PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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luttes sociales  d'oct 2021 a juin 2022

publié le 29 juin 2022

Grèves autour des salaires : « un niveau de conflictualité jamais atteint »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Face à l’augmentation des prix de l’énergie, du carburant et de l’alimentaire, les grèves pour des augmentations de salaires se multiplient comme une traînée de poudre dans les entreprises. Depuis la rentrée 2021, ces conflits sociaux vont en s’intensifiant, allant jusqu’à toucher des secteurs entiers, comme dans le transport. Au point de devenir un mot d’ordre inter-professionnel ?

 Au sein de la SNCF, une nouvelle date de mobilisation pour les salaires est posée : ce sera le mercredi 6 juillet, partout en France, annoncent la CGT, Sud Rail et la CFDT. « Confrontés à une inflation croissante et à l’absence d’augmentation générale depuis 2014, les cheminots subissent un recul net et fort de leur pouvoir d’achat », rappellent les organisations syndicales dans leur communiqué commun. Elles demandent des mesures de rattrapage salarial pour absorber l’inflation, un report systématique de la hausse du SMIC sur l’ensemble de la grille, et une augmentation générale des salaires. Une demande de concertation immédiate sur ces questions avait été émise par ces syndicats, aux côtés de l’UNSA. Mais la direction « a refusé de recevoir les OS dans le cadre de cette démarche, en renvoyant les échanges à des réunions bilatérales en cours », selon elles.

Comme à la SNCF, toutes les grèves en cours dans les entreprises autour des salaires mentionnent l’inflation. Celle-ci devrait s’accélérer encore pour atteindre un taux de 6,8% en septembre, selon l’INSEE. L’augmentation des prix du carburant, de l’énergie et des produits de première nécessité devient difficilement soutenable pour des franges entières de travailleurs.

Depuis la rentrée de septembre 2021, des actions se multiplient donc pour dénoncer les salaires qui ne suivent pas. « On a un niveau de conflictualité sur les salaires jamais atteint auparavant » observe Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT. En charge de la question des salaires depuis une dizaine d’années, il assure : « je n’ai jamais vu ça, sur une période aussi longue ».

Ces luttes émergent dans des entreprises avec un fort écho dans leurs secteurs respectifs. Très souvent, la demande d’une augmentation de 300 euros sur le salaire mensuel revient dans les revendications. C’est le cas dans l’aéronautique, avec les deux sites de la commune de Figeac (Lot) : une grève illimitée au sein de Ratier ; et des débrayages réguliers chez Figeac Aéro. Ou encore, dans la commerce : une cinquantaine de grévistes ont débrayé au Chronodrive de Basso Cambo à Toulouse le 25 juin, revendiquant des augmentations salariales pour les travailleurs souvent jeunes et précaires de ce secteur. Un appel national a été lancé aux autres Chronodrive pour une nouvelle journée de grève le 9 juillet.

 Vers des grèves pour les salaires sectorielles ? 

 SNCF, commerces, chimie, métallurgie, aéronautique, agro-alimentaire, territoriaux… Une multitude de secteurs sont donc concernés par ces grèves autour des salaires depuis la fin 2021. Quelques évolutions sont à noter, pour comprendre la séquence actuelle de ce printemps 2022. D’abord, « les revendications ne sont plus forcément catégorielles. Il y a l’idée qu’il faut augmenter les salaires de tout le monde, de l’ouvrier au cadre en passant par le technicien. Et ça, c’est de plus en plus fort depuis septembre », analyse Boris Plazzi, à partir des recensements effectués par la coordination des luttes de la CGT.

Ensuite, les grèves sortent parfois des enceintes des entreprises pour s’ancrer dans des secteurs entiers. « C’est un phénomène un peu nouveau, mais encore assez marginal », temporise Boris Plazzi. « Faire converger des luttes au sein des filières, cela demande du temps », ajoute-t-il. Certains exemples récents témoignent de cette tendance, même timide.

Dans l’énergie, par exemple. D’abord, il y a eu cette grève chez Total le 24 juin, inédite parce qu’elle regroupait tous les syndicats CGT de toutes les filiales françaises de la multinationale. « En 20 ans je n’avais jamais vu ça. Nous voulons envoyer un signal fort dans les filiales et même au-delà : dans la sous-traitance », assurait Benjamin Tange, délégué syndical central CGT à la Raffinerie des Flandres, à Rapports de Force. À partir de ce mardi 28 juin, la Fédération des mines et de l’énergie (FNME) CGT lance une nouvelle journée de grève dans l’ensemble du secteur, à peine un mois après une première mobilisation unitaire.

L’aérien, exemple symptomatique

Dans les transports, également, cette tendance à une lutte sectorielle pour les salaires est claire. Ce lundi 27 juin, les routiers ont fait parler d’eux, dans une grève portée par une intersyndicale (FO, CGT, CFDT, CFTC et CGC). « L’ensemble de la branche transport et logistique est smicardisée, ça ne peut pas continuer comme ça » martelait Patrice Clos, de FO Transport, à nos confrères de France Info.

L’aérien, enfin, est peut-être l’exemple le plus symptomatique. RyanAir, EasyJet, et d’autres compagnies low cost sont parcourues par des grèves autour des salaires (et d’autres problématiques comme le manque de personnel) dans plusieurs pays d’Europe, dont la France. À l’aéroport de Roissy, après une grève le 9 juin, les syndicats annoncent une nouvelle journée de mobilisation le 1er juillet. Toujours autour d’une hausse de 300 euros des salaires, et toujours en intersyndicale. « Chez Roissy, les salariés des entreprises sous-traitantes sont très nombreux à se mettre en grève aux côtés des salariés des donneurs d’ordre. C’est intéressant et nouveau », insiste Boris Plazzi.

 135 branches non-conformes au SMIC

L’aérien, les transports, mais aussi les commerces, sont des secteurs « où les minimas de branche sont sous le SMIC. Donc ce n’est pas par hasard que ces grèves se multiplient », décrypte Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT.

Prenons le cas des routiers : les négociations annuelles obligatoires (NAO) d’octobre 2021 avaient débouché sur une revalorisation des grilles salariales de 6 %. Or, les revalorisations successives du SMIC indexé sur l’inflation – quatre fois entre 2021 et 2022 -, ont, depuis, fait passer les minima en dessous de celui-ci.

À ce jour, la CFDT recense 135 branches non-conformes au SMIC. « C’est particulièrement élevé », commente Luc Mathieu. Parmi les accords de branche étudiés par son syndicat, « seulement une trentaine contiennent des clauses de revoyure ». Ce qui repousse donc, pour tous les autres, d’éventuelles augmentations aux prochaines NAO.

Le gouvernement a présenté les contours d’un projet de loi sur le pouvoir d’achat. Les organisations syndicales ont reçu les documents vendredi dernier, et sont en train de les étudier de près. « Ces mesures vont dans le bon sens. La question c’est : est-ce que le curseur est au bon niveau ? Est-ce que ce sera suffisant ? » juge avec prudence Luc Mathieu. Le gouvernement recense, lui, 120 branches avec des non-conformités au SMIC. Parmi les mesures annoncées, l’article 5 présente « la fusion administrative des branches » comme une réponse à étudier face à ce problème. Le texte sera présenté en Conseil des ministres le 6 juillet.

 Une rentrée sous le signe de la conflictualité

Au vu de la conjoncture socio-économique, « la situation va être de plus en plus conflictuelle dans les entreprises », prédit Luc Mathieu. D’autres secteurs, plus propices à se faire entendre à la rentrée que durant l’été, pourraient se mettre en mouvement en septembre.

De quoi faire monter en puissance les journées interprofessionnelles ? Pas si certain. « Là où ça se mobilise vraiment, c’est dans les entreprises. Très proche des travailleurs, très concret. Je ne pense pas que ces grèves porteront davantage des journées interprofessionnelles un peu fourre-tout », juge Luc Mathieu.

« À la rentrée, on va essayer de planter un grand mouvement de mobilisation, en intersyndicale, pour faire converger les luttes actuelles et celles à venir autour des salaires » défend de son côté Boris Plazzi. Le tout en continuant de structurer les grèves à la base, au sein même des entreprises. Car lui aussi estime qu’il faut « partir des préoccupations quotidiennes des salariés, si on veut construire un mouvement profond et ancré dans le pays ».

publié le 28 juin 2022

Mouvements sociaux :
une journée pour la défense du service public

par Lucas Sarafian sur www.politis.fr

Les secteurs de la santé, de l'énergie, de l'audiovisuel ou des transports se mobilisent pour demander des augmentations de salaire et défendre leur secteur.

Cette année, la rentrée sociale a lieu plus tôt que prévu. Les différentes mobilisations n'ont pas attendu septembre pour se réveiller. Et ce jour est plus que symbolique : avec sa première séance publique, l'Assemblée nationale inaugure la XVIe législature de la Ve République. Après la grève des routiers hier, les salariés de l'audiovisuel public, qui regroupe France Télévisions, Radio France, le groupe France Médias Monde, Arte ou l'Ina, sont en grève et manifesteront à Paris ce mardi 28 juin.

En cause : la suppression de la redevance audiovisuelle prévue dans le texte de loi sur le pouvoir d'achat qui devrait être présenté en conseil des ministres le 6 juillet au profit d'un budget courant sur plusieurs années. En plus de cette menace pour le financement et l'indépendance du secteur, les syndicats craignent une fusion de plusieurs entreprises de l'audiovisuel public depuis qu'un rapport sénatorial des Républicains publié le 8 juin a émis cette hypothèse entre France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Ina.

Dans le secteur de la santé aussi, on se mobilise. Les soignants du CHU de Bordeaux, l'un des plus importants de France, sont appelés à une grève illimitée. « Point d'indice gelé », « primes aléatoires », « manque de recrutement », « fermeture des services », « externalisation galopante », « rappel illégal sur repos et congés »... Les syndicats dénoncent des conditions de travail difficiles ; ils réclament des augmentations de salaires et des embauches urgentes dans un secteur qui peine à recruter. Dans cet hôpital, l'accès aux urgences est filtré à partir de 17 heures depuis la fin du mois de mai à cause d’un manque de bras.

Cette mobilisation s'inscrit dans la vague de grèves qui touche le secteur comme celles qui affectent CHU de Toulouse depuis plusieurs semaines, ou le CHU de Grenoble-Alpes, contraint de fonctionner en mode dégradé. Elle s’étend au domaine de la psychiatrie publique qui se met en grève aujourd'hui car, selon les syndicats, elle n'est plus « en capacité d'assumer les missions de services publics qui sont les nôtres ».

En parallèle aux négociations salariales avec l'employeur, c'est une journée de mobilisation pour le secteur de l'énergie. La Fédération nationale Mines-Energie de la CGT appelle à la grève et au blocage des infrastructures gazières pour défendre les salaires et le service public de l'énergie.

Au sein de la SNCF, une grève nationale est annoncé le 6 juillet, jour d'une rencontre entre les syndicats et la direction de l'entreprise, pour la défense des salaires et du pouvoir d'achat. Comme de nombreux salariés mobilisés depuis plusieurs jours, les syndicats pointent « l'absence d'augmentation générale depuis 2014 ». Signe que les mobilisations sociales ne sont pas prêtes de s'éteindre.

publié le 26 juin 2022

Chez Total : grève inédite de l’ensemble des syndicats CGT

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Ce 24 juin, tous les syndicats CGT des entreprises du groupe TotalEnergies appellent à la grève pour exiger des augmentations de salaire. Un appel inédit puisque, dans ce groupe qui compte plus de 200 filiales en France, ces syndicats entrent habituellement en conflit en ordre dispersé.

 Les luttes dans les raffineries ? On connaît. On en a parfois une image claire : celle d’ouvriers tenant un piquet de grève au bas de colossales structures métalliques. On sait aussi que leur détermination et leur capacité à tenir un mouvement dans la durée effraient souvent le patronat et les pouvoirs publics lors des grands conflits sociaux.

Mais au sein du groupe TotalEnergies – communément appelé Total – les raffineries ne sont que la face émergée de l’iceberg. La multinationale emploie 35 000 salariés en France et possède 200 filiales dans le pays. Parmi elles : la SAFT, spécialisée dans la conception de batteries à usage industriel, Hutchinson connue pour ses pneus ou encore Argedis, qui gère les stations services.

Lorsque les désaccords surviennent avec leurs directions, ces diverses filiales entrent habituellement en conflit en ordre dispersé. Mais ce 24 juin, la coordination des syndicats CGT de Total, qui regroupe l’ensemble des syndicats CGT du groupe, filiales comprises, appelle à une journée de grève. La décision a été prise le 9 juin, soit une semaine avant les élections professionnelles. « En 20 ans je n’avais jamais vu ça. Nous voulons envoyer un signal fort dans les filiales et même au-delà : dans la sous-traitance », assure Benjamin Tange, délégué syndical central CGT à la Raffinerie des Flandres. La journée

 Une grève pour l’augmentation des salaires

La cause de la grève, comme bien souvent en cette période, c’est la question des augmentations de salaires. Pour les salariés du groupe Total, les dernières négociations annuelles obligatoires (NAO) remontent à janvier 2022. L’accord entre les syndicats et les dirigeants du groupe s’était alors conclu sur 2,35 % d’augmentation générale des salaires, avec un plancher de 1000 € annuels brut.

Mais l’inflation, elle, ne s’est pas arrêtée en janvier. « 2,35% d’augmentation, ce n’est clairement pas assez. Vu l’inflation actuelle, il faudrait que nos salaires augmentent de 5,2% sur un an rien que pour ne pas perdre de pouvoir d’achat », explique Benjamin Tange de la CGT, se fiant à la dernière estimation de l’inflation calculée par l’INSEE.

Les syndicat de la coordination CGT Total exigent donc que les salaires soient réhaussés à minima de 5,2%. Ils rappellent également deux exigences. Celle de leur confédération : un SMIC à 2000€ brut. Et celle du syndicat des avitailleurs – travailleurs ravitaillant les avions en kérozène – déjà en grève à l’aéroport de Roissy et affiliés à Total, qui exigent 300€ d’augmentation de salaire.

 S’appuyer sur les luttes dans les filiales

 C’est dans ce contexte que l’appel à la grève dans les filiales françaises de la multinationale prend tout son sens. En effet, ces entreprises concentrent les salariés les plus mal payés. A la SAFT, les ouvriers, qui travaillent en 2×8, « touchent en moyenne 1500 euros net ». Chez Argedis : « 80% des salariés touchent 1350€ net en travaillant dimanche et jours fériés », rappelle le communiqué de presse de la coordination des syndicats CGT du groupe Total.

Le mouvement du 24 juin peut aussi s’appuyer sur des luttes déjà existantes dans ces filiales. Chez Hutchinson, dans les usines où la CGT est majoritaire, comme à Segré (Maine-et-Loire), des « Vendredis de la colère » sont organisés pour exiger des augmentations de salaire. Des débrayages de 30 minutes à 2 heures chaque vendredi ont lieu sur site depuis novembre 2021.

Quel sera le résultat de cette première initiative collective des syndicats CGT de Total ?  Difficile à dire pour l’instant : « Le 24 sera une première date. Ce jour-là on va se compter et voir quelle suite on donne au mouvement », programme Benjamin Tange. Les élections profe

 Une goûte d’eau au vu des bénéfices

 « Augmenter de 300 € brut tous les salariés de Total en France coûte 200 millions à Total. », chiffre Benjamin Tange. L’équivalent de quelques pièces jaunes dans le portefeuille de la multinationale, car elle cumule 4,1 milliards d’euros de bénéfices net au premier trimestre 2022 et aurait même atteint les 9 milliards de bénéfices si elle n’avait pas souffert de 4,9 milliards d’euros de dépréciation d’actifs , liés à la guerre en Ukraine. Total a également reversé 9 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires en 2021. La CGT n’oublie pas non plus de rappeler que Patrick Pouyanné, PDG de Total, a augmenté de 52% la part variable de son salaire entre 2020 et 2022. TotalEnergies lui a ainsi versé 5,9 millions d’euros cette année, au titre de 2021.

52% d’augmentation…soit pile poil 10 fois plus que ce que les salariés de Total demandent pour que leurs payes puissent suivre l’inflation (5,2%). C’est bien sur ce sujet que la CGT prévoit d’interpeller le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, le 22 juin, lors d’un comité de groupe européen.

publié le 21 juin 2022

À Bruxelles, les syndicats font le plein pour des hausses de salaire

Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr

Les trois grands syndicats du royaume ont défilé lundi dans les rues de Bruxelles, réclamant des mesures d’ampleur face à la flambée des prix. Dans leur viseur, une loi de 1996 qui freine l’évolution des salaires.

Bruxelles (Belgique)– Après une longue pandémie, puis l’irruption de la guerre en Ukraine, les syndicats belges viennent de rappeler au gouvernement fédéral l’urgence de la question sociale. Quelque 80 000 personnes selon les organisateurs (70 000 selon les forces de l’ordre) ont participé lundi 20 juin à une manifestation dans les rues de Bruxelles, dans une ambiance plutôt bon enfant, pour dénoncer le recul du pouvoir d’achat et l’inflation galopante.

« Une manifestation immense en Belgique, c’est 100 000 personnes. On savait qu’à la veille de l’été, ce serait plus compliqué. Réunir 80 000 personnes, c’est fabuleux », assure à Mediapart Thierry Bodson, président de la FGTB, la centrale socialiste. Une grève a aussi perturbé les transports et d’autres services publics dans le pays, tandis que l’aéroport de Bruxelles a été contraint de fermer ses portes pour la journée, en raison de la mobilisation du personnel de sécurité.

Aux alentours de la gare du Nord, d’où le cortège s’est élancé dans la matinée, il était facile de reconnaître les troupes des trois syndicats qui ont fait front ce lundi : le rouge pour les socialistes (FGTB), le vert pour les chrétiennes (CSC, majoritaire dans le royaume) et le bleu pour les libérales (CGSLB). « Il n’y a rien de surprenant à ce que les syndicats mobilisent en cette période, étant donné la poussée des prix. Ce qui est plus rare, c’est que les libéraux se joignent à leurs homologues et réalisent un véritable front commun », observe Caroline Sägesser, du CRISP, l’un des principaux instituts d’études politiques belges. La Banque nationale de Belgique anticipe un taux d’inflation à 8,2 % sur l’année en cours, dont un pic à 9,9 % atteint en mai.

Dans la foule, on entend chanter : « De l’argent il y en a / Dans les poches du patronat. » Des syndicalistes portent des casques arborant de mini-caddies à leur sommet. Des membres du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté réclament, plutôt qu’un pouvoir d’achat en berne, le « pouvoir de vivre ». Une autre pancarte : « Début du mois = fin du mois ! » Des militant·es du PTB, le parti du travail de Belgique, formation marxiste dans l’opposition, tractent à tout-va des affiches de leur leader, Raoul Hedebouw, une pompe à essence retournée sur sa tempe, barrées du slogan : « Bloquez les prix, pas les salaires. »

Sur le podium, Marie-Hélène Ska, secrétaire générale du syndicat chrétien, reprend ce qu’elle a déclaré quelques heures plus plus tôt dans un entretien à la Libre Belgique: « L’augmentation des salaires est complètement verrouillée, mais les dividendes et rétributions versés aux grands patrons, eux, ont crû de plus de 14 %. » Le libéral Olivier Valentin exprime la même indignation: « Pour les dividendes, c’est open bar ! »

Quelques pancartes évoquent la guerre en cours en Ukraine, certaines rêvant d’un retour rapide à la paix, d’autres relayant un message plus radical : « Leurs sanctions contre Poutine ? C’est racketter le peuple pour plus de profits ! » Parmi les collectifs les plus visibles du cortège figure celui des aides ménagères. Elles se sont fait connaître, depuis le début d’année, en aspergeant de mousse des rues et des édifices, pour réclamer des aides, alors que la hausse des prix du carburant grève d’autant leurs faibles revenus. « Nous n’avons pas eu le droit cette fois d’asperger de mousse le parcours du défilé, sourit Martine, la cinquantaine, une aide ménagère venue d’une petite ville du Limbourg, dans l’est du royaume. Mais nos revendications n’ont pas bougé. »

Des divisions au sein de la coalition au pouvoir

Le mot d’ordre de la manifestation, pour la défense du pouvoir d’achat, peut sembler bien flou. Mais la plupart de celles et ceux qui battaient le pavé lundi veulent faire tomber une loi précise : un texte de 1996 qui encadre l’évolution des salaires en Belgique, révisé une première fois en 2017 sous le gouvernement du libéral Charles Michel. D’après le barème prévu par cette loi, les coûts salariaux ne peuvent grimper que de 0,4 % en 2022.

La difficulté, pour les syndicats, est que les sept partis qui forment la coalition hétéroclite qui gouverne la Belgique se sont tous engagés, Parti socialiste compris, à ne pas toucher à ce texte de 1996, dans leur accord de gouvernement en 2020. Lorsqu’on le signale à Thierry Bodson, de la FGTB, il réplique : « Un gouvernement, ça doit être autre chose qu’un clerc de notaire qui exécute un accord de gouvernement. D’autant qu’il y a une guerre à 2 000 kilomètres de nos frontières, que les prix de l’énergie et de l’alimentation explosent et que de plus en plus de personnes ne savent plus terminer leurs fins de mois. Je vous rappelle qu’on a adopté, par décret, du jour au lendemain, le principe d’un couvre-feu, pendant la pandémie. Donc on sait s’adapter. »

Autour de cette revendication - faire tomber la loi de 1996 - se sont fait entendre d’autres exigences, dans les rues de la capitale belge. Maximilien Herry, syndicaliste FGTB de 50 ans, arbore un slogan brodé au fil blanc sur le col de son polo rouge : « Repartir à l’offensive ». Résidant non loin de Louvain-La-Neuve, il a monté avec d’autres le collectif « Culture en lutte » qui s’oppose à la réforme en cours du statut de l’artiste. « Le gouvernement doit reconnaître le cas très spécifique des artistes précaires, en particulier pour leurs droits à la sécurité sociale. Mais cela n’en prend pas le chemin », regrette-t-il. Des revendications déjà portées par un autre collectif, Still standing for culture, qui avait décidé l’ouverture de lieux de culture - cinémas, théâtres - malgré les interdictions officielles prononcées en plein confinement.

Plus loin dans le cortège, Charlotte Renouprez est membre d’un mouvement d’éducation populaire dans la capitale belge, Les équipes populaires. Elle s’est jointe à la manif pour porter, entre autres dossiers chauds, celui du logement. L’activiste de 33 ans réclame, pas tant une augmentation des salaires comme beaucoup d’autres croisés dans le défilé, mais plutôt une baisse des loyers, doublée d’un gel de l’indexation des loyers, face au risque de voir les loyers grimper à chaque renouvellement de bail.

« Ce mécanisme dans l’immobilier locatif n’est pas un système juste, mais totalement inflationniste, avance celle qui est aussi militante au sein du collectif Action Logement Bruxelles. Ce que nous mettons en avant, ce n’est pas nécessairement l’idée d’augmenter le pouvoir d’achat, mais plutôt d’encadrer les prix. » Même approche sur le front énergétique : « C’est très bien d’avoir des aides individuelles au profit des consommateurs qui n’arrivent pas à payer leurs factures. Mais il faut des mesures structurelles d’encadrement du marché. La libéralisation ne fonctionne pas. Nous voulons un fournisseur public d’énergie. Les multinationales ne peuvent plus se faire des profits sur notre dos. »

Dimanche, le chef du gouvernement, Alexander De Croo, avait répondu par avance aux manifestant·es : « J’appelle surtout à ne pas ajouter de l’agitation à une situation qui est déjà très instable », en référence au Covid et à la guerre en Ukraine. Cette sortie n’est pas sans rappeler le ton très critique de certains éditorialistes, à l’instar du rédacteur en chef du quotidien économique L’Écho, écrivant samedi : « Perturber le fonctionnement d’un pays “parce que la vie est de plus en plus chère”, est-ce vraiment le moyen le plus [...] constructif de faire changer les choses ? Certains diront qu’à tout prendre, un mouvement organisé comme celui-là vaut mieux que des “gilets jaunes” en ordre dispersé. »

Mais le premier ministre Alexander De Croo s’est aussi défendu sur le fond. L’exécutif a décidé samedi de prolonger les mesures exceptionnelles de soutien aux ménages - censées prendre fin en septembre - jusqu’à la fin de l’année, dont une TVA à 6 % sur le gaz et l’électricité, ou encore la baisse de certaines taxes sur le carburant. Il a aussi rappelé l’existence en Belgique d’un mécanisme quasiment unique en Europe : « Selon les experts, notre pays bénéficie de la meilleure protection du pouvoir d’achat de toute l’Europe, grâce à l’indexation automatique des salaires [sur les prix - ndlr]. »

Ce système prévoit, dès que les prix d’un panier de produits dépasse un certain plafond, que les rémunérations du secteur public, mais aussi les allocations sociales, sont relevées mécaniquement, puis, dans un second temps, après négociations, les salaires du privé. Pour les syndicats, ce mécanisme controversé, s’il a servi d’amortisseur face à la dureté de la crise, ne suffit plus. Au sein de la coalition, les écologistes ont pris leur distance avec le libéral De Croo, se déclarant favorables à des « revalorisations salariales » : « Il faut permettre une négociation au niveau des secteurs, ceux qui ont fait des bénéfices pendant la crise comme le pharma, les banques, le secteur de l’énergie », a affirmé lundi le co-président des écologistes, Jean-Marc Nollet.

L’affaire est d’autant plus sensible qu’au même moment, l’exécutif vient de trouver un compromis, à l’approche du sommet de l’Otan à Madrid fin juin, sur la nécessité d’augmenter ses dépenses militaires jusqu’à 2 % du PIB d’ici 2035 - contre 1,07 % en 2021. Privilégier la défense aux dépens du social ? Ce fut, comme le nucléaire il y a quelques mois, un sujet d’intenses frictions au sein de l’exécutif fédéral, qui rassemble des écologistes, des socialistes mais aussi des libéraux et des conservateurs.

« Le gouvernement n’avance plus dans toute une série de dossiers, dont la réforme fiscale ou la réforme des retraites, observe Caroline Sägesser, du CRISP. L’échéance électorale de mai 2024 semble déjà très présente à l’horizon. Les partis essaient de rappeler au maximum leur ADN et leurs revendications. Ils n’hésitent pas à contester le travail du gouvernement auquel ils participent. Cela augure mal de la suite. »

publié le 4 juin 2022

Journée d’action pour l’hôpital public
le mardi 7 juin

sur https://basta.media/

Syndicats, collectifs de soignants et d’usagers appellent à une journée nationale de mobilisations pour l’hôpital et la santé le 7 juin, face à la situation de crise dans de nombreux établissements. Une grève est aussi en cours dans les Ehpad Orpea.

« Hôpital désespérément maltraité : faudra compter les morts ! » avertit l’appel unitaire à mobilisation pour l’hôpital public et la santé le mardi 7 juin. En 2019 déjà, des dizaines de services d’urgences avaient mené une longue grève à travers la France pour dénoncer le manque de moyens. Trois ans plus tard, de nombreux services d’urgences doivent fermer avant même les vacances d’été, faute de personnel en nombre suffisant.

« Trois ans que nous, organisations syndicales de personnels hospitaliers ou collectifs, alertons sur la situation de l’hôpital public et aussi celle du médico-social et du social, souligne l’appel. La Covid est passée par là, les promesses aussi. Et l’horizon apparaît plus sombre que jamais. Trois ans (au moins) de retard pour former des personnels et donner envie de travailler dans le soin ou le social. ... »

Le texte poursuit : « Les usagers sont en colère et très inquiets : l’accès aux soins de premiers recours est de plus en plus compliqué et l’hôpital n’assure plus son rôle de service public d’accueil en dernier recours. Les services d’urgence ferment les uns après les autres, ou restreignent l’entrée. Les retards de prise en charge se multiplient. Les blocs déprogramment des interventions et ferment des salles d’opération tous les jours par manque de personnel. Les personnels sont en colère et fatigués : ils ne peuvent plus remplir leur rôle de prise en charge correcte de la population malgré des contraintes professionnelles retentissant sur leur santé et leur vie privée. »

L’appel à mobilisation revendique : le recrutement de personnels supplémentaires immédiatement, avec un ratio de personnel adapté à la charge de travail ; la revalorisation générale des salaires pour rattraper les dix ans de blocage ; le renforcement des moyens financiers pour les établissements ; l’arrêt de toutes les fermetures d’établissements, de services et de lits, et réouverture de lits, là où c’est nécessaire.

Une grève reconductible est aussi en cours depuis le vendredi 3 juin dans les Ehpad de la multinationale Orpea, à l’appel de la CGT. Orpea est l’entreprise à but lucratif leader du secteur des Ehpad privés en France. Ses pratiques font l’objet d’un vaste scandale depuis plusieurs mois, entre les accusations de maltraitance des résidents et les révélations sur les flux financiers allant vers des paradis fiscaux. « Familles et salariés, même combat, des moyens dignes pour les personnels et les résidents », appelle aujourd’hui la CGT.


 


 

Hôpital désespérément maltraité :

il va y avoir des morts !

Faudra compter les morts !

appel commun de CGT, Solidaires, CFE-CGC, AMUF, Collectif Inter Hopitaux, Inter Urgences, Printemps de la Psychiatrie, Collectif Inter Bloc, Cordination Nationale des Comités de Défense des Hôpitaux et Maternités de Proximité

Trois ans que nous, organisations syndicales de personnels hospitaliers ou collectifs, alertons sur la situation de l’hôpital public et aussi celle du médico-social et du social, en particulier lors de la manifestation du 14 novembre 2019. La Covid est passée par là, les promesses aussi. Et l’horizon apparaît plus sombre que jamais. Trois ans (au moins) de retard pour former des personnels et donner envie de travailler dans le soin ou le social.

Les usagers sont en colère et très inquiets : l’accès aux soins de premiers recours est de plus en plus compliqué et l’hôpital n’assure plus son rôle de service public d’accueil en dernier recours. Les services d’urgence ferment les uns après les autres, ou restreignent l’entrée. Les retards de prise en charge se multiplient. Les Blocs déprogramment des interventions et ferment des salles d’opération tous les jours par manque de personnel.

Les personnels sont en colère et fatigués : ils ne peuvent plus remplir leur rôle de prise en charge correcte de la population malgré des contraintes professionnelles retentissant sur leur santé et leur vie privée.

Même les médias alertent aujourd’hui sur la période estivale, mais la crise est déjà là, mettant en danger la santé de la population.

Sans aucune autre vision d’ensemble que celle de limiter l’augmentation des dépenses de santé, les gouvernements Philippe puis Castex ont géré à la petite semaine, répondant aux urgences par des mesures discriminatoires, comme des primes à l’embauche, sans considération pour les personnels déjà en poste, méprisés ! En filigrane, apparaît la volonté de casser les statuts pour singer la gestion privée, alors même que le scandale d’Orpéa montre combien cette gestion est contraire à l’intérêt général.

Au moment où notre pays va élire ses nouveaux députés, les personnels de santé et les usagers seront mobilisés le 7 juin : les revendications sont inchangées depuis 3 ans :

° Recrutement de professionnel·le·s supplémentaires immédiatement et plan de formation pluridisciplinaire, ratio de personnel adapté à la charge de travail, respect des équipes et des plannings

° Revalorisation générale des salaires pour rattraper les 10 ans de blocage, reconnaissance des contraintes et des pénibilités horaires (nuit, week-end) et reconnaissance des qualifications des professionnel·le·s

° Renforcement des moyens financiers significatifs pour les établissements, recrutement de personnels (brancardiers, coursiers, ouviers, logisticiens, secrétaires) permettant de recentrer les soignants sur leur métier

° Arrêt de toutes les fermetures d’établissements, de services et de lits et réouverture de lits, là où c’est nécessaire.

° De réelles mesures qui garantissent l’accès, la proximité et une prise en charge optimale en terme de qualité et de sécurité des soins pour tout.e.s et tous partout.


 

mardi 7 juin 2022

Population et professionnels

tous ensemble disons :


 

« La mort de l’hôpital, les morts à l’hôpital

STOP ÇA SUFFIT »

 

à Montpellier :
 

12h00 : rassemblement des personnels devant le centre André Benech

puis départ en manifestation vers le centre-ville ;


 

14h30 : avec la population, rassemblement devant la préfecture

 publié le 31 mai 2022

Les parfumeuses ne peuvent plus sentir
leurs bas salaires

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Commerce. - En grève nationale il y a une semaine, les salariées de Marionnaud, en très grande majorité payées au Smic, espèrent que les négociations annuelles obligatoires aboutiront à une revalorisation digne.

« E n 2014, les salaires ont été augmentés de 40 euros par mois, nous n’irons pas en dessous », indique Marilyn Gentil, déléguée syndicale CGT Marionnaud. À la veille de la seconde session des négociations annuelles obligatoires, ce mercredi,­ l’intersyndicale Unsa, CFDT, CGT, CFE-CGC de l’enseigne de parfumerie s’apprête à reprendre les armes. Il y a une semaine, mardi 24 mai, les salariées de la marque – en écrasante majorité des femmes – menaient un mouvement de grève inédit, le premier en dix ans. Environ 40 % des 420 points de vente gardaient leurs portes closes, tandis que plus de 200 employées se rejoignaient devant le siège de l’entreprise pour clamer leur colère. Une semaine plus tard et après le succès de la mobilisation, l’objectif n’a guère changé pour les organisations syndicales : grappiller coûte que coûte une revalorisation des rémunérations, malgré la posture inflexible de la direction.

La question est devenue une nécessité : les employées de Marionnaud doivent aujourd’hui se contenter de salaires insignifiants et sont contraintes de vivre l’intégralité de leur carrière au Smic. Certaines directrices adjointes de magasin, malgré leurs fonctions d’encadrantes, ne gagnent que 1 700 euros brut par mois . « 75 % des salariées sont payées au Smic, même après vingt-cinq années d’ancienneté. Il n’y a aucune reconnaissance de l’expertise à long terme », indique l’Unsa dans un communiqué. Bien que les salaires soient gelés depuis 2014 au sein de l’enseigne, la direction de Marionnaud n’a proposé que 5 euros d’augmentation des rémunérations lors de la première session des négociations annuelles obligatoires, il y a quelques jours. Indigne pour les organisations syndicales et les salariées, réunies devant leurs magasins la semaine dernière. « Nos salaires ne sont pas du luxe », pouvait-on lire sur les pancartes brandies de certaines d’entre elles.

Charge de travail décuplée et harcèlement

D’autant plus que, en dépit de salaires invariablement bas, les conditions de travail n’ont de cesse de se dégrader. Contraintes par les sous-effectifs chroniques à accélérer les cadences, les conseillères en boutique doivent également assurer l’entretien des magasins, la sécurité, le nettoyage et la manutention. Une charge de travail décuplée, doublée d’une surveillance de tous les instants par la direction, voire de harcèlement. « Les managers guettent grâce aux codes caisses qui vend quoi et en quelle quantité. Ils surveillent que les vendeuses écoulent bien les produits qu’on leur demande de vendre », explique Marilyn Gentil. « La conséquence, c’est que de nombreuses salariées décident de démissionner. Il y a aussi beaucoup de ruptures conventionnelles. »

Ce mercredi, les organisations syndicales attendent donc une proposition de la part des dirigeants à la hauteur du travail effectué par les salariées. En cas de conflit persistant sur la question des rémunérations, la CGT n’exclut pas d’appeler à un nouveau mouvement de grève lors du très animé week-end de la Fête des pères.

publié le 19 mai 2022

Abdel Yousfi,
la voix des ouvriers à l’Assemblée

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Métallurgiste, la tête de liste Nupes dans la 11 e circonscription du Rhône aux législatives compte bien ravir le siège au sortant macroniste en capitalisant sur l’union populaire, qu’il représente à Givors et aux alentours.

«Ma démarche, ça a toujours été de porter les revendications du bas vers le haut », clame le syndicaliste.

« J e ne savais pas que vous alliez prendre des photos, je me serais mieux habillé ! » s’excuse-t-il presque avant de concéder qu’il ne porte de cravate « que pour les mariages ». Abdel Yousfi ne fait pas semblant, il assume ce qu’il est. « Je n’ai pas honte d’être ouvrier, fils d’ouvrier et petit-fils de mineur », explique-t-il simplement. À 54 ans, ce régleur sur machine chez Jtekt, équipementier automobile ­filiale de Toyota situé à Irigny (métropole de Lyon), a été investi comme tête de liste Nupes dans la 11 e circonscription du Rhône pour les élections législatives. Un territoire qui recouvre les villes populaires de Givors et de Grigny, mais aussi des communes plus rurales et résidentielles comme Saint-Symphorien-d’Ozon, Mornant ou Condrieu. Une circonscription sociologiquement hybride, qui avait élu en 2017 un député LaREM, Jean-Luc Fugit. Candidat à sa succession, le macroniste devra faire face à un candidat Rassemblement national et à un autre Lutte ouvrière. Mais, surtout, à Abdel Yousfi, porteur de tous les espoirs FI-EELV-PCF-PS-Génération∙s.

« Une dynamique très forte »

Les chances de ravir cette circonscription à la Macronie et de battre l’extrême droite sont donc réelles pour le communiste. « Je sens qu’il y a une dynamique très forte. Quand je rencontre les habitants de la circonscription, ils me parlent tous du pouvoir d’achat, de l’inflation galopante. Alors, évidemment qu’il faut augmenter les salaires et les pensions de retraite, donner aux étudiants les moyens de vivre et d’étudier », souligne-t-il. La défense du système de santé public s’impose également comme une priorité, alors que l’hôpital Montgelas a été contraint de fermer son service d’urgences depuis le mois d’octobre 2021. Un combat incarné dans le choix de sa suppléante, Pia Boizet, agente aux Hospices civils de Lyon.

Autre revendication qui lui tient fortement à cœur : le retour de la retraite à 60 ans. « Quand on est usé pour avoir subi quotidiennement les ravages du travail physique, on se dit qu’il faudrait reparler de la pénibilité. C’est aussi vrai pour certains travailleurs intellectuels, qui sont dans les bureaux. Mais, moi, je vois tellement de collègues dans les ateliers qui n’arrivent pas à tenir jusqu’à 57 ans et qui partent en inaptitude, on fait quoi d’eux, si on recule encore l’âge de la retraite ? Des SDF ? » dénonce le syndicaliste CGT de la métallurgie.

De nombreux motifs de tension

La dureté des rapports d’exploitation, Abdel Yousfi l’a subie de plein fouet en tant qu’ouvrier, mais aussi en tant que syndicaliste combatif contre une direction qui ne lui a pas fait de cadeau. Embauché en 2000 après quelques missions d’intérim, le tourneur-fraiseur-ajusteur de formation rejoint vite la CGT pour y faire remonter les revendications de ses collègues. Délégué syndical sur le site d’Irigny, puis délégué syndical central dans le groupe, il n’hésite pas à aller au front face aux attaques de la hiérarchie. Cadences infernales, licenciements, suppressions de RTT… les motifs de tension sont nombreux dans les ateliers.

En 2015, un salarié se suicide en se jetant du toit de l’usine. « Il subissait des pressions, on a fait une expertise qui a prouvé le lien avec le travail », se souvient-il, encore bouleversé par ce drame. Quelques semaines après, la direction de Jtekt essayait de licencier le syndicaliste pour un arrêt maladie qu’elle jugeait irrégulier. Il a fallu la mobilisation de ses collègues, d’autres syndicalistes CGT, de militants communistes locaux et une décision de l’inspection du travail pour que la direction le réintègre. « J’ai eu le soutien de ceux qui me ressemblent, et on est nombreux ! On a l’impression que c’est un peu le pot de terre contre le pot de fer, mais on peut vraiment inverser la courbe », estime-t-il.

Un engagement syndical, puis politique lorsqu’il adhère au PCF en 2014, qu’il vit comme une « continuité ». « Ma démarche, ça a toujours été de porter les revendications du bas vers le haut, c’est comme ça que je construis cette campagne, et c’est comme ça que j’exercerai mon mandat de député : dans le collectif, insiste-t-il. On a un seul ouvrier à l’Assemblée nationale (Alain Bruneel, député PCF et ouvrier retraité – NDLR), comment peut-il y arriver tout seul ? Il faut qu’on se réapproprie cette institution, mais plus globalement toutes les institutions ! Quand un ouvrier meurt au travail, on finit au mieux dans la rubrique des faits divers. On a cru qu’on devait laisser la politique aux technocrates parce qu’ils avaient la tête bien pleine. Mais, là-haut, ils ne nous entendent pas. Si nous ne parlons pas de nous, personne ne le fera !  »

 

 

 

 

L’État laisse Vallourec fermer le site
de Saint-Saulve

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

L’industriel accélère sa stratégie de délocalisation vers le Brésil et l’Asie, envisage de supprimer 2 900 postes en Europe, dont 320 en France, et ferme une usine dans le Nord. Syndicats et élus locaux appellent le gouvernement à « intervenir ».

À peine arrivé, Philippe Guillemot, le PDG de Vallourec, à la tête du groupe depuis trois mois, applique à la lettre et en vitesse accélérée la règle à calcul fixée par les actionnaires majoritaires (38 %), les fonds d’investissement américains Apollo et SVP Global. « Ce même fonds a pompé Ascometal, dans les aciers spéciaux sans rien y injecter, laissant le groupe en grande difficulté, comme d’autres proies en France », rappelle la CGT. Lors de la présentation des comptes du groupe, au premier trimestre, le champion des tubes en acier sans soudure pour le secteur pétrolier et gazier a annoncé, mercredi soir, la suppression dans le monde de 2 900 emplois, la plupart en Allemagne (2 400), 70 en Écosse et 320 en France, dont 65 au siège de Meudon (Hauts-de-Seine), 100 à Aulnoye-Aymeries (Nord), 60 au centre de services de Valenciennes (Nord), mais aussi 104 dans son usine de Saint-Saulve (Nord), qui devra fermer. La poursuite de la délocalisation de la production vers le Brésil et l’Asie est, pour le cost killer, « une étape nécessaire, pour ne pas dire vitale », afin de « permettre au groupe d’être profitable quelles que soient les conditions de marché ».

Dans les usines du groupe, malgré le dégoût, la colère, la riposte se prépare, avec l’objectif de « faire le maximum » pour le faire « revenir sur sa décision ». À Saint-Saulve, beaucoup de salariés sont des quinquagénaires, explique le délégué syndical CFDT de l’usine, Michaël Tison. « À 50 ans, dans l’industrie, vous n’êtes plus valable », résume-t-il. Et les propositions de « retraite, préretraite et reclassement interne » de la direction pour seulement « un tiers des suppressions d’emplois en France » n’offrent aucune véritable perspective. L’inquiétude est palpable. « C’est pour cela qu’ils ne veulent pas et qu’ils ne peuvent pas accepter la fermeture », explique le député communiste de la circonscription, Fabien Roussel, présent sur le site ce jeudi matin. « Sinon, poursuit-il, cela veut dire deux ans de cellule de reclassement, deux ans de chômage et ensuite le RSA. » Après six plans de suppressions d’emplois, les 104 ouvriers sont échaudés. En 2014, ils étaient encore 1 400 à travailler dans la tuberie. Une saignée qui illustre la politique industrielle conduite par le président de la République. Dans le dossier Vallourec, Emmanuel Macron a été aux premières loges : en 2016, avec la fermeture de Déville-lès-Rouen, lorsqu’il œuvrait comme ministre de l’Économie, puis en 2018 et encore en 2020, après avoir conquis l’Élysée.

Un pognon de dingue

Certes, pour socialiser les pertes, l’État, au travers de la BPI, était monté au capital du groupe mais, très vite, sans volonté politique, le marché a repris ses droits. Le bras armé financier de la France ne possède plus désormais que 2 % du capital. Le groupe a également pu profiter d’une montagne d’argent public. La CGT dénombre près d’un milliard d’euros d’opérations de recapitalisation et de crédits d’impôt de toutes sortes, auxquels il faut ajouter un prêt garanti par l’État d’un montant de 262 millions d’euros. Un pognon de dingue, sans aucune condition. « Vallourec a eu de l’argent public pour faire des investissements au Brésil ou en Chine, ils vont là-bas construire des usines, et c’est la France qui trinque », se désole le syndicaliste de la CFDT.

Malgré les appels des syndicats au gouvernement, ce jeudi matin, aucun conseiller de Bercy ou de Matignon n’a pris la peine de leur répondre. La première ministre, tout juste entrée en fonction, n’a pas non plus pris le temps de réagir. Seul un communiqué du ministère de l’Économie appelant Vallourec à « minimiser (…) les conséquences du plan sur les activités françaises » a été publié. « Le gouvernement nous parle tous les jours d’industrie, de réindustrialisation, mais que fait-il pour empêcher cette délocalisation, pour maintenir ces savoir-faire, cet outil industriel dans notre pays ? La première chose à faire, c’est d’empêcher cette nouvelle délocalisation ! » lance à l’intention de la première ministre le candidat de la 20e circonscription du Nord, investi par la Nupes.

Car, insiste-t-il, « préserver ces outils industriels, ces savoir-faire », c’est aussi garder « notre capacité à produire ici, ce dont nous avons besoin, demain, pour faire des éoliennes, par exemple ». D’autant que, comme le rappelle la CGT dans son communiqué, « Vallourec n’est pas en difficulté. (…) Le groupe a même redressé ses résultats financiers. C’est donc un renforcement du groupe qu’on serait en droit de demander ». Outre le plan annoncé, les organisations syndicales craignent à terme une menace plus importante. « Nos usines dépendent de l’activité allemande, et je ne suis pas sûr que se faire livrer des tubes en bateau depuis le Brésil soit vraiment mieux. J’ai de gros doutes en termes écologiques et économiques, quand on voit le prix du transport », explique par exemple Michaël Tison.


 

 

Ménage sur le campus : « On n’est pas des serpillières ! »

Rosa Moussaoui sur www.humanite.fr

Propreté - Les femmes de ménage de l’université Sorbonne Paris Nord à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), salariées d’Agenor, ont débrayé, jeudi, pour exiger des conditions de travail dignes, des horaires décents et de meilleurs salaires.

Elles n’en peuvent plus d’être prises « pour des serpillières ». Jeudi matin, les femmes de ménage de l’université Sorbonne Paris Nord à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) ont stoppé le travail pendant 59 minutes – pas une de plus, pour s’épargner une retenue sur leurs maigres salaires.

Sous les verrières du forum, au centre du campus, elles sont rassemblées, serrées les unes contre les autres, entourées par les personnels de l’université et les militantes et militants syndicaux venus les soutenir

Brimades et insultes

Zhor Rifi, 53 ans, a commencé à travailler sur ce site en 1996 ; elle a vu défiler les sous-traitants : Arcade, Derichebourg, Arc en ciel. Elle est aujourd’hui, comme ses collègues, salariée d’Agenor. Sa rémunération : 1 100 euros par mois, pour six heures de travail par jour, éclatées dans la journée : trois heures aux aurores, trois heures au crépuscule. Sa journée ne s’achève qu’à 20 heures. « Ils refusent de regrouper nos heures pour nous laisser finir à midi. Pour celles qui habitent loin, c’est l’enfer  ! » s’emporte-t-elle. Foulé Sissako, 47 ans, mère de huit enfants, travaille ici depuis 2004. « On a besoin de ce travail mais ils nous chargent trop, on a trop de salles de cours à faire, soupire-t-elle.  Tout le monde souffre, on a des douleurs, on n’est pas beaucoup respectées. »

Certaines de ces travailleuses ne savent ni lire ni écrire : Zhor se souvient d’une collègue à qui l’employeur aurait fait signer, voilà deux ans, une lettre de démission sans même qu’elle s’en rende compte : « Elle est partie sans rien, la pauvre. Après ça, on est devenues méfiantes. Un jour, on m’a demandé de signer un papier. J’ai refusé, je voulais que quelqu’un me le lise d’abord. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un avertissement par lettre recommandée. »

Ces femmes de ménage font toutes état de brimades, d’insultes, de sanctions injustifiées, de comportements autoritaires de leur cheffe d’équipe. « La sous-traitance implique la maltraitance. Quand on choisit la prestation la moins chère, les droits et la dignité des salariées n’entrent pas en ligne de compte », regrette Salim Hocini, de l’union locale CGT de Villetaneuse-Pierrefitte.

Précarité absolue

Ceint de son écharpe tricolore, le député communiste de la circonscription, Stéphane Peu, de nouveau candidat sous les couleurs de la gauche unie, est venu lui aussi manifester son soutien à ces travailleuses en colère.

« Les larmes de crocodile du confinement sur les travailleuses essentielles ont vite séché, grince-t-il. Dans le secteur de la propreté, la précarité est absolue : contrats de courte durée, fractionnement du temps de travail qui démolit la vie familiale, salaires de misère. Les établissements publics devraient cesser de recourir à la sous-traitance pour ce genre de tâches. » Le groupe Agenor, de son côté, jure au contraire placer « l’humain au cœur de (ses) préoccupations ».

publié le 11 mai 2022

Suicides chez France Télécom :
comment les syndicats ont obtenu la tenue du procès

sur https://rapportsdeforce.fr

En 2019, plusieurs dirigeants de France Télécom ont été condamnés pour harcèlement moral institutionnel. Le procès n’aurait jamais eu lieu sans action syndicale. À l’occasion de l’ouverture du procès en appel le 11 mai, retour, avec plusieurs protagonistes de l’époque, sur la mobilisation et la stratégie adoptées.

 « On s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser faire sans réagir », se remémore simplement Patrick Ackermann, ancien délégué syndical central Sud PTT chez France Télécom. Des représentants du personnel de l’entreprise publique en pleine mutation avaient déjà interpellé la direction sur la souffrance au travail. Et sur les premiers suicides au début des années 2000. En vain.

En 2007, deux ans après son arrivée à la tête de l’entreprise, Didier Lombard lance le plan Next. L’objectif : supprimer en trois ans 22 000 postes, soit un travailleur sur cinq, sans licenciement. La solution retenue : un management aux forceps ordonné par la hiérarchie. « En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », avait lâché Didier Lombard en octobre 2006 devant des cadres supérieurs et dirigeants de France Télécom. La souffrance au travail se répand et, au cours des années 2008 et 2009, 35 salariés se suicident.

Alors, en 2008, la mobilisation syndicale prend un autre tournant. Elle débouchera onze ans plus tard sur un procès. Les cas de 39 salariés (19 se sont suicidés, 12 ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail) y seront examinés, l’entreprise et plusieurs de ses anciens dirigeants condamnés pour harcèlement moral institutionnel. Comment ce tour de force a-t-il pu avoir lieu ?

« En panne de stratégie »

Dans ce contexte si particulier de réorganisation, « les mouvements syndicaux commençaient à être en difficulté, avec le départ de militants et les collectifs de travail bouleversés », raconte Patrick Ackermann. Il poursuit : « Les syndicats étaient en panne de stratégie et en panne de grévistes, avec des taux de mobilisation descendus à 50 % en 2007 ». Une analyse contestée par Rachel Beauséjour, déléguée syndicale centrale adjointe CGT : « Nous appelions à des débrayages et les gens sortaient. Il y avait bien des rassemblements en bas des services ! », assure-t-elle.

Pour autant, les suicides s’accumulent. Et à l’époque, alors que France Télécom se mue en entreprise privée, devenant ultérieurement Orange, les nouvelles instances représentatives du personnel (IRP) ont du mal à fonctionner. En résumé, « le droit des fonctionnaires avait disparu et le droit privé avait du mal à se mettre en place », explique Patrick Ackermann. Ce que confirme Sébastien Crozier, à l’époque élu CFE-CGC du comité central : « d’une part, les instances étaient très jeunes et non maîtrisées et d’autre part elles n’avaient pas de majorité ». Certains syndicats, historiquement plus présents dans la fonction publique, découvraient à peine les rouages des CHSCT du secteur privé (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, supprimé depuis 2017 par les ordonnances dites Macron).

 Divisions syndicales à France Télécom

En 2007, les syndicats Sud PTT et CFE-CGC, dont l’alliance peut surprendre, lancent ensemble l’observatoire du stress et des mobilités forcées. « La création de cet outil commun résulte de l’impossibilité que nous avions à nous coordonner dans les instances », justifie Sébastien Crozier. Il explique : « Il était la résultante de deux courants de gens qui faisaient le même diagnostic. Cela ne signifie pas que la façon dont on voulait résoudre les problèmes était identique. Mais il y avait bien une analyse partagée de la situation et des conséquences que l’organisation déployée avait ».

Aujourd’hui, Sud PTT et la CFE-CGC se disputent la paternité de l’observatoire. En tout cas, « cette alliance a bien fonctionné », commente Patrick Ackermann. Selon Sébastien Crozier, « c’était une richesse d’avoir des points de vue différents ». Sud PTT se fait écho des expériences concrètes des agents, notamment techniciens, et la CFE-CGC, comme elle représente l’encadrement, collecte des informations lors des réunions de managers notamment.

Mais tout n’est pas rose. « Il y avait des divisions syndicales, cela ne simplifiait pas les choses », raconte Patrick Ackermann. De fait, les autres organisations, pourtant invitées, ne souhaitent pas participer à l’observatoire du stress et des mobilités forcées. Pourquoi ? « La CFDT misait sur les CHSCT et la CGT sur la grève », raconte Patrick Ackermann. « FO et la CFDT étaient dans une forme de déni de la situation. La CGT avait des relations épouvantables avec Sud », croit résumer Sébastien Crozier. « Nous n’étions pas pour. Pour nous, le stress ne s’observe pas, mais se combat », justifie Rachel Beauséjour de la CGT, qui assure pour autant que « toutes les ficelles ont pu être tirées. Nous avons, nous, ressorti les cahiers revendicatifs, exigé des négociations et imposé des ordres du jour à la direction ».

 L’Observatoire chez France Télécom

En tout cas, l’observatoire permet de comptabiliser les morts. Au total, 60 personnes se sont suicidées entre 2006 et 2009, dont 35 entre 2008 et 2009. Fort de cette vigie, les élus demandent une expertise CHSCT à chaque suicide. Mais « 30 % des demandes d’expertise ont été contestées par la direction au Tribunal de Grande Instance et déboutées, dont un cas de risque grave avec suicide », observera le cabinet Technologia, cabinet mandaté par les organisations syndicales et la direction en 2009. Lors du procès, des mails prouveront la politique délibérée de l’entreprise pour enrayer les demandes d’expertise. Si Patrick Ackermann parle d’entrave aux IRP, ce sujet n’a pas été retenu par la justice.

Face à l’hécatombe qui se poursuit, l’idée d’une plainte au pénal germe dans la tête des élus de Sud PTT. « Mais tous les avocats consultés nous l’ont déconseillé. Ils nous expliquaient que ce serait impossible de faire reconnaître la responsabilité patronale d’un mort vu le nombre de niveaux hiérarchiques au-dessus ». Puis ils rencontrent Sylvie Catala, inspectrice du travail, destinataire de plus en plus de saisines de différents syndicats. L’agent transmet un procès-verbal au procureur de la République dénonçant des faits de harcèlement moral, mise en danger de la vie d’autrui et entraves aux IRP. « Elle nous dit : ” Si vous voulez que mon PV ne soit pas classé sans suite, il faut qu’un syndicat porte plainte », rapporte Patrick Ackermann. Le syndicaliste aujourd’hui à la retraite synthétise : « Nous n’avons pas choisi le terrain juridique, nous y avons été contraints ” ».

D’ailleurs, cette stratégie ne fait pas l’unanimité au sein de son syndicat. « Un grand nombre disait : ” on se bat contre un patron, mais on ne porte pas plainte contre lui “. Certains étaient contre la juridicisation à cause du temps très long que cela impliquait. Mais on se disait qu’il fallait au moins faire cela pour mettre la pression sur l’entreprise et en mémoire des victimes ». Finalement, Sud PTT se lance dans cette bataille fin 2009, suivi par les autres syndicats ensuite. Le procès aura bien lieu. En 2019.

 Temps long

Patrick Ackermann tente l’autocritique : « Rétrospectivement, je dirais que nous avons eu tort de ne pas envisager cet angle d’attaque plus tôt. Cela aurait peut-être économisé des vies. Mais ce n’était pas notre ADN. Peu de syndicats l’ont. En partie parce que le temps judiciaire est long et que les équipes syndicales ont le temps de changer ».

Et effectivement. Dix ans de procédures. De secret de l’instruction. De « syndicats spectateurs », d’après les mots de Patrick Ackermann. De plus, « la gestion de l’attente des parties civiles, qui trouvaient le temps long et venaient nous voir pour cela, était du temps et de l’énergie consommés non utilisables pour gérer les situations d’urgence », analyse Sébastien Crozier. Pourtant, « nous les avons quand même gérées », fait remarquer le syndicaliste de la CFE-CGC.

 Mythe de Sisyphe

« La santé au travail est un sujet exigeant pour les militants. En matière d’emploi ou de salaire, les mobilisations sont sur un temps court. Les questions de conditions de travail demandent un engagement sur la durée et nécessitent d’être imaginatif », analyse Éric Beynel, qui donne l’exemple de l’observatoire du stress et des mobilités forcées chez France Télécom. Mais aussi la collaboration avec des collectifs de riverains dans le combat des salariés de Triskalia, exposés aux pesticides par leur employeur, une coopérative des Côtes-d’Armor.

Quelle leçon, celui qui animait la commission conditions de travail de Solidaires à l’époque de la crise, tire-t-il de la mobilisation chez France Télécom ? « Il y a toujours cette opposition entre les questions d’emploi et de salaires et les questions de santé au travail », observe-t-il. Il poursuit : « Faire émerger le sujet pour qu’il soit pris en compte au même niveau que les autres est difficile. Il suffit qu’il y ait une crise financière et des suppressions d’emplois pour que ces questions soient reléguées au second plan ». Par conséquent, pour un syndicaliste, « c’est un peu le mythe de Sisyphe. Il faut régulièrement remonter la pierre ». D’après lui, agir en intersyndicale est particulièrement difficile sur ce sujet ; certains syndicats acceptant les compromis salariaux proposés par les directions.

Aussi, sur ces sujets, les salariés sont moins reconnaissants de l’activité syndicale. La mobilisation autour des suicides chez France Télécom témoigne, selon lui, de l’importance de s’associer à d’autres acteurs pour traiter des questions de santé au travail (experts, sociologues, médecins du travail…). Solidaires a appris de son expérience avec l’affaire France Télécom, ou encore Renault et a depuis mis sur pied des outils pour ses équipes syndicales. Eric Beynel résume : « Le travail sur ces questions existait dans certaines organisations de Solidaires, mais était clairsemé. Ces affaires ont permis de donner une impulsion ».

publié le 7 mai 2022

Aux origines ouvrières
du Front populaire

par Gérard Noiriel  sur https://www.monde-diplomatique.fr

Le 3 mai 1936, le gouvernement de Léon Blum parvenait au pouvoir dans une France affaiblie par la crise économique et menacée par la guerre. Cette date constitue le point de départ politique du Front populaire. Mais elle occulte les conditions d’émergence et les racines sociales d’un mouvement de grèves sans précédent, qui permit des avancées considérables.

Lors du discours qu’il a prononcé, le 3 mai 2016, en introduction du colloque « La gauche et le pouvoir (1) », M. François Hollande a félicité les organisateurs d’avoir tenu cette rencontre le jour du 80e anniversaire de la victoire du Front populaire. C’était un bon moyen, selon lui, de « faire des comparaisons utiles dans le temps, dans l’espace, et de tirer les leçons pour aujourd’hui ».

Commémorer le Front populaire en privilégiant les élections législatives d’avril-mai 1936 n’est évidemment pas anodin. Cela permet de mettre l’accent sur le rôle des partis, de leurs dirigeants et de leurs programmes, au détriment des luttes populaires. C’est l’histoire vue d’en haut et non d’en bas. Pourtant, le Front populaire est le meilleur exemple que l’on puisse trouver dans notre histoire contemporaine quand on veut montrer que les progrès sociaux dépendent bien plus des mobilisations populaires que des programmes électoraux.

La victoire de la gauche en mai 1936 ne suffit pas, par elle-même, à donner son importance historique au Front populaire. Les radicaux, les socialistes et les communistes — les trois principales forces politiques réunies sous sa bannière — l’ont emporté d’une courte tête (37,3 % des inscrits, contre 35,9 % pour la droite). Pour parvenir à une entente, ils ont adopté un programme extrêmement modeste, résumé par le slogan : « Pain, paix, liberté ». Sur le plan social, leurs promesses se limitaient à des mesures visant à réduire la durée du travail sans diminution de salaire et à créer un fonds national de chômage. Cette timidité explique en partie que le Parti communiste ait refusé de participer au gouvernement dirigé par Léon Blum.

Si le Front populaire est devenu un moment marquant de notre histoire contemporaine, c’est avant tout parce qu’il a pris sa source et trouvé sa raison d’être dans une extraordinaire mobilisation collective, qui n’a pas eu d’équivalent à l’époque en Europe.

Pour tenter d’expliquer les raisons de ce soulèvement des classes populaires, il faut commencer par replacer l’événement dans l’histoire longue de la classe ouvrière française (2). À la différence de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, la première révolution industrielle n’a pas entraîné, en France, une rupture radicale avec le monde rural. La grande industrie se développe en prolongeant le modèle économique antérieur, dominé par des marchands-fabricants qui distribuent la matière première transformée en produits finis par une multitude d’ouvriers-paysans enracinés dans leurs villages et travaillant en famille. Dans les grandes villes, et notamment à Paris, on trouve surtout des ouvriers-artisans, issus du monde des corporations d’Ancien Régime. Héritiers des sans-culottes, ils sont les principaux acteurs de tous les mouvements révolutionnaires qui secouent la capitale de 1789 jusqu’à la Commune de Paris, en 1871. Un immense fossé sépare ces deux composantes du monde ouvrier. Cette hétérogénéité freine la constitution d’une classe ouvrière possédant une identité propre, entrave la naissance du droit du travail, pérennise les formes juridiques traditionnelles que sont le louage d’ouvrage et le marchandage (3).

Véritable point de départ en 1933

À la fin du XIXe siècle, la première crise majeure du capitalisme, appelée Grande Dépression par les historiens, débouche sur une nouvelle révolution industrielle, qui ouvre l’ère des grandes usines. Touchées de plein fouet par ces bouleversements, les deux principales composantes du monde ouvrier engagent un combat radical et multiforme contre l’ordre nouveau. Les grèves et les manifestations, souvent réprimées dans le sang, se multiplient. C’est à ce moment-là que s’impose dans l’espace public la figure du mineur, que naissent les syndicats et les partis se réclamant du prolétariat (Confédération générale du travail [CGT], Parti ouvrier français [POF], etc.). Cette mobilisation massive contraint le patronat des mines à signer les premières conventions collectives. C’est aussi le début de la législation sociale, illustrée notamment par les lois sur le repos hebdomadaire, la retraite ouvrière et paysanne, et surtout la naissance du code du travail (1910) (4).

Néanmoins, le pouvoir républicain ne s’engage pas sur la voie d’un système global de protection sociale comparable à celui qu’Otto von Bismarck a imposé en Allemagne au cours des années 1880. Pour satisfaire leur électorat, composé surtout de paysans propriétaires et de petits patrons, les dirigeants de la République française optent pour un protectionnisme économique qui vise à taxer les marchandises, mais aussi la main-d’œuvre étrangère. Ce n’est pas un hasard si la loi dite de « protection du travail national » (adoptée en 1893) se focalise sur des mesures d’identification des travailleurs étrangers. En freinant l’exode rural, ce protectionnisme aggrave la pénurie d’ouvriers dans la grande industrie. Le recours massif à l’immigration s’impose au moment même où se multiplient les discriminations de tous ordres à l’égard des non-nationaux.

La première guerre mondiale et la période de reconstruction qui la suit creusent de nouveaux clivages entre les composantes du monde ouvrier. Dans les secteurs les mieux protégés (chemins de fer, postes, services publics, etc.), la cogestion tripartite (État, patronat, syndicat), institutionnalisée pendant la guerre grâce à l’union sacrée, est pérennisée. C’est dans ces branches que la CGT réformiste recrute la plus grande partie de ses adhérents.

En revanche, dans la grande industrie, le mouvement ouvrier s’effondre après la répression féroce des grèves insurrectionnelles de 1919-1920. Comme l’ont montré Edward Shorter et Charles Tilly, c’est dans les entreprises de plus de cinq cents ouvriers, là où la combativité était la plus forte avant 1914, que le recul des grèves est le plus net au cours des années 1920 (5). Cette démobilisation s’explique par deux raisons. Dans l’industrie lourde du Nord et de l’Est, le recours massif à l’immigration pour remplacer les ouvriers morts au combat ou qui ont fui les zones sinistrées affaiblit fortement les traditions de lutte forgées dans les décennies antérieures. Dans l’industrie de transformation, les nouvelles usines se développent surtout au sein des banlieues des grandes villes. Elles attirent des ouvriers qualifiés qui privilégient des solutions individuelles en changeant constamment d’entreprise pour vendre leur force de travail au patron le plus offrant. Cette instabilité massive entrave l’action collective, malgré les efforts du Parti communiste et de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU (6)).

La nouvelle crise du capitalisme, déclenchée par l’effondrement de la Bourse de Wall Street en octobre 1929, atteint la France en deux temps. Jusqu’en 1933, ses effets sont beaucoup moins visibles que dans les autres pays, car elle frappe surtout les franges les plus marginales de la société industrielle. Des centaines de milliers de travailleurs immigrés sont renvoyés dans leurs pays d’origine, et les ouvriers-paysans (qui sont encore très nombreux en France) trouvent dans leur environnement rural des ressources qui limitent le recours aux fonds de chômage.

Mais, à partir de 1933, la dépression touche de plein fouet le cœur d’un monde ouvrier plus français, plus masculin, plus qualifié, plus urbain que dans la période précédente. Le chômage prend des proportions gigantesques, alors même que le système d’indemnisation est encore archaïque. De nombreux ouvriers qualifiés sont bloqués dans leur mobilité, et sont parfois contraints d’occuper les emplois auparavant réservés aux immigrés. Les patrons, n’ayant plus les ressources nécessaires pour intensifier la mécanisation des tâches manuelles, privilégient désormais la « rationalisation du travail ». La rémunération au rendement et le travail à la chaîne se diffusent rapidement, notamment dans l’automobile.

Contrairement à ce qui est fréquemment affirmé, le mouvement de grèves qui caractérise le Front populaire n’a pas débuté au lendemain de la victoire électorale de la gauche, le 3 mai 1936. Son véritable point de départ date de 1933, lorsque les ouvriers qualifiés des grandes usines de construction mécanique sont directement frappés par la crise économique. C’est à ce moment-là que le Parti communiste commence à récolter les fruits d’une stratégie privilégiant l’action dans l’entreprise. S’il fallait désigner un événement fondateur, nous pourrions volontiers choisir l’accident qui s’est produit le 6 février 1933 à l’usine Renault de Billancourt. L’explosion d’une chaudière fait huit morts et de nombreux blessés. Lors de l’enterrement, le patron (Louis Renault) et le maire socialiste font face aux familles des victimes, soutenues par les élus communistes, les militants et vingt mille ouvriers qui crient : « Assassins ! Assassins ! ». Relayé sur tout le territoire national par L’Humanité (le journal de Jean Jaurès, passé sous la coupe du Parti communiste en 1920), cet événement tragique contribue fortement au processus d’identification des travailleurs à un « nous » ouvrier qui ne cessera de se consolider dans les mois et les années suivants.

La conjoncture politique va jouer un grand rôle, elle aussi, dans le développement des luttes sociales. Le 6 février 1934, les ligues d’extrême droite organisent une manifestation qui vire à l’émeute. La crainte d’un coup d’État suscite une réaction qui précipite la réunification du mouvement ouvrier et l’alliance des forces de gauche au sein d’un front antifasciste qui ouvre la voie au Front populaire. Ce réflexe unitaire encourage les travailleurs à s’engager dans l’action collective. Les grèves se multiplient, touchant des secteurs très divers ; fait nouveau, elles sont désormais souvent victorieuses. Preuve du rôle essentiel que les femmes commencent à jouer dans ce mouvement, en mai 1935 plus de deux mille ouvrières de la confection, réparties dans de petites entreprises de la région parisienne, se mettent en grève contre des diminutions de salaire ; elles obtiennent gain de cause.

La lutte paye

Cette première phase de l’histoire du Front populaire est essentielle, car c’est à ce moment-là que les ouvriers vont inventer les modes d’action et mettre au point les revendications qui se généraliseront en mai-juin 1936. L’exemple du conflit qui touche en novembre 1935 les forges d’Homécourt à Saint-Chamond (une usine qui fabrique du matériel pour la marine nationale) est à cet égard emblématique. Motivée par le rejet des mesures de « rationalisation du travail », la grève s’accompagne (pour la première fois) d’une occupation des locaux qui durera cinq semaines. Les grévistes obtiennent non seulement des hausses de salaire, mais aussi l’instauration de délégués du personnel et une classification des ouvriers en trois catégories, en fonction de leur qualification.

La victoire électorale de mai 1936 peut être vue comme l’étincelle qui a provoqué l’embrasement général à partir des foyers allumés par le petit noyau des ouvriers qualifiés de la grande industrie. Le mouvement des grèves avec occupation connaît un premier point culminant au début du mois de juin 1936 (cent cinquante entreprises occupées). Le patronat accepte alors d’entamer des négociations, qui aboutissent le 8 juin aux accords de Matignon (hausse des salaires, limitation de la durée du travail hebdomadaire à quarante heures, congés payés, généralisation des conventions collectives, etc.). Mais ces acquis ne suffisent pas à mettre un terme au mouvement, bien au contraire. Découvrant que la lutte paye, les fractions les plus éloignées de l’action syndicale et politique prennent ensuite le relais. Pratiquement toutes les branches de l’économie seront touchées par ce mouvement, à l’exception des secteurs les mieux protégés (services, fonction publique), qui resteront fidèles à la collaboration de classe prônée par la CGT réformiste.

Finalement, la principale leçon que l’on peut tirer du Front populaire, c’est que des revendications sociales que les experts, les gouvernants et les patrons jugeaient « utopiques », « irréalistes », voire « suicidaires » deviennent légitimes quand les dominés parviennent à construire un rapport de forces qui leur est favorable. Certes, le combat ne s’est pas arrêté en juin 1936. Au cours des mois et des années suivants, les accords de Matignon seront constamment attaqués par le patronat, et ce n’est qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale qu’ils s’installeront durablement dans le droit français. Le démantèlement actuel du droit du travail marque sans doute une nouvelle étape dans cette histoire longue de la lutte des classes.

Le Front populaire montre aussi que les représentations collectives de la société sont bouleversées quand la classe ouvrière fait entendre sa voix. À la Belle Époque, le mouvement social avait permis l’irruption de la figure du mineur du Nord dans l’espace public. En 1936, c’est le « métallo de Billancourt » qui prend sa place. Ce nouveau personnage, incarné au cinéma par Jean Gabin (La Belle Équipe), occulte certes le rôle joué par les femmes, par les immigrés, par les travailleurs coloniaux dans l’immense mobilisation populaire de cette période. Néanmoins, même si le métallo de Billancourt ne représente qu’une partie du peuple en lutte, sa présence impose le respect pour le peuple tout entier. La droite et l’extrême droite tenteront de discréditer le mouvement en affirmant que les grèves ont été orchestrées par les bolcheviks depuis Moscou. Mais jamais Léon Blum ne cautionnera cet argument.

Un demi-siècle plus tard, la société française est à nouveau confrontée à une crise économique qui provoque l’effondrement des bastions de la grande industrie. En mai 1981, la victoire de François Mitterrand suscite un espoir dans les classes populaires. Un « printemps syndical » émerge dans l’industrie automobile, sous l’impulsion des ouvriers spécialisés (OS). Mais ceux-ci ne parviennent pas à entraîner dans leur sillage les autres composantes du monde ouvrier. Le rapport de forces est insuffisant pour donner sa légitimité au mouvement dans l’espace public. Sous l’influence des médias, qui multiplient les reportages montrant des musulmans faisant leurs prières dans les ateliers, Pierre Mauroy, le premier ministre socialiste, finira par déclarer en janvier 1983 : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés (…) qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises (7).  » L’argument traditionnel de la droite, visant à discréditer les luttes sociales en présentant les grévistes comme des agitateurs à la solde de l’étranger, est alors avalisé par celui qui appartient au même parti et qui occupe la même fonction que Léon Blum en 1936.

Le Front populaire est définitivement mort ce jour-là.

Gérard Noiriel - Historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dernier ouvrage paru : Chocolat. La véritable histoire d’un homme sans nom, Bayard, Paris, 2016.

Notes :

(1) Colloque organisé par la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation européenne d’études progressistes et le think tank Terra Nova.

(2) Pour une analyse approfondie, cf. Les Ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècle, Seuil, Paris, 1986.

(3) Le « marchandage » désigne la pratique consistant, pour un intermédiaire ou « sous-entrepreneur », à revendre le travail d’ouvriers à un autre employeur.

(4) Claude Didry, L’Institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire, La Dispute, Paris, 2016.

(5) Edward Shorter et Charles Tilly, Strikes in France, 1830-1968, Cambridge University Press, 1974.

(6) Syndicat issu d’une scission de la CGT, qui a existé de 1921 à 1936.

(7) Cité par Nicolas Hatzfeld et Jean-Louis Loubet, « Les conflits Talbot, du printemps syndical au tournant de la rigueur (1982-1984) », Vingtième Siècle, no 84, Paris, 2004.

 publié le 3 mai 2022

Simon Duteil : « Le premier débouché politique des mobilisations sociales c’est d’abord des victoires sur les luttes »

Entretien par Pierre Jacquemain | 3 mai 2022

Lendemain de 1er mai, fête internationale des droits des travailleurs et travailleuses, peut-on se diriger vers un troisième tour social ? Simon Duteil, porte-parole de Solidaires, est l’invité de #LaMidinale.

 

UNE MIDINALE À VOIR… sur https://youtu.be/7-a-3REi7TY

 

 

ET À LIRE... :

Sur le troisième tour social

« Pour nous, ça n’est pas un troisième tour. Nous avons été là avant l’élection présidentielle, pendant - notamment mobilisés contre l’extrême droite - et nous serons présents après. »

« On peut penser que la période est propice à des mobilisations sociales fortes. Au moins pour trois aspects : 1- La question des salaires et des minima sociaux - il y a un appauvrissement de millions de personnes qui ne date pas d’il y a quelques semaines -. 2- La volonté d’attaquer nos retraites et nos protections sociales. 3- La crise écologique (…). Tout ça, ça peut faire des ingrédients favorables pour des mobilisations sociales. »

Sur le bilan du 1er mai

« On n’a pas encore tiré de bilan collectif du 1er mai qui s’est déroulé dimanche dernier. »

« Le 1er mai n’était pas plat. Il n’était pas non plus totalement extraordinaire, c’est évident, mais il y avait du monde et surtout, il n’y avait pas que des permanents syndicalistes. »

« Le 1er mai cette année est tombé un dimanche et c’est pas un jour pratique pour mobiliser. Par ailleurs, c’est les vacances pour plusieurs zones. »

« On sort aussi d’un moment Covid qui a fait perdre des réflexes collectifs en terme de participation à des manifestations. »

« Dans les grandes villes, on a encore du mal à venir aux manifestations avec des enfants parce qu’on se souvient des attaques violentes des forces de l’ordre et ça ne permet pas encore de venir de manière sereine aux manifestations. »

Sur le contexte économique et social

« C’est compliqué d’anticiper les destructions d’emplois à venir. »

« Ce qu’on redoute le plus en ce moment, c’est que l’écart continue de se creuser dans l’accaparement des richesses. »

« Ce qu’on voit depuis des décennies, c’est que sur les richesses produites, il y a un accaparement de plus en plus grand de la part du patronat et des actionnaires. »

Sur les emplois non pourvus

« Les salaires peu attractifs n’aident pas à pourvoir certains emplois. L’autre aspect, c’est les conditions de travail : il n’y a pas juste ce qu’on touche à la fin du mois, il y a aussi la façon dont on travaille et il y a plein de secteurs et milieux où le travail est dégradé. »

« Le gouvernement nous explique qu’on approche du plein emploi mais il a tendance à oublier que d’une part il y a beaucoup de gens radiés qui disparaissent des statistiques du chômage. D’autre part, il y a beaucoup d’emplois qui sont de très mauvaises qualités et avec la réforme de l’assurance chômage on oblige beaucoup de monde a accepter des boulots de merde. Enfin, il y a des gens qui sont obligés d’accepter tout ça, de part leur statut et je pense aux travailleurs sans papiers qui se retrouvent sur des emplois sous payés avec des conditions de travail hyper dégradées. »

Sur l’inflation et la hausse des prix

« On souhaite une hausse des salaires. On est pour un SMIC à 1700 euros nets et pas de pension de retraite en dessous du SMIC. »

« L’enjeu, c’est quand même de donner les moyens à tous de vivre et non de survivre. »

« Il faut une augmentation immédiate des salaires de 400 euros. »

« Il faut limiter les revenus de 1 à 5. »

Sur la réforme des retraites

« On se prépare à tout de la part du gouvernement. »

« On veut aller vers un maximum de salariés pour leur ré-expliquer ce qu’est notre système de protection sociale et où sont les mensonges du gouvernement. »

« On va aussi se préparer avec d’autres syndicats à faire face s’il y a nécessité. »

« Le dialogue social avec le gouvernement ressemble souvent à de la soumission sociale. »

Sur les accords de la gauche et des écologistes aux législatives

« Le premier débouché politique des mobilisations sociales c’est des victoires sur les luttes. »

« On préfère un gouvernement qui affiche qu’il veut être progressiste. »

« Le mouvement syndical n’oublie pas ce qu’il s’est passé en 1983 ou plus récemment ce qu’il s’est passé en Grèce avec Alexis Tsipras. Il y a toujours les promesses et puis la réalité derrière. »

« En tant que travailleurs et travailleuses organisé.e.s, il y a en a qui participent aux élections. »

« La séquence aux législatives se finit le 19 juin et nous, en tant que travailleurs organisés, notre séquence ne s’arrête pas le 19 juin. »

Sur le social et le politique

« En tant que syndicalistes, on fait de la politique. On ne pense pas que la politique, c’est juste des élections. »

« Plus Jamais Ça était une coalition d’associations et de syndicats. Pas avec des organisations politiques même si on a des liens, des passerelles et qu’on discute. »

« On n’est pas en 1936. »

« Ce qu’on veut, c’est construire les choses par les luttes. »

« Le cœur du pouvoir est économique. »


 

publié le 1er mai 2022

Un troisième tour revendicatif
contre Macron

Cécile Rousseau, Clotilde Mathieu et Ludovic Finez sur www.humanite.fr

Mobilisations Partout, les manifestants ont exigé plus de justice sociale lors de ce 1er Mai marqué par une opposition frontale au président réélu et émaillé d’incidents.

«Emmanuel Macron, suppôt des patrons ! » En ce 1er Mai post-réélection, les slogans scandés depuis cinq ans sont toujours d’actualité. Quelque 50 000 personnes ont défilé à l’appel de la CGT, de l’Unsa, de la FSU et de Solidaires, mais aussi des organisations de jeunesse, dans les rues de Paris. À Lyon, ce sont entre 4 000 et 6 000 manifestants qui ont battu le pavé, plus que l’an dernier selon la CGT, qui comptabilisait 255 rassemblements en France. Dans la capitale, des incidents ont émaillé les début et fin de parcours de cette journée où se mêlaient revendications sociales et politiques. De son côté, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a adressé un message clair au locataire de l’Élysée : « Nos exigences sont toujours là sur l’augmentation du Smic et le refus de la retraite à 65 ans! » Sur ce projet de réforme, il estime qu’une journée d’action « est possible avant la rentrée ».

Paris : le pouvoir d’achat dans toutes les têtes

En tête de cortège, un gilet jaune tentait de résumer le sentiment général sur une peluche géante : « Emmanuel Macron, je te déteste de tout mon cœur. » Sous les blouses blanches, la colère gronde aussi depuis un bon moment. Christine Huet, infirmière de bloc à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) et élue CGT, ne supporte plus ce système en bout de course : « Nous n’avons pas les budgets pour notre projet d’ouvrir 120 lits d’Ehpad et un centre de soins de suite et de réadaptation. Il reste difficile de recruter. Avec la renégociation des grilles salariales, certains collègues n’ont touché que 4,60 euros en plus par mois ! » Des services publics aux usines, le pouvoir d’achat est dans toutes les têtes. « Il y a un problème avec les salaires dans ce pays ! tacle Marc Darcy, élu CGT chez Stellantis à Poissy (Yvelines). Il faut reprendre le chemin des luttes pour obtenir des résultats ! Nous avions demandé 400 euros d’augmentation annuelle il y a deux ans, sans tenir compte de l’inflation. Au final, nous avons dû nous contenter de 40 euros brut. » Choqué par le salaire astronomique du PDG Carlos Tavares (19 millions d’euros), il dénonce les milliards versés aux actionnaires « grâce aux cadences soutenues que nous avons fournies et au chômage partiel financé par l’État. Les élections ne sont pas finies mais nous devons aller chercher l’argent là où il est tout de suite ! » Du côté des métiers du soin, la solidarité intergénérationnelle joue à plein. Aide médico-psychologique retraitée, Anise le répète plusieurs fois : elle est venue en soutien à ses ex-collègues. « Je refuse de rester sur mon canapé tant que nos métiers ne sont pas reconnus et revalorisés ! » lance-t-elle. Sylvie, aide à domicile de 58 ans, chasuble FO sur le dos, réalise au quotidien des toilettes, pourtant non incluses dans son contrat, en plus de ses tâches de ménage et de courses.  « Je ne suis pas payée pour ça. Je cours partout dans Paris, je monte les escaliers et je soulève des gens. Je ne me vois pas faire ça jusqu’à 65 ans. Si nous ne sommes plus là, qui va s’occuper des personnes âgées et des personnes en situation de handicap ? » Derrière la bannière de l’union syndicale Solidaires, des dizaines de sans-papiers employés par Chronopost à Alforville (Val-de-Marne) exigent toujours leur régularisation. Au bout de six mois de lutte, l’attente devient insoutenable pour Djibrirou : « Macron n’a jamais rien fait pour nous ! Il est temps de nous donner des papiers et de nous rendre notre dignité. »

Lille : à la recherche d’un relais politique pour les luttes

« Nous demandons l’annulation de la réforme de l’assurance-chômage et le retour à la retraite à 60 ans. » Parmi les 2 000 manifestants à Lille, Nathalie Renard, danseuse et comédienne, est venue avec des camarades du SFA-CGT (Syndicat français des artistes interprètes). Elle évoque les réalités du spectacle vivant : « Nos cachets sont bloqués. Dans la plupart des compagnies, on gagne la même chose qu’il y a quinze ans. » « Cela en décevra beaucoup si l’union ne se fait pas à gauche », conclut-elle, évoquant les législatives. « On espère une nouvelle majorité », confirme Corinne Veegaete, drapeau SUD santé sociaux à la main. Agent dans un établissement pour personnes handicapées, elle pointe la chute du pouvoir d’achat. Pour ses collègues, dont les salaires sont au ras des pâquerettes, mais aussi pour les usagers, dont l’allocation aux adultes handicapés (AAH) « n’est pas revalorisée ».

Même « espoir d’une majorité à gauche » chez Marie Bernyn et Sandrine Desmettre, chasubles de la CGT sur le dos, qui travaillent respectivement à la Carsat (Caisse d’assurance-retraite et de santé au travail) et dans le groupe de protection sociale Malakoff Humanis. « Il faut augmenter les salaires, les minima sociaux, les pensions et préserver les cotisations sociales, qui permettent de financer l’assurance-chômage, les retraites, la Sécurité sociale… Les services publics sont également au cœur des débats : hôpitaux, pompiers, écoles… » résument-elles. Au démarrage du cortège, c’est d’ailleurs aux « camarades députés ou futurs députés » que s’est notamment adressé Stéphane Vonthron, de l’union locale CGT de Lille, face à un groupe fourni aux couleurs de l’Union populaire. « Nous avons besoin que nos revendications soient portées par la lutte mais aussi dans l’Hémicycle. Sans luttes syndicales, il n’y aurait pas eu les congés payés, la Sécurité sociale… » rappelle-t-il, insistant particulièrement sur la précarité des livreurs à vélo. « Le blocage des prix, l’augmentation du Smic, la baisse du temps de travail, oui, c’est toujours possible ! » embraye le député lillois FI Adrien Quatennens, quand le micro lui est passé, appelant à une « revanche dans les urnes en juin ».

« Aucune élection n’ira dans le sens du peuple. On veut une vraie révolution, obtenir par la rue le RIC (référendum d’initiative citoyenne), la justice fiscale, sociale et écologique ! » tranche de son côté Sylvain « Robespierre », à la tête d’un petit groupe de gilets jaunes. Il le reconnaît : les règlements de comptes internes sont sévères depuis l’élection de Macron face à Le Pen.

Saint-Nazaire : de nombreux combats dans les usines

L’horizon était toujours nuageux, ce dimanche, place de l’Amérique-latine à Saint-Nazaire, où 700 personnes se sont rassemblées face aux imposants blocs de béton de la base sous-marine. L’appel à la mobilisation lancé par les syndicats n’a guère fait mouche auprès des salariés. Seuls les plus militants étaient présents, déçus du niveau de mobilisation. « Les salariés sont désabusés », « dépités », « repliés sur eux-mêmes », même « s’il y a une prise de conscience des dangers que comporte la réélection d’Emmanuel Macron », en pointant notamment le recul de l’âge de la retraite à 65 ans, estiment Fabien Pouessel et Christophe Grigard, CGT territoriaux. En 2010, pointe un autre syndicaliste, « la place était noire de monde ». La séquence électorale n’a pas aidé, estiment-ils. Dans les terres périphériques, où les usines s’étendent, comme à Donges, Montoir-de-Bretagne, le Rassemblement national est arrivé en tête aux premier et deuxième tours de l’élection présidentielle. Ceux qui votent « Marine » en parlent désormais « ouvertement », sans d’ailleurs penser « extrême droite », raconte Benoît. Face à sa montée, les responsables de l’union locale CGT souhaitent aller dans les entreprises, dans la perspective des élections législatives, faire campagne « sur les dangers du programme de Marine Le Pen », même si la tâche est « très compliquée ».

Cette place clairsemée où les interrogations sont nombreuses fait toutefois contraste avec ce que vit Karl, ouvrier chez Airbus. Dans son usine, les mouvements sur les salaires, mais aussi et surtout sur les conditions de travail se sont multipliés. Depuis le début de l’année, ce sont treize débrayages sur le site, avec à chaque fois 260 à 300 ouvriers « qui sortent », sur les 840 à statut, poursuit le délégué syndical. Tout comme à la raffinerie Total de Donges, où les « cols bleus » ont tenu trois semaines en grève pour exiger l’embauche des intérimaires en production. Les luttes ruissellent. Dans de toutes petites entreprises sous-traitantes, « des salariés nous appellent pour savoir comment s’y prendre pour faire grève sur les salaires », affirme Sabine Bernard, cosecrétaire générale de la CGT locale. Autant de forces qui manquent ce dimanche. Sabine, Karl et tant d’autres restent optimistes et motivés. Les militants savent que pour « faire bouger », il faudra « énormément de travail de terrain ».

ublié le 30 avril 2022

1er mai. Par nos luttes construisons
un autre avenir

Sur https://solidaires.org/

Les élections présidentielles ont confirmé l’exaspération d’une grande partie des salarié·es et de la population devant les mesures anti-sociales prises par le gouvernement Macron, pour le plus grand bénéfice d’une minorité de riches et de grandes entreprises. Les politiques liberticides des gouvernements successifs enferment la société dans une spirale sécuritaire. Elles sont un tremplin pour l’extrême-droite.

Les élections ont aussi à nouveau été l’occasion pour l’extrême-droite d’instrumentaliser la peur du déclassement social, de la précarité et de la pauvreté, au point qu’une partie de la population a été séduite par ses fausses mesures sociales. Comme à son habitude, l’extrême-droite a tenu un discours de rejet et de haine des étranger.es et des immigré-es.

Emmanuel Macron et ses ami-es de tout bord entendent amplifier l’action entamée au précédent quinquennat : austérité pour les salarié-es et attaque contre la protection sociale avec l’annonce d’une nouvelle contre-réforme des retraites. C’est cette politique qui a constitué, pour une large part, le terreau sur lequel l’extrême droite ne cesse de se développer en entretenant un climat raciste et haineux.

Si Emmanuel Macron a été élu, c’est en grande partie pour éliminer la menace, pire encore. L’Union syndicale Solidaires a toujours combattu, et combattra les mesures qui, plutôt que de s’en prendre aux actionnaires, au patronat, opposent les travailleurs et travailleuses entre elleux, les pressurisent et pointent les immigré·es comme responsables de tous les maux. Notre Union rejette et combat le fascisme, la xénophobie, le racisme, l’impérialisme et la haine de l’autre.

Contre l’extrême-droite et l’ultralibéralisme, nous devons renforcer les luttes sociales et mettre plus que jamais en avant la solidarité et la paix entre les peuples. Seules les luttes à venir, des mobilisations massives pourront mettre le rapport de force du côté des intérêts des travailleur-euses, et de tous et toutes, et nous permettre de riposter aux attaques qui s’annoncent. Dans ce contexte, ce 1er mai revêt une importance toute particulière : il doit donc montrer que le mouvement social est présent et dans la rue !

Pour l’Union syndicale Solidaires, il est plus que jamais nécessaire de mener le combat pour les droits sociaux, les libertés publiques et l’égalité réelle. C’est l’ensemble de nos luttes, si essentielles, comme celles pour le climat, l’égalité femmes hommes, les droits des personnes discriminées, stigmatisées, handicapées, qui sont aussi en jeu à travers ce premier mai. Solidaires appelle l’ensemble des salarié·es, des privé·es d’emploi, des retraité·es, étudiant·es à la vigilance, à la mobilisation et à l’action.

Ensemble, faisons du 1er mai une journée de lutte et de mobilisation contre l’extrême-droite, l’ultralibéralisme, une journée pour la paix et la solidarité internationale, la justice sociale et la démocratie.

Lançons la contre offensive pour construire un autre avenir !

Philippe Martinez: « Il n’y aura pas d’état de grâce »

Rosa Moussaoui et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Entretien Après un premier quinquennat macronien d’une violence sans nom à l’égard des travailleurs, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, appelle à donner, dès le 1er Mai, le ton d’une riposte d’ampleur propre à faire plier l’hôte de l’Élysée sur les retraites, sur les salaires, sur toutes les exigences sociales et environnementales.


 

Emmanuel Macron a fait campagne en rejetant le principe du front républicain, pour mieux se prévaloir des suffrages qui se sont portés sur lui pour barrer la route au RN. Il a défendu un programme de démolition sociale. Comment affronter ce projet, dans ces conditions ?

Philippe Martinez : Il avait adopté la même attitude en 2017. Il a fait campagne, au premier tour, en éludant son bilan, tout comme les mobilisations sociales qui ont rythmé­ son premier quinquennat. Et au second tour, il a voulu se prévaloir d’un vote d’adhésion à son programme. La meilleure réponse à lui apporter se trouve dans la rue, en intensifiant les mobilisations sur les questions sociales qui se sont imposées malgré tout dans cette campagne présidentielle. Ce 1er Mai, nous avons une occasion en or, une semaine après le second tour, de porter plus haut et plus fort des exigences ­sociales et environnementales aux antipodes de son programme. Il n’y a pas eu de trêve sociale pendant cette campagne, il n’y aura pas d’état de grâce. ­Emmanuel Macron a les pieds décollés du sol, mais il va redescendre : d’autres avant lui étaient droits dans leurs bottes et puis ils ont plié parce qu’il y avait du monde dans la rue. Le rapport de forces, ça reste une valeur sûre.

L’une de ses mesures phares : la retraite à 65 ans. Cette promesse de régression a soulevé un tollé… Devant cette ligne dure, comment le faire reculer ? Peut-on espérer la constitution d’un front syndical uni sur les retraites ?

Philippe Martinez : Les retraites sont un marqueur essentiel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce sujet a fait l’objet de discussions ardues durant son précédent quinquennat : l’opposition à un nouveau recul de l’âge du départ à la retraite est claire et je ne comprends pas comment il espère nous refaire le coup de la « concertation ». On a assez usé notre salive. Le front syndical uni, sur ce terrain, existe dans les paroles. Il reste à le concrétiser dans les actes et à tout faire ensemble, dans la rue, dans les mobilisations, pour empêcher le report de l’âge de la ­retraite à 65 ans. Nous avons engagé, avec les autres centrales syndicales, de premiers échanges. L’opposition reste unanime.

L’opposition à un nouveau recul de l’âge du départ à la retraite est claire et je ne comprends pas comment il espère nous refaire le coup de la « concertation ».

Il est question d’une grande « conférence sociale », de consultation des partenaires sociaux sur la pénibilité, sur les mesures d’accompagnement. Y voyez-vous un changement de méthode ?

Philippe Martinez : Nous avons discuté pendant deux ans. Ce projet de réforme a donné lieu à l’une des plus grosses mobilisations du quinquennat, pendant trois mois. Tout le monde s’y oppose. Lors du premier quinquennat, la « concertation » s’est traduite par : « Donnez votre avis mais je fais ce que je veux. » Si Emmanuel Macron avait effectivement changé, il aurait tout simplement abandonné ce projet de porter l’âge de départ à la retraite à 65 ans.

C’est la bataille principale de ce début de quinquennat ?

Philippe Martinez : C’est une bataille cruciale, au même titre que les salaires. Nous vivons dans un pays où les salariés sont de plus en plus pauvres. Certains même basculent dans l’extrême pauvreté. L’augmentation des salaires est donc une priorité. Le Smic va augmenter : cela ne tient pas à une décision de l’Élysée mais à un calcul automatique. Ce n’est pas une décision politique, c’est une formule mathématique établie par des « experts ». Or, avec cette augmentation mécanique du Smic, on va se retrouver avec 171 minima de branches au-dessous du salaire minimum. Nous proposons donc une automaticité du relèvement des minima de branches quand le Smic augmente. Voilà une première mesure nécessaire et urgente que devrait prendre Emmanuel Macron au lendemain de son élection.

Le combat des travailleurs sans papiers met en lumière les responsabilités du capital, des grandes entreprises qui les exploitent par l’intermédiaire de sous-traitants pour disposer d’une main-d’œuvre sans droits et bon marché.

Comment évaluez-vous l’impact des luttes salariales qui rythment la vie sociale en France depuis l’automne dernier ?

Philippe Martinez : Ces luttes ont contribué à placer la question du pouvoir d’achat au cœur d’une campagne qui s’annonçait dominée par les thèmes de la sécurité et de l’immigration. Ces revendications n’ont pas commencé avec l’envolée de l’inflation et les effets de la guerre en Ukraine : elles ont émergé bien avant, avec le débat sur la reconnaissance des salariés qui se sont trouvés en première, en seconde ligne dans la pandémie de Covid-19.

Et ça continue, avec, par exemple, les salariés d’Amazon­, ou encore ceux de Dassault, qui viennent de gagner une augmentation moyenne de 300 euros net par mois. Ces derniers ne sont pas les plus mal ­rémunérés de France mais leur victoire est très importante d’un point de vue symbolique puisque le PDG de Dassault, Éric Trappier, est en même temps président de l’UIMM. J’imagine qu’il a dû hésiter avant de plier devant la colère de ces salariés, vu le précédent qu’il entérine ainsi et la pression de ses collègues patrons de la métallurgie.

Le gouvernement avait annoncé entre les deux tours l’instauration d’un mécanisme pour empêcher le basculement des salaires des agents publics au-dessous du Smic.

Philippe Martinez : Pour l’instant, ce sont des promesses. Comme les promesses d’augmentation du point d’indice gelé depuis douze ans. Ce n’est pas seulement l’inflation qu’il faut rattraper, c’est douze ans de retard !

Le mouvement social a ses responsabilités, il essaie de les assumer, mais il y a un vrai problème de relais politique et les élections que nous venons de vivre posent cette question de façon plus aiguë encore.

Les centrales syndicales ont cultivé ces dernières années une stricte séparation du politique et du revendicatif. Cette stratégie ne trouve-t-elle pas ses limites dans la présente situation de crise démocratique marquée par des régressions, sans victoires significatives du mouvement social ? Un front de résistance et de progrès social peut-il prendre forme par-delà ces démarcations ?

Philippe Martinez : Je ne suis pas d’accord sur le fait que les syndicats aient entretenu une forme de neutralité dans le débat politique. Le rôle d’une organisation syndicale, c’est de changer le quotidien et de travailler pour l’avenir. On s’est quand même beaucoup exprimé dans la dernière période, avant le premier tour, entre les deux tours. Par exemple, que les secrétaires généraux de la CFDT et de la CGT s’expriment d’une voix pour faire entendre un message fort appelant à la bataille commune contre les idées fascistes et l’extrême droite, ce n’est pas anodin. Nous sommes indépendants, mais pas neutres. Ensuite, je crois qu’on fait peser beaucoup de responsabilités sur le mouvement social, alors même que nos luttes peinent à trouver des relais politiques. Peut-être que ceux qui nous renvoient la patate chaude devraient la garder dans leurs mains. Il y a eu beaucoup de mobilisations sociales ces cinq dernières années, et j’y inclus bien sûr les gilets jaunes. Comme secrétaire général de la CGT, j’ai été confronté à deux présidents de la République aux étiquettes politiques différentes, avec les mêmes résultats en matière de casse du Code du travail. Le mouvement social a ses responsabilités, il essaie de les assumer, il le fait imparfaitement mais il y a un vrai problème de relais politique et les élections que nous venons de vivre posent cette question de façon plus aiguë encore.

Le Rassemblement national confirme son ancrage électoral dans le monde du travail. Et parmi les sympathisants de syndicats, le vote d’extrême droite progresse : 21 % pour le RN au premier tour, soit 8 points de plus qu’en 2017, et 22 % chez les sympathisants de la CGT, malgré le travail dans ses rangs pour faire reculer les idées d’extrême droite. Comment l’expliquez-vous ?

Philippe Martinez : Le vote en faveur du RN est plus faible parmi les salariés proches des organisations syndicales ; cela dit, il progresse, quelle que soit la proximité syndicale. Ce qui veut dire que le travail important que nous faisons sur ce terrain n’est pas suffisamment efficace. Nous devons y réfléchir, nous adresser plus directement à ceux qui sont tentés par le vote d’extrême droite. Les formations que nous proposons confortent pour l’essentiel ceux qui sont déjà convaincus. On ne peut pas s’en tenir là. Il faut aller maintenant dans les syndicats, dans les entreprises, cesser d’éluder ces questions, discuter avec ceux qui votent RN plutôt que de les envoyer sur les roses.

Il faut aller maintenant dans les syndicats, dans les entreprises, discuter avec ceux qui votent RN plutôt que de les envoyer sur les roses.

Des secteurs entiers de l’économie s’effondreraient sans les travailleurs migrants. Les organisations syndicales, leur activité reflètent-elles cette réalité sociale française ?

Philippe Martinez : Je n’ai pas tendance à faire de l’autosatisfaction : nous devons faire mieux et plus. Cela dit, la CGT est l’une des rares organisations syndicales en France à lutter aux côtés des travailleurs sans papiers et c’est pour nous une grande fierté, malgré ce climat ambiant détestable. Leur combat met en lumière les responsabilités du capital, des grandes entreprises qui les exploitent par l’intermédiaire de sous-traitants pour disposer d’une main-d’œuvre sans droits et bon marché. Nous ne devons surtout pas lâcher ce combat auprès de ces travailleurs essentiels. Quand ils gagnent des droits, ils font reculer le dumping social ici même et font avancer les droits de tous.


 

Donc, de nombreuses raisons de manifester ce dimanche 1° mai,

à Montpellier c’est à 10h30 au Peyrou

publié le 28 avril 2022

1er Mai, première réponse sociale à Macron

Cyprien Boganda et Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

MOBILISATION Une semaine après la réélection du président, le 1er Mai va prendre une coloration particulière. Les syndicats veulent lancer le début de la riposte dans la rue, face à un locataire de l’Élysée qui promet des lendemains très libéraux.

Un peu désuète, l’expression n’a jamais semblé aussi anachronique. « L’état de grâce », sorte de lune de miel supposée unir le dirigeant fraîchement intronisé avec les citoyens, n’aura même pas duré le temps d’une soirée. Président mal élu et déjà contesté, Emmanuel Macron va peut-être ressouder à ses dépens une forme d’unité syndicale, en accumulant des réformes très décriées : le recul de l’âge de départ à la retraite est ainsi dénoncé aussi bien par la CGT que par la CFDT, dont le dirigeant, Laurent Berger, évoque une mesure « injuste » et « brutale ». Ce dimanche 1er mai, les syndicats veulent sonner le début de la riposte, autour de mots d’ordre sociaux et politiques (lire aussi l’encadré page 4). « La meilleure réponse à apporter (à Emmanuel Macron) se trouve dans la rue, en intensifiant les mobilisations sur les questions sociales qui se sont imposées malgré tout dans cette présidentielle », prévient Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dans l’Humanité magazine.

1. Retraites, une réforme rejetée en bloc

Le président-candidat a cherché à rassurer sur sa gauche, en promettant qu’il réformerait dans la « concertation ». Las ! Le lendemain de sa réélection, son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ne fermait pas la porte à l’utilisation du 49-3 pour entériner l’une des réformes les plus explosives de son nouveau quinquennat, celle des retraites. De 62 ans aujourd’hui, l’âge de départ passerait à 64 ans vers 2027 (donc à la fin du quinquennat), avant d’être porté ensuite à 65 ans après une mystérieuse étape de « revoyure ». Pour les syndicats, c’est niet. « Nous considérons que cette réforme ne répond en rien à une nécessité incontournable », nous confiait Yves Veyrier, secrétaire général de FO, en début de semaine.

Pour Régis Mezzasalma, conseiller confédéral sur les retraites à la CGT, les deux mesures censées atténuer le choc – le maintien du dispositif « carrières longues », permettant à certains assurés de partir plus tôt, et la prise en compte de la pénibilité – ne constituent pas des contreparties acceptables. « Aujourd’hui, le dispositif “carrières longues” relève de plus en plus de la chimère : ses critères sont très restrictifs et les avantages peu généreux. Cela ne concerne que des gens justifiant d’une année de cotisation complète avant 20 ans, qui ont donc commencé à travailler extrêmement tôt. En comptant 43 annuités (désormais nécessaires pour partir à taux plein – NDLR), cela fait partir à 62 a ns… »

Quant à la prise en compte de la pénibilité promise par Emmanuel Macron, le syndicaliste demande à voir, mais critique la philosophie de la mesure : « Au lieu d’œuvrer à l’amélioration des conditions de travail en amont, on persiste dans une logique de réparation des dégâts en fin de carrière. » Reste à savoir si les syndicats, aujourd’hui opposés au principe même de la réforme, sauront faire front le cas échéant… Ils pourront en tout cas s’appuyer sur une opinion publique opposée, à 69 %, au recul de l’âge de départ, selon un sondage d’Elabe de mars 2022.

2. Les plus précaires pris pour cibles

Emmanuel Macron s’acharne à stigmatiser les chômeurs et les plus précaires, au nom d’une relecture punitive du contrat social selon laquelle les « devoirs » passeraient « avant les droits ». Sa proposition de conditionner le RSA à des heures de travail hebdomadaire plaît à la droite mais hérisse les syndicats. Même chose pour sa volonté d’accentuer la pression sur les chômeurs. « D’ici à la fin de l’année, nous allons devoir renégocier une convention d’assurance-chômage, rappelle Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO. Mais, depuis 2018, la loi prévoit que les syndicats doivent s’inscrire dans une lettre de cadrage du premier ministre : nous aurons très peu de latitude pour revenir, par exemple, sur la réforme restreignant l’accès aux indemnités chômage (entrée en vigueur fin 2021 – NDLR). On risque d’avoir droit à un nouveau tour de vis sur les chômeurs, pour les contraindre à accepter n’importe quel boulot… »

Le nouveau président a également l’intention de transformer Pôle emploi en un organisme nommé France Travail, avec la création d’un guichet unique réunissant les compétences de Pôle emploi, des communes et autres missions locales. « On se demande quelle forme cette fusion prendrait, s’inquiète Francine Royon, de la CGT Pôle emploi. Une chose est sûre : cette transformation est guidée par une volonté de réaliser des économies à tout prix, ce qui n’est jamais une bonne chose. La fusion de l’ANPE et des Assedic, décidée par Nicolas Sarkozy dans un souci de “simplification” (en 2008 – NDLR), a abouti à une dégradation de la qualité du service et des conditions de travail… »

3. Les salaires dans toutes les têtes

Chez les salariés, la colère suit la courbe des prix. Les annonces d’Emmanuel Macron au fil de sa campagne ont attisé la contestation sociale. Le chèque alimentaire n’a toujours pas de montant et la prime inflation s’est évaporée aussi vite qu’un plein d’essence. Les Français attendent toujours la réindexation des pensions de retraite à l’inflation ou le dégel du point d’indice des fonctionnaires. D’autant qu’aucun coup de pouce au Smic n’est envisagé.

Sur le terrain, la colère gronde toujours. Dans l’agro­alimentaire, la CGT engrange les victoires sur les salaires, où les augmentations arrachées se situent en moyenne autour de 5 %. En ce moment, les actions se multiplient chez Danone, Évian, Badoit ou Volvic. Pour tenter d’apaiser ce climat social tendu, les patrons prennent exemple sur le gouvernement et multiplient les primes. À l’image du groupe Nestlé, qui a proposé aux syndicats une hausse de 2,3 % à laquelle s’ajoute un « abondement » de 850 euros à l’intéressement, permettant de faire gonfler l’enveloppe jusqu’à 2 000 euros.

D’autres préfèrent jouer la montre, en envoyant les CRS sur les piquets de grève. Chez RTE, dans les établissements de maintenance, les salariés débrayent depuis dix semaines. « À Lyon, l’arrêt de travail est de deux heures par jour », raconte le délégué syndical CGT Francis Casanova. Avec un salaire minimum de branche à seulement 30 euros au-dessus du Smic pour ces métiers très techniques, la proposition d’une revalorisation salariale de « 0,3 % » pour 2022 a fait descendre les techniciens de leurs poteaux. D’autant que le résultat net de l’entreprise, de 661 millions d’euros, est « pompé à 60 % par les actionnaires », lance le syndicaliste.

4. Un big bang pour les fonctionnaires

La poursuite de la réforme de la fonction publique inquiète les fonctionnaires. Le dégel du point d’indice ne va pas refroidir le climat. Attendu « avant l’été », celui-ci devrait être loin des attentes syndicales, qui prônent une hausse de 10 %. « Depuis 2011, la hausse des prix est supérieure à 13 %. Depuis le début du quinquennat actuel, elle est de l’ordre de 7,5 %. En juin 2022, les prévisions évoquent une inflation proche de 6 % sur un an. Il s’agit donc, à la fois, de rattraper, mais aussi d’anticiper », rappelle l’Unsa dans son communiqué.

Durant l’entre-deux-tours, le président de la République a annoncé vouloir « faire une réforme complète des grilles et de l’organisation » de la fonction publique, en indiquant qu’une partie de la rémunération se ferait au « mérite ». Car, a-t-il argumenté, « le système en catégories C, B et A a beaucoup de rigidités ». Une réforme dangereuse pour la représentante de la CGT, Céline Verzeletti, qui n’est toutefois pas opposée à « revoir la grille » sur la « question de l’égalité femme-homme » avec des « métiers fortement féminisés » du social, de la santé, de l’éducation, où les femmes se retrouvent dans les mêmes catégories, mais avec des grilles de rémunération différentes. En revanche, poursuit-elle, « les différentes catégories correspondent à la reconnaissance de nos qualifications ». Le risque pour les fonctionnaires est de se retrouver dans la même situation que les salariés du privé, où « les blocs de compétences n’ont rien à voir avec les diplômes », et d’exacerber encore plus les inégalités.

  à Montpellier, manif du 1° mai : 10h30 au Peyrou

 publié le 27 avril 2022

1er mai 2022

Plus que jamais
mobilisé-es pour nos revendications

communiqué CGT, UNSA, Solidaires, FSU, UNEF, VL, MNL, FIDL

La situation économique et sociale est en effet marquée par l’aggravation des inégalités, de la précarité et par la crise écologique qui s’accélère dangereusement. Les questions des salaires, des services publics, de protection sociale et de transition écologique devraient être au cœur des débats et amener des réponses concrètes.

Enfin, l’exigence de paix est aussi une revendication syndicale dans le contexte terrible des guerres notamment en Ukraine. C’est pourquoi les organisations syndicales CGT, UNSA, Solidaires, FSU, UNEF, VL, MNL et FIDL appellent d’ores et déjà à préparer un 1 er mai revendicatif pour faire de cette journée un temps fort de la mobilisation pour les salaires, les pensions, la protection sociale, les emplois, les services publics, l’engagement de la rupture écologique, la paix.

Pour une rupture profonde en matière salariale et pour les pensions. Avec un taux d’inflation qui s’emballe, la situation faite aux agent-es du public comme aux salarié-es, aux retraité-es, aux privé-es d’emploi comme aux étudiant-es n’est plus tolérable tandis que les milliardaires en France ont accumulé 236 milliards supplémentaires lors de la pandémie. Dans le public comme dans le privé, le travail des salarié-es doit être reconnu à la hauteur de sa valeur, des richesses qu’il crée, et garantir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Les étudiant- es doivent pouvoir faire leurs études sereinement sans subir la précarité. Les pensions de retraites doivent être également revalorisées. Le 1 er mai, exigeons des mesures fortes et générales d’augmentation des salaires et des pensions, des bourses étudiantes et un plan de rattrapage des pertes accumulées.

Pour arrêter de malmener les services publics. Alors que les services publics contribuent à répondre aux besoins de la population et à réduire les inégalités, pour les organisations syndicales, il est aujourd’hui temps de reconnaitre la valeur et l’engagement de leurs agent-es en améliorant leurs conditions de travail et en revalorisant d’urgence le point d’indice. L’urgence est en effet au renforcement et à la consolidation des statuts, à l’embauche massive et à la juste rémunération de tous les fonctionnaires. Pour défendre et conforter notre modèle social. Les organisations syndicales continuent d’exiger la suppression de la réforme de l’assurance chômage, comme elles s’opposeront à tout projet visant à reporter l’âge légal de départ en retraite. La préservation de notre modèle social et de son financement passe par la lutte contre le chômage, par les augmentations de salaires, par la lutte contre l’évasion fiscale ou encore par la fin des exonérations de cotisations sociales non compensées par l’État.

Pour la transition écologique. Ce 1 er mai doit être l'occasion d'exprimer la nécessité de mesures fortes et immédiates pour éviter les conséquences dramatiques du dérèglement climatique pour les écosystèmes et les populations. Cette question concerne au tout premier chef le monde du travail.

Pour lutter contre les semeurs de haine. Les organisations s’indignent de la montée des discours d’extrême droite qui propagent la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme et qui rejettent les luttes sociales, féministes, humanistes, ou encore d'identités sexuelles et de genre. Les organisations appellent à faire de ce 1 er mai un moment fort de réaffirmation des valeurs de solidarité et d’égalité et d’opposition à toutes les formes de discriminations.

Pour la paix et la solidarité internationale. Fidèle à sa tradition internationaliste, le mouvement syndical placera aussi ce 1 er mai sous le signe de sa solidarité avec le peuple ukrainien, et tous les peuples victimes des guerres. Les réfugié-es, d’où qu’elles et ils viennent doivent être accueilli-es dignement et sans discrimination, les citoyen-nes russes et biélorusses qui expriment leur opposition à la guerre doivent être soutenu-es. Nos organisations dénoncent l’agression de la Russie et militent pour la paix. Celle-ci passe par un retrait immédiat des troupes russes du sol ukrainien et par le retour à la diplomatie afin de dégager une solution respectueuse des droits des peuples et du droit international. Les crimes de guerre doivent être dénoncés et punis quel que soit le pays où ils sont commis. Enfin, les organisations syndicales exigent une politique d’accueil humaniste qui soit la même pour toutes et tous les réfugié-es quels que soient leurs pays d’origine.

Pour toutes ces raisons, la CGT, l’UNSA, Solidaires, la FSU, l’UNEF, la VL, le MNL et la FIDL appellent salarié-es, agent-es public-ques, jeunes, retraité-es ou encore les privé-es d’emploi à participer aux rassemblements et aux manifestations le plus massivement possible le 1er mai.


 

À Montpellier
la manifestation du 1° mai est à 10h30 au Peyrou

publié le 26 avril 2022

En quoi le syndicalisme
est-il essentiel à la démocratie ?

sur www,humanite,fr

Dans le collimateur du patronat et des gouvernements libéraux, l’action syndicale concourt à l’expression démocratique des travailleurs.


 

Le syndicalisme permet par l’action collective de faire reculer le pouvoir unilatéral des employeurs et parfois même l’État. Maryse Dumas, ancienne secrétaire confédérale de la CGT (1995-2009)

La démocratie ne peut se résumer à mettre périodiquement un bulletin dans l’urne. Elle doit surtout permettre au plus grand nombre, de toutes catégories sociales, de peser sur toutes les décisions et lieux de pouvoir. C’est l’une des missions et non des moindres du syndicalisme.

Par nature, il intervient directement au cœur du système d’exploitation, là où se noue la contradiction fondamentale d’intérêts entre capital et travail qui se répercute sur toute la société. Par son implantation et sa pratique, il permet à celles et ceux que la société brime de trouver un chemin pour s’exprimer, se faire entendre et respecter. Par l’action collective, il fait reculer le pouvoir unilatéral des employeurs, voire du pouvoir politique.

Il fait entendre les réalités sociales et parvient souvent à les modifier. Ses valeurs intrinsèques sont à l’opposé du libéralisme. À la destruction des collectifs de travail et aux mises en concurrence des salariés entre eux, il oppose, en actes, la recherche de solidarités d’intérêts et de luttes. À l’obligation d’adhérer aux objectifs stratégiques de l’entreprise pour la rentabilité du capital, il oppose la valorisation du travail et l’objectif de sa transformation pour lui donner un sens d’utilité sociale au service du bien commun. Affaibli, il a du mal aujourd’hui à déployer toutes ses potentialités, et cela participe de la crise démocratique profonde que traverse notre pays.

Sur les trente dernières années, la courbe est presque parallèle entre, d’un côté, l’affaiblissement syndical, notamment là où est son essence, c’est-à-dire sur les lieux de travail, et, de l’autre, l’accentuation des phénomènes de ressentiment et de violence tous azimuts, exacerbés par les impasses auxquelles ils conduisent. Quand on se sent isolé, impuissant à changer sa situation, quand on n’est ni respecté ni entendu, on devient une proie facile pour toutes les formes de rejet de l’autre dont l’extrême droite fait son fonds de commerce.

« L’action syndicale reste un puissant levier d’émancipation collective et d’affirmation de soi. » 

C’est en se ressourçant sur ses spécificités que le syndicalisme pourra le mieux se mettre à la hauteur des défis du moment. Comme le démontrent nombre de luttes récentes, l’action syndicale reste un puissant levier d’émancipation collective et d’affirmation de soi. La déployer au maximum, notamment dans les catégories les plus malmenées par le libéralisme, est un objectif majeur. Offrir à chacune et à chacun la possibilité de s’exprimer, de débattre, de se confronter avec d’autres avant de décider collectivement est la condition d’une inversion des rapports de forces à tous les niveaux.

Rien ne peut remplacer l’expérience de la construction de luttes collectives par les salariés eux-mêmes sur leurs lieux de travail, pour faire évoluer leurs conditions de travail et d’existence. C’est le point de départ, incontournable, pour vivifier des luttes d’ensemble aux objectifs plus vastes. C’est une condition essentielle de démocratie.


 

Le syndicalisme a contribué à « la démocratisation de la démocratie » en permettant la participation des classes populaires. Karel Yon, sociologue, Idhes (université Paris-Nanterre, CNRS)

On tend de plus en plus à vouloir confiner l’action des syndicats à la sphère de la démocratie sociale, souvent réduite à la pratique du « dialogue social » légitimée par les élections professionnelles. Or, le syndicalisme est essentiel à la démocratie « tout court ». Il a, pour commencer, joué un rôle décisif dans la démocratisation des sociétés nées du capitalisme industriel.

De la conquête « politique » des libertés collectives (d’organisation, de grève, de négociation) au tournant du XIX e siècle jusqu’à la construction de la Sécurité sociale au milieu du siècle suivant, syndicats et syndicalistes ont su édifier leurs propres institutions, façonner celles de l’État et des entreprises pour imposer des formes de citoyenneté sociale et industrielle qui ont permis que les classes populaires ne restent pas aux marges de la société.

« Les syndicats apparaissent aujourd’hui d’autant plus essentiels qu’ils se retrouvent bien seuls.  » 

Ce concours du syndicalisme à la « démocratisation de la démocratie » s’est longtemps fait de concert avec toute une nébuleuse de partis, associations et coopératives constituant le « mouvement ouvrier ». Mais force est de constater que les syndicats apparaissent aujourd’hui d’autant plus essentiels qu’ils se retrouvent bien seuls. Face à des mondes partisans, associatifs et mutualistes où les salarié·e·s du bas de l’échelle sont devenu·e·s rares, les syndicats restent l’un des rares cadres rendant possibles l’engagement de militant·e·s issu·e·s des classes populaires et leur promotion à des rôles de porte-parole.

Directement branché sur les espaces de travail – ce qui n’est pas le cas dans tous les pays –, le syndicalisme offre un espace de participation aux groupes socialement, symboliquement ou juridiquement dépourvus du droit de cité. En cela, il a été et reste à ce jour un puissant vecteur d’émancipation, au-delà même du périmètre institué de la citoyenneté politique, comme le rappellent régulièrement les remarquables grèves des travailleur·se·s sans papiers.

Mais cette vocation démocratique n’a rien de naturel. Elle dépend d’un travail militant et de pratiques organisationnelles. Les syndicats sont des caisses de résonance des contradictions de la société. En attestent les problèmes de violences sexistes dans certaines organisations, ou l’écho que rencontrent par endroits les idées d’extrême droite.

Maintenir l’actualité d’un syndicalisme inclusif, attentif à représenter la classe laborieuse dans sa diversité, suppose de multiples efforts : efforts d’éducation politique à l’histoire du mouvement ouvrier, aux valeurs et aux pratiques de la démocratie, de l’égalité et de la solidarité ; efforts de développement et d’intégration pour représenter les jeunes, les femmes, les étrangers, les fractions les plus précaires et les plus exploitées du monde du travail qui recoupent souvent toutes ces catégories. Un gouvernement soucieux de revitaliser la démocratie serait bien avisé de rendre aux syndicats les moyens de se consacrer à ces efforts.

À lire. Sociologie politique du syndicalisme par Sophie Béroud, Baptiste Giraud et Karel Yon,  Armand Colin, 2019.


 

Déclaration du Conseil d’administration d’ ATTAC- Second tour de la présidentielle : face à Macron, luttons pour construire nos alternatives !

sur https://france.attac.org

Le scrutin présidentiel qui vient de se terminer par l’élection d’Emmanuel Macron, représentant du néolibéralisme autoritaire, laisse un goût amer pour toutes les forces qui se réclament des combats écologistes, de la justice sociale et de l’égalité des droits.

La défaite de Marine Le Pen écarte pour l’instant le danger d’une prise en main de l’État et de ses administrations par l’extrême droite. Mais le score très élevé des candidat·es d’extrême droite (Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan) au premier tour, confirmé par celui du second, est une alerte sérieuse, qui pourrait être la dernière si une alternative progressiste de gauche ne se renforce pas au plus vite. Cela devient même vital tant les groupes fascistes et identitaires ont montré ces derniers jours le vrai visage de l’extrême droite en multipliant les agressions à l’encontre de musulman·es, de syndicalistes, de militant·es de gauche, dans le silence assourdissant de la plupart des médias. Cela devient aussi vital pour tou·tes celles et ceux, en grande souffrance sociale qui verront se dégrader encore davantage leurs conditions de vie.

E. Macron porte une responsabilité majeure dans la progression de l’extrême droite : d’une part, en banalisant avec ses ministres les thématiques de l’extrême droite et, d’autre part, en creusant les inégalités et renforçant les injustices sociales durant son quinquennat.

Président mal élu et fuyant le débat, il accède une seconde fois à la présidence de la République sans projet légitimé. Sa persistance à aggraver les injustices fiscales et sociales, à vouloir faire payer la dette aux plus pauvres et sa proposition de repousser la retraite à 65 ans ne rencontrent pas l’adhésion. Ses annonces de dernière minute sur l’écologie, ou sur les droits des femmes, ne laissent personne dupe. E. Macron bénéficie d’un mode de scrutin majoritaire à bout de souffle qui oblige les électeurs et électrices à donner leur suffrage au moindre mal au second tour. L’abstention, qui atteint un nouveau record de 28,01 %, reflète un rejet de l’offre électorale.

Ce résultat électoral pourrait provoquer démoralisation et démobilisation. Dans la mesure de ses moyens, Attac doit, avec les autres mouvements sociaux, lutter contre ces deux phénomènes. C’est par les mobilisations que nous pouvons défaire le projet néolibéral macroniste. La construction de projets émancipateurs se fait au quotidien dans les cadres collectifs que sont les associations, les syndicats, les collectifs, à toutes les échelles. La vie démocratique ne s’est jamais résumée aux échéances électorales.

Les luttes collectives à mener dès maintenant sont confrontées à deux dangers : celui des régressions sociales néolibérales et la menace identitaire, nationaliste et xénophobe. Pour faire une première démonstration qu’une dynamique collective existe en faveur de la justice sociale, environnementale et de la solidarité, nous descendrons massivement dans la rue le 1er mai pour construire une large opposition aux projets d’E. Macron.

Renforçons nos campagnes pour un autre monde !

La progression des gauches lors du premier tour de la présidentielle, notamment autour du programme de l’Union Populaire, a vu de nouvelles et nouveaux électeurs se prononcer pour une rupture avec le libéralisme, pour la justice sociale et écologique, et la construction d’une société féministe et antiraciste. Les dynamiques au sein des quartiers populaires et de la jeunesse sont un encouragement à poursuivre nos combats afin de nous défaire du néolibéralisme et faire régresser l’extrême droite qui s’en nourrit.

La progression des idées de gauche dans cette séquence électorale est aussi le fruit des mobilisations de ces dernières années : le refus de l’allongement de l’âge de départ à la retraite s’est construit dans les mobilisations syndicales, l’exigence de justice fiscale et sociale n’aurait pas été aussi forte sans la présence des gilets jaunes sur les ronds-points, l’aspiration à répondre à l’urgence écologique a mûri grâce aux grandes manifestations pour le climat, la dénonciation du racisme systémique a été parmi les mobilisations les plus massives au sortir du confinement tandis que les luttes féministes ont montré leur force numérique depuis 2017 et le mouvement #MeToo.

Malgré leur dynamique, ces mouvements n’ont pas trouvé un débouché victorieux à cette élection présidentielle. Mais les législatives de juin peuvent permettre de renforcer un projet de rupture avec le néolibéralisme productiviste, fossoyeur du modèle social conquis par les luttes.

Attac, comme d’autres organisations, va une fois encore se retrouver en première ligne face aux offensives du pouvoir. Il s’agira de poursuivre notre action pour promouvoir des alternatives au service de la justice sociale, fiscale et environnementale, pour déconstruire les discours néolibéraux et lutter contre les attaques envers les services publics et la protection sociale menées au nom de la réduction du déficit et de la dette publique.

Le travail de notre association et de ses comités locaux a été précieux au cours de cette période électorale. Elle poursuivra ce travail en vue des législatives pour dénoncer les candidat·es des inégalités fiscales, sociales et climatiques.

Attac poursuivra ces actions pour imposer une première défaite à E. Macron sur la question des retraites. Elle s’appuiera pour cela sur les fortes dynamiques qui ont émergé en 2019 et qui sont parvenues à faire reculer le gouvernement.

Forte d’une centaine de comités locaux présents sur l’ensemble du territoire, notre association invite toutes les personnes qui aspirent à plus de justice et d’égalité à la rejoindre pour porter haut et fort l’ensemble de ces combats.


 


 

Une démocratie fragile
à refonder d’urgence - Communiqué LDH

sur https://www.ldh-france.org

Les urnes ont tranché et Marine Le Pen est battue.

Si la Ligue des droits de l’Homme (LDH) salue cette conclusion, les résultats laissent un goût amer et de lourdes inquiétudes sur notre démocratie.

L’abstention à cette élection présidentielle atteint un niveau le plus élevé depuis 1969 et plus de 3 millions de bulletins sont blancs ou nuls ; le président réélu l’est sans adhésion à son programme mais largement en rejet de la menace de l’extrême droite qui atteint elle un score inégalé, lourd de sens et de menaces.

Autant de signes négatifs qui imposent d’agir d’urgence pour refonder notre démocratie et nos institutions. Il s’agit aussi de répondre aux aspirations sociales, environnementales, d’égalité, de justice et de participation effective laissées sans perspective. 

Une majorité parlementaire est encore à constituer dans un paysage politique éclaté qui oblige à travailler les conditions d’un rassemblement positif face à l’extrême droite et à ses idées, comme aux logiques ultralibérales qui les entretiennent et contre lesquelles il sera nécessaire de se mobiliser encore.

La LDH participera activement à ces combats et portera, comme elle l’a fait durant le précédent quinquennat, ses mêmes exigences de réponses démocratiques, de lutte contre les injustices et les inégalités. 


 


 

Présidentielle : réaction de Greenpeace France
à la réélection d’Emmanuel Macron

sur https://www.greenpeace.fr

Dimanche 24 avril, Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle face à Marine Le Pen. Après une campagne où l’enjeu écologique a été largement négligé et où la menace de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir a une fois de plus été forte, Greenpeace France appelle la société civile à se mobiliser pour contraindre le prochain exécutif à un sursaut social et écologique absolument indispensable.

La réélection d’Emmanuel Macron face à la candidate du RN ne signifie pas qu’il y a une adhésion forte à son projet. Au vu de son bilan sur le front climatique et écologique durant le dernier quinquennat, nous ne pouvons pas apporter de crédit aux quelques promesses qu’il a avancées de façon opportuniste pendant le second tour sur ces enjeux, nous jugerons sur pièce. Fondamentalement, son programme politique reste ancré dans une logique productiviste, libérale et technocentrée, incompatible avec les objectifs climat de l’accord de Paris qui impliquent une transformation profonde de nos modes de production et de consommation vers plus de solidarité, de justice sociale et de sobriété . Des enjeux qui semblent toujours échapper au Président Macron, au-delà de ses déclarations incantatoires.réagit Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.

Alors que le GIEC vient une nouvelle fois de sonner l’alarme, Greenpeace France rappelle que la France a été condamnée deux fois par la justice en 2021 pour son inaction climatique.

Hausse des températures, destruction des ressources planétaires, effondrement de la biodiversité, ces phénomènes atteignent un seuil critique. Face au déni ou au cynisme de certains décideurs politiques, Emmanuel Macron en tête, nous sommes nombreux et nombreuses à aspirer à une société respectueuse des limites planétaires, plus juste et plus solidaire. Avec le mouvement climat et le mouvement social, nous exercerons notre rôle de contre-pouvoir pour imposer la justice sociale et l’urgence écologique et climatique au cœur de l’agenda politique, du débat public et des prochaines échéances électorales. Chaque fois que cela sera nécessaire, nous dénoncerons les “fausses solutions”; “les petits pas” et les “grandes reculades.” poursuit-il.

A court terme, Greenpeace France appelle notamment tous les citoyens et les citoyennes à manifester le 1er mai dans la rue, aux côtés des organisations syndicales et du mouvement social, pour faire entendre une voix forte de la société civile immédiatement après la réélection d’Emmanuel Macron.
Greenpeace France appelle également à se mobiliser massivement dans les urnes à l’occasion des élections législatives les 12 et 19 juin pour élire un maximum de député·es défendant une vision ambitieuse et juste de l’écologie.

 


 


 

La transition agro-écologique et le renouvèlement des paysan.nes exigent de ne pas perdre encore 5 années – par la Conférétion Paysannne

sur https://www.confederationpaysanne.fr

Réélu grâce à la mobilisation citoyenne contre Marine Le Pen, Emmanuel Macron entame un second mandat. Dont acte. A la veille du premier tour, nous avions dit en quoi notre projet d'agriculture paysanne, en capacité de répondre aux urgences sociales et environnementales, est aux antipodes du néolibéralisme antisocial et anti-écologique, obstacle à la mise en œuvre de politiques égalitaires et émancipatrices.

Le bilan agricole du précédent quinquennat est catastrophique : la promesse d'une loi foncière ambitieuse a accouché d'une souris ; les deux lois Egalim, dépourvues d'outil de régulation, n'ont évidemment rien réglé aux problèmes de revenu des paysans.nes ; une nouvelle PAC* dite de la « stabilité» arcboutée sur des aides à l'hectare avec un plan stratégique national dont le peu d'ambition agro-environnementale est dénoncée jusque dans les rangs de la Commission européenne ; aucun investissement dans la formation et l'installation alors que dans 8 ans la moitié du monde agricole partira à la retraite ; les mégabassines comme réponse aux enjeux de transition et d'adaptabilité de l'agriculture face à la raréfaction de l'eau ; une gestion catastrophique et dogmatique de la plus grave crise de grippe aviaire jamais survenue en France …. La liste est bien trop longue.

La responsabilité face aux enjeux de transition agro-écologique et de renouvèlement paysan oblige de ne pas perdre 5 années supplémentaires. Il est donc impossible de repartir dans la cogestion gouvernement-FNSEA*, portée à son paroxysme dans le précédent quinquennat. La ou le futur ministre de l'agriculture devra donc s'extraire de ce seul tête à tête.

La Confédération paysanne a des propositions qui ne sont ni la robotique, ni le numérique, ni la génétique, ni le « produire plus ». L'enjeu principal pour le monde agricole est de s'attaquer aux ravages du néolibéralisme et protéger économiquement les paysan.nes pour installer massivement, imposer une répartition équitable des richesses et permettre l'accès de toutes et tous à une alimentation de qualité.

Dès le premier mai, nous serons donc mobilisés pour faire vivre nos propositions dans la rue, dans les luttes, dans les débats politiques et dans les différents lieux de pouvoir. Les attentes et les urgences que nous portons au travers de notre projet de transformation agricole, alimentaire, sociale et environnementale doivent être prises en compte. En tant que syndicat, nous nous mobiliserons pendant la campagne des législatives pour que ces propositions soient portées par les député.es élu.es et réellement prises en compte dans le quinquennat qui débute.


 


 


 

Le mouvement climat ne compte pas laisser le champ libre à Macron

Emilio Meslet sur www,humanite,fr

Dans la foulée d’une présidentielle où la planète est restée en marge des débats, les ONG veulent créer un nouveau souffle propice à l’engagement. Pour cela, une réorganisation paraît nécessaire.

« Une défaite pour le climat ». Au sein du mouvement climat, on peine à trouver d’autres mots pour décrire la séquence présidentielle qui s’est achevée, dimanche, par le moins terrible des deux scénarios. Emmanuel Macron est réélu, Marine Le Pen n’accède pas à l’Élysée. « Nous avons évité le pire, mais ce n’est pas pour autant qu’on a le meilleur », résume Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Et Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba, de compléter : « Maintenant, on se remet au travail, cinq ans de lutte nous attendent. » À peine le temps de souffler qu’il faut déjà penser un après qui ne sera pas une sinécure pour l’environnement. Surtout que, dans l’entre-deux-tours, le greenwashing du président-candidat n’a pas pris sur les ONG. « Rien ne prouve qu’Emmanuel Macron numéro 2 va être meilleur que Macron numéro 1. Son bilan plaide contre lui, donc je le jugerai sur les actes », prévient Jean-François Julliard.

Une fois ce constat posé, il ne reste alors qu’une seule option : la riposte. Et elle commence tout de suite, disent les associations. Ce mardi, avec une série de manifestations et d’actions coups de poing dans le pays, Résistances locales, un agrégat de 120 collectifs, ouvre le bal pour mettre la pression. « Il n’y a que peu d’espoir à avoir dans la voie institutionnelle. Nous devons accentuer le rapport de forces. Et la meilleure stratégie, selon moi, est de se mobiliser localement, là où il y a le plus de brèches, donc de chances d’obtenir des victoires », appelle Léna Lazare, membre de Terres de luttes, qui veut mettre à profit une « culture de résistance » construite depuis l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sans pour autant « oublier l’échelon national et international », précise la jeune militante.

« Vers un projet de société commun »

À court terme, les ONG ont coché deux dates sur leur calendrier : le 1er Mai, puis la mi-juin, avec les élections législatives. Des discussions sont en cours afin de définir le rôle que peuvent tenir les associations dans cette séquence électorale pour « envoyer un maximum de députés proches de (leurs) causes ». Ensuite, viendra le temps de la restructuration d’un mouvement climat assez hétérogène qui n’a eu que peu de succès face au mur Macron. « En 2019, on a gagné la bataille culturelle sur le changement climatique. Maintenant, on doit dépasser ce constat, préconise Élodie Nace. Pour cela, nous avons besoin de connecter la question climatique à la vie des gens en montrant que nous portons, avec d’autres mouvements sociaux (féministes, antiracistes…), un projet de société commun. »

Dans cette optique, même si « elles n’ont pas eu jusqu’ici l’impact escompté », selon Jean-François Julliard, les marches pour le climat continueront de façon à être une « porte d’entrée » vers la lutte. « Il nous faut continuer les recours juridiques comme la désobéissance civile pour rehausser notre influence », ajoute le patron de Greenpeace. Et Élodie Nace de conclure : « Il y a certainement encore plein de formes à inventer à partir du travail déjà effectué. »

publié le 24 avril 2022

À la SAM, 150 jours d’une lutte décisive

 Bruno Vincens sur www.humanite.fr

Les salariés aveyronnais mettent fin à leur présence continue, depuis cinq mois, dans la fonderie de Viviez. Leur objectif est atteint : l’outil de travail ne sera pas dilapidé. Le groupe MH Industries se positionne pour racheter l’entreprise

Toulouse (Haute-Garonne), correspondance.

Quelques larmes coulent. Un mélange de joie et d’émotion. L’assemblée générale vient de se terminer. Au 150e jour, ce jeudi 21 avril, les salariés de la SAM, à Viviez (Aveyron), ont voté à l’unanimité la fin de leur présence continue dans cette usine pour laquelle ils ont livré une incroyable bataille. Pour que cette fonderie à l’arrêt retrouve vie. Pour empêcher la dispersion et la vente aux enchères des machines-outils et du gigantesque stock de pièces en aluminium. Un candidat à la reprise de la SAM se profile : MH Industries, groupe industriel basé dans le Lot voisin. Les fours, espèrent les métallos aveyronnais, seront bientôt rallumés et l’aluminium liquide coulera dans les moules. Le site est appelé à produire de nouveau des pièces automobiles et, surtout, à se diversifier vers le ferroviaire et l’aéronautique.

Depuis le 23 novembre, les salariés de la SAM protégeaient jour et nuit leur outil de travail. Ce lundi, ils mettent fin au mouvement. À midi, ils se regrouperont une dernière fois puis se disperseront avec au cœur une immense satisfaction : au bout de cette longue lutte, de cette aventure collective, leurs revendications ont abouti. Jeudi, avant l’assemblée générale, une réunion en préfecture a en effet scellé un protocole qui comporte deux points essentiels : les mandataires liquidateurs de la SAM – le cabinet toulousain Egide – s’engagent par écrit à ne pas saisir et vendre les machines et le stock contenus dans l’usine ; une société de gardiennage va désormais veiller sur la fonderie. Le document est également signé par la région Occitanie, l’intercommunalité de Decazeville et les représentants du personnel.

Le protocole est valable jusqu’au 30 juin. Le groupe MH Industries dispose de ce délai pour confirmer sa reprise du sous-­traitant automobile. Une étude de faisabilité est en cours et les négociations semblent, de source syndicale, assez avancées. Dans un premier temps, l’intercommunalité de Decazeville va prendre à sa charge les frais de gardiennage, renforcé par des rondes de la police municipale. Pas question que le lieu soit pillé ou vandalisé ! Surtout, MH Industries rachèterait les machines tandis que la région Occitanie ferait l’acquisition des murs, jusqu’ici propriété de la société chinoise Jinjiang.

Du côté des salariés, l’optimisme est de rigueur : la reprise de l’activité, prévue pour janvier 2023, aurait lieu dès le mois de septembre 2022. « C’est notre grande fierté : donner la possibilité à MH de concrétiser son projet industriel », s’écrie David Gistau (CGT).

Un combat historique, qui se poursuit aux prud’hommes

Cependant, une grande inconnue demeure : parmi les 333 emplois de la SAM, combien seront préservés par le repreneur ? « Le projet de MH Industries est ambitieux et la SAM serait la vitrine de ce groupe », estime le syndicaliste. D’où l’espérance de voir une majorité de salariés retrouver leur travail à la fonderie, même si beaucoup d’entre eux devront être formés à de nouvelles tâches. MH Industries ne cache pas son envie de grandir et veut doubler son chiffre d’affaires dès 2023. Son patron, Matthieu Hède, voit dans la SAM l’opportunité d’une diversification inscrite dans sa stratégie, après avoir acquis un site industriel à Brive (Corrèze) en 2019.

La région Occitanie s’est fortement engagée pour trouver une issue industrielle à la SAM et sa présidente, Carole Delga, entrevoit une « sortie de crise ». Elle souligne « l’abnégation et la responsabilité » des métallos de Viviez. Leur lutte figure d’ores et déjà dans l’histoire sociale du bassin de Decazeville, dans l’histoire de la classe ouvrière aveyronnaise. À la grève mythique des mineurs en 1961 et 1962, longue de 66 jours, où les gueules noires avaient passé le réveillon de Noël au fond des galeries, s’ajoute désormais le combat pour la SAM. Un combat déterminé et lucide. Depuis un an, les salariés de la fonderie ont organisé 83 assemblées générales ; 15 rassemblements ont permis à la population du bassin, et bien au-delà, de manifester sa solidarité. La lutte se poursuit désormais aux prud’hommes pour obtenir des indemnités supralégales du donneur d’ordres Renault, coupable d’avoir abandonné son fournisseur en pièces métalliques.

Au cours de ces cinq mois de présence permanente dans la fonderie, des liens très forts se sont créés entre ces femmes et ces hommes qui ont vécu une aventure commune. Ce lundi, à midi, viendra le moment de la séparation. « Ça va être très douloureux, prévoit David Gistau. Mais nous avons la fierté d’être allés au bout de ce qu’on pouvait faire. »

publié le 17 avril 2022

Présidentielle :
grèves partout,
candidats nulle part

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr

Les grèves ne disparaissent pas entre les deux tours de l’élection présidentielle. Elles sont pourtant quasi absentes des discours des candidats. Ainsi, pendant que les caméras sont braquées sur Emmanuel Macron et Marine Le Pen, on en oublierait presque que les luttes continuent dans les entreprises. Tour d’horizon.

 En 2017, il y avait Whirlpool. L’entreprise d’électroménager avait servi de ring de boxe à Emmanuel Macron et Marine Le Pen, dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Cinq ans plus tard, pas de grande rencontre orchestrée dans une usine en lutte pour tenter de s’attirer les grâces de la France qui fait grève.

Pourtant, les luttes continuent dans les entreprises. Près de Bordeaux, les employés de Capgemini sont entrés en grève jeudi 14 avril, et ce pour la première fois depuis 2008. Ils exigent des augmentations de salaire. Chez les hôtesses de l’air, les stewards et les pilotes de la compagnie espagnole à bas coût Volotea, un mouvement de grève est prévu à partir du 16 avril pour protester contre des salaires jugés indécents. A la SMAD, entreprise pharmaceutique près de Lyon, une centaine de salariés entament actuellement une grève reconductible, une fois encore sur la question des salaires. Dans les services publics, chez RTE, à la SNCF, les conflits régionaux et locaux ne s’arrêtent pas non plus en période présidentielle. Enfin, en grève depuis maintenant six mois, les travailleurs sans-papiers de La Poste demandant toujours leur régularisation.

 La Sam aurait pu être le nouveau Whirlpool

 Occupée depuis 144 jours, la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) aurait pu être le Whirlpool de l’élection présidentielle 2022. La liquidation de l’entreprise aveyronnaise en novembre 2021 incarne la désindustrialisation des campagnes françaises. 347 salariés risquent de perdre définitivement leur travail et tout un bassin d’emploi est menacé.

Après une lutte longue de plus d’un an, les salariés attendent désormais beaucoup du plan de reprise, proposé par une entreprise du Lot : MH Industries. Une discussion rassemblant l’État, les collectivités, les salariés et cette entreprise devrait avoir lieu en juin ou en juillet.

En attendant, les fondeurs de la SAM se relaient nuit et jour pour « protéger l’outil industriel ». Comprendre : éviter que les machines ne soient vendues aux enchères. « Il y a, à la SAM, des machines et des savoir-faire que l’on ne trouve plus en France. Toute notre action aujourd’hui consiste à les préserver pour que nos métiers ne disparaissent pas », explique David Gistau, représentant CGT des ex-salariés de la Sam.

Dans le bassin decazevillois, pas question de faire appel à un providentiel candidat à l’élection présidentielle pour espérer sauvegarder des emplois. « Lors d’une AG, mercredi soir, nous avons décidé que ni Macron ni Le Pen ne seraient les bienvenus à la SAM dans le cadre de leur campagne. On ne pense pas que les promesses d’entre-deux-tours puissent nous apporter quoi que ce soit. Nous, on croit à la lutte », affirme David Gistau de la CGT.

 Chez Amazon, bataille pour les salaires

Dans un contexte d’inflation généralisée, les luttes pour les augmentations de salaire se multiplient dans les entreprises françaises. Depuis peu, Amazon a ouvert des négociations autour des salaires de ses employés. Et cela se passe mal. Le géant du e-commerce a lui-même mis le feu aux poudres en annonçant son augmentation de salaire, via CHIME, la messagerie interne de l’entreprise.

L’anecdote vaut la peine d’être racontée tant elle en dit long sur la manière dont Amazon traite ses syndicats. « Le 31 mars, alors que tous les syndicalistes de la boîte sont réunis pour un comité social et économique (CSE) central, ils constatent, à la pause café, qu’Amazon annonce sur CHIME des augmentations de salaire de 3 %. Ils n’ont pourtant rien négocié du tout ! », s’indigne Jean-François Bérot, syndicaliste Sud-Commerce chez Amazon.

Lundi 4 avril, une intersyndicale rassemblant la totalité des syndicats français du géant du e-commerce annonce une série de débrayages pour une période indéterminée. « L’objectif c’est qu’Amazon nous lâche au moins 5 % d’augmentation. C’est un minimum dans un contexte où l’inflation atteint 4,5 % », fulmine Jérôme Guislain, de Sud-Commerce. Mais Amazon ne l’entend pas de cette oreille. Malgré une pression continue et des débrayages dans au moins 7 des 8 plus grands entrepôts de France, lors de la réunion de négociation ce jeudi 14 avril, la direction a concédé seulement 3,5 % d’augmentation. Trop peu pour les syndicats, qui prévoient de continuer leurs actions.

À la raffinerie de Donges, Total ne lâche rien

Malgré 20 jours de grève, la direction de la raffinerie Total de Donges reste inflexible. Pourtant, sur le papier, le rapport de force semblait en faveur des grévistes. La grève est massive (250 des 300 salariés postés), l’outil industriel est bloqué, alors même que la raffinerie entame son redémarrage, et les revendications des grévistes sont largement accessibles à une multinationale qui se targue d’avoir réalisé 13,5 milliards d’euros de profit en 2021. « On veut que la direction embauche 43 salariés précaires en CDI », rappelle David Arnould, élu CSE sur le site Total de Donges et militant CGT.

Niet. « Total est sur une ligne dure : refus absolu de négocier avec des grévistes. Du côté de l’État, la sous-préfecture a refusé de nous recevoir et de nommer un médiateur, sous prétexte que nous avions organisé une manifestation non déclarée devant ses fenêtres. » Pour les salariés de la raffinerie de Donges, l’embauche des précaires est aussi une question de sécurité. « Faire tourner une raffinerie avec autant de précaires c’est dangereux. On saura se rappeler l’attitude de la direction s’il y a un problème un jour », affirme David Arnould. Une assemblée générale des grévistes doit se tenir ce vendredi matin pour décider de la suite du mouvement.

 Grève du nettoyage à l’ARS Marseille

 Les grands collectifs de travail ne sont pas les seuls à être engagés dans de longues grèves dans cet entre-deux-tours. De nombreuses grèves ont lieu dans des entreprises de taille plus modeste. A Marseille, les 7 agents qui nettoient les locaux de l’agence régionale de santé (ARS) sont en grève depuis le 29 mars.

« Au départ ils étaient 8 à assurer le nettoyage de ces locaux, puis ils sont passés à 7 et finalement à 6. C’était impossible de nettoyer ces locaux en étant si peu, le chef d’équipe s’est opposé à cette décision… et il a finalement été muté. C’est ça qui a déclenché la grève », raconte Camille El Mhamdi, juriste à la CNT-SO, le syndicat des grévistes. Ces derniers exigent l’annulation de la mutation du chef d’équipe, le retour à 8 salariés et le paiement d’un certain nombre d’heures supplémentaires indues.

Comme souvent dans le nettoyage, ces agents – 3 hommes et 4 femmes – sont employés par une entreprise sous-traitante : Laser. Or, cette dernière refuse catégoriquement d’accéder à leur requête et envoie d’autres membres de ses équipes pour nettoyer l’ARS lorsque les grévistes ne sont pas sur le piquet.

 publié le 15 avril 2022

« J’habite un logement insalubre
sans douche ni WC » : mal-logés, victimes des propriétaires, oubliés par l’État

par Rémi Yang sur https://basta.media/

Depuis plus d’un mois, l’association Droit au logement a installé un campement en plein Paris pour exiger le relogement des 200 personnes. Des familles menacées d’expulsion ou logées dans un logement insalubre, pourtant reconnues comme prioritaires Dalo.

Cet après-midi, le soleil baigne le campement de l’association Droit au logement (DAL), place de la Bastille à Paris. Sur des chaises, à l’extérieur, un groupe d’adhérentes et d’adhérents se préparent à aller coller des affichettes alors que la sono crache tantôt du R&B, tantôt du reggae. Dans la tente, Passy, un militant du DAL, supervise la préparation de l’action de l’après-midi. « Le camp, on l’a installé pour les 15 ans de la loi Dalo [Droit au logement opposable]. On voulait marquer le coup. Ça fait trois semaines qu’on est là ! » Derrière lui, le sol est recouvert de tapis colorés, et du matériel de couchage est entreposé aux extrémités de la tente, qui s’allonge sur plusieurs mètres de profondeur. Une seconde zone, dans le fond du campement, abrite des tentes individuelles Quechua montées sur des palettes. « Ici, il y a des familles et des personnes isolées qui vivent dans des conditions indignes ou sous la menace d’une expulsion alors même qu’elles sont prioritaires Dalo », ajoute Passy. 200 familles en attente d’un relogement, dont l’urgence de la situation, comme celle de centaines de milliers de mal-logés, est ignorée par les deux finalistes de la campagne présidentielle.

« Il y a des familles et des personnes isolées qui vivent dans des conditions indignes ou sous la menace d’une expulsion alors même qu’elles sont prioritaires Dalo »

Depuis début mars, le DAL organise une « manifestation permanente » place de la Bastille pour réclamer leur relogement. La préfecture de police de Paris a bien essayé d’empêcher la tenue du rassemblement, mais l’arrêté produit par Didier Lallement a été retoqué au tribunal administratif. Le 7 mars, la juridiction a estimé que « l’interdiction partielle de la manifestation était disproportionnée par rapport aux impératifs de protection de l’ordre public », après avoir rappelé « que le droit de manifester était une liberté fondamentale ».

Les deux grandes tentes blanches ont été érigées près de l’accès au canal de l’Arsenal. Une cinquantaine de personnes y dorment tous les soirs, selon Passy. Toutes « auraient déjà dû être relogées en HLM mais l’État, responsable de la bonne application de la loi, et les autres réservataires de logements sociaux (maires, bailleurs HLM, dispositif du 1 % logement), sont souvent défaillants », dénonce le DAL. La loi Dalo, adoptée en mars 2007, oblige en théorie l’État à offrir un « logement décent et indépendant » à toute personne qui en est privée. Depuis son application, 209 770 demandeurs ont été relogés grâce à cette loi.

Appartements insalubres

Emmitouflée dans sa doudoune, Faïza garde un œil sur le camp. Elle en est un des piliers et sa présence est quotidienne. La quadragénaire rencontre des problèmes d’humidité dans le deux pièces où elle habite à Paris, avec son mari en situation de handicap, son fils de 20 ans, et sa fille de 21 ans. « Il y a une chambre, un salon, un petit coin et une salle de bain, décrit-elle. L’appartement est vraiment sale, surtout dans la cuisine, je dois toujours acheter des produits d’entretien chers pour nettoyer. Il faudrait aussi faire des travaux de plomberie, mais quand j’ai demandé à ma propriétaire, elle m’a dit qu’elle accepterait à condition d’augmenter le loyer de 200, puis de 500 euros. » Pour payer son loyer de 1000 euros actuellement, Faïza cumulait deux boulots pendant le confinement. Un travail d’après-midi qu’elle enchaînait avec un travail du soir. « Il n’y a pas de place pour dormir chez moi, alors des fois je m’endormais dans le métro ou sur les marches des stations parce que c’était plus confortable. »

À ses côtés, Francis s’occupe de la sécurité et de la sono du campement. Depuis sept ans, l’ancien agent de sécurité vit avec sa femme et ses trois filles dans un trois pièces insalubre. Comme Faïza, il raconte lutter contre l’humidité, qui a favorisé la propagation de moisissure. « La salle de bain n’est pas ventilée, explique-t-il. Les champignons ont commencé à atteindre le couloir, la cuisine, et là c’est entré dans le salon. J’ai essayé de les retirer et de mettre un revêtement spécial, mais ça reprend quand même. » Sa famille est logée via le dispositif Solibail, une association agréée par l’État qui sous-loue à des ménages aux revenus modestes et logés jusqu’ici à l’hôtel. Solibail est censée se charger de l’entretien de l’appartement et du suivi social des locataires. Mais l’accompagnement semble défaillant : Francis assure n’avoir jamais eu de nouvelles de son assistante sociale. « On a changé trois fois d’assistante sociale, et la dernière ne nous a jamais rencontrés. Je ne l’ai jamais vue, je connais juste son nom, rien de plus. »

Menacés d’expulsion sans option de relogement

Sur son téléphone, Faïza fait défiler les SMS de sa propriétaire. Celle-ci lui demande à plusieurs reprises son accord pour augmenter le loyer. Dans le dernier, la propriétaire fait part à Faïza de sa volonté de vendre l’appartement et lui demande de plier bagages. « Mon mari a un pacemaker, il est handicapé. Lorsqu’il a lu les messages sur mon téléphone, il a fait une crise. On a dû l’emmener à l’hôpital », raconte la mère de famille. Une lettre d’huissier exigeant de vider les lieux lui est parvenue en janvier dernier.

« En 2016, je suis passée devant le tribunal et le juge a dit “installez tout de suite cette famille”. Mais il n’y a aucun résultat ! »

Francis et sa famille vivent aussi sous le menace de l’expulsion. En 2020, le père de famille à la moustache fournie s’est cassé l’épaule en tombant sur une plaque de verglas. Un accident de travail qui l’a empêché de retourner bosser. La Sécurité sociale a tardé à reconnaître le handicap du quadragénaire, le privant d’allocation. Résultat, il n’a reçu aucun salaire pendant deux ans. « Du coup, on ne pouvait pas payer notre loyer - on payait des petites sommes mais bon… On est en train de régulariser, mais ils n’ont pas voulu reconduire le bail. Depuis août de l’année dernière, on est expulsable. » Un passage devant les tribunaux, avec l’appui de l’avocat du DAL, lui a permis d’obtenir un sursis de trois ans. Il n’empêche que pour la famille, déménager est devenu encore plus une urgence depuis la naissance de la petite dernière, en 2020.

Francis et Faïza sont pourtant reconnus prioritaires Dalo depuis 2009 pour le premier et 2016 pour la seconde. « Je suis passée devant le tribunal et le juge a dit “installez tout de suite cette famille”. Mais il n’y a aucun résultat ! » se désespère Faïza, qui garde la décision rendue par le tribunal administratif sous la main. « Il est enjoint au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, d’assurer le relogement de [Faïza et sa famille] », renseigne le document. Cinq ans plus tard, l’État refuse toujours de respecter la loi.


 

Repère : Les 10 % les plus pauvres consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger

Le coût du logement pèse de plus en plus sur la grande majorité des ménages français et leur pouvoir d’achat, en particulier les plus modestes : les 10 % les plus pauvres consacrent plus de 40 % de leurs revenus pour se loger (loyer, remboursement d’un emprunt...). Quatre millions de personnes sont considérées comme mal-logées. Malgré l’importance de ces questions, la campagne présidentielle n’a quasiment pas traité du logement. Le programme d’Emmanuel Macron sur le sujet se résume à deux proposition, très vagues, rappelant notamment qu’il faut sanctionner « les mauvais payeurs »... alors que plus de 14 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement, selon la Fondation Abbé Pierre. Quant au « projet pour la France » de Marine Le Pen, la question du logement est tout simplement totalement absente.

C’est tout le contraire pour les candidats de gauche, éliminés après ce 1er tour. L’Avenir en commun, porté par Jean-Luc-Mélenchon, propose d’inscrire « le droit à un logement digne » dans la Constitution, d’interdire les expulsions sans relogement, d’augmenter les contingents d’attribution de logements sociaux pour les personnes prioritaires (Dalo), d’encadrer les loyers à la baisse, et de produire un million de logements sociaux. Le mouvement a consacré un livret de son programme au logement. De son côté, EELV souhaitait créer 700 000 logements sociaux sur cinq ans, instaurer une « garantie universelle des loyers » et mettre en place un plan de « rénovation des logements et bâtiments de 10 milliards d’euros par an pour atteindre une réduction de 50 % de la consommation d’énergie ». La facture énergétique pour se chauffer pèse aussi considérablement sur de nombreux ménages. RY et IDR


 

14 millions de personnes vivaient dans des conditions de logement difficile en 2021. En 2019, 16 700 foyers ont été expulsés.

Une personne reconnue prioritaire au titre de la loi Dalo doit normalement se voir proposer une solution de relogement ou d’hébergement par la préfecture dans un délai de six mois. En six ans, Faïza raconte n’avoir eu qu’une proposition de relogement, qu’elle a acceptée. Mais son dossier n’aurait pas été retenu. « J’attends que tout le monde soit relogé dans de bonnes conditions, on n’en demande pas plus », revendique Francis. Selon les chiffres de la fondation Abbé Pierre, 14 millions de personnes vivaient dans des conditions de logement difficile en 2021. En 2019, 16 700 foyers ont été expulsés.

Mi-mars, après un rassemblement devant la préfecture de région, une délégation de militants a été reçue par les autorités. « C’était plutôt positif, on a senti qu’ils étaient prêts à négocier, mais nous n’avons toujours pas de retour concret, déplore Passy, qui précise avoir saisi le ministère et la préfecture en amont de l’installation du campement. Ils étaient au courant de l’action. »

Le QG des mal logés

Dans la tente du camp de Bastille, Francis exhibe fièrement son duvet militaire qu’il trimballe depuis 1996, un souvenir de ses années passées à l’armée, en volontariat. Il fait partie de la cinquantaine de personnes qui restent dormir sur le camp, chaque soir. Faïza, elle, pointe ici tous les jours, après le boulot. Elle ne rentre chez elle qu’à minuit pour s’occuper de son mari, nettoyer et se reposer un peu avant de prendre le travail.

« À 5 h du matin, un gros groupe part prendre les premiers transports pour aller bosser, amener les enfants à l’école, ou encore se reposer, parce que les nuits ici sont difficiles », explique Passy. « Les premières soirées, c’était dur. On n’était pas assez préparés, rembobine le militant, en faisant référence au froid des nuits de début mars. Mais ça commence à prendre forme. D’autres assos nous aident en nous donnant par exemple du matériel ou de la nourriture. » Les initiatives de solidarités se succèdent aussi. Un street-artist, Vince, est venu grapher en soirée une banderole de soutien aux demandeurs de logement. Elle est accrochée sur des palettes à l’entrée du camp. On peut y lire : « Un toit est un droit », « Le QG des mal logés », « Plus personne à la rue… tout le monde dans la rue ». Le campement sert aussi de QG pour préparer les prochaines actions. « Ils sont autonomes, je n’ai presque rien à superviser », s’amuse Passy.

Le 26 mars, de nombreux militants et militantes du camp se sont retrouvés place de la Bourse pour défiler jusqu’au ministère de la Transition écologique, dont dépend Emmanuelle Wargon, la ministre chargée du Logement. Avant de se mettre en marche, Faïza et Wassina ont pris le micro pour témoigner de leur situation devant une centaine de personnes. « Je serai expulsable après la trêve hivernale [le 31 mars 2022] et j’habite dans un logement insalubre où il n’y a ni douche, ni WC, affirme Wassina. Quand je dois descendre ou monter les marches pour accéder à mon appartement, je dois me mettre à quatre pattes, comme un animal », s’indigne-t-elle, dans son fauteuil roulant.

Dans la manifestation, Francis surveille la foule depuis la camionnette alors que Faïza rejoint le service d’ordre. En tête de cortège, Dalila bat le pavé pour la première fois de sa vie. La sexagénaire, lunettes de soleil sur le nez et long manteau noir sur le dos, habite dans un « tout petit studio » dont la proximité des quatre murs lui mine le moral. Son statut de prioritaire Dalo a été reconnu l’année dernière. Au même moment, elle a commencé à fréquenter le DAL et rend visite presque tous les jours à ses nouveaux amies et amis sur le campement. « Il y a de la solidarité ici, ça fait du bien », sourit-elle. Sur la pancarte qu’elle tient, il est écrit : « Il taxe l’APL et les HLM, c’est le président des riches et des rentiers ».

Le 12 avril, alors que ces « oubliés du Dalo » manifestent une nouvelle fois devant le ministère du Logement, les forces de l’ordre sont intervenues « brutalement ». « Elles ont violemment plaqué au sol Jean-Baptiste Eyraud [porte parole du DAL], tout en gazant les familles qui ont ensuite été nassées plus d’une heure », a dénoncé le DAL dans un communiqué. Jean-Baptiste Eyraud a été placé en garde à vue pour « rébellion » puis libéré dans la nuit. Plusieurs des manifestants ont été blessés, selon le DAL.

publié le 10 avril 2022

Les métallos de la SAM
ne lâchent rien

Bruno Vincens sur www.humanite.fr

Depuis plus de quatre mois, les employés de la Société aveyronnaise de métallurgie veillent sur la fonderie d’aluminium de Viviez, alors qu’un projet de reprise semble possible. Une présence jour et nuit qui a renforcé les liens de solidarité.

Viviez (Aveyron), envoyé spécial.

Une pancarte égrène le temps qui passe : 137 e jour, ce vendredi, de présence dans l’usine. Des conteneurs alignés protègent l’entrée. Un petit groupe s’affaire à la cuisson des merguez pour le couscous préparé au même moment par Zine. Près du barbecue, Nathalie raconte qu’elle a consacré vingt-six ans de sa vie à la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) : « Je m’occupais de la conception des moules (qui produisaient les pièces pour automobiles – NDLR). » Nathalie est là « depuis le premier jour », le 22 novembre, lorsque le personnel du sous-traitant de Renault décida de veiller 24 heures sur 24 sur les machines-outils, les moules, l’immense stock de pièces usinées. Pas question de voir l’outil de travail s’envoler ! Face au retrait du constructeur, la lutte est tenace pour maintenir la fonderie d’aluminium à Viviez, dans le bassin de Decazeville.

« Je serai là jusqu’au dernier jour ! »

Comment tuer le temps dans une usine à l’arrêt ? « Je trouve à m’occuper, répond Nathalie. Je fabrique des tracts, des affiches. Il y a toujours un sujet de conversation avec les collègues ou un journal qui traîne avec un sudoku à faire. » Les concours de belote ? « Non, je connais à peine les règles. Mais on a en permanence des gâteaux apportés par des habitants du bassin. Certains ont pris des kilos ! »

Nathalie l’avoue tout de même : « Parfois, les journées sont longues. » Près du barbecue, Bernard est attentif aux merguez. Cet ancien responsable de l’équipe de nuit à la fonderie totalise trente-sept ans d’ancienneté à la SAM. Comme beaucoup, il assure ici une présence régulière : « Et je serai là jusqu’au dernier jour ! Avec cette lutte, on a créé des liens forts. Des collègues de travail sont devenus des copains. Cette amitié, c’est énorme, et personne ne pourra nous l’enlever. »

« Même pas peur ! »

Bernard raconte les journées : « On parle de chasse, de pêche, de tout, de la vie. Avec certains, on parle de la présidentielle. » Il ajoute, l’œil malicieux : « J’ai parié avec un collègue que Macron ne serait pas au second tour. »

Le couscous est fin prêt. Zine, aux fourneaux depuis la veille, est le boute-en-train de l’équipe : « J’usinais des pièces pour Renault, maintenant je suis cuistot. Il faut savoir tout faire à la SAM ! » explique celui qui porte un tablier à l’effigie de la Joconde. En sortant de la cuisine, il montre un carter d’embrayage qu’il a produit : « C’est vache ce que nous a fait Renault, alors qu’on commençait à travailler pour des véhicules électriques. »

Depuis le 5 avril, la présence des salariés dans les murs de l’usine est jugée illégale par le tribunal de Rodez. « Les CRS peuvent venir avec leurs boucliers et leurs matraques ! Même pas peur ! » rigole Zine. Comment se passent les journées ? « On parle de nos déboires, alors qu’on ne boit pas ! »

Le bâtiment de maintenance, transformé en salle à manger

Les couscoussiers sont posés sur un Fenwick qui d’habitude transporte de l’aluminium liquide. L’engin est conduit par JR. Il peste contre les mandataires du cabinet toulousain Egide qui veulent l’évacuation de la fonderie et, sans doute, vendre tout ce qu’elle contient : « Ils n’ont pas d’âme, ils ont un cœur de pierre. » Mais, pour Zine : « Les mandataires sont tombés sur plus forts qu’eux ! »

Vient le moment tant attendu de la dégustation avec 70 convives attablés dans le bâtiment de maintenance, transformé en salon-salle à manger et lieu de vie. Applaudissements pour le cuistot. Ici sont pris les repas. Ici les métallos aveyronnais ont suivi sur un écran plat la marche du XV de France vers le Grand Chelem.

« Plus jamais de ma vie je n’achèterai une Renault ! »

Au moment du café, Joris, 30 ans, explique qu’il y a passé les 24, 25 et 31 décembre : « Je n’ai pas vu ma famille à Noël. C’est atypique de passer les réveillons dans une usine ! » Avant de s’orienter vers la métallurgie, il avait obtenu un bac professionnel hôtellerie : « Ça me sert pour la préparation des repas ! L’après-midi, je m’occupe des dossiers pour les prud’hommes (282 salariés demandent des indemnités supra- légales à Renault – NDLR). » Si la voiture de Joris arbore un losange, il assure : « Plus jamais de ma vie je n’achèterai une Renault ! »

Embauchée en 1996, Stéphanie a été ouvrière de production avant de travailler au service des expéditions et emballages. « À 20 ans, je pleurais pour ne pas rester à la SAM, aujourd’hui je pleure pour ne pas en partir. »

« Tant qu’on est ensemble, ce n’est pas fini »

Elle est née « à Decaze », y a toujours vécu, a vu ses parents perdre leur emploi. « C’est la tragédie du bassin. » Les dirigeants de Renault ? « Ils ont arrêté nos projets de vie. Ils n’ont pas le droit ! » Stéphanie, « maman solo », parle de Lucas, son fils de 11 ans : « Quand on a un enfant, on a envie de lui promettre plein de belles choses. »

Tous les jours, elle est donc présente et espère voir aboutir le projet de reprise par MH Industries : « Tant qu’on est ensemble, ce n’est pas fini. » Joris approuve : « Il y a un horizon pour la SAM, sinon je ne serais pas là. » Dans cette fonderie d’aluminium, c’est Zine qui le dit : « J’y crois dur comme fer. »

 publié le 8 avril 2022

Huit méga-entrepôts bloqués :
la grande bataille
pour les salaires des Amazon France

Luis Reygada et Joseph Korda sur www.humanite.fr

La mobilisation est sans précédent. Les huit grands centres logistiques que compte le géant du e-commerce en France sont en grève. L'objectif : obtenir une revalorisation bien plus haute que celle de 3 % proposée par la direction de la filiale hexagonale. La bataille est d'envergure, malgré les pressions. Récit.

La mobilisation est sans précédent. Voilà en effet plusieurs jours que les salariés des huit grands centres logistiques que compte la filiale tricolore d’Amazon sont en grève, à l’appel d’une large intersyndicale, pour réclamer de meilleurs salaires.

Fruit de négociations annuelles obligatoires dans lesquelles la direction campe sur une augmentation salariale de 3 %, la contestation s’est propagée ce jeudi à huit entrepôts de préparation de commandes du géant du commerce en ligne. Entre 1 200 et 1 500 salariés (selon SUD) auraient cessé le travail sur les sites de Brétigny-sur-Orge (Essonne), Boves (Somme), Saran (Loiret), Montélimar (Drôme), Lauwin-Planque (Nord), Metz (Moselle), Senlis (Oise), et Sevrey (Saône-et-Loire).

Une hausse minimale de 5 % pour entamer de véritables discussions

Sur le site de Saran, qui compte 2 200 salariés, des salariés avaient spontanément cessé le travail avant même que les cinq syndicats représentatifs (CAT, CFE-CGC, CFDT, CGT et SUD) n’aient lancé le mouvement, lundi dernier. « Ça s’est passé vendredi 1er avril, explique Jean-François Bérot, représentant syndical SUD. Une trentaine de collègues ont débrayé pour protester, entre autres, contre la proposition de la direction. »

Alors que l’inflation fait s’envoler les prix, il précise que les organisations syndicales tablent sur une hausse minimale de 5 % pour entamer de véritables discussions. « Il faut voir l’argent qu’ils se mettent dans les poches depuis la crise sanitaire ! renchérit-il. Au lieu d’augmenter les salaires, ils proposent de revaloriser la prime de départ à la retraite, ainsi que les ruptures conventionnelles pour les employés présents depuis plus de quatorze ans. Ce qui n’arrive quasiment jamais sur nos sites. »

Filtrage des camions à l’entrée du site

Ses camarades grévistes du site de Boves montrent sur les réseaux sociaux une détermination entière et une organisation à faire pâlir d’envie leur employeur : stocks de palettes et de pneus, braseros copieusement alimentés, barnums ornementés de drapeaux aux couleurs de l’intersyndicale et même présence d’un DJ pour ambiancer le tout…

Des dizaines de travailleurs en tenue, chasuble orange de sécurité de rigueur, apparaissaient dans l’après-midi à l’entrée de l’entrepôt situé en périphérie d’Amiens, tandis qu’un barrage filtrant ne laissant passer les transporteurs qu’au compte-gouttes créait une file d’attente de camions. « C’est parti pour un bon moment, prévient dans une vidéo un représentant du personnel CGT d’Amazon France Logistique. Tant qu’on n’aura pas gain de cause, on continuera. Aujourd’hui on (sera) là jusqu’à minimum minuit, une heure, voire jusqu’à demain matin…»

Certains sites s’étaient déjà mis en grève quelques semaines auparavant, mais c’est la première fois que les huit méga-entrepôts placés au cœur du dispositif logistique du numéro un mondial de la livraison à domicile coordonnent une action en même temps. Et coupent ainsi l’herbe sous le pied aux dirigeants de la filiale aux 7,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (2020), habitués à dérouter les livraisons lorsque l’entreprise doit faire face à des mobilisations ponctuelles.

Des pressions pour briser le mouvement

Pour l’heure, les témoignages faisant état de « pressions » de la part des managers pour briser le mouvement s’accumulent. Dans une communication, la CGT Beauvais dénonce une «  entrave au droit de grève » et prévient : « L’inspection du travail va être saisie. » Joint par téléphone, Mathieu Ciserane, représentant du personnel SUD à Brétigny-sur-Orge, confirme : « Des managers sous-entendent aux grévistes qu’ils n’auront pas d’avancement, ni de prime ou d’intéressement… » Pas de quoi casser, selon lui, le « ras-le-bol général. Les cadences sont toujours plus élevées et on est de plus en plus surveillés. Au pack, si tu es à 60 colis préparés à l’heure, ils viennent te voir pour te demander de monter à 100 ».

Une « intensification de la charge de travail » que met en lumière un nouveau rapport rendu en février par Progexa, missionné par le CSE d’Amazon. « L’amélioration des conditions de travail devra être un des défis majeurs » des années à venir, indiquait le cabinet indépendant, tout en soulignant une « précarisation de la rémunération ».

L’actuel mouvement social semble confirmer cette tendance. La multinationale se glorifiait de payer ses employés au-dessus du Smic. Mais les seules revalorisations successives et mécaniques de ce dernier, du fait de l’augmentation de l’inflation, risquent de voir la majorité des payes versées par la multinationale rejointes par le salaire minimum légal.

Pour l’heure, la direction justifie sa proposition de faible augmentation collective par « des augmentations de salaire supérieures à la moyenne de la branche transport et logistique, ainsi que d’autres avantages ». L’argument tiendra-t-il encore, jeudi 14 avril, date de l’ultime réunion de négociation avec l’intersyndicale ?

publié le 6 avril 2022

Pour les AESH,
« ce quinquennat
n’a pas pris
la question de l’inclusion au sérieux
»

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Les AESH, accompagnantes d’élèves en situation de handicap, étaient de nouveau en grève ce mardi 5 avril. L’appel national, porté par une intersyndicale (CGT éduc’action, la FSU, Sud…), a mobilisé dans plusieurs villes françaises. Dans le cortège parisien, les manifestantes tirent un bilan sévère d’un quinquennat qui avait promis, pourtant, de faire progresser l’« inclusion scolaire ». Et portent un regard peu enthousiaste sur les candidats aux présidentielles. 

 Durant le quinquennat Macron qui se clôt désormais, l’« inclusion scolaire » fut un mot d’ordre répété par la secrétaire d’État au handicap, Sophie Cluzel. Le Président de la République lui-même a insisté sur cet enjeu. Sans compter sa « grande cause du quinquennat » que devait être l’égalité femmes-hommes. De quoi toucher au coeur les AESH (accompagnantes d’élèves en situation de handicap), un secteur très majoritairement féminisé ? Pas vraiment. Dans le cortège parisien de ce 5 avril, les manifestantes partagent une conclusion amère des cinq années écoulées.

« Je me rappelle, au début du quinquennat, Macron et les députés LREM avaient parlé des AESH. Mais c’est un sujet qu’ils ne maîtrisent pas vraiment. On ne peut pas laisser encore des gens à un niveau de salaire si dérisoire ! » fustige Farimata, AESH dans le 10ème arrondissement de Paris. « Globalement, il faut le dire : rien n’a été fait. On attend des mesures fortes ». Entre autres : un vrai statut professionnel, et la sortie de la précarité.

Ce que les AESH retiennent du quinquennat Macron

« Ce quinquennat n’a pas pris la question de l’inclusion au sérieux », estime Blandine Turki, enseignante syndiquée à la FSU. Cette dernière a fait la route depuis le Doubs pour soutenir « ses collègues, dont on ne reconnaît pas l’importance. Sans AESH, l’école ne fonctionne pas. La reconnaissance passe par un nombre d’heures digne, un salaire, et de la formation. Et ça, actuellement, elles ne l’ont pas ».

Au sein de son établissement scolaire, le manque de moyens pour accompagner les élèves en situation de handicap est prégnant, assure-t-elle. Elle regrette qu’il n’existe toujours pas de temps de formation des enseignants sur le sujet. Ni de temps dédié à la coordination avec leurs collègues AESH.

Il y a bien eu quelques mesures, notamment du budget débloqué pour des embauches d’AESH durant le quinquennat. Des « pansements », balaie Blandine Turki. « Ils nous ont fait croire qu’il y aurait des recrutements en nombre suffisant, mais ce n’est toujours pas le cas ».

Le contexte de la pandémie a alourdi la colère des AESH. Thibault, un collègue de Farimata, rattaché à une ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire), garde de mauvais souvenirs des premiers mois. « On nous a envoyé sans considération, comme au front à la guerre… Mais sans protection, sans rien. Il fallait être avec les élèves, peu importe qu’on soit malades, peu importe nos conditions de travail ».

Les PIAL, point de crispation central

Mais ce qui reste en travers de la gorge dans le bilan du quinquennat, c’est la mise en place des PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés). Ces pôles ont réorganisé le temps de travail des AESH, dans un objectif de mutualisation. « Depuis l’année dernière, on m’a affectée à quatre écoles élémentaires différentes. C’est fatiguant : on reste une ou deux heures avec un enfant, puis il faut bouger… Je peux être amenée à avoir trois enfants dans la même journée » raconte Mireille Tefaaora, AESH sur Paris.

Les PIAL ont saupoudré les heures de travail hebdomadaires sur davantage d’enfants. Et multiplié les lieux d’intervention. « Certains ne supportent pas la mutualisation car elles imposent des contraintes. On peut se retrouver avec plusieurs élèves en même temps, c’est vrai. Mais je pense aussi qu’on peut trouver parfois de meilleures organisations entre établissements », tient à nuancer Farimata, qui est devenue elle-même coordinatrice d’un PIAL.

Son collègue Thibault, qui marche à ses côtés, reste sur un avis très critique. À ses yeux, ce système empêche un accompagnement individualisé en profondeur. Il fragilise aussi « le suivi scolaire et des devoirs en dehors de la classe ». C’est également l’opinion de l’enseignante Blandine Turki. D’après ce qu’elle observe dans le Doubs, les PIAL ont « dégradé les conditions d’accueil des élèves et les conditions de travail des collègues… On demande aux AESH de se déplacer beaucoup alors qu’elles n’ont déjà pas beaucoup de finances ». Cela implique en effet, en zone rurale, des kilomètres de voiture à avaler chaque jour.

« Moi, je n’y crois plus aux promesses de Macron »

 Les AESH disposent généralement d’un contrat de 24 heures par semaine. Dans le cadre de sa candidature pour un nouveau mandat, Emmanuel Macron a évoqué l’idée de l’augmenter à 35 heures. « Oui, mais au même salaire que le SMIC… Donc ça ne changera rien pour nous », réagit immédiatement Thibault. « N’oublions pas qu’un prof, c’est 18 heures face aux élèves, et ce n’est pas payé au SMIC. 35 heures face à l’élève, moralement, ce n’est pas possible. On travaille avec de l’humain ! »

Ce seuil de 35 heures serait atteint, selon la vision du candidat Macron, en « prolongeant leur accompagnement sur le temps de cantine, après l’école et pendant les vacances (…) Toutefois, il ne dit pas comment s’articuleront ces différents temps : qui sera l’employeur, qui sera le coordonnateur (…) ? » décrypte le site spécialisé Café Pédagogique.

Au-delà de ce qu’implique cette orientation, beaucoup demeurent désabusés dans le cortège. « Moi je n’y crois plus aux promesses de Macron. Macron et Blanquer, ce sont ceux qui ont détruit l’école publique. Ils ne pourront pas la réparer avec des promesses », souffle Blandine Turki.

Mireille Tefaaora, l’AESH à Paris, balaie aussi : « c’est la période de vote, je ne sais pas s’il tiendra parole s’il est réelu ». Elle est venue manifester avec sa collègue Hachimiat. Toutes deux travaillent sur la base d’un CDD de 24 heures hebdomadaires. Le tout pour près de 800 euros net par mois. « C’est difficile de vivre avec ça. C’est même invivable », résume Hachimiat.

« Il faut que les candidats sachent que c’est un problème majeur »

Dans le cortège, quelques élus franciliens sont présents. C’est le cas des écologistes Julien Bayou et Nour Durand-Raucher, par exemple. Au loin, une grande silhouette se détache : celle du candidat Yannick Jadot. Les AESH qui le reconnaissent passent le mot à leurs collègues. D’autres, comme Farimata, sont loin d’être impressionnés. « Aujourd’hui, on sent la récupération politicienne », siffle-t-elle. « Il ne suffit pas d’en parler au moment des élections. Pour que les candidats soient crédibles, il faut qu’ils se saisissent du sujet en amont. C’est un travail de longue haleine que de faire reconnaître notre métier indispensable… », insiste-t-elle.

Les mobilisations successives des AESH ces derniers mois leur ont permis de mieux se faire entendre du grand public et des responsables politiques. Mais quand on demande à Farimata et son collègue Thibault quelle place a pris la question des AESH et de l’inclusion scolaire dans la campagne, ils répondent en choeur : « aucune ! »

Personne, parmi les personnes interrogées dans la manifestation, ne retient de proposition pertinente de la part d’un candidat. Or, « il faut que les candidats sachent que c’est le problème majeur des enseignants actuellement », appuie Blandine Turki. Les CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sont saisi « essentiellement » de ce problème, relate la responsable syndical. « C’est la préoccupation première des enseignants en ce moment – avec les salaires… », précise-t-elle en souriant. « Quand on est en salle des maîtres, c’est de cela dont on discute en premier ! »

En restant sur une base de 24 heures temps plein, « Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo et Jadot veulent en faire un statut pérenne, intégré à la fonction publique avec un salaire décent », analyse l’article de Café Pédagogique. « Roussel se distingue des autres candidats de gauche en proposant un recrutement de 90 000 AESH en plus des 125 000 actuels (…) Mais aucun des candidats n’évoque le support budgétaire nécessaire ni les changements législatifs indispensables ». 

Toutes et tous, dans le cortège, semblent se préparer à un nouveau quinquennat de mobilisations. « Les enfants en situation de handicap demandent du temps. Du temps de confiance. Ils ne se rendent pas compte… Ils devraient venir sur le terrain pour voir comment cela se passe » soupire Hachimiat. Comme ses collègues, elle mise sur le soutien des parents d’élèves et d’enseignants pour peser davantage dans le rapport de forces. Au quotidien comme dans la mobilisation, « c’est un travail d’équipe », sourit-elle.

 publié le 3 avril 2022

Attac occupe la Samaritaine pour dénoncer les vrais « assistés » du quinquennat Macron

sur https://france.attac.org

Ce dimanche 3 avril, 70 militants et militantes d’Attac, du Droit Au Logement, du collectif Inter-Urgences et du syndicat Solidaires Finances publiques ont investi à 11h30 la Samaritaine pour l’occuper. Face à la traque des précaires, organisée et annoncée par Emmanuel Macron, ils sont venus démasquer les véritables « assistés » de son quinquennat : les plus riches et les multinationales. Les premiers, grands héritiers pratiquant l’évasion fiscale pour la plupart, les secondes, abreuvées d’aides publiques sans conditions pendant la crise du Covid, ont considérablement profité des choix politiques d’Emmanuel Macron. On assiste ainsi à une concentration inédite des richesses et au creusement des inégalités.

Dans le hall du bâtiment, les activistes ont déployé sous une pluie de billets une banderole à l’effigie des ultra-riches « Françoise Bettencourt, Vincent Bolloré, Bernard Arnault, François Pinault, Xavier Niel, Patrick Drahi » portant le message « Profiteurs des aides publiques, fraudeurs fiscaux, héritiers... c’est qui les assistés ? ». En contrebas, alors que les interventions des différents porte-paroles se succèdent, les militants brandissent des pancartes reprenant les slogans de l’action pendant que d’autres organisent un simulacre de jeu télévisé nommé « L’injuste prix » étrillant les vrais assistés du quinquennat Macron.

Pour Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac "Chaque campagne présidentielle fournit son lot d’attaques contre les plus précaires. A droite et à l’extrême droite, on promet de faire la chasse aux « fraudeurs sociaux », quand, de fait, Macron s’y est déjà allègrement prêté dans son quinquennat. Le ton est cependant bien plus doux, et les mesures proposées floues, voire inexistantes, quand il s’agit de s’attaquer à la fraude fiscale et aux aides publiques des vrais assistés : les plus riches et les multinationales. Emmanuel Macron et les autres candidats des inégalités (Valérie Pécresse, Eric Zemmour et Marine Le Pen) proposent même de diminuer les droits de succession, accroissant l’injustice fiscale et les inégalités en faveur des plus riches."

Comme l’ont montré les rapports «  Allo Bercy  » de l’Observatoire des multinationales, les aides publiques massives sont à l’origine des records de bénéfices pour les entreprises du CAC 40. Ainsi, en 2021, elle ont accumulé 160 milliards d’euros de bénéfices : il s’agit là d’un nouveau record de profits, « dépassant de plus de 60 % son précédent pic de 2007 ».

Pour justifier la fortune indécente des milliardaires, il est régulièrement expliqué que les « premiers de cordée » ont un incroyable talent, prennent des risques et que leur rémunération reflète leur mérite. Or, quel est leur mérite alors que 80 % des milliardaires français sont des héritiers selon Forbes, à part celui d’être bien nés et que 100 % des milliardaires sont des actionnaires. Une récente note du Conseil d’analyse économique alerte sur le fait que la France est en train de redevenir une «  société d’héritiers ».

Par ailleurs, le quinquennat d’Emmanuel Macron a été marqué par un net durcissement du « contrôle social » et un affaiblissement préoccupant du contrôle fiscal alors que la fraude aux prestations sociales représente 1 à 3 milliards d’euros, contre 80 à 100 milliards pour la fraude et l’évasion fiscales. Comme révélé par la récente affaire du "McKinseyGate", le contrôle fiscal est atrophié par une législation complaisante et une baisse de moyens considérable : ce recul des contrôles n’est qu’un choix politique soigneusement dissimulé !

Par rétablir justice fiscale, Attac propose les mesures suivantes :

  • le rétablissement et le renforcement de l’ISF ;

  • le rétablissement de la progressivité de l’imposition des revenus financiers avec la suppression de la flat tax ;

  • le remboursement des aides publiques aux entreprises du CAC 40 qui ont été utilisées pour gonfler le versement de dividendes plutôt que dans des plans d’investissement ou d’embauches ;

  • le renforcement des moyens humains et financiers du contrôle fiscal ;

  • la réhabilitation des droits de succession et de donation.

publié le 31 mars 2022

« La coopérative, ça change tout ! » : Chez les Fralib,
sept ans après la reprise de l’usine

par Jean de Peña et Nina Hubinet sur https://basta.media/

À Gémenos, près de Marseille, les « Fralib », ex-salariés d’Unilever, ont repris leur usine de thé sous une forme coopérative en 2015. Depuis, même si rien n’est facile, les salariés-coopérateurs ne sont pas prêts de revenir en arrière.

Les petites boîtes en carton siglées « 1336 » défilent sur la ligne. Dans l’immense salle de production des Fralib, cathédrale industrielle baignée dans le brouhaha des machines, Nasserdine Assaoui, opérateur mécanicien, a les yeux rivés sur la chaîne. Il vérifie que tout se déroule normalement, que chaque sachet de thé en mousseline tombe bien dans une des boîtes rectangulaires, dont le logo rappelle les 1336 jours de lutte des anciens salariés de la marque Éléphant pour récupérer leur usine.

1336 jours de lutte - Le logo de la marque de thé rappelle les 1336 jours de lutte des anciens salariés de la marque Éléphant, propriété d’Unilever, pour récupérer leur usine.

En 2010, le groupe Unilever, propriétaire d’Éléphant, annonçait vouloir délocaliser la production en Pologne. La multinationale laissait alors le choix aux 182 salariés du site entre un déménagement vers l’est de l’Europe et un licenciement économique. Les Fralib se sont alors inventé un autre avenir : récupérer leur usine et créer une coopérative pour relancer la production (voir notre article). C’est finalement en 2015 que les machines ont redémarré, avec 42 salariés-coopérateurs aux manettes, tous et toutes venues de la lutte.

Solidarité - « Il y a une solidarité nouvelle. Quand on a un problème sur une machine, les autres viennent nous aider. »

À quelques mètres de Nasserdine, Fabrice Caillol est en train de réparer une pièce. « À l’époque d’Unilever, on avait tout un stock de pièces détachées. Quand une pièce était défectueuse, on la jetait et on en prenait une neuve. Alors qu’aujourd’hui, on n’a pas les mêmes moyens… donc on répare ! » sourit le technicien de 49 ans, qui travaille dans cette usine depuis 1994. Même si cette « frugalité » lui demande plus d’efforts, il ne regrette pas l’époque de la multinationale. « On n’a plus quelqu’un qui nous surveille en permanence, et on est soudés… Donc on vient pas bosser la boule au ventre », explique-t-il. Son collègue Nasserdine, 46 ans dont 25 passés à l’usine de thés de Gémenos, opine du chef : « Il y a une solidarité nouvelle. Quand on a un problème sur une machine, les autres viennent nous aider. Alors qu’avant, le mécanicien faisait que de la mécanique et l’électricien que de l’électricité. Il fallait faire venir un intérimaire pour réparer un truc. »

Nasserdine Assaoui, opérateur mécanicien : « La coopérative, c’est comme une famille. Donc comme dans une famille, il y a des hauts et des bas. C’est pas le monde des bisounours ! »

Pour autant, l’un comme l’autre ne cherchent pas à gommer les tensions ou les désaccords. « La coopérative, c’est comme une famille. Donc comme dans une famille, il y a des hauts et des bas. C’est pas le monde des bisounours ! » sourit Nasserdine. Et le passage d’une multinationale de l’agroalimentaire à une société coopérative de production (Scop) qui se lance comporte aussi des désagréments financiers : finies les primes de fin d’année et les augmentations. « Nos salaires étaient un peu plus élevés à l’époque d’Unilever, reconnaît Fabrice. Et puis on s’est fixé une règle : pour l’instant, on ne s’augmente pas et on ne verse pas de treizième mois, parce que notre priorité, c’est de pérenniser l’entreprise. » Après six années de fonctionnement, la nouvelle coopérative est encore fragile : 2020 a été la première année à l’équilibre, en partie grâce aux aides gouvernementale liées au Covid.

« On sait qu’on représente un espoir dans la lutte contre les multinationales »

Malgré les inquiétudes que peut susciter ce nouveau modèle, Nasserdine et Fabrice ne voudraient pour rien au monde revenir à un modèle capitaliste et hiérarchique classique. « On a établi les nouveaux horaires ensemble, et chacun a choisi s’il voulait faire quatre ou cinq jours dans la semaine », détaille Nasserdine. Il n’y a par ailleurs plus de travail de nuit ou le week-end. Mais ce n’est pas vraiment un choix : si les Fralib parviennent à avoir plus de commandes, ils ne s’interdisent pas de relancer la production la nuit et le week-end. En termes de santé au travail aussi, l’ambiance n’est pas la même qu’à l’époque d’Éléphant. « Si l’un de nous a une fragilité, on essaie d’aménager son poste pour qu’il se fatigue moins ou qu’il ne se fasse pas mal », souligne Nasserdine, en étirant justement une épaule un peu douloureuse.

Fabrice Caillol, technicien : « À l’époque d’Unilever, on avait tout un stock de pièces détachées. Quand une pièce était défectueuse, on la jetait et on en prenait une neuve. Aujourd’hui, on n’a pas les mêmes moyens… donc on répare ! »

« Dans tous les cas, maintenant, s’il y a un souci de planning, on monte à l’étage en parler, dit l’opérateur mécanicien. Avant il n’y avait aucune relation entre les gens de la ligne et ceux des bureaux. » Peut-être aussi important que les horaires ou l’ambiance dans l’usine, les deux ouvriers évoquent aussi la « fierté » qui les animent. « Maintenant, quand on a des stagiaires, on les prend vraiment en charge. On a quelque chose à leur transmettre, affirme Nasserdine. Et puis, il y a des gens qui nous soutiennent partout en France, on nous envoie de l’argent... On sait qu’on représente un espoir dans la lutte contre les multinationales. Donc on veut pas décevoir. »

Repère : Un équilibre financier encore fragile
L’année 2020 a été la première à l’équilibre pour Scop-Ti, en partie grâce aux aides versées par le gouvernement. « En 2021, notre chiffre d’affaires a subi un recul de 8 %, mais nous restons à l’équilibre », fait savoir Olivier Leberquier. Et sur les 220 tonnes produites, 80 % sont des « marques repères » destinées à la grande distribution, pour seulement 20 % de thé et tisanes de marque 1336. Si la coopérative a encore du mal à se développer, c’est notamment parce que la nouvelle marque peine à trouver ses circuits de diffusion. « Au-delà du sud de la France, les thés 1336 sont encore peu présents dans les rayons des supermarchés », déplore Gérard Cazorla. L’un des espoirs des ex-Fralib se situe du côté de la vente en ligne : les commandes passées via leur site internet représentent aujourd’hui 15 % de leur chiffre d’affaires, et sont en augmentation constante. Un collectif de mutuelles envisage par ailleurs de racheter le terrain sur lequel l’usine est installée, pour y créer, autour du lieu de production des thés, un pôle dédié à l’économie sociale et solidaire. De quoi soulager Scop-Ti d’un loyer qui dépasse les 100 000 euros par an.

 

De manutentionnaire à comptable

Dans les bureaux, à l’étage, où le bruit des machines n’est presque plus perceptible, un même sentiment de responsabilité se fait entendre. « Beaucoup de gens nous voient comme une solution pour conserver les emplois industriels et inventer un autre modèle social, assure Rim Hidri, assise face à son ordinateur. On y croit, mais ça met la pression !  » Le passage à la Scop a transformé sa vie professionnelle : manutentionnaire à l’époque d’Unilever, intérimaire pendant six ans, Rim, 45 ans, est aujourd’hui comptable. « Grâce à ma formation initiale, j’avais des compétences en ressources humaines que j’ai mises au service du groupe pendant la lutte, pour monter les dossiers juridiques des salariés notamment. »

Rim Hidri, comptable de la coopérative : « Comme d’autres ici, je me suis rendue compte que j’étais capable de faire quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible avant », Rim Hidri, ancienne manutentionnaire, est devenue comptable de la coopérative.

Lorsque les Fralib réussissent enfin à récupérer l’usine, les cadres sont partis, il faut tout réorganiser pour assurer toutes les fonctions dans l’entreprise. Le groupe propose alors à Rim de se former pour devenir assistante comptable. « Au départ, j’ai eu peur ! D’autant que je n’étais pas très "chiffres"... », sourit l’ancienne intérimaire. Mais elle suit alors un principe que s’est fixé le collectif soudé par le long conflit social : « Il n’y a pas un métier qu’on ne peut pas apprendre ! On a chacun était obligé de dépasser nos limites. » Touchée par leur combat, l’ancienne directrice financière d’une autre entreprise agro-alimentaire vient accompagner Rim dans son apprentissage de la comptabilité. « Comme d’autres ici, je me suis rendue compte que j’étais capable de faire quelque chose que je n’aurais pas imaginé possible avant. »

Olivier Leberquier, président du conseil d’administration : « L’assemblée des 58 coopérateurs élit le conseil d’administration, qui lui-même désigne un comité de pilotage », Olivier Leberquier, président du conseil d’administration de Scop-TI, était délégué CGT du temps d’Unilever.

Malgré la joie d’être partie prenante de cette aventure collective, Rim souligne aussi que travailler dans une coopérative, « c’est parfois dur, il faut beaucoup s’investir ». Son nouveau métier comme le nouveau statut de l’entreprise génèrent aussi du stress. « Avant, quand j’étais manutentionnaire, je pointais en arrivant ici, et quand je rentrais chez moi je me déconnectais totalement. Là, évidemment, ce n’est pas la même chose. »

« Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise »

Pour Olivier Leberquier aussi, la « charge mentale » liée à la coopérative est plus prenante. Et ses horaires de travail ont plutôt enflé par rapport à ce qu’ils étaient du temps d’Unilever. « Je quitte rarement les lieux avant 20 h », regrette – avec le sourire – le président du conseil d’administration de Scop-Ti, toujours aussi enthousiaste et déterminé. L’ancien délégué CGT est aujourd’hui l’un des coordinateurs de la coopérative, dont il détaille volontiers l’organisation : « L’assemblée des 58 coopérateurs élit le conseil d’administration, qui lui-même désigne un comité de pilotage. »

« Les salariés ont leur destin en main » - « Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise… Maintenant les salariés ont leur destin en main », Gérard Cazorla, désormais retraité, est président de l’association Fraliberthé.

Ce comité, qui se réunit au minimum deux fois par mois, fait des propositions de décision envoyées au conseil d’administration puis à l’ensemble des coopérateurs. « Si une décision prise est remise en cause par les coopérateurs, on détricote », explique Olivier. La prise de décision collective ne peut fonctionner que si les salariés-coopérateurs se tiennent informés des discussions et réflexions de ce comité de pilotage, rapportées dans des compte-rendus par mail. « Malheureusement, il y a toujours quelques coopérateurs qui viennent travailler à Scop-Ti comme ils venaient avant travailler dans l’usine Unilever. Ils ne lisent pas les mails et disent ensuite "J’étais pas au courant !"… », déplore Olivier.

Henri Soler, ancien magasinier : Henri Soler, ancien magasinier, désormais à l’accueil de l’usine. C’est aussi l’un des artisans de la pièce de théâtre que les ex-Fralib ont créée sur leur combat contre Unilever.

Si le temps passé en réunion est pris sur le temps de travail, l’investissement que demande la coopérative n’a en effet rien de naturel. « Les gens ont besoin de hiérarchie, ils préfèrent souvent qu’il y ait une personne qui prenne les décisions, alors que nous on veut au contraire responsabiliser, se désole Gérard Cazorla, autre ancien leader de la lutte contre Unilever. La transformation prend du temps... On a été élevé comme ça, pour obéir plus que pour réfléchir et prendre des initiatives. »

Elargir la distribution - L’enjeu pour la coopérative est de trouver de nouveaux réseaux de distribution, pour assurer sa pérennité.

Aujourd’hui retraité, il n’en est pas moins très investi dans l’association Fraliberthé, qui s’occupe d’élargir la diffusion des produits 1336 comme de promouvoir le modèle coopératif. L’ancien secrétaire CGT de l’usine est lui persuadé que la coopérative, « ça change tout ! » : « Avant on devait deviner quelle était la stratégie de l’entreprise… Maintenant les salariés ont leur destin en main. »

publié le 30 mars 2022

Avec les trieurs de déchets : « Recycler, ça sauve peut-être la planète mais pas les travailleurs »

par Ludovic Simbille sur https://basta.media/

La filière du recyclage promet d’allier défense de l’environnement et de l’emploi. Derrière cette économie vertueuse, les travailleurs triment entre cadences effrénées, risques d’accidents et expositions aux produits chimiques.

C’est un combat quotidien auquel nous incite la pub d’Ecosystem, un organisme public qui promeut le tri des déchets. Un combat pour l’environnement que mènerait 48 % de la population française en apportant au recyclage ses appareils défectueux, ses piles usagées ou en jetant ses emballages dans le bon conteneur. Ce simple « geste citoyen » qui réduirait les consommations d’énergie et éviterait l’émission de millions de tonnes de CO2... « Trier, c’est donner », insiste Citeo, entreprise créée par le secteur de la grande consommation et de la distribution pour « réduire l’impact environnemental de leurs emballages et papiers ». « Aujourd’hui, 68 % des emballages ménagers et 60,5 % des papiers sont recyclés grâce au geste de tri des Français, devenu premier geste écocitoyen du recyclage », vante Citeo.

Pour accomplir ce « geste citoyen », Fofana Yoro se lève toutes les nuits à 3 h. Depuis son orientation professionnelle en 2015 vers ce secteur dit d’avenir, ce Malien de 37 ans prend trois bus pour arriver au centre de tri du Syctom (l’agence parisienne de tri des déchets) de Paris, dans le 15e arrondissement, aux alentours de 5h30. Une fois sa tenue enfilée et un café plus tard, il se positionne à 6h sur la chaîne de triage gérée par l’entreprise Xveo, filiale du groupe Véolia. Fofana Yoro occupe l’un de ces dizaines de milliers d’« emplois verts » que doit générer la transition écologique.

Trier cartons, seringues et couteaux

Son collègue Ibrahima Baradji, 64 ans, conduit déjà sa pelleteuse depuis dix minutes. Depuis l’ouverture de ce site de traitement parisien en 2011, l’homme bientôt retraité a vu défiler plusieurs entreprise (Coved, Ihol, Xveo) à qui Paris externalise le tri des déchets. Au volant de son engin, Ibrahima récupère dans le hall de déchargement les ordures que les camions-bennes ont acheminées après le ramassage des poubelles en ville [1]. Il les déverse ensuite dans la trémie, un grand conteneur alimentant la ligne de tri d’où les déchets filent sur les tapis, traqués par des lecteurs optiques, par des aimants aspirant les éventuels métaux. Une trommel, sorte d’énorme tambour rotatif troué de machine à laver, les dispatche par type de matière. Le tout termine sa course dans une cabine où une armada de petites mains trie ce que la mécanique n’a pas passé au crible.

Bouteilles, papier, canettes… les déchets sont ici compactés en masses appelées « balles » et deviennent ainsi de la « matière première secondaire », qui est vendue. Les déchets refusés à cette étape iront à l’incinérateur. En tout, seulement 20 % de nos ordures seraient réellement valorisés. « On aide la machine, car le tri sélectif à la maison n’est pas bien fait », regrette Ibrahima. Nos poubelles réservent toutes sortes de surprises à ces travailleurs à l’ombre de la société de consommation.

Sur le tapis dédié aux cartons, Fofana ôte les intrus, place dans les bacs les éventuels vêtements, chaussures, bouts de ferraille... « Au bout d’un mois, plus besoin de regarder, c’est automatique ». Mais il faut rester à l’affut d’éventuelles coupures et du risque d’infection... Car avec la crise sanitaire, les blouses et masques médicaux, dits « déchets d’activités de soins à risques », ont encombré les conteneurs.

Fofana s’est déjà piqué avec des seringues que jettent les hôpitaux environnants, et s’est fait soigné d’un simple pansement, sans vraiment s’arrêter... Au site de traitement des déchets Paprec du Blanc-Mesnil (93), Moustafiha Diabira fixe des yeux l’amont du tapis roulant pour repérer, par exemple, la viande avariée, les couches pleines, les couteaux ou autres « seringues de crackés » défilant à 70km/h, avec des pics à plus de 80km/h. Le quinquagénaire arrivé du Mali en 1997, tente d’éviter qu’une bouteille de verre lui coupe ses gants mal adaptés. « Heureusement que je les avais doublés moi-même, sinon je m’entaillais le doigt », dit-il. À cette vitesse, « on est comme prisonnier » du tapis, dit-il. Après quinze mois à tendre ses bras au milieu du tapis, « j’avais l’impression que mes épaules allaient tomber ».

Dans sa cabine, Fofana, en poste depuis l’aube, trépigne de son côté des heures durant, en posture statique, jusqu’au changement d’équipe de 13h30. Ses chevilles gonflent, lui font mal. Les anciens lui conseillent de « bouger toutes les deux heures ». « Le plus dur c’est de rester debout », concède aussi l’ex-trieur Ibrahima. Des chaises assis-debout ont finalement été installées.

« Le tri nécessite une bonne condition physique »

À pousser, soulever, basculer, et renverser 70 kilogrammes de ferrailles jusqu’à vingt fois par jour, les muscles se raidissent, le dos se tasse et se casse. L’année dernière, un journaliste de l’émission Cash Investigation a filmé en caméra cachée une travailleuse paralysée par la douleur sur une chaîne de tri de Paprec. En réponse, le géant du recyclage s’est dit conscient que « le tri nécessite une bonne condition physique » et a déclaré faire des « efforts permanents » d’amélioration des conditions de travail en recrutant des ergonomes et en modernisant ses centres automatisés.

« Beaucoup d’entreprises mettent en avant leurs outils technologiques sans que certains principes de base, comme des marquages au sol, ne soient respectés », déplore de son côté auprès de basta! un inspecteur du travail francilien. En 2018, un agent du site de traitement des déchets de La Courneuve a filmé des conditions plutôt éloignées des recommandations de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) [2]. Cette vidéo, diffusée par Cash Investigation et que Basta! s’est procurée, montre des travailleurs sans casque à proximité des grappins mécaniques, ou marchant sur un tapis menant à un broyeur, avant que des engins ne leur déversent des détritus dessus.

Des travailleurs morts dans les centres de tri

Recycler, « ça sauve peut-être la planète mais pas les travailleurs », constate au quotidien le trieur francilien Fofana. Vue de sa cabine de tri, l’aventure verte promise par les éco-organismes n’est pas si rose. Vacarme, poussière, substances chimiques… Le traitement du déchet demeure un métiers des plus dangereux, et les accidents y sont fréquents et graves, rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). La filière « Déchets d’équipement électrique et électronique », celle vantée par la pub d’Ecosystem, présente notamment des « risques chimiques ou biologiques élevés », souligne l’Anses.

Au centre de tri, les rares pauses sont souvent synonymes de pannes ou d’incidents. Comme cette matinée où Ibrahima a dû stopper la chaîne « pour laisser l’air rentrer », car du gaz a explosé à cause d’un aérosol. En cas de « bourrage » de la goulotte d’arrivée, Fofana va la désencombrer, non sans risque. « Le débourrage est une des zones accidentogènes les plus dangereuses du recyclage », appuie Ali Chaligui, coordinateur CGT du groupe Véolia Propreté.

 

Vacarme, poussière, substances chimiques : le traitement du déchet demeure un métiers des plus dangereux

En 2009, un trieur non formé a été tué lors d’une telle opération chez Coved, filiale de Paprec. L’entreprise a été condamnée pour homicide involontaire. En janvier, le parquet d’Évry a requis 150 000 euros d’amendes pour homicide involontaire contre Paprec suite à la mort d’un salarié en 2014. L’homme était mort broyé, happé par une machine de tri de déchets sur son lieu de travail dans l’Essonne. Mais le 8 mars, le tribunal correctionnel d’Évry a déclaré « l’extinction des poursuites judiciaires » qui visaient Paprec Environnement suite à ce décès. Une décision motivée par « la fusion par absorption de l’entreprise par Paprec Grand Île-de-France ».

2014 toujours, c’est sur un autre site de la même entreprise, à La Courneuve, qu’un travailleur décède sous le poids des balles de papier. En décembre 2021, un salarié d’un centre de tri d’une autre entreprise, dans les Pyrénées-Orientales, a perdu la vie en chutant dans un cylindre (lire aussi notre reportage dans une usine de Montluçon en 2015).

« Avec la grève, ils ont été respectés par la direction »

À Xveo, la grève lancée le 14 octobre dernier par les trieuses et trieurs du site s’est interrompue sans que les négociations avec Véolia n’aboutissent. Mais « ce n’est que partie remise », préviennent les ex-grévistes, réunis début février pour décider des suites de leur mouvement et du partage de leur caisse de grève [3]. Leur but : une revalorisation de salaire de 200 euros et une prime « qualité » de 150 euros. En dix ans, ces recycleurs n’ont pas vu leur rémunération augmenter au même rythme que la masse de détritus traités sur le site. Officiellement, celle-ci a plus que doublé, passant de 30 à 70 tonnes journalières sur la période, bien davantage, selon les trieurs.

Repère :

De fausses promesses suite à l’émission de Cash Investigation ?

Lors de son émission du 11 novembre 2021 consacrée à « La grande illusion » des déchets, l’émission Cash Investigation de France2 avait montré que la moitié des équipes d’un centre de tri de Paprec étaient constituées de travailleurs temporaires. Dans un communiqué en « réponse à Cash », le groupe a tenu à rectifier que son taux d’intérimaires représentait 14 % des 12 500 salariés. La moyenne du secteur serait de 5 % d’intérimaires parmi les emplois.
Interrogé par la journaliste Élise Lucet sur ce recours abusif à des salariés externes, le patron du groupe Paprec, Jean-Luc Petithuguenin, a pris un engagement :
« Si ça existe, ils peuvent aller voir ma DRH pour être titularisés, demain matin ». Alors « CDI pour tout le monde », comme l’a suggéré la voix off du documentaire ? Pas vraiment... Selon nos informations, au moins une quinzaine d’intérimaires (sur deux sites franciliens), enthousiasmés par les promesses de leur PDG, ont été remerciés au lendemain de la diffusion de l’émission.

Pourtant, ces salariés, employés par différentes entreprises de travail temporaire, présentaient l’ancienneté suffisante avec un cumul de 20, 25, ou plus de 30 mois d’intérim... Une trentaine, issue de deux sites franciliens, avaient signé une pétition pour demander leur requalification et un réaménagement du planning sur le site de Blanc-Mesnil. À l’origine de la requête collective, Moustafiha Diabira s’est ainsi vu notifier sa fin de mission le 22 novembre après deux ans d’intérim. « On m’a dit "tu défends trop les gens" », raconte ce père de six enfants à qui une titularisation avait été promise peu de temps avant. La CGT s’apprête à saisir les prud’hommes pour une demande de requalification en CDI. À ce jour, l’entreprise n’a toujours pas répondu à nos sollicitations.

 

Dans le viseur également : le donneur d’ordre public. « Le Syctom ne doit pas fuir ses responsabilités », tancent les grévistes. L’agence francilienne de traitement du déchet, administrée par des élus de la ville de Paris, a en effet toute maîtrise sur la mission privatisée [4]. En novembre 2021, le conseil municipal de Paris s’est tout de même prononcé pour la « création d’un groupe de travail sur la commande publique responsable ». Jugé trop léger et peu concret par l’élue insoumise Danielle Simonnet qui en appelle à « un service public », ambitieux en terme écologique et... social.

Si les grévistes n’ont pas encore obtenu gain de cause, ils ont gagné « la conscience de leur force, se réjouit Ibrahima Baradji, devenu représentant CGT du site. Avec la grève, ils ont été respectés par la direction. » Cadres et DRH ont découvert les difficiles conditions de travail du tri sélectif lors du blocage du site. « Certains ont reconnu que c’était un métier très dur et que nos demandes étaient légitimes », se satisfait Ibrahima.

Des intérimaires « kleenex » ?

Beaucoup des employés du secteur enchaînent des emplois peu qualifiés, précaires, entre CDD, contrats d’insertion ou missions d’intérim. Les directions peuvent s’en séparer facilement. « Les intérimaires sont comme des kleenex », lâche un titulaire. L’action collective des salariés Xveo n’est donc pas anodine dans une profession, peu syndiquée, où la moindre revendication peut coûter cher. Mahamadou Kanté en sait quelque chose. Le représentant CGT Paprec-Île de France a fait l’objet de deux procédures de licenciement de la part du géant recycleur. Deux procédures refusées par l’inspection du travail.

Condamnée en 2018 pour « discrimination », la firme aux 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires a dû réintégrer le salarié avant qu’une rupture conventionnelle ne soit finalement négociée. Son actuel successeur a quant à lui été mis à pied à deux reprises depuis qu’il a pris sa carte syndicale.

À l’heure où le gouvernement s’apprête à verser 370 millions d’euros aux industriels de cette « filière d’avenir », veillera-t-il à ce que le recyclage ne repose pas sur une main-d’œuvre jetable ?

Notes

[1] Ce centre réceptionne les déchets ménagers des villes de Bagneux, Montrouge, Malakoff et des 5e, 6e, 7e, 13e, 14e et 15e arrondissement de Paris.

[2] Lire ce document sur le site de l’INRS.

[3] Voir ici.

[4] Le principe dit de « gestion déléguée » permet à la collectivité de garder le contrôle de démocratique de la mission confiée au privé.

publié le 27, mars 2022

 

L’extrême droite est, et sera toujours,

l’ennemie du monde du travail

communiqué CGT, FSU, Solidaires sur https://solidaires.org

Depuis janvier 2014, nos organisations ont lancé une campagne de longue haleine intitulée « Uni·e·s contre l’extrême droite, ses idées, ses pratiques », dans le prolonge- ment de l’appel « La préférence nationale n’est pas compatible avec le syndicalisme », signé en mars 2011.

Les politiques gouvernementales– dont notamment les mesures favorables au capital, la gestion catastrophique de la crise sanitaire –, subies par les salarié ·e ·s, les privé ·e ·s d’emploi, les retraité ·e ·s, les jeunes, les femmes, fournissent un terreau exploité par l’extrême droite. Les politiques d’austérité, sous l’aiguillon des organisations patronales et plus particulièrement du Medef, génèrent une aggravation du chômage, le développement des inégalités sociales, de la précarité, de la pauvreté et des processus d’exclusion. Elles accroissent la désespérance sociale et peuvent pousser dans les bras de l’extrême droite certain ·e ·s salarié ·e·s. Incontestablement, les politiques autoritaires et attentatoires aux libertés nourrissent également l’extrême droite.


 

« Respectabilité » de façade du RN et l’ultra-libéralisme raciste de Zemmour

Ce n’est pas le changement de nom en Rassemblement national et leur volonté de donner l’image d’un parti à la fois respectable et différent des autres qui change la donne : ce parti est fonda- mentalement fasciste, raciste, violent, divise les salarié·e·s et au-delà tend à toujours plus opposer les habitant·e·s entre elles et eux.

Sa stratégie de dissimulation en un « parti respectable » nourri par la colère sociale (retraite à 60 ans, augmentation de l’allocation aux adultes handicapé ·e· s et du minimum vieillesse, « défense » des services publics) n’est qu’un leurre pour cap ter des voix de salarié·e·s frappé·e·s par les politiques néolibérales et des choix austéritaires qui se suc cèdent depuis des années. Les cri- tiques sociales proclamées par ce parti sont une stratégiDécryptage. Cette école de la concurrence que le candidat Macron veut pour les élèvese masquant leur absence totale de volonté de renverser le déséquilibre à l’œuvre entre celles et ceux qui possèdent du capital et les salarié·e·s ne vivant que de leur travail. Rien à attendre de leur part pour nos salaires et nos pensions, notre protection sociale, les services publics, la sortie de l’austérité.

Zemmour, lui, ne fait même pas semblant et ne cache pas ses positions qui reprennent celles du Medef. Il est directement le produit des puissants qui l’ont créé comme personnage médiatique. C’est notamment Bolloré, grand patron, milliardaire et propriétaire de Cnews qui s’est assuré de lui donner une grande audience.

Obsédé par sa haine des immigré ·e ·s et des musulman ·e ·s, il essaie de détourner la colère populaire en créant des boucs-émissaires, fantasmant un monde qui n’a jamais existé où les seules différences seraient la couleur de peau ou la religion !

A l’opposé des orientations mortifères de l’extrême droite, nos organisa- tions syndicales portent un ensemble de propositions alternatives visant à changer le travail pour changer la société.

Nos organisations proposent aux étudiant·e·s, aux salarié·e·s, aux agent ·e·s de la Fonction publique, aux privé·e·s d’emploi, aux retraité·e·s de s’organiser au quotidien, sur les lieux de travail, d’études ou de vie, pour améliorer les droits et combattre les discriminations. De nombreuses mobilisations le montrent : la solidarité, l’égalité des droits, la justice sociale sont des aspirations fortes dans le monde du travail !

Par ailleurs, L’extrême droite joue aussi sur la corde « antimondialiste ». Pour notre part, nous revendiquons une autre mondialisation où les solidarités internationales priment en termes économiques, politiques et sociaux, contrairement à l’opposition entre les peuples prônée par l’extrême droite.


 

Nous diviser sous couvert de « préférence nationale » ne peut servir que ceux qui exploitent et accaparent les richesses.

La haine, l’exclusion, le racisme, ne sont plus le monopole des partis d’extrême droite, elles se sont largement diffusées dans toute la classe politique et participent d’une atmosphère délétère. Que le capitalisme soit d’ici ou d’ailleurs, peu im- porte : pour les salarié·e·s, c’est bien l’exploitation qui est en cause.

C’est bien ce système qui permet l’appropriation des richesses par une minorité . Et c’est bien l’unité des salarié·e·s dans la combativité, quels que soient leur nationalité et leur lieu de travail, qui permettra un meilleur partage des richesses.

Et c’est aussi parce que nos métiers et missions sont au service de l’intérêt général ou que nous voulons les transformer dans ce sens que nous n’acceptons pas de les voir remis en cause par la diffusion des idées d’extrême droite : que ce soit dans les services publics ou dans les entreprises privées, nous voulons travailler à l’égalité de traitement, à l’émancipation, au vivre ensemble, pas à la division et à l’exclusion.

publié le 25 mars 2022

« Vivre dans la dignité
et le respect » :
les retraités en manif
à Montpellier

sur https://lepoing.net/

Entre 1000 et 1500 retraités étaient venus de toute la région ce jeudi 24 mars pour manifester sur Montpellier. Les revendications portaient sur le pouvoir d’achat, la santé et la qualité des services publics.

Ce jeudi 24 mars des rassemblements et manifestations de retraités étaient prévus dans 28 villes, portés par une intersyndicale large regroupant neuf organisations (CGT-FO-CFTC-CFE CGC-FSU-Solidaires-Ensemble et Solaidaires-LSR-Rtraité Fonction Publique).

Sur Montpellier, ils auront été entre 1000 et 1500 à se retrouver autour du kiosque de l’esplanade Charles de Gaulle, venus de tout l’Hérault, mais aussi de Lozère, du Gard, de l’Aude ou des Pyrénées-Orientales.

Les pensions de retraites sont indexées sur l’indice des prix, en théorie. Mais le calcul ne se fait qu’une fois dans l’année, il est donc inefficace en cas d’inflation rapide et brutale comme nous la connaissons en ce moment. Ajoutons que les gouvernements successifs contournent la loi de 1993, de plusieurs manières : décalage de la date de revalorisation sans rattrapage entre les mois qui se sont écoulés entre l’ancienne et la nouvelle date, gel des pensions en 2014 et 2016, amendement au projet de loi de finances de la Sécurité sociale qui est voté chaque année… Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites estime que ces mécanismes « expliqueraient un peu moins de la moitié (44 %) de la perte de pouvoir d’achat du cadre né en 1932 et environ un tiers (entre 32 % et 35 %) de celles des autres générations, le reste étant expliqué par la hausse des prélèvements ».

La désindexation des pensions sur le salaire en 1987 a entraîné aux dire de nombreux participants une baisse de pouvoir d’achat constante, équivalente selon les syndicats à « 10% du montant des pensions perdues en 10 ans ».

Ils demandent donc la réindexation sur les salaires, avec compensation des pertes de pouvoir d’achat entraînées au fil des années, et la revalorisation des pensions de reversion qui sont versées aux conjoint veufs ou veuves. Pour les veufs et veuves toujours, comme pour les parents isolés, le rétablissement de la demi part fiscale supprimée. Tout en exigeant un minimum retraite équivalent au SMIC.

La hausse de la CSG de 1,7 point décidée par le gouvernement Macron dès 2017 est également dans le viseur.

Avant le départ de la manifestation colère et émotion se font sentir au moment d’évoquer la crise sanitaire, dont la gestion a laissé à bon nombre de retraités l’impression d’être sacrifiés. Le souvenir de ces périodes de saturation des hopitaux, pendant lesquelles les résidents infectés dans les EHPAD y sont restés, heurte encore les mémoires. On évoque les dizaines de milliers de morts. « Des milliers de décès auraient pû être évités si on n’avait pas supprimé autant de postes et de lits ces dernières années », tonne un orateur. Une fois la tempête passée, les conditions de vie parfois désastreuses dans les EHPAD, comme l’a montré le scandale autour d’ORPEA, n’ont pas donné l’impression aux anciens d’être plus pris en compte.

D’où tout un panel de revendications portant sur les services de santé. Prise en charge de l’autonomie par la Sécu et création d’un grand service public s’y consacrant, création de 300 000 postes dans le médico-social (200 000 en EHPAD et 100 000 dans l’aide à domicile), ouverture de lits supplémentaires en EHPADs publics, une meilleure formation et de meilleurs salaires pour les salariés du médico-social, l’arrêt des fermetures de lits dans les hopitaux publics, et le réouverture de tous les services et établissements fermés pour raisons budgétaires.

Le maintien et le renforcement de services publics de qualités dans tous les domaines a été également posé comme un préalable au droit à une vie digne pour nombre de personnes âgées : les manifestants se sentent sérieusement impactés par le tout numérique austéritaire qui s’impose dans de nombreux services publics.

La manifestation durera près de deux heures, passant par la Comédie, la rue de la Loge, la rue Foch, le Peyrou, le Jeu de Paume, et la rue de Maguelone.

En fin de cortège la sono de l’intersyndicale avance le chiffre de 30 000 manifestants dans tout le pays, sans avoir pû prendre en compte les tout derniers départs de cortèges. Quoiqu’il en soit les particiapants se voient bien repartis pour un tour. « Macron n’en a pas fini avec nous », promet-on à la sono avant que le rassemblement ne se disperse.


 


 


 

Aveyron : plus de mille personnes au soutien de syndicalistes de
la fonderie SAM assignés au tribunal

sur https://lepoing.net/

Environ mille personnes on fait le déplacement pour soutenir les trois représentants CGT du personnel de la fonderie SAM qui étaient assignés devant le tribunal de Rodez par les mandataires liquidateurs ce jeudi 24 mars. La justice devait statuer sur la légalité du maintien d’une occupation qui dure depuis quatre mois.

Reprise en 2017 par le groupe chinois Jinjiang, la Société Aveyronnaise de Métallurgie (SAM) -qui fabrique des carters et a pour principal donneur d’ordres Renault- avait été placée en redressement judiciaire fin 2019. A la fin du mois de juillet 2020, le Tribunal de Commerce rejette deux offres de reprises. Vient la liquidation judiciaire de septembre 2021, puis un nouveau passage le 22 octobre devant le Tribunal de Commerce : celui-ci est censé étudier les offres de reprise. Sauf qu’il n’y en a pas. Les délais sont donc allongés jusqu’au 19 novembre. Des repreneurs se proposent, mais auraient besoin d’aide financière pour pouvoir poursuivre l’activité de la SAM.

S’ensuit une occupation de l’usine, qui dure depuis le 22 novembre 2021. La CGT demande un engagement des mandataires liquidateurs sur le maintien de l’outil de travail, se désolant de la disparition de l’emploi industriel dans le bassin de Decazeville. Trois représentants syndicaux CGT sont alors assignés devant le tribunal de Rodez pour l’occupation. Dans le viseur, l’occupation de l’usine, et le fait que les fours continuent à tourner à l’intérieur.

Une audience est programmée jeudi 24 mars au tribunal de grande instance de Rodez. Environ mille personnes font le déplacement pour soutenir les syndicalistes. Il faut dire que la mobilisation n’en estr pas à ses débuts, avec au total plus d’un an et demi de bataille, et une mobilisation massive de la population avec des milliers de manifestants à plusieurs reprises.

Le délibéré sera rendu le 29 mars à 14h. La CGT plaide la poursuite des médiations.

Quelques 300 anciens salariés de la fonderie préparent leurs dossiers pour assigner les mandataires liquidateurs et les groupes Renault et Jinjiang aux prud’hommes. L’ensemble sera plaidé collectivement à Rodez.

publié le 24 mars 2022

Samedi, ils défileront
« contre la spéculation et le logement cher »

Alexandre Fache sur www.Humanite.fr

En préparation de la journée d’action du 26 mars, et à quelques jours de la fin de la trêve des expulsions, les signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s (DAL, CGT, CNL…) ont déployé une banderole devant le ministère d’Emmanuelle Wargon.

C’est sans doute le sujet qui prend le plus de place dans le budget des ménages, et le moins d’espace dans la campagne présidentielle : le logement. Pour tenter de faire entendre un peu mieux la voix des mal-logés, des précaires et, plus généralement, de tous ceux qui souffrent de la crise de l’habitat en France, un collectif d’associations (DAL, Attac France, CNL, Mrap…) et de syndicats (CGT, Solidaires, FSU, CSF…), signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s (www.pourlelogement.org), appelle à la mobilisation ce samedi 26 mars. Une dizaine de rassemblements sont prévus dans l’Hexagone, dont une manifestation à Paris, qui reliera, non sans arrière-pensées, la place de la Bourse (à 15 heures) au ministère du Logement, 246, boulevard Saint-Germain, en passant par quelques immeubles symboles de la spéculation immobilière dans la capitale, comme l’ancienne grande poste de la rue du Louvre, ou la Samaritaine du milliardaire Bernard Arnault. « Ce sera aussi une journée européenne de mobilisation et plus d’une centaine de rassemblements sont prévus sur le continent, notamment en Allemagne ou en Belgique », souligne Jean-Baptiste Eyraud, l’infatigable président du DAL, qui a déployé, jeudi 24 mars, avec quelques autres militants, la banderole de la « Plateforme » devant le ministère.

 « Macron, il veut faire du Thatcher vingt ans après »

« En dix ans, les recettes fiscales liées au logement sont passées de 57 à 79 milliards d’euros. Et pourtant, la part des dépenses, elle, a fondu, de 44 à 37 milliards d’euros, constate Jean-Baptiste Eyraud. Résultat, on ne consacre plus que 1,6 % du PIB à ce secteur, contre 2,2 % il y a dix ans. Il faut revenir à ce chiffre et réinvestir massivement si on veut loger dignement les gens et sortir ce bien essentiel des griffes du marché. » Un objectif qui n’est sans doute pas celui du président-candidat Macron, qui reste toutefois très discret sur le sujet. « Pas la peine qu’il nous donne le détail, on a vu son bilan, poursuit le président du DAL : baisse des APL, ponctions des bailleurs sociaux, constructions en berne, suppression de l’ISF… Et on a peur que demain, il fasse encore pire. » Une crainte partagée par les autres organisations présentes ce jeudi matin. « Macron, il veut faire du Thatcher vingt ans après, alors que même les plus libéraux outre Manche en sont revenus, de cette politique », résume Alain Gaulon, secrétaire confédéral de la CNL, qui alerte sur la reprise imminente des expulsions locatives.

Repoussée de plusieurs mois en 2020 et 2021, du fait de la crise sociale engendrée par le Covid, la fin de la trêve hivernale est bel et bien fixée cette année au 31 mars 2022. Aucune prolongation n’a été accordée, malgré la résurgence de la pandémie ces derniers jours. « On craint un raz-de-marée d’expulsions, 30 000 familles pourraient être concernées, alors qu’il s’agit d’une solution parfaitement indigne, abjecte, et même contre-productive économiquement. Car expulser des gens, puis les héberger après, coûte très cher. On ferait mieux de les accompagner pour qu’ils retrouvent la voie vers une autonomie financière », détaille Alain Gaulon. Secrétaire confédérale de la CGT chargée du logement, Véronique Martin s’indigne, elle, de l’immobilisme assumé de l’exécutif sur ce dossier, alors que des solutions existent. « Il n’y a jamais eu autant de logements vides en France, 3,1 millions en 2020 selon l’Insee, et le gouvernement ne fait rien. Il n’y a aucune politique de réquisition, les taxes sur la vacance ne sont pas dissuasives, et l’encadrement des loyers est beaucoup trop faible et limité géographiquement. » Résultat, l’écart se creuse d’année en année entre des super-propriétaires de plus en plus riches et des classes populaires écrasées par le coût du logement et de l’énergie.

 Chèque énergie et bouclier tarifaire, pas suffisant pour les ménages

Le coup de pouce au chèque énergie et le bouclier tarifaire sur le gaz protégeront-il suffisamment les plus modestes ? Les militants signataires de la Plateforme Logement pour Tou. te.s en doutent. « Ce sont des mesures insuffisantes pour les ménages, dont les conséquences financières vont par ailleurs retomber sur les bailleurs et les collectivités locales », analyse Alain Gaulon, de la CNL. « Ces petites aides sont toujours bonnes à prendre. Mais on ne fait que réparer le fait d’avoir livré le secteur de l’énergie au marché. La vraie solution, c’est qu’il revienne dans le giron du public, comme d’ailleurs le logement », suggère Véronique Martin, de la CGT. Jeudi après-midi, les militants apprenaient que leur manifestation de samedi était interdite par la préfecture de police, au motif que le trajet prévu empruntait « des rues commerçantes, étroites et touristiques ». « Cela fait deux fois en quelques semaines que la préfecture nous interdit de nous mobiliser, après le campement des mal-logés place de la Bastille. On avait fait casser cet arrêté, on espère faire de même avec cette interdiction », confie Jean-Baptiste Eyraud. Un référé-liberté doit être examiné sur le sujet ce vendredi 25 mars.

publié le 22 mars 2022

 

Le 24 mars,

les Retraités seront dans la rue

pour les pensions, la santé

et les services publics

sur le site : https://solidaires.org

Appel des organisations syndicales de retraités : CGT, FO, CFTC,CGC, FSU et Solidaires.


 

POURQUOI les retraités sont sacrifiés ?

Pourquoi nos pensions « décrochent » chaque année et baissent régulièrement au regard du coût de la vie ? Pour- quoi en 10 années avons-nous perdu près de 10 % du mon- tant initial de nos pensions ?

Pourquoi a-t-il fallu le scandale ORPEA pour que les mé- dias s’intéressent à la situation des personnes très âgées dans les EHPAD, situation que nos organisations dénoncent de- puis des années ? Pourquoi les résidents des EHPAD ont-ils été interdits d’accès aux urgences hospitalières au beau mi- lieu de la pandémie, entraînant ainsi 34 000 décès parmi les 600 000 résidents des Ehpad, soit plus d’un décès sur trois constaté en France ? Retraités, nous sommes : - sciemment appauvris, - volontairement sacrifiés.

Nous ne l’accepterons jamais !

Le 24 mars 2022, nous manifesterons dans les régions et les départements pour dire notre colère et nos revendications. En pleine période électorale présidentielles et législatives, nos 9 organisations tiennent à imposer le social dans l’actualité et rappellent leurs revendications


 

Pouvoir d’achat :

Retour à l’indexation de nos pensions sur les salaires ! C’est la désindexation, depuis 1987, qui a entraîné une baisse continue des revenus des retraités. Alors que les entre- prises du CAC 40 ont enregistré 137 mil- liards d’euros de profit en 2021, que les grandes banques ont réalisé plus de 31 mil- liards d’euros de profit, il est inadmissible que des retraités perçoivent moins de 800 eu- ros par mois.

Pas de pension inférieure au SMIC !

Rattrapage des pertes de pouvoir d’achat équivalent à un mois de pension par an.

Annulation de la hausse de la CSG de 1,7 point décidée par le gouvernement actuel en 2017 !

Rétablissement de 1⁄2 part fiscale supplémen- taire pour les parents isolés, les veufs-veuves qui a été injustement supprimée !

Amélioration des pensions de réversion versée aux conjoints survivants !


 

Santé

La situation sanitaire des EHPAD est le résultat d’un sous-in- vestissement drastique de l’Etat et des régions dans les établis- sements des retraités, ce que la création d’une 5 e branche auto- nome ne fera qu’entériner, faute de moyens suffisants en person- nels et en dotations.

Aussi, nos 9 organisations exigent :

- La prise en charge de l’autonomie par l’Assurance maladie de la Sécurité Sociale et la création d’un grand service public de l’autonomie.

- La création de 300 000 postes dans le secteur médico-social, 200 000 dans les EHPAD et 100 000 dans l’aide à domicile.

- La création de lits d’EHPAD dans le secteur public pour faire face aux besoins et arriver à 1 soignant pour 1 résident alors que nous sommes à 0,63 actuellement.

- L’amélioration de la situation professionnelle des person- nels médico-sociaux par une meilleure formation et de meil- leures rémunérations.

La situation de l’hôpital public inquiète profondément les re- traités car nous sommes persuadés que des milliers de décès au- raient pu être évités si 1 700 postes n’avaient pas été supprimés l’an passé et plus de 100 000 autres dans la dernière décennie : on meurt du manque de lits de réanimations autant que de la COVID19 elle-même.

- Non aux suppressions de lits !

- Réouverture des services et des hôpitaux fermés pour des économies budgétaires !

Les droits et les services publics

Les Retraités sont des ci- toyens comme les autres : ils veulent vivre, vivre dans la dignité et le respect de leurs droits, avec des services publics de proximité : droit d’accès aux soins, aux trans- ports, aux services sociaux, aux services des Impôts, etc.

Nous avons droit à une pension permettant de faire face au coût de la vie qui ex- plose actuellement et à un lo- gement digne et adapté.

Nous refusons la dématé- rialisation à outrance des re- lations avec les administra- tions et les services : Non au tout-internet ! Près d’une personne sur quatre n’a ni or- dinateur ni tablette, il faut avoir la possibilité de rencon- trer un agent, d’avoir un ac- compagnement.


 

Malgré un contexte anxiogène (pandémie et Ukraine), les Retraités n’accepteront pas de payer le prix des sacrifices annoncés.


 

Avec nos organisations, toutes et tous dans la rue le 24 mars dans 28 villes pour imposer le social dans l’actualité, pour dire à tous les candidats : Les Retraités sont des citoyens, ils sont en colère, ils veulent être entendus et voir leurs revendications satisfaites !


 

En avant le 24 MARS !


 

Pour le Languedoc :

manifestation à Montpellier

Rendez-vous : 13h30 sur l’Esplanade (devant l’Office de Tourisme)

départ manifestation à 14h, jusqu’à la Préfecture

publié le 16 mars 2022

Philippe Martinez : « La seule solution contre la vie chère, c’est la hausse des salaires »

Rosa Moussaoui et Stéphane Guérard, sur www.humanite.fr

Mobilisations sociales. L’intersyndicale CGT, FSU, Solidaires et UNSA appelle ce jeudi 17 mars à des grèves et manifestations pour la hausse des salaires. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, revient sur les conflits que nourrit, ces derniers mois, la baisse du pouvoir d’achat. Entretien.


 

La situation de guerre en Ukraine conduit à une envolée des prix des carburants, de l’énergie, des matières premières, notamment alimentaires. Quelles en seront les conséquences à court et à long terme pour les salariés, comme pour les entreprises ?

Il y a déjà des conséquences, à commencer par les prix de l’énergie qui s’envolent, avec un impact direct sur le pouvoir d’achat des salariés. Des entreprises commencent à fermer pour cette même raison : je pense par exemple à des fonderies qui travaillent le verre ou la céramique. Les patrons – de PME/TPE – n’arrivent plus à payer les factures. Dans certains secteurs comme la sidérurgie, des problèmes d’approvisionnement commencent déjà à entraver la production, ce qui fait planer des menaces de fermeture – provisoire ou définitive, on ne sait pas encore – sur certains sites. Des mesures d’urgence sont indispensables, comme au début de la pandémie : si la nature de la crise est différente, les conséquences sont semblables. Il faut des mesures de chômage partiel, d’activité partielle de longue durée (APLD), voire des prêts permettant de couvrir des factures d’énergie à court terme. Et puis un geste simple s’impose : une baisse de la TVA sur les produits pétroliers et les produits énergétiques. La TVA est l’impôt le plus injuste puisqu’il pénalise de la même façon les citoyens quel que soit leur niveau de revenus. Quand j’ai suggéré ça à Bruno Le Maire, il s’est fâché, en s’inquiétant subitement de la façon dont on allait, avec une telle baisse d’impôts, financer les écoles. Ce qui est plutôt savoureux, venant d’un gouvernement qui a couvert les plus riches de cadeaux fiscaux.

Les sanctions décidées contre Moscou font déjà sentir leurs effets sociaux avec des suppressions d’emplois en masse en Russie. Seront-elles indolores pour les salariés français ?

En Russie, c’est compliqué d’avoir des informations, même si nous entretenons des relations avec une confédération syndicale (pas la plus grande alignée sur Poutine). Il y a des problématiques de livraisons de pièces – pas seulement en Russie, d’ailleurs. Dans les pays frontaliers de l’Ukraine, où sont implantées des entreprises françaises – je pense à la Roumanie, avec Renault – des problèmes de livraisons se posent déjà : à juste titre, les chauffeurs routiers redoutent d’aller livrer dans cette région du monde. Quant aux salariés russes, ils continuent de travailler dans des conditions dégradées, que les sanctions rendent encore plus difficiles, quand leurs emplois ne sont pas tout simplement menacés. En France, au-delà des problèmes posés par les prix de l’énergie, des entreprises vont voir leur activité se contracter du fait de l’embargo sur certains produits.

« Les armes restent pour le capital une marchandise très rentable, bien plus rentable que les autres. »

Qui va payer la facture de cette guerre ?

Nous. Le budget militaire avait déjà augmenté dans la loi de finances adoptée à l’automne ; maintenant la course à l’armement va s’accélérer encore. Parce que les armes restent pour le capital une marchandise très rentable, bien plus rentable que les autres. Dès le déclenchement du conflit, des entreprises comme Thalès ou Dassault ont vu le cours de leur action en bourse augmenter de façon considérable. La facture de cette course à l’armement, c’est autant d’argent prélevé sur le budget de la nation : ce sont les citoyens qui paient. On n’est plus sur une conception de défense nationale mais sur l’objectif d’être les premiers sur le marché mondial de l’armement. La France s’est d’ailleurs déjà hissée sur le podium des plus gros exportateurs d’armes dans le monde, à la troisième place.

Sur les prix de l’énergie, Jean Castex vient d’annoncer une remise à la pompe de 15 centimes par litre. Emmanuel Macron promet s’il est réélu le gel du prix du gaz jusqu’à la fin de l’année. Est-ce suffisant ?

Non. La seule solution contre la vie chère, pour soutenir le pouvoir d’achat, c’est l’augmentation des salaires et des pensions. C’est d’ailleurs ce qui fait l’objet de nombreux conflits en France depuis plusieurs mois. Les hausses de salaires doivent aller de pair avec une baisse des taxes, qui sont très fortes sur l’énergie. Après, à plus long terme, mais assez rapidement, il faudra une vraie réflexion sur les questions énergétiques. Dans le cadre de la transition énergétique, il nous faut une entreprise publique en position de maîtriser les prix de l’énergie, gaz et électricité. Aujourd’hui par exemple, EDF vend à perte son électricité, en tout cas très, très en dessous du prix du marché. Quand des mesures ont été prises sur la maîtrise du coût de l’électricité, l’État a demandé à EDF de donner huit milliards d’euros aux entreprises privées, non pas pour qu’elles baissent leurs prix, mais pour qu’elles préservent leurs marges.

Il faut retrouver une vraie entreprise publique, au service des citoyens, qui ne soit pas contrainte de financer les entreprises privées de distribution d’énergie. On a vu tout le débat qu’il y a eu à EDF autour du projet Hercule, qui consistait à démonter l’entreprise. Les salariés sont mobilisés pour faire reculer de tels projets, mais ça ne suffit pas. On ne veut pas uniquement faire reculer un plan de privatisation. On veut redonner tout son sens à l’idée d’une entreprise publique nationalisée, mettre sur la table des projets contribuant à la réindustrialisation du pays, tout comme des propositions permettant de réaliser des économies d’énergie. Il faut par exemple un grand plan de rénovation thermique des logements. Je refuse, en revanche, d’employer le terme de « sobriété » énergétique, qui vise à culpabiliser les citoyens. En France, des millions de foyers sont en situation de précarité énergétique. Ceux-là sont déjà en dessous de la sobriété.

L’État vient de participer à hauteur de 2,1 milliards d’euros à la recapitalisation d’EDF.

L’État a recapitalisé d’un côté, il en a piqué le double de l’autre côté. Ce n’est pas une stratégie. Au lieu de piquer les fruits du travail des agents EDF, les fameux 8 milliards, pour les donner au privé, cet argent aurait dû être réinvesti dans l’entreprise pour moderniser, rénover, internaliser des fonctions, travailler sur la recherche. Voilà à quoi pourrait ressembler une vraie stratégie industrielle sur une question essentielle comme l’énergie qui doit relever du domaine public.

Quelle appréciation portez-vous sur la philosophie du “Plan de résilience” dévoilé mercredi par le gouvernement ?

Le gouvernement persiste dans sa politique d’aides aux entreprises sans conditionnalité, ni contrôle. Les salariés et plus largement les citoyens restent de nouveau les grands oubliés de ce nouveau plan.

« En 2021, les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices et de dividendes versés aux actionnaires. »

Les événements en cours vont-ils reléguer à l’arrière-plan la question des inégalités de répartition des richesses ?

Pas pour les salariés, dont les mobilisations se poursuivent. La guerre en Ukraine, qui est très grave, n’y met pas un terme. On retrouve un peu la petite musique de 2020 quand a surgi la pandémie de Covid-19 : « C’est la guerre, ça va être dur, il faut faire des sacrifices, on va mettre dix ans à s’en remettre ». Et puis en 2021, ce n’était pas tout à fait les prévisions annoncées : les entreprises du CAC 40 ont battu des records de bénéfices et de dividendes versés aux actionnaires, tandis que les inégalités ont explosé. Ce qui est sur la table aujourd’hui, c’est bien la question des salaires. Tout ce que nous avons dit sur les salariés de première et de seconde ligne, sur les métiers à prédominance féminine reste plus que jamais d’actualité. On ne va pas mettre ça de côté parce qu’il y a la guerre. Et ce n’est pas se désintéresser de la situation en Ukraine que de faire vivre les revendications des salariés ici.

On voit depuis septembre se multiplier les conflits sur les salaires dans les entreprises, dans tous les secteurs. Cette dynamique de lutte s’inscrit-elle dans le temps long ?

Oui, je le pense. On a rarement vu autant de conflits de cette nature, jusque dans des entreprises où il n’y a pas de syndicat, où les salariés viennent nous chercher. Je crois que certaines des entreprises concernées n’avaient plus connu de grève depuis 1968. On est dans une dynamique solide, dans tous les secteurs. Et ces luttes donnent lieu à de vrais débats sur le salaire, le SMIC, le salaire de base, le salaire brut, le salaire net, les cotisations sociales.

Cette journée de mobilisation du 17 mars se présente-t-elle comme un moment de confluence de ces luttes pour les salaires ?

C’est toujours difficile de parler de confluence, de convergence. Ce qui est certain c’est que les salariés, les gens qui se battent ont besoin de se retrouver, de s’inscrire dans un élan collectif. Il y a de vraies possibilités de convergence sur l’augmentation du salaire minimum, parce que beaucoup de travailleurs sont payés au SMIC, et même en dessous. Mais nous voulons que tous les repères de grilles augmentent. Ce qu’il faut, c’est que les salariés soient en capacité de rassembler tous ceux qui se battent dans leur entreprise, avec la conviction qu’en se retrouvant avec d’autres, ailleurs, on peut avancer plus vite. C’est ça l’enjeu de ce 17 mars.

L’UNSA se joint aux cortèges ce jeudi. Un front syndical prend-il corps sur les salaires ?

Les mobilisations dans les entreprises, très souvent unitaires, pèsent aussi sur les directions nationales des organisations syndicales…

Du côté des fonctionnaires, le gouvernement annonce un dégel du point d’indice.

Les salaires des fonctionnaires sont gelés depuis plus d’une décennie. À la SNCF, ça va faire huit ans maintenant. On voit bien là que cette question n’oppose pas le gouvernement et le patronat. Au contraire : une logique commune les pousse à considérer le travail comme un coût à comprimer. Et nous, notre logique, c’est de dire que le capital est un coût et que c’est ce coût qu’il faut baisser. Ces deux conceptions s’affrontent.

« Le travail doit payer », avait lancé Bruno Le Maire à l’université d’été du Medef, l’été dernier. Geoffroy Roux de Bézieux avait reconnu à sa suite la nécessité de sortir des logiques « low cost » en matière de salaires.

Ils sentaient déjà ces mobilisations, ces conflits arriver. Mais si, aujourd’hui, les salariés gagnent des augmentations, ce n’est pas grâce à Le Maire, ni à Roux de Bézieux. C’est le fruit de leurs mobilisations, pour des revalorisations à tous les niveaux, pas seulement pour les bas salaires. Il y a des conflits chez Thalès, chez Dassault. Chacun veut une meilleure reconnaissance de son travail et la meilleure des reconnaissances, c’est celle qui se traduit sur la feuille de paye. Ce qui est nouveau, c’est que ces mobilisations durent, et elles auront rarement été aussi nombreuses si près d’une élection présidentielle.

« Soit le fruit du travail va dans la poche des actionnaires, soit il va dans la poche des salariés. »

La CGT propose de porter le SMIC à 2.000 euros. Aucun des candidats à la présidentielle ne va si loin.

C’est dommage !

Comment cette proposition peut-elle être économiquement viable ?

Premièrement, je pense que les salariés, grâce à leurs mobilisations, ont permis que ces questions s’imposent dans le débat public, alors que le début de la campagne présidentielle était dominé par les thèmes chers à l’extrême droite : identité, immigration, sécurité.

Beaucoup de candidats se sont exprimés sur les salaires. Pas tous de la même façon mais en soi, voir ce thème reprendre le dessus, c’est positif. C’est la preuve que lorsque les salariés interviennent, ils bousculent l’agenda politique. Comment financer cette augmentation du SMIC ? Ce n’est pas très dur : soit le fruit du travail va dans la poche des actionnaires, soit il va dans la poche des salariés. De ce point de vue, 2021 est une année symbolique. C’est qu’il y a eu beaucoup, beaucoup, de richesses produites et l’immense majorité de ces richesses est partie dans les poches des actionnaires.

On vient de constater, avec les sanctions prises contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine, qu’on est capable de bloquer les transactions financières d’un pays en un claquement de doigts. Et on ne serait pas capables de faire la même chose avec la fraude fiscale ? C’est quand même surprenant. On parle de dizaines de milliards d’euros : voilà de l’argent qui échappe à la rémunération du travail. Il y a des ressources pour payer le travail. Elles existent.

Que pensez-vous de l’annonce de la suppression de la redevance audiovisuelle ?

Je n’aime pas tellement cette expression mais c’est du populisme, de la politique à deux balles. Certes, il y a des impôts qu’il faudrait baisser. Le refus de baisser le plus injuste, le plus inégalitaire, la TVA, en dit long sur ceux qu’on veut favoriser dans ce pays : les riches. Quant à la redevance, je ne suis pas sûr que le pluralisme et le débat démocratique sortent gagnant de cette stratégie de casse du service public pour faire émerger des Bolloré.

Les candidats libéraux proposent de baisser les cotisations sociales pour relever le pouvoir d’achat. Qu’en pensez-vous ?

La plupart des candidats ont progressé sur ce point. Au début, tous ne parlaient que de salaires nets. Certains, à gauche notamment, font désormais la différence entre salaire net et salaire brut. Ils commencent à prendre en compte les cotisations sociales, donc à parler de sécurité sociale, de santé, de retraite. Le clivage est là. De la droite à l’extrême droite, de Macron aux majorités précédentes, ils ont toujours proposé de donner d’une main aux salariés, à travers la baisse des cotisations, ce qu’ils leur enlevaient de l’autre avec l’affaiblissement de la protection sociale. Parler de salaire, c’est aussi poser des enjeux majeurs comme la reconnaissance des qualifications, la place des femmes au travail et dans la société. Certains candidats nous font croire qu’ils vont faire du neuf en piochant dans les cotisations sociales. Ça fait quarante ans que ça dure.

« Proposer la retraite à 65 ans, c’est ne rien connaître à la réalité du monde du travail, aux inégalités d’espérance de vie entre cadres et ouvriers. »

Comment accueillez-vous la proposition d’Emmanuel Macron de repousser de 62 ans à 65 ans l’âge de départ à la retraite ?

S’il y a une mesure qui fait l’unanimité contre elle parmi les organisations syndicales, c’est bien celle-là. Alors soit il nous écoute, soit il continue comme avant ses fameuses concertations qui depuis cinq ans s’apparentent à du « cause toujours ». Proposer la retraite à 65 ans, c’est ne rien connaître à la réalité du monde du travail, aux inégalités d’espérance de vie entre ouvriers et cadres, à la diminution de l’espérance de vie en bonne. C’est accepter que les soignants des EHPAD aient le même âge que les résidents dont ils s’occupent, c’est ignorer que les égoutiers de Paris n’atteindront jamais l’âge de départ à la retraite.

Le candidat Macron dit vouloir prendre en compte la pénibilité du travail…

 Le même a supprimé trois des cinq critères de reconnaissance de la pénibilité. La seule vraie question qui vaille est la suivante : peut-on financer la retraite à soixante ans ? Nous disons oui. C’est comme pour l’impôt : si on continue de supprimer les cotisations, on assèche le financement de la Sécurité sociale. Voilà pourquoi nous parlons d’augmenter les salaires avec leurs cotisations pour financer la retraite à 60 ans.

La dernière journée internationale des droits des femmes a donné lieu à de fortes mobilisations. Le patronat juge insurmontable le coût de 140 milliards d’euros que représenterait l’égalité salariale. Qu’en dit la CGT ?

 L’égalité salariale est la première revendication du monde du travail. La logique du patronat, du gouvernement et d’un certain nombre d’hommes politiques est de toujours parler de dépenses, jamais d’investissements. Mettre de l’argent dans la santé, est-ce une dépense ou un investissement ? Payer les femmes au même salaire que les hommes à qualification égale, est-ce juste ? Le faire, c’est aussi augmenter les recettes via les cotisations sociales, les impôts. Là encore, nous sommes face à deux choix de société. Dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron n’a pas écrit une seule fois le mot femme. C’est étrange pour quelqu’un qui prétendait en faire une priorité.

« Dire de Macron qu’il est le président des ultra-riches n’a rien d’une caricature. »

Comment jugez-vous le bilan du quinquennat écoulé ?

Pas globalement négatif : complètement négatif pour le monde du travail. Dire de Macron qu’il est le président des ultra-riches n’a rien d’une caricature. En 2021, Bernard Arnault a augmenté son patrimoine de l’équivalent du budget de l’Éducation nationale. Voilà qui résume ce quinquennat.

Marine Le Pen affirme sa préoccupation sociale et se paie même le luxe de critiquer la « brutalité » des options ultralibérales d’Eric Zemmour. Comment les salariés peuvent-ils y voir clair ?

D’abord, restons fidèles à nos valeurs. Je suis abasourdi par les distinctions faites en ce moment entre les réfugiés selon leur provenance. Il y aurait ceux qui mériteraient d’être accueillis, et puis les autres, auxquels il faudrait fermer la porte. Les Syriens, les Afghans ont pris sur la tête les mêmes bombes que celles lâchées sur les Ukrainiens. Ensuite, il faut rappeler que Marine Le Pen est dans le camp du capital. Elle aussi dit qu’elle va augmenter les salaires en baissant les cotisations sociales. Elle aussi parle de « coût du travail », de réduction des dépenses publiques. Elle se livre à la même surenchère ultralibérale que Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron.

Redoutez-vous que la guerre en cours ne vienne recouvrir la question sociale ?

La situation est grave en Ukraine ; nous réitérons notre appel à la paix. Cela ne doit pas pour autant occulter les questions sociales. Ce gouvernement, comme les précédents, parie sur une stratégie du renoncement : « Ce n’est pas la rue qui commande ». Mais les mobilisations pèsent. Le Ségur de la santé, même si ses résultats sont insuffisants, ne serait pas advenu sans les deux années de mobilisations des personnels de santé qui l’ont précédé. Le projet Hercule (de découpe d’EDF, N.D.L.R.) n’aurait pas été remisé dans un tiroir sans les journées d’action des agents énergéticiens. Sans mobilisation sociale, la réforme des retraites aurait été adoptée avant l’arrivée du virus.

Cette journée de mobilisation est-elle le dernier temps fort social avant le premier tour de l’élection présidentielle ?

Non. Les retraités vont retourner dans la rue pour leurs pensions le 24 mars. Ils ont de solides raisons : la petite revalorisation du début d’année a fait automatiquement augmenter la CSG. Certains retraités, par ce mécanisme, se retrouvent à percevoir moins ! Le 31 mars, les cheminots manifesteront pour leurs revendications salariales. Là aussi, les mobilisations locales débouchent sur un mouvement national. Et il y a des grèves tous les jours un peu partout. D’autres temps forts viendront encore avant le 1er mai, qui ne sera pas un entre-deux, entre présidentielle et législatives.

 publié le 15 mars 2022

Augmentation des salaires et des pensions : journée de grève et de manifestations interprofessionnelles

sur le site https://solidaires.org/

Les luttes sur les salaires continuent et doivent s’amplifier -
En grève le 17 mars

Après un mois de janvier marqué par des luttes multiples, notamment dans l’éducation et le secteur social, et la grève interprofessionnelle du 27 janvier, le mois de février a vu encore d’autres mobilisations naître autour des revendications d’augmentation des salaires (RATP, Chimie..). Dans le même temps, les annonces de bénéfices faramineux des plus fortunés ou des entreprises du CAC40 ont continué : 237 milliards de plus pour les 5 personnes les plus fortunées de France pendant la pandémie…(rapport Oxfam) !

Et pour l’ensemble de la population ? Pas d’augmentation du SMIC, pas de valorisation du point d’indice dans la fonction publique, et des augmentations très limitées lors des Négociations annuelles obligatoires (NAO)… tandis que l’inflation s’emballe et les prix à la consommation augmentent !

Ce mois de mars, sera marqué par des mobilisations féministes, écologistes et antiracistes et verra aussi plusieurs secteurs professionnels se mobiliser, dans la santé et le social, à l’inspection du travail, dans l’éducation… Parce que pour les salarié-es, les précaires, celles et ceux qui subissent des discriminations, un monde où le capitalisme ronge tout est invivable et inacceptable !

Faisons converger ces luttes, où la question salariale est centrale !

Solidaires revendique :

 un SMIC à 1 700 euros net

 la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique

 l’égalité salariale et la revalorisation des métiers les plus féminisés

 des augmentations de salaires, pensions, minima sociaux de 400 euros

 un écart de salaires de 1 à 5 (entre les plus bas et plus hauts salaires dans les entreprises, administrations)

 le RSA pour les moins de 25 ans

Grève et manifestations le 17 Mars

 


 

L’augmentation des salaires et des pensions :
Une priorité pour toutes et tous !

Communiqué de l’intersyndicale nationale interprofessionnelle CGT, FSU, Solidaires, UNSA et organisations de jeunesse du 10 février 2022

Les salarié-es du secteur public comme privé, les retraité-es, les jeunes partagent toutes et tous une même priorité face à l’augmentation du coût de la vie, il faut augmenter les salaires, les pensions, les allocations et les bourses étudiantes.

Beaucoup ont exprimé leurs exigences en se mobilisant, ces dernières semaines, dans leur entreprise, leur service, leur branche professionnelle.

Ainsi en est-il des personnels des services publics, à l’instar de celles et ceux de l’éducation nationale, des soignant-es, des travailleurs sociaux… De nombreux débrayages, lors des NAO (négociations annuelles obligatoires), dans les secteurs notamment industriels ont permis également des avancées à l’échelle des entreprises. Tout au long du mois de janvier, les différentes professions et la jeunesse ont su se mobiliser ensemble pour défendre les salaires et l’emploi dans beaucoup de localités. Plus de 150 000 manifestants, de nombreux secteurs professionnels ont débrayé, la question sociale et salariale s’ancre dans le quotidien des salarié-es dans les entreprises et les services.

La jeunesse est-elle aussi est confrontée à une grande précarité de vie et de travail et à la pauvreté.

En décembre 2021, l’inflation en France a atteint 2,8% sur un an.

Près de la moitié provient directement de l’augmentation du prix de l’énergie (carburants, électricité, gaz).

En effet, l’énergie a vu son prix augmenter de 18,6%. Il y a également une augmentation importante des prix des produits alimentaires de première nécessité.

Force est de constater que c’est l’évolution des revenus par rapport à l’inflation qui est déterminante. C’est un levier essentiel pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages et agir sur la répartition entre les revenus du capital et du travail ; les entreprises cherchant, en effet, même dans le contexte de la pandémie, à augmenter leurs profits.

L’enjeu majeur est donc de combattre la stagnation des salaires plus que d’agir sporadiquement sur l’évolution des prix.

Pour les organisations syndicales CGT, FSU, Solidaires et UNSA, et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL : Il faut une revalorisation immédiate de l’ensemble des salaires dans le secteur privé et des traitements dans la fonction publique, en commençant par les plus bas salaires. Ainsi, il est urgent d’agir sur le SMIC et le point d’indice.

Il est indispensable que les minimas de branche dans le privé et les grilles de salaires dans la Fonction Publique soient automatiquement relevés au niveau du SMIC.

Cela doit se compléter d’une ouverture rapide de négociations sur la répercussion de ces augmentations sur les échelles de carrière dans le public et les classifications dans le privé.

Il est aussi important d’augmenter les bourses pour les étudiants et les pensions pour les retraités.

Tout au long du mois de février, les mobilisations doivent se poursuivre et s’amplifier.

  • Il y a urgence également à mettre en oeuvre l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes. Aussi, nos organisations appellent à une forte journée de mobilisation, le 8 mars prochain, lors de la journée internationale des droits des femmes. Alors que la première loi sur l’égalité professionnelle fête ses 50 ans et que les luttes féministes exemplaires se sont développées, gouvernement et employeurs refusent de financer des mesures pour s’attaquer véritablement aux racines des inégalités salariales. Les organisations syndicales appellent à rejoindre les mobilisations organisées le 8 mars prochain partout pour exiger des mesures concrètes afin d’éradiquer les inégalités et revaloriser les métiers féminisés.

  • Il faut imposer que les qualifications acquises, l’expérience professionnelle soient corrélées aux niveaux de rémunération et agir pour une limitation des écarts de salaires au sein des entreprises.

Pour agir sur ces revendications essentielles, les organisations syndicales CGT, FSU, Solidaires et UNSA, et les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et VL appellent à une journée de grève et de manifestations interprofessionnelles le 17 mars prochain.

Dans l’attente, elles soutiennent les mobilisations qui se développent dans les entreprises et le secteur public. Elles s’adressent aux salarié-es du privé et aux agent-es du secteur public pour maintenir la pression et exiger l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat.

Elles proposent de construire, dès à présent, les conditions d’un grand 1er mai unitaire.

ublié le 10 mars 2022

Pour la hausse des revenus : nouveau rendez-vous intersyndical le 17 mars

par Emma Bougerol sur https://basta.media

Les mobilisations pour l’augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux continuent. Alors que se profile une nouvelle réforme des retraites, une journée de grève et de mobilisation est prévue en amont du 1er mai.

« Les salarié-es du secteur public comme privé, les retraité-es, les jeunes partagent toutes et tous une même priorité face à l’augmentation du coût de la vie, il faut augmenter les salaires, les pensions, les allocations et les bourses étudiantes », revendiquent les syndicats dans un communiqué commun. La CGT, la FSU, Solidaires et l’UNSA, accompagnés de syndicats étudiants et lycéens (FIDL, MNL, Unef et VL), appellent à se retrouver dans la rue le jeudi 17 mars pour une nouvelle journée de mobilisation.

Le prix du carburant ne cesse d’augmenter, celui de l’énergie a bondi de presque 19 % - et devrait encore augmenter. L’inflation des prix à la consommation pour l’année 2021 avoisine les 3 %, du jamais vu depuis une décennie, soulignent Les Échos. Que faire ? « Combattre la stagnation des salaires », répondent les organisations syndicales d’une seule voix. « Force est de constater que c’est l’évolution des revenus par rapport à l’inflation qui est déterminante. » Augmenter les salaires, serait un « levier essentiel pour maintenir le pouvoir d’achat des ménages  », affirment-elles.

Ces hausses de prix atteignent d’abord les plus précaires : retraités, bénéficiaires de minima sociaux, salariés au SMIC, mais aussi les fonctionnaires. « Il est urgent d’agir sur le SMIC et le point d’indice. Il est indispensable que les minima de branche dans le privé et les grilles de salaires dans la fonction publique soient automatiquement relevés au niveau du SMIC », demandent les syndicats.

Les étudiants et la fonction publique main dans la main avec les salariés du privé

Les syndicats de la fonction publique répondent aussi présents [1]. Ils appuient la demande d’un dégel du point d’indice et d’une possibilité de renégociation de leur grille de salaires. « Les employeurs publics ne peuvent se dire exemplaires sans montrer l’exemple », rappellent-ils. La situation des établissements d’enseignement est un exemple parlant de la situation des services publics : recours à de plus de plus de contractuels aux contrats précaires, manque de professeurs, personnel à bout … Des récits d’une souffrance de l’éducation nationale à retrouver au fil des articles de basta!.

« La jeunesse est, elle aussi, confrontée à une grande précarité de vie et de travail, et à la pauvreté », précise le communiqué. Ils voient leur pouvoir d’achat baisser, à la fin d’un quinquennat pauvre en soutien. L’Unef souligne une hausse de 2,5 % du coût de la vie étudiante en 2021, dans une étude annuelle du syndicat étudiant : « Cette année, plusieurs mesures gouvernementales ont d’autant plus aggravé la précarité des étudiant·e·s : la suppression du repas Crous à 1 € pour tous et toutes, la réforme des APL. Cela se rajoute déjà au fait que le coût du logement ne cesse d’augmenter du fait de loyers plus élevés. »

Les syndicats soutiennent et appellent aussi à d’autres mobilisations. Celle du 8 mars, pour l’égalité salariale femmes-hommes et la revalorisation des « métiers féminisés » et celles des différents secteurs, pour créer les conditions, ils l’espèrent, d’un « grand 1er mai unitaire ».


 

 

 

Les valeureux pirates de chez Tipiak

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

Les salariés des sites de Saint-Aignan, de Pont-Château, de Malville et de Saint-Herblain ont arraché, après trois semaines de grève, à l’appel de la CGT, une hausse des salaires supérieure à l’inflation.

Le regard est soutenu, pas une once de fatigue ne se lit sur son visage. Le réveil à 1 heure du matin, les huit heures de travail passées sous une température qui n’excède pas 10 degrés, la routine quotidienne qui broie les os et provoque une multitude de douleurs… Ces conditions de travail ne semblent pas atteindre  l’« animatrice » qui met en musique les recettes de macarons et orchestre le placement de chaque framboise sur la tartelette avant que celle-ci ne glisse sur le tapis de la chaîne de fabrication pour finir dans les congélateurs de l’enseigne Picard. Julie, ouvrière chez Tipiak, est fière. Depuis quelques jours, elle voit ceux qui n’ont eu pour leurs salariés que du « mépris » « raser les murs ». Ce patronat de l’agroalimentaire a été forcé de capituler devant les ouvriers après que les quatre usines de Loire-Atlantique sur les sept sites que compte le groupe en France se sont mises en grève pour obtenir des augmentations de salaires.

Avec 1 300 euros par mois, c’est la dèche tous les jours 

Sur le site de Saint-Aignan (Loir-et-Cher), d’où est parti le mouvement, « la direction pensait qu’on ne tiendrait pas plus d’une semaine », s’amuse Mélinda, conductrice de machine. Sept jours plus tard, pas un gréviste ne manquait à l’appel. Mieux : dans les trois usines de la filiale Tipiak Traiteur-Pâtisserie, où la direction poursuivait les négociations sur les salaires, les ouvriers ont décidé de stopper les machines.

L’indigne revalorisation salariale générale de 1,8 % proposée par la direction a fourni l’étincelle à un climat social digne d’un baril de poudre. « Ça fait deux ans que ça couvait, explique Damien, le délégué syndical CGT du site de Saint-Aignan. En 2020, nous avons déjà été les oubliés de la prime Covid. Malgré plusieurs débrayages, nous n’avions rien obtenu. La colère n’est jamais retombée. » Il faut dire qu’avec un salaire de 1 300 euros par mois, c’est la « dèche » tous les jours, explique de son côté Julie. D’autant que, avec les « horaires à la con » de Madame employée par Tipiak, Monsieur a du mal à trouver un travail avec des « heures correctes » qui permettent la garde de leurs enfants, en dehors du temps scolaire. Alors Julie compte. Pour tout. Du lundi au vendredi, le trajet domicile- travail est de 80 kilomètres aller-retour, soit 250 euros tous les mois. Une fois additionnées toutes les dépenses contraintes, ne restent que 23 euros par semaine pour les courses. La quatrième vitesse, qui ne passe plus sur la voiture depuis deux ans, attendra bien une année de plus. « Tant que ça roule. »

Et encore, à l’usine, « certains retournent chez leurs parents quand d’autres dorment dans leur voiture ». La semaine dernière, raconte-t-elle, une collègue a fait deux heures de marche, son mari avait besoin de la voiture. « Comme si la boîte ne pouvait pas organiser le covoiturage », interroge la syndicaliste. Dans l’agroalimentaire où les chaînes sont très féminisées, les postes les mieux rémunérés sont attribués aux hommes, explique Catherine. Même sur un poste identique comme « conducteur de ligne », les hommes sont mieux payés, poursuit la syndicaliste CGT, « soit parce que nous nous sommes arrêtées pour faire des gosses, soit parce que les hommes partent faire des formations et changent d’échelon ». Il arrive, raconte-t-elle, que des femmes conductrices soient renvoyées sur les lignes pour laisser leur poste à un homme revenu de formation. « Ce n’est même pas intentionnel, c’est ancré, alors que ce sont des femmes qui font les plannings. »

Crédit, enfants, chômage... quitter l’entreprise n’est pas une option

Cette colère, la direction avait tenté de la contenir en fin d’année, au moment des grosses commandes. Une prime de 300 euros en novembre 2021, puis une autre en décembre de 200 euros avaient été versées. En vain. D’autant qu’aux salaires insuffisants s’ajoutent les cadences de travail qui s’intensifient. Certes, évoque Catherine, les lignes ont été automatisées, « mais, désormais, c’est au salarié de suivre la machine, qui va beaucoup plus vite que nous ».

Les 2,5 % d’augmentation générale des salaires, le 1,5 % de plus sur le panier- repas arraché par les Tipiak Traiteur-Pâtisserie ou les près de 4 % gagnés par les Tipiak Épicerie après trois semaines de grève représentent donc un sacré succès. Pourtant « certains grévistes sont écœurés, prêts à quitter l’usine ». C’est le cas de Pascal, cuisinier. « J’ai envoyé 18 candidatures, j’ai eu une seule réponse, mais il fallait que j’embauche le lendemain. Ce qui n’est pas possible. » Pour beaucoup d’autres, quitter l’entreprise n’est pas une option. « Dès que tu as un crédit, tu es pris dans l’engrenage de la peur, encore plus quand tu as des enfants. » Julie, Damien, Pauline, Catherine, Mélinda, Nadine, Pascal ont donc choisi la lutte. « On a été soudés, nous avons créé entre nos sites, entre nous, un lien unique, celui qui fait changer le rapport de forces. »

publié le 8 mars 2022

8 mars : des manifestations pour clore
« un quinquennat qui n’a rien fait pour les femmes »

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

L’égalité salariale et la lutte contre les violences sexuelles étaient au cœur de cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. Les manifestations du jour sont venu rappeler que, bien que déclarée « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron, l’égalité entre les femmes et les hommes est encore loin d’être acquise. 

Déclarée grande cause du quinquennat par Emmanuel Macron en 2018, l’égalité entre les femmes et les hommes n’a pas suscité une ligne dans la « lettre aux Français » qui marque l’entrée officielle en campagne du président de la République. Pourtant, des féminicides ponctuent toujours tragiquement l’actualité – à raison d’un tous les trois ou quatre jours – et les salaires des hommes sont toujours supérieurs de 28,5 % à ceux des femmes dans le privé, selon les derniers chiffres de l’Insee.

Or les revendications salariales sont au cœur de cette édition 2022 de la journée internationale des droits des femmes qui prend la forme d’une grève féministe, à un mois du premier tour des présidentielles. Un peu partout en France, des manifestations ont d’ailleurs commencé à 15h40. Cet horaire est, symboliquement, le moment à partir duquel, tous les jours, les femmes travaillent gratuitement alors que les hommes continuent à être payés. Outre la question des salaires, celle des violences sexistes et sexuelles a également été portée dans les nombreux cortèges qui ont défilé cet après-midi. 

Paris : la présidentielle s’invite dans le cortège

Avec les manifestations de ce 8 mars, le mouvement féministe souhaite marquer la « fin d’un quinquennat qui n’a rien fait pour l’égalité professionnelle et les violences faites aux femmes », expliquait Sigrid Girardin, co-secrétaire générale du Snuep FSU, lors d’une conférence de presse de préparation de la journée.

A Paris, plusieurs milliers de personnes ont ainsi défilé derrière une banderole « déferlante féministe pour l’égalité ». La manifestation a relié la Gare du Nord à l’hôpital Tenon, les manifestantes, en majorité des femmes, brandissaient des pancartes : « ni les femmes ni la terre ne sont des territoires de conquête », ou « féministe en colère, je ne vais pas me laisser faire », rapporte l’AFP.

Campagne présidentielle oblige, les six candidats de gauche étaient présents dans le cortège parisien, en soutien à la lutte de jour. En revanche, de l’autre côté de l’échiquier politique, le 8 mars n’a pas été une journée favorable à Éric Zemmour. Le matin même, Mediapart a publié une vidéo (en accès libre) dans laquelle le candidat d’extrême droite est accusé par huit femmes d’agressions sexuelles.

L’actualité ukrainienne a également été évoquée dans le cortège parisien. Avant le départ de la manifestation, les militantes ont lu au micro une lettre adressée par des « féministes russes », explique l’AFP. La guerre en Ukraine « apporte les violences des balles mais aussi les violences sexuelles », ont-elles affirmé. 

8 mars : des manifestations et quelques piquets de grève 

Dans le même registre, à Montpellier, une pancarte « féministes contre la guerre des hommes » est aperçue dans la manifestation. Celle-ci a rassemblé plus d’un millier de personnes, dont une grande majorité de jeunes femmes. A Toulouse, où la tête de la manifestation s’était organisée en mixité choisie, les organisatrices ont choisi un parcours long, dont le départ était volontairement éloigné du centre ville pour « se rapprocher des personnes qui rejoignent rarement les manifestation », explique Nous Toutes 31. A Rennes, plus d’un millier de personnes ont manifesté, rapporte le Télégramme. Quelques manifestations ont été programmées en fin de journée. C’est le cas à Marseille, où la manifestation a commencé à 17h30 sur le Vieux-Port. Mais aussi à Lyon, où la manifestation devait partir à 18h. Dans cette ville de nombreuses rues ont été renommées avec des noms de femmes, par des militantes, en amont de la journée du 8 mars. Bilan de la journée : la CGT parle de dizaines de milliers de salariées mobilisées dans plus de 200 initiatives. Enfin, le 7 mars au soir, des manifestations nocturnes ont également eu lieu, notamment à Paris.

Pour rappeler que la lutte contre le sexisme est aussi une lutte salariale (voir notre long article à ce sujet), des actions de soutien à des piquets de grève ont également été organisées en plus des manifestations de ce 8 mars. Un rassemblement a ainsi été organisé devant l’Ehpad Bracieux (Loir-et-Cher) en soutien à des salariées victimes des propos sexistes et du mépris de leur directeur. A l’Ehpad Orpea de la Défense, une manifestation a mis en lumière les mauvaises conditions de travail des salariées du secteur. À Montreuil, un piquet de grève de la Maison des femmes Thérese-Clerc, a été tenu de 7h00 à 18h00, pour accueillir les femmes grévistes mobilisées pour dénoncer les atteintes aux droits des femmes.

publié le 4 mars 2022

Un 8 mars placé sous le signe de la grève et de l’égalité salariale

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

La grève du 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, fera la part belle aux enjeux du travail. Égalité professionnelle, revalorisation des salaires dans les secteurs majoritairement féminins… Des organisations syndicales comptent mettre en avant ces luttes pour ce 8 mars particulier – parce qu’il s’inscrit en fin de quinquennat, au sortir d’une crise sanitaire supportée par les travailleuses du soin et du lien. 

 La grève du 8 mars de cette année aura une teneur particulière. D’abord, la solidarité internationale entre mouvements féministes sera plus que jamais à l’honneur. Lors d’une conférence de presse le 1er mars, les représentantes des collectifs et organisations signataires de l’appel unitaire ont exprimé leur soutien aux femmes d’Europe de l’Est, en première ligne du conflit. Ensuite, parce que les élections présidentielles approchent. La grève du 8 mars marquera donc la « fin d’un quinquennat qui n’a rien fait pour l’égalité professionnelle et les violences faites aux femmes », expose Sigrid Girardin, co-secrétaire générale du Snuep FSU.

Les organisations syndicales mobilisées pour cette journée (CGT, Solidaires, FSU,…) ont en commun des commissions internes dédiées à la lutte contre le sexisme et pour l’égalité professionnelle. Mais s’engager dans la grève du 8 mars n’a rien d’évident. Pour certains syndicats, historiquement moins mobilisées sur ces questions, « c’est plus laborieux », glisse Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT en charge de l’égalité femmes-hommes.

Même dans les syndicats les plus avancés, le mot d’ordre « grève féministe » fait grincer des dents. « Ça a interpellé dans nos syndicats. Certains hommes nous ont dit : “comment ça, une grève ? Une grève, c’est quelque chose de grave… Attention, il ne faut pas diviser le mouvement social…” » soupire Murielle Guilbert, de Solidaires. 

« Il faut tirer les leçons de la crise »

 Pourtant, construire un 8 mars unitaire, en y faisant peser des revendications salariales, est plus que jamais d’actualité. « Bien sûr, ce n’est pas que la question de l’égalité professionnelle. S’il y a des violences sexistes et sexuelles au travail, il n’y a pas d’évolution de carrière… S’il n’y a pas d’éducation non-sexiste, on rate aussi une marche importante… Tous ces sujets sont imbriqués », souligne Murielle Guilbert.

Tout de même : depuis deux ans, la crise sanitaire et sociale est passée par là. « Ce qu’on dénonce à longueur d’années a pris plus d’ampleur pendant cette pandémie », résume la responsable de Solidaires. Les femmes ont été les plus touchées par ses effets. Il y a la hausse des violences conjugales et intrafamiliales durant les confinements. La charge mentale décuplée. Mais aussi les conséquences sur l’emploi. D’après les chiffres du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, pas moins de 41 % des femmes ont vu leur revenu diminuer pendant la crise sanitaire. En juillet 2020, 11 % des femmes entre 18 et 34 ans ont déclaré avoir perdu leur emploi, contre 9 % des hommes.

« Il faut tirer les leçons de la crise », presse Sophie Binet de la CGT. Nombre de secteurs n’ont pas attendu pour le faire. Durant l’année et demie qui vient de s’écouler,  des « mobilisations sans faille des femmes ont eu lieu. Et ce, dans des métiers très féminisés, qui n’ont pas bénéficié de politiques ambitieuses en termes de revalorisation salariale et de carrière. Il faut continuer à batailler auprès de ces femmes », appuie Sigrid Girardin de la FSU. Parmi ces dernières : les AESH. Leur lutte est citée en exemple par les intervenantes de la conférence de presse. « Elles sont à 93 % des femmes. Et elles gagnent moins de 800 euros par mois : sous le seuil de pauvreté » déplore Sigrid Girardin. Pourtant, les AESH sont à la croisée des deux prétendues « grandes causes » du quinquennat : le handicap, et les femmes. 

Revaloriser les métiers de première et seconde ligne

 D’autres franges du salariat majoritairement féminines se sont fait entendre ces derniers mois. Travailleuses sociales, infirmières, enseignantes, assistantes maternelles, soignantes… Autant de salariées de première et seconde ligne pendant la crise sanitaire. « On exige la revalorisation salariale de ces métiers féminisés, la reconnaissance de leurs compétences » martèle Murielle Guilbert.

En toute première ligne, demeurent les travailleuses sans-papiers. Celles-ci se retrouvent « dans des secteurs en tension, principalement dans le nettoyage » rappelle Ana Azaria, du collectif Femmes Égalité. Ces dernières bataillent pour obtenir une régularisation. Prétendre à une admission au titre du travail implique de disposer d’une promesse d’embauche… au SMIC, au minimum. Or, les secteurs où elles décrochent quelques heures sont très précaires. Ana Azaria dénonce une politique « hypocrite. On sait qu’elles sont là, et ça arrange tout le monde ! ». Avec l’engorgement des préfectures et la dématérialisation croissante, les casse-tête administratifs empirent. Certaines perdent leur titre de séjour au moment du renouvellement… Et leur emploi. Le cortège de la grève du 8 mars leur donnera la parole.

Sigrid Girardin insiste, elle sur les mobilisations de ces derniers mois dans la fonction publique. « Il y a un préjugé tenace : l’idée que les statuts dans la fonction publique protègeraient des inégalités. Or, c’est faux. Les femmes y gagnent un quart de moins de salaire que les hommes ! » De quoi rappeler la responsabilité de l’État, premier employeur en France. La lutte contre les inégalités professionnelles ne se jouent pas seulement dans le contrôle des employeurs privés. 

Le combat pour l’égalité salariale à poursuivre

 Il existe bien un index de l’égalité professionnelle dans les entreprises, développé par le ministère du Travail. Mais voilà : « 99,9 % des entreprises ont eu plus de 75 sur 100 à l’index, donc elles ne seront pas sanctionnées » relève Sophie Binet. Or, l’écart salarial entre hommes et femmes dans le privé est toujours de 28,5 % selon les derniers chiffres de l’INSEE. « On voit bien qu’il y a un problème…»

Et pour cause : cet index repose sur un système d’auto-notation. « Ni les syndicats ni l’inspection du travail n’ont un regard là-dessus. Encore moins un pouvoir de sanction », explique Sophie Binet. En outre, plusieurs modes de calcul lissent les écarts et seraient à revoir, selon elle. La CGT oeuvre en ce sens, au niveau national… Comme au niveau européen. Car une directive européenne sur la transparence salariale est en cours de négociation.

Mettre en lumière cet enjeu le 8 mars apparaît d’autant plus crucial. « On est très inquiets des positions que prendra Emmanuel Macron à ce sujet », indique Sophie Binet, alors que la France a pris la présidence de l’Union Européenne. Les organisations syndicales craignent que la directive ne suive le même modèle, peu efficient, de l’index utilisé en France. « L’index actuel, c’est l’inverse de la transparence… Il organise l’opacité sur les écarts de salaire », juge-t-elle. 

La grève du 8 mars pour marquer un mois de mobilisation interprofessionnelle

 « Le rôle des syndicats sur ces questions reste majeur, pour ce 8 mars et au-delà » conclut Murielle Guilbert. De la même manière que la CGT, Solidaires a lancé une campagne internationale sur l’égalité salariale. Une cause « centrale » pour l’année qui se joue, en raison des présidentielles. Mais aussi parce que le calendrier des mobilisations pourrait la porter haut et fort.

Les mobilisations actuelles dans le secteur de la santé, du travail social, ou encore la grève de la RATP du 25, dynamiseront le mois de mars. Sans compter la journée de grève interprofessionnelle du 17 mars. « C’est le mois que l’on appelle “le vent se lève”, parce qu’il y a plein de secteurs qui vont faire grève », sourit Murielle Guilbert. « On espère que le 8 mars sera un point important pour initier cette mobilisation interprofessionnelle ».

C’est aussi ce qu’espèrent les autres responsables d’organisations et de collectifs présentes lors de la conférence de presse du 1er mars. Toutes le concèdent : la pandémie a porté un coup aux mouvements sociaux. La grève du 8 mars leur apparaît comme l’occasion de mettre en lumière les secteurs qui sont malgré tout restés en lutte. Et, peut-être, d’impulser une nouvelle vitalité.


 


 

Égalité des sexes :
le triste bilan de Macron

Luis Reygada sur www.humanite.fr

Travail Le rapport publié jeudi par Oxfam vient confirmer l’insuffisance des moyens mis en œuvre durant le quinquennat pour résorber le fossé des inégalités, notamment en matière professionnelle et économique.

Rendez-vous manqué. À cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, le rapport rendu public ce 3 mars par l’ONG Oxfam (1) juge sévèrement le bilan du président Emmanuel Macron, qui avait promis de faire de l’égalité femmes-hommes la « grande cause nationale » de son quinquennat. Celui qui, en 2017, disait être un « candidat féministe » est loin de s’être montré à la hauteur des enjeux. « Nous prenons acte des efforts mais les mesures entreprises n’ont pas permis de transformer un système profondément sexiste, note le document de près de 50 pages. Les moyens ont été trop faibles et de multiples erreurs et ambiguïtés ont questionné la réalité de l’engagement. »

Les auteures du rapport reconnaissent que des engagements allant dans la bonne direction ont été pris par les pouvoirs publics en matière de « diplomatie féministe » et de « droits sexuels et reproductifs », mais l’action gouvernementale est qualifiée d’ « insuffisante » en matière de « budget dédié à l’égalité femmes-hommes » et de « lutte contre les violences ». Le compte n’y est pas du tout dans une société où « les femmes continuent de gagner et posséder moins que les hommes ». Le document pointe de nombreuses insuffisances tout en rappelant que les femmes « sont surreprésentées dans les emplois les plus précaires et les moins valorisés, exclues des sphères de pouvoir et assurent une part disproportionnée des tâches domestiques non rémunérées au sacrifice de leur vie professionnelle ».

« Il aurait fallu beaucoup plus d’ambition »

« Ce qu’on attendait, c’étaient de grandes mesures structurelles qui transforment le système en profondeur », explique Sandra Lhote-Fernandes. « Il aurait fallu beaucoup plus d’ambition », insiste la responsable plaidoyer chez Oxfam France, qui remarque que la « grande cause du quinquennat » n’a bénéficié que de 0,25 % du budget de l’État. « Il y a un écart trop important entre l’affichage politique et la réalité des moyens alloués », souligne-t-elle. Si des actions ont bien été entreprises, comme le renforcement des obligations de transparence en matière d’égalité professionnelle, l’introduction de quotas dans la direction des grandes entreprises ou encore l’augmentation des salaires dans le secteur – très féminisé – de la santé, l’ONG juge néanmoins ces dispositions insuffisantes. « Oui le congé paternité a été allongé (de onze à vingt-huit jours – NDLR), mais on partait d’une situation scandaleuse », rappelle la responsable d’Oxfam. « Et ça reste insuffisant pour faire pleinement face aux enjeux d’égalité des droits, de répartition des tâches domestiques et parentales et de discrimination dans le cadre du travail. » Alors que l’Unicef préconise un congé parental payé d’au moins six mois pour les deux parents, Oxfam ne se prive pas de comparer les quatre semaines françaises aux seize semaines accordées en Espagne, trente-quatre au Danemark ou encore soixante-dix-huit en Suède.

D’autres mesures sont quant à elles carrément jugées contre-productives, comme l’index de l’égalité professionnelle. Des paramétrages de calcul biaisés permettraient en effet aux entreprises d’obtenir de très bons scores (note moyenne de 86/100 l’année dernière), reflétant donc assez mal la réalité. « L’index permet un certain “gender washing” et les entreprises peuvent se prévaloir d’une bonne image comme s’il n’y avait pas encore 16,5 % d’écart de salaire entre femmes et hommes à poste égal », souligne Sandra Lhote-Fernandes. La revalorisation des salaires des métiers fortement féminisés (institutrices, aide à la personne, entretien…) représente un autre point noir de ce quinquennat, tout comme le « droit à la garde d’enfants ». Alors qu’Emmanuel Macron avait promis l’ouverture de 30 000 places supplémentaires en crèche, on n’en dénombre aujourd’hui que la moitié. Les estimations les plus basses font pourtant état de besoins à hauteur de 230 000 places ! Sur 2,3 millions d’enfants de moins de 3 ans, 40 % n’ont aucune solution de garde, une situation qui représente un véritable frein à l’autonomisation économique des femmes, qui se voient obliger de renoncer à travailler pour s’occuper de leur progéniture.

« Il faut vraiment mettre les moyens sur la table et mettre en place des mesures ambitieuses si on veut transformer un système sexiste et patriarcal qui pénalise encore beaucoup trop les femmes », conclut Sandra Lhote-Fernandes. Son organisation attend un engagement fort du prochain président de la République et demande « 1 milliard d’euros et un plan d’urgence » pour réellement changer les choses. « Nous n’accepterons pas moins. » 

(1) Rapport réalisé en collaboration avec Equipop et Care, avec la contribution de la Fondation des femmes, du Planning familial et de One France.

publié le 1° mars 2022

 

Les salariées d’Orpea, brisées
mais batailleuses

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Après les révélations de maltraitance contre des résidants des Ehpad de leur groupe, les soignantes sont sorties de leur silence. Mobilisées pour la première fois, elles assurent souffrir aussi et refusent de poursuivre ainsi.

Derrière les tourelles d’une luxueuse bâtisse de la ville de Suresnes (Hauts-de-Seine), le soleil commence à poindre. Dans le creux d’un virage, la toute neuve maison de retraite Orpea, inaugurée en 2019, surveille le flot matinal de véhicules. Sur le trottoir, une dizaine de salariées se saisissent de drapeaux aux couleurs de la CGT et enfilent une chasuble. Les gestes sont mal assurés : pour la majorité, la grève est une grande première. Habituellement, la poignée de soignantes de l’Ehpad agit dans l’ombre, œuvrant de chambre en chambre et surtout en gardant le silence. Mais lorsque le scandale autour des cas de maltraitance observés dans les établissements du groupe privé a éclaté, la mobilisation s’est imposée.

Éreintée par le tourbillon des tâches

« On nous a fait signer notre contrat en nous assurant qu’on aurait entre 6 et 7 résidants par jour. Pourtant, le compte est plus proche des 15 à 20 patients, et nous ne sommes pas plus payées pour la surcharge de travail », confie Irène (1), aide-soignante de nuit. Lorsqu’elle prend son service le soir, à 20 heures, elle prie pour qu’aucune de ses collègues ne soit absente : elle devra, sinon, prendre le relais et superviser plusieurs dizaines de personnes âgées. Servir les petits-déjeuners, assurer les toilettes, répondre aux sollicitations de familles parfois peu compréhensives, donner les médicaments… Les auxiliaires de vie et aides-soignantes sont devenues de véritables couteaux suisses, éreintées par la multitude de leurs tâches. « Quand j’arrive, je vois mes collègues qui travaillent le jour partir en pleurant, épuisées », poursuit Irène. Sous une grande banderole érigée par la toute nouvelle section CGT, vieille de quelques semaines, Aya (1) acquiesce : elle n’a pas encore la trentaine que la fatigue ne la quitte déjà plus. Éreintée par le tourbillon des tâches qui se répètent et du temps qui manque, elle en vient à craindre un accident. « Il n’y a plus d’infirmière le soir, donc on doit donner les médicaments à l’avance. On doit laisser la plaquette de comprimés entière à des gens qui n’ont plus toute leur tête, comment savoir s’ils ont pris la bonne dose ? », se désole-t-elle.

Un salaire de misère

Ces conditions de travail à la limite de la «  maltraitance » seraient un peu moins dures à supporter si elles n’étaient pas assorties d’un salaire de misère. Dans les étages de l’Ehpad, pourtant, les rémunérations se suivent et se ressemblent : 1 380 euros pour toutes, qu’importe qu’elles soient dans le métier depuis trente ans ou doivent sauter leur pause repas pour finir leur travail. « On a des primes de nuit, de week-end, mais ce qu’on veut, c’est du vrai salaire. On nous avait promis 1 700 euros avant de nous révéler que ce n’était que le brut, une fois le contrat signé », s’insurge Irène, employée des Vignes de Suresnes depuis son ouverture en 2019. Une cigarette à la main, un autocollant CGT négligemment apposé sur sa veste, elle prend à partie ses jeunes camarades : « vous n’aurez que 700 euros de retraite ! » Emmitouflée dans une écharpe noire, Aimée (1) écoute tranquillement. Elle ne contredit pas. Elle non plus n’a pas de salaire mirobolant, malgré ses efforts quotidiens, toujours plus intenses. « Heureusement que mes enfants sont grands et dans la vie active, ça fait des bouches en moins à nourrir. Certaines de mes collègues font deux boulots, moi je ne peux pas, sinon je mourrais », souffle-t-elle dans un rire léger, comme pour masquer la cruauté de la situation. Une vingtaine d’années auparavant, la soignante aurait bien aimé poursuivre une formation pour devenir aide-soignante et prendre du galon. Mais impossible de trouver du temps – et de l’argent – entre le boulot d’un côté et deux jeunes enfants de l’autre. Maintenant employée en CDI à Orpea, la salariée espère pouvoir suivre sa formation prochainement. « Mais avec cette grève, j’ai des doutes maintenant », réalise-t-elle.

La politique du moindre sou

Baffles et sifflets hurlant, la joyeuse parade remue sous les fenêtres de la maison de retraite, tirant sans doute de leur torpeur les quelques résidants encore endormis. Qu’importe, tous sont certainement dans le même camp : celui de la maltraitance subie par la politique du moindre sou d’Orpea, perpétuée de direction en direction. Le livre enquête de Victor Castanet, les Fossoyeurs, n’a rien appris aux soignantes, mais il les a rassurées, réconfortées. « On se sent moins isolées », glissent-elles. Toutes espèrent toutefois que les révélations, couplées à leur mobilisation inédite, sauront enfin faire bouger les lignes au plus haut niveau du groupe. En attendant, elles continuent la grève, illimitée.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

publié le 25 février 2022

Grève chez Biomérieux :
16 jours de lutte dans
la fabrique des tests Covid

Guillaume Bernard   sur https://rapportsdeforce.fr

Depuis 16 jours, les salariés de Biomérieux, dans l’ouest lyonnais, sont en grève. L’entreprise affiche des bénéfices records depuis le début de la crise sanitaire, mais les augmentations de salaire restent en deçà de l’inflation. Retour sur un conflit qui tente de s’étendre dans la chimie lyonnaise.

 Depuis ses bureaux de Marcy-L’Étoile, dans l’Ouest lyonnais, Anne Gander réagit à un mail intitulé « crise sociale ». La DRH France de Biomérieux peste contre Émilie Senty, déléguée syndicale CGT sur le site de Craponne. « Elle va chercher à nous faire craquer…mais on va résister. Je vais aller à mon cours de Yoga avant de répondre », croit-elle écrire à une de ses collègues.

Le mail auquel elle répond à été envoyé par la CGT. Mais il ne contient pas la liste des divers destinataires habituels auxquels le syndicat s’adresse. Suspect. « Il faudra comprendre la tactique des destinataires qui évoluent », théorise la DRH, finalisant son mail et cliquant malencontreusement sur « répondre à tous ». Le vocabulaire martial de la DRH colle à la situation. Voilà 15 jours que, chez Biomérieux, deux camps se font face, se demandant chaque jour qui craquera le premier.

Grève à Biomérieux : deux camps

Dans le premier de ses camps, on trouve la CGT Biomérieux et des salariés grévistes. Le syndicat est minoritaire dans l’entreprise, face à une CFDT hégémonique. Mais depuis les débuts de la grève chez Biomérieux, il affirme que 200 grévistes adhèrent à ses revendications. Ce sont essentiellement des ouvriers de la partie production de l’entreprise, répartis sur deux sites, celui de Craponne (1300 salariés dont 75% de cadres) et celui de Marcy-L’Étoile (1200 salariés, même proportion de cadres). « Cette grève est essentiellement une grève de la production, des chaînes sont impactées et certains labos ne reçoivent plus nos livraisons », assure Michel Montoro, délégué syndical CGT sur le site de Craponne.

 Le second camp, c’est celui de la direction de Biomérieux. L’entreprise lyonnaise, qui emploie 12 800 salariés à travers le monde, dont 4000 en France, en grande partie situés dans l’Ouest lyonnais, est un des leaders du diagnostic in vitro. Elle fabrique, entre autres, les réactifs qui permettent de détecter le Covid-19 et affiche ainsi une croissance record. Après deux ans de crise sanitaire, son résultat opérationnel est passé de 389 millions d’euros à environ 800 millions. Elle affirme dans la presse que la grève n’affecte pas la production, que les grévistes ne sont pas si nombreux et ne représentent qu’eux même. Sans concéder aucune augmentation de salaire, elle attend que l’orage passe. 

Malgré les bénéfices, « des augmentations en deçà de l’inflation »

Les très bons résultats de l’entreprise ne sont pas étrangers à la grève chez Biomérieux. « Je me suis mis en grève parce qu’avec de tels bénéfices, je ne comprends pas qu’on ne nous accorde pas une augmentation générale au moins au niveau de l’inflation », déplore David, technicien. « On a fait beaucoup d’efforts mais ils ne sont pas reconnus. On est venus bosser pendant le premier confinement, on nous a demandé de produire plus. Et tout ce qu’on nous propose, c’est une hausse de l’intéressement ? Nous, ce qu’on veut, c’est du salaire ! », affirme Sylvie, opératrice de production.

Comme dans de nombreuses entreprises en cette période, la lutte qui s’est engagée chez Biomerieux porte sur l’augmentation des salaires. Mercredi 9 février, c’est le site de Craponne, qui débraye le premier. Après trois semaines de négociations annuelles obligatoires (NAO), la CFDT, syndicat majoritaire, accepte une augmentation de salaire relativement faible. Ce sera 2,3% pour le collège ouvrier, 2% pour les agents de maîtrise, et 0% pour les cadres. Pour les plus bas revenus de l’entreprise, dont le salaire hors prime est pratiquement au niveau du SMIC, cela représente une augmentation de 38 euros brut. La CGT ne signe pas.

« Les NAO sont un théâtre. A chaque fois on nous fait le même sketch sur 3 semaines et à la fin la CFDT signe ce que le patron avait prévu qu’elle signe », dénonce Michel Montoro, de la CGT sur le site de Craponne. Or, selon la dernière estimation de l’INSEE (janvier 2022) les prix à la consommation ont augmenté de 2,9% sur un an.

De son côté, la direction de Biomérieux affirme que l’augmentation salariale négociée lors des NAO est de 4%. Mais elle inclut dans son calcul, l’augmentation individuelle de 0,9%, délivrée « au mérite », ainsi que l’ancienneté annuelle de 1% (plafonnée à 16 ans d’ancienneté). Des mesures que les grévistes refusent de considérer comme des « augmentations générales », puisqu’elles ne concernent qu’une partie des salariés. Contactée, sur ce point, Biomérieux n’a pas répondu aux questions de Rapports de Force.

« Comme si tous les patrons s’étaient passé le mot »

« Lundi 7 février, deux jours avant la grève on a appelé la direction. On leur a dit que les salariés étaient énervés. On exigeait 100€ d’augmentation mensuelle, sinon il y aurait une grève. Ils ont cru qu’on ne ferait qu’un débrayage d’une journée, comme d’habitude. Mais cette fois la grève a bien pris et on la reconduit chaque jour. Maintenant on demande 300€ brut d’augmentation », explique Michel Montoro.

Depuis, la grève s’est étendue sur le site de Marcy-L’Étoile, à quelques kilomètres de Craponne. Le piquet de grève déménage régulièrement d’un site à l’autre et « le nombre de grévistes se maintient », explique la CGT. Une tentative d’étendre la grève de Biomérieux à d’autres entreprises, comme Sanofi, a vu le jour le 23 février.

La situation chez Biomerieux rappelle de nombreuses autres batailles sur les salaires menées notamment dans la chimie lyonnaise. Après deux semaines d’une grève historique fin décembre, les salariés d’Arkema, leader français de la chimie des matériaux, ont obtenu 70€ d’augmentation de salaire mensuel. Leur direction leur en proposait 50€. Le leader du PVC, Kem One a également essuyé une grève de 13 jours suite à des NAO jugées insatisfaisantes. Cette situation se retrouve ailleurs en France. Chaque semaine, de nouveaux conflits éclatent dans les entreprises sur la question des salaires.

 « C’est comme si tous les patrons s’étaient passé le mot de ne pas augmenter les salaires », ponctue Émilie Senty, déléguée syndicale CGT. De fait, les dernières négociations de la branche « fabrication à façon », dont dépendent les employés de Biomérieux n’ont porté les augmentations salariales qu’à 2,4%, soit, encore une fois, en dessous de l’inflation. Même si celle-ci n’a pas valeur d’obligation, « toutes les organisations syndicales ont refusé de signer, sauf la CFDT », explique Murielle Morand, membre du comité exécutif de la FNIC-CGT et ingénieure d’application chez Biomérieux, qui a participé à ses négociations. D’où la volonté des grévistes d’élargir la lutte à d’autres entreprises locales.

Tentative d’élargissement

 Mercredi 23 janvier, le piquet des grévistes de Biomérieux est installé sur le site de Marcy l’Etoile, soit à quelques centaines de mètres d’un des principaux sites de Sanofi en France (5000 salariés), notamment chargé de la production de vaccins. « Le but c’est de faire une jonction avec les salariés de Sanofi. Tout comme les capitalistes sont unis, les salariés doivent l’être aussi. C’est aussi cela qui leur fait peur », affirme Michel Montoro. Ainsi certains grévistes sont venus tracter dès 4h du matin, à proximité des locaux de Sanofi, pour alerter les salariés.

Deux délégués syndicaux CGT et quelques salariées rejoignent effectivement le piquet. Mais la jonction en restera là pour le moment et il n’y aura pas, chez Sanofi, de grève pour rejoindre Biomérieux. « Les salariés ne sont pas dans une dynamique de grève. On va avoir des baisses d’effectifs, le souci c’est plutôt de garder de l’emploi en ce moment », explique Laurent Biessy, délégué syndical CGT chez Sanofi. « L’extension, forcément, ça prend du temps », constate Michel Montoro. Mercredi après-midi, les grévistes ont déplacé leur piquet en bas des bureaux de leur direction. En fin de journée, ils ont voté la reconduction de leur mouvement.

publié le 16 février 2022

 

 

communiqué de presse

Montpellier le 16 février 2022

 

CGT – FAPT34 Syndicat départemental de la fédération des activités postales et des télécommunications

 

Les Postier.e.s du Centre de Distribution de MONTPELLIER RONDELET seront en grève demain jeudi 17 février 2022.

Un mois après la mise en place de la réorganisation ayant supprimée 15 tournées Facteur et des graves perturbations que cela a entrainé, nombre de postières et postiers sont au bout du rouleau.

Devant cette crise sans précédent, ou les salarié.e.s se retrouvent parfois en pleurs et ou les altercations se sont multipliées, la Direction répond par la menace de répression, par l’insulte en tenant des propos stigmatisants.

Elle souhaite « remettre les postières et postiers au travail », ces derniers devant être soignés médicalement si elles ou ils ne s’en sortent pas, si elles ou ils craquent du fait de l’organisation du travail. La direction a clairement choisi d’ignorer les alertes de la CGT FAPT 34. Pourtant le risque est bien présent de voir ce type de management détruire la vie de salariés.

Nous le disons clairement à La Poste: sans changement le risque de suicide chez les agents est très présent.

Nous revivons aujourd’hui au sein des services de La Poste et notamment à Rondelet une forme de management proche de celui qu’ont connu les collègues de France Télécom.

Pour le service rendu aux usagers le constat est là, des commerçants et particuliers du centre ville sont parfois restés deux semaines sans courrier. Des courriers n’arrivent jamais et les réclamations se multiplient.

Les postières et postiers sont tous les jours en première ligne pour absorber le mécontentement des usagers.

La direction du Centre argumente sur le manque de professionnalisme et l’individualisation du problème. Pour les postières et postiers c’est le fait d’avoir parfois 6H de distribution à faire en 3H prévues par la réorganisation ainsi que la perte de temps engendrée par le fait d’avoir plusieurs intervenants entre le tri, le classement et la distribution d’une tournée.

Nous faisons face à une désorganisation généralisée du service.

Dès l’ouverture des négociations ce jour à 11 Heures la direction refuse toute négociation, insulte les salariés et les représentants de la CGT.

Nous serons présents avec les salarié.e.s demain jeudi 17 février 2020 à partir de 6H et jusqu'à 12h devant l’entrée des salariés de La Poste de RONDELET.

 

publié le 15 février 2022

 

SAUVONS LE CAPS


EN URGENCES !!!

 

communiqué :

-de la section CGT de l’hôpital de Lodève,

- de l’Union Locale CGT de Lodève-Clermont

- et de l’Association pour de véritables Urgences au Centre Hospitalier de Lodève

 

 

Depuis 13 ans, le CAPS (Centre d’Accueil pour la Permanence des Soins) du Centre Hospitalier de Lodève accueille des personnes de tout le territoire du Lodévois et Larzac et même du Cœur d’Hérault. D’années en années, il est monté en charge jusqu’à arriver en 2019 à plus de 10 000 passages.

Un service reconnu par tous les usagers mais pas par l’Agence Régionale de santé !!

Il faut savoir que le CAPS reçoit une enveloppe financière de l’ARS depuis son ouverture qui couvre l’ensemble des dépenses. Pour 2021, l’ARS a décidé de ne pas financer les salaires des nouveaux médecins salariés (290 000 €). Ce manque va mettre en péril financièrement d’une part le CAPS et le CH de Lodève et va dans un deuxième temps se répercuter sur les conditions de travail du personnel et de la prise en charge des usagers, qui en 2018, a subi et ce malgré l’opposition de la CGT, une néfaste réorganisation du temps de travail engendré par un plan de retour à l’équilibre financier.

L’urgence est de réagir au fait que le CAPS ne soit pas reconnu par l’ARS !! Celle-ci peut remettre en cause chaque année son fonctionnement en lui attribuant ou pas une enveloppe pour subsister mais jusqu’à quand ?

Quand on voit « l’oubli » des 290.000 €, on est en droit de s’interroger sur les raisons qui ont conduit l’ARS à pénaliser ce service indispensable pour la population !!!

Aussi, depuis de nombreuses années, la CGT et l’association « Pour de véritables urgences au CH de Lodève » demande la transformation du CAPS en véritable service d’urgence avec de ce fait une véritable assise juridique qui du coup, ne serait plus sous perfusion de l’ARS mais avec des moyens à la hauteur des besoins.

Qu’est-ce qu’un véritable service d’urgences ?

Les urgences vitales (celles qui seront donc traitées en premier) ▪ Les urgences fonctionnelles : blessures, maladies... qui entraînent un pronostic lourd et assez urgent

Les urgences ressenties : le patient est angoissé et se sent mal mais ne présente pas de danger absolu.

Les urgences sociales : la personne se rend aux urgences parce qu’elle ne sait pas vers qui se tourner ou se retrouve dans une situation difficile. Elle sera le plus souvent orientée vers un service de police et/ou un assistant social. Il ne s’agit pas d’une urgence médicale à proprement parler.

Un plateau technique permettant de réaliser des opérations... et de sauver des vies !

Il y a également besoin de développer l’imagerie médicale et de doter le CH Lodève d’une IRM : trop d’attente pour avoir un rendez-vous, parfois plus d’un mois !

Alors l’urgence est à la mobilisation de toutes et tous !

Notre territoire ne doit pas devenir un désert médical !!!

Exigeons des moyens pour le CAPS, exigeons un vrai service d’urgence !!!

Rejoignez-nous, signez la pétition pour gagner un vrai service d’urgence.

 

Grand rassemblement

Samedi 19 février 2022 à 11h00.

Devant la Sous-Préfecture de Lodève

 

la pétition est en ligne : https://www.mesopinions.com/petition/sante/urgences-vital/116794

publié le 2 février 2022

Nouvelle grève des travailleurs sociaux :
« il va falloir revenir, encore et encore
»

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

À nouveau, les travailleurs sociaux (handicap, grand âge, protection de l’enfance…) étaient en grève nationale, ce 1er février. Dans la foulée de leur mobilisation inédite du 7 décembre, ce rendez-vous visait à maintenir la pression. Et pour cause : une Conférence nationale des métiers de l’accompagnement social et médico-social se tiendra mi-février. Or, les pistes envisagées par le gouvernement, loin de répondre aux attentes des salariés, soulèvent leurs inquiétudes.

« Il va falloir revenir, encore et encore et encore » martèle Noureddine, d’une voix forte amplifiée par un haut-parleur. Éducateur de rue en Seine-Saint-Denis, exerçant dans la prévention spécialisée, ce salarié n’en est pas à sa première manifestation. Il était au rendez-vous toutes les fois où une grève nationale des travailleurs sociaux a été lancée : le 11 et le 27 janvier ; ou encore le 7 décembre. Ce jour-là, « c’était du jamais vu », se souvient-il. Entre 55 000 et 80 000 manifestants avaient défilé partout en France.

Ce 1er février, seules 6 000 personnes, selon les estimations syndicales, composent le cortège parisien. D’après les premières remontées de terrain, on dénombrait aussi 1500 manifestants à Nantes, 600 à Nîmes, 450 à Poitiers, 700 à Grenoble… Une mobilisation « moindre que le 7 décembre, mais toujours pêchue », commente Ramon Vila, secrétaire fédéral SUD Santé Sociaux.

L’appel à la grève nationale a de nouveau été porté par l’ensemble des syndicats de salariés du secteur (Sud, CGT, FO, CNT…), et des collectifs de travailleurs sociaux. Les accords du Ségur, signés à l’été 2020, ont laissé de côté des branches entières de professionnels, créant des différences de traitement au sein d’un même établissement. Depuis, les travailleurs sociaux descendent régulièrement dans la rue pour exiger, entre autres, la revalorisation de leurs salaires.

 Une grève des travailleurs sociaux qui « ne s’essouffle pas »

 Au milieu du cortège, Violette, éducatrice depuis douze ans dans le secteur du handicap, rappelle pourtant à quel point il est difficile de faire grève. D’une part, cela a des conséquences sur les fins de mois, alors que les bas salaires sont légion. Surtout, cela signifie rompre l’accompagnement. « C’est compliqué de demander aux familles de récupérer les personnes chez elles », souligne-t-elle. Elle et ses collègues sont venues à la manifestation parce qu’une réunion était prévue cet après-midi. L’impact sur le fonctionnement de leur structure est donc moindre.

Elles s’étaient aussi arrangées pour être là le 7 décembre. En douze ans, « c’est la première fois qu’il y a autant de manifestations à si peu d’intervalles. C’est bon signe, ça ne s’essoufle pas » positive Violette.

Si le mouvement reste dynamique, malgré la difficulté de se mobiliser, c’est aussi parce que la colère ne retombe pas face à l’absence de réponse gouvernementale. Depuis l’été 2020, aucun cadre de négociation réel n’a été ouvert par le ministère des Solidarités et de la Santé. Sollicité, celui-ci n’a pas, pour l’heure, répondu à nos questions.

 Une campagne de recrutement observée avec méfiance

 Quelques avancées émergent cependant en ce début d’année. Le 4 janvier, une circulaire interministérielle, adressée aux préfets, directions départementales de l’emploi et agences régionales de santé, a lancé une campagne de recrutement. Le sanitaire, le grand âge et le handicap sont les secteurs concernés. Dès février, une campagne de communication doit être menée auprès du grand public.

Marthe, cheffe de service dans un centre d’activité de jour pour adultes en situation de handicap, confirme faire face à des difficultés de recrutement « inédites ». Elle travaille depuis huit ans dans le secteur. « Nos métiers intéressent moins, parce qu’ils ne sont pas valorisés. Ni au niveau des salaires, ni au niveau de la protection dans notre travail », regrette-t-elle. Dans sa structure, par exemple, cela fait deux mois qu’un poste est à pourvoir.

Mais la cheffe de service n’est pas convaincue, a priori, par cette campagne de recrutement. « S’il s’agit d’ouvrir à un maximum de monde, il faut savoir qu’on en a plein, des gens qui postulent alors qu’ils viennent de boulots éloignés de notre secteur et n’ont pas les diplômes… On se retrouve, parfois, à devoir les recruter », soupire-t-elle.

 Conférence nationale des métiers : « je ne me fais pas d’illusions » 

 Le gouvernement a aussi fixé un rendez-vous important, en ce premier trimestre 2022 : la Conférence nationale des métiers de l’accompagnement social et médico-social. Plusieurs fois repoussée, elle se tiendra le 18 février.

Teddy et Alicia, salariés au sein d’un foyer de vie pour personnes en situation de handicap, n’en attendent pas grand-chose. « Les politiques n’ont même pas connaissance de nos métiers, de nos établissements : foyers de vie, maisons d’accueil spécialisées, foyers d’accueil médicalisés… On part de zéro ! » estime Alicia. Le manque de reconnaissance, ancré depuis des années, laisse peu d’espoir à ces professionnels. « On a tellement été maltraités que je ne me fais pas d’illusions », résume Teddy. D’après lui, « on reste mis de côté, parce que les personnes que l’on accompagne sont déjà mises au ban de la société ».

Mobiliser les personnes accompagnées, ainsi que leurs familles, pourrait changer le rapport de forces aux yeux d’Alicia. « Ce sont les premières personnes concernées. Si elles se mobilisent davantage avec nous, on serait plus entendus ». Teddy, lui, aimerait que les responsables politiques visitent davantage les établissements sociaux et médico-sociaux. La méconnaissance de leurs métiers, de même que le manque de médiatisation de leurs luttes, est décrié par tous les travailleurs sociaux rencontrés ce 1er février.

 L’inquiétude grandit autour de la refonte des conventions collectives

 Obtenir l’extension de la prime Ségur (183 euros net par mois) à de nouveaux secteurs reste, pour ces manifestants, un horizon possible. L’enjeu sera au coeur de la conférence nationale du 18 février. Des pistes de revalorisation salariale seront aussi décortiquées dans un rapport commandé à l’Inspection générale des affaires sociales.

Mais au fil de ces derniers mois, un « deal » se dessine. Revaloriser les salaires, pourquoi pas… À condition de réformer en profondeur les conventions collectives. Une position de plus en plus assumée le gouvernement, en particulier depuis la mission Laforcade initiée fin 2020.

La fusion des deux conventions collectives principales du médico-social, la 51 et la 66, sont à l’ordre du jour. En tête du cortège parisien, Florence Pik, membre de la commission de mobilisation du travail social Île-de-France, appelle au micro ses collègues à la vigilance. Cette refonte aura pour objectif de « casser nos droits, casser nos congés », selon cette éducatrice spécialisée. « Ce serait catastrophique qu’ils nous abaissent les petits acquis sociaux que l’on a, autour des congés et des RTT… Et qui sont ridicules par rapport à d’autres secteurs », déplore Alicia.

 Maintenir une dynamique nationale et locale

 Peu satisfaits des perspectives qui se présentent à eux, les travailleurs sociaux entendent donc maintenir la pression. Teddy et Alicia se sentent encore l’énergie de participer aux grèves nationales, tant qu’il le faudra. « Jusqu’au bout », promettent-ils.

D’autres se feront entendre localement. « On est en train de construire, avec les collègues du Val d’Oise, un mouvement de grève pour les moniteurs et éducateurs qui sont les oubliés du Ségur », explique Adolphine. Cette éducatrice-coordinatrice « en colère », comme elle se présente en riant, travaille dans un foyer de vie pour personnes en situation de handicap. Quant à Noureddine, l’éducateur de rue, il est en train de constituer un collectif de prévention spécialisée du 93.

Du côté des organisations syndicales, plusieurs dates « vont s’imposer à nous », évoque Ramon Vila. Le 8 mars, par exemple. « On ne peut pas faire l’impasse dessus » : les métiers de l’accompagnement sont majoritairement exercés par des femmes. Le 15 mars également. «  Ce sera l’anniversaire d’une des principales conventions collectives du secteur. Et c’est la journée mondiale du travail social », rappelle le responsable syndical. Et d’ici là, bien sûr, le 18 février. À l’occasion de cette conférence nationale des métiers, « il faudra que l’on se manifeste »


 


 

Descendu sur la place publique, le médico-social est l’affaire de tous

sur https://lepoing.net

Beaucoup d’innovation pour la troisième journée d’action des acteurs et actrices du médico-social. La dégradation de leur profession est celle de toute une vision de la société, partagée sur la Comédie avec tous les citoyens.

Pour sa troisième journée de mobilisation depuis décembre dernier, le milieu du médico-social s’était réuni, ce mardi 1er février place de la Comédie à Montpellier. Cette fois pas de cortège traditionnel, avec déambulation dans les rues de la ville, mais un tout autre programme à l’ordre du jour. Plusieurs signes faisaient présager un moment particulier, différent des deux rassemblements passés.

Avec quelques centaines de personnes réunies ce mardi midi, les syndicats présents (Sud Solidaires, CGT, FSU) et regroupements de professionnels du milieu médico-social (dont la très active CAASOS*) avaient réussi à mobiliser une population plutôt jeune et revendicative. Cela alors que la mobilisation n’a rien d’évident dans un secteur éclaté en petites structures, parfois perçues comme protectrices par leurs employés, très attachés au service à rendre coûte que coûte aux plus défavorisés ; sans oublier que la grève ne coûte pas rien pour des salariés souvent précaires ou très peu payés.

La nouveauté de la forme d’action choisie tenait à l’ajout – outre les prises de paroles de différents syndicats – d’une proposition de témoignage au micro ouvert, tourné vers les professionnels en grève. Une occasion d’offrir à cette place de la Comédie un moment de parole en public aux accents citoyens. C’est peut être ici que le symbole du jour était le plus fort : la place publique devenue un lieu d’échanges et de témoignages, prend des airs d’agora et retrouve l’attribut premier des aires communes. Et comme par définition, les problèmes du secteur social sont alors perçus comme étant ceux de la société, et no des seuls employés du dit secteur.

Aux revendications de manques de moyens financiers et humains dans les secteurs de la santé et du social s’ajoute la non reconnaissance, voire le mépris des institutions (ville, département, préfecture, qui sous-tendent l’action sociale) à l’endroit de ces travailleurs. Passant de main en main, le micro porte la voix de personne de différentes professions, ici un infirmier du samu social, là une assistante sociale, ou encore un apprenti moniteur éducateur, qui tour à tour pointent les difficultés rencontrées dans leur métiers respectifs.

Ces prises de paroles, préparées ou spontanées, révèlent toutes des similitudes criantes : demande d’intégration des étiers du médico-social au Ségur de la santé, manque cruel de reconnaissance des métiers du lien, dénonciation de la gestion managériale des institutions publiques et de la course aux profits (impossible de ne pas songer à l’affaire en cours dans les EHPAD privatisé), et la perte du sens du travail qui s’ensuit. Tout cela traduit par un mal être profond dans l’exercice de leur métier, souvent pratiqué avec passion, les actrices et acteurs du médico-social révèlent les défaillances de l’Etat dans ses missions de service public. La gorge serré pour certains déclarant que «si rien n’est fait rapidement, d’ici moins de dix ans, les travailleurs sociaux n’existeront plus ».


Tandis que des membres du collectif CAASOS installaient des reproduction de chambre de 8m2 au sol de la place de la Comédie, un autre prenait la parole de façon déterminée rappelant dans le style l’appel d’un certain Coluche dans un contexte politique similaire : «Notre lutte est commune, j’appelle donc les précaires, chômeurs, facteurs, cheminots, fous, drogués, personnel du service public et tous citoyens à continuer le combat ». En effet, si les travailleurs sociaux ne semblent pas être considéré par les instances publiques, ils en restent les principaux acteurs et notamment les témoins de la difficulté de vivre des citoyens (augmentation de la demande d’aide alimentaire, de logement d’urgence etc…).

Une course digne d’un marathon, tant les demandes sont croissantes et systémiques, et il s’agira pour la suite de ce mouvement de prendre différentes formes de combat dans la durée. Car malgré les mobilisations nombreuses ces dernières semaines, les revendications restent inaudibles aux élus enplace, même si comme l’a souligné un membre de Sud Solidaires, une délégation de membres des syndicats de Sud Santé Sociaux, de la CGT Action Social et de CAASOS avait été reçue en matinée en mairie de Montpellier. Quand bien même, il semble qu’une course de fond soit lancée pour les travailleuses et travailleurs sociaux.

*Collectif d’Actrices et d’Acteurs Social et des Oubliés de la Société

publié le 31 janvier 2022

Pôle emploi
sous haute tension

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Grève Dix syndicats de l’établissement public appellent à se mobiliser, ce mardi. Avec l’avalanche de plans gouvernementaux et la réforme de l’assurance-chômage, les conditions de travail se sont dégradées. Les coups de pression managériaux et les revalorisations salariales faméliques attisent la colère.

La coupe a débordé. Ce mardi, l’ensemble des syndicats de Pôle emploi (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, Snap, SNU, STC, SUD, Unsa) appelle à la grève dans toute la France. Cette mobilisation d’une rare ampleur fait écho à l’avalanche de plans et dispositifs tombés sur les agents ces derniers mois : remobilisation des chômeurs de longue durée et de très longue durée, contrat engagement jeune (CEJ), renforcement des contrôles des privés d’emploi, réforme de l’assurance-chômage… En cette année électorale, les mesures imposées par Emmanuel Macron ne laissent aucun répit à des conseillers également touchés par le Covid. Si Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, a assuré dans les Échos comprendre la « fatigue » des salariés, les réponses n’ont pas été à la hauteur. « Quand nous avons demandé en CSE central de détendre certains dispositifs, on nous a répondu que c’était hors de question pour ceux du gouvernement, raconte Guillaume Bourdic, représentant de la CGT dans cette instance. La direction n’a concédé que des broutilles. En novembre et décembre 2021, les collègues ont dû recevoir de manière individuelle ou collective tous les demandeurs d’emploi de longue durée et certains de très longue durée pour leur imposer une prestation ou une formation. Cela a été très mal vécu en interne. Ça remet complètement en cause le travail des conseillers. Nous ne voulons pas être au ser vice d’un candidat pour l’élection présidentielle. »

« Nous devons appliquer les ordres, et basta ! »

Les négociations annuelles sur les salaires ont achevé de remuer le couteau dans la plaie. La direction générale a promis 1 % d’augmentation aux agents de droit privé et confirmé un royal 0 % à ceux de droit public. « On nous a même dit que nous pourrions avoir 1,5 % de hausse si nous renoncions à la grève, poursuit le syndicaliste. Les agents de droit privé ont vu leurs revenus chuter de 13,4 % et ceux de droit public de 20 % par rapport à l’inflation depuis dix ans. Nous demandons juste une forme de rattrapage. » Seule une catégorie de personnel voit sa rémunération grimper : l’encadrement. Les directeurs d’agence et les responsables d’équipe pourront percevoir une prime de performance en fonction de la réalisation des objectifs individuels et collectifs. Pour les récompenser, Pôle emploi a débloqué une enveloppe de 9 millions d’euros. Dans un contexte de pression exacerbée, cette décision n’est pas sans risques. Un peu partout, les conditions de travail des conseillers se détériorent. Pendant que le gouvernement affiche une baisse du chômage de 5,9 % au quatrième trimestre en catégorie A (chômeurs n’ayant pas travaillé), la charge de travail suit la courbe inverse. Si la direction a accepté de retarder la mise en place d’une de ses réformes, le conseiller référent indemnisation (CRI), c’est que les agents sont déjà noyés. « Depuis les nouvelles règles d’assurance-chômage, chaque cas demande beaucoup plus de travail, explique Luc Chevallier, délégué syndical SUD emploi. Le privé d’emploi doit fournir des documents sur les trente-six derniers mois. Nous devons regarder où sont les périodes de congé et les interruptions de contrats. Avant d’avoir tous ces éléments, on fait un calcul provisoire qui aboutit à une allocation dérisoire. Sinon, les chômeurs devraient attendre trop longtemps avant d’être indemnisés. »

Dans l’agence de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), l’ambiance est à couteaux tirés. Une déléguée syndicale du SNU a été sanctionnée d’un avertissement pour non-respect des procédures et des consignes. « On lui reproche d’avoir saisi sur informatique un entretien avec un demandeur d’emploi pour lever une future radiation, ce que nous faisons tous depuis des années, proteste une de ses collègues, Géraldine (1). Il s’agit surtout de discrimination syndicale. En réunion avec la directrice, on ne peut plus s’exprimer. On ne nous demande plus jamais si nous avons des questions à la fin. Nous devons appliquer les ordres, et basta ! Les demandeurs d’emploi sont contrôlés, mais nous aussi. On nous bourre le planning et nous devons justifier pourquoi nous n’avons pas répondu à tel ou tel mail. Et après 18 heure s, je continue parfois à travailler pour gérer les demandes de financement de formations et tout ce qui est back-office (activités administratives – NDLR). » Cette syndicaliste est également accusée par sa hiérarchie de provoquer un climat délétère au sein de l’agence de 60 salariés. Eva (1), en arrêt maladie pour « craquage », pointe plutôt les pratiques managériales : « Nous sommes quelques-uns à être en arrêt pour burn-out, observe-t-elle.  Beaucoup de collègues sont partis. Jamais autant d’agents n’ont fait une demande de mutation. En mai 2021, notre indicateur de qualité de vie au travail était de 54 %. Le dernier était tellement mauvais qu’il ne nous a pas été communiqué. Tout ça pour être si mal payés que nous sommes nombreux à toucher la prime d’activité ! »

En soutien à leur collègue, une pétition a été lancée. Mais le respect des objectifs reste la priorité numéro un. « Il faut tenir les différents plans d’action gouvernementaux, monter en charge dans la prescription des formations auprès de la région, augmenter les taux de premier paiement des allo­cations… Cela appauvrit considérablement nos métiers ! lance Clarisse (1), autre agent. Avec ce pilotage par les résultats, la ligne managériale se durcit. À Saint-Maur-des-Fossés, un autre agent a été convoqué à un entretien disciplinaire parce qu’il s’exprimait un peu trop. » Contacté pour des précisions sur ce dossier, Pôle emploi n’a pas donné suite.

16 à 19 % des effectifs sont en contrats précaires

La situation de Vitry n’est pas isolée. « Il y a des recadrages partout, observe Luc Chevallier. On ne peut plus dire qu’il y a trop de travail et que l’on ne peut pas réaliser telle ou telle mission. C’est en totale contradiction avec le discours officiel de construction collaborative partagée. » Pour Francine Royon, déléguée régionale de la CGT en Île-de-France, le point de non-retour est atteint : « Les collègues veulent marquer le coup avec la grève d’aujourd’hui. Nous sommes arrivés au bout de ces méthodes. Par exemple, nous passons énormément de temps à faire du codage. Un collègue qui avait rentré les données pour 350 personnes en minuscules a dû tout retaper en majuscules alors que nous n’avons pas assez de créneaux pour recevoir les demandeurs d’emploi ! En parallèle, Pôle emploi déve loppe aussi une politique de sûreté, notamment pour repérer les personnes radicalisées. » Des ambassadeurs de sûreté devraient ainsi être désignés sur chaque site pour faire le lien avec la préfecture et le ministère de l’Intérieur, également en cas d’agression ou d’envahissement d’une agence. Une orientation contestée par certains syndicats mais sans effet sur la charge de travail.

D’autant que la précarisation croissante des agents ajoute une couche de stress : 16 à 19 % des effectifs sont en contrats précaires. De son côté, la direction communique abondamment sur les 900 recrutements en CDI pour le contrat engagement jeune. En réalité, entre les suppressions d’emplois et les embauches, l’établissement public devrait compter seulement 100 renforts en plus cette année. À partir de mars 2022, 550 postes supplémentaires en contrats à durée déterminée de dix-huit mois viendront s’ajouter. Même en misant sur la dématérialisation accrue et une autonomisation des demandeurs d’emploi, ce saupoudrage est insuffisant. « Des précaires qui accueillent d’autres précaires en agence, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux, dénonce Sofien Ben Mahmoud, représentant du SNU Pôle emploi. Ce ne sont pas les personnels en CDD qui vont procéder aux calculs de la réforme de l’assurance-chômage. Des conseillers indemnisation comme moi se sont retrouvés à valider des dossiers d’allocation avec 2 euros par jour, une honte ! Plus personne n’a le temps de servir correctement les usagers. Un collègue à qui on a imposé de “travailler” son portefeuille de chômeurs et qui a exposé sa surcharg e s’est vu répondre : “Tu n’as qu’à faire du yoga, ça te fera du bien.” Beaucoup d’agents se satisfont du télétravail car ils ressentent moins la pression. Tout le monde veut que cela se calme et exige des rémunérations dignes de ce nom. On espère que de nombreux agents seront mobilisés aujourd’hui. »

(1) Le prénom a été changé.


 


 


 

Chômage. Les précaires prennent la parole


 

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Lors d’une conférence de presse, mardi dernier, vingt associations ont appelé à prendre en compte les revendications des privés d’emploi en cette année électorale.

Changer le regard sur les chômeurs. Ce mardi, lors d’une conférence de presse, vingt associations dont Solidarités Nouvelles face au Chômage (SNC), ATD Quart Monde, le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) réunies au sein du collectif « pour la parole des chômeurs » ont présenté un Livre Blanc bâti à partir de témoignages. Lors de cette enquête, 270 réponses ont été recueillies en cinq mois. En cette année électorale, les revendications des six millions d’inscrits à Pôle emploi passent pour l’instant sous les radars, laissant le champ libre aux discours culpabilisateurs : « Il est important que cette parole soit mieux entendue, avance François Soulage, animateur du collectif. Tous refusent le terme d’«assistés» et rappellent qu’ils n’ont pas choisi cette situation. »

Remettre l’humain au centre

Parmi les premières priorités : un meilleur accompagnement socioprofessionnel des chômeurs en remettant la personne au centre. Le Livre Blanc recommande que des fonds supplémentaires servent à renforcer ce suivi individuel et collectif.  S’il ne s’agit pas de tirer à boulets rouges sur le service public de l’emploi, le ressenti des précaires est sans appel : « Je ne rentre pas dans les cases et je suis fatigué d’être confronté à des machines », expose un des témoins. « J’ai l’impression d’être enfermé dans une case avec l’impossibilité de pouvoir prétendre à autre chose », relate un autre. Comme le souligne Dwain, chômeur présent lors de la conférence de presse : « Ma conseillère Pôle emploi est adorable, mais j’aurais aimé qu’elle connaisse un peu mieux mon secteur d’activité. Finalement, ce sont surtout des associations comme la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) qui m’ont aidé. »

Un accès gratuit à un psychologue

Fatigue, santé mentale en berne, les risques sanitaires qui pèsent sur les chômeurs sont multiples. « Je suis usé et j’ai l’impression de ne plus rien valoir », se désole un des demandeurs d’emploi interrogés. Un accès gratuit à un psychologue est notamment proposé par le collectif. Dans leur recherche de travail en forme de parcours du combattant, le manque d’offres disponibles est aussi pointé du doigt. « 58% des chômeurs estiment que leurs difficultés à trouver un emploi sont liées à ce constat, rappelle Jean-Christophe Sarrot, co-responsable du réseau emploi-formation de ATD Quart-Monde. Trouver un poste, c’est prendre la place de quelqu’un jusqu’à ce qu’une autre personne prenne votre place... »

Entre la rengaine du gouvernement sur les 300 000 emplois non pourvus, la réforme ultra-régressive de l’assurance chômage et en face, quelques mesures saupoudrées sur les jeunes et les chômeurs de longues durée, les privé d’emplois attendent de mesures concrètes. « Les contrats proposés sont de plus en plus précaires, renchérit François Soulage, le million de chômeurs qui va perdre des droits avec la réforme de l’indemnisation, ce sont les personnes que nous avons rencontrées ! Il faut aussi arrêter d’imposer des formations et leur laisser le temps de choisir » Pour Chloé Corvée, présidente de la JOC, il est temps d’agir : «  Ces différentes propositions doivent être mises en place par le futur gouvernement. Cette situation n’est pas vivable. »

publié le 31 janvier 2022

Hella Kherief : une lanceuse d’alerte toujours debout malgré les coups et les blessures

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Hella Kherief, l’aide-soignante qui avait dénoncé des maltraitances en EHPAD dans un reportage d’Envoyé spécial, est de nouveau inquiétée. Elle est convoquée à un entretien disciplinaire mardi 1er février. Dans la clinique où elle travaille à Alès, les salariés sont en grève depuis mercredi dernier pour protester contre un management brutal. Hella Kherief avait déjà perdu son emploi à deux reprises en 2016 et 2018. Nous l’avons interviewée pour Rapports de force.


 

 Tu es convoquée à un entretien disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement le 1er février ? Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

 Officiellement, je n’en ai aucune idée, parce que je n’ai commis aucune erreur. J’en suis certaine. Officieusement, je dirais que c’est parce que je suis lanceuse d’alerte et représentante syndicale CGT. Je réplique par des courriers recommandés à ma direction, lorsqu’il y a un licenciement abusif, ou lorsqu’il y a une injustice envers un salarié. Cela ne plaît pas forcément, sachant que les prochaines élections sont au mois de mars. Un syndicat présent, qui défend les salariés, cela attise les convoitises. Surtout s’il risque de remporter les prochaines élections du conseil social et économique (CSE). Alors, pour la direction, il faudrait peut-être abattre dès maintenant les personnes susceptibles de faire changer les choses dans la clinique.

 As-tu l’impression que ton « statut » de lanceuse d’alerte te poursuit ?

 Complètement. Je suis arrivée dans le Gard en 2020 et ai repris le travail à partir du mois d’avril. J’ai commencé par des petites missions en tant que vacataire. On ne me connaissait pas. Ça allait. Nous étions en pleine période de crise sanitaire. Comme nous avons les masques constamment, cela m’a beaucoup aidé pour reprendre le boulot dans un autre département.

Puis, de fil en aiguille, les gens ont vu des choses réapparaître : des souvenirs d’il y a un an ou deux ans, sur les réseaux sociaux. Ensuite, quand tu manges, tu n’as plus le masque. Puis on me reconnaît et la direction l’apprend. Ils essayent de me mettre dans des services où il y a moins de soignants, moins de passage. Mon syndicat a essayé de me protéger et je leur en suis énormément reconnaissante. À la CGT, on m’a dit : « là, on ne va pas prendre de risque. On va te nommer représentante syndicale. Au moins, tu ne risqueras pas le licenciement pour tout et n’importe quoi ».

La direction a quand même trouvé un moyen de me réprimander, de me bâillonner. Donc je suis convoquée. Cependant, la « faute », que je ne connais pas encore, n’existe sûrement pas. Mais ils vont en trouver une. Pour ça, ils sont forts.

 Depuis ton témoignage dans Envoyé spécial en 2018, où tu dénonçais la maltraitance institutionnelle liée au manque de moyens, as-tu le sentiment que les choses ont changé ?

 Avec la crise sanitaire, nous les soignants avons été poussés dans le gouffre. Certes, on nous a accordé une prime de Ségur, mais cela reste une prime. Ce n’est pas une augmentation de salaire. Et ils peuvent décider de l’enlever. Dans le public, elle est conséquente, mais dans la clinique du groupe Elsan (privé lucratif) où je travaille, elle est de 19 euros brut par mois. Vous considérez cela comme une augmentation ? Est-ce que ça change nos vies ? Est-ce que cela nous aide à passer le cap de cette crise sanitaire, de vouloir continuer à travailler en s’exposant à ce virus et en risquant de le transmettre chez nous ?

Cette prime Ségur ne protège pas les soignants. Une augmentation de salaire ne nous protégerait pas plus, mais elle montrerait que l’on est reconnaissant de notre statut de soignants, que l’on nous pousse vers l’avant et nous motive. Mais 19 euros ! Tu motives qui ? Moi je ne suis pas prête à exposer toute ma famille pour 19 euros. Je ne serais pas prête à les exposer non plus pour 1000 euros, mais je serais prête à sauver des vies, s’il le faut, sans les 19 euros. Demander des augmentations, c’est demander de la reconnaissance. Je ne méprise aucun boulot, mais je pourrais faire un travail où je serais beaucoup plus tranquille, avec des horaires plus convenables. Être présente auprès de ma famille, ne pas être en contact avec tel ou tel virus et ne pas les exposer.

Aujourd’hui, on nous pousse à quitter nos jobs. Combien de soignants sont en burn-out ? Combien de soignants ont démissionné depuis cette crise sanitaire ? Et dans le privé lucratif, c’est encore plus poussé, parce qu’ils veulent toujours plus des soignants. Et avec toujours moins de moyens humains et financiers.

L’enjeu, et c’est clairement dit, c’est la rentabilité. On nous le dit : vous voulez qu’il y ait un aide-soignant en plus aux urgences ? Eh bien, il faut faire plus de passages, il faut qu’on fasse plus de fric. Comment peut-on dire ça aujourd’hui ? Je trouve cela petit, dégueulasse, rabaissant : pas du tout humain.

 Tu avais été licenciée suite à ton témoignage dans Envoyé spécial. As-tu retrouvé facilement du travail après ?

 J’ai réussi à retrouver du travail, mais bien entendu ce n’était pas un CDI. J’ai travaillé dans un établissement privé, grâce au soutien de la CGT. Je ne les oublierais jamais, parce que si je relève la tête tous les jours, c’est un peu grâce à eux. Ils m’ont accompagnée et m’ont soutenue. Quand j’ai commencé, je ne savais pas ce que c’était qu’un syndicat. Des collègues m’ont dit, là, tu va te faire licencier, syndique-toi, peut-être qu’on t’aidera, et j’ai bien fait. Je ne regretterais jamais d’avoir fait ce choix-là. La CGT m’a accompagnée du premier jour où j’ai dénoncé la maltraitance institutionnelle dans l’établissement où j’étais, jusqu’à aujourd’hui.

 Là, tu parles de ton premier licenciement, avant la médiatisation. En réalité, tu as été licenciée plusieurs fois.

 En fait, le premier licenciement en 2016 était dû au fait d’avoir dénoncé la maltraitance institutionnelle auprès de la direction de mon établissement, un EHPAD du secteur privé lucratif. C’était en interne et pas du tout médiatisé. J’avais fait des lettres d’évènements indésirables. J’ai essayé de me mettre en contact avec le siège en disant qu’on souffrait et que ce n’était pas normal de maltraiter autant nos aînés.

La médiatisation est arrivée après, petit à petit. Les grands médias sont arrivés ensuite. J’avais d’abord retrouvé un emploi en tant que vacataire. Je faisais des remplacements à la demande de l’employeur, mais je n’ai pas beaucoup travaillé. Puis, un employeur me propose un CDI. J’accepte, sauf qu’avant d’accepter ce CDI, j’avais fait une interview pour Envoyé spécial. Or, j’ai une période d’essai. Et l’employeur, qui n’est pas du tout un EHPAD, c’est une clinique privée, m’a vu passer à Envoyé spécial.

  Le lendemain de cette émission, alors que j’avais signé un CDI depuis 6 jours, je suis convoquée. J’y vais et on m’annonce qu’on arrête mon contrat. On me dit : « ce n’est pas moi, ce sont les dirigeants qui l’ont décidé ». Alors je pose la question : « est-ce que c’est en lien avec Envoyé spécial ? ». Et le directeur de soins me dit : « Hella, je suis désolé, mais je ne peux pas te répondre à cette question. Je n’ai pas le droit, mais la seule chose qui est sûre, c’est que tu ne pourras plus travailler chez nous ».

Je comprends qu’Envoyé spécial n’ait pas plu aux dirigeants de la clinique Vert Coteau à Marseille pour laquelle je travaillais. Mais ça m’a fait mal, parce que je m’entendais super bien avec les membres du personnel et de la direction dans la clinique. C’était du privé aussi, mais on était bien. Et… de m’avoir mis à la porte, ça, je n’ai jamais compris.

 Est-ce que tu as retrouvé facilement du travail après ce deuxième licenciement ?

 Je n’ai d’abord pas retravaillé, puis occasionnellement, dans un établissement privé, où un syndicat CGT était majoritaire en sièges. En gros, on m’a laissé travailler en tant que vacataire. Je n’ai pas eu de CDI dans cet établissement-là, mais cela m’a permis de remonter un peu la pente, d’avoir un lien social avec des collègues et surtout de faire ce que j’aimais faire : mon métier d’aide-soignante. C’était très important. J’ai donc travaillé dans un service de réanimation. C’était très compliqué : j’ai dû faire face à la première crise sanitaire. Mais on a ressenti de la solidarité, une cohésion d’équipe et je leur suis très reconnaissante de m’avoir fait travailler plus de 7 mois, dans une période où, vraiment, j’ai commencé à me sentir un peu anéantie par ce qu’il s’était passé.

J’ai déposé plein de CV, bien que je travaillais, mais on ne me recrutait pas. Donc, avec mon conjoint, on s’est dit qu’il serait peut-être temps de changer de département. Entre autres, pour notre tranquillité et celle de nos enfants. Nous avons atterri dans le Gard, près d’Alès, et je m’y sens bien, même si ma famille, mes amis, ma ville me manquent. Mais je me rends compte que mon passé me suit encore. Il est encore présent, parce que l’on me reconnaît.

J’ai pu l’éviter pendant près de 6 mois, parce que l’on est masqués, mais une fois que le masque est tombé, on m’a reconnue dans la clinique où je travaille. Et je sens que l’on est en train d’essayer de me faire partir, tout simplement parce que je suis Hella Kherief. Pour qui je suis et pour ce que j’entreprends pour les salariés de cette clinique. Parce que non seulement je suis Hella Kherief la lanceuse d’alerte, mais aussi parce que je suis représentante syndicale CGT.

 Je défends les salariés que la direction maltraite par leurs licenciements abusifs, leur répression et leur négligence. Cela ne leur plaît pas. Est-ce que je suis obligée de faire tout cela ? Non, mais je me sens concernée. Je suis soignante dans cette clinique et moi-même je subis et je finirai par subir, sûrement, un licenciement très prochainement. Alors une chose est sûre : il faut que cela s’arrête, que notre gouvernement et les politiques qui sont en place, ou ceux qui viendront, fassent quelque chose pour encadrer le privé lucratif. On ne peut pas les autoriser à faire tout et n’importe quoi. Il faut que les inspections du travail, les ARS, se fassent entendre par notre direction. Aujourd’hui, on ne voit pas de résultat. On a beau les alerter, sur plusieurs établissements privés lucratifs, nous n’avons jamais vu aucune victoire venant de ces institutions, qui sont censées nous représenter.

 Ton contrat de travail rompu, l’obligation de changer de département pour espérer avoir un CDI, la période suivant ton exposition médiatique a dû être très difficile.

 Cela a été super dur moralement pour moi et mon entourage. Pour mon lien social aussi, parce que mon réseau social s’est limité. Mes meilleurs amis travaillaient avec moi. Donc elles, elles continuent à travailler. Et pour qu’elles puissent garder leur emploi, elles étaient obligées de s’éloigner de moi. Cela m’a beaucoup affectée, parce que du jour au lendemain, on perd nos amis, on perd notre emploi, on perd tout, parce qu’un groupe privé n’accepte pas qu’on dénonce des choses vraies, des choses fortes, des choses injustes.

Le réseau social se limite aussi parce que, comme vous vous êtes en train de vivre une injustice, votre seule obsession est de la raconter. Sauf que vous ne vous rendez même pas compte que vous les saoulez parce que vous vous répétez. Vous le faites parce que cela vous a impacté intérieurement. Et les gens, cela les saoule d’avoir quelqu’un qui répète toujours la même chose à tous les repas et dans toutes les discussions. Ils essayent de vous sortir de cet univers-là, mais vous avez du mal parce que cela vous a vraiment atteint. Forcément, on ne vous invite plus. Je l’ai subi et en ai souffert.

Même ma propre famille, même ma mère qui me soutient au quotidien, des fois, je lui parlais, elle me disait « oui, oui », mais n’avait rien écouté, parce que je me répétais constamment. J’étais obsédée par cette injustice. Et la politique, c’est comme si elle s’en foutait. Ce qui me choquait, c’était que personne n’agisse, ne fasse rien, alors que c’est à la vue de tout le monde.

Aujourd’hui, je parle de politique, même si cela ne m’intéresse pas, parce que c’est eux qui nous gouvernent et sont censés établir des lois. C’est à eux d’encadrer un pays. Et cela doit se faire par le respect de nos anciens, quand même. Ça, je leur reprocherais jusqu’à ce qu’un gouvernement ose dire les choses et fasse en sorte que cela change : qu’il y ait une justice pour toutes ces personnes qui sont mortes dans des situations dramatiques, désastreuses, dénigrées, pas respectées et de qui on a profité du moindre sou.

 Malgré une certaine souffrance que tu exprimes, tu donnes l’impression de poursuivre ton chemin dans la même direction. Est-ce que cela veut dire que tu ne regrettes rien ? Aujourd’hui, tu es représentante syndicale, est-ce une forme de réorientation, ou de continuité de ton combat pour le respect des anciens ?

 Pour moi, c’est une simple continuité. La seule chose que je regrette, c’est que j’ai pu affecter mon couple dans cette histoire. Mais j’ai appris de mes erreurs. Donc oui, je continue à me battre contre l’injustice, pour nous les soignants, et parce que c’est une cause noble. Et je suis persuadée qu’en criant tous très fort, on va finir par se faire entendre un jour ou l’autre. Parce que c’est notre avenir que l’on assure, et celui de nos enfants. Demain, je serais la prochaine confrontée à mettre un de mes parents en EPHAD. Je n’ai pas envie de subir tout ce que ces personnes que j’ai croisées sur mon chemin professionnel ont subi. Je ne veux pas que quelqu’un de ma famille soit impacté ainsi et que l’on profite d’eux. C’est pour ça que je ne regrette pas. J’ai lancé une bouteille à la mer. Elle a été réceptionnée, pas par tout le monde, mais par certains qui, aujourd’hui, essayent à leur tour de faire bouger les choses. Et c’est ensemble qu’on réussira. Seul dans son coin, on arrive à bouger, à faire bouger certaines lignes, mais pas toutes.


 


 

Première grève en 20 ans à la clinique d’Alès sur fond de brutalité managériale

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Déjà un licenciement, une mise à pied et deux avertissements pour le seul mois de janvier. La semaine prochaine, ce sera au tour de la représentante syndicale CGT de la clinique Bonnefon à Alès d’être convoquée à un entretien disciplinaire. Mais ce mercredi 26 janvier, aides-soignant.es et infirmier.es ont décidé de dire stop. Elles et ils ont entamé un mouvement de grève illimitée pour dénoncer un profond malaise social et réclamer le remplacement systématique des absences.

 

« Nous demandons la réintégration immédiate de Frédéric, notre infirmier de bloc opératoire qui a été licencié abusivement, ainsi que l’annulation des sanctions pour les trois autres salariés : Élodie, Hélène et Isabelle », annonce au micro Hella Kherief, la représentante de la section syndicale (RSS) CGT de la clinique Bonnefon. Une grosse trentaine de salariés de la clinique et une vingtaine de syndicalistes extérieurs à l’entreprise l’écoutent dans le froid, face à l’établissement où ils ont installé quelques tables, des thermos de café et des viennoiseries. Depuis 7 h ce matin, ils tiennent un piquet de grève, le premier en vingt ans dans la grande clinique alésienne, passée peu avant l’épidémie de Covid-19 sous pavillon du groupe Elsan, le numéro deux français du secteur.

Un premier préavis de grève met le feu aux poudres de la clinique

 Tout commence le 15 décembre lorsqu’un préavis de grève pour le lendemain est déposé auprès du directeur de la clinique par Frédéric S, au nom des infirmiers de bloc opératoire (couvert par la CGT et FO). Leurs revendications portent sur les salaires et les primes, au moment où la direction et la CFDT, seule organisation syndicale représentative depuis les dernières élections professionnelles, participent aux négociations annuelles obligatoires (NAO). Il s’y profile une modification, défavorable pour les agents, du calcul de certaines primes. « Les salariés ont découvert que la prime RAG se transforme en prime de présentéisme, où le moindre jour d’absence fait baisser la prime », explique Bruno Biondini, le représentant de Force ouvrière. Avec un manque à gagner qu’il estime entre 100 € et 150 €.

La grève n’a finalement pas lieu le 16 décembre, faute de combattants. Un arrêté, signé de la préfète du Gard Marie-Françoise Lecaillon, réquisitionne nominalement 22 salariés, quelques heures après le dépôt du préavis de grève. En tête de sa liste des 22 : Frédéric S. celui qui avait déposé le préavis la veille. Finalement, les salariés renoncent à leur mouvement et le signifient par écrit à la directrice de soin infirmier.

Fin de l’histoire ? Non, loin de là ! Une semaine plus tard – deux jours avant le réveillon de Noël – la direction de la clinique envoie à Frédéric S une convocation à un entretien disciplinaire pour le 5 janvier, par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle y précise qu’elle envisage de prendre une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Un autre courrier de même nature est envoyé à trois autres salariés. Il leur est reproché une altercation avec la représentante CFDT de la clinique qui a entériné les plans de la direction pendant les NAO. Et les sanctions tombent le 17 janvier. Le licenciement pour Frédéric S, sept jours de mise à pied pour Élodie C et un avertissement pour Hélène B comme pour Isabelle C.

 « C’était un monologue. La direction avait déjà statué sur les sanctions avant l’entretien », assure Bruno Biondini qui a accompagné les quatre salariés, syndiqués à Force ouvrière, lors de leur entretien disciplinaire. Pour lui, les accusations de la direction sont factices et n’ont pour but que de « nous écarter pour les prochaines élections au conseil social et économique » qui auront lieu au mois de mars. Créer il y a deux ans, la section syndicale FO n’est pas encore représentative. Pas plus que celle de la CGT, présente seulement depuis quelques mois à clinique Bonnefon. Et déjà fragilisée par une procédure disciplinaire contre sa représentante Hella Kherief. Cette dernière est convoquée à son tour pour le 1er février. Elle a reçu une lettre de la direction en date du 19 janvier qui évoque une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Sans que le motif soit spécifié.

 Derrière la répression, de bas salaires et un manque d’effectif

 « Nous ne voulons plus être bâillonnés. Nous ne voulons plus être muselés, on veut juste pouvoir dire quand ça ne va pas. Nous voulons juste travailler dans de bonnes conditions. Et c’est tous ensemble que nous allons y arriver », affirme Hella Kherief pour motiver ses collègues de travail. Applaudissements. La grève en est à son premier jour. Elle devrait durer, le ras-le-bol étant à son comble, alors que la direction n’a même pas fait mine de vouloir discuter. Ni dans le délai compris entre le dépôt du préavis de grève le 21 janvier et le début du mouvement le 26 janvier à 7 h, ni depuis.

En effet, les récentes sanctions disciplinaires du mois de janvier ne sont pas le seul signe du climat social délétère que dénoncent les aides-soignant.es et infirmier.es mobilisé. es. « L’an dernier, il y a eu 42 démissions » sur un effectif d’environ 200 salariés, assure Julie*, les mains collées à son gobelet de café pour se réchauffer. « C’est une forme de restructuration » qui ne dit pas son nom, imagine Sandrine*, une autre salariée, qui considère que certaines ruptures volontaires sont en réalité « des personnes que lon a poussées dehors ». En tout cas, toutes se souviennent de deux collègues « mises à la porte l’an dernier et ayant entamé des démarches auprès des prud’hommes ».

Mais, au-delà de la brutalité de la direction depuis le rachat de la clinique par le groupe Elsan, les grévistes dénoncent un sous-effectif chronique et des salaires extrêmement bas. « Quand les administratifs et les secrétaires médicales ne sont pas là, ce sont les soignants qui font leur travail. En plus du nôtre, ce n’est pas possible » explique Hella Kherief. D’autant que pour de tels efforts, les salaires ne suivent pas. « On m’avait promis un salaire à 1800 € au moment du recrutement », s’agace Kevin*, un jeune infirmier récemment diplômé. À la place, sa paye ne dépasse pas 1500 €, explique-t-il. Guère plus pour Béatrice*, dont le salaire net d’aide-soignante atteint « 1574 € après 17 ans d’ancienneté ».

La grève continue donc jeudi 27 janvier. Pour cette deuxième journée, une délégation se rendra à la manifestation interprofessionnelle alésienne, pendant qu’une partie des grévistes assurera une continuité de présence devant la clinique.

 * les prénoms ont été changés, à l’exception de ceux des personnes déjà sanctionnées et des représentants syndicaux

publié le 27 janvier 2022

L’augmentation des salaires 

fait vibrer le pavé

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Mobilisations Plus de 150 000 salariés et retraités ont défilé, jeudi, au cours de 170 rassemblements, à l’appel de la CGT, FO, la FSU, Solidaires et des organisations de jeunesse. Un temps fort social pour placer la revendication d’une hausse générale des rémunérations au cœur de la campagne.

Sur la place de la Bastille, les ballons géants aux couleurs des syndicats ont poussé comme des champignons. À deux pas de la Seine, les manifestants se dissimulent au travers de centaines de drapeaux brandis au vent. À l’appel de la CGT, de FO, de la FSU, de Solidaires et des organisations de jeunesse, des milliers de personnes se sont donné rendez-vous sur l’emblématique place parisienne, avant de s’élancer, en cortège resserré, vers le ministère de l’Économie à Bercy. Ce grand rendez-vous national (plus de 170 rassemblements étaient prévus à travers le pays) a ramené la question des salaires au cœur des préoccupations de la campagne présidentielle, avec l’assentiment de 80 % des Français qui soutiennent l’appel à mobilisation des syndicats pour une augmentation générale et immédiate des salaires, selon un sondage de l’Ifop pour l’Humanité (lire notre édition de jeudi).

« Trop de personnes ont à peine de quoi se loger, tout juste de quoi se chauffer, malgré le travail accompli ou parce qu’elles n’ont plus d’emploi ou qu’elles sont retraitées », relève Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière. Alors que la précarité s’est étendue et que l’inflation galopante bride le reste à vivre des Français, le gouvernement a fait le choix de laisser l’argent ruisseler sur les fortunés au mépris des rémunérations de l’ensemble des salariés et des services publics, notent les organisateurs. « On dit aux soignants de l’hôpital public et aux professeurs de l’enseignement national qu’il n’y a pas de sous pour augmenter les salaires et pour embaucher, mais Bernard Arnaud a entassé 104 milliards d’euros, c’est deux fois le budget de l’éducation nationale ! » fustige Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.

« Aujourd’hui, on réclame une véritable reconnaissance »

Devant les marches de l’Opéra Bastille, sur un bout de carton, un homme arbore ironiquement l’inscription  : « Je ne gagne pas assez pour me payer une belle pancarte. » Dans la foule compacte, les manifestants et les nombreux salariés en lutte semblent illustrer à merveille le sombre constat dressé par les syndicats. Une couverture de survie dorée sur le dos, comme le symbole de l’urgence dans laquelle elle se trouve, Malika Rahmani peine à dissimuler sa colère. L’accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) dans des établissements scolaires à Romainville, en Seine-Saint-Denis, ne gagne que 864 euros par mois après six années d’ancienneté. « J’ai un contrat de 24 heures qui m’a été imposé et j’enchaîne les contrats courts. Aujourd’hui, on réclame une véritable reconnaissance, ce qui passe par un statut et un salaire décent ! » lance-t-elle. Quelques pas plus loin, veston floqué Fnac sur le dos, Jordan Rodrigues se désole : « Les seules fois où on entend parler des salaires en ce moment, c’est pour nous dire qu’on gagne déjà bien assez. Ça me donne presque l’impression que mes espoirs de gagner mieux ma vie sont vulgaires », dénonce le jeune libraire parisien. « Pourtant, mon salaire a déjà été rattrapé par l’augmentation automatique du Smic en janvier », poursuit le salarié, mobilisé depuis le 8 décembre.

Pour résoudre durablement la question de la précarité, les organisations syndicales organisatrices de la manifestation ne manquent toutefois pas de propositions. « On est pour que le Smic soit à 1 700 euros net, que ce soit 400 euros de plus pour tout le monde directement. Mais on veut aussi qu’il n’y ait aucun salaire qui soit cinq fois supérieur au salaire minimum ! » lance Simon Duteil, codélégué général de Solidaires. « À la CGT, nous demandons le Smic à 2 000 euros. Et quand le Smic augmente, tous les minima de branche doivent aussi être augmentés automatiquement, on ne veut pas attendre de devoir négocier avec les patrons pour être mieux payés », surenchérit Philippe Martinez devant une nuée de drapeaux. Si les syndicats espèrent que le gouvernement répondra à cet appel du pied avant la fin du mandat d’Emmanuel Macron, leurs propositions devraient en tout cas nourrir les idées des quelques candidats à l’élection présidentielles présents lors de la manifestation parisienne, comme Fabien Roussel, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot.

Bien que la mobilisation de ce jeudi ait été une réussite, les organisations syndicales ne comptent pas en rester là. Dès ce vendredi, elles sont à nouveau réunies pour décider ensemble des suites à donner à la grève. En plus de manifestations sectorielles, des rendez-vous sont d’ores et déjà prévus le 8 mars, à l’occasion de la Journée des droits des femmes, et le 24 mars, pour défendre les droits des retraités. De quoi rappeler quelles sont leurs priorités sociales, à moins d’un mois du premier tour de l’élection.


 


 

« Tout augmente sauf nos salaires » : 

des dizaines de milliers de manifestants en France

James Gregoire et Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Des cortèges de travailleurs, de retraités et de lycéens ont défilé jeudi, jour de grève interprofessionnelle, avec le même mot d’ordre : l’augmentation générale des salaires et des pensions. Les syndicats ont recensé plus de 170 rassemblements. Reportage à Paris.

À Paris, le rendez-vous était donné à midi, place de la Bastille. Comme partout sur le territoire, le mot d’ordre était clair : face à une inflation qui ne cesse de grimper, chiffrée à 2,8 %, l’augmentation des salaires est une urgence. Plus de 170 rassemblements ont eu lieu ce jeudi 27 janvier, partout en France. Selon la CGT, la mobilisation a rassemblé 20 000 personnes à Paris, et 150 000 sur l’ensemble du territoire.

Après un concert, les prises de parole se sont succédé dans le IVe arrondissement de Paris. Les petites mains du service public étaient nombreuses sur l’estrade pour redire l’effritement des hôpitaux et des écoles. « Nos hôpitaux sont régulièrement en grève depuis trois ans, a rappelé Nathalie Marchand, représentante CGT de l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (APHP). Et pourtant, ils continuent la destruction de l’hôpital public, à fermer des lits partout en France en expliquant que c’est par ce qu’il n’y a pas assez de personnel : 5 700 lits fermés pendant la période de pandémie, c’est une honte. »

Comme beaucoup de grévistes aujourd’hui, Nathalie Marchand s’inquiète autant pour l’état des services publics que pour ceux qui les font tourner. « Nous qu’on appelait les “essentiels”, on nous applaudissait à la fenêtre tous les jours, mais nous ne sommes toujours pas reconnus. » Avant d’énumérer les manques structurels de personnels dans le médico-social ou à l’hôpital, et de rappeler que les travailleuses de l’action sociale appellent à une nouvelle manifestation le 7 février, « pour les oubliés du Ségur et encore… Quelle arnaque, 183 euros d’augmentation de salaire censés nous récompenser pour notre travail. Ce n’est pas suffisant, tout ce qu’ils ont fait c’est qu’ils nous ont mis en concurrence. » 

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La grande colère des salariés d’EDF se fait aussi entendre place de la Bastille. Après une grève record la veille, mobilisant plus de 42 % des salariés du groupe public contre la décision gouvernementale de faire payer à la société la flambée des prix de l’électricité, les travailleurs de l’énergie ont tenu à redire leurs inquiétudes. « Nos augmentations de salaire sont définies chaque année par une commission de régularisation, a rappelé l’un des représentants syndicaux des industries électriques et gazières de la région parisienne, au micro. Depuis la libéralisation du secteur, les augmentations n’ont pas lieu et cet argent est versé directement aux actionnaires. Usagers, salariés, nous sommes dans le même combat : vos factures augmentent, nos salaires n’augmentent pas ! »

Les enseignants de nouveau mobilisés

Par ailleurs, les enseignants qui s’étaient largement mobilisés le 13 janvier, sont de retour dans la rue et les miettes accordées par le premier ministre semblent loin de les satisfaire. 

« Du côté de Blanquer, il y a une volonté de ne pas créer les postes, s’agace Clément Poullet, enseignant dans un collège à Ris-Orangis (Essonne) et secrétaire général de la fédération de l’enseignement de Force ouvrière. Pendant ce temps, chaque jour, 20 000 classes dans le premier degré ferment faute de remplaçants. Alors le ministre fait appel à des retraités, à des étudiants, à des mères de famille, quel mépris pour les personnels ! Quel mépris pour les élèves ! » 

Sur la place de la Bastille, les enseignants sont nombreux à redire aussi leur agacement face aux protocoles qui changent sans cesse. « Et il ne s’agit pas que des profs, précise, au micro, une enseignante d’histoire-géographie de la cité scolaire Paul-Valéry, dans le XIIe arrondissement de Paris. On manque d’infirmières partout dans nos bahuts, d’AED [assistant·es d’éducation –ndlr], d’AESH [accompagnant·es d’élèves en situation de handicap]. Bref, on manque de personnels à tous les niveaux. Pour rendre attractifs ces métiers et donner de bonnes conditions d’apprentissage à nos enfants, il va falloir de sérieuses augmentations de salaire et pour tout le monde. »

Selon le dernier rapport de l’OCDE sur l’éducation, la France continue d’être l’un des pays à moins bien payer ses enseignants - la France occupe la huitième place du classement en Europe. Avec des salaires pour les enseignants allemands deux fois plus élevés en moyenne, pour un temps de travail presque similaire. 

Si on a des profs mal payés, mal considérés, ça aura un impact direct sur la qualité de nos cours.

« J’ai fait grève le 13 janvier, je suis là de nouveau et je continuerai à me mobiliser mais je ne sais pas si ça aura un impact parce que je trouve que nous, les profs, on est trop mous, souffle Louise, enseignante dans une école maternelle du XVIIIe arrondissement de Paris. Nos gouvernants savent qu’on fait ce métier par vocation, qu’on est de bons élèves alors ils en profitent ; de notre côté, on est trop gentils. Regardez nos manifestations, on ne fait peur à personne. » 

Les lycéens aussi ont fait le déplacement. Après avoir bloqué le lycée Picasso à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), une dizaine d’élèves de terminale se sont rejoints sur la place de la Bastille pour manifester ensemble contre la politique de Jean-Michel Blanquer. « Mais aussi pour nos salaires, parce qu’on est majeurs, et que dans quelques années, nous aussi on travaillera », ajoute Pablo. Et Carla de préciser : « Par ailleurs, ça nous concerne déjà. Si on a des profs mal payés, mal considérés, ça aura un impact direct sur la qualité de nos cours. Par exemple, l’année dernière, alors qu’on passait le bac de français, on n’a pas eu de prof pendant deux mois. »

Plusieurs groupes de lycéens sont venus bousculer le ronron de la manifestation parisienne, dépassant le cortège de tête, scandant qu’ils ne veulent pas travailler pour « Jean Michel Blanquer, ministre autoritaire », ou chantant que la France est « aux enfants d’immigrés, aux enfants d’ouvriers. » 

Au cours du trajet reliant la place de la Bastille à Bercy, plusieurs lycéens viennent se greffer et danser au sein du cortège des travailleurs sans papiers qui scande : « Immigrés en danger, donnez nous des papiers. Sauvez ! »

Les travailleurs sans papiers « exploités deux fois »

Dioum Elhadji, représentant du collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), explique qu’ils et elles sont « exploité·es deux fois. Une première fois par l’État, puisqu’on travaille mais qu’on n’a accès à aucun droit. Et une deuxième fois par nos employeurs qui profitent du fait qu’on soit en situation irrégulière pour nous exploiter ». 

« Je travaille pour l’entrepôt DPD France, l’une des filiales de La Poste et je peux dire que nous sommes maltraités, que ce soit à l’entrepôt ou dans la livraison. Ils font travailler les sans-papiers dans des conditions que les travailleurs avec la carte n’accepteraient jamais. » Et le livreur d’expliquer qu’ils doivent louer illégalement des papiers, moyennant finance, pour trouver du boulot.

Alors que ses camarades scandent, crient, dansent, Dioum raconte les horaires à rallonge, les douleurs de dos après avoir chargé et déchargé des camions pleins de colis parfois volumineux. « Et si tu as mal, il ne vaut mieux rien dire. Tu n’as pas le droit à un arrêt maladie ou à faire reconnaître ton accident de travail puisque tu n’as pas de papiers. » 

Depuis près de trois mois, plusieurs dizaines de travailleurs sans papiers tiennent le piquet de grève devant l’entrepôt DPD de Coudray-Montceaux dans l’Essonne. Au-delà des meilleures conditions de travail et d’une « régularisation pour tous », les livreurs espèrent obtenir de meilleurs salaires puisque, pour l’heure, ils ne touchent que le Smic horaire. « Et peu importe le nombre d’heures que tu fais puisque, bizarrement, nos heures supplémentaires sautent toujours de nos fiches de paie, et on ne peut rien dire. Enfin bref, on n’est pas reconnus alors que pendant le confinement, dehors, il y avait surtout des sans-papiers pour faire tourner le pays. » 

« On a vu les promesses de Macron après le confinement, on pensait que les métiers non reconnus allaient être valorisés, on allait enfin payer les profs et les personnels de santé à la hauteur de ce qu’ils méritent, en fait on n’a rien eu, souffle Murielle Guilbert, co-déléguée de l’Union syndicale Solidaires. Pour les salaires, les négociations annuelles n’ont donné que des miettes, heureusement il y a des luttes qui s’enclenchent un peu partout… Mais clairement la hausse des prix à la consommation continue, la précarité augmente, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté augmente et pendant ce temps l’enrichissement de certains continue… On a vu le rapport d’Oxfam : 236 milliards de plus pour les milliardaires et les plus fortunés ! »

La fonction publique territoriale dans la rue

La fonction publique territoriale est aussi présente. Parmi eux, des personnels de cantine, des agents périscolaires, des secrétaires et attachés municipaux, départementaux, régionaux, des éboueurs, des égoutiers. Julien Fonte, co-secrétaire de la FSU Territoriale, rappelle la réalité du secteur : « Les mots d’ordre sont revalorisation des salaires, mais aussi et surtout suppression de la “loi Dussopt” sur la transformation de la fonction publique. C’est une loi qui s’appuie sur les préconisations ultralibérales du bilan CAP 2022. Donc une augmentation du temps de travail et une contractualisation générale, cela crée d’énormes brèches dans le statut de fonctionnaire. » Cet attaché départemental de Seine-Saint-Denis craignait un manque de mobilisation dans un secteur mis à rude épreuve par le Covid : « Beaucoup étaient en première ligne face à la pandémie, mais il y a un tel niveau d’épuisement chez les collègues qu’ils font grève mais ne manifestent pas et profitent de la grève pour se reposer. »

Sans oublier les revendications d’égalité salariale femmes-hommes : « On demande une revalorisation des rémunérations. Les filières où les femmes sont majoritaires (par exemple la petite enfance ou les personnels d’entretien) sont moins bien payées à carrière égale. » Une revalorisation salariale qui passe par le dégel du point d’indice, qui n’a pas bougé depuis douze ans : « On souhaite qu’il y ait un rattrapage et une réindexation par rapport à l’inflation », rappelle François Livartowski, fonctionnaire territorial à Bobigny et secrétaire fédéral CGT.

Tout au long du parcours, des stands de travailleuses et de travailleurs sont installés pour alerter sur les situations dans les entrepôts, les usines, les magasins. Parmi eux : les libraires de la FNAC Saint Lazare, en grève depuis le 8 décembre. Ils et elles dénoncent un sous-effectif structurel et des salaires trop bas alors que « en 2021, les très bons bénéfices amènent le groupe FNAC Darty à verser à nouveau des dividendes aux actionnaires ». 

Marlène est libraire à la FNAC depuis plus de vingt-deux ans et son salaire net par mois n’excède pas 1 600 euros net. Elle a dû rapidement s’adapter aux évolutions de son métier, accepter les tâches de manutention de plus en plus nombreuses, celles qui abîment le dos et les mains. Elle a dû faire avec la numérisation et le départ de collègues remplacés… pour un « tout petit salaire ». Une fois son loyer de 650 euros payé, il reste encore les charges qui ne cessent d’augmenter. 

L’inflation de 2,8 %, Marlène l’a sentie, elle n’est pas la seule. Pour cette manifestation, Yamina a retiré son gilet jaune. « Je suis gilet jaune depuis décembre 2018, mais je préfère mettre un badge discret que le gilet, c’est mal vu par les syndicats. Je suis retraitée et mon dernier job c’était AESH, payé 640 euros par mois. Tout augmente sauf nos salaires, nos pensions, on a essayé de le dire avec le mouvement des gilets jaunes et Macron n’a pas voulu nous entendre. Eh bien, on est toujours dans la même situation. De mon côté, je viens de recevoir une facture de régularisation d’EDF de 640 euros alors j’ai baissé le chauffage à fond, et j’ai froid chez moi. Comme plein de gens. » 


 


 

Mobilisation inter-pro
du 27 Janvier 
à Montpellier : le changement c’est l’action…

Sur https://lepoing.net

Ce jeudi 27 Janvier était une journée nationale interprofessionnelle de grèves et de manifestations dans tout le pays. Annoncée le 19 Décembre 2021 elle était appelée et préparée par la CGT/ FO/ FSU/ Solidaires / FIDl/ MNL et UNEF seule la CFDT n’y participait pas préférant « privilégier les mobilisations sectorielles » a affirmé Laurent berger sur FI le 24 Janvier 2022

L’objectif de cette journée était de réussir une mobilisation unitaire  pour une hausse des salaires et des pensions de retraite : la défense des emplois et des conditions de travail dans le contexte d’une forte inflation et de dividendes records. A Montpellier c’est à 10H devant la CPAM que se sont retrouvé.e.s les  grévistes et les personnes mobilisées. C’est dans une forêt de drapeaux accompagnée par une puissante sono annonçant «  le changement c’est l’action ! » que se sont ébranlé.e.s les différentes et nombreuses chasubles syndicales porté.e.s par les manifestant.e.s en tête du cortège qui a pris la direction de la rue St Denis pour remonter au Peyrou et descendre ensuite sur la Place de la Comédie.

Autour de 1500 personnes, 2000 annoncées à la fin de la manifestation qui affirmait :

 « Du fric pour les salaires pas pour les actionnaires / Salaires, Pensions Augmentation / Public Privé Chômeurs et Retraité.e.s c’est tous ensemble qu’il faut lutter c’est tous ensemble qu’on va gagner. »

Du cortège ne se dégageait pas une réelle dynamique, on peut peut-être se demander si la question des salaires ne concerne pas plus le secteur privé, secteur peu représenté dans la ville de Montpellier qui concentre essentiellement des services publics. Dans le secteur public la question des salaires s’abordent traditionnellement par le biais de revendications sur le point d’indice.

Par contre les enseignants et le secteur social et médico-social représentaient une partie significative de la manifestation, ce qui semble également être le cas dans les autres villes du pays avec un regain de mobilisation dans l’ éducation nationale. A noter aucune présence des gilets jaunes affirmés comme tels dans le cortège même si leur chant était repris à différents moments.

A la fin de la manifestation une assemblée de prises de paroles s’est effectuée devant l’office du tourisme. On notera deux prises de paroles qui annoncent de l’avenir à la colère et aux revendications portées pour vivre et travailler dignement, un appel au soutien de la mobilisation le 1er Février du social et médico-social – rendez-vous à 11H Place de la Comédie – et la prise de parole des AESH pour exiger un statut réel de leur travail dans la fonction publique avec des temps complets pour un salaire correct.

Le mépris a assez duré, mais son refus n’était pas très vif ce matin du 27 Janvier.

publié le 26 janvier 2022
 

Salaires : une mobilisation pour des augmentations nécessaires

Les salaires se tassent alors que le coût de la vie augmente. Plus de 170 mobilisations pour les salaires et l'emploi sont organisées ce jeudi 27 janvier à l'appel de la CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, MNL, Unef et UNL.

 

Dans un contexte d'explosion des inégalités, la CGT appelle à une journée de mobilisation interprofessionnelle le jeudi 27 janvier, aux côtés de FO, FSU, Solidaires, Fidl, MNL, Unef et UNL.

« Beaucoup de salariés réalisent que leurs entreprises ont à la fois fait des profits et reçu des aides publiques alors qu'eux ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. » commente Nathalie Verdeil, responsable confédérale.

Les entreprises sont en bonne santé. Selon l'Insee, leur taux de marge atteint un niveau historique de 34 %.

Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, expliquait même sur France Inter le 6 janvier que les entreprises sortaient « d’une bonne année 2021 » affirmant que « comme il y a eu deux ans de vaches maigres, il y aura des augmentations de salaires. »

Jeunes, actifs, demandeurs d’emploi et retraités sont concernés.

La CGT défend une augmentation de tous les salaires, du privé comme du public.

Plutôt que des primes ou des mesures qui ne concerneraient que certaines catégories de travailleurs, la CGT prône des augmentations générales, plus justes.

Pour la CGT, le montant du SMIC doit être porté à 2000 euros.

Le point d'indice, qui permet de calculer le salaire brut des fonctionnaires, n'a quasiment pas augmenté depuis plus de 10 ans. Il doit être réévalué.

Des mesures doivent également être prises en direction de la jeunesse confrontée à une précarité grandissante.

Quant aux retraités, ils ont perdu depuis 2014 plus de 10 % de pouvoir d'achat. La CGT demande que le montant des pensions soit proportionnel à l'évolution du salaire moyen.

A l'issue de la journée de mobilisation du 27, « l'intersyndicale se réunira pour envisager les mouvements futurs à partir de la dynamique du 27, en espérant élargir l'intersyndicale. » conclut Nathalie Verdeil.

 publié le 22 janvier 2022

 

Le 27 janvier,

l’heure est à la mobilisation de toutes et tous !

sur www.cgt.fr

Communiqué commun des organisations syndicales CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, MNL appelant à une journée de mobilisation le 27 janvier 2022.

Personne ne peut ignorer le contexte social et économique, les augmentations des produits de première nécessité, de l’énergie comme de l’alimentation et, finalement, du coût de la vie pour toutes et tous, jeunes, actifs, demandeurs d’emploi et retraités.

Personne n’ignore que seuls les salaires, les pensions et les aides et allocations continuent de stagner ou même de baisser au regard de l’inflation, de décrocher par rapport aux qualifications, dans le privé comme dans le public.

Si, dans certains secteurs et entreprises, des mobilisations et des négociations ont permis d’obtenir des revalorisations de salaires, trop souvent encore les négociations sont au point mort ou les propositions des employeurs loin du compte.

Les organisations CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, MNL, Unef et UNL ne peuvent s’en satisfaire et n’entendent pas en rester là !

Sans augmentation du point d’indice et du Smic, il n’y aura aucune avancée pour les salarié.e.s dont les mínima de branche sont actuellement en dessous du salaire de base minimum. 

Les organisations CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, MNL, Unef et UNL contestent, dans le même temps, que le gouvernement ait maintenu sa réforme de l’assurance chômage qui aura pour conséquence d’enfermer de trop nombreux salariés dans des emplois à faible salaire, à temps partiel ou en CDD.

Les retraité.e.s, très massivement mobilisé.e.s, attendent toujours une réponse pour une augmentation immédiate de leurs pensions, retraites de base et retraites complémentaires, dont la dernière revalorisation a été plafonnée à un niveau très inférieur à l’inflation.

La jeunesse, confrontée à une grande précarité de vie et de travail, à la pauvreté, accentuées par la crise sanitaire, économique et sociale, doit obtenir une réponse à l’encontre des réformes libérales de l’éducation, de la formation, et de l’assurance chômage décidées par le gouvernement.

Les organisations CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, MNL, Unef et UNL soutiennent les actions et mobilisations organisées dans les jours et semaines qui viennent pour exiger des augmentations de salaires et défendre les emplois et conditions de travail et appellent à une mobilisation interprofessionnelle sur les salaires et l’emploi le jeudi 27 janvier 2022.

Il est urgent et indispensable d’agir toutes et tous ensemble, par la grève et les manifestations, pour l’augmentation immédiate de tous les salaires du privé comme du public, des allocations pour les jeunes en formation et en recherche d’emploi, ainsi que d’améliorer les pensions des retraité.e.s.


 

Les manifestations dans l’Hérault du jeudi 27 janvier :

  Séte : 10h place de la Mairie

  Béziers : 10h30 Bourse du Travail

  Montpellier : 10h devant la CPAM (cours Gambetta)


 


 

Pour une « augmentation immédiate de tous les salaires » :

mobilisation le 27 janvier

sur https://basta.media

Prix de l’énergie, des produits de première nécessité, de l’alimentation ... Tout augmente, sauf les revenus des citoyens, dénoncent des syndicats. Ils appellent à une journée de grève commune le 27 janvier.

 L’heure est désormais à la mobilisation de toutes et tous ! » Le jeudi 27 janvier, plusieurs syndicats (CGT, Solidaires, FO, FSU et les syndicats étudiants et lycéens Fidl, MNL, Unef et UNL) appellent à une journée de grève interprofessionnelle pour les salaires. Dans leur communiqué commun, les organisations demandent une augmentation du Smic, une revalorisation des salaires dans le privé comme dans le public, et une augmentation des pensions et des minima sociaux.

« Personne ne peut ignorer le contexte social et économique, les augmentations des prix des produits de première nécessité, de l’énergie comme de l’alimentation et finalement du coût de la vie pour toutes et tous, jeunes, actifs, demandeurs d’emploi et retraités », dénoncent-ils, alors que « les salaires, les pensions et les aides et allocations continuent de stagner ou même de baisser au regard de l’inflation, de décrocher par rapport aux qualifications dans le privé comme dans le public ». Pour 2021, l’Insee estime l’inflation à 2,8 %, principalement portée par une augmentation des prix de l’énergie, des biens de consommation et des services. En parallèle, les grandes entreprises du CAC 40 ont enregistré d’importants profits et rachetés en masse leurs actions (ce qui permet de les faire monter), tout en bénéficiant d’importantes aides publiques.

« Le sort réservé aux AESH s’inscrit dans une politique inacceptable de précarisation »

Les syndicats de l’éducation (CGT éduc’action, FO, FSU, SNCL et SUD éducation) s’associent à cette occasion pour porter la voix des accompagnantes et accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Les organisations « encouragent toutes les initiatives qui favorisent une apparition forte des AESH », pour dénoncer des conditions de travail inacceptables : bas salaires, temps partiels imposés, manque de reconnaissance ...

Elles demandent, entre autres, une hausse de leurs rémunérations, une possibilité de travail à temps complet et un véritable statut de la Fonction publique. « Le sort réservé aux AESH s’inscrit dans une politique inacceptable de précarisation des personnels de la Fonction publique », précise le communiqué commun.

Pour « véritable revalorisation » des carrières et des salaires dans le public

En parallèle, Solidaires fonction publique dépose un préavis de grève pour tout le mois de janvier. « Au cours des différents confinements, les sollicitations des agent-es publics ont été très fortes », explique le syndicat dans son préavis. Pourtant, malgré leur « engagement sans faille », Solidaires dénonce des « attaques contre la fonction publique : réformes destructrices, réductions des moyens matériels, suppressions d’emplois ».

Il appelle, pour les fonctionnaires, au dégel du point d’indice - revendication également portée par la CGT services publics - et à une « véritable revalorisation tant des carrières que des salaires ». Face au Covid, le syndicat veut aussi une prise en charge des protections contre le virus, une reconnaissance du risque pour les travailleuses et travailleurs, et la levée de l’obligation vaccinale pour les personnels concernés.

Retrouvez l’appel commun à la mobilisation dans le privé et le public du 27 janvier 2022

publié le 19 janvier 2022

Accord de fin de conflit non respecté : la grève du nettoyage reprend à la Sorbonne

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

A peine quatre mois après un important mouvement de grève du nettoyage à la Sorbonne, les agents du nettoyage, employés par le sous-traitant Arc-en-ciel, relancent la lutte depuis lundi. Ils dénoncent des entorses au droit du travail, et un non-respect du protocole de fin de conflit qui avait été signé en septembre dernier. Ce mercredi 19 janvier, un rassemblement est prévu en soutien à un chef d’équipe, ancien gréviste, menacé de licenciement. 

C’est l’équipe de l’après-midi, lundi 17 novembre, qui a relancé la grève du nettoyage à la Sorbonne. Pas moins de 28 agents de nettoyage, sur les 110 qui assurent la propreté du campus de Jussieu, ont débrayé ce jour-là. Le lendemain, mardi 18, l’équipe du matin a pris la relève. Parmi eux, une douzaine de salariés étaient en grève, selon la CGT présente sur place, ils seront une trentaine à arrêter le travail successivement tout au long de la journée. Tous dénoncent des irrégularités constantes en matière de droit du travail.

Ces travailleurs du nettoyage de Jussieu sont employés par la société sous-traitante Arc-en-ciel. Les contours de leur nouveau mouvement de grève sont encore incertains. « C’est difficile, car il y a des pressions terribles de la part des syndicats de l’entreprise et de certains chefs d’équipe. Ils cherchent à diviser les salariés », estime Danielle Cheuton, membre du collectif nettoyage de la CGT.

Cette situation fait écho à une première grève, massive, qui avait eu lieu quelques mois plus tôt. En septembre 2021, la totalité des salariés avait cessé le travail. Ils dénonçaient des irrégularités, et une surcharge de travail induite par des non-remplacements. « En trois heures, je dois faire cinq étages. Je n’ai jamais eu des problèmes comme ça », nous confiait l’un d’eux, qui nettoie depuis vingt ans les salles et les couloirs de Jussieu. « J’ai recensé 1080 heures complémentaires non payées, et 294 heures normales non payées, depuis février. Et c’est un décompte provisoire », listait quant à elle Danielle Cheuton.

 Des heures complémentaires pas encore régularisées

 Dans un protocole de fin de conflit, signé le 23 septembre et que Rapports de Force a pu consulter, l’entreprise avait pris des engagements clairs. Elle promettait de « corriger toutes les erreurs » en matière de rémunérations des heures travaillées. Et certifiait qu’elle mettrait à jour « l’intégration des heures complémentaires dans les heures contractuelles » à partir du seuil défini par la convention collective.

Mais où en est-on aujourd’hui ? La majeure partie des heures complémentaires non-rémunérées par le passé l’ont été, reconnaissent tous les syndicats. Mais pas toutes, nuance la CGT. Brahim Aillal, délégué syndical FO pour Arc-en-ciel, défend l’employeur : « Ceux qui ont prouvé leurs heures supplémentaires ont été payés. Le problème, c’est que pour certaines personnes, on a pas de preuves. Mais c’est en cours de régularisation ».

Reste un autre point crucial : « aucune majoration n’a été payée sur ces heures complémentaires passées. Et les heures complémentaires actuellement faites ne sont pas non plus majorées », assure Danielle Cheuton.

 « Il y a encore quelques personnes qui travaillent sans contrat »

 Une autre problématique demeure : celle des contrats. « Aucun des salariés pour lesquels on a demandé un avenant au contrat ne l’a obtenu », explique la responsable de la CGT. Les salariés concernés par un tel avenant étaient ceux qui, comme le spécifiait le protocole de septembre, dépassaient un certain seuil d’heures complémentaires.

Plus encore, les grévistes de la première heure avaient signalé des travailleurs sans contrat. Plusieurs mois après, ces situations passées n’ont pas été réglées. C’est le cas d’une femme qui aurait travaillé 8 jours, en mai 2021, sans contrat et sans avoir reçu de paie, pointe la CGT. Un dossier est également en train d’être constitué pour les Prud’hommes autour de sept agents ayant exercé plusieurs mois sans contrat… Avant de recevoir un courrier indiquant un non-renouvellement de leurs CDD. « Sauf qu’il n’y avait pas de CDD ! On a envoyé un courrier à l’entreprise, à l’université et à l’inspection du travail sur ce dossier », assure Danielle Cheuton.

Aujourd’hui encore, « il y a encore quelques personnes qui travaillent sans contrat », insiste la CGT. Sans pouvoir indiquer un nombre précis. Sollicitée pour une interview, l’entreprise Arc-en-Ciel n’a pas encore répondu à nos questions.

 La Sorbonne, donneur d’ordre, ne se mouille pas

 L’Inspection du travail a été alertée de toutes ces problématiques. Quant à Arc-en-ciel, « on les a relancé en décembre sur ces différents points, sans obtenir de réponse. De même début janvier », retrace Michel Krawczyk, responsable de la section CGT de l’université. Les syndicats de la Sorbonne n’ont pas de contact direct avec l’entreprise. Ses gérants ont finalement indiqué, par l’intermédiaire de la direction de l’université, « qu’ils allaient nous répondre vendredi dernier. Mais on attend toujours », précise le responsable CGT. « Ils leur ont ensuite dit qu’ils nous répondraient cette semaine… »

Du côté de l’administration de la Sorbonne, on nous confirme que des « rendez-vous réguliers » ont lieu avec le sous-traitant Arc-en-ciel. « Si sur le principe il ne nous revient pas d’intervenir sur les décisions d’Arc-En-Ciel en tant qu’employeur, nous réaffirmons que l’établissement ne saurait tolérer des pratiques contraires à la réglementation », tient-elle à souligner. En tant que donneur d’ordre – client – de l’entreprise Arc-en-Ciel, elle est en effet en partie responsable des pratiques de son sous-traitant.

 Un chef d’équipe nettoyage licencié, un second menacé

Dans le protocole de fin de conflit, l’employeur s’était engagé à ne procéder à « aucune sanction pour fait de grève » et à « aucun licenciement »… Exception faite des « motifs disciplinaires ». C’est sur cette base qu’un chef d’équipe, pilier de la première grève du nettoyage à la Sorbonne, est convoqué ce mercredi 19 janvier à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Celle-ci peut aller jusqu’au licenciement. Les agents de nettoyage organisent un rassemblement de soutien. Sans que l’on sache encore ce qui lui est reproché.

La semaine dernière, les syndicats ont appris qu’un second chef d’équipe venait bel et bien d’être licencié. Lui aussi faisait partie des anciens grévistes. D’après les différents témoignages, ce salarié était soupçonné de dépasser l’horaire maximal de travail autorisé en cumulant un second emploi. « Ils l’ont licencié, alors qu’il y a une procédure légale préalable qui doit être respectée. Le salarié peut baisser son temps de travail ailleurs, ou choisir l’une des deux sociétés pour lesquelles il travaille », rappelle Danielle Cheuton.

 Vers une réorganisation du nettoyage de la Sorbonne, et un contrôle accru ?

Cette nouvelle grève du nettoyage à la Sorbonne intervient alors qu’une réorganisation du travail de nettoyage de la Sorbonne se prépare. « Dans les semaines à venir, ils vont remodeler les équipes, les secteurs, ré-attribuer le travail… » explique la responsable de la CGT. De quoi cristalliser les craintes des salariés quant à leur future organisation de travail.

Tous ont d’ores et déjà reçu une lettre recommandée, signée par la responsable des ressources humaines d’Arc-en-ciel, qui les inquiète. Ce courrier, consulté par Rapports de Force, les informe de la mise en place d’une pointeuse mobile de la société Teleric. On ne connaît pas encore le modèle qui a été acheté par Arc-en-ciel. Ni l’utilisation exacte que souhaite en faire l’entreprise.

Ceci étant, même la pointeuse mobile la plus basique vendue par Teleric permet de « suivre en temps réel l’activité d’un agent tout au long de sa journée de travail », affirme leur site internet. Des salariés craignent que leur employeur se mette à « chronométrer le temps passé à effectuer chaque tâche », relaie Danielle Cheuton. L’équation est simple, comme le résume le fondateur de Teleric sur le site : « traçabilité => suivi des tâches => augmentation du chiffre d’affaire ».

publié le 19 janvier 2022

Malgré l’opposition de la Préfecture, les syndicats de l’éducation maintiennent la manifestation du 20 janvier

par Emma Bougerol sur https://basta.media/

Ce jeudi, les principaux syndicats de l’éducation appellent à se mobiliser de nouveau. La préfecture de police de Paris a indiqué aux syndicats son refus d’autoriser la manifestation dans la capitale, ce qui ne signifie pas son interdiction.

Ce 18 janvier, la CGT annonce par communiqué le « refus d’autoriser » la manifestation prévue deux jours plus tard, le jeudi 20, pour protester contre la situation « intenable » dans l’Éducation nationale. La journée d’action fait suite à celle du 13 janvier. Les enseignants et personnels de l’Éducation nationale s’étaient alors massivement mis en grève – 75 % de grévistes dans le primaire selon le syndicat FSU – et plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient manifesté.

Cette fois, les enseignants, personnels de l’Éducation nationale, parents d’élèves et élèves ne sont pas « autorisés » à manifester par la préfecture de police de Paris. La FSU regrette une décision qui « interdit l’expression des revendications des personnels à la suite des annonces faites par le Premier ministre. Annonces qui ne sont pas suffisantes après le chaos engendré par la gestion de la crise sanitaire par le ministère de l’Éducation nationale. »

« Le préfet de police, Didier Lallemant, ne fait souvent aucun cadeau là-dessus »

Dans un communiqué, le préfet indique qu’il n’a pas interdit la manifestation, mais n’a pas non plus délivré de récépissé de déclaration aux syndicats. La raison ? « Les délais légaux n’étaient pas respectés. » Une manifestation est censée être déclarée au moins trois jours avant son déroulement. L’absence de récépissé ne signifie pas que la manifestation est interdite, précise Nicolas Galépides, syndicaliste Sud PTT et habitué des dépôts de parcours et déclarations de manifestations en préfecture. « Les délais, c’est l’une des rares choses sur lesquelles on se fait avoir. Le préfet de police, Didier Lallemant, ne fait souvent aucun cadeau là-dessus. »

Des manifestations déclarées hors délais ont pourtant déjà été acceptées par la préfecture de police. C’est notamment arrivé lors de manifestations spontanées, en réaction à un attentat, à un féminicide ou à une actualité internationale par exemple. L’application de ces textes de loi, mobilisés pour refuser d’autoriser formellement cette manifestation, est donc plus flexible que ne le laisse penser la préfecture. « Le défaut de déclaration de la manifestation n’emporte pas automatiquement son interdiction, au sens de la loi », précise également le juriste Nicolas Hervieu, sur Twitter, faisant référence à une décision du Conseil d’État suite à l’interdiction d’une manifestation de la la communauté tibétaine lors de la visite du président de la République populaire de Chine, en 1997. Et selon la Cour européenne des droits de l’Homme, une manifestation qui n’a pas fait l’objet de déclaration préalable, est « tacitement tolérée », ou « non interdite ».

Pas d’interdiction de manifester, les syndicats maintiennent leur appel

« Reste à voir si, politiquement, ils se permettront de déposer un arrêté contre la manifestation », ajoute le syndicaliste. Ici, le refus d’enregistrement signifie que les forces de police, si elles constatent un trouble à l’ordre public, pourraient disperser la manifestation. Une interdiction formelle est bien plus complexe à motiver qu’un simple refus d’accuser réception de la déclaration. Il faut prouver que la manifestation en question poserait un trouble à l’ordre public. Dans ces cas précis, ou pour motifs exceptionnels, l’accès aux lieux de manifestation et alentours peut être interdit et les manifestants interpellés.

La dernière interdiction d’une manifestation syndicale remonte à 60 ans : la manifestation contre l’Organisation armée secrète (OAS, un groupe terroriste d’extrême droite), en pleine guerre d’Algérie, le 8 février 1962 [1]. Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, avait violemment réprimé ce rassemblement interdit. Neuf personnes sont décédées, bloquées dans l’entrée du métro Charonne. Plus récemment, en 2016, une manifestation contre la loi Travail a été interdite pendant quelques heures, avant un feu vert du ministère de l’Intérieur face à la levée de boucliers des syndicats.

Pour la CGT, la décision de ne pas autoriser formellement la manifestation est avant tout politique : « Non content de rester sourd à la colère et aux revendications des personnels de l’Éducation nationale, le gouvernement, à travers son représentant, leur dénie le droit de l’exprimer en manifestant dans Paris. »

Les organisations ont également envoyé ce matin une nouvelle demande d’enregistrement de la manifestation à la préfecture, ainsi qu’un courrier au Premier ministre, qui les avait reçus il y a moins d’une semaine pour écouter leurs revendications. Le rendez-vous, fixé à 14 heures place de la Sorbonne (Paris 5e), est bien maintenu. La manifestation ira jusqu’à Sèvres-Babylone.


 


 

À Paris, la manif des enseignants de jeudi ne sera pas "empêchée"

Sur www.huffingtonpost.fr

La préfecture de la capitale n'a pas autorisé le rassemblement car la demande des syndicats a été faite hors-délai.Le HuffPost avec AFP

MANIFESTATION - La manifestation des enseignants prévue jeudi 20 janvier à Paris pour protester contre la gestion de la crise sanitaire dans l’éducation “ne sera pas empêchée” par le préfet de police de Paris, a-t-on appris ce mercredi 19 janvier de sources policières.

Dans un courrier adressé aux organisations syndicales, le préfet Didier Lallement écrit qu’il n’“empêchera pas” le déroulement de cette manifestation. Il insiste sur le fait qu’il ne l’avait “pas interdite” mais qu’il ne pouvait délivrer “un récépissé” sans enfreindre la loi, à savoir plus de trois jours avant la journée de mobilisation, selon le code de la sécurité intérieur.

Le préfe de police de Paris rappelle aux organisateurs “qu’en passant outre la loi”, ils “engagent (leur) responsabilité en particulier pénale”. Les organisateurs d’une manifestation interdite encourent, selon le code pénal, six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende. Les participants risquent une contravention de 135 euros.

Le fait de ne pas délivrer un récépissé ne signifie pas interdiction d’une manifestation par la préfecture de police, a expliqué à l’AFP une source policière. Les interdictions concernent les manifestations présentant des dangers, a-t-on ajouté de même source.

Les syndicats d’enseignants ont demandé ce mercredi, dans un courrier commun adressé au Premier ministre Jean Castex d’intervenir auprès du préfet de police. Ils ont fait valoir que “dans l’usage, la préfecture accepte très fréquemment les dépôts hors délai”.

Grève et rassemblement devant le ministère de l’Éducation

Les syndicats FSU, CGT Educ’action, FO et SUD Education, ainsi que la FCPE, première organisation de parents d’élèves, et les mouvements lycéens FIDL, MNL et La Voix lycéenne ont appelé à “poursuivre la mobilisation” après la grève très suivie jeudi dernier, en s’engageant “dans une nouvelle journée d’action jeudi, y compris par la grève”.

Mais selon une source proche du dossier, les syndicats, qui voulaient encore  manifester pour demander “des réponses fortes” face au “chaos” engendré par le protocole sanitaire lors de la reprise des cours début janvier, “comptaient les uns sur les autres pour faire la déclaration, du coup ils sont hors délai”.

Face à cette interdiction de manifester, le syndicat FO dit “mainten(ir) (son) souhait de se rassembler devant le ministère de l’Education, ce même jour, jeudi”. “Le motif de ce refus étant le non respect des délais trop courts entre notre demande et la date de la manifestation, nous vous faisons remarquer que les délais étaient encore plus courts entre la décision de mettre en place le dernier protocole sanitaire dans les établissements et sa mise en application”, écrit le syndicat dans un communiqué.

publié le 14 janvier 2022

A Montpellier, l’éducation nationalese paye 3000 personnes en manif pour
une grève historique

sur https://lepoing.net

Une journée de grève et de manifestation particulièrement suivie dans l’éducation a mis près de 3000 personnes dans les rues de Montpellier ce jeudi 13 janvier. Récit de cette journée avec Le Poing.

Une mobilisation historique

Dès 13h une petite foule se masse derrière les grilles du jardin du Peyrou, pour une assemblée générale appelée par l’ensemble des syndicats participants au mouvement à Montpellier. Soit onze organisations, sans compter les associations de parents d’élèves.

S’y expriment de belles congratulations, alors que les premiers chiffres de la participation à la grève dans l’éducation nationale sont déjà tombés. C’est qu’ils impressionnent : les syndicats annoncent, à l’échelle du pays, 75% d’enseignants grévistes dans le primaire, 62% dans le secondaire ( le ministère avance respectivement 38,4% et 23,7 % ). “En 23 ans de carrière, je n’ai jamais vu ça, avec en plus une telle unité syndicale, c’est extraordinaire”, nous confie Sabine, enseignante à l’école élémentaire Sigmund Freud de Montpellier, syndiquée à Force Ouvrière.

Précarité, absurdistan protocolaire et austérité budgétaire

On y égrène aussi les raisons de la colère. On parle des successions abracadabrantesques de protocoles sanitaires. “On en est à plusieurs dizaines de protocoles différents depuis le début de la crise sanitaire !”, s’exclame un instit. Il faut dire que le ministère n’a pas un don inné pour la communication : un des tout récents changements de protocole a été annoncé, avant même que l’info ne circule en interne dans l’institution, dans les colonnes du Parisien… dans un papier réservé aux abonnés. 

Mais la colère liée à la gestion de la situation sanitaire trouve des racines bien plus profondes. Dans le sentiment que les moyens ne sont pas mis là où il faut, que l’agitation ministérielle cherche à grand peine à masquer un désastre que personne ne peut plus ignorer dans l’éducation nationale. “Des milliers d’heures de cours ont sauté l’année scolaire précédente, faute de remplacements des profs isolés ou absents. Et plutôt que d’investir des moyens à la hauteur de la situation en créant les postes nécessaires, le ministère préfère embaucher des étudiants précaires pour faire la garderie, ou se reposer sur les familles via les cours à distance”, tonne un tribun au milieu de l’assemblée. Même constat de désinvestissement de l’Etat au niveau du matériel de protection sanitaire : les professionnels présents se plaignent d’avoir dû tout au long des différentes vagues de Covid acheter eux-mêmes leurs masques, après avoir été laissés complètement livrés à eux même pendant le douloureux premier confinement. 

Le pire c’est qu’alors même que sur le terrain ça craque de tous les côtés faute de moyens, Blanquer rend chaque année une partie du budget alloué à son ministère à l’État. Il n’en a pas besoin, soi-disant. On parle de 75 millions en 2021, 600 millions pour 2020 !”, s’exclame un gréviste.

Un ressurgissement des luttes des mois précédents

On retrouve aussi tout ce qui ce qui s’était déjà manifesté de colères dans le monde de l’éducation ces derniers mois, ces dernières années. Les collectifs de parents-profs-personnels des différents collèges de la ville, qui à force de mobilisation locale avaient fini par arracher au rectorat la création de quelques postes supplémentaires, ressortent les banderoles. On recroise un des moteurs de la lutte, historique elle aussi, des AEDs ( les pions comme on les appelle plus souvent ), qui nous assure que les collègues sont très mobilisés, et que beaucoup de vies scolaires sont fermées dans la région. Avec les AESHs, ils sont les fers de lance de la lutte contre l’utilisation croissante de contrats précaires dans l’éducation nationale. Les associations de parents d’élèves sont de la partie.  

Une large plateforme de revendications, portée par une large unité syndicale

Cette mobilisation générale, tous statuts confondus, mêlant associations, syndicats, collectifs de lutte, parents, profs et personnels d’encadrement, débouche tout naturellement sur de très larges revendications. Liste non exhaustive.

La hausse du point d’indice, qui doit venir compenser la montée tous azimuts des prix, et qui sera au cœur des enjeux d’une journée de mobilisation interprofessionnelle le 27 janvier. La titularisation des nombreux précaires qu’emploie désormais l’institution, dont les AEDs et les AESHs ( Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap, qui ont eux aussi connu leur mouvement local récemment ). Le réabondemment des listes de professeurs dispos pour des remplacements, pour pallier aux nombreuses absences sanitaires, et des embauches massives à tous les niveaux pour réparer les dégâts causés par les coupes budgétaires successives des dernières décennies. Des protections sanitaires, auto-tests, masques, doses de gel hydroalcoolique, en quantité décente pour se mettre à l’abri du virus, sans devoir payer de sa poche pour travailler dans des conditions raisonnables. Le rétablissement de tous les postes de RASED supprimés (les réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté rassemblent des psychologues et des profs spécialisés, qui travaillent avec les enfants en groupes nettement plus petits que dans les classes classiques, et s’adressent à des élèves qui ne peuvent qu’être complètement perdus dans un système éducatif à flux tendu).

Le tout porté avec une unité rarement vue dans l’éducation nationale. Au côté des différents collectifs d’établissement ou de précaires, et des associations de parents d’élèves, onze syndicats sont de la partie. Dont certains ne sont pas parmi les plus porteurs d’une tradition de lutte sociale, comme le Snalc, présent en masse et incontestablement vecteur de dynamisme dans la manif montpelliéraine. Un symptôme de la profondeur des racines de ce mouvement social. 

Plan d’économie ou Plandémie ?

Parmi les gens présents à l’assemblée au Peyrou, on retrouve bien quelques têtes connues des manifs contre le pass sanitaire/vaccinal, et l’obligation vaccinale. Certains sont par exemple des syndicalistes de l’enseignement, opposés au pass comme contraire aux libertés publiques, à l’obligation vaccinale comme contraire au code du travail. 

On retrouve aussi quelques pancartes du collectif des “Mamans Louves”, qui militent par exemple contre le port du masque obligatoire pour les enfants dans les écoles, mettant en avant les dégâts psychologiques que cela engendrerait. La contradiction commence à se faire sentir avec la teneur des discours syndicaux, qui ont plutôt tendance à souligner l’incapacité de l’Etat ( et pour certains plus largement de notre économie capitaliste) à fournir à la population le matériel nécessaire pour se protéger. 

La même contradiction devient à priori indépassable, quand on tombe sur certaines des personnes qui remettent un à un en question à grands renforts de tracts “argumentés” tous les moyens de protection sanitaire, toutes les mesures de restriction. On bascule dans le cocasse quand on croise le très controversé Denis Agret, très en avant dans les manifs du samedi, en train de haranguer la foule : “Vous n’avez rien compris, enlevez vos masques !” Certains lui jettent des regards amusés… 

Si beaucoup sont attirés par l’idée de contester les protocoles sanitaires du ministère Blanquer, une partie du mouvement anti-pass aura à priori beaucoup de mal à trouver sa place dans ce mouvement naissant dans l’Education Nationale… 

Une délégation envoyée au rectorat

Quand le cortège se met en route, environ trois mille personnes sont au rendez-vous. Le trajet, déposé en préfecture, et scrupuleusement respecté, est très classique : boulevard du Jeu de Paume, grand rue Jean Moulin, Comédie, rue de la Loge, et enfin rue de l’Université.

Le cortège, dynamique, énergique, n’est pas disposé à attendre que sorte la délégation attendue au rectorat pour 16h. C’est la dispersion.

Et après ? 

Alors que l’Education Nationale a pu être un véritable bastion pour des grèves longues et soutenues, les grands mouvements sociaux d’ensemble s’y font rares ces dernières années. Le terrain des luttes y est plutôt occupé par différents collectifs de précaires, types AED/AESH, qui luttent courageusement avec les moyens du bord, limités puisqu’ils sont en attente perpétuelle de renouvellement de leur contrat, et abonnés aux bas salaires.

Mais ce jeudi 13 marque un taux de participation à la grève tout simplement historique, d’autant que la grève a été préparée au tout dernier moment, ces cinq derniers jours. Alors, vers un grand réveil de l’éducation ? Le gouvernement stresse très visiblement à ce propos, et a déjà accordé dès ce jeudi 13 au soir une entrevue aux syndicats représentatifs. Quoi qu’il en soit, la lutte n’en est qu’à ses débuts. 

Pour commencer, les associations de parents d’élèves montpelliérains organiseront une marche le 26 janvier. Autre échéance : le 20 janvier sera discutée à l’assemblée nationale une proposition de loi déposée par la députée PS Michèle Victory, qui propose de recruter les AESHs et les AEDs déjà mentionnés plus hauts en CDI, et de les faire bénéficier de la prime REP+ que touchent presque tous les autres personnels qui travaillent dans des établissements difficiles. Les premiers concernés seront donc en grève ce jour-ci, pour mettre la pression sur les parlementaires. Enfin, le 27 tout le monde participera à la journée de grève et de manifestation interprofessionnelle, qui porte principalement sur les salaires et le coût de la vie.

Parlons maintenant stratégie syndicale. L’intersyndicale nationale se réunira de nouveau demain, vendredi 14 janvier. Malgré le succès historique de cette grève, la grève reconductible n’est pas mise à l’ordre du jour pour le moment. Même les assemblées générales qui sont traditionnellement les plus combatives, comme celles de Paris, Nantes ou Saint-Denis, optent plutôt pour une nouvelle journée de grève dès la semaine prochaine. Option clairement défendue aussi par Sud Education et la CGT. Mais le syndicat majoritaire dans l’éducation est la FSU. Laquelle ne se prononce pas clairement, évoque d’autres modes d’action possibles comme des occupations ou des happenings, et attend à la fois de prendre la température auprès du gouvernement dès ce soir, et de discuter avec le reste de l’intersyndicale, pour prendre une décision. En interne, une autre proposition émerge à la FSU : une journée de manif samedi 22, sans grève. Il s’agirait ainsi de ménager l’unité syndicale : le second syndicat de l’éducation nationale, l’Unsa, peut être habituellement assez frileux sur le recours à la grève. 

Enfin, autre inconnue : les lycéens, qui se sont illustrés par des blocages d’établissement réprimés par les forces de l’ordre comme à Nantes ou Paris.


 


 

Éditorial. Au piquet !

Cathy Dos Santos sur ww.humanite.fr

Jean-Michel Blanquer était hier encore le bon élève du gouvernement, celui que l’on montrait en exemple. ...

Depuis le début du quinquennat, le ministre de l’Éducation nationale a imposé avec un zèle sans pareil l’orthodoxie macronienne. Intraitable, inflexible, il a toujours privilégié le passage en force plutôt que le dialogue. La pandémie a creusé le divorce entre la Rue de Grenelle et une communauté éducative médusée par des procédures kafkaïennes. Le dernier protocole sanitaire balancé dans un entretien payant chez un de nos confrères, à la veille d’une rentrée qui s’annonçait catastrophique, a été la goutte qui a fait déborder le vase après des années de casse de ce service public, pourtant pilier de notre pays. Non, les enseignants, les parents d’élèves n’ont pas défilé contre un virus mais contre un ministre hors-sol à l’arrogance sans limite.

La grève dans l’éducation nationale du 13 janvier restera gravée dans les annales. Inédite par son ampleur et sa détermination, suivie par 75 % des personnels, selon les syndicats, cette journée d’action est la première démonstration de force contre l’exécutif depuis le début de l’épidémie. Elle en dit long sur la souffrance, l’exaspération ; elle est limpide sur les revendications : des maques FFP2 et des locaux décents, des embauches massives, le dégel du point et du respect ! Le gouvernement devrait en prendre bonne note, car rien ne dit que cette colère accumulée ne se poursuive sous d’autres formes.

À trois mois de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron se serait bien passé de cette mauvaise publicité. Une grève de cette nature dans un contexte historique fait tache. Le chef de l’État ne devrait pas pour autant démettre de ses fonctions ce pilier de son exécutif, comme le réclament plusieurs candidats. Mais d’ores et déjà, et malgré les déclarations officielles affirmant le contraire, Jean-Michel Blanquer a été mis au piquet. Le premier ministre, Jean Castex, assure depuis lundi le service après-vente. C’est lui encore qui a reçu les syndicats de l’éducation dans l’espoir d’apaiser une fronde gonflée de légitimité

publié le 14 janvier 2022

Victoire des Luxfer : histoire d’une
résurrection industrielle

Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr

Abandonnés par leur maison mère, les ex-salariés de l’usine de Gerzat, spécialisée dans les bouteilles d’oxygène en aluminium, se sont battus pendant trois ans. Avec le Français Europlasma et les pouvoirs publics, ils annoncent la création d’une nouvelle unité de production, pour 2024.

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).– Axel Peronczyk a le triomphe modeste. Pendant trois ans, le représentant syndical CGT a livré un combat de David contre Goliath face à Luxfer Holdings, l’entreprise qui, en novembre 2018, a décidé de le jeter à la poubelle avec les 135 autres employé·es de l’usine de Gerzat, dans la banlieue de Clermont-Ferrand, et de s’asseoir sur le couvercle.

Aujourd’hui, à contre-courant des annonces de fermetures de site qui font le quotidien de l’actualité sociale française, Axel a enfin une bonne nouvelle à communiquer : l’industriel français Europlasma, avec qui les ex-Luxfer étaient en pourparlers depuis des mois, accompagné des pouvoirs publics, s’est engagé à monter une nouvelle usine, Les Forges de Gerzat, qui embaucheront en priorité les laissés-pour-compte du groupe britannique.

L’unité de production sera bâtie sur un terrain de quelque 12 hectares, fourni par la métropole de Clermont-Ferrand à Cébazat, une commune voisine de Gerzat. La métropole va également financer, à hauteur de 34 millions d’euros, la construction du bâtiment industriel.

L’État et la Région Auvergne-Rhône-Alpes mettent aussi au pot, avec 15 millions d’euros de prêt et 4,5 millions de subventions d’investissement pour le premier, trois millions d’euros de subventions et le financement d’un plan de formation des ex-Luxfer pour la seconde. Europlasma s’engage pour sa part à apporter 25 millions en fonds propres, et autant en dette. Soit au total un tour de table de 100 millions d’euros.

Du côté des pouvoirs publics, l’investissement se justifie, outre la préservation de l’emploi, par « l’importance du maintien d’une capacité de production de bouteilles de gaz haute pression en France et en Europe – notamment à la suite du Brexit qui a privé l’Union européenne de la seule usine de production en Europe continentale », selon le communiqué conjoint diffusé vendredi dernier par le ministère de l’économie, la région et la métropole. Le caractère stratégique de cette production est apparu clairement au début de la pandémie de Covid-19, quand les besoins en bonbonnes d’oxygène ont brutalement explosé.

L’obstination des salarié·es a tapé dans l’œil de Jérôme Garnache-Creuillot, le PDG d’Europlasma. « On a affaire à des gens qui sont très impliqués, et qui ont un savoir-faire unique au monde, mondialement reconnu, dans une filière stratégique », explique-t-il. Son entreprise, basée dans la région bordelaise, s’est spécialisée dans la dépollution de déchets dangereux, en s’appuyant sur une technologie qu’elle a développée, la torche à plasma, qui fonctionne à l’électricité et permet d’obtenir de très hautes températures. La production devrait démarrer en 2024.

Parmi les ex-Luxfer, huit ont été recrutés au sein d’un bureau d’études pour organiser le développement de l’usine. Leur nombre devrait atteindre 20 au cours des deux ans à venir, jusqu’à la livraison des bâtiments de l’usine. « 2024-25 sera une année de transition, avec 70 salariés, essentiellement des anciens de Gerzat, indique le PDG. À l’optimal, nous serons à 200 personnels pour une production bien plus élevée qu’auparavant à Gerzat. »

Le site est resté rentable jusqu’à la fermeture

Au téléphone, Axel Peronczyk reste pourtant prudent. Il évoque sobrement la « page enfin tournée » de Luxfer, sa joie de collaborer avec « un industriel profondément impliqué », un « nouveau départ ». Mais sa voix trahit un immense soulagement. Et l’exultation est perceptible quand il parle de « revanche » contre les décideurs londoniens.

Le syndicaliste a de quoi avoir la dent dure. Avec son centre de recherche et développement et ses activités diversifiées – ses corps creux alimentaient l’armée, la filière nucléaire, l’aéronautique –, l’usine de Gerzat était l’un des fleurons du géant français de l’aluminium Pechiney quand elle a été rachetée au début des années 2000 par la filiale britannique du groupe canadien Alcan. En 2007, l’usine a été reprise par Luxfer Holdings, créée par d’anciens cadres dirigeants de cette filiale.

Les retours sur investissement de Gerzat sont insuffisants aux yeux des actionnaires.

Rapidement, Luxfer a recentré les activités de l’usine sur les bouteilles de gaz à haute pression. « La grande série est partie à Nottingham, et nous, nous avons hérité de toute l’innovation. Toutes les innovations mondiales dans la filière venaient de Gerzat », se souvient le syndicaliste. Mais les années passant, les investissements diminuent sur le site auvergnat.

Les retours sur investissement de Gerzat sont insuffisants aux yeux des actionnaires, même si le site est resté rentable jusqu’au bout. Le 26 novembre 2018, les employé·es apprennent, de la pire des manières, que leur usine est condamnée. « Ils ont annoncé le plan aux médias en même temps qu’à la première équipe. Il y a des gars qui ont appris à la télé qu’ils se faisaient foutre dehors », rappelle Axel Peronczyk.

Le plan en question prévoit un maintien de l’activité jusqu’à l’été 2019, et un accompagnement a minima des futures personnes licenciées. Immédiatement, le personnel débraye, pour deux semaines. Puis se ravise.

« Avec une centaine d’employés, on a pris la prime pour la mettre de côté et bâtir notre propre projet. On a essayé de prouver que cela rapporterait plus d’argent aux actionnaires de nous garder que de nous licencier », explique le représentant du personnel. « Notre contre-proposition reposait sur des investissements en matériels qui nous auraient permis d’accroître la compétitivité et la rentabilité sans suppression de poste. »

Parfois, quand on arrivait à l’usine, les dirigeants nous insultaient depuis leurs fenêtres et déclenchaient leur téléphone pour enregistrer notre réaction.

En pure perte. En février 2019, Luxfer rejette l’offre du personnel, et durcit le ton. « Ils ont fait appel à une société de sécurité, dont les agents nous suivaient en voiture jusqu’à notre domicile, histoire de nous faire comprendre qu’ils nous avaient à l’œil, indique Adrien Ducrous, un des anciens salariés. Ils organisaient des mises en scène pour tenter de nous faire passer pour des gens violents. »

« Parfois, quand on arrivait à l’usine, les dirigeants nous insultaient depuis leurs fenêtres et déclenchaient leur téléphone pour enregistrer notre réaction », complète Axel Peronczyk. Mais les salarié·es ne renoncent pas. Ils et elles prennent langue avec plusieurs entreprises potentiellement repreneuses. Mais les offres sont toutes repoussées par Luxfer, qui rejette de la même façon, en décembre 2019, une proposition de rachat de l’entreprise formulée par les salariées et salariés eux-mêmes.

L’État jette l’éponge, mais les négociations continuent

« Ils ne voulaient pas qu’on reprenne parce qu’ils avaient peur de notre concurrence. On avait tout le savoir-faire, toutes les capacités en matière de recherche et développement », analyse le représentant CGT. À partir de la mi-janvier 2020, les ex-salarié·es occupent leur usine pendant 53 jours, pour empêcher un démantèlement clandestin des machines.

L’irruption du Covid-19 réveille l’intérêt des politiques pour l’usine de Gerzat. L’opposition parle de nationalisation, le gouvernement répond droit sacré de la propriété privée, protection de la concurrence. Toutes et tous s’accrochent à l’espoir d’un revirement de Luxfer Holdings, avant de jeter l’éponge en décembre 2020, et de toucher le fond. « En juin 2021, à peine 40 personnes avaient retrouvé du travail, les gars n’avaient pas de revenus. De tous les côtés, on avait des dépressions. On a aussi eu un drame, et deux autres cas où on n’est pas passés loin », commente le syndicaliste. Quant à l’usine, elle n’est plus qu’une friche industrielle polluée de 4,5 hectares en pleine ville de Gerzat.

Pourtant, la lutte continue, et elle finit par porter ses fruits, après des mois de négociations discrètes, et l’annonce, le 7 janvier, de la construction d’une nouvelle usine. « Luxfer a voulu nous faire craquer, mais ils n’ont pas compris qu’on était en Auvergne et qu’on était têtus », plaisante Adrien.

On a beaucoup d’idées pour le centre de recherche et développement : des bouteilles plus résistantes et plus légères, mais aussi d’autres choses.

À partir de 2024, à l’instar des Forges de Tarbes, spécialisées dans les corps creux en acier et rachetées par Europlasma l’an dernier, Les Forges de Gerzat auront une double fonction. La première sera d’écouler l’aluminium récupéré à l’issue des processus de dépollution à travers une vaste gamme de produits.

« On a beaucoup d’idées pour le centre de recherche et développement de Gerzat : des bouteilles plus résistantes et plus légères, mais aussi d’autres choses. On envisage de travailler sur la mobilité verte, le stockage d’hydrogène », indique Jérôme Garnache-Creuillot.

La seconde sera de contribuer à l’autonomie de l’entreprise dans le domaine de la production des torches à plasma. « Les torches à plasma sont de plus en plus vues comme des alternatives électriques aux chauffes carbonées, souligne l’homme d’affaires. Le marché pourrait évoluer très vite quand les gens voudront passer du charbon à l’électrique, et nous voulons accompagner ce développement. »

publié le 13 janvier 2022

Industrie. La SAM, un caillou dans la chaussure de Macron

Bruno Vincens sur www.humanite.fr

Les salariés de la fonderie manifestent ce mercredi, devant Bercy, à Paris, pour exiger une reprise de leur activité. Leur situation, emblématique, fait irruption dans la campagne présidentielle.

Viviez (Aveyron), envoyé spécial.

La production est à l’arrêt, et pourtant, les salariés s’activent. Ils sont une bonne centaine, ce lundi matin, à investir l’usine. Les conversations vont bon train. À l’extérieur, certains se réchauffent autour d’un brasero. À l’intérieur, des tables ont été dressées dans le bâtiment de maintenance, où trône un arbre de Noël, une étoile scintillante à son sommet. Vers midi, le repas est servi. Toute la journée de dimanche, Ghislaine Gistau a œuvré aux fourneaux. « Nous prenons un repas en commun midi et soir », raconte la secrétaire du syndicat CGT de la SAM, applaudie par les convives en guise de remerciements. En ce 49e jour d’occupation du site, la détermination reste intacte. La mobilisation, loin d’être anarchique, est méticuleusement organisée.

Un impératif : préserver l’outil de production

Avant de passer à table, Philippe nous fait visiter la très vaste usine où il travaille depuis 1987. Le four est toujours allumé et la température s’affiche sur un écran : 742°C. L’aluminium est en fusion mais reste désormais à l’intérieur du four sans être coulé dans les moules. Ceux-ci permettaient de façonner des carters et autres pièces pour les Clio, Zoe, Mégane et toute la gamme des véhicules Renault thermiques, hybrides ou électriques… avant que la firme au losange abandonne la SAM. Philippe explique, avec une pointe de fierté, que son travail consiste à installer les moules sur les machines quand une série débute et à les enlever quand elle s’achève. La SAM, c’est une fonderie, mais aussi de l’usinage de précision. Pour l’heure, pourtant, les bâtiments de magasinage abritent un imposant stock de pièces en aluminium inutilisées.

« En une heure à peine, on peut redémarrer l’usine », assure Ghislaine Gistau. Même à l’arrêt, les machines à usinage, les presses à injecter sont bichonnées par les ouvriers. Un impératif : préserver l’outil de production. Un projet industriel est-il en vue pour l’entreprise en liquidation judiciaire ? « Nous n’avons aucun retour » des pouvoirs publics, répond David Gistau, l’un des animateurs de la lutte. Les contacts que la région ­Occitanie aurait établis avec d’éventuels investisseurs restent strictement confidentiels. Quant au ministre Bruno Le Maire, dont les SAM sont sans nouvelles depuis bientôt un mois, il va recevoir aujourd’hui leur visite : un rassemblement est prévu à partir de 13 heures sous ses fenêtres, à Bercy. Deux cents salariés de la fonderie et habitants du bassin de Decazeville feront le déplacement. La CGT Île-de-France, le PCF et EELV appellent à se joindre à eux.

David Gistau prévient : « Nous voulons être reçus par le ministre de l’Économie et de l’Industrie (il insiste sur ce mot – NDLR) et à condition qu’il nous annonce de bonnes nouvelles. Nous demandons des indemnités supralégales versées par Renault, mais notre première revendication, c’est le redémarrage de l’usine. » Ghislaine Gistau ajoute : « Nous pouvons travailler pour la filière automobile, mais aussi pour l’aéronautique, le ferroviaire, tous les secteurs qui utilisent de l’aluminium. »

Jean-Pierre Floris, missionné par l’État et la région pour trouver une solution industrielle, était resté lui aussi discret depuis une visite éclair de l’usine, il y a un mois. Mardi, il a fait sa réapparition dans le bassin de Decazeville, mais la rencontre avec les représentants syndicaux de la SAM a vite tourné court : le chargé de mission n’avait aucune piste industrielle à leur proposer. « La réunion a été houleuse et nous sommes partis au bout de dix minutes », raconte David Gistau.

« On aimerait que le président “emmerde” Renault ! »

Alors que le gouvernement n’a que le mot réindustrialisation à la bouche, la SAM veut être un cas emblématique, à trois mois de l’élection présidentielle. « Dans notre pays, le métier de la fonderie et tout un savoir-faire sont en train de disparaître, souligne David Gistau. Durant cette période électorale, on ne va pas se gêner pour dire que le gouvernement laisse Renault avoir droit de vie et de mort sur tout un territoire. La SAM est le premier employeur privé du bassin de Decazeville et si on supprime ces 333 emplois, nous aurons pour seul horizon Pôle emploi et les Restos du cœur. Alors, on aimerait que Macron “emmerde” Renault ! » En novembre 2021, une centaine de salariés de la SAM ont brûlé leur carte d’électeur. « Je le regrette, je dis à mes camarades qu’il faut voter, mais en même temps, je les comprends, confie David Gistau. Ici, on se sent abandonnés. La maternité a fermé. Pour Bercy, nous sommes des bouseux, des citoyens de seconde zone. Le gouvernement valide la mort sociale de 333 femmes et hommes et de leur famille. »

Pour les ouvriers fondeurs de Viviez, la SAM est bien un dossier d’ampleur nationale et peut devenir un thème de campagne lors de cette élection présidentielle. « Nous sommes prêts à rencontrer les candidats progressistes, à échanger avec eux », annonce le syndicaliste. Fabien Roussel et Yannick Jadot sont annoncés au rassemblement de ce mercredi. Pour David Gistau, des choix politiques pourraient émerger à l’approche des élections : « Il faut des lois contraignantes pour obliger les constructeurs, tel Renault, à se fournir pour moitié chez des sous-traitants français. » Aujourd’hui, une partie des pièces automobiles sorties naguère de l’usine occitane sont d’ores et déjà produites en Roumanie. Les ouvriers fondeurs aveyronnais occuperont l’usine tant qu’aucune solution industrielle n’émergera. « On souhaite redémarrer cette usine, qu’elle s’appelle SAM ou autrement ! » martèle Ghislaine Gistau.


 

 


 

Mobilisation. Les SAM portent
leur colère jusqu’à Bercy

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Alors qu’ils occupent leur usine depuis 51 jours, les fondeurs aveyronnais espèrent que le gouvernement s’engagera à chercher des solutions de reprise pour le site, pour le moment condamné à la fermeture.

Ce mercredi, des airs enjoués percent quelque peu le brouillard froid parisien du mois de janvier. Une poignée de musiciens font sonner leurs instruments, quelques spectateurs esquissent de pudiques pas de danse. Tous arborent leur même message de soutien, épinglé sur leur manteau : « Je suis SAM. » À quelques encablures du ministère de l’Économie, des centaines de personnes rassemblées attendent impatiemment l’arrivée des travailleurs de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM). Après avoir réveillonné dans leur usine, ces derniers ont grimpé, mercredi matin, dans un bus pour huit heures de route, direction Bercy. C’est que la colère, qui monte depuis des mois, vient de passer un nouveau cran. Après la liquidation judiciaire définitive de la SAM, lâchée par Renault, leur unique donneur d’ordres, en novembre 2021, les derniers salariés ont reçu leur lettre de licenciement le 2 janvier 2022.

Soudain, les voilà : des dizaines et dizaines de travailleurs débarquent dans la capitale. Cliquetant des pièces métalliques – qu’ils ne produisent désormais plus – entre elles, les fondeurs font s’élever jusqu’aux fenêtres du ministre un curieux tintamarre, accompagné presque aussitôt de bruyants applaudissements.

« On nous dit qu’il faut relocaliser et Renault part en Roumanie »

Si l’ambiance est à la fête, les Aveyronnais peinent à masquer leur dégoût. Car, si le gouvernement martèle à qui veut l’entendre son attachement à l’industrie, c’est bien au sabotage de leur fonderie qu’assistent les travailleurs. « On nous dit qu’il faut relocaliser, et pourtant, on laisse Renault partir en Roumanie et en Espagne, alors que ça fait trois ans que nous avons commencé à produire des pièces pour les véhicules électriques », souffle Michel Caballero, manutentionnaire salarié de la SAM depuis trente-quatre ans, bleu de travail sur le dos. Convaincu que son industrie a de l’avenir, l’Aveyronnais refuse de baisser les bras. Depuis cinquante et un jours, il se relaie, avec ses camarades, pour occuper l’usine.

« Il y a du monde sept jours sur sept qui vérifie le bon état du matériel et des fours. Rien qu’aujourd’hui, il doit y avoir 60-70 personnes restées sur place. Le but est de conserver notre outil de travail », confirme Joris Lasfargues, élu CGT de la SAM. Pour le représentant du personnel, la mobilisation est indispensable à l’avenir du secteur. Noyés dans l’épaisse foule, les quelques employés de la Fonderie du Poitou, venus apporter leur soutien, peinent à le contredire. Ces derniers ont appris, mardi, en CSE, qu’aucun repreneur n’avait été trouvé pour poursuivre leur activité. L’activité sera placée en redressement judiciaire.

Tout le bassin de Decazeville, en Aveyron, souffrira de cette situation

Sur la petite place, les fondeurs ont désormais éparpillé, ici et là, des composants métalliques, comme une métaphore de leur vie disséminée. Car, en plus d’avoir été lâchés par Renault, ils ont le sentiment d’avoir été méprisés. Tous licenciés, ils n’auront le droit qu’aux indemnités légales, même avec quarante années d’ancienneté. « On veut le maximum d’argent, des vraies indemnités supralégales. Renault a reçu 5 milliards d’euros d’aide pendant la crise, ils doivent nous payer ! » martèle Magali, responsable d’équipe et salariée de la fonderie depuis six ans.

À force d’efforts, une délégation de représentants de travailleurs de la SAM a décroché un rendez-vous dans l’après-midi avec le cabinet du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Tous espèrent que l’État obligera Renault à verser ce précieux supplément et s’engagera à rechercher activement de nouvelles solutions de reprise de l’activité de la fonderie.

Dans le cas contraire, les salariés de la SAM ne seront pas les seuls à payer les pots cassés. Tout le bassin de Decazeville, en Aveyron, souffrira de cette situation. « J’ai déjà connu la fermeture des aciéries, comme Vallourec, dans le bassin en 1986-1987. Ça avait complètement vidé l’emploi. C’est sur le point de recommencer, la SAM est la dernière entreprise », prédit Philippe Jalbert, trente-quatre années d’ancienneté. Une blouse blanche sur le dos, Sabrina Burdack, acheteuse à la SAM, abonde : « Maintenant qu’on est licenciés, retrouver un emploi dans le coin ne va pas être facile, il n’y a plus de travail ici. » Une chose est sûre, les fondeurs ne partiront pas sans lutter

publié le 11 janvier 2022

Exaspération.
Submergée par Omicron, l’Education nationale appelle à la grève

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Après une semaine où le chaos dans les établissements a fait monter la colère, une large intersyndicale lance un appel à une mobilisation nationale jeudi 13 janvier.

C’est parti comme une traînée de poudre, au point que certains n’ont pas attendu l’intersyndicale du vendredi 7 janvier pour l’annoncer : la quasi-totalité des acteurs de l’éducation appellent à une grève nationale le jeudi 13 janvier.

Confrontée depuis des mois à une situation difficile, devenue totalement ingérable depuis la rentrée du 3 janvier avec le nouveau protocole sanitaire, censé accompagner le tsunami de contaminations engendré par le variant Omicron, l’école menace d’imploser à tous les niveaux et a décidé de dire stop.

Profs, parents d'élèves, inspecteurs, lycéens...

« L’épuisement et l’exaspération de toute la communauté éducative atteignent un niveau inédit », expose l’appel intersyndical à la grève. Un appel signé, il faut le souligner, par l’ensemble des organisations syndicales et associations du secteur: tous les syndicats de la FSU (Fédération syndicale unitaire) – y compris ceux des inspecteurs ou des personnels territoriaux intervenants à l’école –, l’Unsa éducation, SUD éducation, la CGT Éduc’action, la Fnec-FP-FO, le Snalc, le SNE, rejoints par la première fédération de parents d’élèves, la FCPE, et des syndicats lycéens (Fidl, MNL et la Voix lycéenne). Seul le Sgen-CFDT n’a pas suivi l’appel national, laissant ses fédérations locales décider si elles se joignaient au mouvement.

Certains établissements, notamment en Seine-Saint-Denis, avaient pris les devants dès la semaine dernière. Des fédérations, comme SUD éducation, appellent à une grève reconductible dès aujourd’hui. Dans l’académie de Créteil, ce sont les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) qui devraient répondre à partir de ce lundi à l’appel à une grève illimitée lancé par une intersyndicale CGT, FSU, SUD et FO. Même un syndicat comme le SNPDEN-Unsa (syndicat majoritaire chez les personnels de direction), traditionnel accompagnateur des politiques de Jean-­Michel Blanquer, s’il n’appelle pas à la grève, déclare s’y associer.

Protocoles intenables et absence de moyens

Jean-Michel Blanquer risque donc de se trouver confronté à une vague de colère assez inédite sous son exercice. L’explication en est donnée par l’intersyndicale  : « L’école ne bénéficie pas de l’organisation protectrice qui serait nécessaire pour assurer la sécurité des élèves, des personnels et de leurs familles. »

Or « la responsabilité du ministre et du gouvernement (…) est totale du fait de changements de pied incessants, de protocoles intenables et d’absence de moyens donnés pour assurer le fonctionnement de l’éducation ». Le protocole sanitaire, en vigueur depuis le 3 janvier, est jugé inapplicable et, dans sa dernière version (à partir de ce lundi), « allégée » des autotests à J+2 et J+4, encore moins protecteur. Sur le terrain, pénurie de remplaçants pour les nombreux personnels positifs ou cas contacts, gestion impossible des tests et désorganisation pédagogique due aux allers et retours des élèves ont rendu la situation explosive.

Le 8 janvier, une tribune publiée dans le JDD et signée par plus de « 2 700 acteurs de l’éducation et des médecins » dénonçait les économies faites sur le budget de l’éducation nationale (600 millions d’euros en 2020 et 75 millions en 2021), les rapportant au crédit de… 20 millions ouvert pour aider les collectivités à équiper les établissements en capteurs de CO2. « Écoles, collèges et lycées doivent avoir les moyens de fonctionner en toute sécurité », rappelle l’intersyndicale. Et d’exiger « les moyens et les protections nécessaires pour faire face à la crise » en dotant « d’équipements de protection les personnels, les écoles et les établissements » et en leur attribuant « les moyens humains nécessaires ».


 


 

Éducation.
Plus la pandémie avance, plus le protocole s’allège

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Des taux d’incidence record chez les moins de 19 ans, plus de 10 000 classes fermées, mais Jean Castex a annoncé de nouvelles règles sanitaires en milieu scolaire.

Une semaine de cours, trois versions du protocole sanitaire. La volonté du gouvernement d’être « au plus près de la réalité », comme l’a justifié Jean-Michel Blanquer, a de quoi rendre chèvre les personnels de l’éducation nationale comme les familles. Lundi 10 janvier, c’est le premier ministre, Jean Castex lui-même qui s’est ainsi invité au journal de  20 heures de France 2 pour présenter les nouvelles règles, après la version initiale du 3 janvier (annoncée le 2) et les aménagements du 10 (annoncés le 6).

Premier changement à effet immédiat : quand un cas positif est avéré dans une classe, les élèves cas contacts n’ont plus à quitter l’école ou l’établissement au plus vite, ils peuvent y rester jusqu’à la fin de la journée. Et continuer à côtoyer leurs camarades – par exemple, manger à la cantine le midi, donc en retirant leur masque. Pas de souci pour le gouvernement : le respect des gestes barrières suffit à assurer la sécurité de tous…

Autre modification, plus de premier test PCR ou antigénique (suivi d’autotests à J + 2 et J + 4) pour les cas contacts : trois autotests suffiront. Ces autotests seront retirables gratuitement en pharmacie sur présentation d’une « attestation de cas contact », censée être délivrée par des établissements déjà submergés par la gestion de la pandémie. Ce changement doit entrer en vigueur à partir de vendredi 14 janvier : faute de précision du gouvernement à ce sujet, on peut donc supposer que, d’ici là, le premier test à faire reste un PCR ou antigénique. Troisième et dernière évolution : au lieu d’une attestation pour chaque autotest à J + 2 et J + 4, à partir de vendredi, les parents n’ont plus à fournir qu’une seule attestation sur l’honneur prouvant que le premier des trois autotests est négatif, pour que leur enfant réintègre sa classe.

Au risque de laisser le virus prendre encore plus ses aises

On voit assez nettement l’objectif principal de ces aménagements : faire disparaître les files d’attente devant les pharmacies, visibles dans tout le pays, qui pour certaines atteignaient cinq heures et faisaient vraiment mauvais genre pendant que le gouvernement affirmait que la situation était « sous contrôle ». L’autre objectif évident est de simplifier la vie des familles, au risque de laisser le virus prendre encore plus ses aises en milieu scolaire. Qui peut garantir en effet que les autotests, outre leur fiabilité intrinsèque moins bonne que celle des PCR, soient correctement réalisés ? Ou que, face aux difficultés d’obtention et de réalisation de ces autotests, certains parents fournissent des attestations sur l’honneur… sans test ? Bref, ce ne sont pas ces aménagements, qui risquent de calmer la colère des personnels de l’éducation avant la journée de grève nationale le jeudi 13.

publié le 10 janvier 2022

Mobilisation. Les oubliés du Ségur de retour dans la rue

Loan Nguyen sur ww.humanite.fr

Personnels de santé, travailleurs sociaux et médico-sociaux exclus du Ségur de la santé défilent partout en France ce mardi à l’appel de la CGT et de SUD pour exiger la reconnaissance de leurs métiers et la revalorisation de leurs salaires.

Dans l’ombre des vagues épidémiques, les travailleurs du lien et du soin continuent de voir leur situation se détériorer. Malgré leur caractère « essentiel » maintes et maintes fois prouvé, les salariés et agents de la santé, du social et du médico-social constatent que l’absence de reconnaissance salariale de leur utilité sociale produit toujours les mêmes effets : sous-effectif, surcharge de travail, dégradation de la qualité de l’accompagnement des publics. Des hospitaliers aux éducateurs spécialisés, en passant par les assistantes sociales et les agents de la protection judiciaire de la jeunesse, les travailleurs de la santé, du social et du médico-social, du public comme du privé, ont décidé de retourner dans la rue aujourd’hui pour exiger une revalorisation de leurs métiers.

Un système, débordé, qui tient par le dévouement de son personnel

Bien que largement insuffisant, le Ségur de la santé avait acté, à l’été 2020, une hausse des salaires des personnels soignants (infirmiers, aides-soignants, cadres de santé), puis des professionnels médico-­techniques et de la rééducation l’été suivant (kinésithérapeutes, manipulateurs radio, ergothérapeutes, orthoptistes, orthophonistes, psychomotriciens ou encore pédicures-­podologues) à hauteur de 183 euros mensuels. Un pansement sur une jambe de bois à l’heure où le système de santé, débordé par l’afflux de patients covidés, ne tenait que par le dévouement de ses personnels. Surtout, ce geste parcimonieux a aggravé les inégalités de traitement et laissé de nombreux travailleurs sur le bord du chemin.

« Comment expliquer que le gouvernement promette 500 euros d’augmentation aux sages-femmes de la fonction publique hospitalière et seulement 72 euros à celles de la fonction publique territoriale ? » soulève Sophie Herlin, membre de la direction de la fédération CGT des services publics. « Quand on fait le même métier, on devrait avoir les mêmes droits », précise-t-elle, rappelant que, pour ce qui concerne les agents de la fonction publique, seul un dégel du point d’indice avec rattrapage des onze dernières années serait une mesure à la hauteur des besoins.

Mais les lésés du Ségur existent aussi à l’hôpital. « Les secrétaires médicales, tout comme les techniciens ou les ouvriers des hôpitaux, se sentent complètement oubliés », témoigne Kahadjija Ibrahim, secrétaire médicale et élue CGT à l’hôpital psychiatrique du Vinatier, à Lyon. Alors que certaines de ses collègues en catégorie C commencent en dessous du Smic et sous un statut précaire de contractuelles, rien n’est fait pour renforcer l’attractivité de ces métiers qui peinent à trouver preneurs. « On est tellement en sous-effectif qu’on doit parfois être remplacées par des infirmières », déplore Kahadjija Ibrahim, qui appelle ses collègues à se mobiliser dans la rue ce mardi.

Face à la colère, le gouvernement reste très flou

En outre, malgré une extension partielle du Ségur, la précarité perdure pour tout un pan de travailleurs sociaux et médico-sociaux qui exigent à leur tour d’obtenir une reconnaissance en termes de salaires et de moyens accordés à leurs établissements et leurs métiers. « Le gouvernement essaie de morceler la population en lâchant un peu à certaines catégories et pas à d’autres », déplore Sophie Herlin, qui précise que la somme de 300 euros d’augmentation fait consensus auprès des personnels mobilisés.

« Il y a de grosses difficultés de recrutement chez les travailleurs sociaux. Du côté des assistants familiaux, qu’on appelle plus communément familles d’accueil, on constate même que beaucoup rendent leur agrément. Habituellement, ce sont des travailleurs qui ne se mobilisent pas beaucoup parce qu’il y a un fort sentiment de culpabilité, mais depuis la précédente journée d’action nationale du 7 d écembre, on sent que ça bouge », estime Sophie Herlin.

Face à la colère qui gronde, le gouvernement, qui se dit conscient des difficultés d’attractivité de ces professions, avait promis l’ouverture d’une conférence des métiers et de l’accompagnement social et médico­-social sous la houlette de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) mi-janvier, avant de la repousser à l’échéance très floue du « premier trimestre 2022 ».

« Il n’y a pas que le Ségur », souligne de son côté Christine Sovrano, formatrice en travail social et responsable CGT à la fédération santé-action sociale. « On fait aussi face à un chantage suite à la mission Laforcade qui consiste à dire : on peut vous augmenter un peu les salaires à condition de fusionner les différentes conventions collectives… et évidemment pas en harmonisant vers le haut ! » précise-t-elle. « On fait aussi face à une déqualification du travail social, avec des employeurs qui font pression pour découper nos métiers en compétences », déplore la syndicaliste. Elle dénonce en outre la tendance des politiques publiques actuelles à renvoyer de plus en plus la responsabilité de l’accompagnement des personnes dépendantes sur des proches aidants ainsi que le développement de logiques d’efficience (tarification à l’acte), avec à la clé une mise en concurrence des établissement


 

 


 

Médico-social. Robin Pruvost : « On n’a pas applaudi les éduc »

Loan Nguyen sur www.humanite.fr

Robin Pruvost cadre dans un institut médico-éducatif à Vénissieux, manifeste pour la reconnaissance des travailleurs du secteur social.

Il est cadre mais syndiqué CGT, chef de service mais resté « éduc » dans l’âme. Après un master en Staps (sciences et techniques des activités sportives) et une première expérience comme éducateur sportif, Robin Pruvost a décidé de se former à nouveau pour se spécialiser dans le travail social afin d’ « essayer de soutenir un peu plus les gens face aux difficultés ». Aujourd’hui, à 37 ans, il est l’équivalent d’un proviseur adjoint à l’institut médico-éducatif (IME) Jean-Jacques-Rousseau, à Vénissieux (métropole de Lyon). « Au bout du bout des Minguettes », précise-t-il.

Dans cette banlieue populaire où les besoins sociaux ont toujours été très forts, l’accompagnement des jeunes en situation de déficience intellectuelle reste un enjeu crucial pour éviter leur marginalisation. « Les gamins arrivent ici quand les dispositifs Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire, dédiées à l’accompagnement des enfants handicapés en milieu ordinaire – NDLR) ne sont plus adaptés ou sont sous-financés, comme au lycée », explique-t-il. « On n’est pas uniquement confrontés à la fatalité du handicap, mais aussi à des problèmes sociaux et des parcours d’immigration chaotiques qui peuvent causer des troubles psy », souligne Robin. Destiné aux jeunes de 12 à 20 ans, son établissement propose du soutien à la scolarisation pour ceux qui suivent un parcours en milieu ordinaire, mais aussi un parcours de formation interne adapté et un internat pour ceux qui présentent des troubles trop importants. Pour les grands adolescents et jeunes majeurs, l’IME prépare au monde du travail à travers un enseignement professionnel adapté. Assurer les passerelles entre milieu ordinaire et institut, tenir l’équilibre entre inclusion et accompagnement : un travail au plus près des jeunes qui demande des moyens et des compétences.

« Nous sommes à flux tendu »

« On n’est pas les plus mal lotis en termes de financements de l’agence régionale de santé, de respect des taux d’encadrement –  par rapport à l’accompagnement des handicapés adultes –, mais on est à flux tendu : dès qu’il y a un ou deux absents, c’est la merde. Les salaires sont tellement bas qu’on a du mal à recruter. Et comme dans les Ehpad, on se retrouve avec des phénomènes de course à la toil ette. Le fait que dans nos établissements, certains comme les orthophonistes aient reçu des augmentations liées au Ségur et d’autres, comme les éduc, rien, ça aggrave les choses », concède-t-il. L’établissement souffre aussi de l’affaiblissement de tout l’écosystème du soin et de l’accompagnement social dans lequel il s’insère. « On manque de créations d’établissements. Comme on doit parfois attendre un an ou deux pour pouvoir orienter certains de nos jeunes adultes en foyer d’accueil médicalisé ou en maison d’accueil ­spécialisé, ça crée des “ bouchons” et notre liste d’attente s’allonge. Tout ce temps où les jeunes ne sont pas accompagnés, c’est la famille qui trinque, souvent des mères seules, parce qu’il faut bien sou vent déscolariser cet enfant et arrêter de travailler pour s’en occuper. »

Farouche opposant à l’importation des logiques managériales du privé dans le médico-­social, Robin défend notamment le droit aux congés des travailleurs ­sociaux et médico-sociaux, qui se ­retrouvent sous le feu des critiques du patronat du secteur, qui espère bien remettre en cause les conventions collectives. « On fait des métiers difficiles, on a besoin de ces repos pour bien faire notre boulot. On devrait même passer à la semaine de 32 heures et mettre en place des retraites anti­cipées », soutient-il. L. N.

publié le 5 janvier 2022

Postiers sans-papiers :
la grève tient, s’élargit et fait bloc

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

 La filiale de La Poste et son sous-traitant Derichebourg disent ne pas les connaître, mais depuis huit semaines plus de 70 travailleurs sans-papiers d’un entrepôt DPD dans l’Essonne tiennent un piquet de grève 24 heures sur 24. Ils ont été imités par une centaine de sans-papiers travaillant pour Chronopost à Alfortville, une autre filiale du groupe La Poste.

 Le 15 novembre, 70 sans-papiers travaillant pour DPD à Coudray-Monceau (91) décidaient de se mettre en grève pour obtenir la fin de la sous-traitance et la délivrance des documents de travail permettant leur régularisation (voir notre reportage). Huit semaines plus tard, ils sont près d’une centaine à se relayer sur le piquet de grève installé aux portes de l’entrepôt de livraison de colis, après avoir été délogés de l’intérieur du site par une décision de justice le 30 novembre. Certains avec des contrats de travail sont formellement en grève, d’autres en mission intérim pour l’entreprise Derichebourg ont arrêté d’accepter des missions pour cette entreprise. Non seulement aucun n’a cessé le mouvement, mais quelques intérimaires sans-papiers supplémentaires ont rejoint la mobilisation en cours de route.

Depuis 50 jours, ils s’organisent avec leurs soutiens pour assurer la logistique de leur présence : des repas, des boissons chaudes et le couchage. Et évidemment, la solidarité financière pour tenir. Le tout ponctué de manifestations et d’actions régulières pour mettre la pression sur leurs différents employeurs (filiale de La Poste et Derichebourg). Depuis le 3 décembre, une centaine d’autres travailleurs sans-papiers tiennent un second piquet de grève à Alfortville (94). Cette fois, devant le site de Chronopost qui avait connu un conflit similaire en 2019. Parmi eux : quelques anciens du conflit précédent qui n’avaient pas été régularisés et dont la situation n’a jamais été réexaminée malgré les promesses de la préfecture. Mais aussi des nouveaux travailleurs sans-papiers, embauchés par diverses agences d’intérim, dont encore et toujours Derichebourg.

 Une détermination sans faille

 « Ils sont tous partis sur la durée », certifie Giorgio Stassi du syndicat SUD-PTT 91 à propos des grévistes de DPD à Coudray-Monceau. « Personne n’envisage un pas en arrière. Comme ils le disent eux-mêmes, à partir du moment où ils sont sortis du bois et que maintenant cela fait un mois et demi, ils n’ont pas le choix. Dès le premier jour, ils avaient en tête l’exemple de Chronopost Alfortville en 2019 qui avait duré 7 mois », explique le syndicaliste. Par conséquent : un conflit potentiellement appelé à durer. Et une lutte qui s’est déjà élargie, avec l’entrée en action des sans-papiers de Chronopost à Alfortville.

« Le lien se fait de plus en plus entre la grève dans le 91 et celle dans le 94. Jeudi matin, nous faisons un rassemblement commun devant le siège de Chronopost à Paris, dans le 14e arrondissement », explique Adrien du syndicat SUD. Dans les deux départements, les postiers sans-papiers réclament la même chose à leurs employeurs : les documents de travail permettant de déposer une demande de régularisation auprès de la préfecture. Et par la suite, ne plus subir la surexploitation permise par leur condition de sans-papiers.

Si une extension du conflit à de nouveaux entrepôts de la région parisienne au sein des filiales de La Poste reste difficile – sans collectif de sans-papiers préalablement organisé localement – le Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine (CTSPV94) sert de liant entre les différents piquets de grève déjà installés. Il permet que la solidarité se développe entre les postiers sans-papiers des différents sites. Et même au-delà. « Lorsqu’il y a une action à Chronopost, ceux de DPD ou de RSI à Gennevilliers [une agence intérim ne travaillant pas avec La PosteNDLR] envoient une délégation », confirme un militant de Solidaires du Val-de-Marne.

 Vers une résolution du conflit ?

 Jusqu’à ce début d’année, les directions de la filiale de La Poste et de Derichebourg n’ont pas répondu aux demandes des grévistes, préférant s’enferrer dans l’affirmation selon laquelle elles ne connaissent pas ces travailleurs. Mais leurs positions évoluent sensiblement en ce début d’année.

Un contrôle de l’inspection du travail sur le site DPD de Coudray-Monceau pendant les fêtes n’y est peut-être pas totalement étranger. En tout cas, après cette visite, l’inspection du travail a proposé une médiation aux représentants des grévistes mardi 4 janvier. Et ce coup-ci, des représentants de DPD et de Derichebourg logistique ont accepté de s’y rendre, reconnaissant implicitement qu’elles étaient concernées par ces travailleurs qu’elles ne « connaissent pas ».

Si la filiale de La Poste s’est drapée dans une indignation de circonstance en se présentant comme victime d’une tromperie, le sous-traitant Derichebourg logistique a fait un pas en avant en se disant ouvert à l’examen des situations de travail, selon un représentant des grévistes. Autre bruissement : la préfecture de l’Essonne a reçu fin décembre une délégation de grévistes du 91 pour évaluer les conditions d’un examen de leurs demandes. Une prise de contact relativement encourageante pour Adrien de SUD-PTT. Et probablement le signe que les lignes bougent un peu pour ces postiers sans-papiers, après sept semaines de conflit.

publié le 17 décembre 2021

Grève à la SNCF :
un train sur deux sur l’axe Sud-Est et
de nombreuses perturbations à venir

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Depuis 2014, les salaires sont gelés à la SNCF. Après d’énièmes négociations annuelles décevantes, la contestation s’est déplacée au niveau local. Alors que la grève sur l’axe Sud-Est, au départ des vacances de Noël, a été annulée de justesse, des conflits locaux subsistent autour de deux revendications principales : l’augmentation des salaires et l’embauche de plus d’agents.

Vendredi 17 décembre, sur l’axe Sud-Est, seul un TGV sur deux devrait circuler malgré le retrait de l’appel à la grève formulé par les syndicats majoritaires. « La levée des préavis [arrive] trop tardivement sur le plan opérationnel pour assurer une remontée de l’offre », commente la direction de la SNCF. Le trafic sur cet axe devrait revenir à la normale dès samedi, toujours selon la SNCF, qui précise : « L’esprit de responsabilité a prévalu pour permettre de revenir le plus rapidement possible au niveau de service attendu par les Français pour ce week-end de grands départs. »

Pour la SNCF, le timing reste terrible puisque ce conflit a eu lieu la veille des vacances de Noël mais aussi à l’heure de l’ouverture à la concurrence sur le réseau intérieur, avec l’arrivée de la compagnie publique de chemin de fer italienne Trenitalia qui lance ses trains à grande vitesse sur la ligne Milan-Turin-Lyon-Paris.

Des primes plutôt qu’une augmentation générale des salaires 

L’Unsa a été la première organisation à retirer son appel à la grève, le mercredi 15 décembre. Auprès de Mediapart, le secrétaire général Didier Mathis a estimé que le syndicat avait « obtenu satisfaction ». C’est-à-dire une majoration de 20 % de la prime de travail pour les chefs de bord sur les quatre derniers mois, soit à peu près un gain de 300 euros ainsi qu’une prime allant de 300 euros pour les contrôleurs et de 600 euros pour les conducteurs. À la demande des syndicats, ces primes ne seront pas défiscalisées. 

À lire aussi KZ Petits salaires et luttes collectives

Le lendemain, la CGT et Sud Rail ont aussi retiré leur appel à la grève, en obtenant deux nouvelles avancées sur l’axe Sud-Est : des emplois supplémentaires et l’assurance que plus aucun contrôleur sur cette ligne ne travaillera seul, ce qui était devenu régulièrement le cas. Une problématique qui ne vaut pour l’ensemble du territoire, à en croire les syndicats.

La direction préfère négocier par médias interposés plutôt que d’organiser une véritable négociation avec l’ensemble des acteurs autour de la table.

Par ailleurs, les deux fédérations sortent insatisfaites de la manière dont a été menée la négociation. Dans un communiqué de presse commun, les syndicats dénoncent « la méthode déployée par la direction, qui préfère négocier par médias interposés plutôt que d’organiser une véritable négociation avec l’ensemble des acteurs autour de la table ». 

La veille, les interminables négociations téléphoniques et autres conférences Zoom étaient parasitées par des sorties médiatiques inattendues de la part de la direction de la SNCF. Le secrétaire général de la CGT Cheminots, contacté tôt le matin, a attendu toute la journée un retour de la part de la direction du groupe avant de se rendre compte, au milieu de l’après-midi, que celle-ci annonçait chez nos confrères que les négociations n’avaient pas abouti. « Des négociations qui n’avaient jamais commencé, souffle Laurent Brun, puisque nous n’avons jamais été recontactés et que la direction a systématiquement refusé le débat. »

Ce jour-là, la direction accepte finalement une réunion par Zoom à partir de 18 heures avec les syndicats, elle dure jusqu’à minuit et se solde par un échec. Ce n’est que le lendemain, le jeudi 16 décembre, que la direction cède sur quelques points, acte la fin du conflit sur l’axe Sud-Est. 

CNews en roue libre

Pendant ce temps, dans les colonnes des journaux libéraux et sur les plateaux de télévision, les commentateurs s’en s’ont donné à cœur joie… Sans jamais se questionner sur les causes de la colère. 

Dans Les Échos, David Barroux signe un édito où il s’inquiète que les syndicats de la SNCF « viennent gâcher les fêtes de fin d’année », pire, ceux qu’il qualifie de « champions de la gréviculture » sont tour à tour des preneurs d’otages ou « une caste engoncée dans ses privilèges ».

Le très médiatique avocat Gilles-William Goldnadel ne s’embarrasse pas d’autant de mots, sur Cnews, et propose directement la suppression du droit de grève : « La France est un des rares pays, en Europe, où dans les services publics, où les syndicats peuvent faire grève ? La source du problème, c’est que nous avons accepté cette forme d’esclavage par rapport à des syndicats qui ne sont même pas représentatifs. » Une affirmation qui laissera pantois jusqu’au peu mesuré présentateur, Pascal Praud.

Et ce n’est pas sans allégresse que le ministre Jean-Baptiste Lemoyne s’est joint au chœur libéral, déclarant sur BFM-TV qu’ « on ne peut pas se satisfaire de la prise d’otages de Français au moment du départ en vacances ». Ceux qui ont connu de réelles prises d’otages - dont le syndicaliste de Sud Rail Bruno Poncet au Bataclan – apprécieront. 

Agacés, les syndicalistes de la SNCF lèvent les yeux au ciel à la mention des insultes habituelles. Eux préfèrent parler service public, conditions de travail et salaires. 

Trains supprimés, primes qui fondent, salaires gelés

Les primes de 300 à 600 euros arrachées par les syndicats après des négociations annuelles infructueuses actant la septième année du gel des salaires à la SNCF, viennent à peine compenser une partie des pertes considérables pour les agents ferroviaires. En effet, depuis la crise sanitaire, des trains ont été supprimés et cela a un impact direct sur le service rendu aux voyageurs mais aussi sur le salaire des cheminots. 

À la SNCF, pour les agents voyageurs, un tiers du salaire est variable : cette part est adaptée selon le nombre de kilomètres parcourus, c’est ce qu’on appelle la prime traction. « La SNCF profite de la crise Covid pour supprimer les trains pas assez rentables pour elles, souffle Bérenger Cernon, secrétaire général de la CGT Gare de Lyon. Et automatiquement, les cheminots se retrouvent, avec une prime moindre. En moyenne, nous avons calculé que depuis le début de la crise, les agents de conduite ont perdu 200 euros sur leur salaire chaque mois, soit une perte moyenne de 20 %. »

Une perte particulièrement mal vécue par les cheminots qui n’ont pas vu leur grille salariale être revalorisée depuis 2014. « La seule augmentation des salaires a été celle accordée aux bas salaires pour ne pas passer en dessous du Smic après sa nouvelle revalorisation automatique », précise encore Bérenger Cernon.  

Une politique de réduction des coûts assumée par la PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, qui dans un entretien au Monde, estime qu’« on ne peut pas être hypergénéreux à la SNCF en ce moment… Je rappelle que la SNCF est en perte à cause de la pandémie : 3 milliards d’euros en 2020. Cette année, ce sera encore entre 1,5 milliard et 2 milliards de pertes. Dans ces conditions, envisager une augmentation salariale n’est pas chose aisée ». 

Des conflits locaux maillent le territoire 

Par ailleurs, le retrait de la grève sur l’axe Sud-Est, bien que fort médiatique, est loin de marquer la fin des conflits entre les cheminots et la SNCF.

Les jours et les semaines qui arrivent, des mouvements de grève devraient continuer à perturber la marche de la société ferroviaire à la gare de Montpellier, dans les gares du Sud-Ouest, des trains en direction d’Occitanie, des TER en Nouvelle-Aquitaine, mais aussi du côté des Transiliens, entre autres. 

Aux deux principaux mots d’ordre sur la revalorisation des salaires et le sous-effectif permanent, d’autres revendications s’ajoutent comme la lutte face aux agressions des contrôleurs de la ligne Intercités Bordeaux-Toulouse, le mouvement contre la fermeture des guichets dans les petites gares ou le refus, de la part des salariés, de la modification de la politique de notation des agents qui, pour l’heure, s’appuie sur l’ancienneté pour les faire évoluer sur la grille salariale. Difficile de dire l’étendue du mouvement, même du côté des fédérations syndicales.

Le fait qu’on n’augmente pas les salaires à la SNCF c’est une chose, mais qu’ils baissent, ça met en colère beaucoup de salariés.

« La direction ne négocie que quand elle est au pied du mur. Et ça fait des mois que ça explose de partout », souffle le secrétaire général de la CGT Cheminots, Laurent Brun, qui n’exclue pas une fédération des conflits et un nouvel appel à la grève nationale bientôt. Pour l’heure, au niveau national, les syndicats n’ont toujours pas obtenu ce qu’ils demandent depuis sept années, une revalorisation générale des salaires. Le syndicat estime que, depuis 2014, les cheminots ont perdu 10 % de pouvoir d’achat.

« Et même sur les primes on n’est pas entendus. À la CGT, on proposait une refonte totale de la prime de traction pour que ce soit moins violent en cas de baisse de charge, reprend le secrétaire général. La direction a refusé en bloc. Quand, il y a deux mois, est né un conflit sur cette question sur l’axe Atlantique, la direction aurait dû s’alerter un peu du niveau de tension parmi ses salariés. Le fait qu’on n’augmente pas les salaires à la SNCF c’est une chose, mais qu’ils baissent, ça met en colère beaucoup de salariés. » Et de prévenir qu’au niveau local, nombre de conflits ne sont pas soldés et que des mouvements de grève se préparent déjà pour janvier.

publié le 15 décembre 2021

L’animation en grève : « Là où l’on se regroupe le plus, c’est dans la précarité »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Ces 14 et 15 décembre, le secteur de l’animation mène une grève nationale à un niveau de mobilisation rarement atteint auparavant. Des rassemblements ont lieu dans toute la France. Alors que les animateurs travaillent auprès de publics et d’employeurs très divers, dans le public autant que dans le privé, tous revendiquent, au niveau national, une même sortie de la précarité. 

 

L’animation ? Un secteur regroupant des salariés travaillant dans le périscolaire, les Ehpad, ou encore les séjours de vacances ; employés par des fédérations associatives, des collectivités, ou encore par l’Éducation nationale… « Là où l’on se regroupe le plus, c’est dans la précarité » résume Dimitri, directeur de structure d’un accueil périscolaire, et membre du collectif France Animation en Lutte. Le recours aux contrats précaires (CDD, vacation dans la fonction publique…) est massif. Sans compter une particularité du secteur : le CEE (contrat d’engagement éducatif), qui prévoit une rémunération journalière minimum de 23,06 euros brut, et l’absence de toute cotisation sociale. Son usage est courant dans les centres de loisirs, les colonies de vacances…  « Dans le secteur, il y a tout un régime de contrats dérogatoires au droit du travail, utilisés parfois de manière détournée », résume Samuel Delor, référent FERC (Fédération de l’éducation de la recherche et de la culture) CGT, dans le Rhône.

La fin de ces contrats précaires, la titularisation et la CDIsation des salariés est une des revendications prioritaires de la grève nationale organisée ce 14 et 15 décembre. Depuis plusieurs mois, les animateurs s’unissent autour de leurs problématiques communes. « 40% des animateurs travaillant dans la fonction publique sont non titulaires. Là où, dans la fonction publique tous secteurs confondus, on est à 20 %. C’est un métier décrié », explique Vincent, salarié du service animation d’une petite ville, syndiqué à la CNT. Dans sa structure, un préavis de grève local a été déposé en même temps que le national, pour demander la fin des contrats précaires. 

L’autre axe de revendication prioritaire est la revalorisation salariale ; et l’amélioration des conditions de travail. « On est les bouche-trous de service. Il y a des gens qui font des heures de ménage et des heures d’animation, sous un même contrat », expose Dimitri. À Toulouse, où il exerce, « on a des contrats de douze à quatorze heures par semaine. Les amplitudes horaires sont énormes, de 7h30 à 18h30, avec plein de coupures – pas assez longues cependant pour avoir un deuxième emploi ». Lui-même, lorsqu’il était animateur, a connu ce système. « J’étais à 27 heures semaine, et j’étais un zombie. Les coupures créent une fatigue autant mentale que physique. En plus, c’est un métier prenant, qui demande d’être à l’écoute… »

« Faire le lien entre les gens isolés »

Une première grève nationale a eu lieu le 19 novembre. Mais elle n’avait été initiée que par une section de la CGT, et concernait surtout le secteur public. La grève du 14 et 15 décembre est portée, cette fois, par une intersyndicale (CGT, Sud, CNT, FSU), ainsi que par le collectif France Animation en Lutte. Elle regroupe à la fois le public et le privé. « On a des villes où 80 % des accueils vont être fermés » relève Samuel Delor. « Maintenant, on aimerait bien que les enseignants bougent avec nous », glisse Dimitri. 

Le collectif France Animation en Lutte joue un rôle central dans la mobilisation du secteur depuis un an. Dimitri a co-créé le collectif Toulouse Animation, il y a près de deux ans. Le collectif national est né ensuite, grâce aux convergences entre ces mouvements locaux. « Ça marchait bien un peu partout, donc on a essayé de faire le lien entre les gens isolés dans les campagnes, ou même dans les villes où les syndicats ne les représentent pas toujours bien », retrace-t-il. Désormais, le collectif France Animation en Lutte, très présent sur les réseaux sociaux, constitue « un espace de convergences qui a beaucoup aidé à construire ce lien intersyndical » selon Samuel Delor.

Jusqu’ici, les salariés de l’animation souffraient d’un manque de représentation. « Aucun syndicat n’est centré sur l’animation, on est noyé dans un tas de métiers », constate Dimitri. La création du collectif national part d’un constat : « on ne savait même pas à qui s’adresser lorsque l’on rencontrait un problème avec son employeur ». Aujourd’hui, ses administrateurs reçoivent de nombreux témoignages, y compris de situations de maltraitance éducative, et travaille avec des syndicats pour tenter d’y répondre.

Une grève pour gagner la reconnaissance du métier de l’animation

Le besoin de formation est prégnant. « On demande des diplômes professionnalisants. Beaucoup de gens ne devraient pas être encadrants » lâche Dimitri. Le directeur de structure est en première ligne sur les recrutements. Dans sa structure comme ailleurs, il devient de plus en plus difficile de trouver des candidats aux postes. « Un animateur vient de me dire qu’il ne continuait pas parce qu’il n’est pas assez bien payé. C’est un contrat à 12h par semaine : je vais galérer à trouver un remplaçant…» témoigne-t-il. Cette année en particulier, « recruter a été compliqué pour tout le monde. À force, les gens ne veulent plus venir. En même temps, pourquoi viendraient-ils ? Ils sont payés 300 euros par mois, ne sont pas valorisés…»

En octobre, la secrétaire d’État à la jeunesse et à l’engagement Sarah El Haïry a proposé d’abaisser le plafond d’âge du BAFA (de 17 à 16 ans), et d’offrir 200 euros d’aide au passage de ce diplôme. Une courte réponse « aux problématiques des employeurs, de main d’oeuvre. Mais pas du tout aux bien-être des salariés », balaie Vincent. Surtout, « cela revient à considérer l’animation comme un job étudiant, et pas comme un vrai métier avec toutes les responsabilités et la professionnalisation qu’il y a derrière », fulmine Samuel Delor. 

 « On a pas envie de faire garderie ! »

Au manque de masse salariale s’ajoute un taux d’encadrement modifié en 2016 dans le périscolaire. Les grévistes souhaitent revenir sur cette réforme. Elle permet le passage d’un animateur pour 14 enfants de moins de six ans (au lieu d’un pour 10), et d’un animateur pour 18 enfants de plus de six ans (au lieu d’un pour 14), dans le cadre d’un projet éducatif territorial (PEdT).

« On a pas envie de faire garderie ! » fustige Dimitri. Et encore, il s’agit d’un minimum légal. Dans les faits, vu la précarité des contrats, « les gens ne restent jamais, et il y a beaucoup d’absents. 60 à 70% du temps, on est à plus d’un pour 18 si un PEdt est appliqué ». D’autant que « régulièrement, dans les structures, ils comptent du personnel qui ne font pas de l’animation dans le taux d’encadrement », dénonce Samuel Delor. Par exemple, des agents de la mairie présents ponctuellement. « L’idée, c’est qu’il y a tant d’adultes dans la structure, donc ça fait office d’encadrement… C’est dangereux pour les gamins, et méprisant pour les salariés. »

La question de fond est celle des financements publics. « Dans le public comme le privé, les budgets de fonctionnement ne couvrent pas ce qu’il faudrait comme masse salariale », synthétise le syndicaliste de la CGT. Du côté des employeurs privés, la logique de concurrence domine de plus en plus. « Celle-ci n’est possible que parce qu’il n’y a pas de budgets publics suffisants », rappelle Samuel Delor. Les délégations de service public se font en direction des fédérations les plus installées du secteur, comme Léo Lagrange, « qui sont les moins-disantes au niveau social », souligne-t-il.

 Au-delà de la grève nationale de l’animation, la nécessité d’un rapport de forces local

 Le fait que le secteur se mobilise fortement depuis un an, et en particulier ces derniers mois, s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le contexte sanitaire. « Nos protocoles sont basés sur l’Éducation nationale. Sauf que nous, pendant quinze jours à la rentrée, on avait pas reçu nos protocoles », souligne Vincent. Du côté des animateurs employés par les collectivités, il y a aussi la réforme des 1607 heures. « Notre travail nous permettait d’avoir des dérogations, en raison de nos horaires décalées, des grandes amplitudes horaires… La mobilisation a aussi pris de l’ampleur là-dessus ». En somme, l’état du secteur est celui d’un « ras-le-bol général », observe l’animateur. 

Mais les freins à la mobilisation demeurent nombreux. Il s’agit d’un secteur précaire, en majorité occupé par des femmes. La diversité des publics et des employeurs, du public au privé, multiplie les différences de situations professionnelles. Enfin, les animateurs sont très peu syndiqués : « moins de 0,5 % le sont », rappelle Samuel Delor. « Mais on progresse, de jour en jour. La difficulté, c’est que l’on a des trous dans la raquette. Des endroits où il n’y a pas de cadre syndical pour aider ceux qui se mobilisent, organiser la colère…» Partout, croit-il, il y a pourtant un fort potentiel. « C’est un milieu sensible à l’éducation populaire, plein de ressources, y compris dans l’organisation collective » conclut-il.

Si la mobilisation de ces 14 et 15 décembre porte ses fruits, et que le gouvernement avance de nouvelles propositions, le chemin restera encore long. « Localement, ça ne pourra que s’imposer au cas par cas », rappelle Vincent – en négociant à chaque fois avec les municipalités, les fédérations d’employeurs… En complément des revendications nationales communes, « il faut absolument un rapport de forces sur le terrain ».

publié le 6 décembre 2021

Les municipaux montpelliérains choqués et mobilisés après les agressions dans les écoles

https://lepoing.net/

Les faits de violence survenus la semaine dernière ont marqué des communautés professionnelles déjà écœurées par la réforme de leur temps de travail.

A 10 heures ce lundi matin sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Montpellier, Julie et Marie sont les deux premières agentes municipales qu’on croise pour le rassemblement qui est convoqué à cet endroit. Ce sont toutes les deux des ATSEM, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles. Une grande majorité des établissements scolaires et crèches de la ville a été affectée par la journée de débrayage à l’appel des syndicats UNSA, FO et CGT des territoriaux. Le personnel municipal périscolaire, tout particulièrement les ATSEM, a adhéré à une action en solidarité aux victimes des deux agressions récemment survenues à l’intérieur même de deux établissements de la ville, à La Martelle et La Croix d’Argent.

C’est bien pour ça que Julie et Marie ont effectué le déplacement jusque devant la mairie. Mais aussi parce que « nous devons travailler plus pour ne pas gagner plus ». Cela découle d’une réforme nationale qui a aligné le temps de travail de ces territoriaux sur celui des autres fonctionnaires. « A Montpellier, Mickaël Delafosse explique qu’il n’y est pour rien, contraint d’appliquer cette règle nationale. Mais il fait partie de l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo. Laquelle, en tant que maire de Paris, a refusé de mettre cette règle en application ! » relèvent Julie et Marie, l’ironie amère.

Leur temps de travail s’en trouve rallongé de soixante-dix heures dans l’année – deux semaines complètes, tout de même. Mais c’est surtout la manière dont la chose s’applique, qui les accable : « On nous a rajouté le suivi des enfants en fin de journée, dans l’attente des familles qui viennent les récupérer. Auparavant, cela était confié à des animateurs. Pour nous, cette tâche supplémentaire vient au bout d’une journée de dix heures de présence avec les enfants, quand déjà on n’en peut plus ».

D’où le sentiment de « ne pas être écoutées, d’être méprisées ». Plus globalement, « même les parents n’ont pas idée de ce qu’est notre métier ». Les ATSEM, en général des femmes, font-elles aussi partie des invisibles, essentielles pour faire tourner le système, mais aussi des moins valorisées : « Dès 7h40 nous sommes là pour accueillir les enfants que nous confient les familles. Puis nous restons présentes et actives au côté des enseignants pendant tout le temps pédagogique, nous animons des ateliers, nous accompagnons et aidons les enfants aux toilettes, ou pour se rhabiller, etc. Puis il y a le temps de cantines, qui sont de plus en plus fréquentées avec l’effort municipal sur les tarifs, et les parents de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir reprendre les enfants. Ça continue l’après-midi, avec les siestes, l’endormissement, le pliage des literies, puis la relance du temps pédagogique, les ateliers, pour un service total d’une durée de dix heures. Et donc  à la fin on nous demande à présent de reprendre les enfants en charge avant le retour des familles, alors que cela était confié à des animateurs vacataires jusque-là ».

C’est dans ce contexte que les agressions récentes ont été perçues comme « le signe d’une dégradation générale très grave, puisque ça s’est produit à l’intérieur même des écoles, devant les enfants, alors que cet espace semblait encore protégé » s’insurge Julie. Par ailleurs gilet jaune (et plusieurs du Prés d’Arènes sont venus en solidarité), elle ne croit guère que le contrôle des pièces d’identité à l’entrée des écoles soit une solution – c’est celle que nous laissait envisager un syndicaliste. Il pourrait encore s’agir d’occasions supplémentaires de montées de tension. Elle évoque plutôt des notions de « disponibilité, de vigilance, d’écoute plus attentive ».

Plus globalement, « c’est tout un service, des équipes, un état d’esprit, un contexte de travail, qui sont fragilisés ». Une Atsem d’une autre école indique : « Nous sommes théoriquement sept en poste. Mais avec les absences, nous tournons à quatre, pour nous occuper du même nombre d’enfants ». Selon les sources au sein même des responsables municipaux, l’absentéisme a explosé, porté à 30 % ou 40 %, notamment avec le nouveau système mis en place. Les congés maladies, les burn-out ont enflé, quand les stress de la période du COVID, ou les mises à l’écart des agent.es les plus vulnérables à la contamination, avaient déjà clairsemé les rangs d’un personnel, qui par ailleurs gagne en âge.

Victimes collatérales : les animateurs vacataires, avec des postes de très courte durée, depuis que la séquence de fin d’après-midi leur a été retirée et reversée aux ATSEM. Rémunération peu attractive, manque de formation, horaire ultra-morcelé : la mairie peine à recruter des étudiants, sur des jobs dont ils ont pourtant cruellement besoin eux-les mêmes. Mais l’évolution générale rend plus attirant d’aller vendre de la malbouffe à d’autres jeunes pour des enseignes multinationales de la fast-food, que s’occuper intelligemment d’enfants en plein éveil. « Dans les écoles, ces effectifs d’animateurs connaissent une rotation de renouvellement incessant » et « c’est encore un autre facteur de fragilisation des équipes » relève Fabien Molina, syndicaliste de l’UNSA.

Les tristes événements de La Martelle et La Croix d’Argent pourraient se comprendre comme purement « sécuritaires ». Mais ils révèlent surtout une dégradation générale des conditions de la vie sociale. Soit une retombée des politiques ultra-libérales, cogérées par la social-démocratie en poste à Montpellier. Ne suffisent pas à les résoudre, les shows sécuritaires à bord de postes de police mobile, dans les quartiers coupables d’être trop basanés

publié le 3 décembre 2021

Mobilisation générale :
ce samedi, l’union fait la force
pour sauver l’hôpital public

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Alors que les annonces de fermetures de services et de lits se multiplient, dégradant toujours plus la prise en charge des patients, 80 syndicats, associations et collectifs d’usagers appellent à se mobiliser ce samedi à travers la France.

L’hôpital public se désintègre. » Ce samedi, plus de 80 associations, syndicats et collectifs appellent à manifester partout en France avant qu’il ne soit trop tard. Alors que la cinquième vague de Covid commence à déferler sur le pays, pas un jour ne passe sans que ne soit annoncée la fermeture d’un service d’urgences. En matière de dégradation de la qualité des soins, tous les indicateurs sont au-delà du rouge. Même le président de la commission médicale d’établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Rémi Salomon, n’a pas mâché ses mots le 12 novembre : « On est dans une situation où, dans quelques mois, on peut avoir un effondrement de l’hôpital. »

En début de semaine, l’intersyndicale CGT et FO de l’AP-HP faisait ainsi état d’un nombre de disparitions de lits impressionnant : seuls 9 lits sont disponibles à l’hôpital Bichat en neurologie, contre 22 avant le Covid, un service de 18 lits est fermé à Avicenne, à Bobigny, depuis juin…

Les syndicats relatent aussi ce week-end du 16 octobre où 27 personnes âgées étaient sur des brancards dans les couloirs par manque de lits d’aval aux urgences de Bicêtre. Comme le souligne Stéphane Dauger, chef de la réanimation pédiatrique à Robert-Debré : « La situation est aussi très tendue dans les services de pédiatrie en Île-de-France. Nous craignons un nouveau pic d’épidémie de bronchiolite d’ici quinze jours. Nous faisons aussi partie des spécialités maltraitées, comme la psychiatrie. »

Une bataille qui ne pourra pas être gagnée sans les usagers

Partout, la même inquiétude domine. Initiée par les collectifs de défense des hôpitaux de Nord-Mayenne et des hôpitaux Bichat et Beaujon (à Paris et à Clichy), cette journée de mobilisation a fait boule de neige dans le pays. Car cette bataille pour l’accès aux soins ne pourra être gagnée sans l’appui des premières victimes de cette rationalisation extrême de l’hôpital : les usagers. Comme le remarque Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé : « Il y a en ce moment une prise de conscience plus forte de la nécessité d’une convergence. La pandémie n’a fait que renforcer la crise du système. Les difficultés sont déjà énormes avant même la cinquième vague. Le gouvernement doit se décider à prendre la question à bras-le-corps en revoyant à la hausse le projet de loi de finances de la Sécurité sociale 2022. »

Alors que la santé figure parmi les priorités des Français en cette année présidentielle, les défenseurs d’un hôpital public socle du système sanitaire espèrent être entendus. Ils et elles témoignent dans nos colonnes.


 


 

Covid-19. L’urgence de libérer les vaccins du carcan des brevets

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

À Paris, comme dans le monde entier, les collectifs se mobilisent pour soutenir la dérogation temporaire proposée par l’Inde et l’Afrique du Sud.

Devant les grilles du palais de la Bourse, à Paris, mardi soir, leurs flammes sont vite soufflées par la bise. Mais les bougies tracent au sol un message, plus pressant encore depuis l’emballement autour du variant Omicron du nouveau coronavirus : « Levez les brevets ! » Animatrice de longue date des luttes pour les hôpitaux de proximité, Françoise Nay, porte-parole du collectif français Brevets sur les vaccins anti-­Covid, stop ! Réquisition !, explique le symbole de ces bougies devant une centaine de participants et en présence de Fabien Roussel, candidat PCF à la présidentielle, de la sénatrice communiste Laurence Cohen, des députés insoumis Éric Coquerel et Adrien Quatennens. « Elles représentent les 10 000 morts par jour provoquées par la pandémie, souligne-t-elle. Ces 10 000 morts que l’on aurait pu éviter si on avait levé les brevets sur les vaccins et les traitements contre le Covid-19 il y a un an, si la France et l’Union européenne ne s’étaient pas arc-boutées contre la proposition en ce sens de l’Inde et de l’Afrique du Sud à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). »

Mainmise mortifère des multinationales

Programmé au départ à l’occasion d’une conférence ministérielle de l’OMC à Genève (Suisse), qui s’annonçait décisive mais qui a été annulée à la dernière minute au prétexte du variant Omicron, le rassemblement parisien s’inscrit dans une mobilisation mondiale, de l’Indonésie aux États-Unis en passant par la plupart des capitales européennes, pour défaire la mainmise mortifère des multinationales pharmaceutiques sur les vaccins. « En réalité, il y a toutes les raisons de remettre en cause le système, lance Jérôme Martin, de l’Observatoire de la transparence sur les politiques du médicament (OTMeds). Les brevets sont censés récompenser la recherche et le développement, et tout a déjà été payé quatre fois par le secteur public, avec les subventions directes et les aides à la recherche, le remboursement par l’assurance-maladie, l’optimisation fiscale gigantesque des multinationales et par le transfert aux États des responsabilités en cas d’incident sanitaire. »

Le fruit de « vingt ans de recherches publiques »

Évidemment, avec la démonstration catastrophique offerte par l’émergence de nouveaux variants qui paraissent plus dangereux les uns que les autres, la revendication d’une appropriation publique des vaccins et des médicaments fait son chemin. Initiateur d’une pétition de médecins et de chercheurs demandant la levée des brevets, Richard Benarous dénonce le scandale de ces groupes privés qui s’approprient jusqu’au décryptage de la séquence génétique du virus. « Les Chinois n’ont rien breveté, et les vaccins sont issus de vingt ans de recherches publiques, mais tout est laissé jusqu’ici aux mains du privé, même si Moderna vient d’être obligé de partager la copropriété du brevet avec l’agence publique américaine », explique-t-il.

Au nom de l’initiative citoyenne européenne Pas de profit sur la pandémie, qui vise à récolter un million de signatures pour contraindre Bruxelles à changer sa position, Fabien Cohen appelle à placer les vaccins et des traitements « en production publique » afin d’en faire « des biens communs ». Sur ce point, Thierry Bodin, au nom de la CGT Sanofi, ajoute une proposition pratique : « Puisque Sanofi dispose d’un vaccin à ARN messager mais considère qu’à cause de son retard dans la course, il ne sera pas assez rentable, eh bien, il faut en libérer la propriété intellectuelle et permettre aux pays qui le veulent d’en organiser la production ».


 


 


 

Mobilisation des retraités. « Il est temps que le gouvernement cesse de nous prendre pour des nantis »

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

À l’appel de neuf organisations, 25 000 retraités ont défilé dans la capitale, ce jeudi. À l’unisson, les manifestants ont réclamé l’augmentation des pensions, mais aussi la protection de la Sécurité sociale et des services publics.

Sur le boulevard Raspail, à Paris, les manifestants ont profité que l’averse s’arrête pour s’élancer. Dans le cortège, les bourrasques font claquer les centaines de drapeaux brandis aux passants de la capitale. Le rythme est calme, mais les manifestants savent donner de la voix. « C’est pas parce qu’on est vieux qu’on doit être miséreux ! », lance au mégaphone une manifestante, des enceintes crachant les derniers tubes à ses côtés. Ce mercredi, des milliers de retraités, venus des quatre coins de la France, se sont rejoints à Paris. À l’appel de neuf syndicats et associations, dont la CGT, FO, Solidaires, la FSU et la CFE-CGC, ceux-ci ont appelé d’une seule voix le gouvernement à les écouter enfin. « Nous avons voulu montrer notre colère et notre inquiétude de ne pas pouvoir vivre dignement. Avec l’inflation qu’on connaît, l’augmentation du prix du gaz, de l’électricité, des produits de première nécessité, c’est de plus en plus dur pour un certain nombre d’entre nous de boucler les fins de mois », lance Marc Bastide, secrétaire général de l’UCR-CGT.

Un pouvoir d’achat en forte chute

La première des revendications des personnes mobilisées est la revalorisation des pensions, dont les augmentations trop sporadiques peinent à suivre l’inflation et creusent l’écart avec les salaires. Selon les estimations des neuf organisateurs, les retraités ont perdu jusqu’à 12 % de pouvoir d’achat depuis 2014. « C’est vrai que ça pèse beaucoup sur notre pouvoir d’achat. On a appris à faire attention à notre train de vie », témoigne Martine, ancienne salariée d’EDF vivant dans le Loiret. Quelques mètres derrière elle, chasuble FO sur le dos, Armelle s’énerve. « Depuis que je suis à la retraite, en 2014, ma pension n’a jamais augmenté, elle plafonne à 1 500 euros. Il faut que nos retraites soient débloquées », raconte l’ancienne employée de l’éducation nationale venue de Loire-Atlantique. Sur les pancartes brandies dans le cortège, la revendication des manifestants s’expose clairement : une retraite à 1 800 euros minimum pour tous.

Quels que soient les syndicats ou associations dont les manifestants se revendiquent, tous n’ont qu’un seul mot à la bouche : le mépris. Dépourvus d’un secrétariat national ou d’un ministère pour faire entendre leurs griefs, les retraités ont l’impression d’être constamment confrontés à un mur. « Le gouvernement est resté sourd d’une oreille et malentendant de l’autre. Pourtant, les retraités n’ont rien volé, nous avons travaillé toute notre vie », martèle Marc Bastide.

Premières victimes de la régression des services publics

« Les retraités jouent également un rôle très important dans la société : ils font tourner bénévolement des associations, ils sont maires et élus municipaux, ils deviennent directeurs de centre aéré… Il est temps que le gouvernement cesse de nous considérer comme des nantis », surenchérit Jean Salagnac, secrétaire de l’union départementale des retraités FO de la Nièvre, drapeau fièrement posé sur son épaule . « On défile aussi pour la défense des services publics, puisque les personnes âgées sont les premières victimes de leur disparition, notamment dans les campagnes », ajoute Roland Lebeau, militant FSU et ancien instituteur du Puy-de-Dôme. En route jusqu’à l’hôtel des Invalides, les manifestants espèrent, par leur nombre et leur unité, attirer une bonne fois pour toutes l’attention du gouvernement. Le dernier rassemblement parisien du 31 mars s’était terminé devant le ministère de la Santé, sans qu’aucun représentant ne soit reçu par l’exécutif.

publié le 3 décembre 2021

Élie Domota : « L’État a la volonté manifeste de laisser la Guadeloupe dans un marasme »

Christophe Gueugneau sur www.mediapart.fr

Le porte-parole du LKP (« Collectif contre l’exploitation ») est en première ligne de la mobilisation sociale qui agite l’île depuis deux semaines. Contrairement à ce qu’affirme l’exécutif, il estime que l’État est bien concerné par toutes les demandes du collectif.


 

Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).– Porte-parole du LKP, Liyannaj Kont Pwofitasyon (« Collectif contre l’exploitation »), syndicaliste de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe dont il a été secrétaire général, figure du mouvement de grève de 2009, Élie Domota est encore aujourd’hui au cœur de la mobilisation en Guadeloupe.  

Nous l’avons rencontré mercredi 1er décembre à Pointe-à-Pitre, peu après la visite du ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, et à la veille de l’ouverture de négociations avec les élus de l’île.

Selon Le Figaro, Emmanuel Macron valide le débat sur l’autonomie lancé par son ministre des outre-mer Sébastien Lecornu. Qu’en pensez-vous ?

Élie Domota : C’est très curieux car cela ne fait pas partie de la plateforme de revendications. Au lieu de répondre à nos demandes, on ouvre un nouveau chantier sur l’autonomie. Je crois qu’Emmanuel Macron et son gouvernement sont en train de profiter de l’occasion pour respecter la directive européenne selon laquelle tous les pays de l’UE aient des instances régionalisées, un peu à l’image de l’Allemagne avec les Länder ou bien l’Espagne avec les provinces qui sont autonomes.

Donc Emmanuel Macron est en train d’utiliser le combat de la jeunesse guadeloupéenne pour faire passer ses propres revendications tout en ne répondant pas aux nôtres. Et ça, ce n’est pas normal.

Vous nous dites qu’avoir plus d’autonomie n’est pas une demande ?

Pour l’heure, ce n’est pas la question posée. La question des conventions collectives qui ne sont pas appliquées, la question de l’eau qui n’arrive pas au robinet ou qui est empoisonnée au chlordécone, la question de la jeunesse avec 60 % des moins de 25 ans qui est au chômage : en quoi, aujourd’hui, ouvrir le débat sur l’autonomie peut régler ces problèmes-là ?

Le moment venu on pourra parler de tout ce qu’on veut mais, aujourd’hui, la question cruciale, ce sont les personnes qui sont suspendues – il y en a aujourd’hui près de 3 000 dans une île de 380 000 habitants –, ce sont les 250 cabinets libéraux qui ont été fermés. Cela cause un problème de santé publique. Voilà ce à quoi il faut répondre.

Comment analysez-vous la visite éclair de Sébastien Lecornu ?

Éclair, c’est bien le mot ! Je crois qu’il ne s’est jamais intéressé à l’outre-mer, qu’il ne la connaît pas, et d’ailleurs, je n’oublierai jamais lorsqu’on l’a interviewé sur le taux de vaccination en Guadeloupe, il a répondu qu’il pouvait l’expliquer grosso modo par des croyances culturelles. Ce sont des propos teintés de mépris et de racisme.

Il est venu ici en petit Zorro et comme il n’a jamais voulu négocier quoi que ce soit, il repart sans avoir compris ce qui se passe ici. Et sa seule réponse a été d’envoyer des gendarmes. Or ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait baisser la fièvre.

On ne cessera jamais de le répéter : quand vous avez 80 % de la population au 16 juillet qui n’est pas vaccinée, au lieu de les mépriser, au lieu de les forcer à se faire vacciner, au lieu de les vilipender, on s’assoit autour d’une table et on trouve les voies et les moyens pour avancer. Ça n’a jamais été le cas. Paris a décidé, Paris a toujours raison donc nous devons appliquer. Et sur ça viennent se greffer des problèmes liés à l’eau, à l’alimentation, à l’emploi, à la formation, etc. qui ne sont pas réglés depuis des dizaines d’années.

L’autre jour, j’entendais M. Lecornu qui se cache derrière ses 35 ans pour dire qu’il n’était pas là avant. Je suis désolé, la France est ici depuis 1635, s’il ne connait pas l’histoire de France ici, et bien qu’il aille se documenter.

Que s’est-il passé entre la crise de 2009, celle contre la « profitation », et aujourd’hui ? 

Il y a des accords clés qui n’ont jamais été respectés. L’accord pour la création d’un syndicat unique de l’eau pour la production et la distribution n’a jamais été respecté, ni par l’État ni par les élus guadeloupéens. La question de la jeunesse, à travers le plan de formation et d’insertion qui n’a jamais vu le jour alors qu’il a été signé et validé par l’État et les collectivités.

En fin de compte, tous les grands chantiers que nous avions négociés avec l’État, avec les collectivités, qui concernaient l’agriculture, le transport, la santé, l’encadrement des prix de première nécessité, ces grands chantiers n’ont jamais été respectés.

Cela veut dire qu’il y a au plus haut niveau de l’État, avec une complicité de la bourgeoisie guadeloupéenne, la volonté manifeste de laisser la Guadeloupe dans un marasme économique, social et sanitaire aujourd’hui. Une volonté de nous laisser dans cette situation de sous-développement et de dépendance économique, sanitaire, sociale et psychologique pour finir par nous faire croire que rien n’est possible en dehors du carcan colonial français.

Des discussions pourraient s’ouvrir dans les heures à venir avec les élus, quel est votre état d’esprit ?

Pour la première fois en quatre mois, les élus ont pris contact avec nous, ce que l’État n’a jamais fait. Car il faut dire la vérité, on avait donné l’ordre à tous les niveaux de ne pas nous adresser la parole. Aujourd’hui que nous sommes descendus dans la rue, il y a une ouverture.

Nous allons rencontrer les élus mais nous allons leur signifier que, contrairement à ce que dit M. Lecornu, la totalité des points de la plateforme concerne l’État également.

La paix sociale ne peut pas exister dans un pays où vous avez 60 % des moins de 25 ans qui sont au chômage.

Quand on parle d’insertion des jeunes, on ne parle pas uniquement de mesures à appliquer, ni de formation professionnelle sous la compétence de la région, on parle de politique publique, de création de mesures adaptées, des choses qui concernent directement l’État. Quand on parle d’application des conventions collectives et de la négociation collective en branches, cela concerne l’État, cela ne concerne pas simplement les organisations patronales et syndicales.

L’État a sa place et c’est pour cette raison que nous avons répété à plusieurs reprises au président Ary Chalus, du conseil régional, qu’il faut absolument qu’il y ait, en plus des élus locaux, une mission interministérielle capable de débattre et de répondre aux problématiques posées. Et pas des fonctionnaires locaux qui viendraient nous écouter comme s’ils n’étaient pas concernés. Autrement, cela repartira de plus belle. 

Qui tient les rênes aujourd’hui en Guadeloupe ?

Comme toujours ! La Guadeloupe est construite sur une hiérarchie en fonction de la couleur de peau et de la catégorie sociale. Depuis toujours, c’est la classe béké qui tient l’économie, notamment le tertiaire, et qui est largement soutenue par l’État. Il n’y a qu’à écouter la fameuse interview d’Yves Jégo [secrétaire d’État chargé de l’outre-mer (2008-2009) – ndlr] quand il a été viré pour voir comment ça s’est passé. 

Nous sommes toujours dans un système de rente où la France et les békés se mettent d’accord pour que la société guadeloupéenne soit forgée de cette façon-là. C’est bien pour cela qu’il y a de plus en plus de mécontentements. Les gens en ont marre de se faire dépouiller, de se faire mépriser.

La paix sociale ne peut pas exister dans un pays où vous avez 60 % des moins de 25 ans qui sont au chômage. Nulle part ailleurs, ça ne peut exister. Il est normal aujourd’hui que la jeunesse crie, et c’est une chance pour notre pays d’avoir cette jeunesse. Il est intolérable qu’on lui demande de se calmer.

M. Lecornu propose 1 000 emplois aidés. Ce sont quoi ces emplois ? 20 heures par semaine, un temps partiel, payé au Smic. On fait quoi aujourd’hui avec ça, en Guadeloupe ?

Vous avez en Guadeloupe quasiment 50 % de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté quand on applique le seuil de taux de pauvreté de la France, car en France, c’est 1 020 euros alors qu’en Guadeloupe c’est 700 euros… Une différence que j’aimerais bien comprendre…

Contrairement à ce qu’a dit M. Darmanin hier, le problème de l’eau n’est pas non plus réglé. Il y a encore aujourd’hui 70 % de pertes et ce n’est pas avec les 30 millions mis par l’État qu’on va avoir un réseau de distribution fonctionnel.

Sur ce dossier de l’eau, l’État doit s’engager sur un montant au moins à hauteur de 1,5 milliard d’euros, comme il était prévu en 2009 lors des accords LKP. Aujourd’hui, en Guadeloupe, 90 % du système d’assainissement est hors norme, c’est un problème de santé publique. C’est un droit fondamental, l’eau, cela relève bien de l’État.

Donc l’État doit prendre toute sa part dans la négociation, sinon ça débouchera sur rien du tout.

En l’absence de l’État, le conflit est donc parti pour durer...

Je crois que les élus l’ont bien compris.

Je le redis sur l’eau, dès lors que l’on parle de santé publique, de droits humains, on n’est plus dans le champ de compétence des collectivités, on est au niveau de l’État central donc l’État doit l’entendre !

Une colonie n’a pas vocation à se développer pour elle-même, mais pour les intérêts de la métropole

Je prends un autre exemple : les conventions collectives. En Guadeloupe, aujourd’hui, le patronat a pris la manie de ne pas négocier par branches professionnelles, alors que c’est une obligation légale. Conclusion : l’ensemble des conventions collectives disparaissent car lorsqu’elles ne sont pas utilisées pendant plusieurs années, la direction générale du travail peut décider de les effacer.

Nous avons interpellé préfet, ministres, direction générale du travail, on ne nous a pas répondu. Tout le monde laisse faire. On attend donc sur ce dossier que l’État réhabilite toutes les conventions collectives supprimées, et que les entreprises qui refusent la négociation collective ne bénéficient plus de subventions voire ne participent plus aux instances représentatives.

Dans son communiqué en Guadeloupe, Sébastien Lecornu dit que « la loi de la République doit s’appliquer partout en France, y compris dans le département de la Guadeloupe ». Sur les barrages, on m’a fait remarquer qu’il y a beaucoup de lois qui ne s’appliquent pas en Guadeloupe…

La Guadeloupe est une colonie. Or une colonie n’a pas vocation à se développer pour elle-même, mais elle a vocation à se développer pour les intérêts de la métropole. Il ne faut jamais l’oublier. Donc tout ce qui se fait ici n’est pas fait pour nous, mais principalement pour nourrir les intérêts de la France.

Lecornu, il n’en a rien à faire qu’il n’y ait pas d’eau ou qu’il manque des places à l’hôpital, c’est à 8 000 kilomètres de Paris. La seule chose qui l’intéresse, c’est que lorsque les métropolitains ont envie de venir en vacances, les plages soient propres et les hôtels soient prêts. Le reste, il s’en fout.

Il ne faut pas oublier que, grâce à la Guadeloupe et aux autres colonies, la France est la deuxième puissance maritime au monde, avec une zone exclusive extraordinaire. Donc, stratégiquement, on aime la Guadeloupe mais les Guadeloupéens, on s’en fout. C’est la stricte réalité.

publié le 2 décembre 2021

Une gestion désastreuse des conflits

par Denis Sieffert sur www.politis.fr

La question de l’autonomie des Antilles mérite mieux que d’apparaître comme une manœuvre politique. Encore faudra-t-il, le moment venu, en fixer le contenu pour qu’elle ne soit pas le piège qu’elle peut être quand les intentions sont mauvaises.

Le gouvernement fait parfois preuve d’une incroyable légèreté. Deux crises l’ont montré ces derniers jours. Quelle idée par exemple d’exclure la secrétaire d’État britannique à l’Intérieur d’une réunion dont l’objet était précisément le conflit avec le Royaume-Uni sur le sort des migrants ! Certes, Boris Johnson est un grossier personnage qui a rendu public un courrier à Emmanuel Macron avant qu’il parvienne à son destinataire, mais il s’agit de savoir si l’important est la goujaterie du Premier ministre britannique ou la vie des migrants. La réaction française se situe dans cette affaire en deçà de toute politique. De même, cette façon du ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, de sortir de sa boîte à malice la question de l’autonomie alors que la Guadeloupe et la Martinique sont à feu et à sang. C’est un peu, alors que la maison brûle, appeler l’architecte plutôt que les pompiers. Dans ces deux crises, on a l’impression que l’on a du mal, en haut lieu, à se pénétrer de la gravité et de l’urgence des situations, et que l’on est surtout soucieux de sauver les apparences, au lieu de parer au plus pressé. La réponse à Calais doit d’abord être humanitaire. Accueillir et protéger. Avant de montrer nos muscles au petit Trump d’outre-Manche, il faut sauver des vies. Aux Antilles, avant de songer au statut, il faut éteindre l’incendie, au propre comme au figuré, et cela passe par des mesures immédiates de pouvoir d’achat qui auraient pu évidemment être anticipées. Car la situation est connue.

En 2009, les mêmes causes avaient déjà produit les mêmes effets de mobilisation et de colère. À cette différence près que le mouvement avait emprunté les chemins balisés de la grève générale. Des sondages avaient à l’époque attesté d’un soutien massif de la population. Jusqu’à 93 %. Et des avancées substantielles avaient été obtenues. C’est loin d’être le cas aujourd’hui. Le mouvement s’est ancré dans une revendication antivax difficilement défendable. Et moins encore dans un département où la vaccination est très en retard. Mais, comme souvent de nos jours, une revendication en cache une autre. Pour cette raison même, le mouvement reste minoritaire et violent, au point de dresser contre lui une grande partie de la population, empêchée dans ses gestes quotidiens, quand ce n’est pas rançonnée sur des barrages. Le grand tort du gouvernement est de vouloir jouer sur ces contradictions, au lieu d’aller à l’essentiel, et de répondre fortement à la question sociale. C’est le contexte obstinément colonial qui est oublié. Si la mobilisation d’une partie de la jeunesse a pris cette forme et tient ce discours auquel on ne peut adhérer, il y a des raisons bien connues que rappelait la semaine dernière Patrick Piro. Elles tiennent en un mot : défiance. Si le vaccin fait peur, c’est que les Guadeloupéens et les Martiniquais n’ont pas oublié l’affaire du chlordécone du début des années 1990, cet insecticide autorisé dans les bananeraies alors qu’il était interdit en métropole. Aujourd’hui, il tue encore. Et les cancers qu’il provoque ne sont toujours pas reconnus officiellement comme maladie professionnelle. Plus généralement, le seul fait que l’ordre vaccinal vienne de Paris suffit à produire un rejet. L’inégalité de considération, voilà bien la pire survivance du mépris colonial ! À sa légèreté initiale, Sébastien Lecornu a ajouté, dès son arrivée à Pointe-à-Pitre, une insigne maladresse qu’il tente de faire passer pour de la « fermeté ». Les syndicalistes n’allaient évidemment pas commencer par condamner, comme le ministre l’exigeait, les violences des jeunes manifestants.

C’est peu connaître le mouvement syndical, et les solidarités qui sont à l’œuvre en terres insulaires ; ou ne pas vouloir aller au fond des problèmes. Résultat, la rupture a été consommée en moins de dix minutes. Légèreté, encore et toujours. Au lieu de ça, on dépêche sur l’île des unités de gendarmes mobiles. Comme si le gouvernement n’avait rien appris de la fronde des gilets jaunes. Quand valorise-t-il les négociations avec les corps intermédiaires ? Quand prévient-il les conflits ? Jamais. Il feint d’ignorer que les prix sont supérieurs en Guadeloupe à ce qu’ils sont en métropole, et les revenus inférieurs. Et que le gap qui en résulte est explosif. Il feint d’ignorer que le chômage des jeunes est trois fois plus important là-bas qu’ici. La vérité, c’est que la question du coût de la vie fait peur au gouvernement plus encore qu’en métropole parce qu’elle n’est pas seulement sociale. La structure coloniale est toujours là. En 2021, quelques grandes familles, qui tiennent le haut du pavé, parfois depuis le XVIIIe siècle, monopolisent toutes les franchises de la grande distribution, faisant la pluie, le beau temps… et les prix. Si bien que les inégalités ont là-bas cette particularité de se superposer à la question identitaire. Le gouvernement a toujours du mal à entendre « le cri de l’innocence et du désespoir » du révolutionnaire martiniquais Louis Delgrès, qui s’est donné la mort plutôt que de se rendre aux troupes de Bonaparte. Son écho résonne pourtant jusqu’à nous. La question de l’autonomie mérite donc mieux que d’apparaître comme une manœuvre politique. Encore faudra-t-il, le moment venu, en fixer le contenu pour qu’elle ne soit pas le piège qu’elle peut être quand les intentions sont mauvaises.

publié le 1° décembre 2021

Industrie. Decazeville, capitale de la solidarité ouvrière

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Mercredi (1° décembre), des milliers de personnes se sont rassemblées devant la SAM, fonderie aveyronnaise menacée de fermeture. Tout un territoire a le sentiment de jouer sa survie.

Decazeville (Aveyron), envoyé spécial.

Chez les « métallos », le 1er décembre est un jour de fête. On y célèbre la mémoire de saint Éloi, orfèvre aux doigts de fée mort en 660, ministre des ­Finances du roi Dagobert et, surtout, saint patron des travailleurs des métaux. Mais si les salariés de la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) ont sorti le grand jeu, ce mercredi matin, ce n’est pas seulement en l’honneur du saint marteleur, même si la coïncidence ne déplaît pas aux syndicalistes. C’est parce qu’ils jouent leur avenir. La fonderie vient d’être lâchée par son principal donneur d’ordres, Renault, qui a refusé de soutenir sa reprise. Les salariés le soupçonnent de préférer s’approvisionner en Espagne. Le tribunal de commerce, qui avait déjà placé le site en liquidation, a aussitôt prononcé la fin de l’activité, actant sa fermeture.

L’heure n’est pas à la fête, donc, mais il règne une effervescence des grands jours aux abords de l’usine. Près de 8 000 personnes, selon les organisateurs (4 000 selon la police), ont débarqué de la France entière, à l’appel de la CGT. « On en pleurerait de joie, dit Marie-Jeanne, les yeux embués et le sourire aux lèvres. Cette solidarité nous réchauffe le cœur. Je travaille à la SAM depuis plus de trente ans, j’ai fait toute ma carrière ici. Où voulez-vous que j’aille si l’usine ferme ? J’ai une maison, 600 euros de crédit sur le dos… Il ne faut pas que ça ferme. »

Nino Ferrer, dont la voix s’échappe des sonos installées devant l’usine, prétend qu’ « on dirait le Sud », mais personne n’est dupe. Des trombes d’eau s’abattent sur le cortège et un épais manteau de brume voile la cime des collines environnantes. Les tracteurs de la Confédération paysanne font une entrée remarquée, Klaxon hurlant dans le froid d’hiver. Ici, on est mû par le besoin d’aider autant que l’envie d’en découdre. « Il y a quatre ans, c’est nous qui étions à la place des SAM », explique ­Stéphane, ancien salarié de l’équipementier automobile GM&S venu depuis la Creuse. Technicien outilleur, Stéphane a mis deux ans à se reconvertir comme aide-soignant, après le plan social de 2017. Ce n’est pas le cas de tous ses anciens collègues. « Il y en a encore 42 (sur 157 licenciés – NDLR) sans solution, qui se débattent dans la précarité. Ces métiers sont en train de disparaître. Mais on refuse la fatalité. On ne vient pas aider les SAM la tête basse : nous avons quand même réussi à faire annuler notre PSE par la justice. »

« Sécuriser l’outil de travail »

La veille, le PDG de Renault a promis que le groupe apporterait « un accompagnement individualisé » à chaque employé de la SAM désireux de se reconvertir. Mais les 333 salariés ne veulent pas entendre parler de reconversion. Pas encore. Pour l’heure, ils occupent le site jour et nuit, pour « sécuriser l’outil de travail » et maintenir en état de marche les installations, au cas où un nouveau repreneur pointerait le bout de son nez : le four d’une fonderie ne se rallume pas aussi facilement qu’un micro-ondes. « Le tribunal a prononcé une liquidation sèche, mais il y a des voies de recours, assurent Sébastien Lallier et Ghislaine Gistau, délégués CGT. Le procureur de la République peut demander une poursuite d’activité de quelques mois, pour avoir le temps d’étudier des projets de reprise. » Et les mêmes d’ajouter : « Si l’usine ferme, ça aura des répercussions sur l’ensemble du territoire. Nous avons toute une ville mobilisée à nos côtés. »

Dans la commune de 5 300 habitants, chacun affiche son soutien, jusqu’au concessionnaire Renault qui a décidé depuis plusieurs jours de rentrer toutes ses voitures à l’intérieur du magasin en guise de solidarité. Les écoles s’y mettent aussi, à en croire Patrick (1), chauffeur de taxi ambulancier : « Ma fille est au collège. Ce mercredi, les profs ont prévu d’arrêter les cours à l’heure où commence la mobilisation. À la place, ils racontent aux élèves l’histoire de la ville. »

Des habitants unis contre une menace commune : à Decazeville, cette scène a des airs de déjà-vu. D’ailleurs, les déboires de la ville ont bien failli passer dans le langage courant. À la fin des années 1990, le premier ministre Lionel Jospin parlait de « syndrome decazevillois » pour désigner les ravages que produisent sur un territoire la désindustrialisation et le recul des services publics. Et il faut bien avouer qu’en la matière, la ville a payé son écot. L’ancien berceau de la révolution industrielle, autrefois tourné vers les mines de charbon et la sidérurgie, a été laminé par la désindustrialisation. En quarante ans, le nombre d’habitants a fondu de moitié, exode oblige, et le chômage atteignait 15 % en 2018.

Mais les habitants ne veulent pas être réduits à une image d’Épinal du misérabilisme contemporain – rues désertes, commerces à l’abandon et usines en carafe. Des tragédies naissent parfois les plus beaux élans de solidarité : le collectif Tous ensemble s’est monté en 1997, regroupant élus politiques de tous bords (à l’exception de l’ex-FN, devenu RN), associations, syndicats, chefs d’entreprise… « On se bat pour sauver ce qu’il y a à sauver, résume Pascal Mazet, conseiller régional PCF. On a lutté pour garder l’hôpital, le commissariat, La Poste et, bien sûr, les entreprises. Dès qu’il y a un problème quelque part dans le bassin, on se réunit tous à Decazeville. »

Bernard Dalmon, président du Medef Aveyron, est lui aussi du collectif : « J’ai de la famille qui travaille à la SAM. Je comprends le ras-le-bol des salariés. Toute l’économie locale serait mise à mal par une fermeture de la fonderie : des salariés de l’usine vont probablement déménager pour chercher du travail ailleurs, cela aura des répercussions en cascade pour les commerçants, les artisans, etc. » Si jamais la SAM, premier employeur privé de la ville, ferme, les rescapés ne seront pas légion : en dehors de l’hôpital, il restera une usine de zinc et quelques boîtes employant une centaine de personnes chacune, dont une blanchisserie industrielle.

Lorsqu’on demande à Sébastien Lallier s’il n’a pas l’impression, malgré tout, de livrer un baroud d’honneur face à un constructeur résolu à fermer, le fondeur répond sans s’énerver : « Si on pensait le combat perdu d’avance, on serait déjà morts depuis longtemps. Nous ne sommes pas une coquille vide : 40 % des pièces que nous produisons sont destinées à l’électrique et à l’hybride. Nous avons un avenir. Et nous comptons bien nous battre pour le prouver. »


 


 

Métallurgie. Pascal Mazet : « L’État doit imposer à Renault de sauver la SAM »

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Ce mercredi (1° décembre), Decazeville va se mobiliser, une fois encore, pour l’avenir de la SAM, qui fabrique des carters d’automobile. Conseiller régional PCF d’Occitanie, Pascal Mazet explique les enjeux du combat. Entretien

Dans une ville de 5 300 habitants laminée par des années de désindustrialisation, où le taux de chômage frôle les 15 %, la fermeture de la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie), sous-­traitant abandonné par Renault, serait un désastre. Salariés, élus locaux et commerçants se démènent pour redonner un avenir à l’usine. Et à leur territoire.

À quoi va ressembler la mobilisation prévue aujourd’hui  mercredi 1° décembre)?

Pascal Mazet Plus de 20 bus doivent venir de toute l’Occitanie et d’autres régions, à l’appel de la CGT. On attend aussi des agriculteurs de la Confédération paysanne, qui soutiennent la lutte. De nombreux commerçants vont baisser le rideau en signe de solidarité. La riposte doit être à la hauteur de l’enjeu. Les gens ont bien compris que les discours gouvernementaux nous promettant la réindustrialisation du pays reposaient sur du vent. L’État va donner 2,5 milliards d’euros d’argent public aux constructeurs sans contrepartie, alors que, chez nous, la SAM est victime de la stratégie de Renault. Au lieu de soutenir une reprise du site, le constructeur préfère faire une croix dessus, pour s’approvisionner en Tunisie où les gens sont payés 250 euros par mois.

Le tribunal de commerce de Toulouse a acté la fin de ­l’activité : quelles seraient les conséquences d’une fermeture du site pour la ville ?

Pascal Mazet Catastrophiques. Il y a bien sûr 350 emplois en jeu, c’est-à-dire 350 familles. Des gens qui vivent ici, et qui demain seraient tentés de partir trouver du travail ailleurs, au risque d’accentuer l’exode d’une partie de la population. Ensuite, il y a tous les emplois induits – sous-­traitants travaillant sur le site –, sans compter les effets qu’une nouvelle fermeture provoquerait sur les commerçants. Les impacts économiques sont impossibles à chiffrer, au-delà de la perte de recettes fiscales pour la ville, évaluée à 500 000 euros. Autrefois tournée vers l’industrie minière et la sidérurgie, Decazeville a été durement frappée par la désindustrialisation des quarante dernières années. Aujourd’hui, l’hôpital est le plus gros employeur, avec 400 personnes, mais la SAM est le plus gros employeur privé. Nous redoutons les effets à moyen terme d’une disparition de l’usine. L’État pourrait prendre prétexte de la baisse de population pour acter la fermeture complète des urgences, par exemple. Nous avons déjà perdu tellement de services publics ici…

Quelles sont vos revendications en ce qui concerne la SAM ?

Pascal Mazet Renault s’était engagé, par écrit, à fournir du travail à la SAM jusqu’au 31 mars 2022. Il faut absolument que cet engagement soit tenu, pour donner le temps de trouver un autre repreneur. Ensuite, l’État a son mot à dire, en tant que premier actionnaire de Renault (avec plus de 15 % du capital – NDLR) : il peut imposer au constructeur de garantir un chiffre d’affaires à la SAM en lui fournissant des volumes de commandes, afin de sauver le site. Il suffit de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Si nous trouvons un repreneur, il s’agira ensuite de diversifier la production, en se tournant vers l’aéronautique, par exemple. L’avantage de l’aluminium, c’est que c’est un matériau recyclable. Par ailleurs, les salariés de la SAM maîtrisent tout le processus de production, depuis la conception des pièces en bureau d’études jusqu’à leur vente. Derrière le sauvetage de ce site, c’est aussi de l’avenir des fonderies françaises qu’il s’agit. Donc, de notre souveraineté industrielle.

publié le 1° décembre 2021

Mobilisation. À Leroy Merlin, l’intersyndicale arrache la victoire

Luis Reygada sur www.humanite.fr

Direction et représentants syndicaux ont trouvé, mardi soir, un accord, obtenu au prix d’une mobilisation inédite, sur une revalorisation des salaires pour faire face à l’inflation.

La direction a beau se dire « fière » du résultat obtenu, c’est bien l’intersyndicale qui a arraché, mardi soir, l’accord établissant une augmentation salariale pour employés et agents de maîtrise de Leroy Merlin. C’est aussi oublier un peu vite le manque de volonté initial du numéro un français du bricolage. Petit rappel des faits.

Le 9 novembre, la direction actait la fin des négociations annuelles obligatoires face au refus des délégués syndicaux d’accepter une augmentation salariale générale limitée à 2 %. Inadmissible pour les représentants des travailleurs, alors que l’Insee calcule une inflation à 2,6 % et que l’entreprise arroge des chiffres plus que positifs. Explosion des ventes en ligne (+ 7,5 %), croissance globale de 5 %, chiffre d’affaires à 7,9 milliards d’euros avec prévisions à la hausse pour 2021… Leroy Merlin figure en effet parmi les « gagnants » de la pandémie, avec une activité dopée en 2020 par les confinements. Et s’il est vrai que le haut de la pyramide est bien récompensé en primes et stock-options, il n’en va pas de même pour les 23 000 employés qui forment le socle de l’organisation, sur 27 000 au total.

« Pour la direction des millions, pour les employés la précarité ! »

Réunis en intersyndicale (CFTC-CFDT-CGT-FO), les travailleurs décident donc d’instaurer un rapport de forces plus concret : une grève. «Ça a été long et compliqué, raconte Jean-Marc Cicuto, délégué central du syndicat majoritaire, la CFTC, mais nous avons réussi à nous rassembler autour du combat pour les salaires dans une entreprise qui fait des profits mais où il n’y a pas de juste répartition de la valeur travail vers le bas.» Karim Bachiri, représentant CGT au CSE, confirme : «La répartition n’est pas faite de façon juste et équitable. Nous avons donc réussi à canaliser le mécontentement existant au sein de l’entreprise.» Résultat : un mouvement inédit commence le 17 novembre dans les entrepôts. À Valence (Drôme), Réau (Seine-et-Marne), Dourges (Pas-de-Calais), les accès des camions sont filtrés, ralentissant l’activité du groupe. Suivent les magasins où des débrayages sont organisés. Au total, ce sont près de la moitié des 140 établissements au triangle vert qui adhèrent à la mobilisation, et les fins de semaine, jours de grande affluence, sont l’occasion pour les salariés d’expliquer aux clients à quel point ils se sentent « méprisés » par leurs patrons. «Pour la direction des millions, pour les employés la précarité !» dénoncent les banderoles des manifestants aux entrées des grands centres commerciaux. Une mauvaise publicité pour la quatrième « entreprise préférée des Français » (classement Ifop- JDD, novembre 2021), d’autant plus que presse nationale et télévision s’emparent du sujet. « Notre communication a fait ses effets, explique Karim ­Bachiri. En général, avec ces gens-là, c’est à prendre ou à laisser, ils ne discutent pas. Mais, là, on a réussi à faire que Leroy Merlin, poussé par le Groupe Mulliez, revienne à la table des négociations. » La puissante holding familiale, propriétaire de l’enseigne et dont le patrimoine estimé à plus de 20 milliards d’euros, en fait l’une des dix plus grosses fortunes de France, est pourtant davantage connue pour fraude et évasion fiscales que pour céder aisément aux demandes de ses travailleurs.

Après dix jours d’un mouvement sans précédent suivi aux quatre coins du pays et alors qu’elle s’était d’abord bornée au « silence » et à des « intimidations», la direction accepte de reprendre les discussions. «L’entreprise est d’abord venue avec des propositions de primes, commente le cégétiste. Nous les avons refusées. Ce qui permet de payer les factures, de demander un prêt à sa banque pour devenir propriétaire, de se projeter dans la vie, c’est la fiche de paye, et non pas l’hypothétique prime qu’on va peut-être toucher dans trois mois.»

Au final, l’intersyndicale obtient plusieurs avancées, dont une revalorisation de 4 % des plus bas salaires. Mais son succès va au-delà. « L’entreprise a reconnu que son dialogue social ne fonctionnait pas, on va le réformer en profondeur », assure Jean-Marc Cicuto. Et c’est aussi là qu’il faut voir la vraie victoire des grévistes de Leroy Merlin. 

 

publié le 28 novembre 2021

Crise aux Antilles : le gouvernement cherche à calmer le jeu

Le gouvernement se dit prêt à « évoquer » l’autonomie de la Guadeloupe, après avoir retardé l’obligation vaccinale pour les soignants et les pompiers sur l’île ainsi qu’en Martinique.

La rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr


 

Après l’envoi du GIGN et du RAID en Guadeloupe, censés mettre fin aux violences sur l’île, sans succès, le gouvernement cherche maintenant à calmer le jeu. Espérant apaiser les esprits, les ministres de la santé et des outre-mer ont, dans un premier temps, annoncé vendredi 26 novembre par communiqué qu’ils repoussaient au 31 décembre la mise en œuvre de l’obligation vaccinale des soignants et pompiers en Guadeloupe comme en Martinique, où la contestation a fait tache d’huile.

Le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu et celui de la santé Olivier Véran ont aussi annoncé la levée des suspensions pour les personnels qui accepteront un accompagnement individuel. Par contre, ceux qui refuseront « poursuivront leur suspension », précise le communiqué.

Un nouveau signal destiné à faire baisser la pression a été adressé quelques heures plus tard aux Antillais : le gouvernement se dit « prêt » à parler de l’autonomie de la Guadeloupe, département touché par une violente crise, a fait savoir vendredi soir le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu.

Lors des réunions de ces derniers jours pour tenter de résoudre la crise, née d’un refus de l’obligation vaccinale avant d’embrasser des revendications sociales, « certains élus ont posé la question en creux de l’autonomie », a déclaré Sébastien Lecornu dans une allocution télévisée aux Guadeloupéens. « D’après eux, la Guadeloupe pourrait mieux se gérer d’elle-même. Ils souhaitent moins d’égalité avec l’Hexagone, plus de liberté de décision par les décideurs locaux. Le gouvernement est prêt à en parler, il n’y a pas de mauvais débats, du moment que ces débats servent à résoudre les vrais problèmes du quotidien des Guadeloupéens », a poursuivi le ministre.

Sébastien Lecornu a également annoncé le financement de « 1 000 emplois aidés pour les jeunes, avec un accompagnement spécifique et une formation, dans le secteur non marchand, pour soutenir les collectivités ou les associations sociales, sportives, environnementales du territoire ». En Guadeloupe, 34,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté national, avec un fort taux de chômage (19 %), notamment chez les jeunes (35 % en 2020, contre une moyenne nationale de 20 %).

Les incidents violents se multiplient sur l’île depuis une dizaine de jours et se sont étendus à la Martinique. L’étincelle a été le refus de l’obligation vaccinale, sur fond de climat social déjà très tendu, de forte pauvreté et de perception négative du rôle de l’État et de ses services. Des blocages et des piquets de grève dans ces deux îles des Antilles, on est passé à des violences contre les forces de l’ordre et les journalistes, ainsi qu’à des incendies et pillages de magasins.

Des policiers, des gendarmes et des journalistes ont été ciblés par des tirs dans la nuit de jeudi à vendredi en Martinique, où les violences ont fait dix blessés parmi les policiers, dont cinq par balles. « Dans la nuit, un gradé de la gendarmerie qui intervenait avec ses collègues sur un cambriolage a été violemment heurté par le véhicule des pilleurs. Il est grièvement blessé et est opéré ce jour », a annoncé vendredi le parquet de Fort-de-France.

Une dizaine d’interpellations ont eu lieu en Martinique dans la nuit de jeudi à vendredi, selon le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Il y a eu « près de 150 interpellations depuis le début de cette situation en Guadeloupe et en Martinique », a détaillé le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal.

Par ailleurs, le procureur de Pointe-à-Pitre, Patrick Desjardins, a indiqué vendredi dans un communiqué que les premiers résultats d’une enquête diligentée après la blessure d’un jeune homme mercredi à proximité d’un barrage montrent « que la blessure ne provient en aucun cas d’un tir par arme à feu mais plus vraisemblablement de l’impact d’un morceau de grenade lacrymogène tirée par les forces de gendarmerie dans le cadre de l’opération de maintien de l’ordre ».

En réaction aux violences, le préfet de Guadeloupe a décidé vendredi de prolonger le couvre-feu de 18 heures à 5 heures jusqu’au lundi 29 novembre. La veille, le préfet de Martinique avait, lui, instauré un couvre-feu « de 19 heures à 5 heures jusqu’au retour au calme ».

En Martinique, les pharmacies resteront fermées ce samedi et les services de garde ne seront plus assurés. Les syndicats de pharmaciens entendent protester contre le pillage de plusieurs officines.

publié le 25 novembre 2021

Guadeloupe. Elie Domota :
« Le gouvernement doit accepter de négocier »

 

Pierre-Henri Lab sur www.humanite.fr

Le Collectif contre l’exploitation (LKP) demande la réintégration des personnels non vaccinés suspendus et un plan massif d’embauche pour les jeunes. Entretien.

Élie Domota Porte-parole du LKP

Dix jours après son déclenchement, la grève générale se poursuit en Guadeloupe. Élie ­Domota, leader du mouvement social de 2009, réagit aux propos du premier ministre, qui a évoqué la création d’ « une instance de dialogue ».

Comment se déroule la grève générale en Guadeloupe ?

Élie Domota Les Guadeloupéens sont fortement mobilisés. Chaque jour, ils sont nombreux à se rendre en famille sur les barrages. Cette mobilisation dure depuis le 17 juillet, soit quelques jours après la décision d’Emmanuel Macron de mettre en place le passe sanitaire. Chaque semaine, les organisations syndicales et toutes les organisations parties prenantes ont organisé des meetings et des distributions de tracts. Des cortèges ont réuni des milliers de personnes. Enfin, début novembre, les menaces de suspension des personnels de santé non vaccinés ont été mises à exécution. C’est dans ce contexte que les organisations ont appelé à la grève générale.

Le premier ministre annonce la création d’« une instance de dialogue » sur la vaccination. Cela vous satisfait-il ?

Élie Domota M. Castex est hors-sol. Il propose « une instance de dialogue » pour convaincre et accompagner les récalcitrants à la vaccination. Faut-il comprendre que les ­Guadeloupéens sont des imbéciles qui n’ont rien compris ? Ce que nous voulons, ce sont des véritables négociations sur l’ensemble des revendications.

Le ministre de l’Intérieur demande « l’arrêt des violences » comme préalable à la discussion…

Élie Domota C’est le gouvernement qui est à l’origine de cette situation. C’est sa décision d’ordonner au préfet de ne pas négocier qui génère de l’exaspération et de la violence. Fin août, nous avons déposé notre plateforme de revendications et des préavis de grève dans le secteur médico-social, au CHU, dans les hôpitaux, chez les pompiers, dans les cliniques privées et les administrations. Ces démarches sont restées sans réponse. Même les réunions de conciliation prévues dans le cadre des préavis n’ont pas eu lieu. Le 23 septembre, la situation semblait pouvoir se débloquer. Grâce au directeur de la sécurité civile, un rendez-vous avec le directeur de cabinet du préfet s’est tenu sur l’obligation vaccinale et le passe sanitaire, et l’ensemble des revendications. À l’issue de ce premier entretien, il a été convenu de mettre en place un accord de méthode pour organiser la négociation. Nous avons fait une proposition de calendrier. Cette démarche est restée sans réponse jusqu’au 29 septembre, où le préfet nous a informés par courrier qu’il ne s’inscrivait plus dans ce processus. C’est le seul contact que nous avons eu avec le préfet.

Bruno Le Maire affirme que le « fonds de solidarité » mis en place pour faire face aux conséquences de l’épidémie a apporté une aide massive aux Antilles…

Élie Domota C’est faux. Ces fonds-là ont été destinés uniquement aux békés (les descendants des colons – NDLR), les gros hôteliers et les grandes entreprises. Le Guadeloupéen qui possède un petit commerce n’a jamais vu la couleur de cette aide. Aujourd’hui, il ne peut toujours pas rouvrir sous couvert que les Guadeloupéens ne sont pas vaccinés. Pourtant, les grandes surfaces détenues par les békés sont ouvertes et accessibles sans passe sanitaire.

Que demandez-vous ?

Élie Domota Nous ne demandons qu’une seule chose : l’ouverture de négociations sur la base de notre plateforme de revendications. Les points prioritaires que nous souhaitons aborder sont la réintégration des personnels de santé et des professionnels libéraux suspendus, la mise en œuvre d’un plan massif d’embauches et de formation des jeunes : 60 % des moins de 25 ans sont aujourd’hui au chômage et 40 % des Guadeloupéens. Nous demandons aussi la mise en œuvre d’un plan d’amélioration des conditions de vie de la population.

La Martinique en grève

La mobilisation s’est étendue à la Martinique. Depuis lundi, l’île voisine de la Guadeloupe est à son tour le théâtre d’une grève générale. Déclenchée à l’appel de vingt organisations syndicales, elle porte sur des revendications similaires comme le refus de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire, la lutte contre le chômage et la pauvreté. Dès lundi matin, le trafic routier a été fortement perturbé par des barrages. Après avoir appelé, le 23 novembre, à leur levée en raison d’un climat très tendu, l’intersyndicale a finalement décidé, mercredi, de leur intensification.

 


 

 

La Guadeloupe contre l’État


 

Sur www.politis.fr

Le mouvement contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale vire au chaos dans l'île la plus éruptive des Antilles françaises.

Voitures incendiées,magasins pillés, barrages routiers… Et voilà de nouveau à l’œuvre le vicieux engrenage de la violence. La Guadeloupe déverse depuis la fin de semaine dernière des images dont les médias s’abreuvent, alimentant une sensation de chaos que saisit l’État pour justifier la nécessité de rétablir l’ordre. Tout est parti d’un appel à la grève générale d’organisations syndicales et citoyennes contestant le passe sanitaire et l’obligation vaccinale pour les soignant·es, qui devaient se mettre en règle avant le 15 novembre pour éviter une mise à pied.

L’île, la plus éruptive des Antilles françaises, joue souvent le rôle d’étincelle sur des barils de poudre que les autorités abandonnent à l’air libre. En 2009, la grève contre la vie chère, lancée en Guyane puis reprise en Martinique, tourne en Guadeloupe à la paralysie totale de l’activité pendant 44 jours. La crise économique mondiale a généré des impacts beaucoup plus violents aux marges de l’ex-empire français que dans l’Hexagone. Le gouvernement ne s’en souciait guère jusque-là.

Cette radicalité guadeloupéenne puise dans une histoire coloniale dont le sang versé n’a jamais complètement séché. Mais tient avant tout à des indicateurs sociaux indignes de la République, prompte à envoyer des gendarmes éteindre les incendies de rue mais procrastinatrice pour traiter le feu des inégalités qui couve en profondeur. Le chômage touche un jeune sur trois, un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, les coupures d’eau sont quotidiennes, le système de santé est très dégradé. Et la mortalité par le covid est la plus élevée des départements français. Alors que le taux de vaccination y est l’un des plus faibles.

Inconséquence de la contestation sanitaire, diront certains. Mais tout comme les DOM sont souvent escamotés par commodité sur les cartes épidémiologiques nationales, ils ont été négligés par Paris dans sa politique anti-covid nationale monolithique, inadaptée aux particularismes locaux – culture, éducation, acceptation, etc. L’état sanitaire de la Guadeloupe reflète un échec de l’État là où il sera tenté de fustiger l’indocilité des îlien·nes. Un État qui a nourri une énorme défiance envers sa parole, éhontément responsable de la contamination au chlordécone qui affecte 90 % de la population locale. Et comme toujours, Macron ne voit qu’une violence à l’œuvre, celle des gens à bout. Il entend donc _« ne rien céder au mensonge et à la manipulation par certains de cette situation », car « on ne peut pas utiliser la santé des Françaises et des Français pour mener des combats politiques ». _Ça parlera sûrement aux Guadeloupéennes et aux Guadeloupéens.

publié le 25 novembre 2021

Métallurgie. L’État regarde la filière automobile partir en morceaux

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

L’abandon par Renault de la fonderie SAM illustre le laisser-faire du gouvernement en matière de politique industrielle, à mille lieues des déclarations volontaristes d’Emmanuel Macron.

Il aura suffi d’un communiqué de presse lapidaire, envoyé dans la soirée, pour enterrer un projet de reprise concernant 350 salariés. Et semer la consternation sur tout un territoire. La direction de Renault a annoncé son intention, ce mardi, de ne pas soutenir le plan de sauvetage de la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie), fonderie automobile, située dans l’Aveyron, en recherche désespérée d’un repreneur depuis des mois. Une offre de rachat avait bien été mise sur la table par un ancien dirigeant de la fonderie, mais elle supposait que le constructeur tricolore, principal donneur d’ordres, s’engage sur un volume de production. Ce qu’il n’a pas fait, arguant de la fragilité – bien réelle – de la proposition de reprise. Dans la foulée, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a jeté une dernière pelletée de terre sur le cercueil, non sans sermonner au passage l’industriel : « Ce que j’attends de Renault comme actionnaire (l’État est présent à hauteur de 15 % du capital – NDLR), c’est un comportement exemplaire vis-à-vis des salariés, parce que, pour le bassin d’emploi de Decazeville, c’est dur, pour les salariés de la SAM, c’est extrêmement dur. Ça veut dire des reclassements, de l’accompagnement, de la formation. »

Une multinationale qui baisse le rideau et un État actionnaire qui valide la casse, tout en l’appelant à la responsabilité : si la scène semble familière, c’est qu’elle s’est jouée un nombre incalculable de fois ces dernières années, au point de résumer presque à elle seule la politique industrielle des dirigeants français – ou plutôt son absence. Une scène qui rappelle aussi la trahison des promesses de réindustrialisation, dans la lignée de l’abandon à haute valeur symbolique de l’aciérie de Florange par François Hollande. Dans l’automobile, le résultat est patent : 100 000 emplois se sont volatilisés en treize ans, à coups de plans de suppressions de postes. Pourtant, la fin de quinquennat d’Emmanuel Macron devait tracer une nouvelle route pour l’auto. Le 12 octobre dernier, il déclarait : « Soyons lucides sur nous-mêmes, les trente dernières années ont été cruelles pour l’industrie automobile française. (…) C’est le fruit de stratégies non coopératives entre les acteurs de l’industrie eux-mêmes. Ils ont une énorme responsabilité dans cette situation. Quand les acteurs décident de ne pas coopérer, eux-mêmes délocalisent, et vous avez à peu près le résultat de l’industrie automobile française qui a détruit beaucoup d’emplois durant les dernières décennies. »

Des aides publiques destinées à financer des licenciements

On ne saurait mieux dire ! Le problème, c’est que, pour l’instant, les belles paroles n’ont pas été traduites en actes. « Cela fait vingt-cinq ans qu’on entend dire que les constructeurs doivent être solidaires de leurs sous-traitants, soupire un expert du secteur. Même avant la crise de 2008, tout le monde voyait bien que la brutalité dont font preuve les donneurs d’ordres vis-à-vis de la filière est délétère. À force d’écraser les tarifs, ils érodent les marges des équipementiers qui se retrouvent exsangues. Lors des états généraux de l’automobile, en 2008-2009, les constructeurs ont signé des chartes de bonne conduite… Avant de poursuivre la même politiqu e. »

L’appel à la « coopération » lancé par Emmanuel Macron ne semble pas avoir plus d’effet, ce qui ne l’empêche pas de maintenir ouvert le robinet des aides publiques. Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement devrait signer très prochainement un nouveau chèque au secteur, destiné à subventionner sa transition vers des technologies moins polluantes. Certaines sources évoquent le chiffre de 2,5 milliards d’euros ( Challenges du 27 octobre), ce qui met en rogne les syndicats. « Cet argent va servir, encore une fois, à financer des licenciements, s’agace Laurent Giblot, de la CGT Renault. On ne peut pas clamer qu’il faut réindustrialiser le pays et liquider les équipementiers auto pour aller s’approvisionner ailleurs ! Demain, il faudra toujours produire de la fonte, même si les besoins des voitures vont diminuer en raison, notamment, du passage à l’électrique et de l’allègement des véhicules pour consommer moins de carburant. Cette fonte, Renault ira la chercher ailleurs. »

C’est aussi la crainte des salariés de la métallurgie, qui redoutent de voir les fonderies fermer les unes après les autres, avec de probables délocalisations. « Renault mise sur l’Espagne, la Slovénie et les pays du Maghreb, assure Frédéric Sanchez, secrétaire général de la CGT métallurgie. Avec toujours cette même obsession de réaliser des gains à court terme. Dans ces pays, les conditions de travail et les salaires sont évidemment beaucoup moins favorables. »

Dans le dossier de la SAM, toutefois, une « coïncidence » chiffonne les syndicalistes. Ce mardi, Renault a annoncé deux décisions opposées : au moment où il renonce à venir en aide à la fonderie de l’Aveyron, il affirme sa volonté de soutenir le projet de reprise d’une autre fonderie, celle d’Alvance Aluminium Wheels, dans l’Indre. Cette dernière, qui produit des jantes en aluminium, pourrait ainsi bénéficier d’un volume de commandes annuel de 500 000 roues. « C’est une très bonne chose pour les salariés de l’Indre, affirme Frédéric Sanchez. Mais on a l’impression d’un “deal” passé entre le gouvernement et le constructeur, qui acterait la fermeture d’une fonderie contre le sauvetage d’une autre. Nous n’avons pas de preuve formelle, mais nous comptons en avoir le cœur net. »


 

Éditorial. Retour à Florange

Cédric Clérin

Voilà un sujet qui nous parle de la réalité du pays. Après des mois de lutte acharnée pour sauver leur usine, les SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) de Decazeville étaient suspendus aux intentions de Renault. Le verdict est tombé, et la marque au losange ne respectera pas ses engagements, ni ne suivra le repreneur en lui assurant le plan de charge indispensable au maintien des emplois et au développement de l’activité. Un nouvel épisode de désindustrialisation aussi absurde que révoltant.

La SAM fabrique des pièces détachées pour l’industrie automobile. Y a-t-il besoin de pièces automobiles en France ? La réponse est oui. Renault a-t-il besoin de ces pièces pour construire ses véhicules ? La réponse est oui. La firme a-t-elle les moyens de les payer ? La réponse est oui. Va-t-elle le faire ? La réponse est non. Absurde. Et nous n’avons pas affaire, comme c’est désormais souvent le cas, à un lointain décideur sur lequel le gouvernement n’aurait aucune prise. Renault est détenue à 15 % par l’État et est gorgée d’aides publiques par temps de pandémie. Eh bien, même dans ce cas, au détriment de la raison sociale et climatique, ce sont les profits futurs de Renault, en délocalisant l’activité, qui guident la décision finale. Révoltant.

Après les mines, hier, puis la casse sidérurgique, puis les menaces sur l’hôpital public, l’Aveyron en général et Decazeville en particulier sont des martyrs de la désindustrialisation. Et le gouvernement ne peut pas plaider la surprise. La situation dure depuis des années. En mars dernier, déjà, Fabien Roussel, député PCF du Nord, interpellait le gouvernement en pointant la contradiction qu’il y a à tenir un discours sur la défense de l’emploi en France, tout en laissant mourir la SAM. Force des paroles et faiblesse des actes, un cocktail qui n’est pas sans rappeler le quinquennat Hollande. Si rien ne bouge, la SAM sera le Florange de Macron.


 


 

Fonderie SAM : le retrait de Renault attise la lutte

Bruno Vincens sur www.humanite.fr

Les salariés de la Société aveyronnaise de métallurgie n’acceptent pas l’abandon du constructeur et se mobilisent pour trouver un repreneur.

Toulouse (Haute-Garonne), correspondance.

Depuis deux ans, les salariés de la SAM montrent leur capacité de mobilisation. Après un moment de sidération, mardi soir, lorsqu’ils ont appris par la presse que Renault délaissait le plan de reprise de la fonderie et la vouait ainsi à disparaître, la combativité des métallos a redoublé. Mercredi, à Viviez (Aveyron), ils étaient plus de trois cents en assemblée générale pour décider la poursuite de la grève avec occupation de l’usine jusqu’à ce week-end. « Chaque jour, il y aura une action forte », prévient David Gistau (CGT), élu au CSE de l’entreprise. Et dès aujourd’hui, jeudi, est organisé, à 17 h 30, « un grand rassemblement populaire » devant la SAM, en présence de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. La population de l’agglomération de Decazeville, et au-delà, est invitée à soutenir la lutte pour la survie de la fonderie, sous-traitante de Renault, et de ses 350 emplois, dans cet ancien bassin minier déjà très sinistré. « La population du bassin ressent colère et indignation », témoigne le conseiller régional PCF Pascal Mazet, qui travaille à l’hôpital de Decazeville.

À ce jour, l’envie de lutter l’emporte sur la résignation. « Nous demandons officiellement à l’État de faire respecter les engagements de Renault », précise David Gistau. Avant l’été, le constructeur automobile avait assuré à son sous-traitant qu’il lui passerait une commande annuelle de 40 millions d’euros, ce qui permettait de préserver 250 emplois et le bureau d’études. « Renault doit nous accompagner jusqu’au mois de mars, ce qui laisserait du temps pour trouver un repreneur », poursuit le syndicaliste. Mardi, dans son communiqué, la firme au losange évoquait pour les salariés de la SAM « des solutions alternatives d’emploi au sein de Renault Group ». Ces hypothétiques reclassements ont été ressentis comme « du mépris » au cours de l’assemblée générale : le constructeur automobile réduit ses effectifs et ne possède aucun site de production dans la région Occitanie. « Vont-ils nous proposer d’aller bosser en Roumanie ou en Pologne ? » interroge David Gistau.

Au désistement de Renault, s’est ajouté celui du ministre Bruno Le Maire, pour qui « aucun projet industriel garantissant la pérennité de la SAM n’a pu être présenté ». Pourtant, l’État avait donné son accord pour abonder de 4 millions d’euros le plan de reprise. Une attitude contradictoire très mal perçue par les salariés et la population. Pas de doute, pour David Gistau : « Les dirigeants de Renault dictent leur loi au pouvoir politique. »


 


 

Métallurgie. « L’enjeu est historique, il faut vraiment que les salariés bougent »

Ludovic Finez sur www.humanite.fr

Outre les menaces sur l’emploi, les salariés du secteur font face à un projet régressif de convention collective en négociation. Inquiets, les métallos du Nord-Pas-de-Calais participent ce jeudi à la manifestation nationale.

Dunkerque, Valenciennes (Nord), correspondance.

«J e ne me voyais pas dire aux camarades qu’on resterait sur le bord de la route… » Mardi matin dans ses locaux de Valenciennes, Ludovic Bouvier, responsable de la CGT métallurgie du Nord-Pas-de-Calais, est rassuré. La veille, la compagnie de bus qui devait emmener les métallos du Valenciennois manifester à Paris, ce 25 novembre, a fait faux bond. Manque de personnel. Il a fallu appeler un courtier pour trouver une solution de repli, mais ce sont bien une dizaine de bus qui rejoindront la capitale depuis ces deux départements, où travaillent près de 80 000 des 1,4 million de métallos répertoriés en France. Ici, l’industrie automobile en emploie 22 000 et le ferroviaire 3 500 (1) : Renault, Toyota, Stellantis (ex-PSA), Bombardier, Alstom… De son côté, ArcelorMittal compte, sur ses 14 500 salariés en France, près de 4 000 CDI dans ses sites voisins de Dunkerque et Mardyck et 1 500 en sous-traitance à demeure.

Exit les revalorisations automatiques

En plus des deux conventions collectives nationales – l’une spécifique à la sidérurgie, l’autre aux cadres –, les métallos du Nord et du Pas-de-Calais dépendent de cinq conventions collectives territoriales, pour 76 dans tout le pays. « Cela fait des décennies qu’on revendique une convention collective unique, mais avec des garanties hautes », confie Philippe Verbeke, de la fédération CGT métallurgie, salarié chez ArcelorMittal Mardyck. À l’inverse, dans le texte que l’UIMM, la fédération patronale, voudrait signer en décembre pour application en 2024, les régressions se multiplient. Exit la reconnaissance des diplômes et les revalorisations automatiques, au profit d’une classification des postes en nombre de points. Si une nouvelle affectation entraîne une cotation moindre, le salaire suivra à la baisse. L’ensemble des primes est remis en cause. « Le travail est difficile et le salaire faible. Je ne l’améliore que par les primes de travail du dimanche, de nuit, les heures supplémentaires », énumère Frankie Roi, élu CGT chez Harsco, sous-traitant d’ArcelorMittal. « Si la convention collective passe, je pense que j’arrêterai de travailler dans la sidérurgie », tranche-t-il.

Dans le projet de l’UIMM, le contingent annuel d’heures supplémentaires, actuellement limité à 220, pourrait être poussé jusqu’à 450. Autre objectif : l’annualisation, avec des semaines culminant à 48 heures. « Une flexibilité sans limite a déjà été atteinte dans l’automobile, avec des compteurs d’heures qui peuvent être positifs ou négatifs, “l’overtime”, où on peut être prévenu une heure avant la fin du poste qu’il faudra faire vingt minutes de plus. Le ferroviaire a recruté beaucoup de cadres de l’automobile. Demain, cette convention collective leur permettrait d’y instaurer des systèmes similaires  », prédit Ludovic Bouvier. De quoi écorner davantage l’attractivité de métiers déjà passablement entamée. « Il est même difficile de garder les salariés actuels, en maintenance, par exemple. Ceux dont la carrière ne décolle pas vont voir ailleurs », assure Ludovic Putter, de la CGT ArcelorMittal Mardyck, qui évoque des départs vers EDF et les usines chimiques du secteur : Aluminium Dunkerque, Polimeri, AstraZeneca… Même constat, pour Ludovic Bouvier, dans le ferroviaire : « Ils ne trouvent pas de soudeurs qualifiés, car ils ne les rémunèrent pas à leur juste valeur. » « L’enjeu est historique, il faut vraiment que les salariés bougent », conclut Philippe Verbeke.

(1) Chiffres 2019 de l’Observatoire de la métallurgie.

publié le 24 novembre 2021

Après la Guadeloupe, la Martinique en grève générale : « nous lançons un appel aux travailleurs français »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Les habitants de Martinique, dans la foulée de la Guadeloupe, lancent une grève générale. La Polynésie française pourrait en entamer une aussi, dès ce mercredi 24 novembre. Sur ces trois territoires, l’obligation vaccinale a été le point d’achoppement à l’origine du mouvement. Mais les revendications dépassent ce seul conflit, et remettent sur la table des enjeux de pauvreté, d’état des services publics et de scandales sanitaires. 

 

Dans les rues de Fort-de-France, lundi 22 novembre, près d’un millier de Martiniquais a défilé dans le cadre d’une grève générale initiée par 17 syndicats. Des blocages et des piquets de grève sont apparus, de Fort-de-France à la commune du Lamantin. « Trois ou quatre zones commerciales ont été bloquées, ainsi que le port de Fort-de-France », relate Gabriel Jean-Marie, secrétaire générale de la CGT Martinique (CGTM), premier syndicat du territoire.

Le discours d’Emmanuel Macron du 12 juillet, sur l’obligation vaccinale pour les soignants et l’application du passe sanitaire, en a été le déclencheur. « Dire que l’on va suspendre leur contrat de travail à des gens qui ont 20 ans d’expérience comme soignants, et qui ont bossé pendant des mois sans protection, sans blouses, dans les conditions que vous connaissez… Ça a été la goutte de trop », retrace Gabriel Jean-Marie. « Les soignants sont en première ligne ; mais tous les autres corps de métiers – enseignants, agents territoriaux, pompiers…- sont impactés par ces obligations », précise Thierry Jeanne, à la tête de l’UNSA Territoriaux en Martinique. 

Au cours de cette allocution, le chef de l’État avait également évoqué la réforme des retraites ou de l’assurance-chômage. Après plusieurs mois de mobilisation, « nous avons donc ajouté un certain nombre de revendications, et appelé le monde du travail à se mettre en grève générale », souligne Gabriel Jean-Marie. Deux syndicats avaient appelé à la commencer dès le 15 novembre ; la quasi-totalité du monde syndical l’a initiée ce lundi. 

Guadeloupe, Martinique, Polynésie : effet boule de neige ?

 La grève générale martiniquaise se structure en parallèle de celle en cours en Guadeloupe. « Depuis le 17 juillet, des milliers de Guadeloupéens manifestent toutes les semaines, pour demander l’ouverture de négociations, autour de leurs revendications. Ni le préfet, ni les maires, ni personne d’autre ne nous a considérés », affirme Elie Domota, porte-parole du LKP, dans le journal radio de Guadeloupe La 1ère. Là encore, l’obligation vaccinale a été le déclencheur des manifestations. Depuis le 15 novembre, une grève générale a été lancée. Lundi 22 novembre, Emmanuel Macron a dénoncé des « manipulations par certains de cette situation », en martelant : « on ne peut pas utiliser la santé des Françaises et des Français pour mener des combats politiques ».

Assiste-t-on à un effet d’entraînement entre territoires ? La Guadeloupe et la Martinique ne sont distantes que « de plusieurs dizaines de kilomètres, avec beaucoup de contacts entre les familles », rappelle Gabriel Jean-Marie. D’une île à l’autre, « c’est le même combat. Mais il ne va pas forcément prendre la même forme, avec les mêmes débordements, en Martinique », juge de son côté Thierry Jeanne. 

En Polynésie française aussi, une grève générale illimitée pourrait être lancée dès ce mercredi 24 novembre. Quatre confédérations syndicales ont déposé un préavis de grève, dont les revendications résonnent avec celles de Guadeloupe et de Martinique. Retrait de la loi sur l’obligation vaccinale, refus de la réforme de la Caisse de Prévoyance Sociale, application de la loi sur la protection de l’emploi local, augmentation du pouvoir d’achat… Sur ce dernier point, il est demandé une « revalorisation du pouvoir d’achat à 4% » côté public ou une « revalorisation des minimas des grilles salariales dans les secteurs d’activités du pays à 5% » côté privé, détaille Tahiti Infos. 

 « L’explosion sociale »

 En Guadeloupe, une plateforme de 32 revendications a été présentée. Elle avait déjà été communiquée aux autorités, le 2 septembre. L’accès à des services publics de qualité (dont les défaillances ont été décryptées par Bastamag), est au coeur des demandes.

« Le gouvernement veut réduire la mobilisation à un simple mouvement contre la vaccination, camoufler la profondeur de la crise et les revendications au cœur de l’explosion sociale », estime Sud PTT dans un communiqué de soutien publié le 23 novembre. Or, au-delà des enjeux sanitaires, il s’agit « d’une légitime colère contre les discriminations dont sont victimes les guadeloupéen·e·s, l’état des services publics ou les mensonges d’Etat concernant le chlordécone ». La Poste a ainsi supprimé près de 50 emplois en Guadeloupe courant 2021, malgré le contexte social difficile, souligne le syndicat.

 L’obligation vaccinale, « sujet du jour » ou simple déclencheur ?

 Le 14 novembre, les ministres Olivier Véran et Sébastien Lecornu ont repoussé la date d’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale en Martinique au 31 décembre. Insuffisant pour calmer les esprits : « on demande l’abrogation de cette loi. D’ailleurs, Macron avait déclaré que jamais il ne mettrait en œuvre l’obligation vaccinale…», martèle Gabriel Jean-Marie. Et d’insister : « nous militons contre l’obligation vaccinale ; mais pas contre la vaccination ! »

Les 17 syndicats martiniquais ayanLe candidat communiste à la présidentielle a tenu son premier grand meeting dimanche, place Stalingrad, à Paris. En écho aux préoccupations des 3 000 participants, il a multiplié les propositions pour le pouvoir d’achat et une juste répartition des richesses, à commencer par une augmentation du Smic de 20 % et le triplement de l’ISF.t signé le préavis de grève générale présentent dix revendications. Parmi celles-ci : la fin de l’obligation vaccinale, mais aussi la hausse des salaires et des minima sociaux, et la baisse du prix des carburants. Ou encore, la prise en charge totale des tests de chlordéconémie, une maladie liée au chlordécone, cet insecticide utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 qui pollue encore les sols. 

Pour Thierry Jeanne, la priorité de cette grève générale doit être « la solidarité avec les soignants ». L’obligation vaccinale est « le sujet du jour » ; les autres revendications doivent rester « en toile de fond » Mais toutes les forces en présence ne tiennent pas le même discours. En Martinique comme en Guadeloupe, difficile de déterminer si l’obligation vaccinale est au coeur de la colère sociale, ou si elle n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

 Un « gouvernement d’incendiaires »

Le dialogue avec les autorités semble, dans tous les cas, rompu. « Dans un courrier daté du 29 septembre 2021, le préfet rejetait l’ensemble des propositions et mettait fin à toutes négociations », rappellent, dans un communiqué du 19 novembre, les Organisations en lutte contre l’obligation vaccinale et le passe sanitaire en Guadeloupe. « La seule réponse des services de l’Etat et des patrons du privé : arrestations arbitraires, harcèlement des travailleurs, violences policières, condamnations, suspension des contrats de travail ».

« Il faut que l’ordre public soit maintenu » en Guadeloupe, a soutenu Emmanuel Macron le 22 novembre. Le GIGN et le Raid ont été envoyés sur place, à l’issue d’une cellule de crise interministérielle le 20 novembre. « Lorsque vous envoyez les unités d’élite, ce n’est pas pour calmer les choses, mais les envenimer », observe Gabriel Jean-Marie. Ce dernier dénonce un « gouvernement d’incendiaires, qui jette de l’huile sur le feu ».

En Martinique, la deuxième revendication affichée par les syndicats dans leur préavis de grève est « l’arrêt de la répression qui frappe les salariés en lutte ». Gabriel Jean-Marie évoque les soignants qui avaient été menottés et interpellés mi-octobre devant le CHU de Fort-de-France. À l’image des forces de l’ordre envoyées en Guadeloupe, tout ceci s’inscrit, à ses yeux, dans une « histoire ancienne de la répression coloniale ».

 De 2009 à aujourd’hui, le défi du front commun

 Les revendications présentées en Guadeloupe comme en Martinique ressemblent à celles mises en avant lors des grèves générales de 2009. Les syndicats ont en tête ce modèle historique de mobilisation populaire. « La pauvreté n’a pas évolué depuis 2009 ; le pouvoir d’achat n’a pas augmenté depuis 2009, malgré beaucoup de promesses. Forcément, ça ne peut que faire écho », estime Thierry Jeanne. 

« Nous lançons un appel aux travailleurs de France », répète Gabriel Jean-Marie, qui espère cette fois transformer l’essai. « Le combat que nous menons, c’est celui que mènent de nombreux travailleurs sur leurs conditions de travail précaires ou le prix des carburants ». Mais la jonction avec l’Hexagone n’est pas évidente. En 2019, les Gilets Jaunes avaient repris des revendications et des modes d’action (comme l’occupation de ronds-points) expérimentés aux Antilles en 2009. Avec dix ans d’écart. « Les Gilets Jaunes, c’était une déflagration, mais en différé », observe le leader syndical.

Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? Gabriel Jean-Marie ne désespère pas de faire front commun. « Nous disons aux travailleurs français : le gouvernement qui nous opprime, c’est le même. Plutôt que de s’observer et de lancer des mouvements séparés, unissons nos forces ».

publié le 21 novembre 2021

Violences en Guadeloupe : « L’obligation vaccinale, c'est l’affront de trop »

Par Amandine Ascensio sur www.mediapart.fr

Au départ, des soignants et des pompiers hostiles à l’obligation vaccinale ont lancé une grève illimitée. Désormais, la mobilisation déborde. Dans ses revendications, également sociales. Dans sa violence, avec des pillages et des incendies. Dimanche, des membres du RAID et du GIGN doivent arriver sur l’île, paralysée. Reportage.

Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).– Dans le bourg du Gosier, ce samedi 20 novembre, le sol est jonché de débris calcinés, de voitures incendiées, de matériel urbain détruit et de rochers éparpillés. Les voitures qui circulent slaloment entre ces stigmates d’affrontements. Après plusieurs jours de blocages routiers et de barricades enflammées, les Guadeloupéens en auraient presque oublié le point de départ des violences qui la secouent : l’obligation vaccinale des soignants (plus de 85 % sont vaccinés) et des pompiers.

Ce sont eux qui ont appelé à une mobilisation générale en Guadeloupe, le 15 novembre dernier, suivis par quelques syndicalistes de stations-service pendant une journée. Rapidement, c’est au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre et dans les casernes que se sont concentrés les principaux points d’échauffourées. Mais les chansons de piquet de grève au CHU et les opérations escargot ont maintenant cédé la place à de graves violences, que le couvre-feu instauré vendredi par le préfet (de 18 heures à 5 heures), et prévu pour durer jusque mardi, n’a pas arrêtées.

Dimanche, des renforts de policiers et de gendarmes, notamment des unités du GIGN et du RAID, doivent d’ailleurs arriver de métropole, alors que le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, évoque « une situation absolument intolérable et inacceptable », avec des « soignants menacés », « des pharmacies empêchées d’ouvrir » et des « ambulances bloquées sur les barrages ». Une situation attribuée à une « petite minorité ».

Ces derniers jours, les habitants ont assisté impuissants à des jets de pierres sur les barrages, à l’incendie spectaculaire de quatre bâtiments du centre de Pointe-à-Pitre, aux pillages d’une bijouterie, d’une armurerie, de supermarchés, de boutiques de téléphonie... Ou encore à des tirs à balles réelles sur les forces de l’ordre, et ce dans plusieurs secteurs, selon une source policière citée par nos confrères de l’Agence France-Presse.

Refaire la « grande grève »

Selon le parquet de Pointe-à-Pitre, samedi, seize personnes ont été interpellées et cinq d’entre elles placées en détention. Pour la nuit dernière, des sources policières annoncent une trentaine de nouvelles interpellations.

Sur les blocages routiers, les passages se négocient en tout cas durement, parfois se monnayent ; certains s’énervent, se battent auprès de ceux qui tiennent les barricades, des hommes surtout, des femmes parfois. Les uns sont (très) jeunes, d’autres un peu moins, on repère des membres de « gangs », très peu de syndicalistes. Tout le monde a une bonne raison d’être là. « Pour revendiquer », déclare Louis, la soixantaine, opposé à l’obligation vaccinale, en se servant un verre de rhum. D’autres se disent contre le vaccin lui-même, les politiciens, Emmanuel Macron. D’autres, encore, sont venus « filer un coup de main » pour charrier des tôles à entasser sur la route. 

« Tout le monde se mélange sur les barricades, se félicite Maïté Hubert M’Toumo, à la tête de L’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), qui a remplacé l’emblématique Élie Domota, et en pointe dans la contestation. La jeunesse est en colère, nous avions averti que l’obligation vaccinale serait l’affront de trop. »

Samedi, l’UGTG a fait parvenir un communiqué d’appel à continuer la lutte. « Ces cinq jours de mobilisation et l’adhésion populaire qui les ont renforcés et les ont validés confirment la justesse des revendications des professionnels de santé, du social, du médico-social et des pompiers mais aussi traduisent la profondeur des souffrances, des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion subies par la population singulièrement les jeunes et les personnes âgées », écrit le syndicat, dont la plate-forme de revendications dépasse largement la loi du 5 août sur la « gestion de la crise sanitaire » (celle qui a imposé la vaccination aux soignants et étendu le passe sanitaire).

Le risque ? Noyer l’objet initial de la grève dans une demande de résolution de tous les problèmes de l’île. Tout le monde a en tête la dernière grande mobilisation de 2009, dont les syndicats tentent de raviver la flamme, jusqu’ici sans succès.

On a pris la décision de plonger tout un peuple dans la misère.

« Il faut savoir que les revendications des syndicats reflètent la réalité du plus petit des Guadeloupéens », affirme MariGwadloup Cinna, figure du Mouvement international pour les réparations (de l’esclavage), le MIR, croisée par hasard au détour d’une rue, sur une barricade tenue par cinq personnes. Alors quand on décide d’appliquer une loi et de soustraire son revenu à un membre de la famille, c’est qu’on a pris la décision de plonger tout un peuple dans la misère ». Un point de vue souvent soutenu dans la population interrogée au gré des files de voitures qui patientent devant les barrages. Tous « regrettent la méthode », mais assurent « comprendre les motifs de la mobilisation ».

De très nombreuses voies s’élèvent, aussi, en parallèle, pour fustiger les blocages, l’hétérogénéité des revendications, une bataille qui « ne concerne pas tout le monde », voire une lassitude de la rhétorique anti-coloniale des manifestants et des réticents à la vaccination.

Car la Guadeloupe reste très peu vaccinée (43 % de la population a reçu une injection au moins), malgré une quatrième vague très meurtrière, à peine achevée et dont l’île peine à se remettre. Une étude sur la résistance à la vaccination, publiée récemment sur le site AOC par Stéphanie Mulot, sociologue guadeloupéenne, enseignante-chercheuse à Toulouse, explique que « la dernière crise sanitaire a révélé dramatiquement les tensions et les lignes de fracture » entre des politiques publiques sanitaires vues comme parisiennes, des élus locaux peu actifs sur la question de la vaccination, notamment du fait de l’élection régionale et départementale, la vigueur du discours identitaire, de très profondes « inégalités socio-économiques et ethno-raciales », notamment dans l’accès à l’information.

Sur les barricades, où personne n’a reçu d’injection, on accuse la campagne de vaccination de tous les maux, mais on lui reconnaît une vertu : elle aura réussi à agréger des mécontentements et à créer une mobilisation incontrôlée, violente, à défaut de générale, que les syndicats ne veulent pas voir flancher dans les jours qui viennent.


 

publié le 20 novembre 2021

 

Sans papiers.

La régularisation au bout des grèves coordonnées

sur la site www.cgt.fr

Le 25 octobre, plus de 250 travailleurs sans-papiers ont commencé un mouvement de grève coordonné régionalement et confédéralement dans plusieurs secteurs d'activité en Ile-de-France, avec l'appui de nombreuses organisations de la CGT. Ils viennent d’obtenir gain de cause, ils vont pouvoir souffler.

Les grévistes ont commencé ce jour-là à occuper dix de leurs lieux de travail. Certains piquets de grève étaient ouverts et les grévistes de la première heure ont rapidement été rejoints par d'autres

Ouvriers du bâtiment qui travaillent sur les chantiers de grands groupes tels que Bouygues ou Eiffage, livreurs pour les supermarchés Monoprix, plongeurs dans les cuisines du café Marly situé près du Louvre, éboueurs, intérimaires... Ils sont employés dans des entreprises ayant pignon sur rue, qui utilisent leur statut administratif pour leur imposer de mauvaises conditions de travail ou des contrats précaires.

Marilyne Poulain, secrétaire de l'UD de Paris, membre de la direction confédérale et responsable du collectif Migrants, dénonce ainsi le système de sous-traitance en cascade souvent mis en place. « Dans le 19ème arrondissement de Paris, explique-t-elle, Monoprix a confié sa livraison à Stuart, qui a sous-traité à PickUp, une filiale de La Poste, qui a sous-traité à une société de livraison, GSG Transports Express, qui a fait travailler des personnes sans fiches de paie – bien qu'on trouve la trace de chèques – puis leur a imposé d'être auto entrepreneurs. »

Les sans-papiers occupent souvent des emplois qui se sont retrouvés en première ligne au plus fort de la pandémie.

Ils se sont mis en grève avec la CGT pour forcer leurs employeurs à soutenir leur régularisation, préalable nécessaire à l'obtention d'un titre de séjour lié à leur travail. La préparation de ces grèves a donné lieu à un important travail de coordination de différentes organisations (professions, territoires et syndicats).

Dans le cas des livreurs par exemple, la Fapt CGT (Fédération des salariés du secteur des activités postales et de télécommunications ), l'US Commerce de Paris, l’Union Locale du 19e arrondissement, l'UD de Paris et le syndicat des livreurs à vélo parisiens étaient impliquées.

À ce jour, tous les piquets de grève ont été levés après avoir obtenu satisfaction.

Les plongeurs qui travaillaient en contrat d'extras pour le café Marly situé près du Louvre ont été embauchés en CDI par le groupe de restauration Costes.

Les livreurs ont obtenu le formulaire nécessaire à leur régularisation et des contrats de travail en CDI.

Dans le cas des éboueurs de Sepur, des plaintes ont été déposées et une enquête ouverte par le parquet. Une solution va être mise en place par les services de l'Etat pour garantir leur protection.

La CGT défend l'égalité de traitement et l'application du droit du travail français pour tou·tes les salarié·es qui travaillent en France.

Elle prône la reconnaissance du travail et la régularisation administrative des travailleur·ses sans papiers surexploité·es parce que sans droits.

Qu'ils et elles aient ou non une autorisation de séjour et de travail, ce qui importe, c'est qu'ils et elles travaillent et vivent ici. Face à la montée des idées d'extrême-droite, la CGT réaffirme l'unité du salariat : ces travailleur·ses font partie intégrante de la classe ouvrière de ce pays.


 

70 travailleurs sans-papiers de La Poste entrent en grève

Guillaume Bernard sur le site https://rapportsdeforce.fr/

 D’ordinaire, ils chargent et déchargent les colis qui arrivent sur la plateforme logistique DPD (filiale de La Poste) de Coudray-Monceau en Essonne (91). Mais ce matin, ces 70 salariés sans-papiers se sont mis en grève. Selon l’Union Départementale Solidaires 91, environ 400 personnes travaillent dans ce hall de tri de 22 000 mètres carrés et à peu près 200 seraient sans-papiers.

Si les lieux appartiennent à l’entreprise DPD, ces salariés sont en revanche employés par une agence d’intérim créée par l’entreprise Derichebourg. Une entreprise elle-même sous-traitante de DPD, une des filiale de La Poste en charge de son réseau international de livraison. Un montage juridique complexe au cœur des dénonciations des grévistes et de leurs soutiens. « Cette cascade de sous-traitance a pour seul but d’employer de la main d’œuvre sans-papiers précarisés sans en endosser la responsabilité : les salariés n’ont pas d’horaires fixes, il peuvent terminer leur journée après minuit, leurs conditions de travail sont exécrables…mais La Poste peut détourner le regard », explique Catherine Fayet de l’Union Départementale Solidaires 91.

« Il n’y a que des travailleurs sans titre qui arrivent à supporter ces conditions de travail sans fuir à toutes jambes », résument les grévistes dans un communiqué. Ils demandent donc l’internalisation des salariés sous-traités, la suppression de l’intérim ainsi que la délivrance des documents leur permettant de régulariser leur situation auprès de la préfecture. « Nous ne libérerons les lieux de nous-mêmes qu’après satisfaction de ces revendications », préviennent-ils.

Ce n’est pas la première fois que le groupe La Poste est épinglé pour des pratiques de sous-traitance consistant, in fine, à faire employer des sans-papiers. Pendant 7 mois, de juin 2019 à janvier 2020, une lutte devant l’agence Chronopost d’Alfortville, avait permis d’imposer à cette filiale de La Poste la régularisation de 27 travailleurs sans-papier. 46 autres, travaillant dans d’autres sociétés et ayant participé à la lutte, avaient également été régularisés.

publié le 19 novembre 2021

« Le champ politique n’a pas répondu aux gilets jaunes »

par Olivier Doubre sur www.politis.fr

Avertissement

Le site 100-paroles.fr emprunte les articles à des journaux ou à des sites d’information. Une de ces sources, Politis, est en en grande difficulté financière et risque de disparaître. Il fait un appel au don. Nous ne pouvons que le relayer.

L’Assemblée Citoyenne du sud-ouest du Montpelliérain.

 

Sans un soutien massif et rapide, Politis va disparaître. Pour l’éviter, il nous faut rassembler 500 000 euros avant fin 2021

 

Parce que la presse indépendante est vitale pour notre démocratie

La concentration de la presse entre les mains d’une poignée de milliardaires a pris ces dernières années des proportions très inquiétantes. Quelques oligarques possèdent aujourd’hui plus de 90 % des quotidiens nationaux diffusés en France chaque jour. Politis, avec d’autres, mène la bataille pour défendre l’existence de médias indépendants, garantir le pluralisme de la presse en France, et donc la vitalité du débat démocratique. Parce que l’information est un bien public, qu’il faut protéger et renforcer.

 

En soutenant Politis, vous y contribuez :
https://www.politis.fr/articles/2021/11/sauvons-politis-43814/

Trois ans après le début du mouvement, le sociologue Pierre Blavier montre à quel point les gouvernements successifs ont fragilisé les modes de vie de nombreuses personnes.

Au lendemain du 17 novembre 2018, premier samedi de mobilisation des gilets jaunes contre la taxe sur les carburants, les jugements sont légion. « Mouvement spontané », « aucune organisation », « jacquerie moderne »… Pourtant, force est de constater que ces dizaines de milliers de personnes en chasuble fluo ont constitué, dans la durée, l’un des mouvements sociaux les plus forts de ces dernières années. Entre les manifestations de fin de semaine et l’occupation des ronds-points, les gilets jaunes ont exprimé une colère vive contre la précarisation de leur quotidien, fait de fins de mois acrobatiques, d’injustice fiscale et de rapport contrarié aux institutions politiques, syndicales et médiatiques.

Du 17 novembre 2018 au 15 janvier 2019, le sociologue Pierre Blavier a enquêté sur ces modes de vie en difficulté, en insistant sur la manière dont la situation économique des personnes impliquées a pu structurer leur implication sur les ronds-points. Il publie aujourd’hui Gilets jaunes. La révolte des budgets contraints.

Pouvez-vous revenir sur la manière dont les gilets jaunes se sont politisés ?

Pierre Blavier : Il y a cette idée reçue d’un mouvement qui serait né du jour au lendemain. Pourtant, des réseaux de mobilisation étaient engagés avant le 17 novembre 2018, mais ils étaient passés inaperçus. C’est notamment le cas des personnes qui s’étaient organisées contre la réforme du passage de 90 à 80 km/h comme vitesse maximale autorisée sur les routes départementales. En janvier 2018, on pouvait voir des pancartes au bord des routes et même quelques rassemblements – en ligne, sur Facebook ou dans certains lieux. Ces réseaux semblaient mineurs. Pourtant, des formes d’engagement ont subsisté jusqu’aux gilets jaunes. D’autres mobilisations paraissaient lointaines : par exemple, les bonnets rouges. Certaines personnes que j’ai interrogées, dans la région Centre, avaient participé à ce mouvement contre l’écotaxe, alors qu’on dit souvent qu’il était cantonné à la Bretagne. L’autoroute au blocage duquel elles avaient pris part à l’époque était d’ailleurs la même que celle du samedi 17 novembre.

L’absence des professions intermédiaires, des enseignants, du milieu agricole et des syndicats suggère que les gilets jaunes ont été une révolte plutôt qu’une révolution.

Sur les ronds-points, ces politisations sont aussi marquées par l’absence d’un certain usage de la parole politique issue des cadres auxquels nous sommes plus habitués, comme les partis politiques, les syndicats ou les associations. Ce décalage, original et relativement inédit, est propice à l’engagement de milieux sociaux jusque-là rétifs aux structures institutionnelles.

Cette attitude dubitative se retrouve aussi vis-à-vis des syndicats – quand bien même de nombreuses personnes syndiquées étaient présentes sur les ronds-points.

Oui, cette présence était frappante, notamment chez les ouvriers qualifiés de l’industrie. En revanche, il y avait assez peu de représentants syndicaux. En tout cas, ils s’annonçaient très rarement par ce statut-là. Cette gêne peut s’expliquer par le fait que les centrales syndicales avaient choisi de ne pas soutenir ouvertement les gilets jaunes. Le refus des syndicats de débrayer était d’ailleurs assez mal compris, même s’il y avait différentes raisons à cela, en plus de la crainte que le mouvement ne soit noyauté par l’extrême droite : au même moment avaient lieu les élections agricoles, celles de la fonction publique… Ces échéances mobilisaient beaucoup les grandes centrales.

Ces précédentes mobilisations permettent, selon vous et d’autres chercheurs, de qualifier les gilets jaunes de « mouvement des mouvements ». Y a-t-il un dénominateur commun à toutes ces luttes ?

Oui, cette expression de « mouvement des mouvements » permet de souligner le caractère composite des gilets jaunes : leurs luttes antérieures et leurs professions étaient très diverses, et ils pouvaient être de bords politiques opposés, mais leurs modes de vie étaient similaires. Je pense qu’un dénominateur commun existe, mais pas forcément en termes de revendications – même si les bonnets rouges avaient formulé ce sentiment d’injustice fiscale, comme l’ont fait les gilets jaunes initialement. Il faut plutôt regarder les personnes concernées et les savoir-faire mis en œuvre. Observer ce mouvement uniquement par les manifestations à Paris, sans regarder du côté des ronds-points, constitue une profonde erreur d’analyse. Les ronds-points des gilets jaunes formaient une sorte de réceptacle de compétences, de références communes, de pratiques et de réalités semblables aux différents milieux sociaux mobilisés.

Les économistes Bruno Amable et Stefano Palombarini ont qualifié les gilets jaunes de « bloc antibourgeois », en référence au « bloc bourgeois » que représentent les classes moyennes et supérieures favorables à la mondialisation et représentées par Emmanuel Macron. Pourquoi pensez-vous qu’il faille nuancer cette analyse ?

Leurs travaux sont tout à fait intéressants. C’est un prisme possible pour analyser le mouvement des gilets jaunes : il formerait un bloc d’opposition au bloc bourgeois. Mais il me semble que sa composition sociologique nuance cette lecture en termes de « bloc ». J’ai pu observer que les gilets jaunes ont certes rassemblé les classes populaires, mais les ouvriers de l’artisanat ou les secrétaires, qui ne sont pas des professions anodines au sein des classes populaires, étaient peu représentés. Or on ne voit pas pourquoi ces professions ne seraient pas engagées contre un bloc bourgeois, représenté par Emmanuel Macron.

Les ronds-points sont devenus des communautés d’inclusion sociale assez forte. Une forme de politisation in situ et par le bas.

La relative hétérogénéité des gilets jaunes empêche de s’en tenir à cette idée restrictive d’opposition des blocs. Par ailleurs, tout portait à croire que, du côté des professions intermédiaires, comme les enseignants, un certain soutien allait se manifester. Or cela n’a pas été le cas. Idem pour le milieu agricole. Les syndicats auraient également pu établir un rapport de force avec le gouvernement en appelant à rejoindre les gilets jaunes. Je pense que de tels soutiens auraient ouvert une ère de grands changements tels qu’on les a connus dans l’histoire française, en 1936 (accords de Matignon) ou en 1968 (accords de Grenelle). Preuve de l’écart qui existe entre les enseignants et les gilets jaunes : les premiers avaient initié un mouvement parallèle, les « stylos rouges », qui, du point de vue des seconds, les renvoyaient à leurs parcours scolaires malheureux. Pour nombre de gilets jaunes, la culture écrite n’est pas évidente. Ces absences suggèrent que les gilets jaunes ont été une révolte plutôt qu’une révolution.

Révolte ou révolution : ce questionnement parcourait aussi Nuit debout, un mouvement auquel vous vous référez à plusieurs reprises dans le livre. Jusqu’à quel point ces deux révoltes se ressemblent ou ­s’opposent ?

Nuit debout a plusieurs points communs avec les gilets jaunes. D’abord, la temporalité assez rapprochée – même si le contexte politique a beaucoup changé entre le printemps 2016 et l’hiver 2018. Ensuite, la caractéristique de l’occupation d’un lieu public, ce qui implique une visibilité par les autres citoyens, mais aussi une forte médiatisation. Ces parallèles sont intéressants, mais ils ne doivent pas cacher la très grande différence sociologique des publics engagés. Nuit debout, a fortiori sur la place de la République, à Paris, était surtout constitué d’intermittents du spectacle, d’universitaires et de journalistes. Un autre point qui les éloigne : les lieux de rassemblement. Nuit debout s’était positionné sur des mobilisations en centre-ville et très souvent en face des mairies ou de lieux symboliques. Pour les gilets jaunes, ce sont des ronds-points situés généralement dans des zones commerciales de petites agglomérations, même s’ils ont pu occuper des péages ou des parkings.

Vous insistez sur la « joie », le « plaisir » et les « ressentis » qu’ont pu éprouver certains gilets jaunes à l’idée d’être ensemble et de transgresser des espaces urbains subis au quotidien, comme les ronds-points. Ce mouvement a-t-il été aussi une révolte des corps ?

Je ne suis pas à l’aise avec cette expression : selon moi, c’était une révolte interactionniste. Sur les ronds-points avaient lieu plein d’échanges extraordinaires par rapport à la vie des personnes concernées. D’abord avec les autres personnes présentes, et notamment des discussions qui n’ont pas cours dans les sociabilités habituelles, comme partager avec des inconnus les difficultés du quotidien. Très rapidement, les ronds-points sont devenus des communautés d’inclusion sociale assez forte, avec évidemment des tensions, des colères, des moments de joie, etc. Mais aussi une interaction avec les automobilistes : les barrages routiers ont été l’occasion d’entamer un échange avec eux, ce qui constitue, selon moi, une forme de politisation in situ et par le bas.

Cette politisation s’entremêle avec les tensions économiques du quotidien : ce sont ces fameux « modes de vie ». Ils constituent le cœur de votre enquête…

J’ai insisté sur cette notion de budget car, derrière ce mot, il y a la dimension économique – le lien entre le salaire que l’on gagne et les biens auxquels on peut accéder –, mais aussi un enjeu qualitatif : des formes de vie qui renvoient à des dimensions plus larges comme la gestion du temps, les goûts alimentaires ou les sociabilités. Il y a toute une partie de la population française dont les modes de vie sont sous forte tension. On le constate notamment sur des emplois du temps qui débordent à cause des heures supplémentaires en plus du temps plein, la prise en charge de personnes dépendantes à domicile pour éviter de payer un intermédiaire trop cher, des à-côtés pour pallier la précarité et qui forment ce que j’appelle le système D. Je prends pour exemple le mode de vie de la famille de José et Sylvie, parents d’un jeune de 21 ans. Après avoir remboursé leur prêt immobilier, payé les factures et les frais fixes, leur « reste à vivre » représente seulement 7 % de leurs revenus (en l’occurrence, 201 euros).

Vous parlez même d’« attaques des gouvernements successifs » : quelles sont les réformes qui ont transformé la réalité des gilets jaunes ?

Il faut se départir d’une lecture partisane, car ces attaques renvoient à des politiques publiques menées depuis plusieurs décennies. Le premier volet, c’est la question de l’automobile, avec un durcissement important de la législation contre les excès de vitesse et l’alcoolémie. Je ne remets pas en cause cette politique, mais elle s’est articulée à d’autres législations comme le renforcement du contrôle technique, qui se concentre sur les personnes amenées à utiliser quotidiennement leur voiture. Ce phénomène contraint le déploiement d’une des compétences structurantes du mouvement des gilets jaunes : la culture de la voiture et de sa réparation faite soi-même.

Il n’y a pas eu d’élan massif vers les institutions traditionnelles. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’ils sont tous abstentionnistes.

Le deuxième volet, c’est la redistribution. Ils sont contre les taxes proportionnelles, c’est-à-dire celles que tout le monde paie au même niveau, qu’importe le revenu. Ils sont aussi très marqués par l’augmentation de la CSG, contraire à l’idée de la justice fiscale, selon laquelle plus on est riche, plus on paie d’impôts. Un troisième aspect repose sur l’ouverture par l’État de marchés entiers à des sociétés privées : les mutuelles complémentaires, la gestion des autoroutes et des péages ou certaines maisons de retraite.

Face à ces injustices, le système D, qui concentre un ensemble de pratiques et de savoir-faire communs à de nombreux gilets jaunes pour pallier la précarité, constitue-t-il une forme de résistance ?

De mon point de vue, bien sûr. Mais je ne suis pas sûr que cette résistance s’énonce comme ça du point de vue des gilets jaunes. Pour eux, c’est la seule manière d’arrondir leurs fins de mois et de maintenir un certain niveau de vie pour eux et leur famille. Cela les amène à recourir à un ensemble d’activités : faire son bois, ses réparations, entreprendre des petits chantiers pour des proches… Ce sont des pratiques qui permettent de « tenir », comme ils disent souvent.

À six mois de l’élection présidentielle, comment ces personnes pour qui les gilets jaunes ont constitué une première expérience militante ont-elles évolué dans leur politisation ?

C’est une question difficile, qui demanderait une étude à part entière. Mais il me semble qu’il n’y a pas eu d’élan massif vers les institutions traditionnelles, avec lesquelles les gilets jaunes entretiennent une réelle distance. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’ils sont tous abstentionnistes. Mais il demeure ce sentiment partagé que le champ politique ne répond pas à leurs difficultés. Les milliers de personnes qui ont pris part à ce mouvement sont politisées, mais ont le sentiment de ne pas être représentées. Ce qui, pour la République, est assez inquiétant.

Gilets jaunes. La révolte des budgets contraints Pierre Blavier, PUF, 240 pages, 18 euros.

publié le 18 novembre 2021

A Montpellier, les cheminots grévistes insistent sur la convergence avec les usagers

sur https://lepoing.net

Ce mercredi 17 novembre, la CGT était rejointe dans l’action, par des associations tout autant préoccupées par l’état du service public des transports.

L’heure était à une convergence des luttes peu courante, ce 17 novembre devant la gare Saint-Roch de Montpellier. Un appel national à la grève avait été déposé par les deux syndicats majoritaires au sein de la SNCF (CGT – Sud rail) pour peser sur les négociations salariales au sein du groupe ferroviaire, qui se tenaient à Paris. Seul syndicat visible sur ce rassemblement, la CGT Cheminots du Languedoc Roussillon partageait le pavé et le micro avec des associations d’usagers de la région.

Pour la CGT, qui annonçait 40 % de grévistes environ dans la région, l’objectif est de rétablir le niveau des salaires des cheminots qui subit un gel depuis 7 années consécutives. La table ronde parisienne revêtait donc d’une importance considérable aux yeux des salariés. Par ailleurs Sébastien Mourgues secrétaire général de la CGT Cheminots de la région Languedoc- Roussillon insiste sur le manque de personnel : « Sur la région il manque en tout 200 employés ». Une insuffisance qui a des conséquences directes sur les conditions de travail des salariés, mais tout autant sur la qualité du service rendu au public.

Ce « bien public » était particulièrement mis en exergue en cette matinée de lutte. La parole était donnée à des associations d’usagers présentes (« Comité de défense des services publics et des usages des Hautes Cévennes », « ALF Carcassone-Quillan, le « Comité Pluraliste »). Toutes évoquaient des revendications similaires quant à la vie quotidienne, mais d’ordre politique en définitive.

Pèle mêle : la disparition des guichets « physiques » en gare débouche sur une inégalité d’accès entre usagers aux services. Il y a un manque de cohérence entre les enjeux écologiques actuels et la réalité concernant le transports de fret par voie routière au détriment du ferroviaire pourtant plus propre. Autre sujet de préoccupation : l’amélioration de l’accès aux réseaux de transport pour les villages isolés.

Ici la déshumanisation des services, là l’appauvrissement des salariés dû aux manques de moyens financiers, sont donc les ingrédients d’une politique publique en total retrait de l’intérêt commun. Le service de transport SNCF fait face à une ouverture à la concurrence, au détriment de cet intérêt et paraît être déconnecté des demandes syndicales et citoyennes.  Ces prises de paroles voulaient révéler des craintes partagées entre salariés et usagers, qui unis, peuvent faire preuve d’une démonstration de force en se mobilisant dans la rue.

A 13h30, un cortège d’environ trois cents personnes s’est élancé du parvis de la gare vers le parc du Peyrou, pour finir à la préfecture, où eut lieu un accrochage des banderoles sur les grilles du bâtiment. Pour finir, associations et syndicats ont « posé » ensemble pour une photo « scellant » leur volonté partagée de protéger la « chose publique ».

publié le 17 novemb re 2021

Mobilisation. Chez Nor’Pain,
les travailleurs en lutte pour
de meilleurs salaires

Luis Reygada sur www.humanite.fr

 

Face à une direction méprisante, les employés de l’usine de Val-de-Saâne, en Seine-Maritime, entament leur seconde semaine de grève.

 

Le débrayage a commencé le dimanche 7 novembre et les négociations sont au point mort. « Au point mort total », précise Baptiste Lecoq. Avec plus de sept années d’ancienneté chez Nor’Pain, ce conducteur de four industriel fait partie des plus de trois quarts des salariés en grève sur les 300 employés que compte le site de Val-de-Saâne (Seine-Maritime), une des sept usines du groupe La Boulangère, fabricant de pains et viennoiseries préemballés. «Le directeur refuse de venir discuter au piquet de grève, alors nous avons accepté d’aller le voir (hier) matin sur le parking du site», explique celui qui est aussi représentant syndical CGT. «Il a recommencé à nous faire la messe, que du bla-bla comme à chaque fois ; nous sommes partis avant qu’il termine. Pourtant, ce n’est pas si compliqué : aujourd’hui, la principale revendication des ouvriers, c’est le salaire.»

Quatre lignes de production à l’arrêt

Pétrisseurs, conducteurs de ligne, agents de maîtrise chargés des machines ou du conditionnement, voilà maintenant plus d’une semaine qu’ils sont tous mobilisés, de jour comme de nuit, bravant les températures automnales, pour réclamer un meilleur traitement. Le bras de fer est engagé avec une direction qui – pour le moment – ne paraît pas disposée à céder malgré l’arrêt des quatre lignes de production de l’exploitation.

«Nous demandons une augmentation de 150 euros net», explique Baptiste avant de décrire des conditions de travail difficiles : des salaires à peine au-dessus du Smic pour plus de 37 heures hebdomadaires, avec souvent des horaires de nuit, de l’activité les week-ends et en rotation, en trois-huit ou en quatre-huit. Un rythme éreintant, déjà signalé par la médecine du travail.

«Quand on nous demande s’il y a du boulot à Nor’Pain, il suffit de décrire les conditions de travail pour que les gens préfèrent aller voir ailleurs. C’est simple : plus personne ne veut venir travailler chez nous », poursuit le syndicaliste. « L’ambiance est très dégradée, on a eu près de 30 démissions depuis le début de l’année. Avec ces fiches de paye et l’atmosphère sur place, c’est vite décidé : les intérimaires ne restent pas.»

Une attitude « cassante »

Alors que chez Nor’Pain, l’approche des fêtes de fin d’année est toujours synonyme d’amplification des horaires, il n’est plus envisageable pour les grévistes de continuer à supporter un management pour le moins pénible, autre source de conflit au sein de l’entreprise. La CGT, qui dépeint une maltraitance devenue routinière de la part de la direction et de certains cadres, n’hésite pas à pointer du doigt le directeur de l’usine, lequel n’aurait pas hésité, pendant le confinement, «à se promener dans l’usine avec un bâton pour faire respecter la distanciation physique ; à nous pousser comme si on était du bétail » !

Une attitude « cassante et teintée de mépris », que n’a pas manqué de dénoncer le député Sébastien Jumel (PCF) dans un courrier adressé à la ministre du Travail. «Il faut rappeler que ces salariés sont restés en production au plus fort de la crise sanitaire », a notamment rappelé l’élu de Seine-Maritime, qui s’est rendu sur place vendredi dernier.

De leur côté, les grévistes restent déterminés. «On sait bien qu’une grève, ce n’est jamais facile ! assène Baptiste Lecoq, mais tant qu’on n’obtiendra pas ce qu’on a demandé, l’usine ne redémarrera pas. » Contactée par l’Humanité, la direction du site n’a pas souhaité s’exprimer.

Face à une direction méprisante, les employés de l’usine de Val-de-Saâne, en Seine-Maritime, entament leur seconde semaine de grève.

publié le 15 novembre 2021

Montpellier : gros coup de semonce des chauffeurs de bus tram

Sur le site https://lepoing.net/

Aucun service public des transports urbains ne fonctionnait vendredi dernier dans la ville. Ce mouvement de grève révèle le malaise profond de centaines d’agents dépendant directement de la Métropole

« Une journée historique » estimait Laurent Murcia, responsable du syndicat Force ouvrière, archi majoritaire parmi les personnels de la TAM, la société de transports publics urbains desservant Montpellier et les communes de sa Métropole. Historique car le mouvement de grève de vingt-quatre heures déclenché ce vendredi 12 novembre s’est traduit par un blocage total de tout le réseau : pas un seul autobus, pas une seule rame de tramway n’ont circulé sur les quinze lignes desservies par ceux-ci, les quatre par celles-là (sur la commune même de Montpellier). Il faut appeler cela une démonstration de force.

Deux cents manifestants se sont regroupés en début de matinée devant les locaux d’accueil du public en centre ville, face à la gare. De là ils ont effectué une remontée jusqu’aux jardins du Peyrou. Dans le sens montant ou descendant, tout journaliste du Poing a effectué ce parcours de manifestation, interrompant une bonne part du réseau de tram, des dizaines et des dizaines, voire centaines de fois. Mais pour cette occasion supplémentaire, c’était intriguant, sollicitant, très particulier, que les manifestants soient cette fois les propres conducteurs des trams ou bus empruntant normalement ce boulevard.

Un épais malaise s’est installé dans l’entreprise TAM, et selon le responsable syndical, « il va vraiment falloir que ses dirigeants s’occupent des problèmes du personnel, sinon c’est le personnel qui va devoir s’occuper d’eux ». Depuis quelques temps Force Ouvrière brandissait la menace d’une grève perlée, les vendredis et samedis jusqu’à la Noël.

Voilà qui ressemblait à une arme redoutable de dissuasion massive : Mickaël Delafosse peut-il vanter sa politique des mobilités, si celle-ci se traduit par une paralysie du transport public pour la première période de sur-consommation des Fêtes de fin d’année qui pourrait signifier un retour à la “normale”, après des années de fortes perturbations provoquées par les politiques anti-populaires d’Emmanuel Macron, et la pandémie de COVID ?

Finalement, ce mot d’ordre est pour l’heure suspendu, après qu’un accord salarial ait été conclu, certes modeste (1,37 % d’augmentation du point, et l’octroi d’une prime COVID de 400€ à 700€ par agent en fonction de leur niveau de revenus). « Disons que cela garantit un maintien du pouvoir d’achat, puisqu’hélas nous en sommes arrivés là dans ce que nous pouvons espérer obtenir, ce qui est déjà bien mieux que dans beaucoup d’autres secteurs » estimait toujours le responsable syndical.

Dans l’ensemble, le cortège ne se remarquait pas pour une quelconque fébrilité impétueuse. L’atmosphère très automnale semblait faire écho au maquis des questions qui restent dorénavant à négocier. Ces questions touchent, à une profonde « dégradation des conditions de travail », qui est aussi « une dégradation du service public. Aujourd’hui, 70 % des lignes de bus sont affectées par des retards d’horaires. Et la ligne 4 de tramway fonctionne de fait en service réduit permanent ».

Tout cela par manque de moyens mis en face des nécessités de service, dans une phase de sur-pression liée à la sortie des confinements, et à la mise en place difficultueuse de la gratuité. Un employé fait part des inquiétudes du personnel de l’entreprise : « Certains de nos chauffeurs craignent de voir de plus en plus d’accidents se produire, et c’est avec soulagement qu’ils rentrent le soir quand la journée s’est bien déroulée». La densification du trafic due entre autre aux nouvelles pistes cyclables couplées aux mesures de limitation de la vitesse à 30 km/h en agglomération ajoutent des tensions sur la route et sur les horaires que doivent tenir les employés.

En outre il confie : « l’application de ces mesures prises par la mairie va trop vite, et l’entreprise ne prend pas assez en considération les changements rapides de la ville, on commence à être dépassé ». A cela s’ajoutent le mécontentement des usagers, et la pression psychologique qu’ils subissent. Pointé du doigt, le manque de personnel est une revendication essentielle. Selon un délégué syndical « il manque quarante à cinquante conducteurs de tramway et de bus confondus ». Laurent Murcia poursuit : « en prenant en compte les départs en retraite, mais aussi les services à temps partiel qui se font plus nombreux avec l’évolution actuelle des modes de vie, on a un taux de remplacement du personnel qui ne correspond pas du tout à la réalité des services ».

publié le 27 octobre 2021

Mobilisation. Les ubérisés du monde entier préparent leur contre-attaque

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Des activistes et syndicats de travailleurs des plateformes d’Europe et d’Amérique se sont donné rendez-vous à Bruxelles, ce mercredi. L’objectif : instaurer un rapport de forces international face aux sociétés pour faire enfin appliquer leurs droits.

Dans la salle de conférences bruxelloise, les bruissements des bavardages ont des sonorités internationales. Ce mercredi, les travailleurs ont débarqué du Brésil, d’Ukraine, d’Uruguay, du Portugal ou encore des Pays-Bas pour assister à la seconde édition du Forum international des alternatives à l’ubérisation, organisé par des élus du Groupe de la gauche au Parlement européen. Pour les députés, cette rencontre permet de préparer au mieux le terrain pour une éventuelle riposte à une directive sur les droits des employés des plateformes, que la Commission européenne devrait révéler en décembre. Pour les dizaines de coursiers et conducteurs ubérisés présents dans la capitale de l’Europe, l’enjeu est aussi de donner un élan mondial à leur mobilisation en alliant leurs forces. Puisque, si chacun évolue dans son propre pays avec des réglementations différentes, le constat du fléau que sont les plateformes numériques est largement partagé. Et, en premier lieu, celui de l’extrême précarité dans laquelle sont enfermés les travailleurs.

Une absence de transparence

« Au Brésil, mes collègues sont des hommes pauvres et noirs, en Europe ce sont des migrants sans papiers », lance d’emblée la coursière brésilienne et porte-parole du mouvement Livreurs antifascistes, Luciana Kasai. Cette facilité qu’ont les plateformes ubérisées, telles que Deliveroo, Stuart, Frichti ou Bolt, à maintenir ces personnes dans l’exploitation tient aussi à l’utilisation d’un algorithme, appuient les participants. En particulier, l’absence de transparence sur son fonctionnement est une « contrainte au dialogue social », explique l’auteur et chercheur français Florian Forestier, puisqu’elle crée des « asymétries » entre les plateformes et les employés.

Aux niveaux local et national, de nombreuses mobilisations ont déjà permis d’obtenir de premiers résultats. Le 19 février, la Cour suprême du Royaume-Uni a jugé que les personnes travaillant pour une plateforme de l’ubérisation, et malgré leur statut d’indépendant, étaient bel et bien des salariées et devaient pouvoir bénéficier à ce titre des protections permises par ce statut, notamment d’un salaire minimal. En Californie, un juge estimait récemment que le référendum de 2020, qui scellait le statut d’indépendant des chauffeurs Uber, était inconstitutionnel. En France, il y a un mois, Deliveroo était renvoyé en correctionnelle pour travail dissimulé. Si ces décisions de justice sont des premières victoires, les suites que les plateformes leur donnent désespèrent les employés. Malgré les condamnations, les sociétés persistent à utiliser des travailleurs sous le statut d’indépendant. « On a affaire à un véritable sentiment d’impunité », confirme la députée européenne la France insoumise Leïla Chaibi. Quant aux requalifications de statut en contrat de travail, celles-ci restent des décisions ponctuelles qui peinent à remodeler le système. « Ces plateformes sont criminelles. Il est important de gagner des batailles, mais je pense qu’Uber ne respectera jamais nos droits. On doit créer des alternatives pour ne plus avoir à travailler avec elles », s’emporte Alberto Alvarez, porte-parole de l’association Elite Taxi, en Espagne.

Des coopératives en alternative

À ce titre, de nombreuses coopératives ont déjà ouvert la voie en Europe. C’est le cas de Coopcycle, qui fédère en France plusieurs structures et propose une plateforme alternative à celles des sociétés de l’ubérisation. Si ces organisations sont saluées de toutes parts, « elles ne jouent pas à jeu égal » avec les grandes sociétés, regrette Martin Willems, syndicaliste belge à United Freelancers CNE/CSC. Et de poursuivre : « Si on accepte que les plateformes violent la loi, comment les coopératives pourraient-elles venir les concurrencer ? » Les travailleurs comptent ainsi ne pas baisser les armes dans leur combat contre les plateformes. Après un temps d’échanges à Bruxelles, les participants au forum se sont réunis en assemblée générale pour déterminer le cadre d’une mobilisation internationale. Ils ont d’ores et déjà décidé de défiler dans les rues de la capitale belge, tandis qu’un représentant de chaque délégation rencontrait le commissaire européen à l’Emploi.



 

publié le 25 octobre 2021

Mobilisation. Grèves coordonnées de travailleurs sans papiers

Luis Reygada sur www.humanite.fr

Plus de 300 travailleurs occupent leurs entreprises sur différents sites d’Île-de-France. La CGT exige leur régularisation immédiate.

Présents sur dix sites en Île-de-France, c’est sous la bannière de la CGT que 300 travailleurs sans papiers ont entamé hier matin un mouvement de grève, bien déterminés à obtenir leur régularisation. Ils sont livreurs, éboueurs, plongeurs, agents de sécurité, ouvriers dans le bâtiment ou encore manutentionnaires… Leurs métiers sont souvent pénibles, mal rémunérés, et leur imposent des horaires atypiques ; à ces difficultés – trop souvent accompagnées d’un manque de considération sociale – vient s’ajouter la pire des injustices : à cause de leur situation administrative, ces hommes et femmes sont traités comme des travailleurs de seconde classe par des patrons peu scrupuleux, qui ne se privent pas de leur imposer des conditions de travail dégradées.

«  Dans le secteur du bâtiment, nous explique Jean-Albert Guidou, on peut se retrouver avec des intérimaires qui ont des contrats de mission d’à peine trois, voire deux heures de travail par jour ! Qui pourrait accepter ça ? C’est un système de flexibilité absolu dans lequel toutes les contraintes disparaissent pour les employeurs, explique ce responsable pour la Seine-Saint-Denis du collectif Travailleurs migrants de la CGT. Pour leur part, les agences d’intérim y trouvent grassement leur compte grâce aux commissions qu’elles touchent sur le dos des sans-papiers. En retour, ces derniers subissent discriminations, surexploitation, se voient imposer les contrats les plus précaires.

« Une main-d’œuvre corvéable à merci, en dehors de toute règle et loi du travail »

«Nous occupons les lieux notamment pour f aire pression sur les employeurs pour qu’ils signent des promesses d’embauche », précise Jean-Albert Guidou, actif sur le piquet de grève de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en soutien aux agents de voirie de la Sepur. Comme cette entreprise spécialisée dans la gestion de la propreté et des déchets, il signale d’autres enseignes, du luxueux Café Marly du Louvre aux grands groupes comme Monoprix, Bouygues ou Eiffage. «Ces entreprises s’appuient sur les différents types de statuts précarisés – intérimaires, autoentrepreneurs ou extras – tout en se dédouanant de leurs responsabilités, puisqu’elles passent par des agences d’intérim, tout en sachant que, s’agissant de sans-papiers, ces travailleurs n’iront pas se plaindre (de leurs conditions de travail). » Une situation qui fait d’eux «  une main-d’œuvre corvéable à merci, en dehors de toute règle et loi du travail », dénonce la CGT dans un communiqué, non sans rappeler que le combat des travailleurs sans papiers «  sert la lutte de tous les travailleurs (…) contre la précarisation de la société ».

publié le 23 octobre 2021

Tranquillement, les gilets jaunes draînent de plus en plus sur les ronds-points occitans

Sur https://lepoing.net/

Perpignan, Montpellier, Albi, Béziers, Nîmes : alors que certains médias se régalent d’annoncer l’échec du retour des gilets jaunes, les points de rendez-vous occitans drainent petit à petit de plus en plus en monde sur les ronds-points.

Près du magasin de moto Macadam, entre Saint-Jean de Védas et Montpellier, dès midi, une vingtaine de gilets jaunes se retrouvent à nouveau sur le rond-point. Amusés, on y évoque les nombreux souvenirs de la lutte qui a courue entre le mois de novembre 2018 et le premier confinement, en mars 2020. L’équipe se connaît déjà, peu de nouvelles tête, mais un joli sourire qui refleuri sur chaque visage à chaque coup de klaxon lancé par un automobiliste en signe de soutien. C’est que la mobilisation anti-pass, qui emporte l’adhésion de tous sur le principe, est perçue comme en stagnation, en voie de stérilité : la moitié des GJ présents au rond-point ne s’y rendront pas. “Ca ne sert plus à rien”, commente l’un d’eux. Si aucune perspective particulière, aucune stratégie de haute volée n’est élaborée pour relancer une contestation avide de justice sociale, tout le monde s’interroge sur la suite des évènements.

A contrecourant de nombreux médias, tiraillés entre l’effet buzz d’un retour des gilets et le plaisir d’annoncer l’échec de ce même retour. Ce type de publication se voudrait factuelle. Sur la base d’un parrallèle avec la mobilisation du 17 novembre 2018. Alors parlons en, des faits du passé. En 2018, la mobilisation historique des gilets jaunes n’a pas vraiment surgie de nulle part, même si elle a surpris. De nombreux mois d’agitation numérique ont précédé la déferlante. Sur Montpellier et ailleurs, des groupes s’étaient formés pour préparer cette première journée, par de petits rassemblements préalables, de nombreuses diffusions de tracts, des discussions avec les passants se concluant invariablement sur un “on vous attend le 17” Grande limite du commentaire médiatique.

Sur le rond-point de la Méridienne, à Béziers, les gilets jaunes étaient une quarantaine ce 23 octobre. Une des participante, elle aussi “historique” des GJ, nous lâche, avec un enthousiasme prudent : “C’est encourageant, on est plus que la semaine dernière, et on a l’impression de rencontrer un écho autour de nous”

Même schéma au rond-point d’accès sud à l’autoroute de Perpignan, qui est lui occupé occasionnellement en semaine. Sur Nîmes, la poignée de gilets jaunes remobilisés aux ronds-points du kilomètre delta et devant le Jardiland de la ville est fortement irriguée par la mobilisation contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale. Ils étaient quelques dizaines ce samedi présents sur leur lieu de rendez-vous, mais de plus petits groupes y viennent en semaine aussi, comme ce vendredi 22 au soir. Toujours dans le Gard, les GJ de Sint-Gilles organisaient un café citoyen sur leur rond-point dans la mâtinée.

Les comptages du collectif Le Nombre Jaune, qui indiquent les lieux de rassemblements et permettent de mesurer la présence aux ronds-points, ne sont pas encore achevés. Localement en tout cas, la remobilisation des gilets jaunes semble suivre son cours, tranquille pour le moment. De par les observations de la rédaction du Poing, de par les commentaires lâchés dans la presse par certaines des figures médiatiques du mouvement, le frémissement dans sa base de soutien la plus active n’est donc pas un fantasme. A un mois du troisième anniversaire du mouvement, des groupes de discussion se forment, discutent la stratégie à mettre en place. Jérôme Rodriguez appelle d’ors et déjà à des opérations escargot pour la journée du mercredi 17 novembre, et à d’importantes manifs le samedi 20. Plus évasive, Priscilla Ludovsky fait comprendre qu’en attendant une éventuelle réaction du gouvernement -les 100 euros de primes accordées à ceux qui touchent moins de 2000 euros par mois n’ont pas convaincu- des efforts de structuration seraient faits, et qu’elle pencherait pour une journée unique de grande mobilisation, prévue très à l’avance, et accompagnée d’une grande manif nationale sur Paris.

L’histoire ne se répète pas. Le gilet est devenu un symbole de lutte contre les inégalités, de persévérance. Mais aussi de la terrible répression dont la société bourgeoise est capable quand elle se sent menacée. Si mouvement social il doit y avoir dans les semaines ou les mois à venir, il sera très certainement différent de celui de l’automne 2018. Pour autant, les gilets restent un marqueur de la nouvelle culture des luttes sociales en France, et les aficionados du chasuble fluo ont très certainement leur rôle à jouer dans l’histoire. A suivre…

publié le 21 octobre 2021

Industrie. Chapelle-Darblay,
une bataille nationale

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

La métropole Rouen Normandie menace d’exercer son droit de préemption pour sauver la papeterie de Grand-Couronne, théâtre d’enjeux sociaux et environnementaux.

C’est l’un des combats emblématiques du collectif Plus jamais ça, cette alliance rouge et verte rassemblant syndicats et ONG écolos, qui s’est nouée en 2020 sur fond de pandémie mondiale. L’avenir de Chapelle-Darblay, papeterie aujourd’hui à l’arrêt, cristallise des enjeux à la fois sociaux (emplois industriels), environnementaux (transition énergétique) et politiques. Pour comprendre les derniers rebondissements de ce dossier mouvementé, il faut revenir aux sources du conflit.

À l’automne 2019, le groupe finlandais UPM, propriétaire du site situé à Grand-Couronne (Seine-Maritime), annonce son intention de s’en débarrasser. En mai 2020, il licencie les 228 salariés. Une hérésie pour les élus locaux et les syndicats, soutenus par le collectif Plus jamais ça (CGT, Greenpeace, les Amis de la Terre, etc.), qui se mobilise pour relancer le site. Ce dernier est en effet le seul en France à pouvoir produire du papier journal 100 % recyclé.

Que cache l’hydrogène ?

Depuis plusieurs mois, la direction d’UPM prépare la vente à un attelage de repreneurs – Samfi et Paprec –, désireux de développer une activité de tri de déchets en papier et en plastique, couplée d’ici quelques années à une production d’hydrogène. En théorie, le projet fait forte impression – après tout, l’hydrogène est un vecteur d’énergie furieusement « à la mode » –, mais les syndicalistes ne l’entendent Handicap. L’école inclusive est un sport de combat

pas de cette oreille. « On nous parle de 350 postes créés, explique Arnaud Dauxerre, représentant (sans étiquette) du collège cadres de la papeterie. Mais il s’agit là d’emplois directs et indirects, qui ne verraient pas le jour avant cinq ou six ans ! Et encore faut-il qu’ils arrivent à trouver des consommateurs finaux pour les 400  mégawatts d’hydrogène promis, ainsi que les financements pour monter leur projet. On n’a rien contre l’hydrogène en tant que tel, mais il faudrait nous prouver qu’il existe des débouchés crédibles à brève échéance. En attendant, ils vont détruire toutes les machines actuellement sur le site et ne garderont que le nom. »

Vu sous cet angle, le projet paraît beaucoup moins engageant. D’autant que, selon les syndicalistes, les 228 salariés licenciés n’ont a priori pas les compétences pour produire de l’hydrogène…

Les plus hostiles au projet redoutent que, derrière cette offre de reprise, ne se cachent des préoccupations bassement spéculatives : une partie du site sur lequel se trouve la papeterie,« La balle est dans le camp de l’État »

vaste de 33 hectares, pourrait être revendue par appartements par les futurs repreneurs.

Toutes ces inquiétudes ont poussé la métropole Rouen Normandie à passer à l’action, ce 15 octobre. Alors que le conseil de surveillance d’UPM vient de voter la cession de la papeterie à Samfi-Paprec, la métropole menace d’user de son droit de préemption. Autrement dit, elle pourrait racheter le site à ses frais, pour bloquer la vente. « Il ne s’agit pas d’un enjeu local, mais national ! martèle Nicolas Mayer-­Rossignol, président PS de la métropole. Va-t-on se résigner à abandonner le recyclage papier-carton en France ? Ou veut-on développer enfin l’économie circulaire et restaurer notre souveraineté industrielle nationale ? »

« La balle est dans le camp de l’État »

Syndicalistes, élus locaux et ONG espèrent bien faire capoter cette vente. D’autant que d’autres repreneurs se sont mis sur les rangs, comme Veolia et Fibre Excellence. Ces derniers promettent de créer 250 emplois directs en produisant 450 000 tonnes de papier pour emballages (sacs en papier et cartons), un marché en plein essor.

« Il n’y a aucune comparaison possible entre les deux projets ! tranche François Chartier, chargé de campagne pour Greenpeace. Celui de Veolia permet de maintenir les activités historiques du site, avec le même nombre d’emplois et les mêmes qualifications. Par ailleurs, nous sommes sur une industrie assez exemplaire, puisqu’on valorise des déchets pour fabriquer des produits écologiquement propres. »

La « menace » brandie par la métropole pourra peut-être débloquer la situation, mais elle ne suffira pas, selon Hubert Wulfranc, député PCF de Seine-Maritime : « La balle est dans le camp du gouvernement. Financièrement, le rachat d’un tel site industriel semble être à la portée de la métropole. Mais, derrière, il faudra que l’État mette la main à la poche pour que le projet de réindustrialisation se matérialise effectivement. »

Un site unique en son genre

Depuis un an, nombre d’élus locaux se sont mobilisés pour l’avenir de la papeterie, depuis le PCF à LaREM en passant par le PS. En général, tous soulignent l’importance de ce site menacé. « Chapelle-Darblay, c’est 250 emplois directs et au moins 800 emplois indirects avant fermeture, rappellent les élus de la métropole Rouen Normandie. L’usine dispose d’une puissance de recyclage de 480 000 tonnes par an, soit le résultat du tri de 24 millions d’habitants – un tiers de la France. Elle rayonne dans un périmètre de 400 km. Chapelle-Darblay est un acteur écologique de référence : sa chaudière biomasse représente 30 % de la consommation régionale normande. »


 

publié le 21 octobre 2021

Handicap.
L’école inclusive est un sport de combat

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

La journée d’action des AESH de ce 19 octobre, la troisième cette année, met en évidence les promesses non tenues d’une école proclamée « inclusive », mais à qui on ne donne pas les moyens de le devenir.

Elles et ils ne lâchent pas l’affaire. Les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) étaient dans la rue le 8 avril, dans une mobilisation qui a surpris par son ampleur ceux qui ne s’intéressent qu’épisodiquement à leur situation. Ils ont remis ça le 3 juin. Et comme ils n’obtiennent toujours pas ­satisfaction sur leurs revendications ­essentielles, ils y retournent ce mardi 19 octobre, avec une liste de manifestations et de rassemblements qui n’oublie aucun recoin de l’Hexagone (pour l’Île-de-France, rendez-vous à 13 heures à la station RER Luxembourg pour défiler en direction du ministère de l’Éducation nationale).

Tout irait pour le mieux, sauf que...

Mais leur malaise traduit une autre réalité, peut-être moins audible encore : celle d’une école décrétée « inclusive » par le gouvernement… et qui ne l’est toujours pas vraiment ; celle de familles et d’enfants dont les « besoins particuliers », selon la terminologie officielle, peinent à être pris en prise en compte. Au prix de souffrances multiples : celles des élèves, de leur famille et – à commencer par les AESH – de tous les personnels sommés d’endosser la difficile mutation de l’école française vers une inclusivité qui serait bien réelle, et pas seulement proclamée.

Les chiffres se veulent ronflants, les communiqués triomphants : 400 000 enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire à la rentrée 2021, contre 321 500 en 2017 (+24 %) ; un budget accru de 250 millions d’euros en 2021 pour, au total, 3,3 milliards d’euros de financement annuel désormais consacré à « l’école inclusive », soit « une augmentation de moyens de plus de 60 % durant le quinquennat ! » proclame le secrétariat d’État aux Personnes handicapées. Les AESH sont désormais 125 000 –  une hausse de 37 % depuis 2017 – et, souligne le secrétariat d’État, elles et ils « sont désormais agents à part entière de l’éducation nationale ». Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que…

Contrats précaires et grilles de salaire au-dessous du Smic

Sauf qu’on joue sur les mots, déjà. «  Agents à part entière de l’éducation nationale », certes, mais toujours sous contrat de droit privé. Avec des CDD, au mieux, de trois ans, et une infime proportion de CDI. Avec, surtout, des contrats à temps partiel qui laissent leurs salaires flotter entre 700 et 800 euros, soit très nettement sous la barre du seuil de pauvreté, fixé à 1 100 euros. Nombre d’AESH cumulent d’ailleurs cet emploi avec un autre travail (par exemple, la surveillance des cantines le midi dans les écoles), pour tenter de joindre les deux bouts. Avec les conséquences que l’on imagine en termes de fatigue et sur leur vie personnelle.

Là aussi, la communication ronflante du ministère ne doit pas faire illusion. Arrachée de haute lutte après les premières mobilisations de cette année, la nouvelle grille indiciaire entrée en vigueur depuis la rentrée est présentée comme une quasi-révolution, promettant enfin une progression de carrière qui était jusqu’ici inaccessible aux AESH. Sauf que cette grille démarre… au-dessous du niveau du Smic. Celui-ci est en effet établi à 1 589 euros brut depuis le 1er octobre, alors que la grille de salaires des AESH démarre… 20 euros plus bas, à 1 569 euros brut. La première conséquence de cette situation, c’est que la colère des AESH ne faiblit pas, et qu’avec leurs organisations syndicales (CGT Educ’action, SUD éducation…), elles et ils continuent à exiger un véritable statut d’agent public, une rémunération au niveau des emplois équivalents de la fonction publique, une formation initiale qualifiante… bref, le minimum pour permettre de reconnaître qu’ils exercent un vrai métier.

Sans les AESH, on ne pourrait rien faire. Qu’ils puissent en vivre, que ce soit un métier reconnu et soutenu : nos enfants seraient les premiers à en bénéficier. Géraldine Pouy Mère d'une enfant détectée « multidys »

Car l’école inclusive, c’est eux. Géraldine Pouy, dont la fille détectée « multidys » (troubles multiples liés aux apprentissages) est scolarisée à Villeurbanne (Rhône), le formule sans ambages : « Sans eux, on ne pourrait rien faire. Qu’ils puissent en vivre, que ce soit un métier reconnu et soutenu : nos enfants seraient les premiers à en bénéficier. » Le parcours de Géraldine et de sa fille, similaire à celui de bien des familles, en dit plus long sur la réalité de « l’école inclusive » que les communiqués ministériels les plus alambiqués. La lourdeur des dossiers à présenter à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées, le service des conseils ­départementaux en charge du handicap), « à refaire tous les deux ans, même si la situation n’a pas changé », le certificat médical refusé « alors qu’il était encore parfaitement valable », obligeant à une nouvelle visite chez le médecin…

« Il faut avoir les moyens »

Cette année, la fille de Géraldine Pouy entrait en sixième, un passage qui peut s’avérer délicat pour n’importe quel élève. « Début août, raconte la maman, l a MDPH nous a informés que nous aurions une ­réponse… dans quatre mois. » Autrement dit, pas d’AESH pour la rentrée et la crainte qu’il n’y en ait pas non plus après, car l’expérience montre que « si on n’a pas de notification d’accompagnement en septembre, on ne pourra pas avoir d’AESH après car les budgets sont très vite clos ». Pour Géraldine et sa fille, les conséquences sont lourdes. « C’est moi qui aide ma fille à faire ses devoirs tous les soirs », précise-t-elle. En plus de son travail. « C’est très fatigant mentalement, il y a des moments où je lui crie dessus… Mais on n’a pas le choix. »

Encore a-t-elle la « chance » d’être en ­capacité de le faire. « C’est encore plus dur pour les parents qui n’ont pas les moyens, financiers et culturels, de suivre leur enfant », remarque-t-elle, alors qu’ « une bonne prise en charge change tout. Mais il faut en avoir les moyens : il y a parfois des années d’attente pour avoir une place en CMPP (centre médico-psycho-­pédagogique), il faut trouver un ­médecin capable de poser le bon ­diagnostic »… À 50 euros la consultation chez l’ergothérapeute, 45 euros celle de la psycho­motricienne, le tout chaque semaine et non remboursé, les coûts finissent par être astronomiques. Et l’aide est minimale : 130 euros par mois, quand Géraldine chiffre le coût de la prise en charge à 300 euros mensuels…

La mutualisation n’est qu’un moyen de gérer la pénurie

L’arrivée des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) a aggravé les problèmes. L’idée de départ était de mieux coordonner localement l’action des AESH en fonction des besoins, et de permettre la « mutualisation », dans le but d’une meilleure allocation des ressources. Dans la réalité, les Pial ne sont qu’un moyen de gérer la pénurie. Dans la région lyonnaise, le Collectif des parents d’élèves en faveur des AESH, dont fait partie Géraldine Pouy, relève que la mise en place des Pial a ainsi coïncidé avec une baisse terrible du nombre d’heures d’accompagnement effectivement alloué aux enfants, qui « se réduit trop souvent à 3,7 heures par semaine, quand il était auparavant de 6 à 9 heures ». Alors que les besoins des enfants, eux, n’ont pas changé…

Trop souvent aussi, les notifications d’accompagnement individuel (un enfant ­bénéficie d’un AESH pour lui seul) ne sont plus respectées. Certains AESH se retrouvent à devoir accompagner plusieurs enfants dans une même classe ; d’autres sont envoyés, la même semaine (voire le même jour) d’une école à un établissement secondaire, alors que ce n’est pas le même travail ; certains élèves sont « baladés » entre plusieurs AESH, alors que la stabilité et la sécurité affective sont au premier rang parmi les « besoins particuliers » de ces enfants…

Résultat : alors que, faute d’attractivité et de reconnaissance, il est déjà difficile de recruter des AESH, dans le Rhône l’année dernière, le taux d’absentéisme atteignait les 20 %, soit 1 000 absents sur les 4 000 postes… Des absences dues en partie au Covid (400, selon le collectif), mais surtout à l’épuisement et au mal-être des AESH… qui ne sont pas remplacés, laissant enfants et familles dans le désarroi le plus complet. Une réalité que les chiffres triomphants du gouvernement ont de plus en plus de mal à cacher. 

Les AESH s’invitent dans le débat budgétaire

À l’initiative de François Ruffin (FI), des députés de tous bords vont cosigner des amendements dans les projets de loi de finances 2022 et de financement de la Sécurité sociale visant à améliorer les conditions de travail des AESH, et plus largement des métiers du lien. Outre l’obligation de rémunérer ces professionnels « au minimum » au Smic, l’insoumis réclame la fin des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), qui obligent les AESH à « faire du saute-mouton d’un élève à l’autre, d’une classe à l’autre, voire d’un établissement à l’autre ».

publié le 18 octobre 2021

Montpellier : la manif anti-pass fête les nouveaux appels de gilets jaunes comme il se doit

sur http://lepoing.net/

Si le nombre de participants ne repart pas à la hausse, la nouvelle manifestation montpelliéraine contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale de ce samedi 16 octobre a pris une coloration originale, de par sa concomitance avec les appels de gilets jaunes à reprendre les ronds-points face à la hausse des produits de première nécessité.

Comme tous les samedis, le rendez-vous est fixé à 14h sur la place de la Comédie. Même prises de parole, même diversité des participants. En remontant vers la préfecture, on mesure l’ampleur du rassemblement : environ 2000 personnes ont répondu présentes cette semaine, légèrement moins que les semaines précédentes.

L’originalité de la semaine se trouve plutôt dans la tournure des évènements une fois le cortège arrivé devant la gare Saint-Roch, via le Peyrou et le boulevard du Jeu de Paume.

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux bruissent d’une alléchante rumeur : suite à la nouvelle flambée des prix des produits de première nécessité ( l’essence notamment a dépassé le prix moyen affiché à la pompe autour de l’automne 2018 ), les gilets jaunes prépareraient leur retour sur le devant de la scène politique et sociale. Plusieurs appels à des journées d’action tournent, la première pour ce samedi 16 octobre, avec pour mot d’ordre la reprise des ronds-points. Sans que l’émulsion collective n’atteigne l’intensité de l’agitation numérique des semaines précédents le 17 novembre 2018, la mayonnaise prend. Tant et si bien que le hashtag “#GiletsJaunesSaison2” se retrouve en première tendance politique sur Twitter, et que les médias de nos chers amis bourgeois s’emparent un à un de la question, pris par la “peur d’un retour des gilets jaunes”. Si sur Montpellier même peu d’initiatives suivent directement ces appels, ils auront une influence non-négligeable sur le déroulé de cette nouvelle manifestation contre le pass sanitaire et l’obligation vaccinale.

Plutôt que de remonter comme à l’accoutumée la rue Maguelone vers la place de la Comédie, le rassemblement une fois face à la gare Saint-Roch s’engage sur l’avenue du pont de Lattes. Qu’est ce qui peut bien venir perturber l’éternelle attraction des anti-pass pour les rues de l’Ecusson ? Une idée circule depuis le début de la manif : rejoindre le rond-point des gilets jaunes du Près d’Arènes, encore occupé deux fois par semaine presque trois ans après le début du mouvement fluo. Si l’initiative est lancée par une poignée de bonnes volontés, elle ne rencontre pas de résistance dans la foule. Et c’est tout naturellement que celle-ci emboîte le pas aux quelques irréductibles du mouvement né en novembre 2018. Proches ou pas du polémique groupe de gilets jaunes officiellement constitué près du rond-point Près d’Arènes, tous les pourfendeurs des fins de mois difficiles semblent se réjouir de la tournure prise par les évènements. Les autres aussi d’ailleurs.

Une demi-heure plus tard et malgré quelques défections, se sont donc près d’un millier de manifestants qui déboulent sur le fameux rond-point. Belle lurette que les lieux n’avaient pas retrouvés leurs foules ! Après un sage tour de giratoire, et alors que les musiciens s’activent à rendre l’ambiance festive, plusieurs centaines d’entre eux entreprennent un blocage de la circulation. On se croirais revenus en des temps socialement inflammables, quand sur un air de “Mort aux vaches, mort aux condés” joué aux cuivres, d’autres acclament des gendarmes pour avoir fait un salut de la main en direction de la manif. La contestation brasse de nouveaux publics chaque mois dans la France macronienne.

Plus loin, sur la voie rapide qui file direction Palavas, les collègues de la gendarmerie mobile intimident, par une présence importante, pour que la fête ne dure pas trop. Non casqués et assez tranquille, quelques dizaines de membres de ces unités de maintien de l’ordre avancent vers le rond-point et la manif. Si bien que celle-ci décide d’elle-même de suspendre le blocage, et de retourner vers le centre-ville.

Talonnés par les cinq ou six camions de la gendarmerie mobile, les quelques centaines de présents apparaissent galvanisés par ces petites audaces, et par la mémoire des gilets jaunes. A tel point que le cortège se transforme en liesse populaire sur la route du retour. Le petit nombre qu’il reste fait plus de bruit que certaines des manifs de ces dernières semaines chiffrant à quelques milliers de participants. Voilà plusieurs semaines qu’on avait pas vu telle ambiance dans les rues de Montpellier un samedi après-midi ! Des vieux slogans de gilets jaunes viennent s’ajouter au très repris “on est là”. “Emmanuel Macron, oh tête de con, on vient te chercher chez toi” connaît un franc succès, contrairement au plus guerrier “gilets jaunes, quel est votre métier ?”, qui fait de son côté un joli flop.

Pareil enthousiasme ne laisse pas indifférent : sur l’itinéraire du cortège, les commerçants sortent de leurs boutiques, comme à l’approche d’une foule innombrable. On peut même surprendre quelques sourires rêveurs sur le visage de certains coiffeurs autour du boulevard de Strasbourg.

Longue pause musicale rue de Verdun, l’occasion d’extérioriser toute cette euphorie par des danses endiablées. Avant que ce qu’il reste du cortège ne rejoigne à nouveau la place de la Comédie, pour dispersion rapide.

On retiendra plusieurs choses de cette journée. Premièrement, les appels à reprendre les ronds-points et à manifester contre les hausses de prix des produits de première nécessité pour ce samedi 16 octobre n’ont évidemment pas soulevé les masses comme à l’automne 2018. Pour le moment. Car il est bon d’avoir en tête que les appels ne circulent que depuis quelques jours. Si l’équipe du Poing n’a pas encore de vue d’ensemble sur la journée à une échelle nationale, quelques milliers de personnes au bas mot on répondu à l’appel. Pas mal pour de l’impro totale, et peut-être l’occasion de construire plus grand à l’approche du troisième anniversaire des gilets jaunes. Deuxièmement, les anti-pass de Montpellier ont très spontanément répondu à cette injonction giletjaunesque, jusqu’à en reprendre les slogans avec enthousiasme. N’en déplaise aux convaincus du caractère libéral, voir fascisant du mouvement, les anti-pass recrutent dans cette masse de soutiens des gilets jaunes, et une alliance plus ou moins lâche avec les pourfendeurs des inégalités sociales ne paraissait pas du tout aberrante cette après-midi à Montpellier.

S’apprête-t-on à revivre un mouvement des gilets jaunes bis ? Une assemblée de lutte était appelée ce soir à Grabels par les gilets jaunes de Près d’Arènes. Et les discussions vont bon train entre gilets jaunes de la région entière pour organiser des efforts de coordination. Mais si mouvement populaire il y a dans les semaines et les mois à venir, il y a fort à parier qu’il ne se choisisse pas le gilet comme symbole. Et c’est tant mieux : le pouvoir patine face à la nouveauté, à ce qui le surprend. Néanmoins, les frémissements de ces derniers jours, et la réaction des anti pass montpelliérains notamment, montrent que le mouvement des gilets jaunes a profondément marqué le peuple français. Que ses pratiques, ses réseaux de symbole, et l’influence des groupes constitués ou informels qui y ont acquis une précieuse expérience de la lutte sociale auront leur rôle à jouer dans la suite des évènements.

L’époque est faite ainsi : un bouillonnement contestataire larvé quasi-permanent, malgré sa mise sous cloche pendant les premiers confinements, aux contours parfois flous, confus et ambigües certes, mais qui a une indéniable capacité à surprendre. Et qui connaît des phases moins larvées que d’autres..

Alors, quid de l’hiver 2021 ? La colère est là, les actions d’agriculteurs et sur les ronds-points en métropole contre la hausse des prix font flipper nos gouvernants, et la situation en Martinique devient relativement explosive. Révolte ou dépression pré-électorale ? C’est en luttant qu’on aura nos réponses.



 

publié le 13 octobre 2021

Bergams : Un conflit du travail d’origine très macronienne

Editorial de www.politis.fr

Depuis le 13 septembre, les salariés de cette entreprise de restauration dite ultra-fraîche sont en grève illimitée.

La grève illimitée engagée depuis le 13 septembre par les salariés de Bergams, une société spécialisée dans la restauration dite ultra-fraîche située à Grigny (Essonne), est à verser au bilan de la politique d’Emmanuel Macron. À l’initiative d’une intersyndicale composée notamment de la CGT et de FO, 90 % des 280 employés de cette entreprise dénoncent principalement l’accord de performance collectif (APC) voté de justesse en septembre 2020, sous la menace de l’emploi, en plein cœur de la tourmente covid, la pandémie ayant impacté l’activité de l’usine de Grigny qui fournit des sandwichs et des plats préparés à des clients comme Air France, Relay ou Monoprix.

Créé par la réforme du code du travail conduite par Muriel Pénicaud en 2017, l’APC permet notamment d’aménager la durée du travail, son organisation et la répartition des heures de travail, de modifier la rémunération des salariés. Il peut être signé que l’entreprise soit confrontée ou non à des difficultés économiques provisoires. 

À son entrée en vigueur au 1er janvier, témoigne un délégué syndical FO, les salariés sont « passés de 35 à 37,5 heures, voire 40, par semaine » et ont « globalement perdu entre 100 et 1.000 euros brut par mois » ; toutes les primes et autres acquis ont en effet été supprimés. Et « des dizaines de collègues ont purement et simplement été licenciés », complète la CGT. Celle-ci dénonce « le comportement éhonté du groupe Norac » auquel appartient Bergams, dont « le fondateur, Bruno Caron, apparaît parmi les 400 plus grandes fortunes de France, cette année ». Et appuie les demandes de baisse du temps de travail, d’augmentations de salaire et de recrutements en CDI.




 

publié le 12 octobre 2021

Sixième semaine de grève à Transdev :
la direction joue la division

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

Le bras-de-fer promet de durer encore. Depuis six semaines pour certains, les conducteurs de bus de la société Transdev sont en grève, en Seine-et-Marne et dans le Val d’Oise. Face au refus d’appliquer les nouveaux accords liés à l’ouverture à la concurrence du réseau francilien, la direction tente de négocier… Au cas par cas. Pour mieux diviser, selon les syndicats.

 

Le mouvement de grève des salariés de la société Transdev, implanté en Seine-et-Marne et touchant le Val d’Oise, entame sa sixième semaine. De nouveaux dépôts ont récemment rejoint la lutte, dont celui de Rambouillet. Si certains privilégient des grèves perlées (comme à Nemours ou Rambouillet), beaucoup se maintiennent en grève continue (comme Chelles, Marne-la-Vallée, Saint-Gratien, Vulaines-sur-Seine, Vaux-le-Pénil)…

Face à la longévité et à l’extension du mouvement, l’employeur poursuit le bras-de-fer. « La stratégie de la direction est d’abord de jouer le pourrissement, en essayant d’essouffler le mouvement. Puis, de trouver des accords au cas par cas afin de faire reprendre le travail aux plus précaires », décrit Jamel Abdelmoumni, délégué central Transdev Île-de-France Sud Rail. Les organisations syndicales défendaient une négociation groupée, avec un protocole commun de sortie de conflit. Mais ils assurent avoir essuyé un refus catégorique de l’entreprise.

Conditions de travail. Grève suivie chez Transdev

Juliette Barot sur www.humanite.fr

Soutenus par la CGT, la CFDT et Solidaires, une centaine de salariés de l’entreprise de transport Transdev se sont rassemblés, selon l’AFP, mardi 14 septembre, devant le siège du conseil régional d’Île-de-France à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail. Le nouveau contrat remporté par Transdev dans le cadre de l’appel d’offres pour l’exploitation du réseau Optile (bus de moyenne et grande couronne) conduit à des pertes de rémunérations. Auparavant, « on était à 39 heures payées 39 et on avait 22 jours de RTT. Maintenant, on est à 37 heures payées 37 et on nous a retiré 11 jours de RTT », a expliqué une salariée. Autre perte : les chèques-vacances sont passés « de 750 euros par an à 250 euros ». Les salariés, qui sont en grève depuis deux semaines, dénoncent également un allongement du temps de travail. Île-de-France Mobilités (IDFM), l’autorité organisatrice des transports en commun de la région parisienne, demande « une intensification du dialogue » pour mettre fin à un conflit suivi par 50 % des conducteurs.

Depuis, la direction commence à renégocier dépôt par dépôt. Déjà, à Sénart, un protocole a été signé, par deux organisations syndicales sur trois. Contactée par Rapports de Force, la direction de Transdev nous indique : « à Sénart, la direction et les organisations syndicales ont signé un protocole et le travail reprend progressivement… L’offre était à 80 % hier ». La direction mise sur une reprise normale du trafic, tandis qu’« une partie des conducteurs y est toujours en grève. Ils sont près d’une vingtaine », nuance Jamel Abdelmoumni. Une assemblée générale doit avoir lieu prochainement pour discuter du maintien de la mobilisation au dépôt de Sénart, mais aussi à ceux de Cesson et Combs-la-Ville qui lui sont rattachés. 

Le calendrier des négociations dépôt par dépôt s’intensifie. Lundi 11 octobre, une réunion pour le dépôt de Vaux-le-Pénil s’est tenue à la Cité administrative de Melun, avec un médiateur de l’Inspection du travail. Ce mardi 12 octobre, c’est au tour de Marne-la-Vallée, toujours en présence de l’Inspection du travail. Pour Vulaines-sur-Seine, deux rendez-vous sont programmés – l’un ce mardi 12 octobre, l’autre jeudi 14 -, sans médiateur cette fois. Pour le reste, « les rencontres avec les organisations syndicales se poursuivent à Fontainebleau, Melun et Marne la Vallée » nous précise Transdev. Pour l’heure, Sénart est le seul endroit où un protocole de sortie de conflit a été signé.

Pour Jamel Abdelmoumni, « la direction divise les centres. Quand l’un est en grève depuis une semaine, et l’autre depuis six semaines, forcément, les salariés de ce dernier ont envie de voir le bout… Ils ne peuvent pas se permettre d’attendre ».

 

Ile-de-France Mobilités confie une mission à Jean-Paul Bailly

 Pourtant, la grève à Transdev née en Seine-et-Marne est loin de ne concerner que ce département. Lundi, le conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités a lancé l’application de nouveaux accords à d’autres dépôts. À terme, c’est toute l’Ile-de-France qui est concernée. À l’origine de ces changements des conditions de travail : la renégociation de l’accord-cadre entre Transdev et Île-de-France Mobilités, avec l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien impulsé par Valérie Pécresse (présidente de région et d’Île de France Mobilités). Là où les nouveaux accords commencent à être appliqués, « les conducteurs ont perdu de 200 à 500 euros net par mois. Et les amplitudes horaires ont augmenté, jusqu’à 14 heures par jour », expliquait Hakim, conducteur à Vulaines, à Rapports de Force.

Dans un communiqué paru ce lundi 11 également, l’autorité organisatrice des transports franciliens annonce avoir confié une mission à Jean-Paul Bailly, ancien Président de la RATP et ancien Président de la Poste. Le but ? « Faire converger les points de vue entre les représentants du personnel et les syndicats d’un côté, et les directions des différents réseaux concernés de l’autre. L’objectif est de faire aboutir rapidement les négociations sur les réseaux qui ne seraient pas parvenus à un accord ». Le président de cette mission sera assisté par Jean Bessiere, ancien président de la commission mixte paritaire de la branche ferroviaire ; ainsi que par Jean Grosset, ancien délégué général adjoint de l’UNSA.

 


 

publié le 5 octobre 2021

Salaires. « 300 euros par mois en plus,
ça serait justice »

Pierre-Henri Lab sur www.humanite.fr

La journée d’action interprofessionnelle de ce mardi a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les syndicats sont satisfaits d’avoir remis la question salariale au cœur du débat actuel.

Pari réussi pour l’intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, FDL, UNL et MNL. Plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont 25 000 à Paris, ont défilé « pour nos salaires, nos emplois et nos conditions de travail ». Une petite délégation a même fait le voyage de Belgique. « Nous venons soutenir nos amis français. Nous sommes aussi mobilisés contre le gel des salaires. C’est un problème européen », explique Estelle Ceulemans, secrétaire générale de FGTB pour la région de Bruxelles. À ses côtés, en tête de cortège, les responsables syndicaux ne cachent pas leur satisfaction. « Nous sommes parvenus à mettre la question salariale au cœur du débat », note Philippe Martinez.

Le secrétaire général de la CGT se montre prudent quant à l’annonce du patronat de l’hôtellerie d’une hausse de 6,5 à 9 % des salaires (lire ci-contre) : « Dans les palaces, les employeurs suppriment des emplois pour recourir à la sous-traitance, donc pour moins payer les salariés. » Néanmoins, l’annonce de la hausse souligne, selon lui, que la faiblesse des salaires est cause du peu d’attractivité de certains métiers. Et le syndicaliste de plaider à nouveau pour un Smic à 2 000 euros brut et pour une indexation des minimas de branche sur le Smic afin qu’ils augmentent automatiquement à chaque revalorisation du salaire minimum.

Dur de se projeter dans l’avenir

Anne-Marie et Frédérique, salariées chez Canon France, sont venues revendiquer au moins 3 % d’augmentation de salaire et 100 euros au minimum pour tous les salariés de la filiale française du groupe japonais. « Avec le confinement, les ventes d’imprimantes ont explosé. Les actionnaires se sont partagé 66 % du bénéfice. Et nous, rien ! » dénoncent les deux militantes CGT. Cadre, Anne-Marie a trente ans d’ancienneté et gagne 2 400 euros par mois. Frédérique, agente de maîtrise depuis vingt-six ans, qui touche 1 900 euros net et pas de treizième mois, explique : « On fait attention, on compte. J’ai renoncé à une formation. Il aurait fallu que je complète le financement par moi-même, mais on s’est déjà endettés pour aider notre fils qui fait des études supérieures. » Cheminot, aux ateliers de maintenance de Villeneuve-Saint-Georges, Robin compte lui aussi. Il gagne 1 800 euros par mois, dont 700 euros de prime « pour le travail de nuit, les week-ends et les jours fériés ». Avec sa compagne, agente territoriale, ils ont un revenu de 3 200 euros mensuels. « On s’en sort pas mal. On part en vacances dans la famille. On a un petit loyer de 500 euros. Mais on vit dans 25 m2  », explique le militant CGT. Le jeune couple, qui commence à se poser la question d’un enfant, fait ses calculs : « Il faudra un appartement plus grand, donc un plus gros loyer, alors ça fait réfléchir. » Dur de se projeter dans l’avenir. Robin estime que, pour vivre correctement, il faudrait 500 euros de plus par mois.

Professeure des écoles en Loire-Atlantique, militante au SNUipp, Jessica, gagne 2 200 euros par mois, après vingt ans de carrière. Elle est au neuvième échelon, peut en franchir encore deux avant d’avoir atteint la limite de l’avancement automatique. Progresser après, c’est plus difficile, il faut changer de grade, devenir « hors classe », mais seulement 10 à 15 % de la profession y parviennent. Jessica compte aussi. Divorcée, elle a puisé dans son épargne pour financer le permis de conduire de sa fille. « Honnêtement, 300 euros par mois de plus, ce serait bien et ça serait justice. » Comme tous les fonctionnaires, Jessica est privée d’augmentation générale depuis sept ans à cause du gel du point d’indice. Militante FO, bibliothécaire à l’université, Séverine gagne 1 600 euros. « J’ai l’impression que mon salaire fait du surplace depuis seize ans que je fais ce métier ».

Dans le cortège, de nombreux jeunes aussi. La présidente de la JOC, Chloé Corvée, dénonce « la réforme de l’assurance-chômage qui va frapper les plus jeunes abonnés aux contrats courts ». Elle alerte aussi sur la suppression du repas à 1 euro pour les étudiants : « Beaucoup ont faim. » Mais tout va bien, le CAC 40 a fait 57 milliards d’euros de bénéfices.



 

publié le 5 octobre 2021

Retour des mobilisations
contre les réformes du gouvernement,
un peu plus de 2.000 personnes à Montpellier

Jean-Philippe Vallespir sur https://lemouvement.info

L’intersyndicale à laquelle se sont associées plusieurs organisations étudiantes ou lycéennes avait appelé à une journée de grève interprofessionnelle et de manifestations ce mardi 5 octobre 2021. L’automne va-t-il relancer la mobilisation contre les réformes mises en place par le gouvernement ?


 

Vigilance orange, voire rouge pour les syndicats en ce dernier trimestre 2021, avec une nouvelle journée de mobilisation organisée dans plusieurs villes de France. La manifestation contre les réformes mises en place par le gouvernement, notamment des retraites et de l’assurance chômage, a mobilisé un peu plus de 2.000 personnes ce matin à Montpellier.

La grève et la mobilisation interprofessionnelle de ce 5 octobre initiées par l’intersyndicale : FO, CGT, FSU et Solidaires, ainsi que les organisations de jeunesse FIDL, MNL, UNEF et UNL, « s’opposent à ce que la situation sanitaire soit utilisée par le gouvernement et le patronat pour accélérer la remise en cause des droits et des acquis des salariés et des jeunes. »


 

« On ne demande pas l’aumône, on ne demande pas la charité. » Serge Ragazzacci

Face à l’augmentation du Gaz et de l’électricité, « on ne demande pas l’aumône, on ne demande pas la charité. Qu’ils les gardent les chèques énergie. Nous, ce que nous revendiquons, c’est que l’on sorte l’eau, le gaz, et l’électricité du secteur libéral, et des griffes de la spéculation. Retour à un pôle public de l’énergie, » lance Serge Ragazzacci sur la place de la Comédie à Montpellier.

Plusieurs revendications ont été scandées ce mardi matin : abandon de la réforme des retraites, lutte contre la précarité ou les inégalités entre les femmes et les hommes, hausse des salaires, et retrait de la réforme de l’assurance chômage. Mais l’accent a été mis par Serge Ragazzacci, Secrétaire départemental CGT34 sur l’affaire des « Pandora Papers » les nouvelles révélations d’évasion fiscale, pour illustrer toute la nécessité d’une lutte face à des « menteurs qui vont nous dire que ça coute cher, et qu’il n’y a pas d’argent. »

Pour le leader syndical, il s’agit d’argent « volé au travail, volé à la solidarité, volé au service public, volé aux retraités […] C’est bien un choix gouvernemental de favoriser la fraude fiscale, pour ensuite venir nous dire : pour les salaires y’en a pas, pour l’emploi y’en a plus, pour les cotisations sociales, c’est foutu. Non ! L’argent, il est là ! Il est dans les poches du Capital. Alors, dans les mois qui viennent, allons le chercher, toutes et tous ensemble dans l’unité. »

Retraites. L’autre point de vigilance de cet automne, déjà bien envahi médiatiquement par la prochaine élection présidentielle : le passage en deux temps de la réforme des retraites. Une réforme qu’Emmanuel Macron n’a pas enterrée. À noter : « fermeture » du parlement fin février, avant la Présidentielle des 10 et 24 avril, et des Législatives des 12 et 19 juin. Tout serait possible dans un rapide projet de loi. L’idée serait de supprimer les régimes spéciaux et de relever le minimum retraite à 1.000€, et après la Présidentielle, traiter le sujet plus sensible du recul de l’âge de départ à la retraite, avec une nouvelle assemblée.




 

publié le 4 octobre 2021

Mobilisation du 5 octobre :
les bas salaires tiennent le haut du pavé

Pierre-Henri Lab sur www.humanite.fr

À l’heure où flambent les dépenses du quotidien, l’intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, Fidl, Unef, UNL et MNL organise, ce mardi, plusieurs dizaines de manifestations pour exiger l’augmentation du Smic.

« Il faut que la colère s’exprime. » Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a lancé un appel aux salariés à se mobiliser à l’occasion de la journée d’action interprofessionnelle organisée par la CGT, FO, la FSU, Solidaires, l’Unef et les syndicats lycéens Fidl, MNL et UNL, « pour nos salaires, nos emplois et nos conditions de travail ». Dans le collimateur de l’intersyndicale, la faiblesse des hausses de salaire. Alors que les Pandora Papers mettent en lumière l’étendue de l’évasion fiscale (lire page 4), le Smic n’a augmenté que de 35 euros brut au 1er octobre, en rattrapage de l’inflation. Ce montant est jugé nettement insuffisant par les organisations syndicales, qui pointent notamment l’explosion des dépenses des ménages en particulier en matière d’énergie (électricité, gaz et carburants).

La CGT revendique pour sa part que le Smic soit porté à 2 000 euros brut par mois pour 35 heures hebdomadaires. Philippe Martinez pointe également le sort des millions de salariés dont le montant du salaire minimum de branche est désormais inférieur au salaire minimum, et qui devront attendre de long mois avant d’être augmentés. Pour l’intersyndicale, la hausse doit concerner l’ensemble des salariés dans le public et le privé.

La réforme de l’assurance-chômage est aussi dans le viseur de l’intersyndicale. Entrée en vigueur vendredi, elle va aboutir à la réduction du droit à indemnisation des demandeurs d’emploi, en particulier les travailleurs enchaînant contrats de courte durée et périodes de chômage. La modification de la règle de calcul de l’allocation va entraîner une baisse en moyenne de 17 % de son montant pour au moins 1,15 million de privés d’emploi. « Avec cette réforme, le gouvernement va plonger 1,7 million de salariés dans la misère », accuse le secrétaire général de la CGT. L’ensemble des confédérations va déposer un nouveau recours devant le Conseil d’État d’ici à jeudi, afin de suspendre l’application de ce tour de vis, avant que la haute juridiction administrative, saisie il y a déjà plusieurs mois, par les syndicats, se prononce sur le fond.

Pour l’intersyndicale, le gel des salaires et le maintien des réformes visant à « faire des économies sur le dos des salariés », sont d’autant plus inacceptables que les profits du CAC 40 explosent. Au premier semestre 2021, les groupes ont engrangé 57 milliards d’euros, soit 41 % de plus qu’au premier semestre 2019, dont les résultats avaient été épargnés par le confinement. Le taux de marge des entreprises a atteint 35,9 % au premier trimestre.

Les manifestants mettront aussi l’accent sur les conditions de la rentrée universitaire. Alors que l’Unef chiffre à 2,5 % la hausse de son coût et que la pauvreté étudiante a bondi pendant la crise sanitaire, le gouvernement vient de décider de mettre fin au dispositif du repas à 1 euro. L’Unef et les syndicats lycéens dénoncent aussi les conditions de la rentrée. Alors qu’à l’université, les effectifs ont progressé de 2,1 %, le nombre de postes d’enseignants continue de baisser.

Plusieurs dizaines de manifestations sont prévues en région, souvent plusieurs par département. À Paris, l’intersyndicale a dénoncé « une nouvelle entrave au droit de manifester » de la part de la préfecture, qui s’est opposée à ce que le cortège se rende place de la Concorde. Au final, la manifestation qui partira de République arrivera Chaussée-d’Antin.




 

publié le 3 octobre 2021

 

Salaires. Pourquoi Le compte n’y est pas

Clotilde Mathieu sur www.humanite.fr

La reprise se confirme et les profits redécollent, mais les salariés n’en voient pas la couleur. Après avoir été soutenu sans conditions, le patronat ose refuser une plus juste répartition. Rendez-vous est donné le 5 octobre, par la CGT, FO, la FSU et Solidaires pour exiger, notamment, de meilleurs salaires.

La colère monte, la pression est palpable. Face à la pénurie de travailleurs dans les secteurs où œuvrent les première et seconde lignes, alors que l’économie « repart », la question des salaires s’impose. D’autant que la pandémie a réhabilité le travail. « La société et l’économie sont restées debout parce que les travailleurs ont continué de travailler, souvent au péril de leur vie », note l’économiste Jean-Marie Harribey. Mais également parce que « la crise sanitaire a montré que les travaux les plus essentiels étaient souvent les plus mal rémunérés », ajoute-t-il (1).

Primes et chèques pour éviter l’explosion

Ainsi, les revalorisations salariales ou les primes Macron sont jugées bien insuffisantes et les mécontentements s’expriment, au vu des 51 milliards d’euros de dividendes (+ 22 %) qui seront versés cette année aux actionnaires. Sans compter les 240 milliards d’euros d’aides publiques versées aux entreprises.

Les aides à domicile étaient d’ailleurs en grève le jeudi 23 septembre, mécontentes que les revalorisations négociées par le gouvernement ne concernent qu’une fraction d’entre elles. Idem dans plusieurs sociétés de l’agroalimentaire, chez Orange, ou encore chez les supermarchés discount Aldi : malgré les bénéfices de leur entreprise, les travailleurs n’en voient pas la couleur. Ces colères sont autant de prémices à la journée d’action prévue le 5 octobre à l’appel des syndicats CGT, FO, FSU et Solidaires qui, dixit la CGT, « se prépare bien ».


 

Pour éviter l’explosion sociale, depuis la rentrée, chaque semaine, un membre du gouvernement fait mine de s’emparer du problème et distribue des chèques (chèque énergie, hausse de l’allocation de rentrée scolaire…). Bruno Le Maire avait d’ailleurs ouvert le bal, fin août, en déclarant juste avant la reprise : « Il y a un sujet dont je ne démords pas, c’est une meilleure rémunération de ceux qui ont les rémunérations les plus faibles. » Pourtant, le gouvernement s’est refusé à tout coup de pouce au Smic. Au 1er octobre, celui-ci, grâce à la formule liée à l’inflation, se verra augmenté « automatiquement » de 34,20 euros. Et, dans la fonction publique, après plus de dix ans de gel du point d’indice, les négociations lancées la semaine dernière patinent .

Nous avons beaucoup de femmes isolées, en temps partiel subi, surendettées, en précarité énergétique quand leurs patrons trônent au top 10 des fortunes mondiales. » GÉRALD GAUTIER, FO commerce.

Ce petit jeu occupe l’espace public, mais il est loin d’amuser les salariés qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. La ministre du Travail, Élisabeth Borne, a donc à son tour joué les énervées, en exigeant que « toutes les branches qui ont des minima en dessous du Smic doivent revaloriser les salaires ». Et de promettre de suivre l’avancement des travaux. Pourtant, là aussi, les négociations sont au point mort. Le patronat n’est pas prêt à céder.

Dans l’hôtellerie-restauration, les trois premiers niveaux de la grille sont sous le Smic. Idem dans l’habillement.

Dans l’hôtellerie-restauration, les employeurs estiment être dans « une situation très inconfortable », explique Jean-François Blanchet, président de l’Umih 47. « Nous n’avons pas de visibilité sur notre activité. Il faudrait déjà qu’on se remette d’aplomb. Or, actuellement, nous tournons avec 20 % à 30 % de chiffre d’affaires en moins à cause du passe sanitaire », affirme le restaurateur. Ces chiffres ne sont pas confirmés par les institutions statistiques. Pour lui, « ce n’est pas le niveau des salaires qui a coupé l’envie de venir travailler, mais les aides », poursuit-il, en pointant le chômage partiel.

Pourtant, dans cette branche, les trois premiers niveaux de la grille sont sous le Smic, actuellement à 1 555,58 euros brut. Avec la hausse programmée au 1er octobre à 1 589,47 euros, de trois, ils passeront à cinq niveaux en deçà des minima. « Insupportable », explique Nabil Azzouz, secrétaire fédéral FO. Le syndicat a donc appelé à des négociations en urgence. « On est sans doute la branche la plus mal lotie. Depuis mars 2020, les salariés ont perdu 16 % de leur salaire, sans compter les pourboires », rappelle le syndicaliste, soit environ 300 euros par mois.

Un Smic à 2 000 euros brut par mois, chiche !

La mesure est souvent vilipendée, jugée impossible, mais elle fait mouche. Une enquête datant de 2019 du ministère des Solidarités et de la Santé estimait à 1 760 euros net le revenu décent souhaité par les Français. « En Espagne, cite la CGT, ce choix politique a été fait. En 2018, le salaire minimum a augmenté de 30 % avec l’objectif de porter le Smic à 60 % du salaire espagnol moyen. » Pour financer la mesure, la centrale syndicale propose de sortir des 230 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales et fiscales perçues « sans contrôle ni évaluation ». De plus, une hausse sensible du Smic représente un effort soutenable pour peu que l’on desserre la contrainte financière, en particulier pour les petites et moyennes entreprises ; déjà, en baissant le coût du capital, c’est-à-dire les prélèvements financiers (charges d’intérêts ou dividendes), qui pèsent entre 18 % et 77 % des coûts des entreprises, contre 14 à 31 % pour le travail. Mais aussi, en pensant « différemment la relation entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants », propose Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT

Grands magasins, mini-payes

Dans les branches du commerce non alimentaire, entre 2008 et 2018, les salaires n’ont progressé que de 1,9 % contre 6,5 % en moyenne nationale. Dans l’habillement, secteur qui emploie entre 200 000 et 300 000 personnes, les trois premiers niveaux sont également sous le Smic. La branche a même été mise « sous surveillance du ministère », confie, de son côté, Gérald Gautier, secrétaire fédéral FO commerce. Pis, dans la branche grands magasins, magasins populaires, qui regroupent par exemple les groupes Kering et Zara, c’est l’ensemble des niveaux de la grille qui sont en deçà du Smic. Or, « nous avons beaucoup de femmes isolées en temps partiel subi, en surendettement, en précarité énergétique », poursuit le syndicaliste. Quand leurs patrons « trônent dans le top 10 des fortunes mondiales ». « Le gouvernement ne fait rien, absolument rien », alors qu’il aurait pu les contraindre, avec toutes les aides attribuées aux entreprises.

Si les syndicats exigent une revalorisation du salaire minimum brut à 2 000 euros pour éteindre la mèche, dans les entreprises, les directions « généralisent » les primes exceptionnelles, de participation ou d’intéressement. Or, ces rémunérations ponctuelles qui viennent se « substituer aux augmentations de salaires » sont « dangereuses », prévient Boris Plazzi, secrétaire confédéral CGT. « Ces primes non soumises aux cotisations sociales et défiscalisées sont autant de milliards d’euros qui ne retombent pas dans le budget des familles », explique le syndicaliste. En effet, sans cotisations sociales, sans impôt, pas de Sécurité sociale, ni d’écoles et d’hôpitaux publics. Tout serait laissé au privé. La droite n’a pas d’autre projet…

(1) « En finir avec le capitalovirus. L’alternative est possible ». Éditions Dunod.


 

---------------------- TEMOIGNAGES -----------------------------------------------


 

« En 15 ans, l’indice a gagné  6 centimes »

Lucie STIRER Chevrier, monitrice éducatrice en établissement pour adultes handicapés

«Mon métier a perdu du sens depuis le Covid. J’y suis toujours attaché. Mais beaucoup laissent tomber. Cette économie marchandise tout, y compris le médico-social. Début août, la valeur du point a augmenté de deux centimes. J’ai fait le calcul : depuis mon début de carrière, il y a quinze ans, ce point sur lequel est calculé mon salaire a augmenté de six centimes ! On est très loin d’un rattrapage de l’inflation. Un grand nombre de mes collègues ne touchent pas le Smic en salaire fixe. Comme nous avons des horaires atypiques, nous percevons une indemnité de sujétions spéciales qui permet de compenser. C’est mon cas : avec un bac + 3 et quinze ans d’ancienneté, je touche 1.350 euros par mois.

Nos métiers font partie des catégories des personnels soignants. Mais comme nous travaillons dans des établissements associatifs, nous n’avons pas été inclus dans les 183 euros d’augmentation en lien avec le Ségur de la santé. Nous voyons donc en ce moment des collègues aides médico-psychologiques (AMP) démissionner pour aller dans les Ehpad publics, où ils toucheront ces 183 euros. Leur métier perd un peu de son intérêt. Mais l’appel du salaire est plus fort. D’autant qu’on a affaire à un patronat, Nexem, à la dent dure, qui veut déclassifier les métiers pour qu’il n’y ait plus de différences entre un éducateur technique, spécialisé ou un AMP et que tous les salariés soient polyvalents pour être capables de tout faire, ce qui revient à tout mal faire. Il compte aussi jouer du rapprochement entre notre convention collective et une autre du secteur pour tirer tous les salaires vers le bas, avec l’accord de l’État qui finance une grande partie de nos établissements. C’est un vrai dumping social. »


 

« J’ai perdu 300 euros sur ma fiche de paie »

Fanny, 37 ans, contrôleuse qualité dans l’usine agroalimentaire Bergams, à Grigny (Essonne)

«J’ai vraiment atteint un ras-le-bol. Depuis la signature de l’accord de performance collective pour notre usine (entré en vigueur en janvier 2021 – NDLR), on a eu des journées de 9 heures ou 10 heures parfois. C’est un travail fatigant, alors le soir, quand je rentre chez moi, que mes enfants veulent passer du temps avec moi, je n’ai plus la force, je n’ai plus l’envie. Mais au lieu d’être reconnue, j’ai perdu presque 300 euros sur ma fiche de paie et je me retrouve à 1 600 euros par mois environ.

J’ai perdu la prime de nuit, alors que je travaille toujours de nuit, mais aussi la prime des dimanches et jours fériés. En plus, je subis également le chômage partiel. Heureusement, j’ai mon mari qui a son propre revenu. Mais on a dû s’adapter. On se fait moins souvent plaisir et on doit y réfléchir à deux fois avant de nouvelles dépenses.

Ce que je voudrais, c’est une augmentation de salaire, au moins retrouver mon ancien niveau de revenu. C’est pour ça que je suis en grève, en plus des conditions de travail qui se dégradent dans notre usine. Il n’y a aucun dialogue possible avec notre direction, qui se dit “humaniste” mais qui a quand même coupé dans nos salaires. J’ai six années d’ancienneté, mais c’est comme si elles ne comptaient plus. »


 

« Tout le monde est dans la même situation »

Corinne, 55 ans, aide-soignante à l’hôpital Saint-Louis et membre du collectif Inter-Urgences.

« À partir d’octobre, je vais toucher 20 euros de salaire en plus. Cela correspond à un nouveau volet du Ségur de la santé et c’est clairement en dessous de tout ! En fin d’année dernière, nous avons eu l’augmentation de 183 euros, mais avec la flambée du coût de la vie, nous avons à peine senti l’amélioration. Ça fait des années que nous revendiquons de meilleures rémunérations, mais aussi plus d’effectifs et de lits. En attendant, à partir du 22 de chaque mois, on guette le versement du salaire. Nous en discutons entre collègues car tout le monde est dans la même situation. Ça part vite entre les factures d’électricité et le loyer.

Je touche 2 000 euros, notamment parce que je suis de nuit et que j’ai droit à une prime de 118 euros car je travaille aux urgences. Mais, au bout de trente et un ans à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), ça pique ! Ce ne sont pas des niveaux de revenus suffisants pour attirer les jeunes. Nous avons du mal à les recruter et à les garder : soit ils partent pour faire autre chose, soit ils enchaînent les missions d’intérim, ce qui leur permet de mieux gagner leur vie.

Malgré la crise du Covid, nous faisons toujours partie des personnels de santé les plus mal rémunérés de l’OCDE. Sans compter les coups de pression que nous nous sommes pris pour se faire vacciner. Si le gouvernement veut fidéliser les soignants, il va falloir qu’il y mette les moyens. Mais aussi qu’il aplanisse les disparités. À Montpellier, une aide-soignante peut être payée moins que moi, alors que nous faisons le même travail. Pour toutes ces raisons, je vais essayer de manifester le 5 octobre. »


 

« Des millions ont été versés à LVMH mais nous, on n’a rien touché »

Jenny Urbina, déléguée syndicale CGT, 46 ans, employée chez Sephora

« Lors des dernières négociations annuelles obligatoires, nous n’avons eu que 0,5 % d’augmentation générale. En ce qui me concerne, ça fait 9 euros de plus en bas de la fiche de paie. Nous avons refusé de signer car ce n’est pas sérieux ! Nous avions pourtant demandé une hausse de 150 à 180 euros. Nous avons également touché zero euro de prime de participation alors que Sephora a réalisé 70 millions d’euros de bénéfices et que 93 millions ont été versés à la maison mère LVMH. Quand on voit les niveaux de fortune atteints par Bernard Arnault, PDG de LVHM, c’est scandaleux !

C’est anormal qu’il continue à s’enrichir alors que nous perdons toujours plus d’argent. Nous sommes, en ce moment, en train de négocier un accord sur l’aménagement du temps de travail. Dans le premier texte en vigueur depuis l’an 2000, les heures supplémentaires ne sont pas payées, mais récupérées. Or, il est toujours compliqué de poser des jours ou de prendre des congés. À quels reculs doit-on s’attendre dans cette nouvelle discussion ? Avec des rémunérations autour de 1.500 euros, les salariés se battent déjà pour travailler le dimanche.

C’est très compliqué de vivre avec cette somme en région parisienne. Tout le monde est dans la même galère. Quant aux conditions de travail, c’est devenu n’importe quoi ! On tourne à trois par magasin. Nous avons aussi alerté la direction sur la démotivation des employés. Il y a beaucoup d’abandon de postes et d’absentéisme. Il n’y a aucun avantage à travailler chez Sephora. »


 

Sur le pavé le 5 octobre pour mettre fin aux mesures dérogatoires et antisociales Si les revendications salariales tiendront le haut du pavé le 5 octobre, les colères sociales ne manquent pas et donneront encore plus de corps aux cortèges du jour, à l’appel de la CGT, FO, la FSU, Solidaires, l’Unef, la Fidl, le MNL et l’UNL. Le dernier grief en date, sans doute le plus aigu, a trait à l’assurance-chômage. Le gouvernement a fait le choix de passer en force en imposant sa réforme dès le 1er octobre avec l’allongement de la durée de cotisation pour avoir droit à une indemnisation et la baisse des allocations, via un nouveau mode de calcul. Les manifestants appelleront au retrait immédiat de ce tour de vis social comme à l’abandon du projet de réforme des retraites. Ils demanderont aussi la fin des mesures dérogatoires du Code du travail qui donnent les quasi pleins pouvoirs aux employeurs. La lutte contre la précarité sera au cœur des revendications des organisations de jeunesse. Ces dernières militeront aussi pour la fin des mesures dérogatoires à l’État de droit et le retour au droit et aux libertés publiques, pour les travailleurs comme pour les étudiants.




 

publié le 3 octobre 2021

Métallurgie. À la fonderie SAM,
235 jours de lutte pour une reprise digne

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Mobilisés pour sauver leur usine et ses 350 emplois directs, les salariés en appellent au premier ministre et à leur principal client, Renault, pour trouver un repreneur. Mais ce jeudi est la date limite de dépôt des candidatures.

Ce 30 septembre n’est pas le couperet que les salariés de Jinjiang SAM de Viviez (Aveyron) auraient pu craindre. Si le tribunal de commerce de Toulouse a fixé au 30 septembre la date limite de dépôt des offres de reprise, après avoir placé au début du mois la fonderie en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, tout porte à croire que le délai sera étendu. « Renault s’est engagé à nous soutenir et à nous passer des commandes jusqu’à mars 2022, il n’y a pas de raison à ce que la justice ferme les portes à des offres ou des intentions de reprise si tôt », espère David Gistau, élu CGT au CSE de la fonderie SAM et secrétaire de l’union départementale de l’Aveyron.

L’État et le constructeur automobile ont repoussé deux offres, qui, selon eux, n’apportaient pas assez de fonds propres. « C’étaient des acteurs français avec de vrais projets et il ne leur manquait que 5 millions d’euros, mais le gouvernement préfère la communication, plutôt que d’agir pour la réindustrialisation et les aider », déplore Pascal Mazet, conseiller régional PCF d’Occitanie et soutien de la première heure des salariés.

Une première vraie victoire

« Il y a aussi que Renault ne veut négocier qu’avec des gros acteurs, il l’a dit dès le début en poussant l’offre du groupe espagnol CIE Automotive. Ils travaillent d’ailleurs déjà ensemble », rappelle, de son côté, David Gistau. Sauf que celle-ci prévoyait la suppression de 200 postes, avec la fermeture du bureau d’études et du service support. « Nous serions devenus un simple atelier de production, condamné dans les cinq ans. C’était une provocation, dénonce l’élu CGT. Dans tous les cas, c’était se résoudre à disparaître, alors nous avons préféré rester debout et nous battre. » Après vingt-trois jours de grève et de blocage d’usine et des rassemblements qui ont réuni plusieurs milliers de personnes, le gouvernement a fini par admettre que, pour être viables, les offres de reprise devaient conserver au moins 250 salariés et le bureau d’études. Quant à Renault, il a promis 40 millions d’euros de commandes par an. De quoi rendre la SAM plus belle pour la reprise et, ce 30 septembre, une nouvelle offre de CIE Automotive n’est pas à écarter puisque les discussions avec l’industriel espagnol se poursuivent.

Mais c’est surtout une première vraie victoire pour les salariés, puisque, à l’origine, le constructeur automobile français voulait faire fabriquer ses carters d’huile et ses pièces pour moteur et culasse en aluminium en Roumanie, privant le site aveyronnais de 85 % de son chiffre d’affaires. Une aberration écologique – comme en termes de coût de transport –, puisque l’essentiel de ces pièces doit être livré, ensuite, par camions à l’usine espagnole de Valladolid. Une nouvelle qui avait attisé la colère des salariés de la SAM. Car, si le repreneur chinois, Jinjiang, n’a jamais tenu ses promesses d’investissement faites lorsque son offre de rachat du site a été validée en 2017 – pour preuve, le site est en redressement judiciaire depuis 2019 –, la SAM est clairement parée pour affronter les défis industriels de demain.

Le risque d’un drame humain

« Nous fabriquons déjà des pièces pour les moteurs hybrides et électriques, nous avons déjà pris le virage, et notre bureau d’études, comme notre service support ont une réelle expérience », assure David Gistau. « On nous dit que le moteur thermique est fini en 2035, certes, mais la SAM travaille déjà sur la Zoé électrique ! Et elle peut aussi œuvrer demain sur les moteurs des prochaines 4L et R5 électriques », ​​​​​​​renchérit Pascal Mazet. Une fermeture serait un véritable gâchis industriel. Mais aussi un drame humain... Avec une moyenne d’âge de 48 ans, les salariés auront beau traverser la rue, impossible de retrouver un emploi dans un département où il y a 13 fois plus de chômeurs que d’offres disponibles. « Le plus grand employeur du bassin est l’hôpital, et, ensuite, c’est la SAM, alerte l’élu local PCF. Et je rappelle que, dans le département, le site de Bosch Rodez est aussi en sursis ! »

Voilà pourquoi les salariés ne désarment pas. D’autant que le discours gouvernemental autour de la souveraineté industrielle et de la relocalisation résonne clairement avec leur lutte. « Notre principal client, Renault, a été aidé à hauteur de 5 milliards d’euros par le gouvernement, et l’État en est toujours actionnaire, il a tous les moyens d’agir », affirme David Gistau.



 

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