l’activité économique. Emmanuel Macron a même assuré vouloir faire passer les enjeux sanitaires avant les questions économiques. D’où le « quoi qu’il en coûte ». La gauche aurait-elle dit mieux ? Fait mieux ? Différemment ? Pour l’économiste Eloi Laurent, le débat est mal posé. « Le critère n’est pas le coût. Quand on fait une politique, la question c’est : quelle boussole on prend ? Mon analyse de la situation de la réponse française, c’est que contrairement à ce que raconte le gouvernement, on a systématiquement privilégié l’économie. Ce qu’il y a de compliqué à comprendre c’est que parce qu’on a fait ce choix [du quoi qu’il en coûte] on a, à la fois le désastre sanitaire et le désastre économique ». Il se justifie : « Lors de la deuxième vague, les infections repartaient très fortement dès la fin août et les premières mesures ne sont prises qu’à la mi-octobre et se durcissent fin octobre. Pourquoi ? Pour donner priorité à la reprise de l’économie. Il y a une catastrophe économique parce qu’on a laissé les choses se dégrader plutôt que de prendre des mesures graduelles et de mener une politique sanitaire fine. Ça nous a conduit aux politiques drastiques de confinement qui ont tué l’économie. »

 

 

et à la fin, c’est le capitalisme qui gagne

 

 

Pour Eloi Laurent, c’est le double déshonneur avec une double catastrophe sanitaire et économique. Et le « quoi qu’il en coûte » réduit à une formule de communication. Parce qu’en réalité, le président Macron n’avait pas le choix. C’est, du moins, ce que pense l’économiste Robert Boyer : « Le virus a déstabilisé toute la politique économique et il mène par le bout du nez toutes les politiques ». Boyer, qui vient de publier Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie aux Éditions de La Découverte, considère que « l’État apparaît comme assureur du risque systémique ». Pour lui, « on ne vit pas le retour du keynésianisme. L’État n’est qu’un assureur. Une fois qu’on aura réglé la pandémie, on va revenir aux stratégies antérieures. On ne vit pas le regain du système de planification à la française : nous sommes dans une parenthèse avant de continuer les réformes structurelles annoncées ». Et le gouvernement nous y prépare déjà : « Le "quoi qu’il en coûte" doit cesser en 2021 », a déclaré le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, en janvier dernier. La ministre du Travail Elisabeth Borne veut remettre à l’ordre du jour la réforme de l’assurance chômage. Bruno Le Maire quant à lui assure que les Français devront travailler plus et plus longtemps – la réforme des retraites en perspective. Sans parler de la dette du Covid que les Français devront naturellement payer. Nous voilà revenu à la case départ et il n’y a plus qu’à attendre que le ruissellement ruisselle…

 

 

Finalement, la question est moins de savoir quelle politique économique le président de la République conduit-il mais pour qui conduit-il cette politique économique ? Et selon un rapport Oxfam de janvier dernier, la réponse est sans appel : « Les plus pauvres sont aujourd’hui les grands perdants du quinquennat d’Emmanuel Macron. Alors que le plan de relance devrait être l’occasion de construire un monde plus juste et plus durable, il n’en est rien. En France, moins de 1% du plan de relance est dédié à la lutte contre la pauvreté, tandis que des milliards d’euros ont été versés aux entreprises sans aucune contrepartie contraignante ». Dans le même temps, un million de personnes parmi lesquels les femmes, les jeunes et les travailleurs précaires, seraient tombées dans la pauvreté en France en 2020 selon les associations caritatives. Celui qu’on surnommait le président des riches, dès 2017, n’a donc jamais aussi bien porté son nom qu’en cette fin de quinquennat. Et Robert Boyer en est certain : c’est bien le capitalisme qui va sortir renforcé de la crise sanitaire.


 

 

 

 

 

Publié le 10/02/2021

 

Luxleaks, ou la preuve que l’évasion fiscale est une pratique systématique chez les plus riches

 

Par Pierric Marissal sur www.humanite.fr

 

 

37 des 50 plus riches familles françaises et 279 milliardaires du classement du magazine Forbes ont au moins une société offshore dans le Grand-Duché. C’est ce que révèle la vaste enquête OpenLux, dirigée par un consortium des journalistes d’investigation. Décryptage.

 

 

Paradoxalement, ce sont les efforts de transparence effectués par le Luxembourg pour se conformer à une directive de l’Union européenne (UE) passée en 2018 qui permettent de démontrer que ce petit État fondateur de l’UE mérite bien sa place dans le top 5 des pires paradis fiscaux. « Et ce, même s’il n’est toujours pas reconnu comme tel par la Commission européenne ni pas la France, se désole Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac. Cette hypocrisie est terrible, le Luxembourg n’est pas une île exotique, c’est un paradis fiscal de proximité, particulièrement nocif pour ses voisins, c’est-à-dire nous. »

 

Les chiffres publiés notamment par le Monde – et ce n’est que le début – sont éloquents. Il y a plus de 140 000 entités immatriculées dans le Grand-Duché – soit une pour quatre habitants –, et près de la moitié sont des sociétés offshore, dont la valeur cumulée attendrait 6 500 milliards d’euros… Ces structures sont propriétés de non-résidents et n’exercent aucune activité économique, elles ont pour unique but l’évasion fiscale par des moyens légaux.

 

 

La moitié des bénéficiaires des structures reste à identifier

 

Après un an à compulser les immenses bases de données progressivement rendues publiques, le consortium des journalistes d’investigation OCCRP, rassemblant 16 médias, n’a pas réussi à identifier la moitié des bénéficiaires de ces sociétés. Et nombre de ceux inscrits au registre du commerce ne sont que des prête-noms. C’est dire que le Luxembourg ne se presse pas plus que nécessaire sur son exigence de transparence… D’ailleurs, pour faire respecter cette obligation légale – déclarer les bénéficiaires et contrôler ces déclarations –, il n’y a que 59 salariés au registre du commerce, pour des dizaines de milliers de sociétés dont la moitié n’ont même pas un salarié et se contentent d’une simple boîte aux lettres. Ainsi un seul immeuble luxembourgeois se retrouve siège social de pas moins de 1 800 entreprises. Dans sa défense, le Grand-Duché se targue de près d’un millier d’employés au sein de la Commission de surveillance du secteur financier, mais ceux-ci sont en charge de la bonne marche de la place financière du pays, qui représente un quart de son économie.

 

Le profil des bénéficiaires identifiés de ces sociétés offshore reste assez divers : des grands sportifs comme Tiger Woods ou précédemment Cristiano Ronaldo, la chanteuse Shakira, le prince héritier d’Arabie saoudite, les mafias italiennes et russes, la Ligue du Nord (parti d’extrême droite italien), ainsi que des centaines de multinationales : JCDecaux, Decathlon, Hermès, LVMH, Kering, Yves Rocher, KFC, Amazon… « Cela confirme que l’évasion fiscale est un sport de riches, pointe Raphaël Pradeau, 37 des 50 plus grandes fortunes de France y ont un compte offshore, preuve que l’évasion fiscale est systématique. Et on ne parle là que du Luxembourg ! » Pas moins de 279 milliardaires présents dans le classement Forbes et 15 000 Français ont ainsi été identifiés comme bénéficiaires d’une société offshore dans le Grand-Duché. Elles abritent « des biens de grande valeur, ici un château francilien détenu par un prince saoudien, là un vignoble dans le Var appartenant à Angelina Jolie et Brad Pitt, et une liste sans fin de villas sur la Côte d’Azur et de cossus appartements parisiens », énumère le Monde.

 

 

Une harmonisation fiscale par le bas

 

Mais le Luxembourg se défend d’être un paradis fiscal et affirme dans un communiqué paru ce lundi qu’il « respecte pleinement toutes les réglementations européennes et internationales en matière de fiscalité et de transparence, et applique toutes les mesures communautaires et internationales en matière d’échange d’informations pour lutter contre les abus et l’évasion fiscale ». Au vu de la définition européenne des paradis fiscaux, ce n’est malheureusement pas faux. « Cela vient confirmer que la concurrence fiscale au sein de l’UE est organisée au vu et au su de tout le monde, regrette Raphaël Pradeau. L’harmonisation fiscale se fait par le bas, la France baisse chaque année son impôt sur les sociétés. » Attac souligne que ce sont ces propriétaires de sociétés offshore qui ont le plus bénéficié de la politique fiscale de ce gouvernement. « Et l’exécutif prépare déjà les esprits à l’idée qu’il va falloir se serrer la ceinture : réduire la dette, sabrer dans les services publics, taper sur les chômeurs et la protection sociale, sans faire payer leur juste part d’impôt aux plus riches ni aux multinationales », dénonce le porte-parole de l’association.


 

 

 

 

 

ublié le 30/01/2021

 

 

Et si on reparlait de Sanofi...

 

 

Patrick Le Hyaric / Editorial de L’Humanité Dimanche du 21 janvier 2021

 

 

Les froids fondés de pouvoir du monde capitaliste adorent se draper de responsabilité et… d’efficacité. Même quand les faits tendent à prouver l’irresponsabilité d’une logique qui s’oppose en tout point à l’intérêt général et plonge l’humanité dans des impasses mortifères. La pandémie en offre de saisissants exemples. Les regards se braquent, à juste titre, sur la santé, que l’accaparement par la finance ces dernières décennies a rendu imperméable aux exigences sociales, sanitaires et démocratiques. La course au vaccin n’est que l’ultime manifestation de cette irresponsabilité qui se paie aujourd’hui en vies humaines, en souffrances et désastres psycho-sociaux, en crise sociale et économique.

 

La France avait su se doter, grâce au volontarisme de la puissance publique, d’un secteur de la santé puissant, envié et souvent copié à travers le monde. L’un de ses fleurons, Sanofi, s’est construit grâce aux compétences exceptionnelles acquises par des ingénieurs et chercheurs, à une tradition scientifique rigoureusement transmise, au travail des salariés et avec l’aide d’un État planificateur et généreux.

 

Son introduction en bourse au début des années 80 s’est traduite par une activité frénétique de rachats. La grenouille s’est faite bœuf en licenciant à tour de bras tandis qu’elle élargissait son domaine d’activité, tout en satisfaisant les marchés financiers auxquels elle s’est liée pieds et poings. Sur les dix dernières années, Sanofi a ainsi licencié la moitié de ses chercheurs dans le monde et en France, soit deux mille d’entre elles et eux pour notre seul pays.

 

Le 26 juin dernier, à peine la première vague épidémique passée, la nouvelle direction du groupe annonçait la suppression de 1 700 emplois en Europe, dont un millier en France sur les 25 000 restant. Après la fermeture programmée des sites de Strasbourg et d’Alfortville, il ne restera plus que trois laboratoires de recherche sur les onze que comptait l’entreprise il y a dix ans, tandis que, sur la même période, elle recevait un milliard d’argent public sous forme de crédit impôt-recherche. Et Sanofi figure chaque année parmi les champions de versement de dividendes, sans y déroger en pleine pandémie.

 

L’inefficacité industrielle, la goinfrerie actionnariale et le pillage d’argent public se conjuguent avec le péril sanitaire… Seuls les actionnaires trinquent tandis que les salariés tremblent et que les français sont privés d’outils de production dans un secteur décisif.

 

Cette gabegie a pour conséquence catastrophique que, des cinq membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, seule la France n’a pas conçu son propre vaccin. Or, la souveraineté sanitaire comme industrielle est la condition d’un internationalisme conséquent. Car qu’a aujourd’hui la France à proposer aux peuples du monde privés des premières doses de vaccins ? Rien, absolument rien, si ce n’est de suivre aux dernières places la file d’attente au guichet du marché vaccinal.

 

Devant l’urgence sanitaire mondiale et face à l’incapacité de leurs dirigeants, la CGT Sanofi a proposé la réquisition de ses chaines de production pour que l’entreprise sous-traite la fabrication de vaccins conçus ailleurs et leur mise hors marché sous licence libre. C’est une proposition de bon sens qu’ignore superbement le pouvoir.

 

Pendant ce temps, l’Union européenne est le théâtre d’un spectacle désolant où la concurrence bat son plein, chaque pays tentant d’accaparer au détriment de ses voisins les vaccins dont la fabrication peine à suivre la demande, à rebours de ce que l’on est en droit d’attendre d’une « union » de coopération européenne.

 

La propriété capitaliste montre, dans la santé plus qu’ailleurs, sa totale incapacité à répondre aux besoins humains. A l’exigence de vaccins universels mis hors marché doit répondre celle d’une propriété sociale et démocratique, où travailleurs, ingénieurs, chercheurs, médecins et citoyens définissent les termes d’une production planifiée. Les menaces sanitaires qui risquent de s’accumuler exigent que s’ouvre le débat.

 

 

 

 

Publié le 30/01/2021

 

 

Forum Davos : Nouveau rapport d’Oxfam sur les inégalités

 

Communiqué de presse < www.oxfamfrance.org > 25 janvier 2021

 

 

Les milliardaires de la planète ont récupéré les pertes dues à la crise en un temps record alors que des centaines de millions de personnes risquent de basculer dans la pauvreté pendant au moins 10 ans.

 

 

 

Les 1000 personnes les plus riches du monde ont retrouvé leur niveau richesse d’avant la pandémie en seulement 9 mois alors qu’il pourrait falloir plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économiques de la pandémie, selon le nouveau rapport d’Oxfam.

 

Le rapport d’Oxfam « Le virus des inégalités » est publié le jour de l’ouverture du « Davos Agenda », une semaine de dialogues virtuels organisés par le Forum économique mondial. Le rapport montre que la COVID-19 pourrait accroître les inégalités économiques simultanément dans la quasi-totalité des pays du monde, une situation sans précédent depuis plus d’un siècle.

 

Pour les plus riches, la récession est terminée. Le rapport révèle que les dix hommes les plus riches du monde – dont fait partie le français Bernard Arnault – ont vu leur fortune totale augmenter de 540 milliards de dollars depuis mars 2020, une somme qui serait amplement suffisante pour financer le vaccin contre la COVID-19 pour toutes et tous et éviter que quiconque sombre dans la pauvreté à cause de la pandémie. Au même moment, la pandémie a entraîné la crise de l’emploi la plus grave depuis plus de 90 ans, des centaines de millions de personnes étant désormais au chômage ou contraintes d’occuper des emplois précaires.

 

  • La France tourne elle aussi le dos à l’égalité. Les milliardaires français ont bénéficié d’une reprise exceptionnelle puisqu’ils ont gagné près de 175 milliards d’euros entre mars et décembre 2020, dépassant ainsi leur niveau de richesse d’avant la crise. C’est la 3ème plus forte progression, après les Etats-Unis et la Chine. 175 milliards d’euros, c’est l’équivalent de deux fois le budget de l’hôpital public français.

  • Sur l’ensemble de l’année 2020, malgré la crise, la fortune de Bernard Arnault a augmenté de 44 milliards d’euros soit un bond de 41 %. Pendant ce temps, un million de personnes seraient tombées dans la pauvreté en France en 2020, selon les associations caritatives, et en particulier les femmes, les travailleur-se-s précaires, les jeunes et les migrant-e-s.

  • Une fois de plus, les femmes sont les plus durement touchées. Dans le monde, comme en France, les femmes sont surreprésentées dans les professions précaires et peu rémunérées, notamment dans les secteurs de la santé et du social. Oxfam a calculé que si le taux de représentation des femmes était le même que celui des hommes dans ces secteurs, 112 millions de femmes ne risqueraient plus de perdre leurs revenus ou leur emploi. En France, la situation des mères isolées est particulièrement préoccupante.

  • De fortes inégalités raciales. Au Brésil, les personnes afrodescendantes sont 40% plus susceptibles de mourir de la COVID-19 que les personnes blanches. Aux États-Unis, les populations noires et hispaniques auraient déploré près de 22 000 morts de moins si leurs taux de mortalité face à la COVID-19 avaient été les mêmes que ceux des personnes blanches.

 

Pour Quentin Parrinello, porte-parole d’Oxfam France : « Cette crise arrive dans un monde déjà profondément inégal où une minorité de personnes, en majorité de très riches hommes blancs, accaparent l’essentiel des richesses mondiales. Le rapport d’Oxfam montre comment notre modèle économique permet à une élite d’amasser des richesses considérables pendant la récession la plus dramatique que nous ayons connue depuis la Grande Dépression, alors que des milliards de personnes, et notamment celles en première ligne de cette crise – peinent à payer leurs factures et à se nourrir. Nous risquons de faire face à une augmentation sans précédent des inégalités ».

 

En France, Oxfam alerte depuis 2017 sur l’impact des choix politiques du gouvernement actuel sur les inégalités, alors que jusqu’à récemment le modèle social français avait permis de contenir ce fléau. Résultat : les plus pauvres sont les grands perdants du quinquennat d’Emmanuel Macron. C’est ce que rappelle Quentin Parrinello : « La France est loin d’être épargnée. Alors que les inégalités repartaient déjà à la hausse depuis 2018, les milliardaires français ont bénéficié en 2020 d’une reprise économique ‘exceptionnelle’ en gagnant 175 milliards d’euros entre mars et décembre, soit l’équivalent de deux fois le budget de l’hôpital public. Pendant ce temps, les plus démunis et les travailleurs précaires, à commencer par les femmes, payent un très lourd tribut »

 

« Le virus a mis en lumière et amplifié les inégalités existantes. Partout dans le monde, les femmes, les jeunes, les personnes racisées et les migrant-e-s sont les plus touché-es mais sont malheureusement les grand-e-s oublié-e-s des plans de relance. L’explosion des inégalités n’est pas une fatalité et la responsabilité des gouvernements est au cœur du problème. Depuis des années, ils ignorent le problème et pire, ils aggravent ce fléau », explique Quentin Parrinello.

 

Pour Oxfam, la lutte contre les inégalités doit être au cœur des plans de relance et des économies post-Covid. Pour Quentin Parrinello : « Les gouvernements du monde entier ne doivent pas laisser passer cette opportunité de mettre en place un système économique plus juste et durable. Il faut à tout prix ne pas refaire les erreurs du passé, comme après la crise de 2008. Certains pays montrent qu’il existe des solutions, comme l’Argentine qui a adopté un impôt exceptionnel sur les grandes fortunes pour financer les politiques de réponses à la crise ».

 

En France, Oxfam demande à Emmanuel Macron de réorienter de toute urgence sa politique en faveur d’une réduction des inégalités, en prenant les mesures suivantes :

 

  1. Prolonger les dispositifs d’aides exceptionnelles pour les personnes précaires aussi longtemps que durera la crise et relever les minimas sociaux en sortie de crise.

  2. Financer les mesures d’urgence via une contribution exceptionnelle des plus hauts patrimoines précédant une refonte de l’impôt sur la fortune.

  3. Revaloriser dès cette année le salaire minimum dans toutes les branches de métiers, à commencer par les métiers du secteur du soin (social et santé) majoritairement occupés par des femmes et en première ligne de la crise.

  4. Rétablir une fiscalité plus équitable sur les contribuables les plus aisés. Notamment : en rétablissant un impôt sur les grandes fortunes en tenant compte des failles du précédent dispositif et en supprimant le Prélèvement forfaitaire unique (PFU), en luttant efficacement contre l’évasion fiscale.

  5. Des contreparties sociales et écologiques pour les grandes entreprises afin de créer un modèle économique qui partage mieux la richesse tout en tenant compte des limites de la planète.

 

 

 

 

 

 

Publié le 16/01/2021

 

 

« Leur folie, nos vies », le réquisitoire de François Ruffin en faveur de l’égalité

 

Par Marie-Claire Calmus (enseignante et autrice) sur www.humanite.fr


 

Dans son essai publié aux « Liens qui libèrent », le député insoumis de la Somme dresse une cartographie des injustices grâce à de nombreux entretiens, tout en accusant le pouvoir au service de l’argent.

 

Le livre de François Ruffin nous réveille en aiguisant notre regard sur l’état de la société en général, avec l’épidémie certes, mais au-delà d’elle.

 

Cette contrainte sur nos vies, comme l’auteur le dit dans l’épilogue, contraste avec l’absence totale de contrôle exercé sur l’économie : « Sur la vie, sur nos vies, ils sont capables d’instaurer d’immenses contraintes. Mais sur l’économie aucune, à aucun moment : elle doit se mouvoir librement, elle. Il faut la “libérer” toujours plus. Quand bien même elle ne servirait plus la vie, quand bien même elle lui nuirait… C’est avant tout une défaite intellectuelle cette histoire, une défaite de la pensée. »

 

Le plus saisissant dans ce livre militant est la variété des témoignages issus d’enquêtes obstinées et scrupuleuses qui ne sont pas sans rappeler celles de la Misère du monde, de Bourdieu. Les interviews révèlent la monstruosité des inégalités et malgré les belles promesses présidentielles, l’absence totale d’amélioration de la condition des plus pauvres – ces travailleurs de la base, souvent précaires, qui nous ont permis de survivre tous ces mois et continuent de le faire vaillamment – matériellement comme psychologiquement. « Quand les différences deviennent un fossé qui s’est creusé, qu’on a creusé, elles créent des dissemblables, elles rendent illusoire une société d’égaux, de citoyens. Elles installent une honte qui nous hante des deux côtés, les yeux qui s’évitent, la culpabilité qui ronge. C’est un refoulé social, et d’autant plus aisément refoulé que ces métiers, pour la plupart, sont invisibles, sont comme à l’arrière-plan de nos vies dont ils forment la trame. Ce Covid-19 c’est le retour du refoulé, c’est un “révélateur”. »

Collusion avec les grosses firmes

S’appuyant toujours sur les déclarations présidentielles aussi pompeuses que creuses, Ruffin éclaire l’autre volet de ce mépris du peuple : l’abandon de ceux que l’industrie met à la rue au profit des actionnaires, délocalisant ses usines les plus performantes.

 

L’auteur rappelle ses combats et ses dénonciations quant à la collusion du pouvoir avec les grosses firmes : « J’ai déjà trop écrit sur les commanditaires de son élection, sur le magot, le “hold-up tranquille”, ces “dix points de valeur ajoutée qui ont glissé de la poche du travail à celle du capital”, sur les “500 fortunes qui représentent 5 % du PIB il y a vingt ans, 30 % désormais'' sur le “triplement de la part des dividendes”, record battu cette année, 60 milliards pour le CAC 40, record mondial à plus de 1 400 milliards, sur cet immense magot qui doit rester caché, secret, que ça ne nous donne pas des idées… »

 

C’est pour réparer relativement tant d’abus que l’auteur réclame une hausse des impôts pour les riches et pour tous les gens de la base, un statut – ce statut qui exaspère ceux qui défendent le libéralisme –, les cheminots ou les enseignants, par exemple.

Engagement politico-social vibrant

Sans doute, cet engagement politico-social vibrant laisse-t-il dans l’ombre les aspects psychosociaux inquiétants de cette domination que nous avons les uns et les autres analysés : raréfaction des échanges, atteintes à la vie relationnelle, culturelle, affective, etc.

 

Les démunis en souffrent tout autant que nous et comme nous sont fort capables de les dénoncer.

Dans un défilé parisien de gilets jaunes à la mi-août 2020, propos et bannières témoignaient de cette critique des mesures liberticides. Mais il reste que l’urgence vitale est bien celle de s’en prendre à l’inégalité. Les combats de François Ruffin et ce livre courageux nous y incitent.


 

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